La livraison avait été fixée au 17 avril 2024. Chaque document de travail concernant cette pièce de haute joaillerie Cartier, baptisée Panthère des glaces, indiquait cette date. « Nous y sommes. Je viens de la voir achevée pour la première fois », savoure devant nous, le matin du 18 avril, Jacqueline Karachi, directrice de création haute joaillerie de la maison. Afin de concrétiser cette panthère des neiges représentée sur un lit de glace en train de se briser, il aura fallu toute l’application et le travail de dix artisans. Une mobilisation de « 2 952 heures de travail », ont calculé les systèmes informatiques à partir des données recensées par les badges permettant d’accéder aux ateliers ultra-sécurisés.
« Chez nous, chaque animal a sa personnalité et nous nous devons de la traduire fidèlement, rappelle Jacqueline Karachi dans son bureau de la rive droite, à Paris. Cette panthère-là est audacieuse, téméraire. En descendant sur ce lit de glace qui coule comme une vague, on perçoit à la fois la glace qui se brise et le poids de la bête. A condition néanmoins de voir le félin de près. Car, de loin, on ne le remarque pas forcément, il se fond dans le paysage. C’est son essence : comme le rappelle Sylvain Tesson dans son roman [La Panthère des neiges, Gallimard, 2019], la beauté de l’animal n’a d’égale que sa rareté. » Sourire de contentement : « Voyez comme nous avons été fidèles au dessin », invite la directrice de création en tendant le gouaché du collier. En bas, un tampon officiel indique qu’elle a approuvé le projet. A côté, la date de validation : 3 mars 2022, soit plus de deux ans plus tôt.
Ce collier a été imaginé par une designer du studio haute joaillerie (qui n’a pas souhaité que son nom apparaisse). Au départ, la consigne était simplissime : utiliser des milliers de diamants achetés par Cartier pour réaliser une panthère. Autant dire réinterpréter un classique, tant l’animal est devenu un symbole de la maison depuis 1914. « Cette année-là, le félin fait son entrée par une métonymie : c’est d’abord son pelage qui est représenté, en diamants et onyx, à une époque où la joaillerie en noir et blanc était en vogue. Ses taches symbolisent à la fois une féminité puissante et un élitisme antique que l’on perçoit alors dans les tableaux de scènes d’Empire romain, comme chez Lawrence Alma-Tadema, recontextualise Pierre Rainero, directeur de l’image, du style et du patrimoine. Il faudra attendre 1935 pour que la tête de la panthère surgisse, en double, sur une bague en or, et 1948 pour que son corps entier soit modelé en 3D, dans une broche destinée à sertir un cabochon d’émeraude fourni par le duc et la duchesse de Windsor. »
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