JO Paris 2024 : le père du mouvement hip-hop dans l’Aube va porter la flamme olympique à Troyes

Avant d’arriver à Paris, la flamme olympique traverse l’Aube, ce samedi 13 juillet 2024. À Troyes, un relais de porteurs sera consacré au breaking, nouvelle discipline olympique. Un relais mené par Arthur Badié, père du mouvement hip-hop dans l’Aube et cocréateur du festival Zoulou Dance.

Arthur Badié anime depuis plus de 30 ans la vie culturelle du mouvement hip-hop à Troyes et dans l'ensemble de l'Aube. LP/Jonathan Sottas
Arthur Badié anime depuis plus de 30 ans la vie culturelle du mouvement hip-hop à Troyes et dans l'ensemble de l'Aube. LP/Jonathan Sottas

    Les locaux le surnomment le Tonton. À 56 ans, Arthur Badié fait partie des meubles dans la vie culturelle troyenne, particulièrement autour de la scène rap. « J’ai l’âge du soleil » souffle-t-il. « Parce que le soleil, il n’a pas d’âge, il est là depuis la création. Et si j’ai l’âge du soleil, c’est aussi parce que j’ai été au début de la création » Né en Côte Ivoire, le jeune Arthur a rejoint son père à Paris, venu en France pour étudier et travailler, à la fin des années 1970. « On habitait dans le XIXe arrondissement de Paris, en face des Buttes-Chaumont. C’était beau, j’avais des amis. Mais mon père avait pris du grade et était parti dans le XVIe, et ça n’était pas mon truc, c’était trop calme pour moi. »

    Son truc, c’était plutôt les sorties nocturnes avec des filles : « Je faisais de la radio, le DJ, j’ai touché un peu à tout ! » Avant le hip-hop, il y avait le reggae, la funk, le groupe Dynasty, Bobby Brown… « Un jour, je me retrouve au Rex Club, c’est l’époque des Zaïrois, les Papa Wemba, Koffi Olomidé… Tout le monde faisait de la sape (le style vestimentaire de la communauté congolaise) », se souvient Arthur. C’est dans ce lieu qu’il découvre la nouvelle vague musicale venue des États-Unis : « Le DJ balançait de l’afro, du funk, puis des styles américains… c’était intrigant ! »

    En sortant du club, une nuit, Arthur et ses amis observent un homme qui « pose son chapeau et se met à danser le smurf (l’un des mouvements du hip-hop, qui se danse debout) ». « Pour moi, c’est de là que tout est parti », admet Arthur. Il découvre Sidney, DJ résident au Rex Club, qui a démocratisé la culture hip-hop en France. Il découvre aussi le rap, avec des textes dans la mouvance reggae : « Les gens ont commencé à revendiquer en parlant de vraies choses, en donnant des conseils. »

    Le festival qui a fait danser et rapper une génération de Troyens

    Cette partie de sa vie a forgé sa culture, mais, avant de la partager, Arthur Badié a un peu bourlingué. À Troyes déjà, puis à Marseille, Strasbourg, Reims, Orléans… l’Angleterre, l’Italie, l’Allemagne… Avant de revenir se poser dans l’Aube. « J’étais comme un oiseau, je volais, et je ne trouvais pas les bonnes branches », s’amuse-t-il. Il s’installe définitivement à Troyes en 1989, après avoir été refusé par la Légion étrangère « Le médecin psychologue me trouvait trop émotif… C’était un coup de tête, je voulais m’évader. » Après des formations et stages divers et variés, il finit par être embauché comme animateur à Copainville, un foyer de jeunes travailleurs dans le quartier des Sénardes. « À l’époque, c’était un peu chaud, le hip-hop battait son plein et les gens ne s’entendaient pas entre générations. »



    Qu’à cela ne tienne, Arthur organise une démonstration dans une petite salle avec son ami Ziké, un chanteur danseur ivoirien très en vogue à l’époque. « Les jeunes n’avaient jamais vu ça », se souvient Arthur Badié. « On s’est dit qu’il fallait organiser un concours et des cours de hip-hop avec Ziké pour leur apprendre à danser. » Rémi Erler, un acteur de la vie culturelle troyenne, lui suggère de soumettre le projet à la direction du foyer. L’événement se structure et devient « Zoulou Dance », un festival qui fera chanter, danser et rapper toute une génération de jeunes troyens à partir de 1991.

    « Tout d’un coup, on avait les subventions de la ville… Je ne savais même pas d’où ça venait, mais je fais l’animation », mime Arthur Badié, qui se souvient de l’ambiance de l’époque, déjà faite de graffitis autour des estrades et podiums montés sur l’ancienne piscine de Copainville, dans un décor « à l’américaine ». Tête d’affiche, Ziké fait un carton avec son « Slow Motion » et des scènes de fausses bagarres « avec le sang qui giclait de poches, il faisait ça au ralenti, tout le monde trouvait ça incroyable ».

    « Ça m’a fait chaud au cœur d’être choisi »

    Arthur Badié part à l’Association Jeunesse pour Demain, où il travaille toujours aujourd’hui. Tout en participant aux débuts de Radio Campus Troyes, il transmet sa culture et fait découvrir ses références aux jeunes de tous les quartiers troyens. « Dans la mouvance hip-hop, c’est Love, Unity, Peace et Having Fun ! ». Les ateliers de break dance s’enchaînent, les concerts de plus en plus prestigieux également : le groupe Ideal J avec Kerry James, Mafia K’1 Fry, Démocrates D, Diam’s, Noyau Dur, La Brigade, La Garde, Médine, Ness & Cité… De Copainville à l’espace Cité, puis à l’espace Argence et jusqu’au parc des expositions de Troyes, l’événement grandit… Jusqu’à devenir trop coûteux.

    « Dans le temps, les artistes venaient gratuitement, on ne payait que les défraiements. » Mais l’arrivée des managers professionnels change la donne : « Les clashs, les filles, les voitures sont arrivés. Ce n’était plus le vrai rap, mais du business. » Le public évolue, la ville de Troyes ne suit plus financièrement, et l’aventure s’arrête enfin, après 31 ans. « Mais je n’en veux pas aux politiques, qui nous ont bien aidés à l’époque ! », relativise Arthur.

    Aujourd’hui, à plus petite échelle, le « Tonton » continue de créer des événements et de transmettre son message de paix au sein de l’espace musical culturel et d’insertion de Troyes, avec l’éducateur Brahim Abouloukoul. « Les jeunes, on les aimait, ils nous aimaient, on aimait ce qu’on faisait et eux aussi ! C’est resté et ça restera toujours, même si je ne suis plus là ici-bas, car je continuerai toujours mon boulot depuis le soleil », philosophe-t-il.

    Durant ces trente dernières années, par son action comme celle d’autres la culture hip-hop a tellement gagné en popularité que l’un de ses styles de danse les plus reconnaissables, le breaking, est devenu une discipline olympique. Alors, avant de transmettre le flambeau, c’est la flamme olympique qu’Arthur Badié s’apprête à porter avec fierté, en capitaine du relais de la fédération française de danse, à 19h02 précises, ce samedi 13 juillet 2024, place de l’hôtel de ville de Troyes, avec 23 danseurs. « Ça m’a fait chaud au cœur d’être choisi. Car ceux qui me l’ont proposé étaient reconnaissants. » Une belle manière de boucler la boucle. « La flamme, c’est l’idéal de paix, le vivre ensemble, l’amitié… C’est vraiment un symbole. »