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Gérald Darmanin interdit la manifestation contre l’A69, les Soulèvements de la Terre assurent qu’elle «aura bien lieu»

Le ministre de l’Intérieur a annoncé ce mardi 4 juin avoir demandé l’interdiction de la manifestation prévue par Les Soulèvements de la Terre contre le chantier de l’A69 entre Toulouse et Castres. Les organisateurs, eux, appellent à «se rassembler massivement».
publié le 4 juin 2024 à 16h02
(mis à jour le 5 juin 2024 à 21h27)

Pas question de risquer des dérapages un week-end d’élections. Le ministre de l’Intérieur a annoncé ce mardi 4 juin avoir demandé au préfet du Tarn d’interdire la manifestation prévue du 7 au 9 juin contre le chantier ultra-controversé de l’A69, ce projet d’autoroute entre Toulouse et Castres taxé «d’écocidaire» par ses détracteurs. L’arrêté préfectoral de huit pages paru ce mercredi à la suite de l’annonce justifie l’interdiction par «le soutien d’associations et de groupements connus pour leurs modes d’action violents» au rassemblement prévu contre la future autoroute Castres-Toulouse. Au total, 17 communes situées sur le tracé de l’A69 sont concernés par l’interdit.

Le préfet Michel Vilbois évoque en particulier «le groupement Les Soulèvements de la Terre (qui) se caractérise par la promotion, au sein de la mouvance écologiste, d’un nouveau type d’actions collectives violentes, inspirées directement de celles de l’ultragauche impliquant le recours à la violence à l’encontre des forces de l’ordre». Ce collectif procède également, selon le préfet, à «la légitimation de la pratique des actes de dégradations, de sabotages ou d’intrusions à travers le concept de désarmement qui vise en réalité à détruire les biens concernés». Le préfet rappelle aussi que, depuis septembre 2022, la mobilisation contre l’A69 «donne lieu à des troubles à l’ordre public répétés et de gravité croissante» et que le rassemblement prévu ce week-end est «organisé à proximité de lieux sensibles (...) et que leur dégradation pourrait retarder et entraver le déroulement du chantier».

Compte tenu des «dates d’arrivée probable sur les lieux» des manifestants, l’interdiction de rassemblement «doit prendre effet dès le 5 juin 2024 à 20 heures» sur les 17 communes du tracé de l’autoroute, dont Castres et Puylaurens, qui abrite la base de vie des équipes d’Atosca, concessionnaire de l’A69 et opérateur du chantier, et une des deux «centrales d’enrobé bitumineux à chaud» qui vont s’installer provisoirement pour produire les 500 000 tonnes du revêtement de l’autoroute. Rappelant que les équipes d’Atosca faisaient face à des difficultés «totalement inadmissibles» depuis plusieurs mois, son directeur général, Martial Gerlinger, a expliqué mercredi lors d’un point presse que ce week-end allait «être encore plus particulier». «On va encore renforcer les moyens de sécurisation d’une part de nos agents (...), mais aussi de nos véhicules et de nos sites», a-t-il précisé.

De son côté Gérald Darmanin estime que la mobilisation s’annonce «extrêmement violente» avec «600 black blocs […] qui veulent en découdre avec les forces de l’ordre, s’en prendre aux biens, attaquer des personnes». Douze unités de forces mobiles, soit près de 800 effectifs, appuyées par des effectifs locaux seront mobilisées, a ajouté le ministre lors des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale. «Des contrôles de zone ont commencé à avoir lieu et depuis (lundi) des couteaux, des marteaux, des haches sont saisis dans les véhicules», a-t-il précisé.

Interdiction «anti-démocratique» et «irresponsable»

Le ministre de l’Intérieur «ment», ont vivement réagi les organisateurs, dont font partie les collectifs Extinction Rebellion Toulouse, les Soulèvements de la terre, La Voie Est Libre et la ZadA69, affirmant que ces armes relèvent de «matériel de bricolage et de loisirs saisies dans des voitures de personnes arrêtées au hasard», un mécanisme «fatigué pour mettre en scène un récit anxiogène et justifier la répression».

«Par une telle interdiction, le gouvernement porte une atteinte absolument inacceptable à un mouvement de contestation massif et populaire», estiment les collectifs qui appellent à «se rassembler massivement». Ils soutiennent également que Gérald Darmanin «montre une nouvelle fois à quel point il est prêt à aggraver le ravage écologique pour assurer les profits de quelques lobbies privés». Cette interdiction, vue comme «anti-démocratique» et «irresponsable», risque d’engendrer «une situation chaotique», selon les mots des organisateurs, qui avaient précédemment souhaité un évènement «festif», «grand public» et «familial», entre rassemblement à vélo, tables rondes et concerts.

Dernière manifestation en date à Toulouse, un cortège avait réuni fin avril entre 1 550 personnes, selon la préfecture et 5 000 manifestants, selon les organisateurs. Le préfet du Tarn a récemment fait part de la volonté sans faille de l’Etat de faire aboutir ce chantier. «L’Etat est encore plus déterminé qu’eux [les opposants au chantier, ndlr], faites-moi confiance», a-t-il insisté, soulignant avoir, jusqu’à présent, «toujours eu les moyens pour faire face» aux protestations. De fait, onze militants ont été placés en garde à vue fin mai, pour «complicité de dégradation de biens» et «violence sur gendarmes» lors d’une manifestation contre l’installation des centrales à bitume, prévues à quelques centaines de mètres de plusieurs écoles primaires et destinées à alimenter le chantier de l’A69. Ils ont finalement été relâchés sans être poursuivis.

De quoi faire gronder les opposants, mobilisés contre ce ruban de goudron de 53 km qui réduirait d’une vingtaine de minutes le trajet Castres-Toulouse pour 17 euros, en détruisant des parcelles agricoles et des zones naturelles. En mai, deux nouveaux engins utilisés sur le chantier ont été incendiés sur la commune d’Appelle (Tarn), portant à dix le nombre d’engins brûlés depuis le lancement des travaux, a affirmé Atosca, future société concessionnaire.

1 500 scientifiques contre l’A69

Pour les porteurs du projet, le laboratoire Pierre Fabre, qui a participé au financement du projet et l’Etat, l’A69 doit désenclaver le sud du Tarn «aujourd’hui synonyme de ruralité», selon le député du département Jean Terlier. Le but de cette autoroute serait donc de «promouvoir l’emploi local» en gagnant du temps de trajet et de «renforcer la sécurité des automobilistes».

Des arguments balayés par 1 500 scientifiques, dont plusieurs auteurs du Giec comme Christophe Cassou et Valérie Masson-Delmotte, dans une lettre ouverte envoyée à Emmanuel Macron en octobre 2023. Dans ce texte, ils affirment que l’autoroute A69 est l’un de ces projets auxquels «il faut renoncer», tant il est à contresens de l’urgence climatique et des engagements pris par la France en matière de réduction de ses gaz à effets de serre.

Le rapporteur spécial des Nations unies sur la protection des défenseurs de l’environnement, Michel Forst, lui, s’est inquiété du sort des activistes mobilisés contre l’A69. Alors que les forces de l’ordre ont violemment réprimé les opposants à plusieurs reprises, Michel Forst a explicitement demandé au gouvernement de mener une enquête et d’établir des sanctions «pour les actes de privation de sommeil, de combustion de matériaux, d’allumage de feux et de déversement de produits a priori inflammables par les forces de l’ordre, qui ont pu mettre en danger la vie» de ces militants.

Mise à jour : à 21h30 avec l’arrêté préfectoral.

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