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Interview

Omniprésence du sucre dans l’alimentation : «Ces produits ne doivent pas faire partie du quotidien»

Alimentationdossier
La chercheuse en épidémiologie nutritionnelle Mathilde Touvier alerte sur les effets sanitaires du sucre, alors que les industriels rusent pour en incorporer dans la majorité des produits transformés.
publié le 20 mars 2024 à 13h14

Saccharose, sirop de glucose, fructose, édulcorants… Le sucre se cache encore dans la grande majorité de nos aliments, y compris salés, selon une nouvelle étude de l’Agence nationale de sécurité sanitaire et alimentaire nationale (Anses) publiée mardi 19 mars. Mathilde Touvier, chercheuse en épidémiologie nutritionnelle à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), rappelle la différence entre les types de sucre et leurs effets délétères sur la santé.

L’utilisation du sucre reste massive dans les produits transformés. Pourquoi ?

Le sucre est évidemment agréable au goût. C’est un aliment qui arrange bien les industriels pour vendre leurs produits. Sauf que les gens commencent à repérer le «sucre», ou «saccharose» dans la liste des ingrédients et savent qu’il faut le limiter. Alors les industriels rusent en apportant ce goût sucré par d’autres produits, comme du sirop, du jus ou de la purée de fruits, qui ont une image de naturalité et de bénéfice santé. Et mine de rien, l’aliment en question reste très sucré. Ces alternatives ne sont donc pas une solution.

On connaît les impacts du sucre sur la santé, mais tous les sucres se valent-ils ?

Ce qui est absolument prouvé, c’est que l’excès de sucre, notamment de boissons sucrées, augmente le risque d’obésité et de caries. Mais il y a aussi un risque de développer d’autres maladies, des troubles cardiovasculaires, une hypertension et un diabète de type 2. On se pose également des questions sur l’augmentation des risques de cancers et sur l’addiction. Ce sujet reste sujet à controverse, d’un point de vue scientifique. Certains disent que oui, le sucre est addictif, au même titre que l’alcool ou la drogue. D’autres spécialistes estiment que, non, cela n’est pas prouvé au sens clinique.

Autre chose que l’on ne sait pas encore avec certitude : est-ce que les différents types de sucre ont des impacts distincts sur la santé ? Il y a des études qui le suggèrent. Par exemple, on a vu des liens entre le sucre ajouté – le saccharose – et le risque de cancer. Alors qu’on n’en a pas trouvé avec le sucre des fruits ou celui des produits laitiers. Mais cela reste à étudier. Pour ce qui est des édulcorants, qui sont perçus comme une alternative séduisante puisqu’on a le goût sucré sans les calories, ils ont un lien avec une augmentation des risques de cancer, de maladies cardiovasculaires et de diabète. Le Centre international de recherche contre le cancer a d’ailleurs déclaré l’aspartame comme cancérogène possible en 2023.

Quelles sont les recommandations et les dépasse-t-on ?

En France, l’Anses conseille de ne pas dépasser 100 grammes de sucre par jour, tous sucres confondus. D’après l’Organisation mondiale de la santé, il ne faut pas que plus de 5 % de notre énergie quotidienne soit apportée par les «sucres libres», c’est-à-dire tout ce qui est sucre ajouté dans les produits transformés, les sucres des jus de fruits, des boissons, mais aussi le miel, les confitures et tous les sucres liquides. Il y a 20 à 30 % des adultes qui dépassent ces 100 grammes par jour. Et il y en a 28 % qui prennent plus d’une boisson sucrée par jour. Si on prend une pomme, une banane, 50 grammes de céréales pour un petit-déjeuner classique et que l’on rajoute une boisson sucrée dans la journée, on est déjà aux 100 grammes.

Comment échapper au sucre, omniprésent ?

Dès le plus jeune âge, on prend l’habitude de consommer des produits sucrés et cela perdure à l’âge adulte. Il faut vraiment faire comprendre aux parents la nécessité de manger moins sucré. L’idée n’est pas de ne jamais consommer ces produits, mais ils ne doivent pas faire partie du quotidien. C’est une histoire d’habitude, de quantité et de fréquence.

Ce qui est particulièrement délétère, c’est le sucre liquide dans les sodas, les jus de fruit… Ces boissons ne doivent pas remplacer l’eau sur la table. Les céréales du petit-déjeuner sont également très sucrées. Il suffit de les remplacer par du pain complet, même avec un petit peu de confiture, ça sera toujours beaucoup moins sucré et beaucoup plus rassasiant. Cuisiner maison permet de limiter le sucre, car on contrôle ce qu’on met. On peut aussi regarder le nutri-score, dont l’un des paramètres majeurs est quand même le sucre. Il y a eu des modifications récentes de l’algorithme et les produits sucrés sont encore mieux pénalisés.

Peut-on légiférer sur la teneur en sucre des produits ?

Il existe une taxe depuis 2012, indexée sur le taux de sucre. Plus un produit en contient, plus il est taxé. C’est très bien, car cela permet de faire changer l’offre pour que la consommation diminue. Dans certains pays, la mesure est aussi en cours d’évaluations sur les boissons. Par exemple au Mexique, la taxe a vraiment permis de réduire la consommation de soda tout en réinjectant les bénéfices dans des actions de santé publique, comme l’installation de fontaines à eau dans les écoles. En France, il y a aussi une initiative cogérée entre le ministère de l’Agriculture, l’Anses et les filières agroalimentaires qui vise à ce qu’il n’y ait pas de concurrence déloyale entre les industriels qui jouent le jeu de diminuer les taux de sucre et ceux qui ne le font pas, en instaurant des taux maximaux harmonisés. Malheureusement, ça n’avance pas du tout car il y a un fort lobby industriel. Ils savent que, si on diminue le sucre du coca, par exemple, ce sera moins bon, moins vendeur.

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