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Casse-tête

Forêts : quels arbres planter pour qu’ils résistent au climat d’aujourd’hui mais aussi à celui de 2100 ?

La biodiversitédossier
Selon une étude parue dans la revue «Nature», seules quelques essences pourront survivre aux conditions climatiques actuelles, encore marquées par le froid et le gel, et à celles de demain, dominées par la chaleur et la sécheresse.
par Eléonore Disdero
publié le 15 mai 2024 à 5h51

Les arbres plantés aujourd’hui survivront-ils au changement climatique ? Le réchauffement mondial des températures est d’une rapidité telle que toutes les essences ne peuvent pas suivre la cadence, note une étude parue lundi 29 avril dans la revue Nature Ecology and Evolution. «Nous avons voulu vérifier quelles espèces peuvent survivre sur un site donné tout au long de leur vie et du siècle, et pas seulement en 2100», résume à Libération Johannes Wessely, un modélisateur de l’université de Vienne, spécialisé dans la distribution future des espèces et l’un des auteurs de l’étude. Car les nouvelles pousses doivent résister au froid et au gel de ces prochaines années, mais aussi à la chaleur et aux sécheresses systématiques des décennies à venir. Résultat, «seules quelques espèces sont suffisamment flexibles», pointe l’analyse.

Alors que les forêts européennes sont déjà gravement affectées par le changement climatique – des milliers d’hectares d’arbres sont morts ces dernières années à cause de la sécheresse et des scolytes, ces insectes ravageurs qui profitent des températures élevées pour proliférer, se nicher sous l’écorce et creuser des galeries dans le bois – le réservoir des espèces viables pourrait être plus restreint que prévu. Les chercheurs ont examiné les 69 essences les plus courantes parmi la centaine que compte l’Europe et ont calculé leur capacité de résistance jusqu’en 2100, selon des scénarios de réchauffement modéré, intermédiaire et sévère. Ainsi, en moyenne, seules neuf espèces par kilomètre carré seront adaptées aux conditions climatiques futures en Europe, comme le chêne pédonculé au Royaume-Uni, estime cette étude. Un «déclin énorme», qui pourrait mettre le reboisement en danger, alerte Johannes Wessely.

Migration des espèces vers le Nord

Xavier Morin, chercheur au CNRS en écologie forestière au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive de Montpellier et spécialiste des interactions climat et forêt, tempère ces résultats. «Cette étude suppose une réponse fixe des arbres, qui ne prend pas en compte la variabilité au sein des espèces ni les capacités d’évolution, explique le spécialiste. Il faut plutôt utiliser des projections prenant en compte les mécanismes biologiques des arbres et leurs interactions. Et ces résultats sont en moyenne moins alarmistes.» En Europe et notamment en France, la répartition des espèces va avoir tendance à se déplacer vers le nord, «ça c’est sûr», assure-t-il, mais on ne peut pas utiliser ce type de méthode pour quantifier le nombre exact d’essences qui vont migrer et celles qui vont résister.

Selon l’expert, ce genre d’étude peut servir à justifier «l’ultra-interventionnisme» de l’homme sur la forêt. Il précise : «Quand on se dit que toutes les essences actuelles – ou presque – sont condamnées, cela peut pousser à faire des coupes rases et à planter de nouvelles espèces, parfois exotiques. Ce qui serait un remède pire que le mal.» De fait, ces plantations pourraient apporter de nouveaux pathogènes, stockeraient moins de carbone en début de vie, et la survie même de ces arbres méditerranéens ou subtropicaux pourrait être menacée par les épisodes de gel…

Pour Xavier Morin, il faut, quand cela est possible, privilégier les arbres existants, même dépérissants, car ils donnent des nutriments aux jeunes pousses. Il est aussi essentiel de favoriser le mélange d’essences, de sélectionner les arbres génétiquement plus résistants et, dans certains cas, de diminuer la densité des plantations pour que chaque arbre ait plus d’eau. Johannes Wessely lui-même reconnaît qu’il est «très difficile de décider quel arbre peut survivre sur un site donné», l’avenir climatique étant très incertain. «Nous avons besoin de beaucoup plus d’études aussi détaillées que possible», remarque-t-il. Néanmoins, une telle étude a le mérite d’alerter sur les impacts phénoménaux du changement climatique sur les forêts, concède Xavier Morin.

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