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Interview

Une joggeuse attaquée par des loups au zoo de Thoiry : «Il y a plus de comportements agressifs chez les loups en captivité»

La biodiversitédossier
Après les morsures infligées par trois loups à une femme dans un parc animalier des Yvelines, Jean-Marc Landry, biologiste et éthologue spécialiste de cet animal, émet des hypothèses sur les raisons d’une telle attaque.
par Eléonore Disdero
publié le 24 juin 2024 à 19h05

C’est une attaque qui soulève de nombreuses interrogations. Une femme de 37 ans, qui faisait son jogging au sein du parc zoologique de Thoiry (Yvelines), a été grièvement blessée après avoir été mordue par trois loups, au cou, au mollet et au dos, dimanche 23 juin. Le pronostic vital de la victime, d’abord transportée en urgence absolue à l’hôpital, n’est plus engagé.

Les circonstances de l’attaque restent floues : les panneaux qui interdisent l’accès à la zone du zoo où se trouvent les loups étaient-ils assez visibles ? La joggeuse les a-t-elle délibérément franchis ? «Je ne suis pas en mesure de dire si c’est elle qui s’est trompée ou si le balisage n’était pas bien fait», explique pour l’heure la procureure de la République de Versailles, Maryvonne Caillibotte. L’enquête devra le déterminer. Des questions se posent aussi sur les agissements des loups. Jean-Marc Landry, biologiste et éthologue spécialiste du loup, explique à Libération que les animaux en captivité n’ont pas du tout le même comportement que ceux en liberté et ces loups ont pu se sentir menacés par cette présence étrangère.

Peut-on savoir pourquoi les loups ont attaqué ?

La première chose à prendre en compte, c’est que les loups en captivité n’ont plus les mêmes comportements qu’en liberté, notamment face à l’humain. Comme ils voient les soigneurs et du public de manière quotidienne, ils peuvent s’y habituer et ne plus en avoir peur, alors qu’en liberté, ils fuient l’humain. Les interactions sont donc totalement différentes.

Dans cette affaire, il y a plusieurs hypothèses. D’abord, il faudrait savoir s’il y a de la reproduction dans cette meute. Si tel est le cas, la joggeuse pourrait être passée à proximité de louveteaux. Les loups pourraient avoir réagi pour éloigner cette menace. Une autre hypothèse est plus probable : un mouvement rapide comme la course à pied peut déclencher, chez les canidés, comme les chiens et les loups, un comportement de poursuite, très connu et documenté chez les chiens de conduite de troupeaux, qui, par exemple, poursuivent des vélos.

Une troisième hypothèse : les loups sont habitués aux soigneurs qui adoptent les comportements adéquats. Face à cette femme, ils ont peut-être senti une menace. De plus, la cohésion sociale des loups peut être très forte dans les parcs animaliers et ils ont pu percevoir cette intruse comme une espèce étrangère à éloigner de leur «territoire». Si c’était un chien ou un autre loup qui avait pénétré sur cette zone, on peut imaginer qu’il se serait passé la même chose.

Pouvez-vous expliquer à quoi tient ce réflexe de poursuite ?

Chez certains canidés, le mouvement brusque ou rapide d’un animal ou d’un être humain peut déclencher un comportement hérité génétiquement de poursuite, qu’on appelle un «patron-moteur». Ce n’est pas intentionnel, mais plutôt un réflexe qui peut mener à une succession de comportements (d’autres patrons-moteur) qui peut aller jusqu’à la morsure de préhension (de maintien) ou de mise à mort. On peut observer le même phénomène avec les chiens, bien que leurs morsures soient moins fortes.

Cela relève-t-il de la prédation ?

Dans cette situation, je ne pense pas que les loups voulaient «prédater» la joggeuse, mais plutôt que sa course a déclenché un comportement de poursuite et que dans l’excitation réciproque, avec l’effet de meute, un ou plusieurs loups ont mordu. Dans ce parc, les loups viennent d’Amérique du Nord, ils sont imposants et sont capables de tuer des bisons et des élans. La morsure au cou aurait pu être extrêmement violente au point de tuer cette dame, mais ça n’a pas été le cas. C’est cela qui m’interpelle et qui me fait penser qu’il n’y avait pas une volonté de mise à mort.

Vous nous dîtes aussi que la captivité change le comportement des loups…

Oui, absolument. N’importe quelle espèce animale en captivité, dans n’importe quel parc animalier, n’a pas le même comportement qu’un congénère sauvage. On remarque plus de comportements agressifs chez les loups en captivité car il y a plus de stress dans un espace clos. Au contraire, on observe plus de comportements amicaux chez les loups sauvages.

Les randonneurs sont-ils à risque face à des loups sauvages ?

Les loups en liberté n’attaquent pratiquement jamais l’Homme. Ils ont plutôt tendance à le fuir : en vingt ans, il n’y a eu que douze attaques en Europe occidentale, dont deux mortelles. Et ces animaux sont plutôt nocturnes. Si jamais vous croisez un loup, il faut toujours lui faire face, car il vous verra comme un danger et n’attaquera pas. Et si vous visitez un parc animalier, il faut bien sûr respecter les règles liées à la présence de ces grands carnivores.

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