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Les barrissements des éléphants pourraient être comparables à des prénoms, selon une nouvelle étude

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Et si les pachydermes pouvaient s’adresser nommément les uns aux autres ? C’est l’hypothèse enthousiasmante et étayée que proposent des chercheurs américains dans une publication ce lundi 10 juin dans la revue «Nature ecology & evolution».
par Olivier Monod
publié le 10 juin 2024 à 17h07

Plus les connaissances s’affinent sur le monde qui nous entoure, et moins Homo sapiens semble exceptionnel. L’étude parue dans Nature ecology & evolution ce lundi 10 juin et signée par les biologistes de l’Université de Colorado, aux Etats-Unis, amène des arguments forts pour envisager que les éléphants, au moins ceux d’Afrique, aient une sorte de nom. Disons plutôt une variation dans le barrissement à laquelle ils répondent de manière préférentielle.

L’usage d’un prénom pour identifier un individu fait partie de cet ensemble de caractéristiques parfois décrites comme étant le propre de l’humanité. «Alors que les dauphins et les perroquets s’adressent à leurs congénères en imitant les cris du destinataire, les noms humains n’imitent pas les sons généralement émis par la personne nommée», notent d’ailleurs les auteurs en introduction de leur article.

Les chercheurs Michael Pardo, George Wittemyer et leur équipe, se sont intéressés aux enregistrements de 469 barrissements émis par une mère éléphant d’Afrique ou sa descendance, dans des contextes d’appel, de salutations ou de soins. En premier lieu, ils ont voulu voir si un modèle informatique basé sur l’IA pouvait correctement prédire à qui s’adressait le barrissement. S’ils font parfois penser à des bruits de trompettes, ces cris sont en fait une phrase complexe, qui comprend «simultanément de multiples messages, y compris, mais sans s’y limiter, l’identité de l’appelant, son âge, son sexe, son état émotionnel et son contexte comportemental», décrivent les auteurs.

Dès lors, et à l’inverse des dauphines ou des perroquets, l’analyse ne peut pas se limiter à la simple étude de la fréquence sur un spectrogramme. L’information contenue dans le barrissement est probablement encodée par des «interactions subtiles et complexes entre différents paramètres acoustiques», écrivent les biologistes. Les sons émis par les pachydermes comprennent des infrasons inaudibles pour le tympan humain. Cette richesse n’est pas le fruit du hasard, elle est porteuse de sens. Un individu peut donner des informations sur lui-même, son âge, son sexe, et son état émotionnel, bref, ce sont de vraies phrases.

Les individus «s’approchent plus rapidement du locuteur»

D’où l’utilisation de l’apprentissage machine – la technologie à la base des intelligences artificielles modernes – capable de comprendre des schémas et des interactions qu’on ne lui a pas appris. Bingo, la machine identifie correctement l’individu à qui s’adresse le barrissement dans 27 % des cas. Un score supérieur à celui obtenu par le fruit du hasard. Ce qui laisse penser que certains sons pourraient bien être adressés à un individu particulier.

Leur démonstration ne se limite pas à une étude informatisée et à des corrections statistiques. Les chercheurs ont voulu confirmer sur le terrain leur hypothèse. Un éléphant réagit-il différemment entre un enregistrement de barrissement qui lui était adressé et un autre dont il n’était pas le destinataire ? Les chercheurs ont donc passé des enregistrements à 17 éléphants dans leur environnement naturel. Les individus «s’approchent plus rapidement du locuteur, vocalisent plus rapidement et produisent plus de vocalisations» en réponse aux enregistrements de barrissement qui leur étaient adressés qu’en réponse aux sons contrôles, soulignent les auteurs.

Alors qu’une récente observation avait déjà démontré leur capacité à enterrer et pleurer leurs morts, cette étude laisse donc penser qu’un cri d’éléphant en apparence simple peut véhiculer beaucoup plus d’informations qu’on ne le supposait. «Alors que le langage humain transmet des messages complexes par l’encodage séquentiel d’informations, les éléphants peuvent s’appuyer davantage sur l’encodage simultané, en rassemblant plus d’informations dans une seule vocalisation que ne le font généralement les humains», écrivent les chercheurs de l’Université de Colorado.

Ils concluent en appelant à plus de recherches sur le sujet, les éléphants étant assez éloignés en termes évolutifs des autres espèces ayant développé un langage complexe : les cétacés et les primates. Reste que ces scientifiques américaines estiment qu’il s’agit d’un bon cas d’étude pour comprendre comment émerge un langage complexe de manière indépendante chez différentes espèces.

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