Elle trotte dans les couloirs de l’Ehpad, alerte et solide. Odette Pichard, 99 ans, envoie du rêve – la recette tiendrait à ses années de natation et de vélo sur les routes de Savoie, «sans grande circulation à l’époque, on croisait juste des Allemands». Jusqu’à l’été dernier, elle vivait autonome dans le même appartement depuis 1943, à Issy-les-Moulineaux, dans les Hauts-de-Seine. «Nous étions en zone rouge, près des usines Renault.» De temps en temps, elle revient papoter avec le concierge. Odette Pichard sait où elle en est. Incollable sur les dates, les noms de rue qui ont jalonné sa vie.
Le 12 mai 1949, elle met au monde son premier enfant rue Barbette dans le Marais, dans une clinique qui n’existe plus. Pierre-Alain est un beau bébé de 3,100 kilos. Il crie à la naissance. Le docteur Desouby teste sous ses yeux la marche réflexe. Impeccable. Odette Pichard retourne en chambre pendant que son petit «tout blond» reçoit les premiers soins. «Les infirmières s’occupaient du bébé pour que la mère récupère, cela se faisait comme ça. Je n’étais pas inquiète.» En ce temps-là, les pères n’étaient pas présents dans la salle d’accouchement, et les droits de visite étriqués, de 14 à 16 heures. Quand Roger Pichard arrive, il est déjà trop tard. Il ne verra jamais son fils, ni le docteur à l’annonce de la mauvaise nouvelle. L’enfant est mort quatre heures après sa naissance. «Je n’ai jamais su ce qui était arrivé.» Tout juste Odette apprend-elle que s