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Décryptage

Que sait-on sur le projet de la start-up japonaise qui veut faire repousser les dents des adultes ?

Des chercheurs nippons ont annoncé tester un traitement qui permettrait de faire pousser les dents chez des personnes à qui il en manque depuis la naissance. Mais il n’est pas sûr qu’il ne puisse être utilisé pour les molaires perdues, ou du moins pas avant longtemps, expliquent les experts.
par Olivier Monod
publié le 27 mai 2024 à 17h45

Une solution miracle pour faire repousser des dents ? Une start-up japonaise, Toregem Bio Pharma, a récemment annoncé avoir fait un pas de plus vers cette annonce qui réjouirait les anxieux de la fraise du dentiste. Si l’entreprise espère mettre sur le marché son procédé thérapeutique en 2030, on est encore loin d’un traitement grand public.

De fait, le projet de Toregem Bio Pharma vise, dans un premier temps, les personnes à qui il manque des dents de naissance, une condition appelée hypodontie. Il reste beaucoup d’obstacles à franchir à la société nippone, qui n’a mené à ce stade que des tests sur des rongeurs, avec de premiers résultats probants.

Comment a commencé le projet ?

En 2007, des chercheurs de Kyoto ont découvert que chez des souris dont la bouche contenait trop de dents par rapport à la norme, un gène appelé USAG-1 ne s’exprimait pas. En étudiant les animaux, les chercheurs, dont Katsu Takahashi, fondateur de Toregem Bio Pharma, ont remarqué que des germes de dents, qui dégénèrent et disparaissent en temps normal, se développent en dent chez ces souris.

Les chercheurs ont alors mis au point un produit injectable dans le sang contenant des anticorps, dont le rôle est d’inhiber la protéine codée par le gène USAG-1 chez un individu sain. En l’injectant à des animaux nés avec une hypodontie, ils ont réussi à faire pousser leurs dents. L’absence d’USAG-1 permettant aux germes de dents de se développer. L’idée est donc de faire pareil chez l’être humain atteint d’hypodontie.

Quel est l’état d’avancement du traitement ?

Pour l’instant, la start-up dit avoir uniquement réalisé les expérimentations sur des souris. Le premier essai clinique chez l’humain doit commencer en septembre, en lien avec l’hôpital Kitano à Osaka, a annoncé Toregem Bio Pharma le 3 mai. Trente hommes de 30 à 64 ans seront concernés dans un premier temps. «Cette recherche est une étude de médicaments thérapeutiques destinés aux personnes à qui il manque des dents en raison de maladies congénitales», écrit l’hôpital nippon. L’objectif est avant tout de vérifier l’absence de toxicité du traitement. Deux groupes de volontaires seront formés, l’un se verra administrer le médicament, l’autre un placebo. Ni les cobayes ni les médecins ne sauront qui est dans quel groupe.

L’hôpital précise avoir été submergé de demandes en raison d’erreurs dans des articles de presse et sur les réseaux sociaux. «Cette recherche ne vise pas à restaurer les dents des personnes qui ont perdu leurs dents» par accident ou maladie, précise l’institution. Pour le moment il s’agit donc bien de faire pousser des dents chez des patients ayant reçu «un diagnostic d’édentement congénital». Un mal, appelé «agénésie dentaire», qui concernerait 1 % à 9 % de la population dans l’Hexagone, selon la Haute Autorité de santé. Dans la plupart des cas, il manque une ou deux molaires ou prémolaire, on parle alors d’hypodontie. S’il manque plus de six dents, on parle d’oligodontie, et cela concerne 0,14 % de la population. L’absence complète de dents, anodontie, est encore plus rare et souvent accompagnée d’autres affections génétiques.

Si ce premier essai est concluant, l’équipe testera l’efficacité du traitement sur des enfants de 2 à 7 ans, souffrant eux aussi d’agénésie dentaire. L’entreprise n’a encore évoqué aucun tarif pour ce soin.

Pourra-t-on refaire pousser les dents de tous à l’avenir ?

A terme, l’objectif de Toregem Bio Pharma est de développer une nouvelle thérapie accessible à tous les patients. «Nous espérons qu’un jour, la médecine de la repousse des dents sera un troisième choix à côté des prothèses et des implants», disait Katsu Takahashi au journal nippon Mainichi en 2023. Après tout, certains animaux, comme les requins ou les crocodiles, ont des dents qui repoussent toute leur vie. Les êtres humains, eux, connaissent deux générations de dents : les dents de lait et les dents définitives. Or si l’hypodontie existe chez les humains, son opposé, l’hyperdontie, existe aussi. Elle toucherait 0,15 à 3,9 % de la population. Katsu Takahashi s’est aussi intéressé à ces cas et estime qu’un tiers d’entre eux serait dû au développement d’une troisième génération de dents. Pour lui, la gencive humaine porte en elle les germes pour faire croître de nouvelles dents. Mais cette troisième génération ne serait activée que dans des rares cas. Il espère donc, à terme, réussir à activer ces bourgeons de dents supplémentaires. Son équipe a déjà connu des résultats chez les furets.

Ce n’est pas la seule stratégie possible pour faire repousser des dents. Une autre équipe de chercheurs, également japonaise, dirigée par Takashi Tsuji, propose une autre approche. Ils font pousser des dents en laboratoire avant de les implanter. Eux aussi ont eu des résultats probants chez l’animal.

En France aussi, des projets existent. La professeur en odontologie à l’Université Paris Cité, Anne Poliard, travaille à partir de cellules souches pour faire pousser des dents en laboratoire. Sa collègue, Marjolaine Gosset, professeure des universités en parodontologie, suit l’avancée de tous ces travaux en tant que présidente scientifique de l’Institut français pour la recherche odontologique. «On a la preuve que cela fonctionne chez l’animal mais pas d’éléments pour dire que ça pourrait marcher chez l’humain. Le pas restant à franchir est immense», souligne-t-elle. Car ce n’est pas tout de savoir faire repousser une dent, encore faut-il «s’assurer d’avoir une dent de bonne taille, robuste, insérée au bon endroit dans la mâchoire», avertit-elle. Alors avant de miser sur ce traitement miracle qui «n’est pas encore pour demain», selon l’experte, le mieux reste encore «de bien se brosser les dents tous les jours».

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