Alain Delon, portrait sonore

Alain Delon aurait-il marqué à ce point son époque sans les compositeurs qu'il a inspirés ?
Alain Delon dans Le samouraï de JeanPierre Melville en 1967.
Alain Delon dans Le samouraï, de Jean-Pierre Melville, en 1967.ullstein bild/Getty Images

Qu'entendre quand Alain Delon se tait ? La poignée de réalisateurs qui ont su diriger l'acteur s'étaient rendu compte d'une chose : il est meilleur quand il ne parle pas. Sa silhouette, glaciale aux yeux déchirants de beauté, se passe de répliques. Son personnage a été taillé et remodelé par d'autres voix que la sienne et surtout par des musiques. Elles disent toutes quelque chose de singulier à propos de l'acteur et de ses personnages. Petit portrait sonore.

Alain Delon dans Plein Soleil
En 1960, Alain Delon hante Plein Soleil de son regard bleu perçant et de sa froideur menaçante. Ce thriller sublime révèle l'acteur sur la scène internationale.
La vision froide de François de Roubaix

Un personnage mutique, emmitouflé dans un imperméable gris, chapeau sur la tête. Poursuivi dans des allées de béton, à bord de Citroën ou d'immenses Cadillac, l'air toujours concentré et préoccupé. Jean-Pierre Melville a créé l'un des avatars d'Alain Delon. Dans Le Samouraï, l'acteur incarne une masculinité classe et inaccessible, jamais dans la séduction. François de Roubaix, le compositeur du thème principal de ce film, lui a créé une mélodie étrange, à l'orgue, où chaque silence rappelle que la mort rôde, tout près.

Les mots terribles d'Isabelle Aubret

Charles Aznavour a composé et écrit C'est ainsi que les choses arrivent. Chanson d'un Paris gris, interprétée par Isabelle Aubret, cet air mélancolique rappelle qu'il est impossible d'échapper à son destin et aux mécanismes de ce monde. Alain Delon a souvent incarné dans sa chair le thème classique du cinéma de Melville : un homme prisonnier de sa destinée macabre. « Chacun de nous est seul, sur l'autre rive », chante cette voix dans Un flic, le dernier film du réalisateur, disparu avant sa sortie en salle en 1972.

Les accords brûlants de Nino Rota

L'air de trompette inventé par Nino Rota pour Plein soleil, deux ans avant le thème composé pour James Bond, introduit un Delon tout à fait opposé à la vision qu'en avait Melville. Cette fois, il est un séducteur, manipulateur pervers qui a bien conscience d'être irrésistible. La chaleur dégagée par ces accords de guitare n'est pas agréable, elle est aride.

Les errements de Philippe Sarde

On ne sait pas trop où va ce thème musical de Philippe Sarde. Les émotions qu'il dégage sont hasardeuses, semblent se contredire et nous perdent. Voilà à peu près l'état dans lequel est Delon en 1979. Il n'est plus le jeune premier sublime, n'incarne pas non plus un vieux beau convaincant. Son personnage de flic a tellement défini la décennie qu'il ne peut plus le jouer à moins de le singer. Gabin est mort, la même année que Luchino Visconti, quatre ans après Jean-Pierre Melville. Il n'y a plus personne pour diriger l'acteur mythique. Et le voilà qui joue dans un nanar de premier ordre : toubib de la troisième guerre mondiale.