«The Fabelmans»: comment Steven Spielberg a pu enfin raconter sa propre enfance

Le réalisateur et son scénariste Tony Kushner reviennent sur les deux décennies de collaboration qui ont conduit Spielberg a réalisé son film le plus personnel à ce jour.
Michelle Williams a standin for Steven Spielbergs mother with the kids on a pivotal camping trip.
Michelle Williams dans The Fabelmans.Merie Weismiller Wallace/Universal Pictures

Et si la seule façon de connaître véritablement quelqu’un était de devenir un chapitre de l’histoire de sa vie ?

Pour Steven Spielberg et Tony Kushner, c’est à peu près ce qui s’est passé. Ensemble, le cinéaste et le dramaturge ont réimaginé West Side Story l’année dernière, se sont frottés à l’épopée historique de Lincoln en 2012 et à la tragédie des JO de 1972 dans Munich en 2005. Autant d’expériences intenses, éprouvantes sur le plan émotionnel, qui ont fini par forger entre eux un lien qui a mené Spielberg à sauter le pas en réalisant un film inspiré de sa jeunesse.

Dans The Fabelmans, le réalisateur revisite un passé extrêmement personnel, le genre de souvenirs intimes que l’on ne confie pas à n’importe qui, et encore moins au monde entier sur un écran géant. Spielberg et Kushner, lauréat du prix Pulitzer pour son livre Angels in America, ont appris à se connaître au milieu des années 2000, travaillant ensemble pour la première fois sur les réécritures du scénario de Munich avant devenir amis – le genre d’amitié nouvelle qui se fait rare à l’âge adulte, de celle que l’on imagine généralement réservée à l’enfance. Tony et Steven ont peu à peu tout su l'un de l'autre, comme des copains de collège qui grandissent ensemble. Plus Kushner en apprenait sur les jeunes années de Spielberg, plus il se surprenait à lui dire : « Il faut que tu fasses un film là-dessus un jour. »

Spielberg caressait l’idée de réaliser une chronique familiale semi-autobiographique depuis des décennies. Avant que Kushner ne l’encourage à aller au bout de celle-ci, il se contentait de glisser quelques notes intimes dans son cinéma, noyées sous le grand spectacle : ce père qui abandonne sa famille (pour embarquer dans un vaisseau spatial) dans Rencontres du troisième type ; ce garçonnet solitaire issu d’une famille monoparentale (qui se lie d’amitié avec un extraterrestre) dans E. T. ; ce père et ce fils qui se débattent avec leurs rancœurs d’adultes (tout en pourchassant un objet mythique) dans Indiana Jones et la dernière croisade.

« Je ne peux pas penser à un seul de mes films qui ne contienne au moins un élément personnel », confirme Spielberg au cours de notre échange à trois avec Kushner. « Je me cache en quelque sorte derrière le fouet et le chapeau, même si je sais que ce n’est qu’un vœu pieux. Mais cette fois-ci, la décision de faire le film était peut-être l’un des caps les plus effrayants que j’ai eu à franchir. Une fois que j’ai dépassé ça avec l’aide de Tony, l’expérience s’est avérée très intéressante. »

Le terme « intéressant » prend ici des airs d’euphémisme.

The Fabelmans fouille des plaies si intimes que chez les spectateur le malaise n’est jamais très loin

Dans The Fabelmans, Gabriel LaBelle joue le rôle d’un jeune homme anxieux et sensible qui, à la charnière des années 1950 et 1960, découvre sa raison d’être à travers l’objectif d’une caméra. Il va se faire des amis, des ennemis (les brutes antisémites de son lycée), et surtout, réaliser des films. Il va également connaître son premier amour au moment même où la relation de ses parents s’effondre.

Michelle Williams joue le rôle de sa mère, Mitzi, une libre penseuse, et Paul Dano celui de son père, ingénieur un peu coincé. La combinaison et les frictions de ces deux personnalités aux centres d’intérêt opposés vont constituer un terreau idéal pour nourrir l’imaginaire et la pratique du cinéaste en herbe, tout en menant tristement le couple à sa perte. Seth Rogen interprète quant à lui Bennie, le meilleur ami du père, inspiré d’une figure bienveillante et débonnaire très présente dans la famille de Spielberg, qui allait par la suite devenir le second mari de sa mère. Le réalisateur n’a jamais fait mystère du divorce de ses parents. Ni du déchirement ressenti lors de leur séparation et de son impact sur sa carrière de storyteller : beaucoup de ses films parlent de familles brisées qui se retrouvent. Mais The Fabelmans va plus loin en fouillant des plaies si intimes que chez les spectateur le malaise n’est jamais très loin.

Si le personnage central s’appelle Sammy, et non Steven, LaBelle ressemble à s’y méprendre au cinéaste jeune : l’histoire des Fabelman est bien celle de la famille Spielberg, à quelques légères touches fictionnelles près, essentiellement dans le réagencement dans le temps des événements, afin de ménager les effets dramatiques. « D’une manière générale, précise Spielberg, toutes les scènes du film ont existé à un moment de ma vie. Mais où et quand ça s’est passé, et la façon dont Tony et moi avons pu en tirer ce récit en quatre actes, je pense que c’était... »

« Trois actes », l’interrompt Kushner avec un sourire.

« Oui, pardon, trois actes, se reprend Spielberg. Trois actes et un épilogue. C’était les paramètres avec lesquels nous avons joué, c’est ce que nous aimons faire Tony et moi. »

Cette légère correction illustre bien le rôle de Kushner dans la présentation de l’histoire. Spielberg l’a vécue, il est encore habité de manière très vive par ces souvenirs, mais Kushner a agi en catalyseur pour permettre à d’autres de les ressentir aussi. Au cours de notre conversation, Kushner, bien que plus jeune d’une dizaine d’années (66 ans), apparaît parfois comme le grand frère plus calme qui guide Spielberg. Il a une vision précise des liens entre le passé et l’homme que son ami réalisateur est devenu, et peut à l’occasion les exprimer plus clairement que ce dernier. Pour faire un parallèle avec un classique du septième art, disons qu’ils pourraient être les personnages de La vie est belle de Capra : Kushner serait Clarence, l’ange gardien de George Bailey/Spielberg, qui va l’aider à faire un pas de côté pour comprendre avec plus d’acuité sa propre existence.

Lorsque le cinéaste, aujourd’hui âgé de 76 ans, déclare qu’il n’aurait jamais pu aborder l’histoire des Fabelman à 28 ans, Kushner intervient à nouveau : « Mais tu l’as déjà abordée. Je pense que tu l’as déjà utilisée. Il y a des choses dans Les Dents de la mer qui sont très reconnaissables... Je veux dire, c’est ta vie ! » Non pas le requin, implacable « machine à tuer », bien sûr, mais les scènes entre le chef Brody, sa femme et ses fils, sans parler du fait que Brody tente à toute force de les protéger, de devenir pour eux un rempart contre les dangers du monde.

« C’est juste rester à la surface des choses, dit Spielberg. Je ne cherchais pas consciemment à tendre un miroir à ma vie au beau milieu de l’océan Atlantique avec un requin qui me tourne autour ! »

« Je m’inscris en faux contre l’idée que tu restes “à la surface des choses”, lui rétorque Kushner. D’une certaine manière, tu aurais presque pu faire The Fabelmans en montant des scènes piochées dans tous tes autres films. »

Le duo a commencé à collaborer sur Munich en 2005. 

Universal/Everett Collection

Lincoln, en 2012.

20th Century Fox/Everett Collection

West Side Story, en 2021.

Niko Tavernise/20th Century Studios/Everett Collection

Spielberg est encore un peu réfractaire à ce type de rapprochements. Dee Wallace, la mère enjouée – mais au cœur brisé – de E.T., ne présente-elle pas une ressemblance frappante avec sa véritable mère, Leah, jusqu’à sa blondeur et sa coupe de cheveux ? Difficile de regarder Mitzi, le personnage de Michelle Williams dans The Fabelmans, sans penser à la maman d’Elliott. Spielberg s’est-il inspiré de sa mère pour créer ce personnage en 1982 ? « Absolument pas. Dans E.T. ? Non, je n’y ai pas du tout pensé, en fait. Elles ont des cheveux blonds et courts, mais ce n’était pas ce que j’avais en tête, et ce n’était pas intentionnel. Rien de freudien là-dedans ! »

« Je suis un freudien appliqué depuis longtemps, un vrai adepte », confesse Kushner plus tard, quand on lui demande si leurs séances d’écriture n’ont jamais tourné en thérapie. « J’ai des décennies de psychanalyse à mon actif et je crois beaucoup à la psychodynamique, aux relations d’objet psychanalytiques. Je crois à la thérapie par la parole, à l’interprétation des rêves et des souvenirs, etc. J’ai d’ailleurs toujours pensé que j’aurais probablement fait un thérapeute décent. »

« Tu l’as été pour moi, le coupe Spielberg. Et tu l’es toujours. »

« Le plus éprouvant pour mes nerfs a été de décider de le faire »

De fait, évoquer les souvenirs qui ont inspiré The Fabelmans lui est aujourd’hui plus aisé. Réaliser le film a presque fait office de thérapie d’exposition. Il s’est épanché sur ces moments auprès de Kushner, mais aussi avec les acteurs, les décorateurs et les costumiers. « On se dit souvent : “Oh, le passé me hante”, précise-t-il. Mais quand tu recrées le passé, avec des gens qui ressemblent à tes parents, à tes sœurs, qu’ils portent les mêmes vêtements, et que tu te balades dans une reconstitution parfaite de ta maison de Phoenix, en Arizona, où chaque pièce est exactement comme dans ton souvenir… ça devient parfois franchement kafkaïen de venir travailler le matin. Je me retrouvais chez moi, mais dans le passé, dans les années 1950, au début des années 1960. Quand je sortais de la voiture qui m’amenait sur le tournage tous les jours, j’avais l’impression de descendre de la DeLorean de Doc. »

Le plus difficile a été de déballer son histoire et celle de sa famille et d’immortaliser le tout à l’écran. Comparé à ça, en parler maintenant n’est qu’une formalité. « Le plus éprouvant pour mes nerfs a été de décider de le faire », dit-il.

Gabriel LeBelle interprète le jeune Sammy Fabelman.

Merie Weismiller Wallace/Universal Pictures and Amblin Entertainment

Comme le souligne Kushner, Spielberg est souvent en proie au doute. « On est assez familiers de ça, explique-t-il. Pour chacun des films sur lesquels on a travaillé ensemble – à l’exception peut-être de West Side Story, mais au moins sur Lincoln et Munich – il y a toujours eu ce moment où tu disais : “Je dois décider si je vais le faire ou pas.” Là c’est vraiment à la dernière minute, juste avant d’entrer en production, que tu as dit : “Allez, on le fait.” »

Auparavant, The Fabelmans s’apparentait surtout à une sorte de gymnastique intellectuelle : à quoi pourrait ressembler le film si Spielberg allait au bout ? « On a commencé à travailler un peu dessus pendant West Side Story, raconte Kushner, pour nous distraire et ne pas nous laisser envahir par la peur face à l’imminence du tournage. On a fait une longue réunion dans ton appartement, je me souviens. Mais quand tu m’as appelé pour me dire : “Et si on s’y remettait vraiment ?”, le tournage de West Side Story était fini depuis une bonne année. Je crois qu’on sera tous les deux d’accord pour dire que c’était aussi un prétexte pour se revoir, on se manquait. »

Nous étions alors au cœur de la pandémie. Comme le reste du monde, toutes les productions étaient en suspens. Personne n’allait nulle part, on ne se voyait plus. Les gens se repliaient sur eux-mêmes. Un moment approprié pour revisiter le passé. « Nous voulions avoir une raison de nous voir et de discuter », poursuit le scénariste. Ce sera The Fabelmans. « On s’est lancés un peu cahin-caha dans l’aventure. Et on a commencé à accumuler pas mal de choses. »

L’idée de The Fabelmans a d’abord germé au cours de l’une de ces conversations où les deux hommes se découvraient peu à peu, sur le tournage de Munich. Et plus précisément le jour où le réalisateur a raconté à Kushner l’histoire d’une sortie camping en famille : sa mère s’était mise un soir à danser en chemise de nuit, éclairée par les seuls phares de la voiture familiale, tandis que lui filmait et que les deux hommes qui se partageaient son cœur la contemplaient dans la pénombre – l’une des futures scènes clés de The Fabelmans. « Je me souviens t’avoir demandé un truc genre : “Quand as-tu su que tu voulais devenir réalisateur ?” Quelque chose d’un peu bateau comme ça, dit Kushner. Tu m’as raconté l’anecdote de la virée en camping, et là je t’ai dit : “Ok, c’est carrément génial.” » C’est ce jour-là qu’il suggère pour la première fois à son ami d’en faire un film. « Il a répondu : “J’y pense depuis un bon moment, je le ferai peut-être un jour.” »

Le cinéaste en a d’ailleurs déjà parlé en interview, expliquant qu’il avait une idée pour un récit de passage à l’âge adulte, dont le titre devait être I’ll Be Home. Comme pour ses autres films, l’histoire vraie devait présenter des atours fictionnels beaucoup plus élaborés que ceux de The Fabelmans. « Ça devait être plus métaphorique que fidèle à la réalité, résume Spielberg. Une histoire radicalement différente. Rien à voir. »

Ils en restent là, du moins pour un temps. « On a laissé tomber, raconte Kushner. Puis, tandis que nous apprenions à nous connaître et à travailler ensemble au cours des deux décennies suivantes, le sujet revenait régulièrement sur le tapis, comme une espèce de blague récurrente entre nous, je crois. Mais petit à petit, on a commencé à en parler plus sérieusement, en se disant que ce serait vraiment intéressant à mettre en œuvre. »

Mais le metteur en scène ne s’est pas lancé dans cette aventure à la faveur du seul confinement. Un autre évènement déclencheur est intervenu : le deuil.

Michelle Williams joue la mère lunatique de Sammy.

Merie Weismiller Wallace/Universal Pictures and Amblin Entertainment

Toute sa vie ou presque, Spielberg pris de le parti de sa mère, rejetant la responsabilité du divorce sur son père, Arnold. The Fabelmans explore pourtant une vérité toute autre, presque dévastatrice. Quelque chose qu’il ignorait, ou n’avait peut-être pas réellement compris à l’époque : si son père a assumé la responsabilité de cette rupture, c’est en réalité sa mère qui a voulu mettre un terme à leur mariage.

Spielberg : « J’en ai voulu à mon père longtemps après le divorce. Pour moi, il avait abandonné sa famille. Mais en réalité, il s’est sacrifié en nous annonçant que c’était sa décision. Il s’est avéré que c’était faux. Il essayait simplement de préserver ma mère, de créer un monde dans lequel nous pouvions l’entourer et prendre soin d’elle, qui était beaucoup plus fragile que mon père.

« Quand mes trois sœurs sont retournées en Arizona pour être avec elle, pour vivre à ses côtés, il a simplement créé un environnement où il nous serait impossible de lui en vouloir à elle. Il acceptait que notre colère ne soit dirigée que contre lui. C’est le plus grand sacrifice que mon père ait fait pour sa famille, qu’il aimait vraiment et sur laquelle il comptait. »

On comprend mieux le point de vue de Kushner : cette histoire devait être racontée. Selon Kushner « [son père] était au cœur d’un dilemme insoluble : il sentait confusément qu’en se comportant comme était censé le faire un père de famille des fifties, en défendant bec et ongle son foyer et son mariage contre cet intrus, il irait droit dans le mur, qu’il ne parviendrait de toutes façons pas à la retenir. Quand on a travaillé sur certaines de ces histoires, on ressentait une espèce de frustration face à sa réticence, à ce qui pouvait passer pour une sorte de passivité face à la situation. Je crois qu’on retrouve un peu ça dans le film. »

« Ça a nourri le film, mais aussi favorisé mon propre processus de guérison », ajoute Spielberg.

Si on l’en croit, il n’aurait jamais pu réaliser ce film dans sa vingtaine, une période où pourtant beaucoup d’artistes puisent dans leur propre histoire. Ni dans les années 1980, alors que ses blockbusters triomphent, lui autorisant une liberté totale. Ni même dans les années 1990, quand des films comme La Liste de Schindler ou Il faut sauver le soldat Ryan lui valent enfin ses premiers Oscars. « Avant d’avoir moi-même des enfants, j’étais incapable de me retourner sur ma propre enfance, sur mes années formatrices. Je pense que beaucoup de gens ressentent ça. On fait tous en sorte de rester un enfant le plus longtemps possible. »

Des enfants, Spielberg en a élevé sept : il est aujourd’hui six fois grand-père. Il est marié depuis 1991 à Kate Capshaw, rencontrée sur le tournage d’Indiana Jones et le temple maudit. Son premier mariage, avec Amy Irving, s’est soldé par un divorce en 1989. Est-ce que prendre de l’âge, avoir des relations, se marier, divorcer puis se remarier modifie le regard que l’on porte sur le passé ? « Oui, oui, oui, répond le réalisateur. Je crois que ce qui s’est passé, c’est que ça m’a permis d’avoir de l’empathie pour mes parents. J’ai cessé de les voir comme des parents et pour les regarder comme des individus, avec des trajectoires auxquelles je pouvais désormais m’identifier, car je traversais les mêmes turbulences qu’eux. »

Sa mère est décédée en 2017 à 97 ans. Son second mari, Bernie Adler, qui a inspiré le personnage de Rogen, a quant à lui quitté ce monde en 1995 à 75 ans. Quand Spielberg et Kushner commencent à envisager sérieusement de réaliser The Fabelmans, Arnold, le papa, a 103 ans. « On n’était pas trop sûrs qu’il tienne jusqu’à 104 ans, mais 103 ans, c’était dayenu », dit le réalisateur, utilisant un mot hébreu pour qui signifie peu ou prou « ça aurait été suffisant ». « Nous avons compris que le moment était venu. C’était juste pendant la postproduction de West Side Story, mon père n’était qu’à quelques jours de sa transition. Et en même temps, on était en plein COVID, avec les chiffres terrifiants des décès dans le monde. »

La mort, en d’autres termes, était alors très présente à l’esprit de Spielberg. « Je me suis beaucoup questionné, j’en ai aussi parlé avec Kate, de véritables discussions philosophiques : qu’est-ce que je voulais laisser derrière moi ? Si je pouvais raconter n’importe quelle histoire maintenant, ce serait quoi ? Comme mon père était toujours avec nous, qu’il s’accrochait, j’ai su à ce moment-là que ce serait une histoire semi-autobiographique sur mon père, ma mère et mes trois sœurs, et certains des événements les plus marquants de ma vie. »

Sur le tournage de The Fabelmans.

Merie Weismiller Wallace/Universal Pictures and Amblin Entertainment

Sammy et l’une de ses sœurs.

Merie Weismiller Wallace/Universal Pictures and Amblin Entertainment

Sammy réalise son premier film de guerre.

Merie Weismiller Wallace/Universal Pictures and Amblin Entertainment

Non pas qu’il attendait le décès de ses deux parents pour raconter leur histoire. Sa mère, pianiste et peintre, qui a ensuite tenu un restaurant à Los Angeles, aimait être le centre de l'attention, et aurait sans aucun doute adoré devenir l’un des personnages de son illustre fils. « Elle disait toujours : “Quand est-ce que tu fais un film sur nous ?”, raconte Spielberg. Ma mère était en représentation permanente. Son restaurant, The Milky Way, c’était son théâtre, sa scène. Le rideau s’ouvrait chaque jour quand elle venait travailler, et se refermait quand elle rentrait chez elle. »

Plus réservé, son père l’a néanmoins lui aussi encouragé à faire le film. Il avait d’ailleurs déjà parlé de leur histoire familiale dans Spielberg, un documentaire consacré à son fils diffusé sur HBO en 2017. « Il était très honnête sur ce qui s’est passé dans nos vies. Dans le documentaire, il parle très sincèrement du divorce. Donc ils auraient tous les deux adhéré sans aucune réserve au projet. » 

Arnold est mort en août 2020. La rancœur du divorce s’est estompée avec les années, mais Spielberg ne s’est pleinement réconcilié avec lui que lorsque celui-ci avait à peu près l’âge du cinéaste aujourd’hui. « On a dépassé tout ça. Mon père et moi avons en gros résolu nos différends quand je suis devenu adulte. Quand mon père est décédé, nous avions eu quelque chose comme 26 ans d’une belle relation. Je l’aimais tendrement et il m’aimait en retour, mais il y a eu ce grand vide dans nos vies. »

Quelques moments forts n’apparaissent pas dans The Fabelmans. Comme celui-ci : la famille vit encore dans le New Jersey, avant le départ pour l’Arizona. Le petit amateur de cinéma, confus et inquiet, est réveillé par son père au beau milieu de la nuit. Il veut lui montrer quelque chose. Nous sommes au mois d’août – coïncidence, c’est aussi en août que s’éteindra Arnold bien des années plus tard.

« Il m’a emmené dans un parc, raconte Spielberg. Là, quelque 200 personnes étaient installées sur des couvertures de pique-nique, ou assises sur des chaises pliantes, les yeux rivés vers le ciel. » La nuit est constellée d’étoiles filantes. « Il m’a emmené dans cet endroit étrange pour me montrer ma première pluie de météores, l’essaim des Perséides. »

Michelle Williams dans The Fabelmans.

Merie Weismiller Wallace/Universal Pictures and Amblin Entertainment

Kushner connaît bien cette histoire. « On avait mis ça dans le film. » « Oui, on avait mis cette scène dans le premier montage », confirme le cinéaste. « Une scène merveilleuse, poursuit le scénariste. On l'adorait, mais c’est comme ça... Beaucoup de choses ont été coupées. »

Si vous avez déjà vu un film de Spielberg, vous savez que les étoiles filantes sont l’une de ses signatures. S’il y a un plan d’un ciel nocturne, il y a de bonnes chances qu’un météore le traverse.

Référence à son passé ? Clin d’œil à son père durant leurs années de séparation, comme pour lui montrer qu’il n’avait pas oublié ses bons côtés ? 

« Non, j’aime les météores, tout simplement. J’adore les étoiles filantes », répond le réalisateur, toujours réticent devant ce genre de raccourcis. Avant de moduler sa réponse. « Ça vient bien sûr de la découverte, grâce à mon père, de l’immensité du cosmos, dit-il. La nuit m’a soudain paru moins effrayante. J’ai surmonté ma peur du noir. »

Dans son coin, le Dr Kushner se tait, sourit légèrement et acquiesce d’un hochement de tête.