cinéma

Paul Kircher vient de remporter le prix de la révélation à la Mostra de Venise pour Leurs enfants après eux

Bien que décevant, Leurs enfants après eux vient de permettre au génial Paul Kircher de remporter le prix de la révélation à la Mostra de Venise 2024.
Paul Kircher poses with the Marcello Mastroianni Award as Best Young Actor for the movie “And Their Children After Them”...
Photo by Alessandra Benedetti © Corbis/Corbis via Getty Images

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Le saviez-vous ? Un ciel bleu, presque dégagé, ne présage pas toujours le meilleur. Le plan d'ouverture de Leurs enfants après eux, adaptation très attendue du prix Goncourt de Nicolas Mathieu, avait de quoi nous faire espérer. Phénomène à la fois littéraire, médiatique et commercial, traduit dans dix-neuf langues et classé second parmi les ouvrages francophones (parus dans l'année en grand format) les plus vendus en 2018, le succès du livre a transformé la vie de son auteur. Pourtant, une fois le film lancé, le ciel s'est très vite assombri, laissant place à une mise en scène pleine d'esbroufe aux ficelles bien trop apparentes pour séduire son public (et ce malgré d'excellent·es interprètes) ainsi qu'un regard bien désuet porté sur un récit pourtant hautement contemporain. Dévoilé ce samedi 31 août 2024 à la Mostra de Venise, le film, sur l'adolescence vécue au cœur d'une petite vallée, celle d'une France de l'entre-deux, déçoit. Il permet toutefois de faire briller le talent du jeune Paul Kircher, qui vient de remporter le prix de la révélation.

Nicolas Mathieu - Leurs enfants après eux

Spleen tangible, trop tangible

“On se fait chier là” lance un Paul Kircher, toujours attendrissant (et qui pourrait cette fois-ci remporter le César du meilleur espoir masculin), dès les premiers instants de Leurs enfants après eux, une adaptation signée Ludovic et Zoran Boukherma. Une phrase qui n'apporte pourtant guère plus aux spectateur·ices que l'image des corps d'adolescents alanguis autour d'un lac poisseux, déjà désabusés et incapables d'échapper à leur propre destin. C'est là que le bât blesse, et ce, pendant deux heures et demie. Réparti sur quatre étés (1992, 1994, 1996, 1998) l'ouvrage de Nicolas Mathieu (dont le film des frères Boukherma est tiré) suit les trajectoires d'Anthony, de Hacine et de Steph, adolescents désenchantés, sur fond de bagarres et de béguins. Un second roman comme une confirmation pour un écrivain qui a mis du temps à naître, plus occupé par l'idée de devenir quelqu'un d'autre, tel qu'il l'a souvent conté lors d'entretiens. Son premier roman, Aux Animaux la guerre, est publié en 2014 aux éditions Actes Sud. Il a alors 36 ans. Depuis, son œuvre compte trois ouvrages, qui tous, prennent racine au cœur des Vosges. Des récits de déracinement, pour embrasser au mieux son histoire.

Ce qui frustre, dans cette adaptation aux ambitions dantesques, c'est peut-être dans la perte de finesse de l'écriture, qui était pourtant l'une des forces de Nicolas Mathieu. Sur un scénario écrit par Ludovic et Zoran Boukherma, le récit de Leurs enfants après eux s'alourdit. L'embarras du jeune Anthony devient, sous les traits de Paul Kircher, d'impulsifs tremblements. L'ébriété de son père, incarné par Gilles Lellouche (également producteur du film) se transforme en titubations exagérées. La violence de la vallée se fait surenchère, jusqu'au débordement. Loin de nous pourtant l'idée de vouloir condamner l'usage de la violence au cinéma – art cathartique s'il en est. Mais dans Leurs enfants après eux, celle-ci semble presque forcée, comme le suggère les nombreux gros plans répétés de la main ébouillantée de Hacine, comme un clin d'œil un peu trop appuyé, tant le trait est marqué. L'on pourrait tout autant citer les références qui suintent, d'ores et déjà mille fois reprises et réinterprétées, du Taxi Driver de Martin Scorsese à West Side Story. La bande originale n'aide pas. Presque uniquement faite de tubes des années 90 composés par des hommes, de Bruce Springsteen à Johnny Hallyday en passant par le groupe Red Hot Chili Peppers, celle-ci souligne avec lourdeur les (nombreux) moments de tension du long-métrage, comme prenant la main des spectateur·ices pour non seulement leur montrer le chemin, mais surtout pour les y pousser de force, sans prétendre au passage se soucier de leurs envies.

Connemara - Nicolas Mathieu

Conte moderne, caméra dépassée

À l'image des morceaux choisis pour illustrer les années 1990 racontées par Nicolas Mathieu, l'adaptation de Leurs enfants après eux révolte par son regard masculin omniprésent. Dès la première scène, Anthony rencontre Steph, béguin ultime qui ne quitte plus son esprit. Et s'il existe de nombreuses manières de filmer le désir naissant, à l'aube de l'adolescence, Ludovic et Zoran Boukherma réalisent un cas d'école, en fragmentant le corps de la jeune Angelina Woreth, entre ses seins, ses hanches, ses mains, ses pieds. Devant la caméra, elle devient mannequin, au sens premier du terme – une statue articulée. À plusieurs reprises, la jeune femme est filmée en plongée, dans une esthétique qui flirte parfois avec celle de la pornographie. Fallait-il réellement s'y abaisser pour laisser paraître l'obsession du personnage principal pour cette fille trop bien pour lui ?

C'est bien son manque d'inventivité qui cause la perte de Leurs enfants après eux, malgré quelques fulgurances émotionnelles (une nuit du 14 juillet toute en tension, rythmée par le “Que je t'aime” de Johnny Hallyday). Le constat est d'autant plus navrant que l'on considérait jusqu'alors les frères Boukherma (nés en 1992 en Marmande) comme des talents passionnants du nouveau cinéma français, découverts en 2020 avec la comédie horrifique Teddy. Faut-il alors blâmer une production trop présente, tant le film est en de nombreux points similaires à L'Amour ouf, dirigé par Gilles Lellouche et présenté en mai dernier au Festival de Cannes ? Les deux films se retrouvent en effet sur leur passéisme inquiétant. Là où L'Amour ouf célébrait un carcan amoureux rance où les hommes sont des agents turbulents, pris dans des cercles de violence, et les femmes des gentilles créatures placées dans une attente éternelle (de quoi, on ne le saura jamais vraiment), Leurs enfants après eux poursuit la même trajectoire. “T'es belle” assène à plusieurs reprises un Anthony enamouré d'une Steph qui n'a pas grand chose à lui répondre. Un compliment d'une pauvreté similaire à ce que le long-métrage a à offrir, et qui peine à rendre justice à la plume pourtant maligne de Nicolas Mathieu. Son implication fut, en effet, minime, telle qu'il l'expliquait à France 3 Grand Est : “Je ne prends pas part à la production et à l’écriture du film, même si on échange à ce sujet. En général, mon implication se situe plutôt dans le choix de qui peut adapter le livre, de la société de production à la réalisation. Le cinéma, c’est un peu un piège pour un écrivain, l’histoire de ma vie, c’est d’écrire des livres”.

Avec une sortie prévue pour le 4 décembre 2024, Leurs enfants après eux s'empêtre donc dans un récit qui ne laisse que peu de place aux spectateur·ices pour déposer un peu d'eux-mêmes dans un film aux contours rigides et surannés. Le long-métrage paraît ainsi emprisonné par une équipe qui semble produire la même œuvre à la chaîne, avec les mêmes visages (Raphaël Quenard reprend là un rôle interchangeable avec celui qu'il occupait dans L'Amour ouf, sorte de petit malfrat nerveux), la même mise en scène aux ambitions pourtant honorables mais aux références écrasantes, et de facto la même défaite à proposer une œuvre au regard neuf et rafraîchissant.

Paul Kircher et Angelina Woreth dans Leurs enfants après eux de Ludovic et Zoran Boukherma.Photo : Marie-Camille Orlando © 2024 –CHI-FOU-MI PRODUCTIONS - TRESOR FILMS – FRANCE 3 CINEMA – COOL INDUSTRIE

Leurs enfants après eux de Ludovic et Zoran Boukherma avec Paul Kircher et Angelina Woreth, en salles le 4 décembre 2024.

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