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PFAS : Camille Étienne nous explique comment les polluants éternels affectent notre santé

La militante écologiste Camille Étienne met en garde sur des substances chimiques qui s’accumulent incognito dans notre corps.
PFAS polluants ternels
Patric Shaw / trunkarchive.com

Ils sont pratiques, certes. Ils tapissent nos poêles d’un revêtement antiadhésif, nos manteaux d’une couche imperméable, nos cosmétiques de pigments waterproof, nos skis de farts plus glissants ou nos lentilles de contact de propriétés plus souples et plus confortables. Mais les polluants éternels sont ce qui transparaît dans leur nom : ils sont indestructibles. Dans son documentaire coup de poing, Toxic Bodies, Camille Étienne alerte sur l’omniprésence de ces composés chimiques, les per- et polyfluoroalkylées, aussi appelés PFAS ou polluants étérnels, qui s’emmagasinent dans la nature et dans notre corps, non sans dommages collatéraux.

Ce film, qu'elle nous confie avoir réalisé “en un mois à peine, avec peu de moyens”, juste avant qu’une proposition de loi ne soit votée sur le sujet, a fait beaucoup de bruit (et de vues sur YouTube). Et ce, jusqu’au Festival de Cannes, où il a été projeté dans le cadre de la Semaine du Cinéma Positif, et où la militante écologiste s’est vue décernée, par Rosalie Mann, présidente de l’association No More Plastic, le Humann Action Prize, une distinction honorifique qui récompense ceux qui agissent concrètement pour un monde meilleur. N’en déplaise aux industriels, qui les déploient à tout va malgré leur dangerosité. Explications avec l’activiste.

Camille Étienne a reçu le Humann Action Prize à Cannes pour son documentaire “Toxic Bodies”Penelope Caillet

Vogue : Quelle est aujourd’hui l’ampleur de la pollution par les PFAS ?

Camille Étienne : Les polluants éternels ont été créés par hasard par un chimiste. C’est la seule molécule dans l’histoire de la chimie qui est d’origine humaine et qui a des propriétés incassables grâce à l’alliance des atomes de fluor et de carbone. Elle a d’abord été utilisée dans la bombe atomique puis dans le revêtement des chars de l’armée américaine. Dans les années 1970, le premier usage industriel a été fait en l’utilisant dans les poêles, notamment pour éviter qu’elles ne collent. Ultra-pratiques, les PFAS ont rapidement été intronisés dans une tonne de produits du quotidien, pour les rendre imperméables ou résistants au feu, par exemple. À tel point qu’ils sont aujourd’hui partout. Comme ils ne peuvent pas disparaître, ils persistent dans l’atmosphère, dans l’eau que l’on boit, l’air que l’on respire, la nourriture que l’on mange et, par ricochet, dans notre corps. Je me suis fait tester, ainsi que plusieurs personnalités, et nous nous sommes rendu compte que tout le monde avait des polluants éternels en lui dont quelques-uns étaient reconnus comme “cancérigènes certains” par le Centre international de recherche sur le cancer. Et dire qu’au départ, je pensais qu’il ne s’agissait qu’une histoire de poêles!

Quels sont leurs impacts sur la santé humaine ?

Ils sont nombreux. Des études scientifiques très robustes ont reconnu divers PFAS comme “cancérigènes certains”, d’autres comme “probables”. Les autres molécules sont à l’étude mais il faut savoir que les PFAS représentent une famille de 14 000 molécules différentes, voire plus. Analyser l’entièreté est donc impossible. Dans tous les cas, on sait maintenant qu’ils sont reprotoxiques, et donc augmentent l’infertilité. Ils sont également rattachés à l’endométriose. Un lien avec la maladie de Parkinson a aussi été établi, ainsi qu’avec le développement du cerveau chez les enfants et d’autres types de cancer. Des médicaments sont à l’étude mais, pour l’instant, il n’y a aucun moyen de se débarrasser des polluants éternels déjà présents dans notre corps. C’est tragique mais ça montre notre destin commun : l’action individuelle n’est pas possible, seule une réponse collective de la société est envisageable face aux polluants éternels. C’est l’amiante de notre génération.

Une quantité a-t-elle été déterminée à partir de laquelle ils devenaient vraiment nocifs dans l’organisme ?

La question des seuils est délicate car à partir du moment où ils sont cumulables, même une petite quantité, c’est un peu trop. Dans le ventre de leur mère, les bébés sont déjà contaminés aux polluants éternels. Ils sont aussi présents dans le lait maternel. La science montre que dès 1 nanogramme par litre de sang, ce qui est extrêmement faible, des premiers effets sur le développement du cerveau des enfants apparaissent.

Puisqu’ils sont partout, est-il encore possible de s’en préserver ?

Leur omniprésence aujourd’hui fait qu’il n’y a pas vraiment de solutions pour s’en protéger. Une carte, accessible à tous, a été établie par le magazine Le Monde et des scientifiques pour pointer les sites les plus contaminés, proches des usines. En ce qui concerne les poêles, les industriels tentent de créer de nouveaux revêtements dont ils sont les seuls à savoir si leurs fragments sont potentiellement cancérigènes quand ils entrent dans notre corps. En revanche, on sait que les anciens ont tous fini par être reconnus comme tels. On peut donc simplement appliquer le principe de précaution. Les poêles en inox et en céramique sont des alternatives sûres.

Quels sont les impacts des polluants éternels sur la biodiversité ?

On en retrouve absolument partout dans la nature. Comme pour les humains, les PFAS alternent la santé des animaux. Enfin, ils sont bioaccumulatifs: si le bas de la chaîne alimentaire est contaminé par les polluants éternels, il pollue les suivants, déjà contaminés de leur côté, et ainsi de suite. Ceux qui sont au sommet, à l’instar des ours polaires (et, par ailleurs, les humains), vont donc en contenir davantage.

Quelles répercussions a eu Toxic Bodies, votre documentaire, depuis sa sortie ?

Aux États-Unis, les polluants éternels avaient déjà fait beaucoup de bruit, mais pour une raison que l’on ignore, cette information n’avait pas traversé l’Atlantique. Le documentaire a permis, avec d’autres initiatives, de faire en sorte que ce sujet, qui était porté à bout de bras pendant des années par quelques scientifiques et des personnes localement, soit mis en lumière pour le plus grand nombre. Il a été relayé partout et cela a pris une telle ampleur que les députés ne pouvaient pas voter contre la proposition de loi qui visait à les interdire. On a également passé plusieurs jours à aller à la rencontre de ceux qui y étaient opposés, à leur expliquer l’étendue du scandale, à tenter de les convaincre et à leur mettre une pression en expliquant que les Français étaient au courant et attendaient une action. Nous voulions faire triompher la santé face au profit des industriels. La loi a finalement été adoptée à l’Assemblée nationale puis au Sénat. Elle vise à interdire, dès 2026, les vêtements, cosmétiques et farts (revêtement sous les skis) qui y sont dotés (les ustensiles de cuisine ne sont pas concernés). Elle doit encore passer une dernière fois à l’Assemblée nationale pour être promulguée mais on y croit ! La France deviendrait alors un des pays les plus ambitieux sur le sujet.

Avez-vous trouvé une astuce pour cuire dans une poêle en inox sans que cela ne colle ?

C’est la question que tout le monde me pose depuis la sortie du documentaire. Des chefs comme The Chef Tomy ou Juan Arbelaez ont partagé leurs astuces. Il faut savoir que les grands chefs français n’utilisent pas de poêles en téflon (avec un revêtement antiadhésif qui contient des PFAS, donc). Ils préfèrent des poêles en inox qui garantissent une meilleure cuisson et sont de meilleure qualité. Elles sont, pour nous aussi, un investissement pérenne car elles s’abîment et s’effritent moins vite. Plus on se tourne vers cette alternative, plus le marché va devenir compétitif et plus les prix vont baisser. L’astuce, pour que ça ne colle pas sur une poêle en inox: il faut d’abord bien la faire chauffer puis y pschitter des gouttelettes d’eau. Si des petites bulles d’eau se forment en surface, la poêle est assez chaude pour recevoir de la matière grasse et ce qu’on a envie d’y cuisiner.

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