Casa de Tierra y Sangre Edición en Castellano 2020th Edition Sarah J Maas Full Chapter Download PDF
Casa de Tierra y Sangre Edición en Castellano 2020th Edition Sarah J Maas Full Chapter Download PDF
https://ebookstep.com/product/casa-de-tierra-y-sangre-sarah-j-
maas/
https://ebookstep.com/product/casa-de-tierra-y-sangre-1st-
edition-sarah-j-maas/
https://ebookstep.com/product/corte-de-chamas-prateadas-sarah-j-
maas-maas/
https://ebookstep.com/product/corte-de-nevoa-e-furia-sarah-j-
maas/
Casa de céu e sopro Cidade da Lua Crescente 2 Cidade da
Luz Crescente Portuguese Edition Sarah J. Maas
https://ebookstep.com/product/casa-de-ceu-e-sopro-cidade-da-lua-
crescente-2-cidade-da-luz-crescente-portuguese-edition-sarah-j-
maas/
https://ebookstep.com/product/herdeira-do-fogo-1st-edition-sarah-
j-maas/
https://ebookstep.com/product/house-of-flame-and-shadow-sarah-j-
maas/
https://ebookstep.com/product/dwor-skrzydel-i-zguby-1st-edition-
maas-sarah-j/
https://ebookstep.com/product/dwor-cierni-i-roz-1st-edition-maas-
sarah-j/
SÍGUENOS EN
@Ebooks
@megustaleermex
@megustaleermex
Para Taran
La estrella más brillante en mi cielo
LAS CUATRO CASAS DE
MIDGARD
Como fue decretado en 33 V.E. por el Senado Imperial
en la Ciudad Eterna
LA HONDONADA
1
—Adiós, mamá.
Esmeralda y una rosa para Five Roses. Opal y un par de alas para
el CBD. Ruby y un corazón para la Plaza Vieja. Zafiro y un roble para
Moonwood. Amatista y una mano humana para Asphodel Meadows.
Ojo de tigre y una serpiente para el Mercado de la Carne. Y onyx,
tan negro que engulló la luz, y un conjunto de calaveras y huesos
cruzados para el Bone Quarter.
Danika sonrió, mostrando casi todos sus dientes. No fue una vista
agradable.
Bryce sabía que era una mierda, pero si hacía que Danika no
temiera tanto la liberación de Briggs, bueno, valía la pena.
—Sabes que apenas tengo magia que valga la pena tomar, pero
está bien —dijo Bryce, para no ser menos, incluso por un lobo Alfa.
Another random document with
no related content on Scribd:
Narbonne fut livrée à Théodoric par un traître, et Ægidius, réfugié
dans la vallée de la Loire, y fut pourchassé par le prince Frédéric.
Celui-ci succomba peu de temps après dans la lutte, débarrassant
son frère d'un rival plutôt qu'il ne le privait d'un appui. La mort
d'Ægidius, survenue peu après, livra toute l'Aquitaine au roi barbare.
Le portrait que nous trace de celui-ci une plume romaine éveille
l'idée d'une force royale pleine de modération et d'activité, qui se
possède elle-même au milieu de la toute-puissance. La journée de
Théodoric, commencée par des pratiques de piété, se continue par
les graves occupations de la politique, parmi lesquelles se place
surtout la réception des ambassadeurs étrangers. Les distractions
du roi consistent à passer en revue son trésor ou à visiter ses
écuries; souvent aussi il goûte le plaisir de la chasse. Ses repas sont
simples, même les jours de fête; après le dîner, le roi prend un léger
somme; parfois il joue, et il s'amuse de la mauvaise humeur de son
adversaire perdant. Le reste de la journée est de nouveau consacré
aux affaires. Le soir, le repas est égayé par quelque chantre
mélodieux ou par les saillies d'un bouffon, mais tout se passe avec
mesure, et sans rien de blessant pour aucun convive[44].
[44] Sidoine Apollinaire, Epist., i, 2.
Ce puissant, toutefois, ne devait pas vieillir en paix au milieu de sa
prospérité. Il avait inauguré ce qu'un écrivain franc appelle la
détestable coutume qu'ont les Goths de tuer leurs souverains[45].
Mais, de même qu'un fratricide l'avait fait monter sur le trône, un
fratricide l'en précipita, et il périt à la fleur de l'âge sous les coups de
son frère Euric.
[45] Grégoire de Tours, iii, 30.
Alors commença la carrière conquérante du plus remarquable des
rois visigoths. Devenu maître du pouvoir, il fit oublier à son peuple le
crime qui le lui avait valu, et il y déploya l'ardente activité et
l'ambition insatiable d'un génie dont la vocation est de commander.
En face de l'empire d'Occident qui faisait, sous Anthémius, de
languissants efforts pour remonter la pente fatale des choses, le
Mars de la Garonne, comme l'appelait Sidoine[46], s'affirma avec une
égale puissance comme diplomate et comme homme de guerre. Il
ouvrit des négociations avec les Suèves d'Espagne, avec les
Vandales d'Afrique, et entretint des intelligences avec cette partie de
la population romaine qui avait pris son parti d'une occupation
barbare, et aimait mieux la préparer que la subir. Rome, qui n'avait
plus d'armée et plus de généraux, combattait ses ennemis les uns
par les autres: aux Visigoths envahissants elle opposa les
Burgondes, qui vinrent tenir garnison à Clermont; les Bretons, qu'elle
campa au nombre de douze mille au cœur du Berry; les Francs, qui
avaient servi sous les ordres d'Ægidius, et qui étaient restés fidèles
à son successeur.
[46] Sidoine Apollinaire, Epist., viii, 9.
Mais rien n'arrêtait Euric. Tenu au courant, par des traîtres comme
Seronatus, de ce qui se passait du côté romain, il allait écraser les
Bretons à Déols (468), et, après cette journée qui lui rouvrait la
vallée de la Loire, il venait mettre le siège devant Clermont (473), qui
était, dans les montagnes, la clef de toutes les positions qui
commandent la Gaule centrale. Maître de ce poste, il pouvait se
porter à tour de rôle, selon les intérêts du moment, sur la Loire ou
sur le Rhône, et tenir en échec les Francs, les Burgondes et les
Romains d'Italie.
La patrie de Vercingétorix fit preuve alors, envers l'Empire agonisant,
de cette fidélité qu'elle avait montrée, il y avait cinq siècles, à la
liberté gauloise, comme s'il avait été dans sa destinée de s'honorer
en faisant briller sur les causes déchues un dernier rayon de gloire
et de dévouement. Seule en face d'un ennemi devant qui pliaient
toutes les résistances, abandonnée par l'Empire qui ne défendait
plus que l'Italie, par les Burgondes que l'heure du danger ne trouva
plus dans ses murs[47], la vaillante cité soutint bravement le choc. A
la tête de la résistance était son évêque, Sidoine Apollinaire, dans
lequel l'ordination épiscopale semblait avoir créé un pasteur de
peuples et un patriote, à côté du grand seigneur ami de la vie
mondaine et du faiseur de petits vers élégants. Cet homme, qui s'est
complu, au cours de ses écrits, dans une loquacité souvent si
fatigante, ne nous dit rien du rôle qu'il a joué dans ce siège, comme
si la grandeur à laquelle il dut élever son âme dans ces jours de
crise nationale n'était pas compatible avec le frivole babillage qui
était le caractère de son talent. Mais, s'il s'est oublié lui-même, il a
tracé dans une page inoubliable les services qu'un autre, qui lui était
cher, a rendus alors à l'Auvergne et à l'Empire. Cet autre, c'était son
beau-frère Ecdicius, fils de l'empereur Avitus, dont Sidoine avait
épousé la fille.
[47] Dahn, Die Kœnige der Germanen, V. p. 92, croit à tort que les Burgondes y
étaient encore; il n'y en a aucune preuve.
Ecdicius était une âme généreuse et grande, que la richesse n'avait
pas amollie, et qui avait gardé toute sa fermeté au milieu de
l'universel fléchissement des caractères de cette époque. Aux
premières nouvelles du danger qui menaçait sa patrie, il quitta
Rome, où l'avaient appelé les intérêts de sa province, et s'élança sur
la route de la Gaule. Brûlant les étapes, dévoré d'ardeur et
d'inquiétude, il déboucha enfin, à la tête de dix-huit cavaliers qui
formaient toute son escorte, dans le vaste bassin de la Limagne,
ayant en face de lui, sur la colline, les murailles aimées de la ville
natale, et, entre lui et elle, le camp des Visigoths. Il le traverse au
galop, se frayant un chemin à la pointe de l'épée, au milieu d'une
armée stupéfaite d'une audace qui semblait de la folie, et il parvient
à rentrer dans la ville sans avoir perdu un seul homme. La
population de Clermont, qui du haut de ses remparts avait assisté au
magnifique exploit de son concitoyen, lui fit une ovation
indescriptible. A travers les rues noires de monde, les cris de joie,
les sanglots et les applaudissements retentissaient sans
discontinuer, et il eut plus de peine à traverser cette multitude
désarmée que tout à l'heure à fendre les rangs des ennemis.
Chacun voulait le voir, le toucher, baiser ses mains ou ses genoux,
l'aider à détacher son armure; on comptait les coups dont sa cotte
de mailles portait les traces, on emportait comme des reliques la
poussière glorieuse qui couvrait ses habits, mêlée à la sueur et au
sang. Reconduit jusqu'auprès de son foyer par cette foule en délire
qui le bénissait avec des larmes, le héros savoura pleinement, en
une heure, l'ivresse de la reconnaissance populaire et la joie d'une
récompense si haute qu'elle semblait le salaire anticipé de la mort.
Cette incomparable journée avait exalté tous les cœurs: désormais
la défense eut l'entrain et l'enthousiasme d'une attaque. Avec ses
propres ressources, Ecdicius leva un corps de soldats à la tête
desquels il harcela l'ennemi par une série de sorties heureuses. Les
barbares, transformés presque en assiégés, eurent toutes les peines
du monde à maintenir leurs positions. Les pertes qu'ils faisaient
dans les rencontres quotidiennes étaient telles qu'ils se voyaient
obligés, pour n'en pas laisser reconnaître l'étendue, de couper les
têtes des morts; après quoi ils brûlaient les cadavres, sans aucune
solennité, dans des huttes où ils les entassaient[48]. Le courage des
assiégés ne se démentit pas: ils endurèrent les souffrances de la
faim sans parler de se rendre, et lorsque les provisions
commencèrent à s'épuiser, ils allèrent jusqu'à se nourrir des herbes
qui poussaient dans les interstices de leurs murailles[49]. Ce furent
les assiégeants qui perdirent patience: démoralisés par les exploits
d'Ecdicius, fatigués d'une lutte qui se prolongeait sans mesure,
effrayés de l'hiver qui s'avançait avec toutes ses rigueurs, ils
levèrent le siège, et Euric repartit avec l'humiliation d'avoir été arrêté
par une seule ville.
[48] Sidoine Apollinaire, Epist., iii, 3.
[49] Id., Epist., vii, 7.
Les souffrances de l'Auvergne n'étaient pas finies, car les Goths
avaient ravagé cruellement les campagnes des environs, et ils
laissaient derrière eux la famine, qui continuait leur œuvre de mort.
Alors le rôle de la charité commença. Sidoine Apollinaire se
multiplia; plus d'une fois, à l'insu de sa femme, il distribuait aux
pauvres l'argenterie de sa maison, qu'elle allait racheter ensuite[50].
Les évêques des cités voisines vinrent aussi au secours des
victimes. Tous les chemins de la province étaient sillonnés par les
voitures chargées des provisions envoyées par saint Patient, le
généreux évêque de Lyon[51]. Cette fois encore, Ecdicius ne
manqua pas à sa patrie: il fut aussi prodigue de son or que de son
sang, et à lui seul il nourrit sous son toit quatre mille affamés[52].
Mais la malédiction des décadences, c'est que l'héroïsme y est
stérile, et qu'elles ne savent que faire des plus généreux
dévouements. Les Arvernes croyaient avoir prouvé au monde qu'ils
avaient le droit de garder leur indépendance: ils furent trahis par
celui-là même qui avait pour devoir de les défendre. Comme les
Visigoths ne cessaient de troubler l'Empire, menaçant les autres
provinces si on leur cédait celle qui les avait repoussés, un
malheureux du nom de Julius Nepos, alors revêtu du titre impérial,
eut le triste courage de leur livrer cette noble contrée (475). On
devine le désespoir des patriotes arvernes. Ceux qui ne pouvaient
se résigner à cesser d'être Romains durent prendre le chemin de
l'exil. Ecdicius, on le comprend, fut du nombre; il alla, loin des murs
chéris dont il avait été le défenseur, terminer obscurément une
carrière que des âges plus heureux auraient couverte d'une gloire
impérissable[53]. Quant à son beau-frère Sidoine, il fut arraché à son
troupeau et relégué à Livia, près de Narbonne[54]. Voilà comment
l'Auvergne passa sous le joug des Visigoths.
[50] Grégoire de Tours, ii, 23.
[51] Sidoine Apollinaire, Epist., vi, 12.
[52] Grégoire de Tours, ii, 24.
[53] Jordanes, c. 45. Cf. Binding, Das Burgundisch-Romanische Kœnigreich, p.
90, note 360.
[54] Sidoine Apollinaire, Epist., viii, 3.
La chute de Clermont faisait d'Euric le maître de toute la Gaule au
sud de la Loire: il se hâta de cueillir les fruits de ce nouveau succès.
Les circonstances d'ailleurs le servirent à souhait. En 476, Odoacre
mettait fin à l'empire d'Occident, et peu après mourait Julius Nepos,
l'empereur détrôné, mais légitime, envers lequel les Visigoths étaient
liés par le traité de 475. Ayant les mains libres désormais du côté de
Rome, Euric reprit le programme de ses prédécesseurs, et, plus
heureux, mit enfin la main sur les villes qu'ils avaient si ardemment
convoitées. Arles, qui avait soutenu quatre sièges de la part des
Visigoths, lui ouvrait ses portes, de même que l'opulente Marseille,
la reine du commerce d'Occident. Cette conquête livrait au barbare
tout le littoral méridional de la Gaule; il s'étendait sur la rive gauche
du Rhône jusqu'à la Durance, et il fermait définitivement aux
Burgondes l'accès de la Méditerranée.
Euric était maintenant à la tête d'un royaume immense, qui
ressemblait à un empire. Les frontières en couraient depuis les
Alpes jusqu'au détroit de Gibraltar d'une part, jusqu'aux rives de la
Loire de l'autre, et comprenaient les plus belles contrées de
l'Occident. Maître de ces superbes domaines, Euric pouvait se
considérer comme le véritable héritier des Césars, maintenant
surtout qu'il n'y avait plus personne qui portât le titre impérial. Il fut,
avant Théodoric le Grand, et dans une aussi large mesure que lui,
l'arbitre de l'Europe, et il ne lui a manqué, pour prendre le même
rang devant l'histoire, que des panégyristes pour le vanter et des
chanceliers pour parler en son nom le langage imposant de la
civilisation romaine. Tant qu'il vécut, il n'y eut pas de plus grand nom
que le sien, ni de plus redouté. Sa cour, qu'il tenait alternativement à
Bordeaux[55] et à Toulouse[56], et qu'il transporta enfin à Arles[57]
dans sa nouvelle conquête, était le rendez-vous des ambassadeurs
de tous les peuples. Les Francs et les Saxons s'y rencontraient avec
les Hérules et les Burgondes; les Ostrogoths y coudoyaient les
Huns, et les envoyés de Rome, qui venaient demander des soldats
pour défendre l'Empire, étaient étonnés d'y trouver les députations
du roi des Perses, qui offraient au puissant barbare l'alliance du
despote d'Orient[58]. Les cadeaux et les secours d'Euric prenaient
souvent le chemin de la vieille Germanie, et bien des fois la terreur
de son nom suffit pour y protéger ses amis contre les attaques de
leurs voisins[59].
[55] Sidoine Apollinaire, Epist., viii, 3 et 9.
[56] Id., Ibid., iv, 22.
[57] Jordanes, c. 47.
[58] Sidoine Apollinaire, Epist., viii, 9.
[59] Cassiodore, Variar., iii, 3: Recolite namque Eurici senioris affectum, quantis
vos juvit sæpe muneribus, quotiens a vobis proximarum gentium imminentia bella
suspendit.
Toutefois, cette domination ne sut pas prendre racine dans les
peuples sur lesquels elle s'étendait. Conquérants, les Visigoths le
restèrent toujours, même après que les jours de la conquête furent
passés. Ils ne cessèrent de se considérer comme un peuple de
militaires campés au milieu d'une population de civils qu'il fallait tenir
en respect. Ils ne se préoccupèrent pas de rendre leur autorité
acceptable, se contentant qu'elle fût solide, et oubliant qu'elle avait
besoin pour cela d'être populaire. Ils étalèrent au milieu de ces
Romains d'humeur paisible, et qui ne demandaient qu'à faire bon
accueil à leurs maîtres nouveaux, la morgue et l'insolence du traîne-
sabre à qui la conscience de sa supériorité ne suffit pas, tant qu'il ne
l'a pas affirmée par quelque signe bien visible, par quelque
manifestation bien blessante. Ils semblaient affecter, par leur fidélité
à leurs coutumes nationales au milieu de la vie romaine, d'accentuer
encore l'écart qu'il eût fallu dissimuler. A la cour de Bordeaux,
l'étiquette ne permettait pas au roi de répondre autrement que dans
sa langue gothique aux envoyés impériaux[60]. Il pouvait y avoir
danger pour lui à s'affranchir trop ouvertement des préjugés de sa
nation: tel d'entre eux, comme Ataulf, avait payé de sa vie son
mariage avec une princesse romaine et son engouement pour le
monde impérial. Rien d'instructif à lire comme la description, tracée
par un contemporain, d'une assemblée générale des Visigoths en
armes pour délibérer sur les affaires publiques: on se croirait
transporté dans les forêts d'outre-Rhin par le tableau de cette
réunion tumultueuse de guerriers vêtus de peaux de bêtes, et l'on
est étonné de rencontrer sous le ciel bleu de Toulouse les scènes
qu'on a lues dans la Germanie de Tacite[61].
[60] Ennodius, Vita sancti Epiphanii; cf. Fauriel, I, 530.
[61] Sidoine Apollinaire, Carm., VII, 452 et suiv. Je suis d'ailleurs convaincu que
cet écrivain, ami des amplifications oratoires et poétiques, a notablement accentué
le caractère barbare de cette assemblée.
Mais les populations romaines avaient appris à supporter beaucoup.
Amoureuses avant tout de la paix, et la croyant garantie par la
présence de leurs nouveaux maîtres, elles ne se plaignaient pas
d'eux. Sans les aimer, elles s'habituaient à eux comme à un mal
nécessaire. N'étaient-ils pas là de par la volonté de l'empereur, avec
un titre légitime, et avec la mission de défendre le pays? Ces
défenseurs étaient hautains et arrogants; mais il n'en était jamais
autrement, et cela faisait partie des ennuis que créent aux civils tous
les logements militaires. On avait la ressource de se moquer d'eux
dans les salons, et une épigramme heureuse, qui faisait rire d'eux
dans le beau monde, dédommageait de tant de mortifications! Et
puis, on s'avouait tout bas, parfois même on reconnaissait tout haut
qu'on était plus à l'aise maintenant que du temps des fonctionnaires
impériaux. Une fois établis dans leurs lots, les barbares ne
demandaient pas autre chose: ils savaient même montrer de la
probité dans leurs relations avec les indigènes, et ils ne faisaient pas
fonctionner la machine du fisc avec l'impitoyable virtuosité des gens
du métier. C'est pour ces raisons d'ordre négatif qu'à tout prendre on
s'accommodait d'eux, malgré leur superbe et leur brutalité.
Faut-il s'étonner, après cela, que des hommes désabusés du rêve
romain, des esprits positifs et bourgeois allassent plus loin, et
préparassent les voies à la domination visigothique sur toute la
Gaule? Là où il restait quelque esprit romain, dans les hautes
classes des provinces qui n'avaient pas encore été occupées par les
barbares, en Auvergne surtout, on s'indignait de cette attitude, on la
qualifiait de haute trahison, on en poursuivait la condamnation à
Rome. Mais ce qui prouve que cette indignation portait quelque peu
à faux, et que cet attachement archaïque à l'ombre de l'Empire ne
correspondait plus à l'état général des consciences, c'est
l'indifférence des multitudes, c'est la stupéfaction de ceux-là même
qui se voyaient poursuivis pour haute trahison, et qui ne pouvaient
comprendre qu'ils fussent punissables[62]. La sympathie non
déguisée du clergé catholique pour les barbares le prouve mieux
encore. C'est que, malgré toute leur grossièreté, et même sous leur
vernis d'arianisme, le prêtre catholique sentait battre des cœurs plus
purs que ceux des Romains, et frémir des âmes vierges dont on
pouvait espérer de faire quelque chose. Il faut voir avec quelle
éloquence ces sentiments se traduisent dans le livre de Salvien, qui
peut être regardé comme l'organe d'une grande partie du clergé de
cette époque. Même dans les rangs supérieurs de la hiérarchie, on
ne se cachait pas de préférer les barbares hérétiques aux Romains
impies, et on ne craignait pas d'en témoigner de la manière la plus
éclatante. Lorsque le roi Théodoric Ier fut assiégé dans Toulouse, en
439, par le général Litorius, c'est du côté des barbares qu'allèrent les
vœux des évêques: saint Orientius, évêque d'Auch, ne cessa de
prier pour le succès de leurs armes, et son biographe considère la
victoire de Théodoric comme le résultat surnaturel des prières du
saint[63]!
[62] Lire à ce point de vue l'instructive lettre de Sidoine Apollinaire, Epist., i, 7.
[63] Vita sancti Orientii dans les Bollandistes, t. I de mai; Prosper d'Aquitaine;
Isidore, Chronicon.
En somme donc, l'Aquitaine, prise dans son ensemble, n'était pas
hostile à ses maîtres nouveaux. Elle leur passait beaucoup, elle ne
leur résistait en rien, elle se prêtait avec bonne volonté à leur
régime. Le pouvoir trouva dans la population tous les éléments
nécessaires à son service: elle fournit au roi son premier ministre,
Léon de Narbonne, ses gouverneurs de province, et autant d'agents
de tout grade qu'il lui en demanda. Sidoine lui-même, si longtemps
irréconciliable, finit par se laisser conquérir, et nous le voyons faire
l'inscription du vase offert par son compatriote Evodius à la reine
Ragnahilde[64]. Peu s'en fallut même qu'après avoir fait un madrigal
pour la reine, il ne consentît à écrire le panégyrique du roi. Ce fut un
sentiment de dignité qui l'arrêta. Il se souvint qu'il était le beau-frère
d'Ecdicius, et il s'excusa poliment[65].
[64] Sidoine Apollinaire, Carm., iv, 8.
[65] Id., Epist., iv, 22.
En présence de pareilles dispositions de la part des Romains
d'Aquitaine, combien il eût été facile de les rallier en masse au
régime visigoth, et d'en faire les zélés partisans de la dynastie
barbare! Il eût suffi pour cela de ne pas leur rendre l'obéissance
odieuse et l'attachement impossible, en les violentant jusque dans le
plus intime de leurs consciences. Mais le fanatisme religieux des
Visigoths ne tint compte de rien. Premiers-nés de l'arianisme, ils
avaient au plus haut degré la passion de leur secte, et ils avaient si
bien identifié leur nationalité avec leur hérésie, qu'on disait la foi
gothique pour désigner la doctrine d'Arius[66]. Bien plus, ils étaient
parvenus à faire de l'arianisme une espèce de religion germanique,
en la communiquant successivement à tous les peuples de leur
race. Lorsqu'ils furent établis en Gaule, ils continuèrent cette espèce
d'apostolat, mais en lui donnant, cette fois, un caractère nettement
anti-catholique. Ce n'était plus, en effet, des peuplades païennes
qu'ils endoctrinaient, mais des nations déjà chrétiennes, comme les
Suèves d'Espagne et les Burgondes. Les missionnaires ariens
introduisirent l'hérésie dans ces chrétientés naissantes. Les
princesses ariennes, envoyées comme épouses aux rois suèves[67],
emmenèrent avec elles des prêtres de leur confession, et, à la tête
de ceux-ci, un certain Ajax, Galate d'origine, alla, sous le haut
patronage du roi des Visigoths, jeter la perturbation dans la vie
religieuse d'un peuple ami[68]. Il n'est pas douteux que les Visigoths
n'aient travaillé avec la même ardeur leurs voisins les Burgondes, et
n'aient été la principale influence qui détourna de l'Église ce peuple
déjà en grande partie converti. La campagne de 456-457, que les
deux peuples firent en commun contre les Suèves[69], fournit aux
prédicateurs ariens une occasion excellente de déployer leur zèle
hérétique. Au retour de l'expédition à laquelle ils s'étaient laissé
associer contre un roi catholique, les Burgondes rapportèrent dans
leurs foyers la religion des Goths.
[66] Gothica lex. Voir le Vita sancti Sigismundi dans Jahn, Geschichte der
Burgundionen und Burgundiens, t. II, p. 67, et Revillout, De l'arianisme des
peuples germaniques qui ont envahi l'Empire romain, p. 67.
[67] Idacius, Chronicon, 140 et 226; Isidore de Séville, Chronicon, 33.
[68] Idacius, 232: Ajax natione Galata effectus apostata et senior Arrianus inter
Suevos regis sui auxilio hostis catholicæ fidei et divinæ Trinitatis emersit. A
Gallicana Gothorum habitatione hoc pestiferum inimici hominis virus advectum.
[69] Jordanes, c. 44. Sur la participation des Burgondes à cette campagne,
Binding, o. c., p. 54, note 219, contre Pétigny, II, p. 145, note 2.
Tant que cette propagande fut limitée aux Germains seuls, les
Romains se contentèrent de l'envisager avec la parfaite indifférence
que leur inspiraient toutes les choses barbares. Il n'en fut plus ainsi
lorsqu'ils la virent faire des ravages dans leurs propres rangs. Ils
n'avaient rien de plus précieux que leur foi: elle leur était devenue
plus chère encore depuis la banqueroute de la patrie. On peut même
dire que l'attachement à l'Église catholique restait pour eux la seule
forme du patriotisme. La propagande arienne fut assez active pour
alarmer une nature aussi optimiste que Sidoine Apollinaire, qui
exprime à ce sujet de sérieuses inquiétudes. Dans une lettre à
l'évêque Basile d'Aix, il se plaint de la fausse sécurité des pontifes
qui ne voulaient pas voir le danger, et qui laissaient l'hérésie ravager
impunément leurs troupeaux. «Qu'il me soit permis, écrit-il, de le dire
sans manquer de respect aux évêques, je pleure sur les âmes
livrées à l'ennemi, qui profite du sommeil des pasteurs pour fondre
sur les brebis abandonnées[70].» Un de ces prédicateurs d'arianisme
parmi les populations catholiques était un certain Modahar, que
l'évêque Basile, dans une discussion publique, réduisit au silence,
ce qui lui valut les félicitations de son correspondant[71]. L'orthodoxie
avait les mêmes luttes à soutenir en Burgondie, et l'on voit par les
lettres de Sidoine que Patient de Lyon y défendit la vérité catholique
avec autant d'énergie que Basile l'avait fait à Aix[72]. Les apôtres de
l'arianisme pénétrèrent-ils plus loin, et vinrent-ils disputer aussi à
l'Église catholique les prémices de la nation franque? Nous avons
déjà indiqué que cela n'est guère probable, et c'est seulement sur la
foi de documents apocryphes qu'on a pu parler de l'arianisme de
Cologne[73] et de Tournai[74]. Mais ce que les missions ne faisaient
pas, la diplomatie pouvait le faire, et l'on a vu que la sœur de Clovis
avait été conquise à l'arianisme par les négociateurs du mariage de
Théodoric le Grand.
[70] Sidoine Apollinaire, Epist., vii, 6.
[71] Id., ibid., l. 1.
[72] Id., ibid., vi, 12.
[73] Le concile de Cologne, en 346, dans lequel Euphratas, évêque de cette ville,
aurait été déposé pour crime d'arianisme à l'instance de saint Servais de Tongres,
est une fiction dont je me propose de faire connaître un jour l'origine. Euphratas a
été une victime et non un fauteur de l'arianisme.
[74] Sur les sévices des ariens à Tournai et sur l'expulsion des catholiques, il n'y a
d'autre témoignage que celui d'un Vita Eleutherii, qui n'est pas antérieur au xie
siècle, et qui manque de toute autorité. V. l'Appendice.
Un peuple aussi ardent à propager sa foi chez les catholiques du
dehors devait résister difficilement à la tentation de l'imposer à ceux
du dedans, et la persécution religieuse était comme sa pente
naturelle. Mais les premiers rois visigoths étaient trop fins politiques
pour ne pas comprendre la nécessité de ménager l'Église, et ils
tinrent en bride les impatiences sectaires de leurs compatriotes. Ils
eurent des relations d'amitié avec plusieurs des grands prélats de la
Gaule méridionale; c'est ainsi qu'Orientius, le saint évêque d'Auch,
était le commensal de Théodoric Ier[75], et que Théodoric II parvint,
comme on l'a vu plus haut, à faire la conquête de Sidoine
Apollinaire. Quant au prince Frédéric, nous le voyons réclamer
auprès du pape Hilaire contre une élection épiscopale irrégulière, et
le pape parle de lui en l'appelant son fils[76]. Ces relations courtoises
auraient pu continuer longtemps entre l'Église et les rois: des deux
côtés on y avait intérêt. Mais le fanatisme grossier et aveugle des
masses barbares ne pouvait envisager sans défiance les preuves de
respect que leurs souverains donnaient aux prélats; elles y voyaient
une trahison, elles attendaient d'eux qu'ils les aidassent dans leur
conflit quotidien avec les orthodoxes. Pour résister à leur impatience,
pour leur refuser les mesures de rigueur qu'elles réclamaient à
grands cris, il eût fallu chez les rois une grande somme de justice,
de courage et de clairvoyance politique; il leur eût fallu surtout une
popularité bien assise, et une autorité qui ne tremblât pas devant le
murmure des foules.
[75] Vita sancti Orientii dans les Bollandistes, t. I de mai.
[76] Lettre du pape Hilaire à Léonce d'Arles dans Sirmond, Concil. Gall., I, p. 128.
Le moment vint où ces conditions ne se trouvèrent plus réunies sur
le trône. Euric devait sa couronne à un fratricide; il n'osa pas, en
donnant un nouveau grief à son peuple, s'exposer à s'entendre
rappeler l'ancien; il fut persécuteur comme ses prédécesseurs
avaient été tolérants, par raison d'État. Ce roi, qui se montra plein
d'égards pour l'Auvergne récemment conquise, jusqu'au point de lui
donner un gouverneur indigène et catholique[77], partageait, au
reste, les passions religieuses de son peuple. Le nom de catholique
lui faisait horreur; par contre, il professait un grand attachement pour
le culte arien, auquel il attribuait sa prospérité. On eût pu, dit un
contemporain, le prendre pour un chef de secte plutôt que pour un
chef de peuple[78]. La persécution cependant n'eut pas sous lui le
caractère de brutalité féroce qui marqua celle des Vandales
d'Afrique. On dirait plutôt qu'il chercha, dès les premiers jours, à
donner le change sur ses vrais mobiles, et qu'il voulut avoir l'air de
ne frapper que lorsqu'il était provoqué. Ce n'est pas qu'il reculât
devant l'effusion du sang: nous savons qu'il a immolé plusieurs
évêques[79], et une ancienne tradition locale nous apprend que saint
Vidien de Riez périt pour la foi sous les coups des Goths[80].
D'autres furent envoyés en exil, comme Sidoine Apollinaire, comme
Faustus de Riez, comme Crocus de Nîmes, comme Simplicius, dont
on ignore le siège. Mais c'étaient là des mesures isolées. Ce qui est
plus grave, c'est qu'Euric imagina de faire périr le culte catholique
par l'extinction graduelle de la hiérarchie. Il défendit de pourvoir aux
sièges épiscopaux devenus vacants, et c'est ainsi qu'en peu
d'années la tradition du sacerdoce fut interrompue à Bordeaux, à
Périgueux, à Rodez, à Limoges, à Javoulz, à Eauze, à Comminges,
à Auch, et dans d'autres villes encore. A ceux qui restaient, toute
communication fut interdite avec le dehors; éternelle et illusoire
précaution de tous les persécuteurs contre la puissance de la
solidarité catholique[81]! Les rangs du clergé inférieur
s'éclaircissaient rapidement, et, comme là aussi le recrutement était
à peu près impossible, l'exercice du culte catholique fut arrêté dans
une multitude d'endroits. Les églises abandonnées tombaient en
ruines, les toits s'effondraient, les épines envahissaient les
sanctuaires ouverts à tous les vents, les troupeaux couchaient dans
les vestibules des lieux saints, ou venaient brouter l'herbe au flanc
des autels profanés. Déjà les villes elles-mêmes se voyaient
envahies par ces vides de la mort, et les populations, privées de
leurs pasteurs et de leur culte, s'abandonnaient au désespoir[82].
[77] G. Kurth, Les comtes d'Auvergne au sixième siècle. (Bull. de l'Acad. Roy. de
Belgique, 1899, 11e livraison).
[78] Sidoine Apollinaire, Epist., vii, 6.
[79] Grégoire de Tours, ii, 25.
[80] V. sur saint Vidien les Bollandistes du 8 septembre, t. III, p. 261.
[81] Sidoine Apollinaire, iv, 10.
[82] Le principal document pour l'histoire de cette persécution est la lettre de
Sidoine Apollinaire, vii. 6, reproduite, avec quelques inexactitudes, par Grégoire
de Tours, ii, 25. Le persécuteur a eu plus d'un apologiste qui a trouvé plaisant,
comme fait encore Dahn, Kœnige der Germanen, V, p. 101, de voir dans
l'oppression des consciences catholiques «une mesure de légitime défense contre
l'opposition tenace et dangereuse que les évêques catholiques faisaient partout au
gouvernement». Est-il besoin d'ajouter que Dahn ne fournit pas la moindre preuve
de cette opposition tenace et dangereuse? Kaufmann, Deutsche Geschichte bis
auf Karl den Grossen, Leipzig 1881, t. ii, p. 53, se gêne encore moins. Après un
hymne en l'honneur de la «modération» des rois wisigoths, il dit que si Euric et
Alaric ont exilé ou emprisonné plusieurs évêques et laissé leurs sièges vacants, ce
fut «parce que ces évêques conspiraient avec l'ennemi, ou du moins qu'ils en
étaient soupçonnés. La légende a fait de ces évêques des martyrs, mais il n'y a
pas de doute qu'ils aient été des criminels politiques. Ni la bonté ni la sévérité ne
parvenaient à dompter ces audacieux conspirateurs, etc.» Et, encore une fois,
pour étayer des accusations si graves et si précises, pas l'ombre d'un texte! Il faut
protester hautement contre des procédés de ce genre, qui auraient bientôt fait de
transformer l'histoire en roman. Cf. Malnory, Saint Césaire, p. 46, qui, tout en se
montrant d'une certaine timidité dans l'appréciation de la politique religieuse des
rois visigoths, proteste cependant avec raison, dans une note, contre la tendance
qui «paraît être d'intervertir les rôles de parti pris, en donnant raison aux barbares,
et en réservant tout le blâme pour les Gallo-Romains.»
Ces rigueurs n'avaient toutefois rien d'uniforme, rien de général. Si
elles s'inspiraient d'un plan systématique, il n'y paraissait guère; une
royauté barbare est trop peu armée pour atteindre également, par
des mesures administratives, toutes les provinces d'un vaste
royaume. Qu'on ne s'étonne donc pas de voir, au plus fort de la
crise, la vie catholique se dérouler tranquillement partout où la
persécution n'était pas organisée sur place, des églises se bâtir et
se consacrer[83], des monastères se fonder[84], et, bien plus, des
officiers du roi, des ducs et des comtes, intervenir généreusement
dans les frais de ces fondations. Le duc Victorius, nommé
gouverneur de l'Auvergne par Euric, ne craignit pas de bâtir une
église à Brioude[85], et lorsque mourut saint Abraham, c'est lui qui
prit à sa charge les frais des funérailles[86]. Le roi tolérait cela et ne
pouvait guère s'en plaindre; au contraire, les mêmes raisons qui le
faisaient céder à la fièvre persécutrice des Visigoths lui faisaient
désirer de ne pas pousser à bout la population romaine d'une
contrée récemment conquise, et il ne devait pas être fâché d'avoir
autour de lui des ministres qui, discrètement, réparaient une partie
du mal et réconciliaient la dynastie avec quelques-unes de ses
victimes[87].
[83] Sidoine Apollinaire, Epist., iv, 15. Cf. Revillout, p. 144.
[84] Vic et Vaissette, Histoire du Languedoc, t. I. p. 238.
[85] Grégoire de Tours, ii, 20.
[86] Sidoine Apollinaire, Epist., vii, 17.
[87] G. Kurth, o. c.
A tout prendre, grâce à l'impardonnable aberration du
gouvernement, la situation était singulièrement troublée, et la
clairvoyance politique la plus élémentaire suffisait pour en
comprendre le danger. Comme il arrive toujours, lorsque la
persécution s'abat sur une cause juste, elle stimule et relève le
moral des persécutés. Ces molles populations d'Aquitaine, si
amoureuses de la vie facile, si accueillantes pour le maître barbare,
si vite consolées de la disparition des empereurs, se redressèrent
sous l'affront qu'on faisait à leur foi: elle leur devint plus chère quand
ils la virent opprimée, et les plus indifférents retrouvèrent pour elle
une certaine ardeur patriotique. Et puis, les Aquitains tenaient à leurs
évêques; c'étaient les pères et les défenseurs des cités; on les avait
trouvés sur la brèche chaque fois que l'heure était venue de mourir;
on se souvenait que plusieurs avaient sauvé leur ville, et on se
rappelait avec fierté l'audace du barbare domptée par la majesté
surhumaine de l'homme de Dieu. La guerre faite à l'épiscopat
révoltait donc tout ce qu'il y avait de plus généreux et de plus fier
dans les âmes: tout catholique se sentait atteint dans ceux qu'il
regardait comme des chefs et comme des pères. Le dualisme
jusqu'alors dissimulé entre Goths et Romains reparaissait dans toute
son acuité; en face des barbares hérétiques, toute la population
romaine se retrouvait unie dans un commun sentiment d'exécration.
Tel était le fruit des mesures persécutrices d'Euric: elles avaient
produit ce que n'avaient pu des années entières de pillages et de
spoliations; elles avaient ressuscité le patriotisme romain de la
Gaule, et rappelé à chaque habitant que le Visigoth était un
usurpateur étranger.
Euric mourut en 484, au milieu des mécontentements croissants
causés par sa politique, léguant un triste héritage à son fils Alaric II.
Le royaume ne tenait debout que par la force; dans chaque ville, une
poignée d'hérétiques se faisaient les tyrans de la population; le
moindre événement pouvait amener une explosion. Et précisément à
l'heure où disparaissait l'homme puissant qui avait créé cette
situation et qui semblait jusqu'à un certain point la dominer, on voyait
surgir à l'horizon la monarchie jeune et hardie du peuple franc. En
quelques années de temps, elle était devenue la voisine des
Visigoths sur toute l'étendue de la Loire, et elle plaçait, en face des
catholiques opprimés dans ce malheureux royaume, un spectacle
bien fait pour exciter leur envie et leurs regrets. Dans cette nation à
qui tout souriait, leur religion était celle de tous, le roi recevait la
bénédiction de leurs évêques, et, selon l'expression de saint Avitus,
chaque victoire du souverain était un triomphe pour leur foi.
Quelle éloquence il y avait dans ce simple rapprochement, et avec
quelle force persuasive les faits devaient parler aux esprits! Les
Visigoths le comprirent peut-être avant les catholiques. Ils se
rendirent compte que la présence d'un royaume orthodoxe à leurs
frontières était pour leurs sujets catholiques le plus formidable appel
à la défection. Il les accusèrent de trahison et de sympathies
franques sur la seule foi des légitimes sujets de mécontentement
qu'ils leur avaient donnés. C'était leur conscience de persécuteurs
qui évoquait le fantôme de complots imaginaires. Comme au temps
de l'Empire, quand on prétendait que les chrétiens se réjouissaient
de chaque désastre public, de chaque victoire des Perses ou des
Germains, de même on entendit retentir tous les jours, à l'adresse
des catholiques, les mots de traîtres à l'État et d'ennemis de la
patrie. Et certes, s'il suffisait des calomnies des persécuteurs pour
faire condamner leurs victimes, il faudrait croire que le royaume
visigoth a succombé sous les intrigues des catholiques d'Aquitaine
au moins autant que sous les armes de Clovis. La vérité, c'est que,
si les accusations reparaissent sur toutes les pages de l'histoire de
ce temps, on n'y trouve pas la moindre trace des prétendus
complots. Il n'y avait d'autre révolte que celle des consciences
opprimées; il n'y avait d'autre conspiration que le mécontentement
universel d'une nation blessée dans ses sentiments les plus chers.
Les oppresseurs n'avaient pas le droit de se plaindre de ces
dispositions, qu'ils avaient créées[88].
[88] Cf. Malnory, Saint Césaire, p. 91, avec lequel je me rencontre fréquemment
dans l'appréciation de ces questions délicates, si étrangement défigurées par les
historiens du parti-pris.
Le gouvernement eût pu, au lendemain de la mort d'Euric, liquider le
passé et inaugurer une politique nouvelle: peut-être était-il temps
encore. Le comprit-il, et se rendit-il compte de l'abîme qui allait
s'ouvrir sous ses pas? Nous n'en savons rien. Un incident en
apparence futile nous révèle le profond dédain avec lequel on
continuait de traiter les catholiques dans les régions officielles, et
l'étourderie avec laquelle on courait au-devant de leur ressentiment.
A Narbonne, il y avait une église catholique dont le campanile
enlevait au palais royal la vue de la Livière. La cour ordonna de le
faire abattre, et cet incident, qui en d'autres circonstances aurait
passé inaperçu, devint, à ce qu'il paraît, quelque chose comme un
scandale[89]. Dans l'état où se trouvaient les esprits, rien n'était plus
facile à prévenir. Les ministres du roi, en froissant inutilement la
susceptibilité religieuse d'une ville entière, prouvaient tout au moins
combien ils avaient peu l'esprit politique, et à quel point l'intelligence
de la situation leur manquait.
[89] Grégoire de Tours, Gloria Martyrum, c. 91.
Il faut cependant rendre au gouvernement cette justice que, depuis
l'avènement d'Alaric II, la persécution ne paraît plus avoir été
organisée par le pouvoir, mais par le peuple visigoth lui-même. C'est
l'aveugle et grossier fanatisme des minorités barbares qui mène la
campagne contre l'Église: l'État se borne à laisser faire, ou encore
obéit à la pression qu'exercent sur lui les zélateurs ariens. Voilà
pourquoi, sous le règne d'Alaric plus encore que sous celui de son
père, la lutte religieuse revêt un caractère local. Telles régions
semblent entièrement épargnées par la fièvre des violences: telles
autres en souffrirent d'une manière ininterrompue. C'était le cas,
notamment, des villes voisines de la frontière franque, où, à cause
de la proximité d'un royaume orthodoxe, les catholiques se sentaient
plus forts, et où les hérétiques se montraient plus défiants. Tours
surtout, ce grand foyer religieux de la Gaule, où accouraient les
fidèles de tous les pays, Tours, dont la province ecclésiastique était
comprise presque tout entière dans le royaume de Clovis, devait
éveiller au plus haut degré la sollicitude inquiète des Visigoths.
Comment le chef du troupeau catholique dans cet avant-poste du
royaume hérétique eût-il pu être épargné par l'accusation de
trahison? Il ne le fut pas. Saint Volusien, qui occupait alors le siège
pontifical, fut chassé, emmené captif à Toulouse et traîné plus tard
en Espagne, où il mourut dans les tribulations[90]. Son successeur
Verus eut la même destinée: lui aussi fut accusé de conspirer avec
les Francs, et arraché à son troupeau. Le vieux Ruricius de Limoges
dut prendre à son tour le chemin de l'exil; nous le retrouvons à
Bordeaux, où l'ombrageux tyran aimait à mettre en observation les
hommes qu'il poursuivait de ses injustes soupçons[91].
[90] Grégoire de Tours, ii, 26, et x, 31.
[91] Sur l'exil de Ruricius, voir ses Epistolæ, 17, et sur son séjour à Bordeaux,
ibid., 33. Cf. la préface de Krusch, pp. lxiii-lxiv. Quant à saint Quentien de Rodez,
il ne fut pas chassé de son diocèse sous le règne d'Alaric II, car nous le voyons
siéger aux conciles d'Agde en 506 et d'Orléans en 511; sa fuite à Clermont eut lieu
quelques années après cette date, pendant le temps que les Goths avaient
momentanément repris le Rouergue. C'est Grégoire de Tours, ii, 36, qui s'est
trompé en antidatant ces événements. Voir A. de Valois, I, p. 218 et suiv., et
Longnon, p. 518.
Mais de toutes les victimes de la jalousie des Visigoths, la plus
illustre fut sans contredit le grand homme qui était alors métropolitain
d'Arles, et la plus brillante lumière du royaume d'Aquitaine. Avec
saint Remi et saint Avitus, saint Césaire forme la triade sacrée en
laquelle se résumaient alors toutes les gloires et toutes les forces de
l'Église des Gaules. Il ne fut pas appelé, comme eux, à jouer un
grand rôle politique: il ne devint pas, comme Remi, le créateur d'une
nation et l'oracle d'un grand peuple, ni même, comme Avitus, le
conseiller et l'ami d'un roi; mais comme docteur catholique et comme
maître de la vie spirituelle, il n'eut pas d'égal au sixième siècle.
Pasteur du troupeau catholique dans la grande ville romaine qui était
tombée l'une des dernières aux mains des Visigoths, et entouré par
les fidèles de son Église d'une vénération sans bornes, il ne pouvait
guère échapper aux suspicions des ariens. Seulement, comme il
était Burgonde d'origine, étant né à Chalon-sur-Saône, et que les
Francs étaient bien loin, c'est à ses anciens rois qu'il fut accusé de
vouloir livrer sa ville. Ceux qui se sont fait l'écho de cette calomnie
n'ont pas réfléchi que Gondebaud était arien, et qu'il n'y avait pas
d'apparence qu'un évêque catholique trahît un monarque arien pour
un autre[92]. Mais les passions ne raisonnent pas. Césaire était
l'objet de la haine des ariens, et les ariens étaient les maîtres: il fut
enlevé à son siège et exilé à Bordeaux[93].
[92] On est étonné de retrouver cette accusation dans le livre d'Arnold, Cæsarius
von Arelate, dont l'auteur fait généralement preuve d'indépendance d'esprit et
d'une critique large et ferme. Selon Arnold, Césaire a rêvé de livrer Arles aux
Burgondes, parce que, sujet de Gondebaud, il aurait pu combattre avec plus de
chances de succès les prétentions de saint Avitus de Vienne à la primatie. Rien de
plus invraisemblable en soi, et de plus contraire aux sources.
[93] Vita sancti Cæsarii, i, 12; dans Mabillon, Acta Sanct., t. I, p. 640.
Pendant qu'ils expulsaient ainsi de leurs diocèses les plus grands et
les plus saints évêques du pays, les Visigoths y laissaient pénétrer
un prélat étranger, proscrit et fugitif, qui ne cherchait qu'un coin de
terre pour y mourir tranquille, et qui, à son insu, devait devenir le
plus redoutable agitateur des catholiques d'Aquitaine. Il s'appelait
Eugène, il était évêque de Carthage, et il avait été à la tête de
l'Église d'Afrique au cours de l'atroce persécution par laquelle les
Vandales avaient fait revivre les jours les plus sombres du règne de
Dioclétien. Eugène était entouré de la double auréole du confesseur
et du martyr. Il avait confessé la foi devant les rois persécuteurs, il
avait souffert la déposition, l'exil, les outrages et les mauvais
traitements quotidiens; frappé enfin d'une sentence capitale, il avait
été mené au champ du supplice, et, après avoir assisté à l'exécution
de ses collègues, il s'était vu subitement gracié, à une heure où il
n'avait plus rien à attendre de la vie ni rien à craindre de la mort.
Enfin, il avait été relégué en Gaule, comme si, en le mettant sous la
surveillance des persécuteurs de ce pays, les persécuteurs d'Afrique
avaient voulu garder comme otage l'homme dont ils n'avaient pas
osé faire un martyr! Calcul funeste, puisqu'en offrant dans sa
personne, à des populations catholiques, le témoin vivant des excès
du fanatisme arien, ils fournissaient à leur haine de l'arianisme un
aliment efficace. Pour les Aquitains, les Visigoths devinrent
solidaires de toutes les atrocités de la persécution vandale; plus on
vénérait les vertus et la sainteté de la noble victime, plus on
abhorrait des maîtres en qui on voyait les complices de ses
bourreaux. Eugène mourut à Albi en 505, après avoir fait rayonner
dans sa personne, aux yeux de toute l'Aquitaine, l'éclat des plus
hautes vertus et le mérite des plus saintes souffrances. A son insu,
comme nous l'avons dit, il avait plus que personne contribué à miner
l'autorité de l'arianisme en Gaule[94].
[94] Sur lui, voir Grégoire de Tours, ii, 3; et Gloria Martyrum, 27; Victor de Vita et le
Vita sancti Eugenii, 13 juillet.
Le gouvernement s'aperçut enfin que le sol se dérobait sous lui, et
que l'État allait s'effondrer. Partout autour de lui régnaient la
désaffection et le découragement. Il sentait, dans les sourds
grondements qui sortaient des masses populaires, les signes avant-
coureurs d'un orage terrible, et le bruit des acclamations qui
saluaient l'entrée de Clovis dans les villes du nord de la Loire avait
pour lui une signification sinistre. Il voulut alors revenir sur ses pas,
et il fit, sous l'empire de la peur, les démarches qu'auraient dû lui
dicter depuis longtemps la justice ou du moins la prudence. Il montra
qu'il était assez fort pour ne pas céder, quand il voulait, aux
fantaisies persécutrices des Goths, et les sévices contre la
hiérarchie catholique cessèrent à partir du jour où ils semblèrent
désapprouvés par lui. Comme l'avait fait Gondebaud au lendemain
d'une expérience pénible, il imagina de donner une satisfaction aux
catholiques en réglant légalement leur situation, et le bréviaire
d'Alaric, résumé de la législation impériale fait pour leur usage, fut,
de même que la loi Gombette, quelque chose comme un
dédommagement accordé aux persécutés.
Ce ne fut pas tout. Allant plus loin dans la voie des réparations,
Alaric II rendit à leurs troupeaux les évêques déposés. De ce
nombre furent Verus de Tours[95], Ruricius de Limoges et saint
Césaire d'Arles; ce dernier, avant de reprendre possession de son
siège, avait eu la satisfaction de voir son accusateur confondu[96].
Bien plus, ce grand homme fut autorisé à réunir un concile national.
En effet, au mois de septembre 506, vingt-quatre évêques et dix
prêtres délégués d'autant d'évêques absents se réunirent à Agde,
dans l'église Saint-André. L'épiscopat catholique, après le rude