Dans toute la France, des monuments aux morts furent érigés pour que tous ces fantômes gardent un instant d’éternité : un nom, un prénom, deux dates… si peu. Et pourtant, quelle force dans ces listes gravées dans la pierre, comme une armée de sentinelles, pour rappeler à chacun l’inutile tuerie : « Attention, que chacun se souvienne, la guerre, c’est la mort, alors faites tout pour que jamais ne revienne le burin pour tracer d’autres noms, d’autres dates… »
Qu’avaient-ils pensé, ces gardiens silencieux de notre paix fragile, quand ils avaient entendu les coups qui sculptaient d’autres lettres pour les morts d’après, pour les morts d’autres guerres ? S’étaient-ils sentis trahis ? Désespérés par l’inutilité de leur propre mort ? Avaient-ils hurlé silencieusement sur le manque de vigilance des hommes ? Sur leur folie ? S’étaient-ils sentis coupables de ne pas avoir su retenir les fusils, ni faire taire les canons ? Et d’autres fantômes les rejoindraient sur les colonnes et les socles à l’entrée des villages.
À l’automne, j’allais intégrer le collège Henri-IV, ce grand changement bouleverserait notre petite famille. Quitter mon affectueux foyer, ma mère, ma petite Blanche et Louise serait très difficile. Maman préparait ce départ avec plus de sérénité grâce à la famille de Saint-Pons qui avait largement tenu ses promesses : en plus de la rente pour régler les frais de scolarité et la pension, Camille nous avait fait parvenir un gros colis contenant la base de mon trousseau. Mon parrain m’avait offert un cartable de cuir, très rare en ces temps difficiles, et une carte couverte de signes en braille :
« Ceci pour te féliciter de ton succès au certificat et de ton entrée au collège. Que ta maman ne me fasse pas de reproche, il s’agit de mon ancien cartable, il n’est donc pas neuf, mais j’espère qu’il te fera autant de profit qu’à moi. Lorsque tu seras médecin, c’est moi