– Voyez ce qui arrive quand on désobéit ! s’écria Larkam. Jeanne gisait devant l’Échelle, immobile. Ses yeux fermés pouvaient laisser croire qu’elle dormait, mais la position de sa tête n’allait pas avec son buste, comme si on avait voulu la tordre.
– Elle a cherché à grimper l’Échelle malgré les avertissements et elle s’est brisé le cou ! poursuivit Larkam devant nos visages décomposés. Jeanne était l’aînée des enfants réfugiés – nous venions de fêter ses dix-huit ans ; sa mort avait quelque chose d’irréel, comme ce qui arrivait ne suffisait pas à nos malheurs. Je sentais les tremblements de Salomé à mes côtés, statufiée comme les autres devant le cadavre. Jeanne était la maman de substitution des plus petits, la grande sœur des adolescents dont je faisais désormais partie, toujours aimable et courageuse quand il fallait descendre dans le puits. Elle était notre porteuse d’eau, la seule à avoir assez de cran pour se faufiler entre les parois, les outres à l’épaule, encordée pour ne pas sombrer dans le gouffre. J’avais la gorge serrée, incapable de comprendre son comportement. Larkam nous avait interdit de grimper sur la plate-forme, à la frontière entre notre monde clos et le danger du dehors : au-dessus de l’Échelle, l’air qui s’infiltrait entre les plaques d’aluminium à l’entrée, aussi infime fut-il, pouvait causer des cancers et d’autres maladies assez effrayantes pour qu’on s’en tienne éloignés.
– Jeanne a dû se sentir mal en grimpant là-haut, rumina Larkam, la tête basse pour marquer sa peine devant l’assemblée. Que cette tragédie vous serve de leçon, si jamais un jour l’un de vous ne respecte pas les règles ! Sa voix était forte sous les voûtes, rebondissait sur la roche et s’échappait par les galeries. Elle nous fit frissonner un peu plus, serrés les uns contre les autres pour tenir chaud à Jeanne. En vain.
Nous étions à peine trente dans la grotte, enfants et adolescents que nos parents avaient envoyés loin des champs de bataille. Évangélistes, nous avions grandi dans une communauté soudée, un peu hors du temps mais déjà préparée au pire. Dieu ferait un jour payer les péchés des Hommes, qui ne respectaient plus rien ; dès notre plus jeune âge, nous vivions dans cette crainte, malheureusement fondée. La guerre était tombée sur le monde sans que personne n’y croie, sauf nous. Les gens vaquaient à leurs occupations malgré les menaces, sourds ou ne voulant pas le savoir.