Humblement, ces mains qui vous soignent
Par Jacqueline Rozé
5/5
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À propos de ce livre électronique
C’est d’abord reconnaître un don, une vocation, un appel.
Être magnétiseur, c’est entrer en religion d’amour. Il faut pour cela avoir le désir de devenir presque parfait, apprendre l’humilité, savoir aimer votre prochain, ne jamais le juger, le comprendre et l’accepter tel qu’il est. Oui, c’est une vocation.
Jacqueline Rozé
Après avoir vécu plusieurs années à Chartres, quelques autres dans le Midi, où elle a exercé l’activité de magnétiseuse, Jacqueline Rozé est venue s’installer à Nantes où elle s’est lancée dans l’écriture. Elle a ainsi publié une dizaine d’ouvrages, des livres qui racontent sa vie, des romans inspirés de situations croisées, mais aussi des romans policiers inspirés de faits réels, et un recueil de poésies. « Le Chemin magnétique autour de la Terre » est son douzième ouvrage, un travail basé sur les études du docteur Franz-Anton Mesmer, chercheur alors fort décrié à son époque.
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Avis sur Humblement, ces mains qui vous soignent
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- Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Thanks to this valuable lady, merci de votre aide au nom de tous ceux que vous avez cotoyés.
Aperçu du livre
Humblement, ces mains qui vous soignent - Jacqueline Rozé
auteur
Mon père,
ce héros malgré moi
Il existe des liens étroits entre les faits qui ont marqué mon enfance et le fluide magnétique qui coule de mes mains. Comment les faire ressortir ?
Ma famille a eu de tout temps des rapports privilégiés avec le magnétisme. Aussi loin que notre histoire remonte, je trouve des magnétiseurs. Mon oncle et mon grand-père, tous les deux artisans et excellents maris, étaient connus à Pornic et dans les environs pour les soins qu’ils prodiguaient généreusement à ceux qui venaient vers eux. C’était, à ce qu’on en dit, deux joyeux compagnons, un peu bourrus, certes, mais qui avaient un cœur débordant d’amour pour leur prochain. Plus avant, mon arrière-grand-père, boucher à Sainte-Pazanne, dans la campagne nantaise, a laissé dans les annales de son village, le souvenir d’un rebouteux de talent chez qui l’on venait le soir, après le travail, ou le dimanche matin, pour se faire « tirer les feux » ou délivrer de quelques douleurs d’arthrose. Il y a certainement une prédisposition familiale peut-être incluse dans nos gènes (disons plus savamment dans l’ADN de nos cellules), mais aussi, je le crois, inscrite dans le psychisme héréditaire de notre famille.
Pourquoi moi ? Lorsque je plonge dans la généalogie de ma mère, je ne vois rien de tout cela. Des notables, tout ce qu’il y a de bien, de bons catholiques qui pensaient bien, comme ils l’avaient appris à l’école et chez monsieur le curé, et qui ne voyaient pas cette pratique d’un œil complaisant. Au demeurant, elle restait mal connue et était vilipendée à longueur d’année par ceux qui aiment l’ordre, les choses qui se voient, se touchent, se prouvent et ne sont pas discutables. Ce sont les mêmes, d’ailleurs, qui avec toute la logique de leur mauvaise foi, ne remettront pas une minute en cause, du moins publiquement, l’existence de Dieu !
Ah, si ! J’oubliais ! Un frère de ma mère pouvait également soigner avec ses mains, mais il n’en parlait pas et cachait sa pratique derrière la médecine des plantes qu’il affectionnait et professait, et dont il faisait profiter amis et cousins. C’était un prudent qui n’aimait pas les histoires.
Les préjugés vont bon train. Ces jugements ou ces a priori
que l’on ressasse sans y avoir réfléchi, simplement parce que papa, maman, la grand-mère ou le grand-père, l’instituteur et (preuve par neuf !) la télévision l’ont dit et nous ont demandé de les croire sans discuter. Eux, c’est-à-dire ils ou elles, vous les croyez sur parole, « ils ne vous mentiraient pas », ditesvous. En êtes-vous tellement certain ? On ne rend pas toujours compte du préjudice qui découle – autant pour soi-même que pour les autres – des jugements que l’on porte. Mais quand on le subit, cela fait toujours très mal. J’ai dû m’y habituer très jeune : quand on exploite le don que j’ai, quand plus tard on en fait un métier, ou plus exactement un service pour les autres, on doit accepter les critiques de ceux qui parlent sans savoir. J’en ai fait les frais.
De ma jeunesse, je ne garde pas bonne mémoire. Vais-je pour autant me plaindre et vous ennuyer avec mes malheurs intimes ? N’en avez-vous pas connu, vous aussi ? Peut-il vraiment se pencher sur les autres celui qui ne connaît de la vie que son lit de pétales de roses ?
Ma mère a été malheureuse, c’est certain, et il est fort possible que ses souffrances m’aient marquée par ricochet. Tout avait pourtant bien commencé pour elle. Jusqu’à l’âge de quatre ans, elle avait vécu avec ses parents, heureuse et comblée, aimée. Rien à dire : le bonheur tranquille d’une vie qui s’annonçait plutôt bien, exempte de soucis et de maladies.
Et puis, brusquement, tout avait basculé. Sans doute parce qu’ils pensaient ne pouvoir décemment subvenir à ses besoins, ses parents la confièrent à une famille d’accueil. Il s’agissait de personnes de bonne condition, bien à tous égards, et qui promettaient de lui donner une éducation raffinée. C’était des personnes âgées, certes, mais qui s’en occupèrent bien.
Cependant, quelques années plus tard, le vieil homme fut emporté par une crise cardiaque. Son épouse ne s’en remit pas et fut à son tour confiée à une maison de retraite.
Maman revint chez ses parents. Elle n’avait pas huit ans. Mais son frère et sa sœur, probablement jaloux de cet intermède chez des personnes plus riches et socialement plus élevées, lui réservèrent un accueil plutôt glacial.
Passèrent quelques années et, à trois semaines d’intervalle, elle perdit à son tour ses parents : son père, d’un tétanos contracté en se piquant le doigt sur un vieux clou rouillé,et sa maman, d’un cancer. Que de bouleversements pour cette enfant ! Comment oublier, se croire aimée, et par qui, accepter la vie telle qu’elle vient, s’accepter soi-même, s’aimer ?
Cet amour qui lui a tant fait défaut, elle n’a jamais pu m’en donner ma part, une toute petite part qui aurait fait vivre mon cœur. Non, je n’ai rien reçu d’elle, pas une once. C’est ainsi ! Elle n’y est pour rien. Je ne la blâme pas. Ma solitude et ma douleur sont les miennes : en venant sur cette terre, j’ai choisi ma mère. C’est la loi de la vie. Il me fallait apprendre à aimer. C’est fait : aimer, c’est donner quand on n’a pas reçu.
Pour maman, c’était plus difficile. On lui avait donné l’amour, puis on le lui avait repris, ainsi que la tendresse et l’affection. Ce fut son lot. Elle n’a pas compris, elle ne s’est pas dépassée. Voyez, c’était à moi de le faire et de reprendre par là le don qui me venait du côté maternel. La destinée…
Je suis née deux jours avant le printemps. J’avais un grand frère de huit ans déjà. Maman, à ma naissance, n’avait que vingt et un ans. Elle était mariée à un homme de dix ans son aîné et, naturellement, elle n’avait rien appris des choses de l’amour. Je ne crois pas qu’elle ait été heureuse dans cette relation. Mon père, en effet, avait toute la rudesse d’un homme qui n’avait pas connu sa mère et avait été privé de joie, de tendresse et de bonheur durant toute son enfance. Elle était bien trop jeune et inexpérimentée pour savoir comment ouvrir la carapace sous laquelle son cœur battait encore faiblement. Elle n’en eut pas le temps, d’ailleurs car, onze mois après leur mariage, j’arrivai.
Toute petite déjà, je me sentis différente des autres enfants et, soit par peur, soit par instinct pour me protéger, je me tenais à l’écart. Dans notre appartement, je n’éprouvais pas le besoin de me déplacer d’une pièce à l’autre, comme le font généralement les enfants. À dix-huit mois, je ne marchais pas, me contentant de sauter à pieds joints quand l’envie me prenait de faire un peu d’exercice. Si bien que mon père ramena un jour une colombe qu’il avait achetée sur le marché de la place Émile Zola :
– Regarde cette colombe, me dit-il. Je vais la mettre dans la volière, au fond du jardin. Quand tu sauras marcher, tu pourras aller la voir ! Ah mais !
Je me vois encore dans les bras ou dans les jupes de maman, alors que j’avais à peine trois ans. Je ne pouvais pas me résoudre à la quitter. Est-ce à dire que je pleurais dès qu’elle me posait à terre ou me couchait dans mon berceau ? Probablement, mais de cela, je ne me souviens pas ! Se rappelle-t-on les mauvais souvenirs de la petite enfance ? Je ne fais allusion ici, bien évidemment, qu’aux petites contrariétés et aux gros chagrins d’une enfant qui fut malgré tout choyée par ses parents.
Ils avaient pris en gérance une petite poissonnerie, rue Mazagran, dans le quartier de Canclaux, à Nantes. Mais mon père travaillait sur les chantiers de reconstruction dans les spécialités de la maçonnerie et du carrelage. Ma mère, seule, tenait le petit commerce. Très tôt le matin, elle allait s’approvisionner sur le port quand les bateaux mareyeurs apportaient leur pêche. Puis elle préparait les poissons et garnissait l’étalage. Le magasin restait ouvert toute la journée pour satisfaire les désirs d’une clientèle bourgeoise et exigeante. Dans ces conditions, me garder à la maison n’était pas de tout repos, car j’étais espiègle et me sauvais à tout instant pour aller jouer dans la rue ou quémander tantôt une friandise chez l’épicière, tantôt un bonbon chez le boucher qui avait les meilleures dragées du monde. Je m’ennuyais lorsqu’elle me laissait seule dans le petit appartement que nous occupions au-dessus de la poissonnerie. Combien de fois suis-je donc descendue, dès la fin de ma sieste, parfois à moitié nue, sans attendre que maman monte pour m’habiller ? Cela horrifiait les vieilles dames et les clientes de ce quartier très chic.
Il fut question de m’inscrire à l’école, et ce ne fut pas une mince affaire ! Pendant des semaines, je me roulai par terre dans la classe ou dans la cour de récréation, réclamant ma mère au milieu de mes sanglots. Cependant, je ne réussis pas à faire céder l’institutrice. Par contre, la vieille dame qui avait la charge de me garder le jeudi, se lassa vite de mes colères et de mes refus malgré ses efforts pour me gâter de crêpes, de galettes et de gâteaux fourrés tandis qu’elle tirait de son vieux phonographe à pavillon toutes les chansons enfantines du répertoire.
J’étais ainsi, vive et spontanée avec les autres enfants de mon âge, que j’aimais le plus naturellement du monde, mais également un peu en marge, réservée, comme si je devais absolument faire attention… Mais, à qui ? Moi ? Bien sûr que non ! À quelque chose de très précieux que j’avais en moi et qui me paraissait fragile, ténu. Un lien, un tout petit fil, mais que reliait-il ? À vrai dire, à cet âge, je n’en savais rien. Je me contentais de ne pas exposer ma sensibilité toute neuve aux rudoiements de mes petits camarades de jeu. Je n’avais pas besoin comme eux de m’extérioriser violemment, notamment pendant le temps des récréations. Tout en moi et sur moi coulait doucement : l’énergie, les choses bonnes ou mauvaises, le plaisir et les peines.
La vie a grandi en moi. J’ai appris à souffrir tous les jours, à chaque instant, en silence. À quoi bon réclamer et se plaindre ? C’est peine perdue.
Les jours se succédaient, ainsi que les classes et les apprentissages de toutes sortes. Je vivais dans mon petit monde. J’osais à peine ouvrir les yeux sur ce qui m’entourait. Franchement, autour de moi, je ne voyais rien de vraiment beau.
J’avais un oncle qui habitait à la campagne, au village des Couets, dans une vaste ferme qui, jadis, faisait office de monastère. Nous y allions souvent, le dimanche ; tantôt pour nous délasser, tantôt pour aider aux travaux de la ferme : les foins, la cueillette des pommes, les vendanges. Moi, j’aimais surtout la compagnie des bêtes, de la basse-cour à l’étable. C’est là que j’ai pris le goût de la nature, que j’ai appris le respect de la vie. Mon oncle était un homme droit et sincère, aimant la vie, amoureux du beau et serviteur du bien. La guerre de 1940 lui a malheureusement tout pris et il a fini bien tristement.
À la maison, on ne parlait pas de rebouteux ni de guérisseurs. Les mots autant que la chose elle-même étaient bannis. Avec le recul, je suppose que mes parents craignaient d’être montrés du doigt. Si l’on avait su… Car ils s’étaient rendu compte que j’avais le don ! Oh, pas grand-chose, au début. Par exemple, je faisais éclore les boutons de rose en quelques minutes, quand je les plaçais entre mes mains. C’est ainsi que je pouvais offrir à maman, bien avant le temps des fleurs, des bouquets d’églantine. Les animaux venaient vers moi et me présentaient spontanément leur flanc, un jarret blessé ou rhumatisant. Je passais discrètement mes mains sur eux. Les adultes ne voyaient rien ou faisaient semblant. J’avais quatre ans et un chiffon en guise de poupée.
Puis un jour, la guerre arriva ; à Nantes. Elle nous surprit. Mon père fut mobilisé…
Nous l’accompagnâmes jusqu’à la porte d’une caserne, un grand bâtiment gris aux allures sinistres. Il y pénétra et disparut bientôt à nos yeux. Maman pleurait. J’appris plus tard qu’il était envoyé sur le front des Ardennes. Il y resta durant toute la « drôle de guerre », attendant un adversaire qui ne venait pas. Et pour cause ! Cet ennemi était occupé à dévorer la Pologne et les Balkans. Nos armées auraient pu l’en empêcher, mais elles n’avaient pas d’ordre… Et sans ordre… n’est-ce pas ?
Quelques mois plus tard, dans la débâcle qui suivit l’invasion allemande, mon père prit un mauvais coup. Je ne le sus pas tout de suite, ni même comment maman apprit qu’il avait été blessé sur le front des Ardennes. Mais je me souviens des recherches qu’elle entreprit alors dans les hôpitaux de la région. Je l’accompagnais, affreusement angoissée. Plus nous cherchions, moins nous trouvions. C’était plus que désespérant ! Devant nous, les visages se fermaient. L’espoir tombait.
Finalement, des cousins retrouvèrent la trace de papa dans une maternité de Rennes, transformée en antenne chirurgicale sous contrôle allemand. Mon père avait été salement touché et son bras quasi arraché, si bien que l’amputation s’était imposée.
Dans le car qui nous emmenait vers Rennes, je frissonnais. Comment allais-je retrouver mon papa ? Maman, à son habitude, ne parlait pas. Elle n’a jamais su me prendre dans ses bras, me réconforter. Côte à côte, dans ce bus qui nous brinqueballait sur la route étroite, nous restions l’une et l’autre murées dans notre douleur.
Ce bras que mon père perdit sur un terrain d’aviation reste pour moi l’insigne de la lâcheté d’un très grand nombre d’officiers et de soldats dans cette armée de 1940, mal préparée, mal équipée, et démoralisée par les politiciens avant même d’avoir combattu.
Le terrain d’aviation était cerné par les troupes allemandes, la bataille était perdue d’avance. Mais il restait à défendre l’honneur des armes et la vie des hommes qu’on leur avait confiés. Les officiers qui commandaient avaient cependant préféré fuir dès les premiers échanges de coups de feu, pour échapper à l’hécatombe certaine. Ils avaient emprunté le dernier avion disponible, laissant leurs hommes sans chef et sans ordres, à la merci de l’ennemi. Quand l’assaut s’était achevé et que le silence était retombé sur les soldats martyrs, mon père gisait dans une mare de sang. Il respirait faiblement. Un officier français était encore là. C’était un Nantais, le capitaine A**. Lui, il n’avait pas fui. Il s’approcha et leurs regards se croisèrent. Au jeune chirurgien qui était là par hasard, et peu enclin à l’héroïsme, il donna l’ordre d’intervenir et de faire cesser l’hémorragie. L’autre s’exécuta de mauvaise grâce. Mais mon père fut sauvé.
Il ne se remit jamais de ce moment terrible. Le bruit de l’explosion, la chair déchirée, horriblement mutilée,