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L'ombre et la lumière: Grand Prix 2013 du Salon du Livre de Montagne de Passy.
L'ombre et la lumière: Grand Prix 2013 du Salon du Livre de Montagne de Passy.
L'ombre et la lumière: Grand Prix 2013 du Salon du Livre de Montagne de Passy.
Livre électronique423 pages6 heures

L'ombre et la lumière: Grand Prix 2013 du Salon du Livre de Montagne de Passy.

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À propos de ce livre électronique

L'audacieux voyage des profondeurs de la mine au toit du monde !

Andy Cave naît en 1966 dans une famille de mineurs du Yorkshire, au nord de l'Angleterre. Il quitte l'école sans diplôme à l'âge de seize ans pour travailler dans les mines de charbon, suivant une tradition familiale de plusieurs générations. "Un travail sale et harassant, dans un véritable enfer." À la même époque, il découvre l'escalade sur les falaises de sa région et c'est une révélation. Pris dans la tourmente de la grande grève des mineurs de 1984-1985, il quitte son job à la mine, reprend des études et devient l'un des meilleurs alpinistes britanniques, réalisant nombre d'ascensions d'envergure dans les Alpes et en Himalaya.
En 1997, il se lance avec cinq compagnons à l'assaut de la formidable face nord du Changabang, au nord de l'Inde. Une des plus belles montagnes au monde et une des ascensions les plus difficiles qui soient. Cette aventure marquera durablement l'alpinisme d'une page héroïque et tragique. 

Ce livre est lauréat du Grand Prix 2013 du Salon du Livre de Montagne de Passy.

Témoignage émouvant d'un monde disparu et grand récit de montagne, ce livre conte l'histoire d'un destin hors du commun d'une incroyable odyssée des ténèbres de la mine aux neiges de l'Himalaya.

EXTRAIT

Ma passion pour l’escalade et ce besoin de mettre toujours un pied devant l’autre avait commencé il y a bien longtemps, lorsqu’enfant, curieux de tout, j’escaladais sans cesse tous les versants du terril du puits local. Plus tard, comme jeune mineur, las de ce monde de crasse et d’obscurité, j’étais tombé amoureux du vrai jeu qu’est l’alpinisme. Cette nuit-là, approchant de notre tente sur l’arête en lame de couteau du Changabang, mon histoire d’amour avec l’alpinisme était sur le point de prendre fin. Les quatre jours suivants allaient être les plus éprouvants de ma vie.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Des tréfonds suffocants des mines du Yorkshire aux divins sommets himalayens, Andy Cave joue avec nos émotions aussi habillement que de ses piolets… - Detoutlahaut

À PROPOS DE L'AUTEUR

Alpiniste britannique mondialement réputé, Andy Cave a commencé sa vie active comme mineur dans les charbonnages du Yorkshire. Outre son métier de guide de montagne, il est aujourd’hui un conférencier très demandé et un écrivain maintes fois récompensé.
LangueFrançais
ÉditeurNevicata
Date de sortie11 déc. 2013
ISBN9782511013496
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    Aperçu du livre

    L'ombre et la lumière - Andy Cave

    choisi.

    Prologue

    Inde, 1er juin 1997

    Malgré une mauvaise visibilité, je sais que nous approchons du sommet du Changabang. Dix jours que nous nous escrimons contre cette dent de requin géante, faite de glace et de granite, subissons d’effroyables tempêtes et supportons des nuits longues et noires, essayant de dormir, suspendus à nos cordes ou assis sur des vires guère plus larges qu’un skate-board. Et voilà qu’une boule se forme au fond de ma gorge, que des larmes lentement voilent mon regard: nous sommes les premiers à gravir la face nord de l’une des plus belles montagnes de la terre!

    Dans le brouillard, je cadre Brendan dans l’objectif de mon petit appareil photo. Il s’approche du bord crevassé de la face est, qui plonge de façon vertigineuse sur 2500 mètres jusqu’au glacier, et je lui crie:

    « Ne va pas plus loin ! »

    Puis je le rejoins et pour célébrer l’événement, nous nous embrassons avant de nous agenouiller complètement épuisés dans la neige, en gardant la main près du piolet.

    Sur les sommets les plus raides de l’Himalaya, le succès n’est jamais garanti dans de nouvelles voies de difficulté extrême.

    Avec cette façon un peu agaçante, mais si agréablement réservée qui lui est propre, et son sourire découvrant le trou laissé par la perte de sa dent de devant, Brendan déclare:

    « Je suis vraiment enchanté! »

    Il me passe la gourde d’eau, j’en bois quelques gorgées entre deux accès d’essoufflement: à 6864 mètres, l’air est bien léger!

    Nous avons rêvé de ce moment, mais voilà que des nuages épais nous bouchent cruellement toute vue.

    « Nous pourrions être n’importe où, lui dis-je. Nous pourrions être en Écosse, dans ces satanées Cairngorms¹! »

    Tandis que je parle, les nuages descendent peu à peu sous nos pieds et face à nous apparaît la Nanda Devi ! Elle nous domine, nous nous levons avec respect. Cette montagne sacrée est si près que je peux presque la toucher ! Puis c’est le Dunagiri qui se dresse à l’ouest, et encore plus loin, au bout du tapis de nuages, la pyramide massive du Kamet. Un moment nous hésitons, pénétrés par la magnificence du toit du monde. Mais nous savons bien que l’atteinte du sommet ne représente jamais que la moitié du chemin: nous devons maintenant nous sortir de ce lieu majestueux.

    Il y a vingt ans, j’avais lu The Shining Mountain², cet incroyable récit. Ses images dramatiques m’avaient poursuivi alors que je travaillais comme mineur à Grimethorpe. Brendan l’avait sans doute lu pour la première fois alors qu’il étudiait à Cambridge. Le Changabang ensorcelle tous ceux qui l’aperçoivent. Pendant plus de cent ans, les explorateurs et géographes du Garhwal, dans la partie indienne de l’Himalaya – Britanniques pour la plupart – ont décrit dans leurs carnets de voyage leur émerveillement à la vue de cette montagne. Après la première ascension par l’équipe de Chris Bonington en 1974, la montagne devint une icône, une étape nécessaire pour l’élite des alpinistes qui y testaient leurs compétences et leur maîtrise de soi. Jamais je n’avais osé rêver me retrouver sur son sommet.

    À présent, nous reprenons nos piolets pour entamer la descente, mais un instant encore, nous nous attardons, comme suspendus dans ce merveilleux royaume. Des pentes douces nous conduisent à la brèche, connue sous le nom de « Cornes du Changabang »: une ligne courbe où deux parois rocheuses lisses et surplombantes se rejoignent. Nous luttons dans la neige qui nous arrive jusqu’à la taille et rejoignons une pente raide pour atteindre le sommet nord, légèrement en contrebas. Je jette un coup d’œil le long de la peu engageante arête sud-est et aperçois notre petite tente bleue, perchée sept cents mètres plus bas.

    Je me sens fatigué à présent, incapable de supporter au creux de mon estomac les douleurs provoquées par la faim. Brendan doit avoir encore une demie barre énergétique planquée quelque part ! Bien sûr, nous devons accepter ce manque de nourriture, mais mon angoisse, quant à moi, augmente à chaque minute. Je fouille désespérément le rabat de mon sac à dos et trouve le dernier biscuit chocolaté. Nous le partageons. La sensation de chaque grain qui fond sous ma langue, de chaque parcelle de sucre qui entre dans mon sang, me donne un intense sentiment de plaisir. Je fais en sorte de ne pas perdre la moindre miette prise entre mes dents. La seule nourriture qui nous reste se trouve dans notre tente: deux petites barres chocolatées pour chacun et un sachet de soupe, avec tout juste la réserve de gaz nécessaire pour faire fondre, puis bouillir la neige. Rien d’autre.

    Nous nous attachons avec notre corde de soixante mètres. Je descends en premier, mais passer en premier ou en second ne fait guère de différence sur une arête aussi raide et dentelée. Une glissade et le jeu prendrait fin. L’inconsistance de la neige fait qu’il est pratiquement impossible de trouver un endroit sûr pour s’arrêter et faire un relais. Je regarde sur ma gauche en bas de la face nord et en suis étourdi. La face sud, bien que moins raide, est tout aussi menaçante, avec ses falaises de glace surplombantes et ses crevasses béantes. Si l’un de nous tombe, la seule solution est que l’autre saute instantanément dans le vide du côté opposé de l’arête pour faire contrepoids, sinon nous tomberions tous les deux. Cette seule pensée ne fait qu’accroître ma nausée.

    Certes la descente facilite notre progression, tout comme, de temps à autre, la trace d’une marche taillée lors de notre ascension plusieurs heures auparavant, mais je trouve épuisant de me concentrer à poser soigneusement mes pieds à chaque pas. Nous allons plus lentement maintenant, la longue journée nous a marqués. Planter les piolets, frapper du pied gauche et ensuite frapper du pied droit. Piolets, pied gauche, pied droit. Piolets, pied gauche, pied droit. Lorsque la corde se tend, je m’agrippe et piétine la neige avec mes crampons pour former une petite plateforme, puis me sécurise à l’aide d’un piolet bien enfoncé.

    « Ça commence à bien faire, n’est-ce pas ? dit Brendan une fois arrivé.

    Je murmure entre mes lèvres craquelées et douloureuses:

    — Putain, oui ! »

    Alors qu’il poursuit sa descente le long de l’arête, j’appuie mon front sur la neige. Mais soudain, brusquement, je sors de ma somnolence. Un bruit ? Je regarde autour de moi, mais non, rien, seulement Brendan qui désescalade toujours régulièrement plus bas. Et pourtant, c’étaient bien des voix ! Je scrute la partie inférieure de l’arête. Là, là! Je peux voir bouger quelque chose. Beaucoup plus bas, une silhouette solitaire. Ainsi donc Mick et Steve nous ont finalement suivis dans la face nord, malgré le temps épouvantable.

    Je crie:

    « C’est toi, Steve ? Steve, c’est toi ?

    — Oui!

    Puis après une pause:

    — Comment ça va ?

    — Au poil ! »

    Ravi de les voir, je murmure en moi-même: « Oui, oui, oui ! » Je sais qu’ils ont des vivres en surplus. Deux jours plus tôt, j’avais craint le pire. Brendan avait délogé accidentellement deux grosses pierres qui étaient tombées comme des missiles sur leur petite tente de bivouac, trois cents mètres plus bas, tandis qu’ils dormaient. Miraculeusement, les pierres manquèrent leurs crânes de quelques centimètres et ils nous avaient à juste titre lancé une bordée d’insultes. J’étais convaincu qu’avec une tente si endommagée ils devraient faire demi-tour. Les cascades continuelles de neige poudreuse étaient presque venues à bout de notre propre détermination, même avec notre matériel intact. Ils avaient peut-être pensé comme nous que l’arête sud-est, bien qu’horriblement engagée, offrirait un peu de répit dans l’enfer blanc de la tempête qui faisait rage. Mick et Steve étaient certainement deux des meilleurs et des plus intrépides alpinistes au monde, aussi avaient-ils peut-être trop envie d’aller au sommet.

    Une fois assis et bien calé dans la neige, Brendan me crie de commencer à descendre.

    « Les autres ont réussi ! lui dis-je tout essoufflé à mon arrivée.

    — Génial ! » sourit-il.

    À cet instant, un rideau de nuages ascendants nous cache la vue du bas. Le temps semble ralentir alors que nous descendons lourdement l’arête jusqu’à l’endroit où je les ai vus. Une fois arrivés, nous n’apercevons que leurs deux traces dans la neige. Nous regardons par la brèche de la corniche d’où sans nul doute ils ont dû émerger de la face nord et voyons la trace de leurs pas sur la pente finale.

    La température plonge considérablement avec les derniers rayons du soleil et nous décidons de rejoindre notre tente, encore à une heure d’ici.

    Nous ne voyons pas, environ cent mètres plus bas dans la face sud, une sorte de masse gelée: nos deux amis dans un fatras confus et glacé de cordes, de crampons et de piolets.

    Ma passion pour l’escalade et ce besoin de mettre toujours un pied devant l’autre avait commencé il y a bien longtemps, lorsqu’enfant, curieux de tout, j’escaladais sans cesse tous les versants du terril du puits local. Plus tard, comme jeune mineur, las de ce monde de crasse et d’obscurité, j’étais tombé amoureux du vrai jeu qu’est l’alpinisme. Cette nuit-là, approchant de notre tente sur l’arête en lame de couteau du Changabang, mon histoire d’amour avec l’alpinisme était sur le point de prendre fin. Les quatre jours suivants allaient être les plus éprouvants de ma vie.

    1 Chaîne de montagnes située dans les Highlands en Écosse.

    2 Livre de Pete Boardman, publié en 1978, récit de sa première ascension du Changabang avec Joe Tasker.

    POUSSIÈRE

    « Vous pouvez vous improviser trimardeur en endossant quelques vieilles nippes et en vous présentant à la porte du premier asile venu, mais il n’y a pas de baguette magique qui puisse faire de vous un terrassier ou un mineur de fond… »

    George Orwell, Le quai de Wigan

    Chapitre 1

    Tendre adolescence

    Dans le film Kes, il y a une scène où l’agent du bureau pour l’emploi demande à Billy Casper le genre de travail qu’il voudrait faire à la fin de sa scolarité. Billy reste silencieux et sans réaction. Essayant de provoquer une étincelle en lui, l’homme lui suggère d’abord un travail de bureau, puis un travail d’apprenti. Billy regarde fixement par la fenêtre.

    « Eh bien, si tout ce que je t’ai déjà indiqué ne te convient pas et si tu peux supporter un dur labeur et que tu te moques de te salir, alors il y a de bonnes opportunités dans les mines…

    — Je ne descendrai pas dans le puits, réplique abruptement Billy.

    — Les conditions se sont énormément améliorées » prétend l’homme.

    Dans un élan de certitude, rare chez lui, Billy impose le silence à l’agent en déclarant:

    « Je ne veux pas mourir au fond d’un puits. »

    Au printemps 1982, alors âgé de quinze ans, j’assistai à un exposé sur les carrières professionnelles, tout juste à un kilomètre et demi à vol d’oiseau du lieu où Ken Loach avait tourné Kes. Comme Billy, je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire après l’école. Monsieur Taylor, notre professeur d’histoire, petit, ventru, portant des lunettes et surnommé « l’ours Paddington », s’adressait à l’ensemble des élèves. Il expliquait à quel point il était important que ceux qui ne resteraient pas à l’école jusqu’au baccalauréat commencent à réfléchir à leur avenir avant de franchir définitivement les portes de l’établissement scolaire. Tirant régulièrement sur sa moustache avec le pouce et l’index de sa main droite, il indiqua que dans ce dernier cours, il voulait que nous choisissions trois métiers par ordre de préférence.

    Pour moi, c’était le travail à l’air libre, à la campagne, qui m’attirait le plus. Au cours des dernières rares leçons sur les carrières possibles, je m’étais informé sur le travail réalisé à la Forestry Commission³. Travailler dans des régions éloignées d’Écosse, d’Angleterre et du Pays de Galles, brandir une tronçonneuse, voilà qui serait plaisant ! L’armée présentait aussi un certain attrait, en particulier les forces aériennes qui, je le croyais, passaient beaucoup de temps à voler avec des hélicoptères dans des zones maritimes exotiques. Mon choix était donc fait. En premier: « travail forestier », en deuxième: « les forces aériennes ». Je laissai en blanc le troisième, mais après réflexion, j’écrivis le mot « mineur ».

    Contrairement à Billy Casper, je ne rechignais pas à l’idée de travailler dans un puits de mine, même si ma mère, partageant les sentiments de Billy, déclarait régulièrement avec emphase:

    « Aucun de mes gamins ne descendra dans ce trou de merde ! »

    Mais les espoirs de ma mère pour ses deux fils, Jonathan mon frère de sept ans et moi, à savoir des métiers plus sûrs et plus propres, furent tenus en échec par la réalité économique locale: dans tous les villages autour de Barnsley, dans le Sud du Yorkshire, la mine offrait la meilleure paye. Tel avait été le destin de Royston, notre village, pendant plus de cent ans, malgré les récessions périodiques. Et maintenant encore, presque soixante pourcent des hommes travaillaient à la mine.

    En 1902, notre arrière-grand-père Joe avait émigré ici depuis le Black Country⁴ pour travailler au puits de Monckton, en plein développement. Ses deux fils, Arthur et Albert, le suivirent à la fin de leur scolarité. Albert devint le représentant local de la NUM⁵. Le fils d’Arthur, mon père, brisa la tradition familiale du travail à la mine en choisissant d’être employé à l’usine de fabrication de papier de Barnsley. Mais rapidement, il succomba à la tentation de l’argent et accepta un poste de travailleur en surface au puits de Grimethorpe, car le puits de notre village à Monckton venait de fermer. Dans la cour de récréation, les filles comme Maria, ma jeune sœur de treize ans, disaient qu’elles n’épouseraient jamais un mineur, car leur travail était sale et dangereux et les horaires d’équipes peu adaptés à une vie sociale. Mais les salaires attractifs et le charbon gratuit faisaient qu’elles y repensaient plus tard, particulièrement quand elles réalisaient que les possibilités de travail locales étaient limitées.

    J’attendais la fin de la leçon sur les carrières, mâchais mon crayon et regardais dehors, par la fenêtre du deuxième étage. Au-delà de la cour de récréation et des terrasses en briques rouges des jardins de Strawberry et de la rue Millgate, on distinguait les restes du puits de Monckton et plus loin encore, hors de vue cette fois, la nouvelle mine à extraction horizontale. Au-delà, dominant l’horizon, se dressait le terril géant gris-bleu de Monckton: notre montagne locale ! C’était la barrière qui nous séparait de Ryhill, Cudworth, Shafton et du reste du monde au sud et à l’est.

    Plus tard, ce soir-là, lorsque mon père rentra avec l’équipe de l’après-midi, je lui parlai de la leçon sur les carrières. Assis à table, il mangeait son pâté de foie et ses oignons, accompagnés comme toujours d’une énorme masse de purée de pommes de terre.

    « C’est vachement bon, ma chérie ! » cria-t-il à ma mère, dans la cuisine.

    Je lui expliquai que la sylviculture était mon premier choix, puis l’armée et enfin la mine.

    « Eh bien, juste au cas où tu n’aurais rien, j’ai échangé quelques mots avec Frosty et il a noté ton nom. »

    Monsieur Frost était le directeur du personnel à la mine de Grimethorpe, l’une des plus grandes de la région. Avoir un père qui travaille dans un puits local, qui a une bonne réputation et qui peut « échanger quelques mots avec quelqu’un », était alors la meilleure façon d’obtenir un emploi dans les mines. Pendant des générations, le népotisme s’était imposé et maintenant plus que jamais, en avril 1982, en plein milieu d’une récession nationale, un solide héritage familial dans cette industrie valait son pesant d’or.

    Lentement, l’hiver fit place au printemps et, les jours passant, j’attendais de savoir quelles opportunités s’offriraient à moi. J’allai à un entretien à l’armée, mais je fus rejeté. Je crois que mes notes scolaires les avaient refroidis: même un poste de « chair à canon » dans l’infanterie semblait peu probable, alors aucune chance pour l’élite, les forces aériennes. J’étais dans le groupe de tête à l’école et je faisais preuve de certaines aptitudes, mais il semblait que « j’avais du mal à me concentrer » et à « respecter les consignes, même simples ». Aucune lettre ne vint non plus de la Forestry Commission. Lorsque je fus invité à un entretien à la mine de Grimethorpe, je crus donc sage d’y aller. La lettre me demandait d’apporter mes bulletins scolaires. Les enfonçant dans les poches de ma veste, je fis ainsi mon premier voyage jusqu’au puits.

    Les résidus de charbon se retrouvaient absolument partout dans le village si bien nommé de « Grimey⁶ ». Les trottoirs étaient couverts d’une fine couche de poussière de charbon humide et, en regardant par-dessus son épaule, l’on pouvait voir les traces de pas laissées derrière soi, comme si l’on avait marché sur du sable noir. Les bureaux de Monsieur Frost, le directeur du personnel, semblaient eux aussi couverts d’une couche plus fine de la même matière. Chaque objet, tasse, enveloppe, classeur ou vêtement portait au moins deux empreintes de pouces, noires.

    Monsieur Frost me fit entrer dans son bureau, sans aucune cérémonie.

    « Ce à quoi nous croyons ici, mon gars, c’est à une bonne journée de travail pour une bonne journée de paye. Qu’en penses-tu ? »

    Il avait l’habitude de fermer les yeux pendant qu’il parlait. Au moment où il les ouvrit, je répondis:

    « Ça me semble correct. »

    Feuilletant lentement mes bulletins scolaires, il en sélectionna deux et commença à les lire. Mes joues me brûlaient et je serrais les poings. Je m’agitais, je bougeais. J’essayais de visualiser les commentaires particuliers qu’il était en train de lire.

    L’un était bon:

    Anglais

    « Andrew possède un esprit vif que je compte exploiter au maximum. Dès qu’il sera capable de s’auto-discipliner, il ira loin. »

    Monsieur R. North.

    Mais la plupart étaient plutôt du genre:

    Arts ménagers

    « Andrew éprouve les plus grandes difficultés à se concentrer sur la matière. Respecter des instructions très simples semble hors de sa portée. »

    Madame B. Moore.

    Mathématiques

    « Andrew a fourni le strict minimum de travail avec le strict minimum d’efforts. Il doit vraiment se résoudre à changer d’attitude, faute de quoi il gâchera complètement ses possibilités. »

    Monsieur J. P. Lodge.

    Plaçant les bulletins en face de lui sur son bureau, Monsieur Frost ferma à nouveau les yeux et la tête penchée, commenta à ma plus grande surprise:

    « C’est à peu près le bon niveau, c’est ce que nous recherchons. OK, nous allons t’écrire pour te faire savoir la suite donnée. »

    À la sortie de son bureau, je vis un homme âgé, dans un costume en nylon, tenant une flasque, qui se plaignait de son salaire à des agents chargés de la paye. Je remontai la colline jusqu’à la station du bus, les roues de la machine d’extraction du puits numéro un tournoyaient derrière moi.

    Au début du mois, les troupes du général Galtieri avaient hissé le drapeau argentin sur les îles Malouines. J’avais lu quelque chose dans les journaux, mais cela me semblait si loin et si irréel. Le samedi suivant, pourtant, le directeur du supermarché coopératif local, où j’étais employé à mi-temps, me donna un ordre très curieux.

    « Je veux que tu vérifies chaque boîte de corned-beef et si elle vient d’Argentine, retire-la du linéaire et mets-la directement dans l’entrepôt. »

    En fait, la majorité du bœuf était argentin. Avec mon ami Bill, j’empilai les boîtes sur des chariots avant de les sortir du magasin et de les mettre dans l’entrepôt attenant. Le jeune Monsieur Jones et Terry, son responsable de l’entrepôt avec sa tête de cheval, y étaient très occupés à saisir sur les étagères les cartons fermés de boîtes de corned-beef, puis à taper dessus avec une telle force que le carton se fendait et que les boîtes rhomboïdes tombaient sur le sol en béton, où elles se fracassaient finalement avec un bruit tonitruant contre la porte de service métallique.

    « Putain de salopards d’Argentins ! » hurlait sans cesse le responsable de l’entrepôt tout en donnant un coup de pied dans un autre carton.

    Cette frénésie continua toute l’après-midi, stimulée par la nouvelle, émanant du petit appareil radio portatif, de la destruction du terrain d’atterrissage de Port Stanley par les bombardiers britanniques Vulcains. Enfin, lorsque toutes les boîtes de corned-beef eurent quitté la sécurité de leurs cartons pour être frappées au moins une fois à coups de pieds, Monsieur Jones quitta l’entrepôt, suivi de près par Terry. Il me cria par-dessus l’épaule:

    « Nettoie-moi tout ce désordre, s’il te plaît ! »

    Tout le hachis de corned-beef, spécialité locale et repas régulier hebdomadaire chez nous, disparut intégralement. Je pensai que, d’une certaine manière, nous devions nous serrer les coudes et montrer notre soutien aux femmes et aux hommes combattant pour ces îles quelque part dans l’Atlantique Sud.

    Quelques semaines plus tard, en rentrant à la maison, je trouvai ma mère assise, la tête dans les mains, sur le bord de notre canapé en nylon rouge avec de grands accoudoirs.

    « Tout va bien, maman ?

    — Non, rien ne va.

    — Qu’est-ce qu’il y a ?

    — Lis cette lettre ! »

    Je la pris, pensant que ce serait encore une lettre du directeur de l’école.

    National Coal Board

    Région de Barnsley

    Mine de Grimethorpe

    9 Avril 1982

    Cher Monsieur,

    Je suis heureux de vous informer qu’ à l’issue de vos examens médicaux, vous recevrez une offre d’emploi au National Coal Board.

    Vous serez informé par un autre courrier de la date, heure et lieu de votre visite médicale.

    Avec nos salutations,

    H. H. Frost

    H.H. Frost

    Directeur adjoint (Personnel)

    Mine de Grimethorpe

    « Saloperie de puits ! Après tout ce que j’ai fait pour toi. Quelle vie tu vas avoir ! »

    Elle restait assise là, à pleurer.

    « J’ai failli la jeter dans ce feu de merde. »

    Elle pleurait de frustration. Pendant près de seize ans, elle avait nourri des rêves sur ce que j’aurais pu devenir. Comme bien d’autres femmes de la région, elle avait supporté les grèves de 1972 et 1973 avec nous tous, travaillant sans arrêt dans les bars du coin et à la fabrique de vêtements. Elle avait toujours été d’accord avec l’action des syndicats et soutenu les hommes, fière de faire partie de cette industrie. Mais elle savait aussi que le travail de la mine était sale et dangereux.

    « Et pourquoi crois-tu que ton père n’est jamais descendu au fond du puits hein ? Pourquoi crois-tu qu’il travaille en surface ? »

    Lorsque mon père rentra à la maison, il ne sut que répéter encore et encore:

    « Je ne sais pas, Jen, essayait-il de la consoler. Je ne sais pas. C’est un travail tout de même, n’est-ce pas ?

    — C’est un travail ? C’est un travail ? Sacré nom, mais dis-lui toi, pourquoi tu n’es jamais descendu ! Vas-y!

    — Eh mon Dieu, Jen, fiche-moi la paix, s’il te plaît ! »

    Aucune des petites graines qu’elle avait semées n’avaient germé: les leçons de piano, la danse et les ballets latino-américains (quatre ans!), le club de natation, les scouts, le chant dans la chorale de l’église (dont Une fois dans la cité de David en solo à la messe de minuit). Tout cela pour rien et maintenant le puits ! Mais j’avais besoin d’argent. Je voulais une moto. Je voulais boire. Je voulais une aventure amoureuse. Et je voulais tout cela maintenant, pas demain, ni après-demain.

    Dans l’arrière-salle de la maison de mes grands-parents, il y avait une petite table de billard et ce printemps-là, j’y passai d’innombrables soirées, après l’école, à faire des compétitions amicales avec mon père et mon grand-père. Tous deux adoraient raconter des blagues. Mon père en rapportait de nouvelles à la maison après chaque journée de travail à la mine. Quant à Harry, mon grand-père retraité, il racontait chaque fois les mêmes classiques bien rodées. De temps à autre, Edith, ma grand-mère, arrivait et se tenait sur le pas de la porte, un mégot à la main, se mêlant aux rires, même si elle connaissait les chutes de son mari mieux que lui.

    Quand je racontai à mon grand-père que l’on m’avait offert un travail au puits, il me dit:

    « Rappelle-toi une chose, mon cher Andrew: le vendredi, ils te donnent juste assez d’argent pour être sûrs que tu pourras te servir de ton pic le lundi suivant. »

    Il parlait très sérieusement et les rides sur son front dégarni renforçaient le sérieux de sa déclaration. Quarante-six années au fond des puits l’avaient convaincu que le travail ne devait jamais être considéré avec le moindre romantisme. Le peu que je savais sur le monde souterrain de la mine, je l’avais glané en seconde main de mon père ou directement de lui.

    Harry était un conteur doué, à l’esprit vif. En dépit de son amour du billard et des courses de chevaux, le seul « hobby » comptant vraiment pour lui était l’élevage et les concours de lapins. Cet été-là, il commença à se plaindre auprès de mon père: cela devenait trop de travail pour lui et il ne savait pas combien de temps encore ses jambes pourraient le porter jusqu’au « Terrier », du nom de son jardin-ouvrier avec sa cabane emplie de lapins.

    À cette époque, lors d’une de mes visites avec lui au « Terrier », nous rencontrâmes l’un de ses vieux collègues en face du Midland Club, dont il avait été membre actif et secrétaire du club de lapins. De toute évidence, il y connaissait tout le monde et saluait chacun tout en marchant. Nouvel arrêt devant le Bush, le club des travailleurs, mon grand-père ayant besoin de reprendre son souffle. Son vieux landau était rempli à ras bord de paille et de nourriture pour lapins. La matinée était ensoleillée et nous croisâmes un autre homme. Ils parlèrent jockeys, écuries, poids tirés par les chevaux. Comme tant de vieillards de la région, l’homme marchait très lentement et à l’aide d’une canne. Comme nous le quittions, il s’appuya sur sa canne, puis se détourna pour libérer ses poumons. Quelque chose y semblait coincé et il pensait qu’en expectorant il allait pouvoir dégager cet objet qui lui faisait mal et semblait enfoncé profondément dans sa poitrine. Dans la région, les gens appelaient cela avoir de la poussière dans les poumons.

    Au cours des ans, le « Terrier » avait été réparé et consolidé de l’extérieur avec un bric-à-brac de matériaux, dont deux panneaux publicitaires métalliques bleus et rouillés. J’adorais cette cabane. J’adorais la vieille horloge et son tic-tac dans la pénombre. Les quarante clapiers couvrant toute la longueur du mur de gauche commençaient maintenant à s’animer. Les lapins me paraissaient tous identiques, mais apparemment certains avaient des épaules trop étroites, d’autres les oreilles pointues ou bien une fourrure trop douce ou trop laineuse. Ces derniers n’avaient pas droit aux voyages en train, ni aux lumières brillantes, ni aux podiums des compétitions régionales et nationales. Ces citoyens de seconde classe pouvaient être vendus comme animaux de compagnie ou, très occasionnellement et dans le pire des cas, donnés à ma mère pour un ragoût. Mais Harry lui-même ne mangeait jamais de lapin.

    « Eh bien Andrew, on fait un peu de ménage ? »

    L’odeur âcre de la paille trempée d’urine et du papier sur le sol des clapiers me faisait monter les larmes aux yeux pendant que je nettoyais. Saisir un lapin par la peau du cou, alors qu’il défendait résolument son territoire, me rendait aussi très nerveux. Quand nous eûmes terminé, nous fîmes une petite pause. Je m’effondrai sur les sacs de nourriture des lapins à l’extrémité de la cabane. Ce fut alors qu’Harry me parla de l’arnaqueur.

    Avant l’introduction des payes journalières, les mineurs travaillaient en équipes, avec à leur tête un ancien appelé Buttyman⁷. À la fin de chaque semaine, les hommes se réunissaient en nombre au Ship Hotel ou au pub Ring O’ Bells pour partager la paye. Souvent, leur premier shilling servait à payer une tournée de bière à l’ensemble de l’équipe. Certains avaient l’habitude de mettre de côté, pour Noël, l’argent gagné avec leur premier chariot de charbon de la semaine, « le chariot de Noël ».

    Plus tard, d’autres allaient jouer à « l’école de pile ou face », dans les champs près du pont qui enjambait le canal. En bas de la colline de Monckton, en lançant les dés, à pile ou face, un homme pouvait doubler ou perdre sa paye avant de rentrer chez lui. À Royston, la police intervenait régulièrement, tentant de disperser les groupes d’hommes. Les vendredis après-midi, après le partage, mon grand-père et ses collègues préféraient, eux, jouer aux cartes dans l’intimité du « Terrier ». Un jour, un étranger au district arriva au « Terrier » et demanda poliment s’il pouvait se joindre à la partie.

    « Pas de problème, mon vieux » lui répondirent-ils.

    Jouant avec des pennies, le nouveau venu commença par perdre. Mais, le temps passant, il se mit à gagner, à gagner continuellement.

    « Eh bien, tu sais, Andrew, il nous a pris jusqu’au dernier penny. C’était un arnaqueur ce type, un vrai, un professionnel. »

    Nous avons éclaté de rire ensemble. Après réflexion, je pense que les méthodes amorales de l’arnaqueur ne le fâchaient pas, mais qu’au contraire elles le faisaient rire, et un peu plus à chaque année qui passait et à chaque répétition de l’histoire.

    Mais il y avait d’autres histoires plus graves. L’une d’elles, que j’appris en seconde main de mon père, est restée gravée dans ma mémoire. Harry avait commencé à travailler à « l’époque du pic, du marteau et de la pelle », bien avant l’introduction des supports hydrauliques et des machines taillant le charbon à haute vitesse. Comme beaucoup d’autres, il allait de puits en puits à la recherche d’une meilleure paye. Pendant un temps, il travailla au puits de Carlton Long Row, à 1,5 kilomètre de Royston, dans la veine de Haighmoor, une veine de cinquante centimètres de diamètre. Avec ses épaules puissantes et larges, j’imaginais mal comment il pouvait balancer son pic dans un espace aussi étroit.

    Un matin semblable aux autres, il partit pour la tête du puits. S’il avait croisé une femme en chemin, il aurait aussitôt fait demi-tour pour rentrer chez lui: les mineurs de Royston pensaient que cela portait malheur de rencontrer une femme sur leur chemin avant de commencer le travail avec l’équipe de jour. Des voyants comme « Petit Joey » de la rue Meadow pouvaient parfois prédire les désastres. Mais cette fois, il n’avait donné aucun avertissement et les hommes fumaient tranquillement une dernière cigarette avant de descendre dans le puits.

    Après avoir pris leurs outils dans les casiers fermés à clé à l’entrée, au bout de la recette⁸, les hommes se levèrent et rampèrent dans leur taille. Ils laissaient souvent des habits derrière eux, à l’entrée. En effet, extraire le charbon est un travail exténuant à cause de la chaleur, il est donc bon de retrouver des vêtements secs pour rentrer. L’on évite ainsi « d’attraper la mort », à cause du puits constamment venté, en attendant la cage d’ascenseur, à la fin de son tour. Ils avaient avec eux leur casse-croûte habituel: un en-cas (normalement du pain et de la confiture ou des tartines à la graisse de viande), une chique de tabac et une gourde en fer blanc ou une bouteille d’un litre, remplie d’eau, appelée Dudley⁹.

    Harry et son équipe avançaient en travaillant régulièrement. Derrière eux était suspendue la lampe à huile de sécurité, dont la petite flamme bleue est sensible aux variations de niveau du gaz de méthane. Pendant qu’un des hommes maniait la pioche, couché sur le côté, un autre se reposait à l’arrière, à un endroit où le plafond était un peu plus haut, et pelletait le charbon dans le charriot. L’air était lourd d’humidité et les hommes transpiraient abondamment.

    Les étançons en bois, calés fermement contre le toit de pierre dure, commencèrent alors à chanter un peu. Harry et ses hommes savaient normalement traduire chaque plainte d’un étançon. Un homme dans la taille d’à-côté écouta le bruit fait par le bois. Il passa d’un étançon à l’autre, décida que tout allait bien et encouragea les autres à continuer leur travail. Plusieurs mineurs en profitèrent pour prendre une grande lampée de leur Dudley. Puis, rassurés, ils reprirent leurs mouvements rythmés de pic et de pelle. Quelques plaisanteries suivirent, signe de leur soulagement. Mais ils n’avaient pas bien interprété le bruit du bois.

    À peine cinq minutes plus tard, voilà qu’une fissure se forme sur toute la longueur du front de taille et, tout aussitôt, le toit s’affaisse sur eux. Pris d’une panique aveugle, ils hurlent, rampent comme des souris effrayées vers la sortie, chacun soulève la poussière avec ses genoux, l’air devient noir, épais comme un tissu de velours, suffocant. Le premier n’a même pas atteint la sortie que déjà les étançons s’effondrent sur le sol mou, comme un immense tas de bougies sur le gâteau d’anniversaire d’un enfant. Le temps s’est arrêté. Une douzaine d’hommes environ continuent à ramper pour sauver leur vie. Harry atteint la sortie, entend les briques et le bois qui s’écrasent derrière lui. Puis, c’est le

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