FRED: Roman
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À propos de ce livre électronique
J’ai écrit Fred presque d’une traite, dans un bonheur presque irréel. J’ai rédigé sous sa dictée, exprimé presque sereinement, ses abîmes et ses vertiges. J’ai fait le portrait d’un artiste, non pas méconnu, mais introuvable, d’un artiste insituable, sans autre vocation que l’émerveillement, la contemplation des splendeurs du monde.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Jadis chef d’entreprise, Christian de Maussion a entrepris des chefs-d’œuvre (De Gaulle, Staël). Il a fait paraître des textes dans Le Monde, Le Figaro, La Croix, Libération, Le Quotidien de Paris, Les Echos, L’Idiot International, L’Autre Journal, Les Cahiers de l’Herne (Serres, Weil). Il a participé à l’aventure emblématique de la gazette littéraire Matulu. Le blog A la diable consigne ses vilaines pensées. L’auteur aime lire, écrire, bref ne rien faire.
En savoir plus sur Christian De Maussion
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Aperçu du livre
FRED - Christian de Maussion
Du même auteur
Dancing de la Marquise (à paraître)
L’Amitié de mes Genoux
5 Sens Editions, 2018
La Cicatrice du Brave
5 Sens Editions, 2017
Ainsi soit Staël
Editions du Bon Albert, 2013
C’est encore loin de Gaulle ?
Editions du Bon Albert, 2002
Cahier de L’Herne Simone Weil
Editions de L’Herne, 2014
Cahier de L’Herne Michel Serres
Editions de L’Herne, 2010
Blog A la diable
alladiable.blogspot.com 2008-2019
Christian de Maussion
Fred
à Constance, petite fille, entre nous et les lignes
« Je dois m’occuper d’être heureux »
(Albert Camus/Diego, L’État de Siège, Théâtre Récit Nouvelles, Bibliothèque de la Pléiade, page 196)
« Plus fort, plus aigu, plus raffiné, toujours plus absolu »
(Nicolas de Staël, citation de Marie du Bouchet, Altamira, Nicolas de Staël Lumières du Nord/Lumières du Sud, page 131)
« Il aimait trop les bourrasques pour dilapider un capital de fulgurance. »
(Christian de Maussion, L’Amitié de mes Genoux, 5 Sens Editions, page 26)
Il y a des hauts et des bas. Les cols sont fermés comme des bouilles renfrognées. La neige a enseveli les derniers coloris. Le cliquetis des bennes ponctue les étendues souveraines. J’ai passé Les Demoiselles Coiffées, quitté Gap, serpenté, cheminé sur l’asphalte entaillé, derrière une coalition de dos ronds, derrière une dénégation de camions de route Napoléon.
Pas de bêtes féroces au Val d’Allos. À Pra Loup, je gare mes quatre roues avec un zèle ustensilaire. Les mélèzes sont des banderilles grises sur les flancs des massifs. D’abondance, un sang blanc coule vers la Durance.
Notre cellule de moine est d’un merdique patrimoine. Réfectoire braillard de mauvais verres à boire. L’intime intériorité patine dans une gargote sans âme. J’ouvre une parenthèse, au milieu des mélèzes. Du vaste ratage, je sauve l’instant suave. Je bivouaque au soleil téméraire du Clos du Serre. Je songe à Lagarce, grand gars des lettres françaises, renégat de race : « C’était un peu mélancolique comme toutes les fêtes réussies » (Journal, tome 1, page 280, Les Solitaires Intempestifs, 2007). Il a suffi d’une éclaircie. Fred. C’est le petit nom du livre à faire. Fred for ever. Fred for Rêveur. C’est décidé.
C’est un nom que prononce ma mère. C’est lui qui m’aide sur la terre, Fred. Une voyelle et trois consonnes. Les quatrième, cinquième et sixième lettres de l’alphabet, un tir groupé de signes qui composent une sonorité brève, une impérieuse détonation. J’identifie l’onomatopée. Je sais sa qualité d’autorité. Dans ma langue intérieure, Fred se dit Pap. Je le considère comme un seigneur des steppes. Je me fie, me confie, n’obéis qu’à sa loi. Sa figure éclaire la nature. Moi je suis d’ici. J’apprivoise une géographie. Quand il me sourit, je reconnais un pays. Fred est calé dans un fauteuil jaune. Il lit. J’ai les genoux qui cognent sur le carrelage. J’ai l’âge de mon premier visage.
La page est blanche. Elle est riche de tous les virtuels possibles. L’infini ne joint pas les deux bouts. Rien n’est joué. Rien n’est écrit. Rien n’a de sens d’avance.
Il est téméraire de s’aventurer, en première ligne, en premières phrases, sur une terre littéraire, sur un champ de chair. Il est téméraire de briser la ronde coutumière des jachères. Tracer les premières lettres, se saisir de l’alphabet éparpillé, composer des mots qui fassent écho, dessiner des fragments de signifié, s’affranchir d’un impérieux désir : écrire comme on libère un cri.
Le lieutenant-colonel sait quoi faire, décider sans collégialité, dans l’immédiateté. Le lieutenant-colonel a des ailes. La terreur ne lui fait pas peur. C’est un chef de ferveur : il est à l’œuvre. La poésie d’Ezra Pound lui indique la direction du pays : « Si légère est l’urgence. »
Le lieutenant-colonel se livre à l’ignoble forcené du mal, arrache la caissière des griffes du furieux animal. Acte anti-économique, par excellence. Acte christique.
Le lieutenant-colonel est seul, infiniment seul, premier et dernier de cordée. Avant d’expirer, il prie sa patrie. Il écrit avec son sang le chef-d’œuvre d’une vie, le récit fondateur de notre temps. C’est un livre de résistance, le traité d’une grandeur, l’Évangile gaullien d’un admirable gendarme.
La rébellion du lieutenant-colonel n’est rien d’autre que de servir une nation, d’honorer sa mission. Elle a le style des beautés les plus pures, des fulgurants chants d’amour, insoucieux des périls de bravoure.
À Palerme, rien n’alarme sauf une lumière du matin. Je griffonne les menues pages d’un carnet. Je jette sur le papier les fragments désaccordés d’une vie émerveillée. La saisie littéraire d’une sensation est une manœuvre éphémère. C’est un exercice de vérité. Il fait du songe le contraire du mensonge.
Les insoucieux Siciliens considèrent le travail comme une occupazione, sans autre espèce d’émotion. J’aime un large dédain du quotidien.
Via Principe di Belmonte, on observe les ciselures des ombres sur les murs, on paresse à la terrasse du Spinnato. La pasticceria est saturée d’exquisités sucrées. Je commande, non je quémande, un cioccalata calda in tazza.
À toutes les heures d’un malicieux désœuvrement, deux élégants vieillards s’attablent, rigolards et charmants, baskets écarlates. Soudain une jeune fille grimpe au cou du grand-père à chignon gris. L’embrassade démonstrative, vivace, est l’art sicilien des quiétudes apéritives.
C’est un soleil de trois heures qui chauffe le contour des cheveux. Boire d’un trait, c’est comme écrire d’un jet : c’est bon.
Après la collation du matin, j’apprécie le chiffonné du Corriere della Sera. Je m’assieds à lire des histoires. À côté du buste de Wagner, dans le hall marbré du grand hôtel des Palmes, délicieusement décati. Un jour, j’écrirai les sottes cérémonies du travail. Cela s’appellera « La clownerie des lundis ».
C’est un roman. Un roman qui ment sur son identité. Un roman qui casse l’ambiance du moment, l’heureuse connivence d’une narration qui avance dans le bon sens. Un roman qui ment sur sa promesse de boniment. Bref, c’est un roman dont l’écriture colle à la littérature, dont la fantaisie s’observe dans le souci des ciselures, le ressenti d’une taille exacte, le splendide malaise d’une phrase de langue française. C’est un roman dont le sujet seul est la vérité d’ornement. Déjà L’Amitié de mes Genoux était le récit, la définition même d’une solitude. Or un style n’est jamais qu’une manière d’être seul. Dans un livre paginé, dans un texte ouvragé, il n’y a que ça de vrai.
La communication est à la communion ce que l’information est à la connaissance. C’est sans doute la même chose : communier et naître ensemble, s’offrir et savoir.
Montaigne, dans sa langue, est quasi illisible. J’ai refermé le bouquin d’une main robuste comme on poignarde un rêve. J’entasse des Pléiade qu’aujourd’hui je laisse en rade. Je lirai Les Essais dans un patois rénové.
La virée orientale de Flaubert s’éternise dans des lettres inégales. J’ai besoin d’espacer leur lecture, de me divertir au petit bonheur. Ici et là, j’ai grignoté des mots de Gracq comme des cerises sur l’arbre. Je dévore un vieil entretien sur Jules Verne. En bon élève, j’ai griffonné deux adjectifs sur un bout de papier : « maléficiée », « entretoisé ».
Le magique géographe définit les Balkans comme « une région maléficiée ». La malice n’est jamais loin du maléfice. Gracq cite ainsi Giraudoux à l’enterrement de je ne sais plus qui : « Allons-nous-en, il n’est pas venu. »
Je ne l’ai jamais entendu prononcer un mot d’une autre langue que la sienne. Il m’enseigna le front du refus. Je vois ce geste d’anachorète, l’entaille discrète d’une pensée muette :