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Alpha du Phénix
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Livre électronique411 pages5 heures

Alpha du Phénix

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À propos de ce livre électronique

2212, John Falco, mutant nuktalien, et pilote émérite, se retrouve à braconner dans une oasis. Affranchi de la cité apocalyptique, il se croît donc maître de sa liberté.
Mais le destin en aura décidé autrement. Le Doragon est une hypernef, au seuil de son appareillage. Il contient déjà toute une colonie, prête à conquérir un nouveau Monde. Et le seul pilote sélectionné par Garuda, le méga-bio-ordinateur de bord, en raison de sa vision mutante, s’avère être notre aventurier.
Et c’est encore l’objectif fixé, de manière impérieuse, par les Extragalactiques qui régissent le vaisseau, récupérer au plus vite leur pilote : John Falco.
LangueFrançais
Date de sortie5 juin 2019
ISBN9782312066417
Alpha du Phénix

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    Aperçu du livre

    Alpha du Phénix - John Skyron

    cover.jpg

    Alpha du Phenix

    John Skyron

    Alpha du Phenix

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2019

    ISBN : 978-2-312-06641-7

    À mon père Josian

    LIVRE I :

    Alpha du Phenix

    « Voici venu l’ultime exode des âmes fortes

    Qui traversent en rampant

    Silencieux serpents

    Le crâne de la planète morte »

    Thomas Hawk

    Dans l’œil du serpent

    – Un « para… » quoi ?

    – Un parabellum, gros-bec ! Tu me demandais vraiment avec quelle arme tu pourrais bien me trucider, s’il m’arrivait toutefois de te tromper avec Rachel Larouge ? Voici encore ma réponse : un parabellum !

    – Attends donc un peu voir mon nounours ! Accorde-moi seulement le temps de regarder la définition du Cosmopedia ! Voilà ce que le bio-ordinateur universel nous retranscrit : « Pistolet automatique, en usage jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, dans l’armée allemande ».

    Je ne vois guère la subtilité, Terry ! Pourquoi avoir opté pour une arme aussi archaïque ?

    – Eh bien, depuis le temps que nous voilà mariés, Jessy Cover, tu ne te rends plus compte à quel point je demeure un bel homme !

    – Ah ! J’ai deviné bougre d’idiot ! Mais veille quand même à ne pas trop te rapprocher de cette Ultraterrestre ! Car parabellum ou pas, je saurais bien te ravaler ta jolie façade de pervers, si tu t’avisais de me trahir, ne serait-ce qu’une seule fois, avec ta poupée mécanique ! Et n’oublie surtout pas, Terry, que je suis une femme sensible !

    – Oh ! Je le sais très bien, depuis le temps, que t’es pas une flèche, Jessy ! Parce que dans le cas contraire, sensible comme tu es, tu te retrouverais très vite désorientée…

    Elle raccrocha sans ménagement. Vega, sa petite chatte d’écrivaine, qui s’amusait avec la souris-volante de l’ordinateur, fit un allègre bond de côté. Terry Cover reconnut qu’il aurait dû renseigner sa femme sur son départ impromptu, en direction de l’Île Unnoire. Et de surcroît, en compagnie d’un androïde de dernière génération, voué aux plus torrides concupiscences.

    Cilaos, de l’Île Unnoire. Le Tricot orienta vers les adrets ensoleillés son œil jaune de serpent. La chambre en terrasse du Lenticularis était particulièrement chatoyante. La vire enjambait scabreuse le vide d’un immense rempart. Où deux mille mètres en contrebas scintillait le lacet de la rivière. Une vaste réplique d’un tableau de William Blake trônait en son centre : Le grand dragon rouge et la femme vêtue du soleil. Le Tricot scruta un instant le chef-d’œuvre. Où la muse est un ange jaune, gravide, écrasé par la cruauté tyrannique d’un large dragon. Et puis d’un geste preste, il se défit de sa chemise crasseuse, avant de tâtonner le creux du quadriceps de son bras gauche. L’autre hurluberlu de donneur d’organes avait bien failli l’envoyer ad-patres. Il lui fallait à présent extirper les agrafes de fortune que lui avait plantées Chronos : son corbeau-drone. La douleur provoquée par le début d’infection s’était fait ressentir lors de ses premiers coups de pelletées, dans le sable graveleux de la grotte. Mais tout compte fait, le plus urgent avait été accompli. Le coffre encore cadenassé se tenait là, au beau milieu de la grande chambre. Planté sur le plancher, telle une galle disproportionnée, dont on faisait les plus belles loupes de menuiserie. Heureusement, se dit-il en son for, que dans sa modeste existence, il n’avait pas loupé le pactole pour une fois.

    Les clapotis de la salle de douche s’amenuisaient. Rachel Larouge en sortit, tandis que Chronos finissait de lui enlever les dernières agrafes souillées de sanies. Elle enroula son corps sculptural et bronzé d’un sari arborant deux paradisiers entrelacés. Un sari rouge : sa couleur de prédilection. Le Tricot s’engouffra à sa suite, dans la cabine de douche, recouvert de son unique tatouage. Le long serpent rayé reposait sa tête sur sa main, avant de se lover autour de son bras droit, puis de son torse musculeux, prenant naissance à son nombril.

    Au sortir de la douche froide et salvatrice, il réclama au corbeau-drone de lui appliquer un cataplasme anesthésiant, afin de contenir la suppuration provoquée par la pénétration du surin rouillé. Les soins administrés, il jeta cette fois-ci son regard aigu vers l’horloge silencieuse. Il était midi. Il s’adressa à l’androïde :

    – Je pense que nous devrions descendre nous restaurer. Au retour, nous ferons exploser ce satané cadenas. J’ai hâte de savoir enfin ce que peut contenir un coffre de plus d’un quintal, et vieux de trois siècles.

    L’androïde, qui observait, avec une vilaine moue de dédain, son arrière-bras tuméfié, lui objecta un diagnostic en passant :

    – Tu devrais te soigner un peu plus sérieusement, Terry ! J’ai bien peur que tu n’encoures un début de septicémie !

    Elle effleurait à présent les lèvres de la plaie profonde, de ses doigts fuselés. Ses longs ongles étaient vernis d’un rouge de scamandra. Un instant déstabilisé par la proximité du geste et l’éclat sanglant de cette menace de lacération, le Tricot s’empressa de lui répondre :

    – Je le ferai, c’est promis, dès notre retour au bercail. Mais notre but premier consiste avant tout à pouvoir passer les douanes avec notre butin.

    – On ne sait même pas ce qu’il contient !

    – Une chose à la fois, mon andro ! L’oméga ne saurait se tromper. Mais elle est bien trop fine pour nous ouvrir ne serait-ce qu’un pauvre trou de serrure sur le contenu de l’écrin. Allons donc nous sustenter, veux-tu ! Ensuite, seulement, nous descendrons dans le bled, afin d’acquérir une monseigneur !

    La salle était collective. Une trentaine de convives avait déjà entamé le buffet sonore. Terry s’assit aux côtés de Rachel. Au bout de l’unique table, qui lui donnait l’impression d’être ainsi la vertèbre terminale d’une colonne vertébrale en plein ondoiement : une sorte de vulgaire coccyx. Ses plus proches voisines, assises nez à nez, étaient deux parfaites jumelles blondes d’une dizaine d’années, qui se ressemblaient comme deux gouttes de rhum. Et qui regardaient la foisonnante chevelure sang-dragon de l’androïde, avec consternation.

    – Je me demande si j’ai bien décuvé de mon dernier planteur, mon andro ? J’ai encore l’impression de tout voir en double. Je sais que la discrétion n’est pas ton fort. Mais la première préoccupation que nous devrions remplir, en arrivant dans le cœur du village, avant même l’achat de la pince-monseigneur, ce sera de te trouver un sympathique coiffeur. Si nous voulons toutefois échapper à tous ces regards de safari !

    Un peu plus tard, dans le principal carrefour de l’îlet, ils se plantèrent devant une statue insolite, revêtue d’un simple pagne. Le Tricot s’enhardit à plaisanter :

    – C’est encore une chance qu’il n’y ait pas grand vent aujourd’hui ! Je me demande bien ce qu’aurait fait notre malheureux exhibitionniste, avec ses deux mains clouées ?

    Tout en lui acquiesçant un sourire, l’androïde rajouta une couche au vernis iconoclaste.

    – Rien ne t’oblige à blasphémer, Terry ! Il s’agit là de notre Seigneur Jésus !

    – Tu parles d’un épouvantail ! Je ne crois pas qu’il nous sera plus secourable, en l’occurrence, que notre pince-monseigneur…

    Ils entrèrent dans la principale quincaillerie du cirque. Promptement, ils firent l’acquisition de l’outil convoité. La cyborg ressortit de chez le coiffeur, avec une immense crête de punk sur l’occiput, couleur cramoisie, cela va de soi. Le Tricot comprit qu’il perdrait finalement son temps à lui rabâcher son inutile homélie, au sujet de la discrétion. L’excentricité de cette dernière devint vite, a contrario, l’objet d’une réelle contagion. Il troqua donc son vieux stetson contre un borsalino. Et travestit dans la foulée son corbeau-drone, qui se juchait toujours sur son épaule gauche, en ibijau aux yeux jaunes. Chronos se métamorphosait ainsi en ibijau-drone. Le Tricot espérait que l’effet hypnotique, exercé par les pupilles du volatile, suffirait à détourner à l’occasion l’attention des gens sur l’insolite appariade de Rachel et lui.

    Ils regagnèrent recta la chambre treize du Lenticularis, mus par un irrépressible instinct : faire sauter une bonne fois pour toutes la serrure du coffre.

    On entendit un « pef » retentissant, suivi d’un second, avant qu’un lobe d’anneau rouillé ne traverse la pièce, pour aller déclencher une cascade de legos argentés. Atteint en plein cœur, le miroir sur pied venait de s’effondrer. C’était peut-être sept ans de malheur qui s’annonçaient là, parce qu’on frappa à la porte au moment le plus inopportun.

    Le patron de l’établissement était un immense black, de plus de deux mètres, apparemment très accro au body-building. Il leur apparut de derrière le judas, en tenue de boxeur, pixellisée à la militaire. Terry entrouvrit étroitement la porte devant ce regard fuligineux, absorbant, meurtrier, et ce large front d’ébène, qui arborait étrangement, à moitié relevé, un masque vénitien. Un masque doré et singulièrement alambiqué. Ses sourcils en trait fin, placés très haut, semblaient, indépendamment l’un de l’autre, jouer à un yo-yo inquisiteur.

    – Bonsoir monsieur Cover ! Êtes-vous certain que tout va pour le mieux ? J’ai cru entendre à l’instant deux détonations, suivies d’un étrange bris de glace !

    Terry afficha en riposte le masque glacial et absolu de l’impavide serpent de mer :

    – Oh ! Vous n’avez absolument rien à craindre, monsieur Norak ! Nous trinquions chacun librement à notre champenoise. Et notre petit rituel veut que celui qui termine en premier sa bouteille, la laisse tomber aussitôt au plancher. Et pour le cas où celle-ci se brise en éclats, cela augure le début d’un long bonheur !

    Le tenancier se frotta avec perplexité son sombre menton glabre, gravitant à presque une hauteur de porte au-dessus du sol. Et soudainement son sourire se fit plus engageant. Il rabaissa d’un trait l’écran d’or vénitien sur son visage, comme dégrossi à la machette.

    – Vous êtes si discrets les tourtereaux, que je n’ai même pas songé à vous convier à ma soirée !

    – Oh, vous aurez sûrement l’occasion de vous rattraper une autre fois, très cher monsieur Norak. Car pour ce soir ma compagne et moi avons déjà convenu d’un programme plus intime, lui rétorqua Terry, tout en faisant jouer de manière suffisamment dissuasive ses redoutables maxillaires. J’aurais cependant une ultime question à vous formuler : en quoi êtes-vous donc travesti ?

    Un immense sourire enflamma cette lourde banane turgescente du géant, qui lui servait gourmandement de bouche :

    – Je ne suis nullement déguisé, monsieur Cover. Je me rends à l’instant à mon show-time pour mon prochain combat de ce soir, parmi les poids-lourds. Vous irez donc jeter un œil demain sur les news du Cosmonet. J’ai du lourd à abattre en cette soirée. Et qui n’aura pas démérité son sobriquet lui-aussi : un certain Fury !

    Se sentant encore plus persécuté par l’urgence de préserver le coffre ouvert, contre le regard inquisiteur du colosse, le Tricot fit un geste discret de la main, derrière la porte entrebâillée. Chronos vint illico se poser sur sa clavicule gauche. Les yeux menaçants du nouvel ibijau-drone exercèrent immédiatement leur effet, mettant brièvement un terme aux présentations.

    – Sur ce, monsieur Cover ! Je vous abandonne avec votre gargouille volante ! Et tout en vous souhaitant une excellente soirée !

    – Pareillement, monsieur Norak. Et n’oubliez pas de saluer Fury de ma part, par un beau knock-out !

    – Je n’y manquerai pas, monsieur Cover ! Au neuvième round comme convenu…

    Le patron de l’établissement tourna sans plus d’ambages les talons, tout en grinchant. Moins après le faciès désopilant du volatile, qu’envers la désinvolture de Terry, et de surcroît de l’élucubration improvisée qu’il avait osé exciper, totalement abracadabrantesque et indigeste.

    – Plutôt envahissant ce gros ours ! Serait-ce donc qu’il aurait flairé l’odeur de l’or ? Allons qu’attends-tu, mon andro, afin d’ouvrir la boîte de Pandore ?

    – À toi l’honneur, le Tricot ! L’Œil de Lucifer ne t’est-il pas avant tout destiné, toi qui vis sous l’emblème du serpent ?

    – Allons, ouvre-nous donc le coffre, mon ibijau, ordonna Terry, afin d’essuyer rapidement le refus.

    L’ibijau-drone obtempéra séance tenante à l’injonction de son maître. Il planta ses griffes autour de la poignée frontale, solidement plantée dans le vieux couvercle, de forme semi-cylindrique, en iroko. Le Tricot profita d’un petit face à face avec l’androïde, en s’asseyant sur l’un des deux tabourets du bar d’angle. Il se versa un autre verre de rhum-carambole. Puis sortit de sa poche-révolver un paquet de graines de tournesol. Il trinqua à l’ouverture du coffre avec son acolyte. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres, comme l’eut dit Homère à propos. Tous les orifices faciaux s’ouvrirent béatement. Puis restèrent comme médusés devant les flèches d’un soleil bleu. Une lave saphirique qui s’épancha dans leur regard. Chronos, lui-même, émit son rire lent de sorcière.

    Ils ne pouvaient en croire leurs yeux. Le bleu qui émanait de la pierre semblait irréel. Il nourrissait en lui sa propre phosphorescence, telle une étoile en miniature. Mais cette étoile était de forme ovoïde, de la taille d’un œuf de kiwi. On ne pouvait savoir quel spectacle était le plus ahurissant. Cet œuf d’azur qui irradiait sa propre lumière, ou alors ce couffin de sequins d’or, sur lequel il reposait. Et qui devait s’élargir jusqu’aux tréfonds du coffre. Le Tricot ressentit comme une soudaine pulsion.

    – Tiens ! Aide-moi donc, Rachel ! Prends vite l’autre poignée !

    D’un trait, ils arrachèrent la malle au parquet, et la déposèrent au bord du grand lit. D’un autre geste rageur, ils en renversèrent tout son contenu sur le dessus-de-lit en patchwork. En tout et pour tout : cent kilos de pièces d’or, et une gemme d’incarnadium, pesant quant à elle six kilos de plus. L’Œil de Lucifer se cala au pied d’un oreiller, presque submergé par la cascade aurique.

    – Elle est tout de même hallucinante cette pierre, Rachel ! Ne trouves-tu pas ? Plus on la regarde, et plus on se sent envoûté par le bleu de son rayonnement. Je me demande vraiment comment un aérolithe d’incarnadium de cette taille a bien pu arriver sur Terre ?

    – Le Capitaine me relatait, Terry, qu’on l’aurait retrouvé lors des premières colonisations. Sur l’une des trois îles de Guyane Française. Celle qu’on nomme fort justement : l’Île du Diable ! Dans une forêt d’arbustes, aux grandes fleurs en cloches. Qu’on aura baptisées en référence à l’île : les trompettes de Satan. Voilà, en résumé, pourquoi ce gros caillou a été dénommé à juste titre : l’Œil de Lucifer.

    Le Tricot émit un long sifflement moqueur.

    – Tu vois bien, mon andro, que c’est une vulgaire légende ! C’est gros comme un éléphant dans un magasin de porcelaine ! L’Île du Diable, les trompettes de Satan, l’Œil de Lucifer. Tout cela m’a l’air quand même d’être profondément cousu de fils blancs !

    – Dis plutôt de fils noirs. Car il s’agit avant tout de l’une des plus grandes sources hermétiques du satanisme pur !

    – Si ce que tu dis est vrai, cette gemme doit dégager un magnétisme néfaste. Nous savons déjà que Papangue a été pendu haut et court, très peu de temps après s’être approprié le trésor.

    – Il serait peut-être plus judicieux de dénommer ce caillou un minerai. Puisque l’incarnadium serait a priori, d’après des analyses chimiques sur lesquelles je ne peux hélas guère m’épancher, un minerai : le métal vivant !

    Des arabesques se creusèrent sur le front de Terry.

    – Et qu’est-ce qui lui vaut ce dénominatif ?

    – Son rayonnement propre ! On dirait bien qu’il aimante la lumière, tout en lui délivrant une magnitude qui lénifie l’âme humaine.

    Terry s’esclaffa allègrement.

    – Pas trop de Shakespeare, je t’en prie Rachel ! Mais que penses-tu d’un autre planteur, avant de passer au comptage des sequins ?

    L’androïde lui adressa un regard presque orgasmique.

    – Fais-nous plutôt monter une bouteille de Nectar d’Éros ! Je crois fort que la nuit risque d’être longue, mon chou.

    – Et un peu de musique avec ça ?

    – Oh oui ! Pourquoi pas la Sonate au clair de lune

    ***

    Quarante-six mille six cent cinquante-six sequins d’or. C’était le nombre exact qui était entré dans la confection de la robe d’Algol. Et afin de camoufler la couleur attrayante du métal précieux, ces derniers avaient été teints en chatoyants tons irisés, imitant les squamules versicolores des papillons. Sur les cinquante mille soleils de deux grammes, Algol s’était donc taillé une part négligeable. Le pacte avait en conséquence été conclu rapidement. Et la robe-papillon réalisée en moins d’une semaine seulement.

    Dans la nuit métallisée de bleu, le ciel était mitraillé d’étoiles. La grande Comète de Halley commençait à s’infimer dans le spectre de l’imperceptibilité. Tel un phaéton aspiré par le souffle pélagique des lointains brisants de la Voie Lactée. Le colosse noir, aux yeux vairons, vert et bleu, retourna une dernière fois le joyau d’incarnadium, dans le brasier de son athanor. Dont les rayons irradiaient tout le cœur de la caverne. La vie commençait à s’étirer entre son forceps de forgeron. Une vie de saphir, incorruptible, semblable à celle de l’âme la plus pure. De la lame la plus dure, que l’Univers entier, infusé de lumières, lui imposait à présent de façonner. Au-dessus de l’enclume de carbonado, Algol assena le premier grand coup d’un marteau mystérieux, dont le cyan du métal se conjuguait lui-aussi avec le trésor de cette nuit étincelante, suspendue éternelle, dans cet immense cratère de l’Île Unnoire.

    Un taxi vert de la CTV : la Compagnie des Taxis Volants, les déposa devant l’aéroport Saint-Exupéry. Le chauffeur put enfin desserrer les dents en recevant ses honoraires, saupoudrés d’un généreux pourboire. Il est vrai que traîner une tunique, aux allures de côte de mailles, avoisinant les quatre-vingt-dix kilos, doublait par conséquent le poids de son porteur. Au point que le véhicule avait dû encaisser une sévère assiette « sur-le-cul », tout au long du trajet effectué en rase-mottes, au-dessus des grands axes bitumiers jusqu’à l’aéroport, via le glorieux viaduc du littoral.

    Des cohortes de policyborgs patrouillaient dans l’enceinte d’accueil, les grandes salles d’embarquement, et sur tous les tarmacs. Chatouillant chacun un sonneur neutralisant, à fleur de holster. L’androïde, à crête incarnadine, exhibait sa lourde robe-papillon à merveille, surélevée par des chaussures assorties, aux semelles à basse sustentation, limitées à quarante centimètres. Que l’on appelait plus vulgairement, selon une marque déposée : des mercuriennes. Le Tricot arborait son borsalino. Il traînait sur lui deux bagages. Dans un fourreau noir, en peau-de-bouc, sommeillait le sabre bleu, forgé par Algol. Et certifié objet de collection. Il le portait en bandoulière croisée, dans le dos, à l’instar d’une guitare. Et logiquement, tous les regards des policyborgs dans son périmètre s’étaient solidement braqués vers la forme pernicieuse de l’objet. Sa main droite brandissait quant à elle la panière obligatoire au transport de son nouvel ibijau-drone.

    Il laissa planer, un instant, son regard de serpent au-dessus des hautes montagnes auréolées de rotors. Puis il se tourna froidement en direction de l’androïde :

    – J’ai la sinistre impression, mon andro, qu’une île peut vite devenir une prison, lorsqu’on doute de pouvoir intégrer le bord de son ekranoplane.

    – Elle sera vite devenue une prison aussi, pour les premiers écrivains de science-fiction, qui n’auront jamais réussi à faire entendre leur esprit visionnaire de défricheurs d’infini.

    – Mais quel rapport ?

    – Oh, seulement une petite touche d’humour romantique, qui vient d’échapper à mon inspiration !

    Ils arrivèrent rapidement, après la courte file d’attente, devant la caisse d’enregistrement des bagages. Une belle hôtesse, mâtinée d’Hindoue, qui affichait l’œil rouge de la tika sur son haut front chocolat, leur fit un geste d’arrêt, péremptoire.

    – Un instant monsieur ! Je crois que votre bagage excède la limite de longueur autorisée, qui est de cent cinquante centimètres. Et de combien, je vous prie ?

    – De trente centimètres, Madame ! Il s’agit là d’un collector : un katana de plasma bleu phosphorescent, que je compte rapporter à ma nièce Lili, pour ses six ans. Vous comprendrez qu’à cet âge, une gamine ne couve qu’une seule ambition : devenir le dernier des jedis de Star Wars, sa saga préférée.

    L’hôtesse affichait une moue particulièrement circonspecte. Rachel Larouge en profita afin de glisser à l’oreille de Terry son sentiment d’appréhension. Cela sentait effectivement le roussi. Surtout lorsque la bagagiste lança un signe sans équivoque à un quatuor de policyborgs qui le cernèrent sans attendre.

    – Je me vois dans l’obligation de vous ordonner de sortir très délicatement votre objet suspect de sa gaine, monsieur Cover ! Et surtout sans geste brusque. Quant à vous madame Larouge, veuillez reculer, s’il vous plaît, de deux bons pas !

    Deux autres colosses se joignirent à la mise aux abois. Deux sbires qui satellisaient un élégant petit homme basané, aux allures de gentleman. L’un des policyborgs interrogea celui qui devait être manifestement un détracteur affublé de ses gardes du corps.

    – Est-ce bien cet homme : le voleur de la montre en or, monsieur De Congres ?

    L’androïde n’avait pas perdu une miette de la scène insensée. Ressortant en catimini de l’enceinte, et tout en s’aidant de ses semelles aéropropulsées, afin d’accélérer sa répartie, elle s’était emparée du premier pousse-pousse volant, et se tenait à présent sur la selle du pilote. Une pétarade opaque asphyxia presque tous les occupants de la salle d’enregistrement.

    – Monte vite, Terry !

    Le Tricot en profita afin de se ressaisir du sabre bleu, et d’ouvrir simultanément la cage de l’ibijau. Un tourbillon d’ailes, de bec et de griffes créa la diversion. Tandis que Terry sautait sur la banquette arrière du PPV, Chronos ne tarda pas à rejoindre le toit du palanquin volant. Une course-poursuite venait de commencer. Embarqués dans le PPV dérobé, le Tricot et son ibijau, conduits tous deux par un androïde à cimier rouge, agrippé telle une sorcière sur son balai volant. À leurs trousses Laurent De Congres et ses deux sbires dans leur bolide à réacteur. Ainsi qu’une demi-douzaine de policyborgs, vissés chacun à la selle d’un autogyre.

    L’Île Unnoire s’était métamorphosée en bien plus qu’une prison. Il s’agissait à présent d’un archaïque labyrinthe, au-dessus duquel s’exhalaient des graillons de cire brûlée : la pétarade d’un vieux pousse-pousse volant, qui allait avoir bien du mal à semer les bolides de ses poursuivants.

    Le Tricot réalisa soudainement l’erreur de son ostentation, à l’hôtel de La Méduse, auprès du droïde d’accueil. Tel un serpent qui se mord la queue, il se remémora l’origine de toute cette analepse démoniaque…

    Artère royale

    – Le capitaine est mort !

    L’agent spécial regardait, avec perplexité, la jeune recrue des services de police de Port-Louis, qui se dressait devant lui avec désinvolture. Il observait distraitement, afin d’éluder la barrière de sa main, le drapeau en berne du chalutier rouge et blanc, arborant sur son tableau le vocable arrogant de Triomphateur.

    – Il est difficile de ne pas observer le pavillon noir. Et ce malgré les trombes qui tombent sur cette ville depuis plusieurs semaines. On dirait même qu’il flotte en parfaite harmonie avec les nuages.

    La diversion remplie, le jeune béjaune n’eut d’autre surprise que de constater, pour revenir à la privauté de leur présentation, au creux de sa paume droite la carte détrempée que l’homme à la redingote lui présentait.

    – Agent spécial Terry Cover. Je suis mandaté par le MEAT, le Ministère des Enquêtes et des Accidents de Travail, pour votre gouverne. Mon stetson et ma redingote de pluie risquent donc fort de l’emporter à ce petit jeu de « standing in the rain », contrairement à votre modeste uniforme monsieur ! Si c’est cela le pari que vous vouliez me lancer, n’est-ce pas ?

    – Oh, je vous demande pardon, agent Cover ! Il est vrai que pour nous autres, le parapluie fait toujours partie de nos armes d’appoint en cette saison !

    – Vous avez donc négligé votre arme la plus utile, monsieur l’agent Curtis…

    Il avait relevé en passant son insigne. Ainsi que son opiniâtreté à vouloir lui obstruer le chemin de la coupée. Il fallait bien que jeunesse se fasse. Mais à cet instant, plus inopportun, sous ces rideaux de mousson qui lui emplissaient les mocassins, il fallait surtout qu’elle s’efface. Terry lui tendit donc la main de façon à le saluer, assez tardivement il est vrai. Aussitôt, il l’entraîna à sa première leçon d’aïkido. Il l’entraîna par-dessus tout vers son hara, puis vers une chute irrémédiable dans la flaque boueuse du quai.

    Il franchit dans la foulée la misérable coupée, constituée de trois longues planches glissantes, sous les railleries des matelots indonésiens.

    – Mais attendez monsieur ! Où comptez-vous aller ?

    – M’entretenir avec votre supérieur : Marie Poppins, je présume !

    Il adressa ses premières salutations au bosco, qui s’évertuait à jouer au Picasso, sur une cloison abritée du pont principal. « Selamat Pagi », car nous étions le matin du deux novembre 2062.

    Depuis le quai la bleusaille lui lança un juron feutré, à propos de son affiliation au plus vieux métier du monde. Première leçon d’aïkido : l’art de la chute. Seconde leçon : l’art de l’esquive. L’atémi n’arrivera sûrement qu’en troisième position. Au sortir de la coupée par exemple, pensa très fortement Terry, tout en jetant un ultime regard torve à l’impertinent, un inexorable casus belli.

    Pour le moment, il emboîta le pas au bosco, jusqu’à une première porte étanche, dont le parvis était un surbau d’une hauteur exagérée. Et il était incontestablement à parier que quelques tibias n’aient déjà fait les frais d’une protection aussi immodérée, contre l’assaut des paquets de mer sur le pont principal, par gros temps de pêche.

    Un étroit corridor débouchait sur les cabines d’équipage, comptabilisant pas moins de huit bannettes en désordre. Ils traversèrent ensuite le carré de restauration. Enfin, le bosco ouvrit une porte freinée par un archaïque vérin, derrière laquelle un escalier en pente raide menait à la passerelle du pont supérieur. Terry remercia l’Indonésien de lui avoir servi avec tant d’aménité de cicérone :

    – Terimakasi baniak !

    – Sama sama ! Mempesona !

    Cela pourrait s’apparenter à un chapelet de salamalecs, dont on pourrait aisément rechercher la traduction via le Cosmonet de 2062 : merci beaucoup, de rien, enchanté. Mais il est à déclarer qu’en tout premier lieu Terry considérait les salamalecs comme le plus puissant des émétiques, leur unique porte-voix y compris. Mais qu’en second chef, ce n’était pas en raison de cette invasion barbare qu’il avait dû écourter son dernier séjour en Indonésie.

    Son dernier séjour à Bali, où il avait finalement adopté ces notions sommaires de présentation, fut à l’occasion de son voyage de noces. Lorsqu’il avait annoncé à sa femme son choix pour Tripoli, elle avait promptement refusé. Il faut dire qu’elle commençait à se lasser déjà de son goût prosaïque pour le calembour. La fiente de l’esprit qui vole, comme le qualifiait le trop grand Victor Hugo. Mais à Bali, un peu trop épris par ce mélange sulfureux de planteur, mêlé à l’éclat des yeux de cette belle Réunionnaise, qui venait de s’appeler tout récemment Jessy Cover, Terry avait lamentablement dérapé.

    – Bali-bali-bali-bali-ba…, lui scanda-t-il à tue-tête, tout en se prenant pour Speedy Gonzales, dans ce lit d’hôtel, qui lui était devenu un illusoire char du soleil.

    Mais leur carrosse s’effondra bien vite, sous sa fougue effrénée, telle une citrouille éclatée. Les amants se retrouvèrent littéralement au bas du lit. Malencontreusement victimes du plus insane des calembours. Et résultat de l’opération : la charmante épouse de Terry eut sa première épaule de démise…

    Une main d’acier l’arracha promptement à ce fâcheux souvenir.

    – Commissaire Ladronte. C’est vous qui vous amusez à esquinter mon personnel ?

    Il jeta un regard perçant à ce mastodonte de deux mètres, en plein dans les trous noirs de son regard.

    – Troublant !

    – Pardon ? Est-ce bien là la seule réponse que vous ayez à me concéder ?

    Il resserra sans sommation l’étau de sa puissante poigne de grizzli. Et Terry comprit qu’il lui fallait au plus vite étayer sa répartie, sans pour autant se débiner :

    – Non ! Je pensais tout haut à l’expression de votre regard, lorsque ce qualificatif m’a échappé : troublant. Mais concernant

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