Confessions: Autopsie d'un ange déchu
Par Helena Kadenbach
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À propos de ce livre électronique
Helena traverse une adolescence chaotique et semée d’embûches, entre drogues, anorexie, scarification, amour désillusionné, alcool, rave parties et prostitution, elle parvient néanmoins à faire la rencontre de Alex, un serveur qui cache des secrets bien mystérieux au sujet de la faction qui organise ces rave parties dans un petit village de campagne, reculé et loin de tout soupçon. Alex, dont les traits ressemblent étrangement à ceux du premier amour déchirant de Helena, devient peu à peu son ange gardien et la sort de nombreux trépas, l’aidant même à faire face à son passé, pour comprendre pourquoi et comment elle en est arrivée là…
À PROPOS DE L'AUTEURE
Helena Kadenbach a décidé de publier ce roman, qui est en réalité un journal qu’elle tient depuis ses quatorze ans, pour tourner la page et ouvrir la voie à d’autres comme elle qui ne saurait dénoncer à voix haute les abus et mésaventures qu’elles ont dû traverser. Cette jeune femme férue de littérature travaille déjà sur la publication de son second roman et d’un recueil mixte de nouvelles et de poèmes.
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Aperçu du livre
Confessions - Helena Kadenbach
Préface
Hell [hel] n. m. litt. rel. De l’anglais « enfer », séjour et lieu de supplice des damnés après la mort.
Le meilleur moyen de mentir, c’est de dire la vérité.
Et si tout ce que vous aviez cru connaître s’avérait, un jour, n’être qu’un sombre tissu de mensonges ? Opaque, indestructible… profondément destructeur ?
Le monde actuel étant basé sur une succession d’illusions et peuplé de grippeminauds et autres adeptes du prosélytisme, comment dissocier, alors, réellement le bien du mal, le vrai du faux ? Pour se protéger, beaucoup se cachent derrière d’immenses remparts de méfiance et de suspicion. Est-ce bien une solution ? Sommes-nous véritablement à l’abri sous nos utopiques armures ? Ne sommes-nous pas plutôt prisonniers d’une vie et d’un monde que nous ne réussissons pas à nous approprier et dont nous ne sommes finalement que les futiles et miséreux spectateurs ? Conditionnés, manipulés, clonés, ne devrions-nous pas plutôt nous interroger sur les conditions de notre survie au sein d’une société profondément individualiste et carnivore ? Cela a-t-il même un sens ? Cela a-t-il même une finalité ? Certains meurent de faim, dorment à même le sol ou encore sombrent sous les décombres, tandis que d’autres geignent et trépignent parce qu’ils n’ont pas en leur possession le dernier gadget électronique, les ultimes vêtements « tendance » ou que sais-je encore. Et, à dix ou douze ans déjà, cela danse, boit, fume, fornique et se plaint. Qu’en adviendra-t-il si personne ne leur explique les véritables règles du jeu ?
Jeunesse corrompue, lobotomisée par la dictature du panurgisme, réveille-toi ! Ne vois-tu donc pas que ton innocence est en voie d’extinction ? Ne vois-tu donc pas que tu cours à ta propre perte ? [2012].
Il était une fois, une âme…
Prologue
« La seule pensée qui ne soit mensongère est donc une pensée stérile. Dans le monde absurde, la valeur d’une notion ou d’une vie se mesure à son infécondité. »
Le mythe de Sisyphe, A. Camus
Mues par le vent, frêles, tremblantes, les feuilles choient, embellissant le sol de leurs milliers de couleurs. S’égrène lentement le temps, tandis que les petites comètes du Grand Sablier dansent au gré des secondes. Langoureuse est la valse des aiguilles sur le cadran qui s’enlacent, embrassant avec ferveur les tableaux de l’automne. L’eau, le long des canaux, ruisselle…
Insouciante, l’enfant s’endort près de la berge. De fines et luisantes perles de rosée se forment sous ses paupières lilas, caressant ses joues rosies, la commissure de ses lèvres creuses, dles frissons dans sa nuque. Dans son petit imperméable gris, la fillette sommeille, rêve et pénètre avec délice dans un conte de fées. Un ange l’interpelle, lui susurre à l’oreille de le rejoindre. De longs crins d’argent, un poil d’or blanc, infiniment soyeux… Une allumette.
L’enfant sourit dans son sommeil. L’atmosphère se réchauffe enfin ; la flamme se faufile jusqu’au cœur de la petite.
Une deuxième allumette. Bercée par les chants des nymphes.
Les enchanteresses de la nuit déposent sur la Terre leurs songes délicats, saupoudrés de poussière d’étoiles.
Une troisième allumette. De fines tiges entourent l’enfant, encerclant ses bras, ses jambes, recouvrant son être frêle de leurs épines acérées. À leur tour, les cendres rejoignent les feuillages, un orage éclate, une pluie battante s’approprie la brise automnale et secoue l’enfant d’une fièvre sans précédent.
Avec l’allumette, se consument les nymphes, l’ange, les roses… et, dans un ultime soupir, s’éteint la vie, emportée par l’autan.
I
Encore une de ces nuits où le plafond blanc se fait plus sombre et terrifiant que d’ordinaire. Encore une de ces nuits où ma gorge et mon thorax se contractent sous la pression de l’angoisse. Encore une de ces nuits où mes os brûlent, où mes musclent se tétanisent, où mes veines gonflent, où mon sang bout et où tout mon corps semble appeler à l’aide. L’oxygène fait fatalement défaut, comme toujours. Les ombres se déplacent dans l’obscurité, se jouent de la situation. Leur sarcasme n’a ni source ni limites. La fièvre monte, le moindre pore de ma peau transpire. La lutte est vaine. Les idées fusent dans ma tête, m’obsèdent et me torturent. La folie semble une nouvelle fois l’emporter, jusqu’à ce que je ne sais quelle force divine me permette de reprendre le contrôle de mes tremblements pour attraper un crayon et une feuille de papier sur la table de nuit. Si je ne peux parler à personne de ce qu’il m’arrive, si personne ne peut m’aider et encore moins me comprendre, je peux peut-être au moins me le raconter à moi-même… Dans cette infinie solitude, je reprends le contrôle de mon souffle et commence à écrire, dans l’obscurité… Il paraît que l’absurde n’a de sens que dans la mesure où l’on n’y consent pas…
*
Allongée nue à même le sol, les yeux vides et une lame de rasoir à la main, je m’efforce de ne pas céder. Depuis plusieurs heures déjà, des larmes dévalent mes joues creuses, traçant et retraçant de fins sillons noirs dans un maquillage datant d’au moins trois jours. L’atmosphère ici est si froide, si pesante, que je me sens bruir, comme si je m’étais inconsciemment beurrée sur un glacier et que ma peau, peu à peu, se détachait par lambeaux pour mieux aller se dessécher sur de vieilles lattes de bois défraîchies, loin de la chaleur de mon corps. Pourtant, me trouver là m’apaise. Cela donne paradoxalement un sens à mon chagrin tout en le consolant.
Les blessures sur mon poignet me lancent affreusement. De lourdes pluies de sang en découlent, venant s’écraser à terre et filant maladroitement entre les rainures du parquet vieilli. Ma poitrine est si oppressée et ma gorge si nouée que je ne parviens plus à respirer, ma vue si brouillée que mes yeux ne distinguent plus que de vagues formes sans nom. Ma tête tourne et mes oreilles sifflent, j’ai l’impression qu’un train m’est passé sur le corps. La foutue impression que ce dernier a été piétiné, saccagé, ravagé… La foutue impression qu’il a été dépouillé de toute trace de vie. Il semblerait même qu’il essaie de rivaliser avec le plancher. Sombre ironie.
À cette idée, je tente presque immédiatement de me relever, omettant alors la souffrance que me procure chacun de mes plus infimes mouvements, dans le seul but de tenter, une toute dernière fois, d’oublier et de tout recommencer. Mauvaise idée. Je perds l’équilibre et m’étale de nouveau à terre dans un bruit assourdissant, quelques secondes avant de perdre connaissance.
Dans cette longue et sordide agonie, mon cerveau essaie avec difficulté de se souvenir de tes traits. Mais seuls tes yeux semblent vouloir parvenir jusqu’à mon esprit. Tes yeux… Ce regard… Ce regard qui jadis me transportait, m’ensorcelait jusqu’à ne plus réussir à contrôler la moindre de mes actions, semble aujourd’hui être gravé au cœur de ma rétine, inscrit à l’encre indélébile, indéchiffrable… et pourtant si saisissant.
Te souviens-tu de ces nuits passées ensemble ? Te souviens-tu de ces rires cristallins perdus en toute innocence dans une atmosphère bien trop salie par notre douloureuse clandestinité, bien trop emplie du doute et de l’adrénaline mêlés à cette relation dissimulée aux yeux de tous ? Te souviens-tu de la sensation de mes lèvres sur ta peau ? De tes doigts parcourant la mienne ? Alex, te souviens-tu de tout cela ? De tous ces moments que, je le sais, tu essaies bien malgré toi d’occulter à tout prix ? Te souviens-tu enfin ?
Je voudrais tellement, l’espace d’une fraction de seconde, pouvoir entendre de nouveau le son de ta voix, l’enthousiasme de tes mots, l’affolement de ton cœur durant ces courts instants… Je voudrais tellement, juste une dernière fois, pouvoir gémir ton nom dans l’obscurité sans risquer de fondre en larmes sur cette histoire qui n’a finalement jamais existé…
M’entends-tu, Alex ? Entends-tu cette voix lointaine qui t’implore ? L’entends-tu enfin... ?
« Ne plus parler qu’à son silence… »
Aujourd’hui, je sais certainement qu’il n’y a plus une once d’espoir de te retrouver. Aujourd’hui, je sais combien il a été difficile d’effacer tous ces pénibles souvenirs, mais que, d’une manière ou d’une autre, cela serait devenu nécessaire au fil du temps. Aujourd’hui Alex, je sais que je t’ai perdu dans une éternité bien trop grande pour un si petit grain de sable. Quoi qu’il en soit, je sais que jamais, ô grand jamais ! je ne t’oublierai… Jamais.
II
S’il y a bien une chose que j’ai apprise après toutes ces années à côtoyer ces « moi », ces multiples antipodiques personnalités qui s’entre-tuent dans ma tête, c’est qu’il y aura toujours un moment où la Sarasvati apparaîtra d’une manière ou d’une autre pour esquisser l’abhaya-mudrā. Je sais désormais percevoir les intentions des mondes qui m’habitent, bienveillants ou non.
À l’horizon des providentiels songes, Tu te ranimes en moi sous la forme d’un dharmâpâla pour un énième rappel à l’ordre. Ultime semonce.
Malgré toutes les épreuves que nous avons traversées, Elle et moi, malgré tous les sentiments que nous avons pu partager, cela n’était pas fait pour durer… Cela n’aurait jamais pu se poursuivre ainsi… Tout comme les tragiques destins de Roméo et de Juliette, celui de Gina del Dongo, éprise de son neveu, ou encore celui de Hippolyte et de Phèdre, un amour interdit ou à sens unique constitue, par essence, une grave pathologie auto-immune pour le cerveau. Tout comme le ferait le lupus à l’encontre des cellules, cette dangereuse dégénérescence psychologique s’attaque directement aux corps qui composent l’âme, sans aucun autre objectif, sinon de la détruire. Ainsi me suis-je promis, après notre « rupture », que plus jamais je ne me laisserai faiblir au point de ressentir de nouveau de l’amour pour autrui, ni même quelque autre sentiment que ce soit, amitié y compris. Bien sûr, je spéculais ainsi sur mon propre avenir sans même avoir conscience de l’état de mon cœur – qui, soit dit en passant, se pétrifiait déjà en silence… Peu à peu, dans une discrétion absolue, le trou béant qui s’y était formé nécrosait les cellules alentour puis progressait, par capillarité, jusqu’à contaminer l’intégralité du muscle. C’est ainsi que crût en moi la source d’un mal sans précédent, une hypothermie démesurée qui forma peu à peu une croûte glacée autour de cet organe polymorphe et qui, bien trop rapidement pour que j’eus pu le déceler à temps, s’étendit aux poumons. Gangrène paranoïde. Assassinat prémédité, anonyme et irrécusable. En d’autres termes, un chef-d’œuvre naturel d’une beauté muséale.
Il fut raconté autrefois que le dieu Visnu lui-même se serait manifesté sous la forme d’un singulier petit poisson de rivière pour inspirer à Manu, premier aïeul de tout humain sur Terre, l’idée de débarrasser le monde des esprits moralement dépravés. Bien que cela soit complètement présomptueux, j’aime croire que ce petit être à écailles s’infiltra ce jour-là dans ma rivière crânienne et qu’il tenta de m’insuffler ces mêmes idées… Atyāntika pralaya.
III
Trois semaines… Trois semaines que je reste prostrée dans cette putain de chambre. Trois semaines que je ne mange plus, que je ne dis plus un mot, que je ne me lave plus, que je ne vois plus personne. Trois semaines que je ne vis tout simplement plus.
Assise sur le rebord de la fenêtre, une cigarette à la main, je la regarde se consumer comme toutes les autres avant elle. D’un geste machinal, je la porte à mes lèvres, en tire une dernière bouffée, me délectant longuement de cette substance toxique violant ma gorge en toute impunité. Dans un soupir, je libère la fumée qui se détache alors vivement de moi, mêlant à l’atmosphère une forte odeur de tabac. En dessous de moi, le vide absolu. Je n’en ai pas peur, non. À vrai dire, cela me rassure même. L’idée d’en finir ne m’est pas étrangère, loin de là. J’y pense constamment en réalité, surtout depuis quelques semaines. À vrai dire et pour être tout à fait honnête, je ne pense plus qu’à cela durant mes rares moments de lucidité. Ces rares moments qui me démontrent, bien malgré moi, que ce maudit cœur continue inlassablement de battre. Ces rares moments où ce ne sont plus ses foutus battements que j’entends, mais ceux d’une infatigable survie. Une survie qui suinte la douleur à des kilomètres, une survie qui distille dans l’air cette fragrance parfaitement nauséabonde, sécrétée lors de la putréfaction de la chair. Une survie qui transpire de honte, dégouline de haine, sue de rancœur. Une survie dont seuls jaillissent encore les flots d’un amour trop puissant, d’un secret trop grand, d’une peine insurmontable pour être évacués…
Il faut dire aussi que cela fait longtemps que je ne réagis plus à rien. Que j’ai perdu toute notion de temps, d’espace ou de conscience en général. Cela fait longtemps que je ne réagis plus tout court d’ailleurs, animée uniquement par les quelques mouvements mécaniques que je suis encore capable d’effectuer, ces mêmes actions que je continue de reproduire sans m’en rendre compte. Encore et encore. Me déplacer du lit à la fenêtre, de la fenêtre au lit. M’asseoir à la fenêtre. Me relever. Me laisser tomber sur le lit. Me relever. Me déplacer du lit à la fenêtre, de la fenêtre au lit… etc.
En le perdant