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Une rencontre: Roman
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Livre électronique351 pages5 heures

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À propos de ce livre électronique

Au retour d’une promenade, sur son lieu familial de vacances, Romain découvre, tout à fait par hasard, un squat en forêt et tombe sur celui qu’il croit être le propriétaire du site. C’est alors qu’il s’interroge sur les conditions de vie de cet individu et apprend très vite que ce dernier a connu un passé difficile et pas très éloigné du sien. Après des confidences réciproques, un attachement se crée entre les deux hommes et il décide de lui venir en aide.
Parallèlement, et comme une réelle coïncidence, Romain, seul depuis plusieurs années, fait une rencontre qui va changer le cours de son existence : celle d’Inès. Romain se retrouve brutalement confronté à un enjeu totalement inattendu ; poursuivre cette histoire amoureuse sans pour autant mettre fin à son engagement que l’on qualifierait d’humanitaire. Cette aventure, certes soudaine, réserve bien des surprises. Elle le fera grandir, lui apportera une ouverture d’esprit et une analyse nouvelle de son environnement.
LangueFrançais
Date de sortie18 mars 2022
ISBN9791037750211
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    Aperçu du livre

    Une rencontre - Gérard François Masion

    1

    Jamais un trajet en voiture ne m’avait semblé aussi pénible. Depuis que j’avais quitté Le Barcarès, mon lieu de vie, ce n’était que trombes d’eau, orages à répétition et même plusieurs arrêts obligatoires sur l’autoroute en raison d’une visibilité quasiment nulle. J’étais éreinté et j’avais hâte d’arriver. Je n’étais pas remonté dans mon village de Corrèze depuis plusieurs mois. J’évitais toujours ce genre de séjour en période hivernale. De plus, lorsque je serais sur les lieux, il me faudrait alors ouvrir cette maison, aérer, faire un minimum de courses en espérant qu’aucune mauvaise surprise ne soit à déplorer. Cela m’était arrivé lors d’une précédente villégiature où je n’avais pas été en mesure de réenclencher l’électricité. Le compteur électrique disjonctait systématiquement lorsque je tentais de le remettre en service. J’avais dû ainsi passer la soirée et la nuit à m’éclairer à la bougie sans avoir eu la possibilité de me faire chauffer quoi que ce soit pour me restaurer. Donc, compte tenu de l’heure tardive de mon arrivée sur les lieux, j’avais dû me contenter d’un repas froid relativement frugal ; les restes de mon repas de midi que j’emportais toujours avec moi lors de longs trajets. J’ai toujours aimé pique-niquer sur le bord de route, plutôt que m’arrêter dans un établissement de restauration rapide, ce que je détestais par-dessus tout. Il n’était pas question de m’aventurer à chercher un restaurant encore ouvert, en basse saison, cela était quasiment impossible surtout en raison de l’horaire tardif. J’étais responsable de la présente situation car depuis que j’avais hérité de la maison de mes parents, je n’avais strictement rien fait d’un point de vue de l’entretien. Je reportais toujours la maintenance pourtant indispensable dont cette maison avait visiblement besoin. Je profitais uniquement de cette demeure tout en déplorant en permanence, l’inconfort auquel je n’avais guère cherché à remédier. Fort heureusement, ce ne fut pas le cas cette fois, rien d’important ne s’était produit depuis mon dernier passage contrairement au séjour précédent où j’avais constaté quelques dégradations supplémentaires. Nous étions au début du printemps et dans cette région de la vallée de la Dordogne, les soirées étaient encore très fraîches. Cela faisait contraste avec le bord de mer des Pyrénées-Orientales où il faisait déjà très beau et où je m’étais tout de suite acclimaté. Très vite, j’oubliais mes bonnes résolutions, et fidèle à mes habitudes, je fis le tour du propriétaire avant de défaire ma valise. Rien de particulier à signaler hormis le petit jardinet envahi par les mauvaises herbes, saison oblige. Comme lors de mes précédentes visites, j’envisageais de traiter en priorité la remise en état de ce petit espace vert. Le lendemain matin, le réveil fut plutôt tardif, ce qui est assez dans mes habitudes ; je ne suis pas un lève-tôt si aucun impératif ne m’oblige à le faire. Mes bonnes dispositions de la veille s’étaient envolées pendant la nuit et l’entrain pour remettre le jardin en état n’était plus prioritaire. Je décidais d’aller jusqu’au village faire un peu d’approvisionnement et ensuite m’offrir une petite marche en forêt, convaincu qu’un peu d’exercice me ferait le plus grand bien. J’étais remonté jusqu’au village familial principalement pour me reposer, avec l’intention de faire quelques randonnées si la météo le permettait, mais certainement pas pour me mettre au travail dès mon arrivée. D’ailleurs à chacune de mes venues, j’arpentais les collines et les bois dans toutes les directions, carte IGN à l’appui, car je ne connaissais pas vraiment cette région et surtout ses alentours. La maison se trouvait à la sortie du village, en direction de Chadirac, pas très loin du château de Biganel. Chaque fois que je voulais m’aventurer dans un lieu méconnu, grâce à une application spécifique sur mon téléphone portable, je repérais la position exacte où je me trouvais. Cela me permettait de retrouver à coup sûr mon point de départ sans avoir à chercher. Je voulais à tout prix éviter de revivre la mésaventure qui m’était arrivée quelques années auparavant où je m’étais retrouvé bel et bien perdu et totalement incapable de retrouver mon chemin. Je fus alors obligé de passer la nuit à la belle étoile, complètement désorienté, sans dîner, transis de froid bien que nous arrivions déjà en période estivale. Ce n’est qu’au petit matin que je réussis enfin à interpeller à l’orée de la forêt un autochtone qui m’avait indiqué la bonne direction.

    — Vous allez en sens opposé, m’avait-il simplement dit.

    Force était de constater que j’avais toutefois parcouru une bonne distance. Pourtant, ce matin-là, je décidais de ne pas aller très loin, juste une petite balade dans les environs. Sac sur le dos, appareil photo en bandoulière, bâton de marche et me voilà parti. En raison de l’heure matinale, le sol était encore bien mouillé, mais pas de problème, j’étais bien équipé. Mes chaussures de randonnées renouvelées l’année précédente adhéraient bien et je ne risquais pas une mauvaise chute comme cela m’était arrivé par le passé. À cette heure, je n’avais bien sûr rencontré âme qui vive. Généralement en cours de matinée et qui plus est en milieu de semaine, les promeneurs se font rares. Ce petit chemin que j’empruntais pour la première fois était très diversifié et je prenais plaisir à découvrir cette nature qui se réveillait après un hiver malgré tout peu rigoureux pour cette région. Je ne rencontrais aucun animal, seuls les oiseaux qui étaient fort nombreux. Parfois, la pente de ce tracé me permettait de découvrir au loin la campagne vallonnée dont la vision était bien différente vu sous cet angle. Soudain, mon regard fut attiré par une sorte d’abri que je distinguais à peine à travers les arbres encore dénudés en ce début de printemps. Par curiosité, je m’approchais et constatais qu’un petit sentier conduisait jusque-là. Je détaillais avec attention ce refuge qui me semblait n’être guère habité. Pourtant il n’était pas vraiment à l’abandon, des sortes de fermetures en plexiglas faisaient office de fenêtres, le toit aussi avait été consolidé avec des tôles de différentes origines, le conduit de cheminée était tout aussi récent, quant à la porte d’entrée elle était rafistolée assez grossièrement avec des morceaux de bois brut qui pouvaient provenir d’une ancienne palette de livraison. Manifestement, ce refuge devait être parfois occupé par quelques chasseurs. Il servait peut-être aussi de lieu de villégiature d’un homme des bois solitaire qui venait y passer ses jours de liberté loin du tumulte de la vie urbaine. Lorsque les arbres seraient en feuilles, la vue de cette guitoune serait, j’imagine, difficilement décelable. Je poursuivais donc mon chemin en oubliant cet arrêt imprévu et m’activais sur le trajet du retour pour ne pas être surpris par la luminosité qui n’allait pas tarder à faiblir en raison d’un orage qui déjà se profilait à l’horizon. Soudain sur le dernier tronçon de mon périple, je distinguais une silhouette qui se dirigeait droit vers moi. Je n’étais pas particulièrement inquiet, mais au fur et à mesure qu’elle se rapprochait, je constatais la stature imposante de cet homme que je n’allais pas tarder à croiser. Effectivement, c’était bien un homme grossièrement vêtu, portant un drôle de chapeau, que je qualifiais de bizarre et particulièrement élimé. Il avait un visage buriné encadré d’une épaisse barbe poivre et sel et avec un regard perçant très peu engageant. Il me croisa sans un salut ni même un bonsoir, sans aucune marque de sympathie comme si je n’existais pas et dérangeais son parcours. De toute évidence, il regagnait son repaire, car en raison de l’heure avancée de l’après-midi, il me semblait bien trop tard pour s’engager en forêt.

    Il n’y avait pas de doute possible, il devait être le locataire de cette cache que je venais tout juste de découvrir. C’est à peine si j’osais me retourner pour m’assurer qu’il continuait son chemin. Je retrouvais enfin ma voiture, content d’être arrivé à bon port et commençais à m’interroger sur cet individu. Que faisait-il dans ce bois, était-ce un SDF, un migrant ou un évadé ? Que sais-je. Sans curiosité aucune, il me paraissait normal de m’interroger. Sur le trajet du retour et jusqu’à la maison, je n’arrêtais pas de penser à cette rencontre inattendue. Sans trop savoir pourquoi, il se passa beaucoup de temps avant que le souvenir de cet homme ne s’estompe. Le lendemain, j’y pensais encore, et je ne saurais dire pourquoi cette rencontre m’avait interpellé, probablement par son côté à la fois surprenant et mystérieux. Je décidais de prendre sur moi pour évacuer au plus vite toute hypothèse farfelue qui risquait certainement d’être loin de la vérité. Mais c’était sans compter sur la vision d’un individu du même genre que je doublais le surlendemain matin en voiture en me rendant au marché du village ; même carrure, même allure, même chapeau. Comme moi, il se dirigeait vers le centre du village et même sans l’avoir vu de près, je ressentais la même et curieuse impression. Pour cette raison, je n’osais pas m’arrêter pour lui proposer de le prendre en voiture, sachant pourtant la distance restante jusqu’au marché. À tort ou à raison, j’avais supposé qu’il se rendait comme moi au village. J’aurais eu bonne mine si en m’arrêtant pour l’inviter à monter dans mon véhicule, il m’avait rabroué en me priant de passer mon chemin. Surtout que je n’étais absolument pas certain qu’il s’agissait du même homme, même s’il n’y avait que peu de doute possible. M’aurait-il reconnu ? Assez de questions, c’est bon pour cette fois, on verra plus tard et j’accélérais par peur de changer brutalement d’avis. Un peu plus tard en quittant le marché, la silhouette de cet homme énigmatique réapparut devant moi. Le pas tranquille, il se dirigeait vers la Dordogne quand soudain il s’engouffra dans ce qui me semblait être un magasin. Erreur, c’était en réalité un petit bistro où je n’avais jamais mis les pieds et dont je n’avais pas le moindre souvenir. Je lui emboîtais le pas et me retrouvais dans cet établissement où il n’y avait pratiquement que des hommes. Je commandais un café et m’installais dans un coin suffisamment éloigné de l’individu afin de pouvoir l’observer tranquillement. Je m’étonnais néanmoins de ma démarche. D’une part, je fréquentais rarement ce genre d’établissement et d’autre part, je me demandais pourquoi je me retrouvais ainsi en lieu et place dans cette sorte d’estaminet. Qu’importe, ma curiosité l’emportait et il me semblait que j’avais une bonne raison d’être là. Bonne raison, un peu rapide comme argument, enfin ! Tout en buvant mon café, je m’interrogeais sur le mobile qui m’avait poussé jusqu’ici. C’était bien la première fois que j’agissais de la sorte, car ce que je faisais ressemblait bien à une traque. Quelle motivation pouvait bien justifier mon attitude ? Je n’étais pas sûr de le savoir moi-même en dehors du fait que ce personnage avait quelque chose de mystérieux et d’obscur qui m’avait interpellé et inquiété à la fois. Il rasait les murs pour essayer de se confondre le plus possible dans l’environnement où il se trouvait, presque pour ne pas être reconnu ni démasqué, être invisible. Du reste en l’observant, je constatais qu’il ne s’adressait à personne, il avait juste passé sa commande au barman. Tout en buvant sa bière à petites gorgées, il lisait le quotidien local et semblait y rechercher quelque chose. Deux personnes s’étant déplacées, je le distinguais beaucoup mieux maintenant et je remarquais qu’il ne paraissait pas aussi vieux que je l’avais supposé. Les traits de son visage semblaient trahir quelque chose de douloureux. Cet homme avait-il vieilli prématurément, ou était-il d’un âge avancé ? Ce qui est certain, c’est qu’en se tenant ainsi à l’écart tel un animal blessé, il suscitait encore plus ma curiosité pour ne pas dire mes interrogations. Je ne pouvais pas faire plus dans l’immédiat et j’étais soulagé qu’il ne m’ait pas encore reconnu. Soudainement, il se leva, passa au bar pour payer sa consommation et se dirigea vers la sortie. J’en profitais pour lui emboîter le pas, mais pas seulement. Tout en réglant ma consommation, je tentais de questionner rapidement le patron de l’établissement.

    — Connaissez-vous cet homme qui est sorti avant moi ?

    — Non, pas personnellement, me répondit-il, il vient quelquefois prendre un café, lire le journal et recharger son téléphone portable, je ne saurais vous en dire plus.

    — Et ça depuis longtemps ? M’aventurais-je à dire.

    — Quelques mois tout au plus, depuis qu’il a débarqué ici nous n’en savons pas plus et en raison de son aspect plutôt sauvage, nous nous gardons bien de l’importuner.

    — Pourtant il n’a pas l’air dangereux, tout au plus égaré et renfermé, ajoutais-je.

    — Vous avez raison, le jour où il se décidera à communiquer, il sera toujours temps de reconsidérer notre jugement, me dit le patron.

    Je quittais le bistro avec ni plus ni moins d’informations qu’en y entrant, si ce n’est que cela confirmait mes doutes à son sujet. Cet homme foncièrement discret sans réellement se cacher fuyait, on ne savait pas très bien quoi. Je laissais volontairement de côté mon questionnement à son sujet, estimant qu’au fond je n’avais pas de raison particulière de le poursuivre. Le temps s’était écoulé paisiblement et je profitais au mieux de la belle saison qui se profilait de jour en jour. Le printemps avait retrouvé l’ensoleillement tant attendu et les arbres s’étaient couverts d’une toute nouvelle parure. J’aime particulièrement le début du printemps, où après les bourgeons, les feuilles prennent rapidement la relève. Et je m’émerveille toujours de constater que chaque espèce d’arbre retrouve toujours sa propre palette de couleurs, de verts plus ou moins profonds, aux jaunes du plus pâle au plus ocré et quelquefois de bruns à peine soutenus. C’était l’occasion pour faire au lever du jour les plus beaux clichés des sous-bois environnants lorsque la brume fait place au soleil. Je n’étais pas encore retourné dans le bois où se trouvait la fameuse et intrigante cabane. Je craignais de déranger ou d’être surpris par le locataire des lieux que je n’avais pas revu depuis ma visite incognito au bistro du village. Du reste, mon envie d’en savoir plus sur ce protagoniste s’était émoussée. En ce département de Corrèze où je restais généralement un mois ou deux, j’en profitais pour lire, écrire, peindre quelques fois et visiter des lieux qui m’étaient encore inconnus, afin de mieux connaître la région. Je revenais toujours chez moi avec de nombreuses photos qui me permettaient de créer de nouveaux diaporamas pour compléter ma collection. Cette année également, j’avais inscrit dans mon programme de villégiature, de m’intéresser aussi aux travaux d’entretien et de rénovation, afin de maintenir cette maison dans un bon état de conservation. Pour concrétiser ce projet, j’avais décidé de m’attaquer illico à la réfection des volets en bois. Ces derniers n’avaient pas vu un pinceau depuis de bien nombreuses années et un bon rafraîchissement ne serait pas superflu. Afin de concrétiser mes bonnes intentions, j’avais décidé de me rendre jusqu’à la zone commerciale la plus conséquente de Brive où, immanquablement, je trouverais le magasin adéquat. Pour profiter pleinement de ma journée et ne pas limiter uniquement ce déplacement à des objectifs de bricolage, je pris la route tôt le matin pour me débarrasser au plus vite de cette contrainte. Ensuite, je pourrais au gré de mes envies, déambuler dans cette ville que je connaissais en fait assez peu. Je ne manquerais pas d’aller déjeuner comme chaque fois que je venais en ces lieux au « grain de sel » établissement qui me rappelait un bien agréable souvenir. Je ne sais pas s’il fait partie des meilleurs restaurants de la ville, mais peu importe, j’y ai toujours très bien déjeuné que ce soit en terrasse ou à l’intérieur et l’accueil y a toujours été très chaleureux. J’avais trouvé tout le matériel indispensable pour la rénovation des volets et ma première mission accomplie, je reprenais la route pour rentrer chez moi. À peine arrivé sur place, je doublais notre homme qui marchait sur le bas-côté de la route, lesté de deux énormes sacs qu’il portait péniblement. Je l’avais aperçu de loin car sa silhouette était reconnaissable même à bonne distance. Sans réfléchir et faisant fi de mes considérations antérieures, je m’arrêtais quelques mètres en amont et lui proposais de le déposer à son lieu de destination. D’emblée, il refusa. Je me fis donc plus insistant ;

    — Nous nous sommes déjà rencontrés, voyons ne faites pas de manières, je sais que vous avez encore une bonne distance à parcourir.

    Finalement, il consentit à monter. Je ne savais pas s’il se sentait gêné en raison de notre première rencontre ou pour tout autre chose. Il n’ignorait pas que son lieu de résidence m’était connu. Aussi pour détendre l’atmosphère je parlais de tout et de rien et notre conversation prit somme toute une tournure parfaitement normale.

    — Je m’appelle Romain et vous ?

    Il lui fallut un certain temps avant qu’il me réponde. Heureusement, il ne m’obligea pas à reformuler ma question.

    — Simon, me répondit-il presque timidement.

    Cela faisait contraste avec sa stature massive.

    — Et sans être indiscret, vous revenez de faire vos courses pour la semaine ?

    Le oui cette fois était moins timoré, mais le caractère bourru de cet homme m’avait d’une certaine manière, impressionné. Même, s’il correspondait au personnage, il m’avait mis en éveil par cette retenue indéfinissable à laquelle j’étais toujours sensible. Ce sont presque les seuls échanges que nous avons eus pendant ce court trajet. Je n’attendis pas qu’il me demande où il voulait descendre, j’anticipais en lui disant tout simplement :

    — Voilà nous y sommes.

    Et je lui serrais la main d’une façon très cordiale. Rapidement, une idée m’effleura ;

    — Attendez, ne partez pas !

    Et sur-le-champ, je sortis de mon portefeuille, une carte de visite que je lui remis, mentionnant mon numéro de téléphone.

    — La prochaine fois que vous aurez des courses à faire au village, téléphonez-moi et je vous emmènerai avec plaisir.

    Il se tourna alors vers moi et dans son regard j’ai pu lire, un étonnement manifeste auquel il fallait s’attendre. Tout comme moi, il devait se demander qui pouvait bien être cet individu qui lui proposait de le prendre en charge. Il me gratifia cette fois d’un merci plus chaleureux et je repris la route jusque chez moi. J’étais vraiment satisfait de mon initiative, et l’entrée en matière était maintenant faite. Soudainement, l’idée ne fit pas que m’effleurer, il fallait que je trouve ce qui était arrivé à cet homme. Car sans aucun doute, c’était quelqu’un de blessé que je venais de rencontrer et d’instinct je pensais qu’il fallait peut-être que je fasse quelque chose pour lui. Pourquoi ? Je ne sais pas. On ne vit pas ainsi en reclus manifestement sans aucune raison. Il allait falloir faire preuve de patience, de psychologie aussi pour l’aborder à nouveau. L’animal, excusez l’expression, m’apparaissait comme un être réellement meurtri qui n’allait pas se livrer aussi facilement.

    Je ne vis pas passer les jours suivants, tellement j’étais occupé à repeindre les volets de la maison et que rien ne devait perturber mon activité. Et puis cette quête de savoir ce qui était arrivé à cet homme, devint pour moi comme un objectif et je devais mettre tout en œuvre pour l’atteindre ; ne me demandez pas pourquoi ? Mais de quel objectif parle-t-on ? Au fond, je faisais peut-être fausse route, cet individu aurait-il l’envie et l’intention de donner une suite favorable à notre improbable et inattendue rencontre ? Je n’en savais rien. Et puis, que quelqu’un l’aborde de cette manière, cela ne devait pas lui être fréquent. Quelle allait être sa réaction ? Certainement de la méfiance. C’était l’inconnu pour moi bien sûr, mais ce challenge n’était pas pour me déplaire.

    Je n’avais pas revu Simon et c’était mieux ainsi. Il fallait que je lui laisse le temps de s’apprivoiser à la situation. Je pensais qu’il valait mieux que ce soit lui qui prenne l’initiative de notre prochaine entrevue. Il ne fallait pas que je sois trop intrusif pour ne pas l’alerter et qu’une certaine défiance s’installe entre nous. En fait, ça s’est passé quelques jours plus tard au bistro. Tout juste sorti de mes travaux de peinture que j’avais menés jusqu’à terme avec le plus grand soulagement, je décidais de m’accorder une pause, un vrai moment de plaisir un peu comme une récompense pour le travail enfin accompli. C’est ainsi que je me retrouvais attablé dans l’arrière-salle de l’établissement devant un petit salé aux lentilles, un de mes plats favoris. C’était la première fois que j’y déjeunais et pour cause, j’avais découvert récemment comme vous le savez, que ce bistro faisait aussi restaurant et l’idée m’était venue de m’y rendre le matin même, en voyant le piteux contenu de mon réfrigérateur. Évidemment, j’avais choisi l’option la plus alléchante ; celle d’aller au restaurant plutôt que de courir au supermarché pour approvisionner mon garde-manger. Mais je ne perdais rien pour attendre car de toute manière cette corvée, car c’en était une pour moi, je savais que je n’y couperais pas. J’avais à peine entamé mon plat que je vis à ma grande surprise, Simon franchir l’étroite porte qui séparait le bistro de la salle de restaurant. Il m’aperçut tout de suite et vint me saluer comme si nous nous connaissions depuis longtemps. Je le trouvais particulièrement détendu et je ne lui laissais pas le temps d’en dire davantage et lui proposais d’emblée de partager la table avec moi. Il accepta ma proposition avec plaisir. C’est ainsi que nous nous retrouvâmes tous les deux devant le même plat du jour. Après les banalités d’usage, je souhaitais l’attaquer de manière frontale pour savoir ce qu’il lui était arrivé, car il n’était pas question d’y aller par quatre chemins. Pour autant, à ce moment-là, je ne me rendais pas vraiment compte de ce qu’une entrée en matière aussi brutale, voire maladroite allait pouvoir provoquer. C’était venu spontanément, comme si, il était normal qu’il se livre ainsi à un parfait inconnu. Il ne m’était vraiment pas venu à l’esprit un seul instant qu’il puisse se braquer ou qu’il refuse catégoriquement de poursuivre nos échanges. Aussi je refoulais immédiatement ma question et la formulais d’une manière beaucoup plus acceptable.

    — Mais, dites-moi Simon, comment vous êtes-vous trouvé dans cette situation ? Que s’est-il passé d’important dans votre vie pour en arriver là ? Vous n’êtes pas obligé de me répondre, cela ne me regarde pas j’en conviens, mais peut-être que cela me permettrait de vous aider.

    Je me surprenais par tant d’audace mais la question était lancée. Et certainement pour atténuer mes propos, presque pour m’excuser j’enchaînais :

    — Rassurez-vous, ma vie non plus n’a pas toujours été un long fleuve tranquille, mais j’ai fini par reprendre la maîtrise de mon existence. Un jour, je vous raconterai mon parcours, vous verrez que vous n’êtes pas le seul à connaître une telle situation.

    C’était venu comme ça, je n’avais pas prévu ce dialogue, mais je lui montrais que je souhaitais que nos échanges perdurent et que ces conditions favorables avaient pour objectif de le rassurer sur mes bonnes intentions. Avec cette entrée en matière, certes un peu rude, j’observais Simon, le nez dans son assiette, en train de se demander assurément s’il devait m’envoyer son poing dans la gueule, ou répondre d’une manière plus pacifique à ma demande. Je reverrai longtemps l’intensité de son regard à cet instant précis, renforcée par l’aspect charbonneux de ses sourcils très fournis, ce qui provoqua en moi comme un recul manifeste qui trahissait l’angoisse qui venait de m’envahir. Le plus calmement possible, Simon reposa les mains sur la table ; le pire était passé et il me gratifia d’un timide sourire.

    — Romain, vous avez raison, un jour ma vie a basculé et pris un tournant catastrophique et aujourd’hui encore, il m’est toujours difficile d’en parler. Je sais, je suis le principal responsable de cette situation, je ne peux en vouloir à personne, mais revenir en arrière n’a pas été possible. C’était comme un engrenage irréversible duquel je ne pouvais plus sortir. J’ai bien tenté de m’en échapper, mais irrémédiablement chaque nouvelle tentative aggravait un peu plus la situation. Nous en reparlerons enchaîna-t-il presque pour conclure sur le sujet, du moins pour cette soirée.

    Je n’osais rien ajouter, Simon s’était exprimé avec moi pour la première fois comme il ne l’avait encore certainement jamais fait. J’avais bien compris qu’il était inutile d’aller au-delà. Je changeais immédiatement de sujet et je perçus alors à son attitude un soulagement perceptible. Il mangea de bon appétit comme s’il n’avait pas dégusté un plat chaud et succulent comme celui-ci depuis fort longtemps.

    Quelques jours plus tard, Simon se trouva de nouveau sur mon chemin ; il se rendait cette fois au centre du village. Lorsque j’arrêtais la voiture à sa hauteur, il ne se fit pas prier pour monter. Nous étions en parfaite connaissance et Simon affichait désormais une plus grande liberté avec moi. Pour autant, notre conversation fut brève et se limita aux aléas de cette journée qui s’annonçait maussade. Il n’était pas exclu qu’une forte pluie s’invite en fin d’après-midi comme la météo nous l’avait déjà annoncé. Juste avant de le déposer où il m’avait demandé, je lançais à tout hasard ;

    — On se voit un de ces soirs pour dîner ?

    — Très volontiers Romain, demain soir si vous voulez ?

    — C’est parfait, disons dix-neuf heures si ça vous convient.

    — OK, pas de problème en ce qui me concerne !

    Et c’est ainsi que nous nous retrouvâmes le lendemain soir comme convenu en ce lieu qui allait devenir notre « QG ».

    — Vous aimez la tête de veau j’espère, car c’est le plat du jour, comme je viens de le lire sur l’ardoise.

    — D’une part, je ne suis pas très difficile et par ailleurs j’aime tout particulièrement ces plats canailles ; donc je suis partant.

    — Moi aussi.

    Simon avait l’air en forme, notre soirée démarrait bien comme je l’avais souhaité. Néanmoins, je me demandais de quoi nous pourrions bien parler, car je ne me sentais pas d’attaque à relancer la conversation sur son passé. Après qu’il m’eut raconté ce qu’il connaissait du village et de ses environs, à ma grande surprise, de lui-même il relança le sujet ;

    — Romain, lors de notre précédente rencontre, vous avez tenté d’aborder avec moi la question de mon parcours. À ce moment-là, je n’étais pas prêt à vous répondre, mais depuis j’y ai réfléchi. Je comprends parfaitement que ma situation puisse vous interpeller. Croyez bien que c’est la première fois que je tente de raconter ma triste expérience à quelqu’un. Même si nous nous connaissons depuis peu de temps, vous m’avez mis suffisamment en confiance pour le faire avec vous aujourd’hui. Soyez indulgent Romain, je risque de chercher mes mots, car cela fait trop longtemps que je n’ai pas eu l’occasion de faire ce genre d’exercice.

    Il se prit alors la tête entre les mains et c’est ainsi qu’il commença son récit.

    2

    — J’ai eu la chance de naître dans une famille plutôt aisée. Comme pour mes frères et sœur, mes parents ont été très vigilants sur le suivi de nos études et certainement grâce à eux, j’ai décroché les diplômes qui échelonnaient mon cursus universitaire. Jusque-là, ma vie était sereine, je me projetais, sans hâte aucune, sur mon avenir, certain de trouver les débouchés professionnels espérés. Mes parents y veillaient secrètement et on me proposa un premier job auquel ils avaient largement contribué à mon insu. C’était arrivé comme ça, certainement trop rapidement et surtout sans aucune démarche de ma part. À aucun moment, je n’avais trouvé cette proposition suspecte et il ne m’était pas venu à l’esprit de m’interroger sur son origine, j’ai dû simplement juger que cette offre était tout simplement providentielle. Naturellement, je suis tombé les deux pieds dans le panneau sans aucun discernement. Lorsque je découvris la supercherie, j’étais hors de moi, ayant toujours revendiqué ne pas vouloir de passe-droit et par orgueil je ne pouvais pas faire autrement que de donner ma démission. Mes parents étaient fous de rage, eux qui avaient justement œuvré pour me trouver ce premier emploi, lequel provoqua la rupture de notre bonne entente familiale. J’avais peut-être besoin d’un prétexte pour m’émanciper de ce cadre plutôt rigide et je souhaitais le plus rapidement possible, revendiquer ma totale liberté d’action. J’ai rapidement et longtemps regretté mon attitude et il me fallut de nombreuses années avant de retrouver la

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