B22, sortie de crise ?: Roman
Par Amélie Dieudonné
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEURE
Psychologue et autrice d’un premier ouvrage intitulé La Chute, cette belle envolée, Amélie Dieudonné aime effleurer et rencontrer les âmes humaines. Sensible, elle met sur papier ce témoignage de Nicolas Deketelaere qui a choisi l’écriture comme exutoire.
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Aperçu du livre
B22, sortie de crise ? - Amélie Dieudonné
Naissance et résistance
Il est 10 heures du matin et il fait bon dans la chambre. Presque trop chaud pour certains qui transpirent sous leur blouse. Le ciel hivernal est bleu clair et semble glacer la ville. Mais d’ici, je ne crains rien. Je suis confortablement installé, la chaleur me berce et je n’ai pas la moindre envie de bouger. Je rêve de ne jamais quitter ces eaux brûlantes de douceur. Pourtant on m’appelle, on me presse. Les voix se font de plus en plus insistantes et je les ignore. Lucas, lui, décide d’y aller, sans doute pressé de prendre l’air et de s’aventurer vers l’inconnu. Moi je sais qu’on est en avance et qu’on aurait pu traîner ici un mois de plus alors il me faudra encore 35 minutes pour prendre mon courage à deux mains et suivre mon frère. Suivre c’est un grand mot. Je suis tellement décidé à ne pas bouger qu’ils finiront par venir me déloger de force. Ma première bataille. Le cordon ombilical m’enserre la gorge, je suffoque et le violet déforme mon visage. Je m’appelle Nicolas, nous sommes le 13 janvier 1985, cela ne fait que quelques minutes que j’ai touché la terre ferme et je ne le sais pas encore mais le ton est donné.
Enfance et innocence
Mauvais départ qui me ralentit peut-être dans la course. J’ai deux ans et je ne parle toujours pas. Mon frère se débrouille et fait l’intermédiaire entre les parents et moi. Messager, il me traduit les informations qu’il reçoit. Mais je n’ai pas besoin de lui pour comprendre que papa et maman se déchirent. Papa est parti et nous laisse seuls avec maman. Nous, c’est mon grand frère Jonathan, mon jumeau Lucas et moi. Trois gars abandonnés par le quatrième.
Heureusement, il ne part pas très loin et nous garde parfois. Alors on joue, papa fait le loup et moi je m’échappe à travers les barreaux de l’escalier. L’idée n’était pas mauvaise mais la chute est longue depuis le deuxième étage. Sans doute que je supporte trop bien la douleur ou peut-être qu’ils n’ont pas les yeux en face des trous mais toujours est-il que les parents mettront deux semaines à réaliser que mon petit corps a besoin de soin. Clavicule cassée, bébé plâtré.
Je grandis et je commence finalement à parler. Je suis un enfant calme et doux. En colère par moment. Alors maman me donne parfois des douches froides ou quelques gifles. Méthode plutôt efficace qui me fait taire instantanément.
J’imagine que je me perds dans leurs attentes. La pression est grande sur mes épaules pour que je me mette enfin à prononcer mes premiers mots mais lorsqu’ils franchissent mes lèvres, ils sont détruits et les suivants sont contraints de rester enfermés derrière mes dents.
Puis maman s’occupe beaucoup de Lucas, il était petit et fragile à la naissance alors que moi j’étais robuste. Alors, comme tous les enfants aux bouches muselées qui pensent comprendre que la priorité est ailleurs que sur eux, je m’efface. Je m’efface mais j’use de stratagèmes pour sortir de moi ce qui me touche, j’use de créativité pour demander une minute d’attention et je fais caca sur toutes les marches des escaliers de maman. Et elle nettoie sans se plaindre. C’est une battante, ma mère. Elle travaille à temps plein et quand elle rentre le soir elle commence son deuxième emploi, le plus intense sans doute : celui de mère au foyer. Nous sommes déjà trois petits gars et je n’imaginais pas à ce moment-là que, plus tard, je m’emmêlerais les pinceaux en citant les prénoms et les âges de mes petits frères et sœurs.
Maman rencontre un autre homme. Les images de lui sont floues mais mes deux petites sœurs sont bien nettes, elles. Deux bouilles joufflues aux cheveux d’ange. Il nous quittera juste après avoir déposé les deux petits paquets à la maison. Mais moi ça me va, on est mieux sans lui et je les aime bien mes deux nouvelles petites sœurs. Julie, la plus grande, dort dans la chambre à côté de la nôtre. Avec mes frères, nous partageons une petite pièce sous les toits. Je me sens bien dans le grenier. Je me plie en deux pour atteindre mon lit en hauteur et j’écoute la pluie marteler le velux. Je compte dans ma tête et je me dis que si je le fais assez lentement, la pluie se sera arrêtée à 100 et j’aurai disparu dans le sommeil en même temps qu’elle. Je crois que Jonathan fait semblant de ne pas être fatigué parce que je l’entends bâiller derrière sa bande dessinée. Il attend qu’on s’endorme, Lucas et moi. Ambre, comme c’est encore un bébé, elle dort dans la chambre de maman au premier étage. Des fois, j’aimerais encore être un bébé pour qu’elle me caresse la tête comme elle le fait sur le petit duvet de ma sœur. Et parfois, je suis fier d’être un grand, maman m’envoie faire des petites courses à l’épicerie au coin de la rue et sur le chemin je répète en boucle ses indications pour que tout soit parfait à mon retour. Un petit pain gris coupe carré, six gervais et une salade iceberg. Parfois, je prends Ugli avec moi. Ugli c’est notre chien, mais elle n’est pas très jolie alors je n’aime pas trop la prendre avec moi dans le quartier. Par contre, elle nous fait bien rire. Un jour, je ne sais pas comment, elle est arrivée à l’école et a commencé à jouer avec tous les enfants dans la cour. Je l’ai ramenée en vitesse à la maison et je l’ai attachée dans le jardin. Il a plu toute l’après-midi et je pensais à elle en regardant par la fenêtre de ma classe. Je me suis senti mal.
J’aime bien les week-ends parce qu’on peut regarder un peu la télévision. Pas longtemps alors je mets le volume très fort pour ne rien rater du « Club Dorothée ». Quand c’est fini, maman arrive et coupe directement l’émission, parfois même avant la fin du générique que je termine dans ma tête parce que c’est pas joli une musique coupée avant la fin. Et puis je rejoins mes frères dans la véranda et nous créons des histoires folles avec nos Playmobil. Et des fois, on fait des bêtises parce que ça nous fait rire jusqu’à faire quelques gouttes dans mon caleçon. Un jour Jonathan a mis le feu au sapin dans le parc, c’était drôle, même si maman n’était pas très contente. Une autre fois, on a mis nos poissons rouges sur le radiateur. On se disait qu’ils devaient en avoir marre d’être toujours mouillés. Et puis moi j’imaginais leurs nageoires toutes ridées comme nos doigts après un long bain et franchement je ne leur souhaitais pas ça, c’est très désagréable. On les a remis dans l’aquarium juste avant que maman ne rentre mais ils ont refusé d’aller au fond de l’eau. Ils flottaient bêtement à la surface.
À l’école, ce n’est pas facile. J’ai de mauvaises notes et je ne me lie pas trop d’amitié avec les autres élèves de la classe. Pourtant j’adore m’y rendre. Je suis consciencieux et ordonné. Tous les soirs, je prépare mon cartable pour le lendemain. Je mets ma trousse dans la poche de devant, puis mon journal de classe que j’ai recouvert de stickers dans la grande et ensuite, je glisse précautionneusement ma farde à glissière. Les coins sont un peu croqués mais je pourrai mettre du papier collant si ça se déchire. En fin de journée, quand je rentre de l’école, après avoir mangé des petits Prince trempés dans du lait, je m’applique à faire mes devoirs, mais je ne comprends pas. La grammaire, les calculs, ça ne me parle pas même quand je me concentre très fort. Le reste, ça va encore, mais ma mémoire n’est pas très bonne alors mes notes sont mauvaises aussi au final. Une chose entraînante une autre, je me retrouve confortablement installé dans le même panier que les autres en difficulté. On en sort difficilement de ce panier-là. Puis ça nous fait des points communs finalement alors on s’y accroche parce qu’on a que ça. Et sans rien dire, on se serre les coudes, d’un coup d’œil, on sait qu’on est lié dans ce fond de panier. Alors solidaires, on se soutient et on se défend pendant les bagarres à la récréation. Les filles n’aiment pas les garçons qui transpirent et qui pleurent rageusement ou frappent tristement, ni ceux qui sont bêtes parce qu’ils sont sûrement jaloux. Alors, blessés et n’ayant trouvé que cela pour garder la face à tout prix, on en rajoute encore une petite couche en ricanant de les voir nous craindre.
Avec mes copains de panier, sur le chemin de l’école, on s’arrête parfois chez Kira, l’épicière du coin. Elle me fascine et me fait un peu peur en même temps. Je n’ai jamais vu une autre femme comme elle. Elle n’a pas de sourcils mais deux traits noirs comme si elle l’avait fait au Magicolor et j’espère pour elle que ce n’est pas de l’indélébile. Je l’imagine sans les traits. Un grand front blanc et deux yeux perdus dans le bas, ça me fait rire. Elle a du rouge à lèvres très brillant et d’énormes seins. Comme elle est vieille, elle boite un peu et il lui manque une dent. Dans la boutique, je m’amuse à regarder quel fromage a l’air le plus pourri dans ce frigo éclairé au néon blanc. Il fait tellement sombre que des fois elle ne nous voit pas arriver alors on la surprend et on lui demande d’aller nous chercher des bonbons schtroumpfs en prétextant qu’il n’y en a plus en rayons. Alors d’un pas lourd et claudiquant, elle descend dans la réserve à la cave et pendant ce temps on remplit nos poches de « couilles de singe », de « tapis » au coca et de bubble gums.
L’après-midi, après l’école et le week-end, nous jouons dehors avec mes frères. J’adore ça, être à l’extérieur, monter sur mon BMX rouge et faire des tours dans le quartier. Nous roulons à vélo dans la forêt aussi et nous traînons dans le parc derrière la maison ou au cimetière.
Quand les copains nous rejoignent, on fait des bagarres de pétards et on sonne aux portes de la rue avant de fuir en courant pour nous cacher derrière les voitures. L’adrénaline me tord le ventre mais je pouffe de rire en voyant mes copains accroupis entre les pare-chocs, et puis je ris aux éclats quand nous sortons, soulagés et fiers, de nos cachettes. Pendant les mondiaux de football, nous ne manquons jamais de nous précipiter à la pompe à essence pour acheter les cartes des joueurs que nous collons dans les magazines. On s’échange nos cartes et je saute de joie quand je réussis à compléter le mien et à les avoir toutes ! On s’échange des billes aussi. Je vole quelques pièces de monnaie dans le pot en verre de maman pour