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Un voisinage comme les autres 04 : Un hiver fiévreux
Un voisinage comme les autres 04 : Un hiver fiévreux
Un voisinage comme les autres 04 : Un hiver fiévreux
Livre électronique434 pages6 heures

Un voisinage comme les autres 04 : Un hiver fiévreux

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À propos de ce livre électronique

1987. La chanson "Les bombes" de Michel Pagliaro est sur toutes les lèvres depuis sa sortie.

Conditionné à recevoir des pots-de-vin, Patrick hérite d'un cadeau tout à fait inattendu deux semaines avant Noël. De fil en aiguille, Agathe met la main dans un panier de crabes, ce qui a l'effet d'une bombe. Constatant chez elle un désespoir profond, ses amies viennent tout de suite à sa rescousse. Anna se fait même un devoir de traverser le pont pour aller jouer au scrabble avec elle, question de lui changer les idées.

Ce qui arrive à Agathe est tellement déroutant que les Galarneau ont une prise de conscience: quelle chance d'avoir une vie stable comme la leur. Il faut croire que le bonheur a élu domicile chez eux, et qu'il est là pour rester. Il n'empêche que les Galarneau, les Gauthier et ceux qui les entourent feraient mieux de s'accrocher, car leur voisinage subit le passage d'un tourbillon de changements qui perturbe tout un chacun d'une manière ou d'une autre. Durant cet hiver dont tout le monde se passerait bien, certains devront trouver refuge ailleurs…

Lauréate du Prix Littérature du Galart, du Prix Femme d'influence de l'AFEAS RCQ et du Prix Georges-Dor pour l'ensemble de son oeuvre, Rosette Laberge a dépeint la vie de
grands personnages de notre histoire avant de présenter "Souvenirs de la banlieue", une touchante série d'époque vendue à plus de 100 000 exemplaires. "Un voisinage comme les autres" s'inscrit dans la même lignée, nous permettant cette fois de revivre les années 1980.
LangueFrançais
Date de sortie7 janv. 2015
ISBN9782895856733
Un voisinage comme les autres 04 : Un hiver fiévreux
Auteur

Rosette Laberge

Auteure à succès, Rosette Laberge sait comment réaliser les rêves, même les plus exigeants. Elle le sait parce qu’elle n’a jamais hésité à sauter dans le vide malgré les risques, les doutes, les incertitudes qui ne manquaient pas de frapper à sa porte et qui continuent à se manifester au quotidien. Ajoutons à cela qu’elle a dû se battre férocement pour vivre sa vie et non celle que son père avait tracée pour elle. Détentrice d’un BAC en communication et d’une maîtrise en gestion, Rosette Laberge possède une expérience professionnelle riche et diversifiée pour tout ce qui a trait à la réalisation des rêves et des projets.

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    Aperçu du livre

    Un voisinage comme les autres 04 - Rosette Laberge

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales

    du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Un voisinage comme les autres

    Sommaire : 4. Un hiver fiévreux.

    ISBN 978-2-89585-673-3

    1. Laberge, Rosette. Hiver fiévreux. I. Titre.

    II. Titre : Un hiver fiévreux.

    PS8623.A24V64 2014 C843’.6 C2013-942384-2

    PS9623.A24V64 2014

    © 2015 Les Éditeurs réunis (LÉR).

    Les Éditeurs réunis bénéficient du soutien financier de la SODEC

    et du Programme de crédit d’impôt du gouvernement du Québec.

    Nous remercions le Conseil des Arts du Canada

    de l’aide accordée à notre programme de publication.

    Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada

    par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.

    Édition :

    LES ÉDITEURS RÉUNIS

    www.lesediteursreunis.com

    Distribution au Canada :

    PROLOGUE

    www.prologue.ca

    Distribution en Europe :

    DNM

    www.librairieduquebec.fr

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    Pour communiquer avec l’auteure : [email protected]

    Visitez le site Internet de l’auteure : www.rosettelaberge.com

    Imprimé au Canada

    Dépôt légal : 2015

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque nationale du Canada

    Bibliothèque nationale de France

    TitreVoisinage4.jpg

    De la même auteure

    Un voisinage comme les autres – tome 1: Un printemps ardent

    Un voisinage comme les autres – tome 2 : Un été décadent

    Un voisinage comme les autres – tome 3 : Un automne sucré-salé

    Souvenirs de la banlieue – tome 1 : Sylvie (roman)

    Souvenirs de la banlieue – tome 2 : Michel (roman)

    Souvenirs de la banlieue – tome 3 : Sonia (roman)

    Souvenirs de la banlieue – tome 4 : Junior (roman)

    Souvenirs de la banlieue – tome 5 : Tante Irma (roman)

    Souvenirs de la banlieue – tome 6 : Les jumeaux (roman)

    Maria Chapdelaine – Après la résignation (roman historique)

    La noble sur l’île déserte – L’histoire vraie de Marguerite de Roberval, abandonnée dans le Nouveau Monde (roman historique)

    Le roman de Madeleine de Verchères – La passion de Magdelon (roman historique)

    Le roman de Madeleine de Verchères – Sur le chemin de la justice (roman historique)

    Le roman de Madeleine de Verchères – Les héritiers de Verchères (roman historique)

    Sous le couvert de la passion (nouvelles)

    Histoires célestes pour nuits d’enfer (nouvelles)

    Ça m’dérange même pas ! (roman jeunesse)

    Ça s’peut pas ! (roman jeunesse)

    Ça restera pas là ! (roman jeunesse)

    À paraître au printemps 2015 :

    La nouvelle vie de Mado Côté, retraitée (roman)

    Pour Jean-Éric D.

    Chapitre 1

    — Sais-tu si Céline sera là ? demande Agathe d’un ton enjoué en portant une poignée de chips au vinaigre à sa bouche.

    — Ça devrait, répond aussitôt Anna. Elle m’a fait promettre de lui garder quelque chose à manger. Elle m’a dit qu’elle doit absolument finir un travail avant de venir. J’étais épuisée juste à l’entendre énumérer tout ce qu’elle a à faire avant la fin de la session. Il faut vraiment aimer ça pour se donner autant.

    — Moi, déclare France, chaque fois que je la vois, elle me rappelle à quel point je suis paresseuse. J’en ai pour des jours à éprouver des remords à ne pas m’activer davantage. Vous devriez me voir lorsque je reviens du travail ; je prépare à manger vite fait, puis je me jette sur le divan et y reste jusqu’à ce qu’arrive l’heure d’aller me coucher. Heureusement que j’ai un lave-vaisselle ; sinon je vous jure que ce ne serait pas beau dans ma cuisine. C’est simple : je voue une admiration sans bornes à votre sœur.

    Leur dernière rencontre de filles remonte à l’Action de grâce, et elles n’étaient même pas toutes là. Entre le travail et les nombreuses occupations de chacune, trouver le temps de se réunir constitue parfois un véritable tour de force. Évidemment, Agathe, Suzie et Mylène sont celles qui se voient le plus fréquemment. Certes, cela n’arrive pas aussi souvent qu’elles le souhaiteraient, mais comme elles sont voisines, c’est quand même beaucoup plus facile pour elles. Il leur arrive d’échanger seulement quelques mots de leur galerie lorsqu’elles sortent de la maison en même temps. Parfois, elles se contentent tout simplement de s’envoyer la main. Ces petits gestes ne se comparent pas avec une bonne discussion autour d’un café, mais ils réchauffent le cœur.

    — Je ne voudrais surtout pas avoir l’air de minimiser les efforts de ma sœur, lance Agathe, mais n’oubliez pas une chose importante : contrairement à nous toutes, elle n’a pas d’enfant, pas de chien ni de chat. Avouez que ça facilite un peu les choses. Personne ne vient donc la déranger pendant qu’elle fait ses travaux. Mes enfants ont beau être autonomes, aussitôt que j’essaie de me concentrer, c’est automatique, ils ont cinquante mille demandes à me faire et, évidemment, aucune ne peut attendre.

    Agathe est fière de Céline, même qu’il lui arrive parfois d’être un brin jalouse d’elle. Et plus sa sœur avance dans son cours, plus Agathe l’envie. Même si sa réputation d’artisane croît constamment depuis le jour où elle a livré sa première murale à Westmount, elle ne gagnera jamais, à moins d’un miracle, le même salaire que Céline lorsque celle-ci aura obtenu son diplôme de comptable. Agathe n’éprouve aucun regret d’avoir choisi de rester à la maison après son mariage, mais les choses sont plus compliquées quand on n’a pas de diplôme valable en poche. C’est en quelque sorte le cas d’Agathe. Depuis le temps qu’elle a obtenu le sien, il ne vaut plus grand-chose. Elle serait obligée de retourner à l’école au moins le temps de mettre ses connaissances à jour si elle voulait travailler dans son domaine. Agathe s’est pourtant juré de se donner les moyens de voler de ses propres ailes au plus vite, au cas où elle quitterait Patrick un jour. Sa situation financière est nettement meilleure qu’à ses débuts, mais il y a toujours des progrès à faire. Elle a fermé les yeux sur plusieurs écarts de conduite de son mari ces dernières années. Elle espère qu’il se tient à carreau depuis qu’elle l’a gardé hors du lit conjugal pendant plus de six mois à la suite de sa petite virée à Québec. Cependant, elle ne joue pas à l’autruche pour autant ; elle connaît trop bien son moineau pour penser qu’il a une conduite irréprochable. Quand son mariage traverse une tempête, Agathe serre les dents et les poings et elle se jure de surmonter l’épreuve. Elle se répète souvent une phrase de sa mère : « On se marie pour le meilleur et pour le pire. » Mais à force de plier l’échine, elle commence sérieusement à s’essouffler. Et puis, dans tout ça, elle doit penser aux enfants.

    — Moi qui ai fait mon bac avec un enfant dans les bras, confie Mylène, je peux vous dire que ça demande toute une organisation. Mais c’est possible de réussir : j’en suis la preuve vivante. J’avais tellement peur de me retrouver sans le sou que j’ai travaillé d’arrache-pied pour que ça marche. Vous savez toutes que ce n’est pas l’amour fou entre ma mère et moi, mais je reconnais que je lui dois une fière chandelle. Chaque fois que je me décourageais, et croyez-moi, cela n’est pas arrivé juste une fois, elle ne se gênait pas pour me répéter sur tous les tons que personne de la famille n’avait demandé d’aide sociale et que ce n’était certainement pas avec moi que ça commencerait non plus. Ses paroles me fouettaient. Je retroussais mes manches et j’entreprenais une autre session.

    Mylène se souviendra de cette période de sa vie jusqu’à la fin de ses jours. En plus de devoir supporter le regard chargé de reproches de sa mère, elle devait s’occuper de son fils dès qu’elle franchissait la porte de la maison. Et sa mère l’obligeait même à payer toutes les dépenses de son fils. Elle arguait que puisque Mylène avait joué à un jeu d’adulte, eh bien elle devait maintenant assumer ses responsabilités. Heureusement que son père était là pour adoucir son existence. Ses parents étaient prêts à l’aider pendant ses études, mais elle devait tout de même faire sa part. Du jour au lendemain, la jeunesse insouciante de Mylène s’était envolée. Pendant que ses amis s’amusaient, elle étudiait, travaillait et prenait soin du petit Mario. À cette époque, elle était tellement fatiguée qu’elle s’endormait aussitôt qu’elle posait la tête sur l’oreiller. Au moins, cela l’empêchait de penser à sa peine d’amour, qui était pourtant bien réelle et vraiment douloureuse.

    — Contrairement à toi, dit Suzie, je n’avais personne sur qui compter, mais je n’avais pas d’enfants. Je suis partie de la maison le jour de mes dix-huit ans avec comme seule motivation ma volonté de réussir. J’étais prête à tout pour avoir une meilleure vie, et je n’ai jamais ménagé mes efforts. J’ai toujours cru fermement que, quand on veut, on peut, et que l’école n’est pas le seul endroit pour apprendre.

    Suzie est bien placée pour le savoir. Il ne se passe pas une seule journée sans qu’elle apprenne quelque chose depuis qu’elle a acheté son agence immobilière. Son entreprise a connu une progression hors du commun au cours des deux dernières années, ce qui représente une grande source de fierté pour elle. Plus souvent qu’autrement, elle a appris à la dure ; mais elle a su tirer profit de chaque leçon. D’ailleurs, son père trouve encore qu’elle est trop sévère envers elle-même. Suzie fait partie de ces personnes qui croient que ce n’est pas en se complaisant qu’on arrive à avancer dans la vie. Même si son entreprise obtient de bons résultats et dépasse toujours les objectifs visés, elle veut continuer à la développer pour qu’elle reste concurrentielle.

    — À vous écouter parler, commente France, je réalise que je suis la seule à l’avoir eu facile. Moi, quand j’ai fait mon cégep, j’avais plus d’argent dans mes poches que j’arrivais à en dépenser. J’étais habillée comme une carte de mode, je sortais tous les soirs. Et je ne mangeais jamais à la cafétéria, mais toujours au restaurant. Mes parents s’étaient juré de me donner tout ce qu’ils n’avaient pas eu quand ils avaient mon âge. Et vu qu’ils n’avaient pas eu grand-chose, je peux vous dire que je nageais dans l’abondance à tous les points de vue. Je me la coulais douce. J’ai mis quatre ans et demi à faire mon DEC alors que la plupart de mes amis ont obtenu leur diplôme en trois ans sans trop s’essouffler. Mes parents m’ont même payé un voyage d’un mois en Europe avant que je commence à travailler. Une fois de retour, ils m’ont suppliée d’aller à l’université, mais j’ai refusé. J’en avais plus qu’assez d’user mon fond de culotte sur les bancs d’école.

    — Ce n’était pas aussi facile chez nous, déclare Anna. Nos parents ne nous ont pas empêchées d’aller au cégep, mais disons qu’ils étaient contents le jour où Nathalie a décidé d’arrêter l’école après son secondaire. Pour ce qui est de l’université, c’était à nos frais. S’il n’en avait tenu qu’à moi, j’aurais suivi le même cours que Céline. J’adorais aller en classe.

    De toutes les filles Royer, Anna était de loin celle qui obtenait les meilleures notes. Elle apprenait facilement. Elle n’avait qu’à lire quelque chose une fois et cela restait gravé dans sa mémoire. Rien n’a changé sur ce plan, sauf qu’elle n’a plus beaucoup de temps libre depuis la naissance de son petit dernier. Alors que Myriam a toujours été une enfant facile, Jordan est très exigeant. Anna ne se souvient pas d’avoir dormi une nuit complète depuis le premier battement de cils de son fils il y a presque un an. Dans de telles conditions, elle ne peut que rêver d’un éventuel retour aux études.

    — J’espère que vous avez apporté votre photo de famille ! s’écrie Agathe entre deux bouchées de réglisse rouge.

    Les filles saisissent aussitôt l’enveloppe posée devant chacune d’elles en souriant. La dernière fois qu’elles s’étaient réunies, elles s’étaient lancé le défi de se faire photographier en famille et d’apporter la photo à leur prochaine rencontre.

    — Est-ce que je peux commencer ? demande Suzie. J’ai tellement hâte de vous la montrer.

    Suzie ne fait ni une ni deux et elle brandit fièrement sa photo.

    — Tadam ! Avouez qu’elle est belle. Je l’aime tellement que je passe mon temps à la regarder. Je sais bien que vous les connaissez déjà, mais aimeriez-vous que je vous parle un peu des amours de ma vie ?

    Une fois de plus, Suzie n’attend pas la réponse de ses amies pour poursuivre :

    — Eh bien, la première chose que j’ai envie de dire, même si je sais que c’est un cliché, c’est que mes enfants grandissent trop vite. Ce n’est pas croyable : Pierre-Luc vient d’avoir onze ans. Hier encore, il n’était qu’un bébé. Vous devriez l’entendre jouer du violon ; il est tellement bon…

    — Et toi ? As-tu fait des progrès ? la questionne Agathe.

    Depuis que les filles savent que leur compagne suit des cours de violon, elles la titillent pour qu’elle leur joue un morceau. Mais Suzie refuse systématiquement. Jouer du violon lui plaît beaucoup. Cependant, elle pratique cette activité pour son plaisir, non pour se produire en public.

    — Oui, je me suis améliorée un peu, mais je ne suis pas très douée – en tout cas, pas autant que Pierre-Luc.

    Comme si elle avait peur que ses copines lui arrachent la promesse de leur jouer quelque chose la prochaine fois qu’elles se verront, Suzie reprend :

    — Tommy, mon petit loup, est si beau du haut de ses neuf ans. Et regardez mon petit trésor ! Je fabule sûrement, mais je trouve de plus en plus qu’Édith me ressemble. Si je vous montrais une photo de moi au même âge, vous verriez que c’est à s’y méprendre. Je voulais avoir une fille depuis tellement longtemps !

    Les sourcils froncés, toutes fixent la photo de Suzie pour tenter de découvrir un trait de ressemblance entre Édith et sa mère adoptive, aussi infime soit-il.

    — Elle est vraiment belle, cette enfant ! s’exclame France, mais je n’ai jamais vu aucune ressemblance entre vous deux. Pour tout avouer, je préfère de loin zieuter son père !

    Les filles s’esclaffent en chœur. Il n’y a que France pour faire ce genre de commentaire. Son idylle avec Cristoforo, son bel Italien, a duré un an. Un bon jour, il a cessé de donner de ses nouvelles. Depuis, c’est le désert dans sa vie amoureuse et dans son lit – à son grand désespoir.

    — Mais j’y pense ! clame soudain Suzie. Vous ne connaissez pas la dernière concernant ma fille. Figurez-vous qu’Alexandre, son père, a eu un accident d’auto la semaine passée. Il est mort sur le coup. À huit ans seulement, elle n’a plus ni père ni mère… enfin, vous comprenez ce que je veux dire.

    — Pauvre enfant…, compatit Agathe. Heureusement que Francis et toi êtes là pour elle. Avez-vous l’intention de tout lui raconter un jour ?

    Suzie hausse les épaules. C’est une question que son mari et elle se posent régulièrement. Toutefois, pour le moment, ils sont incapables de prendre une décision.

    — Je l’ignore. En tout cas, pas maintenant.

    — Est-ce que je me trompe ou tu portes une robe neuve sur la photo ? lui demande Agathe.

    — Tu connais la mère de Francis. Quand elle a su qu’on allait se faire photographier, elle est allée m’acheter une robe et s’est dépêchée de me la poster. J’ai rarement vu quelqu’un avoir l’œil comme Annette. Elle m’a offert une multitude de tenues, et jamais elle ne s’est trompée sur la taille, ni même sur le choix de la couleur.

    — Au risque de me répéter, lance France d’un ton moqueur, il est vraiment très beau, ton Francis ! Il n’aurait pas un frère célibataire par hasard ?

    — Mais oui ! indique Suzie. Aux dernières nouvelles, son frère Philippe n’avait personne dans sa vie. Laisse-moi en glisser un mot à Francis et je te reviens là-dessus.

    Un large sourire s’affiche aussitôt sur les lèvres de France. Elle ne s’est jamais cachée pour dire à quel point elle trouve Francis beau – même directement au principal intéressé lorsqu’elle a la chance de le croiser. Il est facile de s’imaginer que ses frères sont probablement aussi séduisants que lui.

    — Sacrée France ! s’exclame Agathe. Tu ne lâches jamais, toi.

    — C’est bien mal me connaître de penser que je suis de nature à renoncer. Je déteste être seule et je ne sais plus quoi faire pour rencontrer quelqu’un. Je suis tellement désespérée que je songe même à m’adresser à une agence de rencontre. On dirait que je n’intéresse plus personne.

    — Veux-tu bien arrêter de dire des bêtises ! la gronde Agathe. Tu es belle et intelligente. Je ne comprends pas que les hommes ne fassent pas la file à ta porte.

    Toutes les filles trouvent la réplique d’Agathe bien drôle. Un fou rire collectif les secoue.

    — Ça paraît que tu n’es pas sur le marché, répond France. Je croise des hommes à longueur de journée dans mon travail ; pourtant, c’est le désert dans ma vie depuis presque un an. Je n’en peux plus, les filles ! Je ne vous mens pas, même mes souvenirs commencent à être flous.

    La boutade de France provoque d’autres rires.

    — Mais attends ! s’exclame Mylène. Il y a un nouveau médecin dans mon service et, pour ce que j’en sais, il se plaignait de ne connaître personne. Si tu veux, je peux lui parler de toi. Qui sait où cela pourrait te mener ?

    — Je vais faire mieux que ça, répond France. Je vais te donner une photo de moi. Mon enveloppe en contient tellement que je peux même en donner une à chacune de vous, si vous voulez.

    — Bonne idée ! approuve Mylène.

    Avant que quelqu’un n’ait le temps de prendre la parole, Mylène sort rapidement la photo qu’elle a apportée.

    — À mon tour, maintenant ! Regardez comme mes hommes sont beaux.

    La photo de Mylène circule parmi ses amies. Un commentaire n’attend pas l’autre.

    — Moi, avoue Anna, j’ai un coup de cœur pour ton plus jeune. Chaque fois que je le vois, je ne peux m’empêcher de sauter sur lui, de le serrer dans mes bras et de le bécoter comme une folle. Il est si mignon avec ses petites boucles blondes, on dirait un ange.

    — Lorsque je fais des commissions avec lui, raconte Mylène, toutes les grands-mères qu’on croise s’arrêtent pour lui parler. Ça me prend une éternité à faire mon épicerie.

    Autant Mylène a trouvé difficile de devenir mère quand Mario est né, autant l’arrivée de Claude la comble de bonheur. Il faut dire que Sylvain s’occupe beaucoup des deux garçons. Si tous les pères étaient comme lui, aucune femme ne se plaindrait. Chaque matin, quand elle se réveille aux côtés de son homme, Mylène remercie Dieu d’avoir mis Sylvain sur son chemin. Elle flotte sur un nuage depuis qu’il est entré dans sa vie.

    — Je propose qu’on remplisse nos verres, lance Suzie. Je peux m’en charger pendant qu’Anna nous montre sa photo. J’ai tellement hâte de voir la belle Myriam !

    Aussitôt qu’elles aperçoivent la frimousse de la petite, les filles ne tarissent pas d’éloges. Myriam porte une jolie robe rose pâle. Elle tient son ourson rempli de bouts de doudou par le cou et fait mine de lui donner un baiser.

    — Et c’est moi la fée marraine de cette ravissante enfant ! lance fièrement Agathe.

    — Ton fils est également magnifique, Anna, déclare France. Moi, j’ai toujours eu un faible pour les enfants aux yeux foncés.

    — Selon ma belle-mère, confie Anna, Jordan est le portrait craché de Rémi, le frère de Jack. J’aurais préféré qu’il ressemble un peu plus à Jack.

    Les filles en savent suffisamment sur le compte de Rémi pour avoir envie de plaindre Anna. Craignant que l’une d’elles s’échappe, Agathe s’essuie rapidement les mains sur sa serviette de table et elle exhibe sa photo.

    — C’est encore moi qui remporte la palme du plus grand nombre de personnes sur sa photo de famille ! Mais je vous avertis : ne perdez pas votre temps à me faire accroire que je suis bien photographiée. Comme d’habitude, je ne me trouve pas du tout photogénique. Mais à mon avis les enfants et Patrick sont très bien.

    Il fallait voir sa réaction lorsqu’elle est allée chercher ses photos chez Zellers. Un peu plus et elle disait à la commis de les reprendre. Mais au lieu de ça, elle s’est tue, a payé et ne les a pas sorties de son enveloppe, pas même une seule fois depuis qu’elle les a.

    Évidemment, les filles focalisent leur attention sur elle.

    — Moi, je trouve que c’est ta meilleure photo à vie, formule Anna.

    — S’il vous plaît, regardez seulement ma famille, réplique Agathe. Je n’ai aucune envie qu’on parle de moi.

    — Je vois tes enfants pratiquement tous les jours, énonce Suzie. Mais là, j’ai l’impression qu’ils ont vieilli d’un coup ! Ils sont tellement beaux.

    — Je me suis justement fait la même réflexion, déclare Agathe. Je n’arrive pas à croire que Sébastien soit rendu à dix-sept ans. Vous devriez l’entendre ; il revient constamment à la charge auprès de Patrick pour que celui-ci lui apprenne à conduire. Et Isabelle a déjà quatorze ans. Il me semble qu’hier encore je la berçais. Malheureusement, son caractère ne s’améliore pas avec l’âge. À mon grand désespoir, je n’ai qu’une seule fille et, plus souvent qu’autrement, nous sommes comme chien et chat.

    Agathe soupire un bon coup. Bien qu’elle ait réussi à marquer quelques points auprès d’Isabelle, elle a avec sa fille une relation encore très houleuse. Cela l’atteint toujours autant. Agathe peut compter sur les doigts d’une main le nombre de fois où Isabelle et elle ont tenu une discussion calme et harmonieuse. Chaque mot qui sort de la bouche d’Isabelle vaut son pesant d’or quand elle daigne s’adresser à sa mère.

    — Dominique a douze ans et Steve, dix. Moi qui aime tant les bébés, je trouve que mes enfants ont grandi trop vite à mon goût. Heureusement que toi, Anna, et toi, Mylène, vous avez des bébés. Comme ça, je peux m’en donner à cœur joie !

    — Jure-moi que tu n’as pas envie d’en faire un autre ! s’écrie France.

    — Pas pour le moment ! Regardez comme elle est belle, ma famille.

    La seconde d’après, Agathe essuie les deux larmes qui sont apparues au coin de ses yeux. Fonder une famille a toujours été son plus grand rêve ; c’est pourquoi la sienne la comble de bonheur.

    — Même si ça ne te fait pas plaisir de l’entendre, émet France sur un ton moqueur, je trouve que tu es très bien photographiée pour une fois.

    Agathe roule sa serviette de table en boule et la lui lance en plein visage.

    — À mon tour maintenant ! poursuit France. Si Agathe a la plus grosse famille, eh bien moi j’ai la plus petite – ex-æquo avec Céline. Et cela ne me donne aucun complexe d’infériorité. Admirez-nous, Marie-Josée et moi. Regardez comme nous sommes superbes ! Nous sommes allées chez la coiffeuse avant de passer chez le photographe.

    La photo de France circule rapidement autour de la table.

    — C’est vrai que vous êtes magnifiques ! lance Suzie.

    À ce moment, Céline pénètre dans la pièce.

    — Tu arrives juste à temps pour nous montrer ta photo, la taquine Agathe.

    — Mais de quoi parles-tu ?

    — De ta photo de famille, évidemment ! précise Agathe.

    — Ah oui ! Je suis allée chez le photographe avec Pierre, mais j’ai oublié ma photo sur le buffet. Je suis désolée. Avez-vous mangé ?

    — On t’attendait, ment gentiment Agathe.

    — Je peux mettre la table, si vous voulez. Je meurs de faim. En venant ici, j’ai réalisé que je n’avais rien avalé de toute la journée.

    Agathe se dit que, tout compte fait, elle n’a aucune raison d’envier sa sœur. C’est bien beau d’avoir une passion, mais lorsqu’elle nous fait oublier de manger, cela signifie qu’elle n’est peut-être pas ce qu’il y a de meilleur pour nous.

    — Mais avant, tu pourrais nous saluer ! lui lance Anna.

    Sitôt les embrassades terminées, les filles mettent toutes la main à la pâte pour dresser la table. En deux temps, trois mouvements, la tâche est accomplie. Oubliant toutes les règles de bienséance, Céline se sert dès qu’elle est assise. Elle remplit son assiette à ras bord et elle pique sa fourchette dans un gros morceau de poulet qu’elle porte aussitôt à sa bouche.

    — Je ne sais pas qui l’a cuisiné, dit-elle, la bouche pleine, mais ce poulet est vraiment délicieux. Maintenant, je goûterais bien au bœuf.

    Céline est la dernière à partir. Une fois derrière son volant, elle réalise qu’à son arrivée elle a oublié de sortir la boîte posée sur le siège du passager. Elle s’en empare et retourne dans la maison d’Agathe.

    — Ce sont les affaires de Patrick. Je suis passée au bureau hier et sa secrétaire – enfin, son ancienne secrétaire – m’a demandé de les lui rapporter. Il avait oublié cette boîte près de la porte de son bureau.

    Patrick a perdu son emploi il y a deux semaines. Quand il est revenu à la maison avec ses effets, il était hors de lui au point qu’il les a déposés directement dans la remise. Agathe a essayé par tous les moyens de savoir ce qui s’était passé. Mais la seule chose qu’elle sait pour le moment, c’est que son mari n’a plus de boulot et qu’il est furieux contre son ancien patron. Cela l’inquiète énormément. Mais chaque fois qu’elle aborde le sujet, Patrick lui dit qu’elle n’a aucune raison de s’en faire.

    — Avec l’expérience que j’ai, je vais vite me trouver un nouveau travail.

    — Mais on ne peut pas vivre avec ce que le chômage va te donner.

    — Chaque chose en son temps !

    C’est la phrase qui met fin à toutes leurs discussions depuis qu’il a été remercié par Metro. Et si cela ne suffit pas à faire taire Agathe, Patrick tourne les talons.

    La semaine qui a suivi la perte de son emploi, Patrick est resté tous les jours affalé dans son fauteuil. Il n’en sortait que pour venir manger ou aller se coucher. Il n’avait même pas assisté à son cours à l’université, alors qu’il n’en avait pas raté un seul lorsqu’il avait été terrassé par une grippe carabinée. Agathe ne savait plus quoi faire pour le sortir de sa léthargie. Elle avait appelé son père en désespoir de cause. Jacques était débarqué à la maison dans l’heure qui avait suivi. Quelques minutes plus tard, il était reparti avec Patrick. Dès le retour des deux hommes, Agathe avait remarqué un changement notoire dans le comportement de son mari. Le lendemain, Patrick s’était rué sur le téléphone. Il avait décroché une entrevue pour un poste identique à celui qu’il occupait chez Metro après seulement quelques appels, mais cette fois pour une grande chaîne de quincailleries. Agathe se croise les doigts pour que son époux décroche cet emploi. Mais là, il est parti passer deux jours au chalet avec les enfants. Cette idée n’était pas venue de lui, mais d’Agathe ; elle n’en pouvait plus. Même si Patrick a une meilleure attitude depuis que Jacques est passé le voir, il n’en demeure pas moins qu’avoir un homme à temps plein dans la maison est loin de faire l’affaire d’Agathe. La maison est son royaume et elle n’a aucune envie de le partager avec Patrick. La période où il a fait une crise cardiaque après la mort de son père lui rappelle trop de mauvais souvenirs.

    Après le départ de Céline, Agathe réfléchit. Vu le peu d’intérêt que Patrick manifeste aux choses qu’il a rapportées du bureau, elle songe que cela lui rendrait probablement service si elle allait porter la boîte dans la remise. Elle la dépose sur le comptoir de la cuisine, le temps d’ouvrir la porte. Soudain, elle éprouve l’envie de regarder ce que la caisse contient. Ce n’est pas dans ses habitudes de fouiller dans les affaires des autres, mais il s’agit tout de même de celles de son mari. Et puis elle est allée si peu souvent le voir à son bureau qu’elle n’a jamais eu l’occasion d’ouvrir un seul de ses tiroirs là-bas. Sans plus de préambule, elle retire le couvercle de la boîte. Celle-ci contient différents articles pratiques, comme un dictionnaire et une grammaire. À voir leur état, Agathe serait prête à parier que Patrick ne les a jamais ouverts. Il y a aussi plusieurs crayons et des stylos. À cause du grand nombre de ces objets que les enfants consomment pendant une seule année scolaire, elle décide de les mettre de côté. Au fond de la caisse, Agathe découvre un petit carnet noir. Elle le retourne de tous bords tous côtés mais elle ne trouve aucune inscription dessus. Elle se demande ce que Patrick pouvait bien y écrire. Quand elle l’ouvre, elle reconnaît l’écriture de son mari. Il y a trois colonnes, dont les éléments sont classés par ordre chronologique. La première date inscrite remonte au temps des études de Patrick au cégep, et la dernière a été notée il y a environ un mois. Agathe essaie de comprendre ce qu’elle voit. Une colonne contient une date et un endroit, une autre, un nom de femme, et la dernière, des commentaires : À répéter ! Excellent ! Un vrai bloc de glace !

    Agathe remarque ensuite que certains noms reviennent au fil des pages. Elle sent une boule se former dans son estomac, mais elle poursuit quand même sa lecture. Son petit doigt lui dit qu’elle n’aurait pas dû ouvrir ce carnet, mais maintenant, elle est incapable de le refermer. Elle feuillette les pages jusqu’à la date de sa rencontre avec Patrick. Ce qu’elle lit la renverse. Celle-là, je vais la marier. Non seulement elle me donnera de beaux enfants, mais elle sera une bonne mère. Et en dessous, il est écrit : Très moyen !

    Ce n’est plus une boule qu’Agathe a dans l’estomac, mais bien un volcan en éruption. Chaque ligne supplémentaire qu’elle lit accroît sa colère. Quelques secondes plus tard, elle se laisse tomber sur une chaise comme une poupée de chiffon. Elle n’en croit pas ses yeux. En y regardant bien, elle reconnaît le nom de la mère de Sébastien. Et la liste se prolonge de plus belle après leur mariage. Agathe lit tous les noms inscrits. C’est alors qu’elle voit celui de France D. Elle vérifie la date avant de recommencer à tourner les pages. Le patronyme de la France qu’elle connaît, qui est de surcroît son amie, commence justement par un D. Et elle se souvient que Patrick et France ont déjà travaillé ensemble. Après avoir compté le nombre de fois que ce nom est inscrit, Agathe se met à trembler de tous ses membres. Quelques années ont passé avant qu’il revienne – une seule fois. D’ailleurs, la France en question n’avait pas manqué d’impressionner Patrick : Sublime ! J’avais oublié à quel point on s’éclatait ensemble.

    Agathe vérifie la date, puis elle entreprend de faire des recoupements. La récidive précède à peine sa rencontre avec France. Et s’il s’agissait de la même personne ? Plus Agathe tente de réfléchir, plus son esprit

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