Le fouet du maître
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Franck Koko Cimusa trouve en la littérature le moyen de transmettre un message, dénoncer une injustice, partager une passion ou proposer des solutions. Dans Le fouet du maître, il résume les péripéties de la vie d’un enseignant au Congo.
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Aperçu du livre
Le fouet du maître - Franck Koko Cimusa
Chapitre 1
La tête bien rasée, rides temporelles tracées, il arrange son pantalon noir après avoir révisé tout le soir. Un travail sans repos, sans répit, sans fin… L’indépendance, dit-on, ou l’esclavage rémunéré. Il a une trentaine d’années de carrière, toujours locataire dans ce quartier où l’inondation fait des ravages. Quand il était jeune, l’espoir à son comble, cette colline représentait l’un des bidonvilles les plus prometteurs, mais après le glissement de terrain, la flambée des prix de location ailleurs, il ne peut plus se permettre de bouger. Tout change, sauf son salaire.
Un homme faisant environ un mètre quatre-vingts, André, mince comme un clou, enfile son pantalon noir de toujours, son compagnon de lutte a déjà quelques cicatrices bien visibles par ses couleurs grisâtres provenant des multiples coutures. Il se prépare pour la rentrée des classes. Il a maintenant une cinquantaine. Après avoir enfilé sa chemise marron qui a fêté son quinquennat et qui reste sa préférée pour cette journée historique, il s’avance vers le miroir pour contempler l’escapisme capillaire.
Il jeta un coup d’œil sur ses notes, rien n’avait changé depuis la vérification de la veille. La pluie n’avait pas manqué à l’appel comme à chaque rentrée dans cette zone équatoriale avec un climat tempéré par l’altitude. Il enveloppe ses chaussures noires de luxe dans un sachet et les glisse dans son sac marron en cuir, un sac de valeur qui a eu le courage de l’accompagner dans cette lutte depuis son premier cours. Sur ses pieds, il met des sabots de l’âge de la pierre pour faire face à la marée de boue. Ses bottes se sont toujours montrées à la hauteur, de vrais Caterpillar obtenus il y a des années dans un souk du coin. Avant de sortir, il plie son pantalon et le glisse dans de longues chaussettes de protection.
Placé sur une petite colline, son quartier, une terre rougeâtre qui devient pâteuse et glissante après la pluie, n’est pas facile à descendre, pourtant c’est une routine pour André et quelques experts du quartier qui rendent cet exercice banal à force de le faire avec sûreté. De vrais artistes de la marche dans la boue. Là où, les pieds tendres, des écoliers pour la plupart arrivent couverts de boue de la tête aux pieds à force de tomber, ces experts, eux, semblent voler aux dessus des nuages, car on peut à peine apercevoir de la boue aux coins de leurs chaussures. Les enfants marchent avec précipitation par peur d’être en retard. André avance par étape, il connaît les sentiers où le pas du caméléon est requis, ceux du lièvre et de l’autruche. Sa démarche artistique lui donne la vitesse nécessaire pour être à l’heure tout en étant propre.
C’est une chose fréquente à laquelle il se voit obligé de répondre avec enthousiasme. Il s’agit en majorité d’anciens élèves, de leurs parents ou juste des amis de ses anciens élèves. Il arrive quand même à identifier ses disciples remarquables dans la mêlée, des brillants aux bruyants, le maître garde en souvenir un répertoire de toutes ses années. Il est des fois fier, surpris, étonné et déçu quand il voit passer le futur de ses anciens élèves. André analyse souvent la vie, il n’arrive toujours pas à comprendre les rebondissements de ces petits fous devenus assidus, brillants à l’université et des génies qui ont du mal à franchir un pas essentiel…
En avançant de quelques pas, il aperçoit une jeune fille qui vend les bonbons et quelques fournitures scolaires dans un petit bassin. Jeune d’environ dix-sept ans, Sarah est une ancienne élève d’André. Elle est mariée actuellement, disons qu’elle vit en concubinage depuis ses quatorze ans lorsqu’elle était tombée enceinte. Sa portée est maintenant de trois enfants, deux garçons, Dieumerci et Jovial, et une fille, Plamedie, qui sont toujours présents. Assise sur sa pierre fidèle où elle passe ses journées entre les pleurs, les cris de son deuxième fils Jovial, elle garde un œil sur Dieume¹ pour qu’il ne s’aventure pas trop loin dans la rue, et sa cadette est soit au dos, soit en train de téter. À cela s’ajoutent des clients composés d’écoliers qui égarent leurs stylos tous les jours, des petits de la maternelle qui veulent avoir des biscuits et son client de toujours « Monsieur le maître » comme elle appelle André.
André l’a eu en troisième primaire, une surdouée, elle avait à peine huit ans. André l’admirait, polie et intelligente, Sarah était son élève préférée et de loin la chef de classe. Elle était forte en tout, en calcul mental, en orthographe, son cahier de calligraphie est toujours dans l’armoire et sert aujourd’hui encore de modèle. Sarah était même la meilleure en gymnastique.
À son approche, Sarah avait déjà préparé le fameux « Bic rouge » et un stylo bleu. Elle savait que c’était la rentrée, que le maître n’allait pas dérober à son habitude, et comme toujours, il prit les stylos en laissant trois bonbons pour les gamins. Après une courte salutation sans perdre de temps, un pas fuyant, André continuait sa route vers l’école.
La descente de la colline avait pris quelques minutes après l’achat des stylos, place à la route principale qui serpente entre les collines et le lac. Une route unique qui mène à son école et ne peut contenir que deux voitures en sens opposé, elle offre une irrégularité remarquable, de petits tronçons asphaltés qui viennent à la rencontre des parties dépourvues de goudron, en majorité remplies de petits trous dus à la pluie abondante. Les chauffeurs expérimentés savent comment varier cette mélodie routière. Il y passe toutes sortes de voitures, des bus citadins remplis des employés et quelques élèves, des bus provenant des villages environnants et transportant les jeunes vendeuses des produits alimentaires, moins commodes que ceux citadins. Viennent ensuite les pick-up, les camions transportant du gravier, sable, et ceux transportant les sacs alimentaires et bidons d’huile. En dehors des camions pétroliers et autres véhicules qui stationnent le long de la route, il y a une abondance de motos taxis, un moyen rapide de se rendre au travail mais plus cher que les bus. Si des motos sont omniprésentes, des vélos par contre sont rares. On les aperçoit ci et là, un vieux ou un jeune homme, rarement quelques élèves.
André ne se battait plus contre la boue, ce sont plutôt les flaques d’eau qu’il redoutait. Il fallait analyser la quantité d’eau ainsi que la vitesse du véhicule pour connaître l’étendue de l’éclaboussement. Il fallait aussi se prévenir des petits chauffards qui accélèrent tout proche de la flaque pour salir les gens. Les petits tronçons goudronnés datant des années soixante lui permettaient de s’évader dans ses pensées ou d’avoir une discussion avec des élèves, chemin faisant, sans pour autant baisser sa garde, car ils sont courts et irréguliers.
Sa démarche était d’un pas rapide, les déviations se faisaient également dans le même rythme. Le parcours offre un air agréable grâce aux vents lacustres, de grands arbres au pied des collines et quelques plantes vertes. Le lac était rempli de pêcheurs qui avaient jeté leurs filets toute la nuit et qui se hâtaient vers le marché des poissons en chantant dans leur pirogue. On y voyait également de jolis bateaux venant d’arriver, mais qui devaient attendre sept heures trente pour pouvoir accoster. Ceux sur le départ étaient toujours au port, en attente des voyageurs retardataires et des bagagistes. L’image la plus envoûtante restait celle des groupes de trois à quatre pirogues reliées par des poutres, dont les pêcheurs fredonnaient des mélodies harmonieuses et ramaient en cadence.
André, avec un groupe d’écoliers derrière qui essayaient de suivre ses pas, avançait dans le sens opposé des villageoises qui viennent vendre les feuilles de manioc, les bananes, les ignames, les avocats… Elles viennent de très loin, vu l’heure, elles devaient quitter leurs domiciles vers quatre heures du matin pour parcourir une vingtaine de kilomètres avec leurs marchandises à la tête et certaines avec un lourd sac de braises au dos. Ces femmes en majorité venaient chercher leurs gagne-pains en ville en créant de petits marchés clandestins au bord de la route. La vente était tout aussi pénible que le transport, car il fallait guetter les arrivées de la police qui peut saisir leurs marchandises et gérer le prix toujours décroissant et