La Métaphysique de L'evenement
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Jean-Claude Dumoncel
lhistoire , il est probable que nous allons trouver chez Pguy, daprs
Deleuze, la pense qui pntre le plus profond dans lvnement.
Quelle est cette Pense capitale sur lEvnement, que jappellerai pour
abrger le Principe Evnement ou Principe de Pguy ? Elle se trouve
principalement dans quelques lignes de Clio que Deleuze a cite deux fois 3,
en 1968 et 1969 :
tout dun coup, nous sentons que nous ne sommes plus les
mme forats. Il ny a rien eu. Et un problme dont on ne voyait
pas la fin, un problme sans issue, un problme o tout le
monde tait aheurt, tout dun coup nexiste plus et on se
demande de quoi on parlait. Cest quau lieu de recevoir une
solution, ordinaire, une solution que lon trouve, ce problme,
cette difficult, cette impossibilit vient de passer par un point de
rsolution pour ainsi dire physique. Par un point de crise. Et cest
quen mme temps le monde entier est pass par un point de
crise pour ainsi dire physique. Il y a des points critiques de
lvnement comme il ya des points critiques de temprature,
des points de fusion, de conglation ; dbullition, de
condensation ; de coagulation ; de cristallisation. Et mme, il y a
dans lvnement de ces tats de surfusion qui ne se prcipitent,
qui ne se cristallisent, qui ne se dterminent que par
lintroduction dun fragment de lvnement futur 4.
Dans ce passage, le Principe Evnement est condens dans la dernire
phrase :
il y a dans lvnement de ces tats de surfusion qui ne se
prcipitent, qui ne se cristallisent, qui ne se dterminent que par
lintroduction dun fragment de lvnement futur.
Le Principe Evnement de Pguy est donc aussi un Paradoxe de Pguy et une
nigme. Comment un fragment de lvnement futur pourrait-il intervenir
dans la cristallisation dun vnement prsent ? Et que signifient toutes ces
mtaphores physiques ? Je vais dvelopper ici lexplication que je viens de
publier dans le livre exposant le systme deleuzien 5. La clef de la difficult se
trouve dans le terme le plus technique : surfusion . Quest-ce que la
surfusion ? Cest ltat dun corps qui demeure accidentellement liquide
une temprature infrieure sa temprature de fusion 6 . Autrement dit, un
corps en surfusion est un corps qui devrait dj tre solidifi mais qui,
accidentellement , reste liquide.
La srie solide-liquide-gazeux dsigne trois tats de la matire en fonction de
la temprature. La dfinition de la surfusion ne fait par consquent que
confirmer, premire vue, le caratre nigmatique des propos de Pguy.
Quest-ce que les tats de la matire peuvent bien avoir voir avec
lvnement ?
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puis pass
Pguy le voit successivement comme dans un tat
gazeux,
liquide
puis solide.
Cest lAnalogie ontologique de Pguy. En mtaphysique du temps, cest la
jonction de la philosophie analytique adoptant le distinguo de McTaggart avec
le lignage de Pguy et Deleuze lui dcouvrant un double fond. Et en mme
temps cest une prodigieuse rencontre entre la pense de Pguy et la posie
dApollinaire :
Descendant des hauteurs o pense la lumire
Jardins rouant plus haut que tous les ciels mobiles
Lavenir masqu flambe en traversant les cieux 9.
Et cest dj davantage quune mtaphore : de mme quil y a trois tats de
la matire , il y a bien pour un vnement trois tats de McTaggart ou
Attributs A de Pguy. Les attributs de McTaggart sont aux vnements ce que
les tats sont aux substances. Dautre part, pour travailler un corps, le
forgeron le fait passer de ltat solide un tat quasi-liquide. Plus
gnralement, du solide au liquide puis au gazeux, il y a selon Leibniz 10 une
seule fluidit croissante. Tant quun vnement est futur, il est largement
possible dagir sur lui, voire parfois sur sa probabilit ou sa possibilit, peuttre jusqu la rduire zro. Quand il devient prsent, il est encore temps
pour lui imprimer tel ou tel caractre. Quand il est devenu pass, il est trop
tard. Lvenement se comporte donc dans la srie A de McTaggart comme un
corps dans la srie des tats de la matire parcourue dans lordre gaz-liquidesolide. Puisque les tats de la matire sont fonction de la temprature, cela
confre en retour une signification mtaphysique la thermodynamique 11. Le
passage du Temps est un refroidissement de lEvnement dans ltre.
Entre ltat liquide et ltat solide, il y a le point de solidification du corps,
diffrent dun corps un autre, par exemple 0 C pour leau. De mme il y
aura un point de condensation du gazeux au liquide. En raison de son Analogie
ontologique, Pguy a transpos cette notion de point prise en physique
lvnement. Cest en ce sens quil dclare : Il y a des points critiques de
lvnement comme il ya des points critiques de temprature, des points de
fusion, de conglation ; dbullition, de condensation ; de coagulation ; de
cristallisation. . Comme la vu Deleuze 12, lespace o se situent ces points
nest pas lespace physique mais ce que les physiciens appellent un espace de
phases, forme scientifique de ce que Platon appelait lieu intelligible et
Leibniz pays des possibles , reprsentable par ce que Jean-Pierre Dupuy
appelle un paysage abstrait 13 . Il faut voir la Ligne dresse par Platon au
seuil du mythe de la Caverne comme la colonne du Thermomtre de ltre et
du Temps imagin par Pguy.
Mais lAnalogie ontologique ne sarrte pas l. Pguy a compris ce que le
modle que la surfusion offre la mtaphysique. Puisquun corps en
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surfusion est un corps qui reste liquide quand il est pass au dessous de son
point de solidification, il se rvle tre, dans le langage de Leibniz, un
amphibie ontologique, traversant les tempratures sans y prendre les tats
quelles prescrivent. Si lanalogie ontologique est juste dans sa gnralit,
alors cela signifie quun vnement pourra tre pass tout en gardant la
mallabilit de lvnement prsent et, de mme, quun vnement prsent
pourra garder quelque chose de la plasticit dun vnement futur, ou encore
qu un fragment de lvnement futur pourra participer la condensation
de cet vnement futur en vnement prsent (condensation que Pguy
appelle cristallisation ou prcipit pour parler le langage de la surfusion
stricto sensu, qui se joue du liquide au solide).
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perscutions qui va dferler sur le monde, en une prdiction crite que les
vnement ont confirme au-del de tout ce que lon pouvait craindre. Et le
cas de la conversion suspendue lapproche de la Seconde Guerre Mondiale
ne fait en somme que transposer dramatiquement une analyse que Bergson
avait dveloppe en dtail au sujet de la Premire :
Encore enfant, en 1871, au lendemain de la guerre, javais,
comme tous ceux de ma gnration, considr une nouvelle
guerre comme imminente pendant les douze ou quinze annes
qui suivirent. Puis cette guerre nous apparut tout la fois comme
probable et comme impossible : ide complexe et contradictoire,
qui persista jusqu la date fatale. Elle ne suscitait dailleurs dans
notre esprit aucune image, en dehors de son expression verbale.
Elle conserva son caractre abstrait jusquaux heures tragiques
o le conflit apparut comme invitable, jusquau dernier
moment, alors quon esprait contre tout espoir. Mais lorsque, le
4 aot 1914, dpliant un numro du Matin, je lus en gros
caractres : LAllemagne dclare la guerre la France , jeus la
sensation soudaine dune invisible prsence que tout le pass
aurait prpare et annonce, la manire dune ombre
prcdant le corps qui la projette. Ce fut comme si un
personnage de lgende, vad du livre o lon raconte son
histoire, sinstallait tranquillement dans la chambre. A vrai dire,
je navais pas affaire au personnage complet. Il ny avait de lui
que ce qui tait ncessaire pour obtenir un certain effet. Il avait
attendu son heure ; et sans faon, familirement, il sasseyait
sa place. Cest pour intervenir ce moment, en cet endroit, quil
stait obscurment ml toute mon histoire. Cest composer
ce tableau, la pice avec son mobilier, le journal dpli sur la
table, moi debout devant elle, lEvnement imprgnant tout de
sa prsence, que visaient quarante-trois annes dinquitude
confuse 18.
Le personngage partiel rencontr par Bergson, ayant longtemps attendu son
heure pour sinstaller dans le prsent, est un cousin du fragment de
lvnement futur postul par Pguy. Cette ombre prcdant le corps qui la
projette , obscurment mle lhistoire sur laquelle elle est projete,
annonce le prcuseur sombre que dfinira Deleuze 19. Et nous comprenons
alors pourquoi Bergson a mis la majuscule lEvnement . Ce nest pas
seulement parce que la dclaration de guerre du 4 aot 1914 est un gros titre
de lhistoire, cest parce que la thorie de lvnement devient par son
analyse une dramatisation de toute la mtaphysique.
Entre les vcus de 1914 et de 1937, il y a cependant dnormes diffrences.
Le conflit qui commence dans lt 1914 est, comme le rappelle Bergson,
collectivement prmdit depuis quarante-trois ans, puis prpar par
lantagonisme opposant la Triple entente France-Russie-Angleterre la Triple
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importantes et les plus dcisives tout en renouant avec une thmatique aussi
ancienne que la philosophie 33. Platon, dans le mythe dEr, imagine un tissage
de la Destine auquel il subordonne un tirage au sort des lots de chacun. Mais
auparavant Hraclite avait compar le Temps un enfant qui joue aux
osselets, ce jeu o ladresse le dispute au hasard. On sait que J.L. Borges, dans
La Loterie de Babylone , a dfini une loterie qui dtermine tout ce qui
est , autrement dit une Loterie de ltre. DHraclite Borges, la dialectique
du destin et du hasard a donc hant la pense. Et le Jeu de Borges a inspir
principalement deux philosophes. Dabord Deleuze, dont cest une des
sources principales dans sa gnralisation du rle jou par le jeu en
philosophie 34. Puis Dupuy dans La loterie Babylone 35 qui nous semble
esquisser une thorie de lOrdalie gnralise (rejoignant peut-tre la thorie
deleuzienne des Jugements de Dieu) 36. Sur cet arrire-plan, Dupuy dcerne
un diplme dcidant qui est le plus grand mtaphysicien du XXe sicle 37 . Il
attribue le titre David K. Lewis, ce logicien-philosophe que daucuns ont
dcrit comme le Leibniz du XXe sicle 38 . On sait que David Lewis est
entre autres lauteur de La pluralit des mondes, ouvrage rcemment
traduit 39. Les mondes en question sont plus exactement les mondes
possibles comme ceux que Leibniz a rassembls en pyramide la fin de la
Thodice. Mais comme Dupuy se rclame de Borges, nous ne comprendrons
vraiment ce qui se passe ici que si nous remontons ce que Borges a su
rassembler dans Le jardin aux sentiers qui bifurquent 40 :
Des sicles de sicles et cest seulement dans le prsent que les
faits se produisent ; des hommes innombrables dans les airs, sur
terre et sur mer, et tout ce qui se passe rellement cest ce qui
marrive moi []. Cette trame de temps qui sapprochent,
bifurquent, se coupent ou signorent pendant des sicles,
embrasse toutes les possibilits. Nous nexistons pas dans la
majorit de ces temps ; dans quelques uns vous existez et moi
pas ; dans dautres moi et pas vous ; dans dautres tous les deux.
Ce que Borges expose ici sera redcouvert en 1969 par A. N. Prior dans son
article Worlds, Times ans Selves 41 . Borges et Prior ont dcouvert le
dnominateur commun aux Mondes, aux Temps et aux Moi, en articulant
ainsi toute la mtaphysique sur les mutations en cours dans la logique
modale 42 partir des travaux de C. I. Lewis puis de P. T. Geach 43 et Saul
Kripke.
De Simondon Deleuze, le cadre conceptuel du Principe-Evnement
permet de saisir lessentiel de ce qui sest pass. Simondon 44 a renouvel la
problmatique de lindividuation, dune part en faisant jouer un rle, comme
Pguy, au paradigme de la surfusion, dautre part en remontant de la notion
dindividu au cas plus gnral de la singularit. Dans son compte-rendu 45,
Deleuze a parfaitement vu le rle de la singularit chez Simondon :
En dcouvrant la condition pralable de lindividuation, il
distingue rigoureusement singularit et individualit.
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se prparent le temps de surprise ; 3) le temps de battements
irrguliers entre lapparition et la disparition des rythmes ou
temps de lincertitude ; 4) le temps cyclique de danse sur
place ; 5) le temps en retard sur lui-mme ; 6) le temps
dalternance entre retard et avance ; 7) le temps en avance sur
lui-mme ; 8) enfin le temps explosif de la cration 62.
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Ni avant ni aprs
Ce qui donnera chez Whitehead
2 Supplmentation
V
1 Rception > 2 Actualisation < 3 Satisfaction
A premire vue, nous sommes aux antipodes aussi bien de Dupuy que de
Pguy. Dabord lOccasion whiteheadienne est faite de prhensions des
occasions passes, en vecteurs de sens rtrospectif rassembls dans le
cne > ( Avant ) du diagramme. Des fragments dvnements passs y
remplissent donc une fonction clef, plutt que le fragment de lvnement
futur suppos par Pguy. Et toute occasion se clt sur une satisfaction , au
plus loin de lapocalypse pense par Dupuy.
Pourtant les Aventures dIdes de Whitehead se concluent par un chapitre
sur la Paix se terminant paradoxalement par la sentence qui suit sur
lAventure de lUnivers :
Au cur de la nature des choses, se trouvent toujours le rve
de la jeunesse et la moisson de la tragdie. LAventure de
lunivers commence par le rve, et moissonne la beaut
tragique 68.
Pour comprendre ce passage du couple Rception-Satisfaction au couple
Rve-Tragdie, nous devons dabord scruter plus profondment ce qui, au
cours de la Concrescence, a lieu lors de la phase de Supplmentation. Cest l
que se produisent les prhensions conceptuelles , celles o lOccasion
prhende les Objets ternels, tels que les couleurs ou les formes gomtriques.
Mais si nous approfondissons ce qui se passe dans la Supplmentation, nous
allons y trouver aussi une Hybridation aux consquences incalculables, l o
se dveloppe la thorie whiteheadienne de la Proposition.
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Dans Process and Reality Whitehead affirme en effet que la proposition est
un hybride entre pures potentialits et actualits (PR 185). Nous sommes
donc devant la Thse de lHybridation propositionnelle. Cette thse prend son
plein sens dans le systme form par trois (des sept) Catgories de lExistence
(PR 22), savoir :
(v) les Objets Eternels qui sont des Potentiels purs pour la
Dtermination Spcifique du Fait
(i) les Occasions Actuelles qui sont des Entits Actuelles
(vi) les Propositions, ou Thories 69 , ou Points de Fait
(Matters of Fact) en Dtermination Potentielle , qui sont des
Potentiels impurs .
Dans ce systme thorique, le point principal est que les propositions sont des
hybrides entre les objets ternels et les entits actuelles. Entre lobjet ternel et
lentit actuelle, il y a ainsi une Halfway-house qui est la Proposition. En
termes leibniziens, la Proposition de Whitehead est un amphibie entre le
Sosein et le Dasein. Et le moment dcisif dans cette mdiation est le passage
partant du Potentiel pur quest lobjet ternel pour parvenir au Potentiel impur
quest la proposition. Pour comprendre le rle que Whitehead donne de la
sorte la proposition, comparons sur un exemple simple les trois locutions
suivantes :
(1) x est rouge
(2) Le couchant est rouge
(3) La proposition affirmant que le couchant est rouge est
vraie.
Dans cet exemple, dcrit daprs le vocabulaire des Principia Mathematica, (1)
est une fonction propositionnelle et (2) est une proposition. Alors quune
fonction propositionnelle comme (1) nest encore ni vraie ni fausse, une
proposition est place dans lalternative du vrai et du faux (PR 186). Cest sa
division apophantique. Enfin, dans cette alternative, si et seulement si la
proposition (2) est vraie, alors le fait est que le couchant est rouge. La fonction
propositionnelle, avec sa variable x, explicite le fait que lobjet ternel est
seulement un potentiel. Quand cette variable est illustre par une constante
comme le couchant, le potentiel est devenu impur, dans lobtention dune
proposition. Mais une proposition peut encore tre, ou bien fausse, ou bien
vraie. Ce sera seulement dans ce dernier cas que nous parviendrons ltiage
du Fait ou de lentit actuelle, dans une dfinition du fait comme proposition
vraie.
La thse principale dont nous venons de voir le dveloppement est que
lingression des objets ternels dans les occasions actuelles passe par une
phase intermdiaire qui est la Proposition. Cest ce que nous appellerons la
Mdiation de la Proposition (dans la prhension des objets ternels par les
entits actuelles) ou Mdiation platonicienne de la Proposition. Cette mdiation
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tire son importance dune quatrime thse qui prcde toutes les autres,
puisquelle se trouve ds le Sommaire de PR xxvi :
Eternal Objects Tell no Tales of Actual Occasions, Propositions
are Tales That Might be Told of Logical Subjects.
Ainsi les Propositions sont dabord des Contes qui se racontent. Les
Propositions sont des Narrations. Cest ce quil faut appeler la conception
narrativiste de la Proposition. Les universaux comme le rouge et la
triangularit ne sont que des abstactions exsangues. Mais la proposition Le
couchant est rouge est charge de sens : elle signifie quil fera beau demain.
Toutefois ce nest l encore quun chanon intermdiaire en direction des
deux exemples sur lesquels Whitehead lui-mme a introduit le concept de
proposition. Il y a dabord la proposition initiale dans la tirade ontologique
de Hamlet. Et il y a ensuite lexemple des paroles de lEvangile ( sayings in
the Gospels ) 70. La thse que ces exemples illustrent, cest que la proposition
avant mme dtre place dans lalternative du vrai et du faux, est un appt
pour le sentiment propositionnel :
It is an essential doctrine in the philosphy of organism, that the
primary function of a proposition is to be relevant as a lure for
feeling. (PR 25)
Et le sentiment propositionnel est un cas particulier de prhension
propositionnelle (PR 184). Donc avant mme doffrir lalternative du vrai et du
faux pour produire, en cas de vrit, des occasions conduites jusqu leur
satisfaction, les propositions sont lappt des prhensions propositionnelles
provenant doccasions encore en phase de supplmentation.
Il faut se demander pourquoi, dans le chapitre de Process and Reality
portant pour titre Les Propositions , le premier exemple de Proposition que
donne Whitehead est la proposition initiale dans la tirade ontologique de
Hamlet :
tre ou ne pas tre, telle est la question.
Cest lAlternative de Hamlet. Si cette proposition assume le rle que lui
donne Whitehead, cest--dire celui dun amphibie entre objet ternel et
occasion actuelle, qui est en mme temps un appt pour les prhensions
propositionnelles dune occasion en cours de concrescence, alors le choix de
cet exemple-l signifie quil nest pas seulement un exemple mais un symbole
dramatique de la thse illustrer, transforme ainsi en prosopope. Dans un
trait de mtaphysique, lalternative de ltre et du Non-tre est tout sauf un
exemple quelconque. Lvnement qui, au cours de sa concrescence,
prhende la proposition initiale dans la tirade ontologique de Hamlet est un
vnement qui dit adieu au Nant dans linstant mme o il advient ltre.
Dans lAlternative de Hamlet, le verbe tre linfinitif est le Sujet de la
Proposition. Mais linfinitif engendrera des propositions infinitives quant les
prhensions de ces propositions seront construites par certains contextes
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dtermins dabord daprs une division de ces infinitives 71. Les propositions
infinitives, en effet, sont soit (1) sans sujet dclar, soit (2) avec sujet dclar.
Les infinitives sans sujet sont soit (a) des interrogatives indirectes comme
dans Il ne sait quel saint se vouer , Elle ne sait plus quoi inventer (Gide),
soit (b) les subordonnes de verbes dclaratifs ou dopinion quand le sujet de
la principale est sujet de la subordonne comme dans Jentrai, un soir, dans
un salon o je savais la trouver (Dominique, XIII), Une sorte dide virtuelle
de lEurope que jignorais jusqualors porter en moi (Valry), Les personnes
qui mont dit ne se rien rappeler des premires annes de leur enfance mont
beaucoup surpris (A. France), soit enfin (c) les subordonnes de verbes de
volont, du type de commander, demander, inciter, enjoindre (etc.), quand le
sujet de la principale diffre du sujet de la subordonne, comme dans dans
Dieu interdit de mentir , On les invite venir (etc).
Les infinitives avec sujet sont soit (a) 72 les subordonnes dont le sujet est
complment dobjet dun verbe principal de sensation tel que voir,
apercevoir, couter (etc.), comme dans Il entend un enfant crier (La
Fontaine, Fables, IV, 16), Je vois rver Platon et penser Aristote (Musset,
Esp. en Dieu) ou encore dun verbe dintervention (Sit venia verbo) tel que
laisser, empcher, mener, envoyer (etc.) comme dans Papa envoya baigner
les cranciers , soit (b) le complment dobjet des verbes comme dire, croire,
savoir (etc.) comme dans Je ramenai la conversation sur des sujets que je
savais lintresser (Constant, Adolphe, II) ou Charles ne cda pas, tant il
jugait cette rcration lui devoir tre profitable (Madame Bovary, p. 243), soit
enfin (c) le complment dobjet du verbe faire, comme dans Jai fait taire les
lois et gmir linnocence (Esther, III, 1).
Tels sont les principaux cas o nous voyons apparatre comme appt la
Propositon infinitive. Or la proposition infinitive a la fonction dinput faire
pntrer dans le Tenseur de Gustave Guillaume qui va dployer toutes les
virtualits du Verbe 73. Soit, sur lexemple de lvnement Marche expos par
Edmond Ortigues 74 :
Mode quasi-nominal :
Infinitif :
Marcher
Participes : grondif
Marchant ; March
Subjonctif :
(TEMPS IMPLIQU)
TEMPS EXPLIQU :
Je
marche
marchai
marchais
marcherai
marcherais
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Lcart entre les deux nous conduit considrer la mme transposition sur la
phrase o lexemple du Sextus rel est condens, savoir :
Vous le voyez allant Rome, mettant tout en dsordre, violant
la femme de son ami.
Cette transposition donnerait :
Vous le voyez aller Rome, y mettre tout en dsordre, violer la
femme de son ami.
Comparant dans le style de Flaubert le fonctions de linfinitif, du grondif et
de limparfait, Thibaudet 79 prend pour chantillon cette phrase de Madame
Bovary :
Lorsquil eut fait cent pas environ, il sarrta, et, comme il vit la
carriole sloignant, dont les roues tournaient dans la poussire,
il poussa un gros soupir.
Dans la fable de Leibniz, aprs laccumulations dinfinitifs que nous avons
releve sur la quasi-totalit du texte, tant quil sagissait dvoquer de simples
possibilits, lentre en scne du participe prsent se produit quand il sagit de
dcrire finalement la possibilit qui sest ralise. Par lemploi du grondif
dans son affinit avec linfinitif en tant que mode quasi-nominal, en effet,
Leibniz rappelle que le rel doit dabord tre possible ; mais en substituant
linfinitif le participe prsent il signale aussi que le pur possible fait place ici
une possibilit ralise.
Thibaudet observe que la proposition il vit la carriole sloignant a un
sens de continuit quon ne trouverait ni dans il vit la carriole sloigner ,
ni dans il vit la carriole qui sloignait . Dans le Tenseur de Guillaume, la
transition leibnizienne de linfinitif au grondif illustrait les diffrences
immanentes au mode quasi-nominal, tandis que la comparaison de Thibaudet
sengage maintenant dans les transitions allant du mode quasi-nominal aux
formes du temps les plus proprement verbales, telles que limparfait, situes
dans le Temps expliqu.
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les
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les
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Avec S. Karsenty.
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24
Cf. J.-Cl. Dumoncel, Deleuze face face, pp. 178-180 et Cours sur le Chaos
Complexe au Centre dtudes Thlogiques de Caen, semestre 2007-2008
(indit).
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29
30
31
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33
34
35
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37
38
39
40
41
42
43
Cf. Deleuze face face, pp. 93-94, la traduction du tmoignage dA. N. Prior
sur la suggestion de P. T. Geach.
44
45
46
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Deleuze fait allusion ici aux clbres mmoires de Poincar Sur les courbes
dfinies par une quation diffrentielle.
48
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52
53
54
55
56
57
58
Journal, juillet 1922, cit dans Blanchot, Lespace littraire, NRF, pp. 105106.
59
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63
64
65
66
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69
Cf. sur lexemple de Hamlet : The speech, for the theatre audience, is
purely theoretical, a mere lure for feeling .
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