La Bibliotheque Des Predicateurs PDF
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BIBLIOTHEQUE D E S
PRÉ DICATEURS.
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M. D C C X V III. -
APEC A P P R O B A T I O N S ET P R I F I L E G E Dz) R O Y.
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P R E F A C E.
Es Panégyriques font la troifiéme partie de la Bibliothéque
des Prédicateurs, que le favorable accuëil avec lequel le pu
blic a reçû les deux prémieres, fçavoir la Morale, & les Myſteres,
m’a donné le courage d'entreprendre.Ç’auroit été pour moy une
témérité inexcuſable à l'âge où je ſuis, de m'engager dans un nou
veau & long travail, lorſqu'il ne faut plus fonger qu'à ſe diſpoſer
à la mort , fi je n'avois trouvé la choſe déja bien avancée dans
les recuëils que j’ay fait ſur ces matieres, lorſque j’ay été employé
dans le miniſtére de la Prédication ; & fi des perſonnes plus ha
biles que moy , ne m'avoient aidé de leur travail à pourſuivre
mon ouvrage dans le deffein que j'avois projetté, je m'y ſuis pour
tant déterminé par une autre conſidération qui eſt , que cet ou
vrage n'ayant été entrepris qu'en faveur des Prédicateurs, & pour
leur faciliter l'employ laborieux auquel ils font appellez, il n'y
avoit point d'apparence de le faiffer imparfait, vû particuliere
ment que les Panégyriques ne leur font pas moins néceſſaires que
les autres diſcours : & que les occaſions fréquentes, dans l'Avent,
dans le Carême , & dans le cours de l'année, de prêcher ſur les
Fêtes des Saints, ne leur permettent pas de s'en diſpenſer, du
moins dans les Egliſes qui leur font dédiées , & dont ils font les
Tutelaires & les Patrons; car alors le peuple s'attend tellement
d'en entendre l'éloge , que tout autre diſcours feroit mal reçû ;
juſques-là, qu'il eſt arrivé quelquefois que le Prédicateur venant
à manquer, on a mieux aimé ſe priver du fermon, que d'en ſubſti
tuer un fur un autre ſujet. Ajoûtez qu'il y a bien des Prédicateurs
qui ne prêchent que des Panégyriques, qu'ils regardent comme
des moyens & des occaſions de ſe produire devant un auditoire
nombreux & choiſi. A Dieu ne plaiſe que je juge mal de leur in
tention ; mais il n'eſt pas extraordinaire d'en voir qui ſe bornent
uniquement à ce genre de diſcours, où l’eſprit & l’éloquence
brillent davantage ; & d'autres qui ſe font par là un degré aux
prémieres chaires. Diray-je enfin que la plůpart de ceux qui par
obligation,ou par un devoir attaché à leur miniſtére,font engagez
à faire de ces fortes de pieces, les regardent , pour ainſi dire,
comme un mal néceffaire, & comme une charge & une corvée
de leur employ. C’est pourquoy ceux qui ſe deſtinent au miniſte
re de la parole de Dieu, font à mon avis, fort prudemment de ſe
pourvoir d'abord des Panégyriques les plus néceſſaires, & pour
a 1)
iv P R E F A C E.
leſquels on a beſoin du prémier feu, & de la vivacité de l'eſprit
pour y bien réüffir. Or ( comme les matériaux que je dois four
nir pour cela, dans cette troifiéme partie, ne feront pas inutiles
aux Prédicateurs ) du moins l'empreſſenent avec lequel on me
les demande , me le fait préſumer ; je n'ay qu'à les inſtruire du
moyen de s'en fervir , de l'ordre, & de la methode que j'y ay ob
fervé, afin d'en rendre l'uſage plus commode , & plus facile
en même temps. A
P R E F A C E. V
á iij
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P R E M I E R D I S C O U R S
P R E L I M I N A I R E.
Iis reconnoiffent donc ce qu'ils ne peuvent plus defavoüer, que les Saints méritent
d'être honorez, foit à cauſe de la vie vertueuſe qu'ils ont menée ſur la terre, foit pour
la gloi e dont ils joüiſſent pré entement dans le Ciel. Ils ſçavent bien que dans l'Ecritu
re la mémoire des Juſtes eſt en benediction , & que le Roy Prophete declare hautement,
qu'ils font comb'ez d'honneur & établis comme les Souverains de ce monde: Nimis hono
rati ſunt amici tui , Deus: nºmis confortatus est principatus eorum. Mais ils ajoûtent
qu'ils ne leur rendent qu'un culte civil, comme ils rendent aux Grands & aux souve
rains, que Saint Paul nous commande d'honorer : ou comme l'on conſidére les gens
d'un merite extraordinaire , dont la vie & les aćtions do vent être propoſées pour
exemple, pour regle , & pour modele ; ils avoüent qu'on peut même conſerver leurs
images & leurs portraits, dont la vůë peut rappeller le fouven r de leurs vertus, &
nous animer à les imiter : qu'ils ne condamnent pas en ce ſens l'honneur que l'on rend
aux Saints, pourvû que l'on ſe tienne dans ces termes ; & enfin, que toutes leurs invećti
ves ne tombent que ſur ceux qui portent ce culte plus loin. Mais que veulent ils dire
par là? -
Ils blâment ce culte, ajoûtent-ils, s'il est religieux, ils l'approuvent, & ne le croyene
pas inutile, s'il n'eſt que civil : mais qu'ils ont jugé à propos de s'en abstenir, en
banniſſant pour cela leurs images de leurs temples & de leurs maiſons : parce qu'il y a
danger de paffer d'un culte à l'autre ; à peu près comme dans l'ancienne loi, Dieu
avoit défendu à fon peuple de faire des statuës & de ſemblables repretentations, de
crainte que ce peuple porté à l'idolatrie, n'en fit efectivemen: des idoles. Précaution
inutile aujourd'hui , & défaite Peu raiſonnable : car c cit réduire un Point importaat
viij pREMIER DISCOURS pRELIMINAIRE.
de nôtre foi à une pure question de nom. S'il y a un milieu entre le culte qu'on dole
uniquement à Dieu , & celui qu'on doit aux puiſſances du monde , & aux hommes de
mérite fur la terre ; nous voilà d'accord ; nous profeſſons qu'il y a un culte fouverain
qui n'est dû qu'à Dieu feul , & incommunicable à quelque créature que ce puiſſe être.
C'eſt le prémier principe de la Religion ; & impoſer à l'Egliſe Catholique qu'elle tranſ
porte ce culte , qu'on appelle de latrie , aux Saints , qu'elle reconnoît & qu'elle revere
comme tels , ce ne peut être qu'une pure calomnie , puiſqu'elle déclare hautement le
contraire. D'ailleurs non ſeulement elle approuve , mais encore elle commande l'hon
neur qu'on rend aux Souverains, aux Magistrats ; aux perſonnes d'une dignité, ou
d'une vertu diſtinguée ; ce n'est pas ce qui fait le ſujet de nôtre contestation ; je veux
croire qu'ils en tombent d'accord avec nous ; mais voici le différent , jugez s'il a dû être
un juſte prétexte d'un fchiſme auſſi ſcandaleux que celui qu'ils ont fait.
Ils conviennent que la vénération qu'on doit aux Saints n'eſt pas celle qu'on doit à
Dieu ; auſſi jamais Chrétien ne l'a pretendu : ce n'eſt pas non plus celle qui eſt dûe aux
Grands & aux Souverains de la terre , ni aux perſonnes conſidérables, qui peuvent être
méprifables par d'autres endroits, quoique leurs vices & leurs mauvaiſes qualitez ne nous
diſpenſent pas de reſpecter en eux la dignité dont ils ſont revêtus : ce n'eſt pas enfin pour
les qualitez naturelles qui peuvent avoir été dans les Saints, telles que feroient l'eſprit,
la fcience , le courage , la naiſſance, ou les vertus purement morales : en quoi ils peu
vent s'être rendus recommandables auſſi bien que les autres hommes ; car ces fortes
d'avantages n'entrent point en conſidération dans le culte que nous leur rendons ; & je
ne crois pas non plus que ce ſoit par cet endroit, que nos adverſaires conviennent qu'on
leur doit quelque forte d'honneur & de cujte préſentement ; mais pour leur piété, pour la
fainteté de leur vie , & pour la gloire dont ils font en posteſſion. Qu'on me diſe donc
quel nom il faut donner à ce culte ; l'Egliſe l'appelle un culte réligieux, qu'y peut on
trouver à redire, puiſqu'il eſt d'un ordre ſupérieur à ce qui eſt purement humain ? car
enfin la grace, la fainteté, la gloire, & les dons du Ciel, en quoi les Saints ſe font figna
lez, méritent qu'on les regarde fur un autre pied. Le culte & l'honneur qu'on leur rend
doit donc auſſi être d'un ordre ſupérieur à celui qu'on doit aux Grands du monde , &
d'ailleurs infiniment au defious du fouverain culte , qui n'appartient qu'à Dieu. Qu'on
me diſe quel inconvenient , quel abus , quel danger il peut y avoir de l'appeller un culte
de Religion , puiſqu'il regarde Dieu en quelque maniére, & qu'il s'y rapporto comme å
fa fin ?
Ce qui me fournit une ſeconde raiſon, & une ſeconde preuve pour justifier l'honneur
qui leur est dû en de Saints ; je veux dire qu'ils méritent d'être reverez pon
feulement à cauſe de leurs vertus, & de la fainteté de leur vie : mais en ſecond lieu , à
cauſe de l'état où leur fainteté les a élevez, & du rang qu'ils tiennent dans le Ciel
auprès de Dieu, dont ils font les amis, les héritiers, les juſtes poſſeſſeurs de fon Royau
me , & qui jouiſſent de la gloire , qui eſt la recompenſe de leur mérite. Car fi l'Ecriture
en a appellé quelques-uns grands devant Dieu , lorſqu'ils vivoient encore en ce monde »
comme nous liſons du glorieux Précurfeur du Sauveur : nous pouvons bien inférer qu'ils
font encore infiniment plus grands dans le Ciel, puiſque le même Texte ſacré nous aſsû
re , que le dernier de ce royaume eſt plus grand en un ſens, que celui que l'Oracle de
la vérité même a declaré le plus grand de tous les hommes. Or de ce principe constant,
& que ceux qui combattent le culte des Saints ne revoquent pas méme en doute: je con
clus qu'ils font injustes de leur refuſer ce culte , qui loin de préjudicier à celui qu'on
doit à Dieu , retourne à fa gloire, & la fait davantage éclater.
Car comme dans la Cour des Princes de la terre l'on n'y honore pas ſeulement celui
qui eſt astis ſur le trône, mais encore tous ceux qui le ſervent , ou qui approchent de fa
perſonne ; ceux qui par leurs charges tiennent quelque rang conſidérable auprès de lui ,
nous voyons qu'ils font reſpectez en qualité de les Ministres , & que cet honneur qu'on
leur rend, bien loin de diminier quelque choſe de la déférence qui est dúë au Souverain,
imprime une plus haute idée de fa grandeur, parce qu'on ne les honore qu'en fa confi
dération & par rapport à lui : de même les Saints étant grands devant Dieu, & l'appro
chant de près en qualité de fes amis & de fes enfans, ils font comme révêtus de fa pro
pre grandeur , puiſſans de fa puistance, comme parle le Prophete Royal ; glorieux de fa
propre gloire, & heureux de ſon propre bonheur. C'est pourquoi ce même Prophéte
nous aſsûre que Dieu eſt admirable dans fes Saints, grand par le caraćtere de grandeur
qu'il
|
PREMIER DISCOURS PRELIMINAIRE. ix
qu'il leur communique, puiſſant par le pouvoir dont il leur fait part , faint par un écou
lement de fa fainteté qu'il repand ſur eux ; mais ſur tout , digne d'honneur & de gloire
dans celle qu'il leur fait rendre : Mirabilis Deus in Santiis fats. Car tout cet honneur
fe rapporte å Dieu ; leur gloire étant fon ouvrage, retourne a fon Auteur : & c'est en
un mot , l'honorer lui-même , que d'honorer ſes ſerviteurs, ſes amis , les grands de fa
cour. C'eſt donc la derniere injustice qu'on fait à Dieu, & aux Saints tout à la fois , que
de refuler de rendre ce: honneur qui eſt dů à l'état & à la perſonne d'un Bienheureux,
don: Dieu même fait fouvent connoître le mérite & le pouvoir par les miracles les plės
furf renans. *
J'avoue donc que nous honorons les Sain: s , & que le fentiment de toute l'Egliſe dé
clare par le Concile de Trente, est qu'on les peut honorer : & parce que les hérétiques ne
fe lastent point de nous objećter le crinie d'idolatrie ſur ce ſujet , je ne me lasterai point
de leur répeter , que l'adoration priſe , dans un fens particulier , & pour le culte qu'on
appelle de latrie , n'eſt dû à la vérité qu'à Dieu ſeul, & que c'eſt le plus abominabie
de tous les crimes que de l'attribier à une pure créature ; mais que puiſqu'il y en a un
autre infiniment inferieur à celui-là, qui eſt pouttant un acte de religion , qui n'eſt ni
fouverain, ni abſolu , mais plůtôt dépendant & relatif, comme i'appellent les Théolo
giens, pourquoi trouver étrange qu'on l'attribuë aux Saints , puiſque dans l'Ecriture le
nom même d'adoration s'applique à Dieu , aux Anges ; & aux hommes, quoiqu'il y en
ait une eſpece qui ne convienne qu'à Dieu feul à Auſſi les Ministres Pioteſtans commen te Ministre
cent à nous faire juttice ſur ce point, en nous diſculpant du crime d'idolatrie. Mais ce Daillé dans
n'eſt pas ſe faire estice à eux mêmes ; d'alleguer ce culte que l'on rend aux Saints pour fon A olcgie
l'un des&pretextes
formel precis de de leur de
la part ſéparation
Dieu,quid'avec
rende nous, puifdu'il
ce culte ne peut y avoir
illégitime.Mais qu'un
où est-il précepte ref
ce precepte? ,4 J f
Les paſlages qu'ils alleguent pour cela ne prouvent rien ; mais les exemples des plus 0?"77, cé is
grands Saints de l'ancienne & de la nouvelle loi , qui ont rendu du reſpect aux Anges,
& aux faints Patriarches, prouvent du moins que ce culte eſt permis. C'est pourquoi
l'Egliſe qui s'eſt expliquée là-deſſus par le Concile de Trente , ne nous impoſe pas une
obligation préciſe de les honorer ; mais elle nous òblige de croire qu'on le peut , & nous
conſeille de le faire, comme un moyen de nous fanćtifier nous nèmes, en nous pro
poſant les cxemples qu'ils nous ont laiflez , & elle nous excite à les imiter, comme
ć:ant le culte le plus grand & le plus honorable que nous leur puistions rendre.
C'est de là que je tire ure troifiéme preuve pour juſtifier la conduite de l'Egliſe ſur
ce chapitre , qui repond en mêne temps à la troifiéine objection de ces faux żklez du
culte & de la gloire du Seigneur ; fçavoir , que bien loin que Dieu ait défendu d'honorer
les Saints, il femble qu'il n'ait tien onnis pour porter le reſte des hommes à leui rendre
cet honneur ; ſoit lorſqu'ils combatoient ſur la terre , ſoit maintenan: qu'ils font cou
roonez dans le Ciel. Quels éloges n'a-t'il poin: fait lui même d'un Abraham , & de quel
ques autres Patriarches ? N'at'il pas fait éclater leur vertu lorſqu'elle étoit cbfcủrcie
par la calomnie , cu lorſqu'elle étoit cachée dans le fond des ſolitudes i Quelle van
gcance n'a t'il point tirée des affronts & des outrages qu'on leur a faits ? De quelles
bénédigtens même temporelles n'a t'il pas comblé ceux qui les ont reçûs avec honneur ,
& traitez avec reſpeći ? faint Paul n'en parle-t'il pas comme de perfennes que le monde
ne méritoir pas de posteder ? Qytbus dignus non erat mundus. Les Souverains & les Grands Ad Helz.
de la terre n'ont iis pas été loticz & recompenſez de miile faveurs du Ciel , pour avoir
fuivi lcurs conſeils : & comme fi ce n'éroit pas aflez de les avoir rendus repećtables par
leurs vertus , il les a voulu combler d'honneur, en leur donnant la puiſſance des ſignes
& des prodiges , comme il a fait à l'égard de Moyſe , qu'il établit en quelque maniére,
lc Dieu de Pharaon. On fçait l'honneur qu'il fit rendre à Daniel par les Princes ménies
de la terre , en donnant à ce Prophete la conno stance de l'avenir, auſſi bien qu'au ſaint
Patriarche Joſeph Que n'a-t'il point fait pour rendre illuſtre & glorieux l'incom
Parable Jofüé : Ne l'a-t'il pas condrit & foûtenu de toute fa puıflance ? N'a t'il pas
en fa faveu, & à la preſence entr'ouvert les fleuves , pour les faire paſſer à pied ſec à fon
peuple ? N'a-t'il pas fait tomber les nu alles des villes les plus fortes : & ce grand
Conquerant n'a-t'il pas par le credit il avoit aup es de Dieu , étendu fa puiſſance juf
ques fu, le foleil même, en fufpendant fa courſe ? Quel homme a jamais été plus glorieux,
& plus honoré ? - - - - * *
Et pour parler des Saints de la nouvelle loi , Dieu ne les a-t'il fas fait honorer dès
l'ang. des Saints. I vue , • e
x pREMIER DISCOURS PRELIMINAIRE.
cette vie par ce même pouvoir qu'il leur a donné ſur toutes les créatures ? Je fai que
les ennen is du culte des Saints n'ajoûtent pas grande foi à tous ces miraclcs , & qu'ils
en contestent la meilleure Partie ; je ne n'arréterai Pas à les pouster fur ce chapitre,
nous en ſe ons un diſcou s entier dans une autre occaſion. Mais du moins ne contette
ront-ils pas ceux que le Texte ſacré rapporte des Apôres & des Diſciples du Sauveur ; &
cela me ſuffit pour conclure que Dieu les a voulu faire honorer ſur la terte. Or, fi cet
honneur & ce culte qu'on leur rendoit , & que leur fainteté & leurs miracles leur atti
|
roient , étoit juste lorſqu'ils écolent enco e homines mortels : maintenant qu'ils font
glorieux dans le Ciel, feta-t-il iilici e , ſuperfti ie x & crimine'? Ce n'étoit pas, me
irez-vous , le même c l e que l'on leur rend maintenant après leur mort. Je l'avouë,
& ce n'eſt pas fur cela que j'établis la force de cette raiſon ; je dis ſeulement que celui
qu'on leur rendoit durant leur vie , n'étoi: pas un culte civil , pui qu'il n'avoit rien de
naturel , & de purenent moral qui en fut l'objet ; & quelque nɔm qu'on lui donne , peu
importe, il ett constant qu'après leur mort , leur faintcrć étant attetée par les preuves
les plus conſtantes , il n'y a pas plus de danger, ou de crime à les honorer , que
lorſqu'ils étoient encore en ce monde; & que s'il y a quelque difference dans ces deux
fortes de culte à l'égard des mcines perſonnes , ce ne Peut ctre une différence effentielle,
puiſqu'ils ont le n.eine motif, le même objet , & que l'un & l'autre retourne i
lD:cu. - -
de leurs vertus, ain de nous exciter å fuirc leurs excmples-Je ne Parierai donc poine
PREMIER DISCOURS PRELIMINAIRE. xj
icy des Images, ni des reliques des Saints, quoique le reſpect qu'on leur reni , & les
prieres qu'on fait devant elles , foient une maniere d'honorer ceux qu'elles repréfentent ;
on eſt trop inſtruit de la nature de ce culte , & l'on a trop de foin d'en inſtruire les fide
les , pour y voir , ou pour y craindre la moindre apparence de fupcrſtition. Mais commc
nous invoquons effećtivement les Saints , & que nous avons même une dévotion parti
culiére envers quelques uns que nous choiſidons pour nos Patrons , & pour nos protec
teurs, comme de ſeconds Médiateurs auprès de Dieu : c'eſt ce qui allarme nos Religion
naires, qui croyent avoir bien réformé l'Egliſe de lui ôter cet appui , & cnſuite ce culte,
qu'ils regardent comme injurieux au Sauveur du monde , comine inutile à ceux qui les
invoquent, & enfin comme ſujet à cant d'abus ; que c'eſt ôter, di ent-lis , la pierre de
fcandale des voyes du Seigneur, que de purger l'Egliſe d'un abus ſi pernicieux. Vous
reconnoiſfez, je m'aſsûre, à ce langage, l'eſprit & le genie des Hérétiques: mais voyons
s ils ont raiſon de faire un caractere ſi odieux d'une pratique, que je foûtiens avec toute
TEgiiſe , étre glorieuſe à Dieu, utile aux fideles , & ben éloignée de ces prétendus abus
que les uns fe font imaginez fans raiſon , & que les autres craignent fans fondement.
Ecoutez ceci, fideles enfans de l'Egliſe , & ne quittez jamais cette fainte coû ume d'im
plorer le fecours des Saints,& de les prendre pour vos Médiateurs.
C'eſt ce titre que nous donnons aux Saints , & que l'Eglife & les Peres autoriſent, le
quel a revolté l'eſprit des Novateurs. Quoi , ſe récrient-ils , reconnoître d'autres média.
teurs que Jesus-CHR1sr ! ou , comme fi fa médiation n'étoit pas ſuffiſante , recourir à
d'autres , & lui donner des aſſociez! prétend-t'on que ſes priéres ne foient pas affez puiſ
fantes, ou qu'étant jointes à celles des Saints , elles en deviennent plus efficaces, & plus
capables de toucher le crur de Dieu ? ou enfin veut on détruire le mérite de fa mort , &
anéantir la vertu de ſon fang ? Voilà un zéle en apparence bien ardent pour défendre la
force & la valeur des mérites du Sauveur. Mais ce zéle, bien loin d'être felon la ſcience,
comme le demande l'Apôtre, n'a pour fondement que l'erreur, & pour fin, de nous ravir
l'un des plus puiſſans moyens de nôtre falut ; auſſi en eſt il venu juſqu'à falſifier ouverte- -
ment le paſſage de faint Paul , qui dit qu'il y a un Dieu , & un Médiateur entre Dieu &
les homines, qui eſt Jesus-CHR1st ; en y ajoutant le mot de ſeul , afin d'exclure par là
l'interceſſion des Saints, & leur médiation, quoiqu'elle ſoit fubordonnée à celle du Sau
veur, & qu'elle n'ait de force que par fon moyen.
Que n'en ont-ils appris l'explication de faint Bafile, qui répond par une épitre exprès
au même reproche que Julien l'Apostat faiſoit aux Chrétiens fur ce même ſujet? Je reçois. *
dit ce Pere, les faints Apôtres, les Prophétes & les Martyrs, qui prient Dieu pour moi,
afin que par leur médiation Dieu me foit propice. Que n'ont ils ſuivi le fentiment de
faint
dit-il,Augustin, qui joint
parle encore pourl'interceſſion
nous dans le des Martyrs
Ciel, à celle
tous les de Jesus.CHR
Martyrs qui font 1st prient In Pſal. 8 }r •
avec? leluiSauveur,
pour nous ; leurs priéres ne ceffent point pendant que nos gémiſſemens durent. S'ils
avoient conſulté les autres Peres fur ce chapitre, auſſi bien que la Tradition conſtante, ils
n'auroient pas préferé leur fentiment particulier au fentiment univerſel de l'Egliſe ; ils
auroient appris que le Verbe Incarné eſt à la verité le ſeul Mediateur de rédemption & .
de propitiation, comme tous nos Théologiens leur ont repondu tant de fois, c'eſt à dire,
que lui feul nous a rachetez par le mérite de ſon fang ; que lui ſeul a payé le juſte prix
de nôtre rachat, & que lui ſeul nous a reconciliez avec un Dieu offenſé. Ce que faint
Paul pro
nem exprime
nobis :dans
Qu'ilces'est
paſſage
livré même qu'ilspour
lui même ontêtre
corrompu
le prix: de
Quinôtre
dedit fernetipſum
redeniption.redemptio.
Mais il Ep. I. A
ad
n'eſt pas vrai qu'il ſoit le ſeul médiateur d'interceſſion & de priéres, puiſque nous voyons mot, c. 14
dans l'Ecriture, que les Anges dans le Ciel, & les hemmes ſur la terre prient pour nous ;
& qu'il n'y a nuile raiſon de contester aux Bienheureux cet emploi & ce ſecours qu'ils
rendent aux hommes, qui font leurs freres, & au bonheur deſquels ils fe font intereſfez
durant leur vie. Car enfin qui pourra s'imaginer que ces véritables amis nous manquent
au beſoin, que leur protection finiſſe, ou que leurs prieres ceſſent, lorſqu'elles peuvent
agir plus fortement, & devenir plus puiſſantes & plus efficaces ? étant unis plus étroire
ment à Dieu , font-ils pour cela moins licz d'interêt avec les hommes ? ou bien ont ils
perdu la-haut le credit qu'ils avoient ici bas ? Ont-ils moins de faveur auprès de ce
Souverain , ou de charité pour nous qu'ils n'avoient alors ? Et Dieu qui a pardonné à
tout un peuple à la priére de Moyſe mortel , qui en étoit le médiateur, ne fera-t'il pas
quelque choſe en conſidération de taat de médiateurs , qui vivront éternellement,
e )
xij PREMIER DISCOURS PRELIMINAIRE.
& qui font toûjours en fi préſence, & proche de fa perſonne
Mais quelle raiſon , ou plůtôt quelle conſéquence plus mal tirée, ou moins ſuivie, que
de conclure de là , que cette médiation eſt injurieuſe à celle du Sauveur ? Elle n'eſt du
moins pas mieux fondée que celle que nous avons déja réfutée , que l'honneur qu'on rend
aux Saints, partage & diminuë celui qu'on doit au Sauveur. Mais comme on prétend que
la médiation qu'on attribué aux Saints , & l'invocation qui s'addreife à eux d'abord, a
quelque chofe de plus choquant : je demande ſi celle des Juſtes ſur la terre, par les prié
res qu'ils offrent à Dieu les uns pour les autres , préjudicie à celle du Fils de Dieu, que
nous reconnoiſſons tous pour le vrai & le prémicr Médiateur d'une maniére toute fingu
liére ? Certes, comme ils n'uſurpen: nullement ſon pouvoir , & que celui qu'ils ont n'eſt
ni abſolu , ni indépendant, ils n'entreprennent non plus fur ſes droits, ou fur ſon autorité,
que fur fon office & fur fa dignité. -
Car enfin nos adverſaires l'uſurpent ils eux-mêmes quand ils prient pour leurs freres ?.
Ils ne trouvent pas mêrne à redire que nous le fallions. N'y a t'ıl donc pas de la contra
dićtion dans leur raiſonnement , bien que dans leur conduite ? Ah ! mentita eft iniqui
Pfal. 16.
tasfibi, leur pourrois-je dire avec le Prophéte ; l'erreur & l'iniquité ſe contredit toújours,
& s'impoſe à elle même. Car fi tonte autre médiation qu'on employe auprès de Dieu eſt
injurieuſe au Sauveur , comment s'entremettent-ils d'interceder les uns pour les autres ?
ou fi elle eſt permiſe ſur la terre , pourquoi lera-t'elle defenduë dans le Ciel , où la charité
est plus ardente & plus defintereffee?
Je demande de plus , & je les preſle de me répondre, fi les Saints nous peuvent procurer
des graces auprès de Dieu , & ſi en effet ils nous en procurent ? Comme on ne le peut
nier après le témoignage de l'Apôtre faint Pierre, qui aſsûre les Chr tiens à qui
il écrit , qu'après ſa mort il aura ſoin d'eux , afin qu'ils te fouviennent de ce qu'il leur a re
Epist. 2. c. 4. commandé ; qu'on me diſe pourquoi on ne peut pas les employer pour ce ſujet fi conforme
r. f'5 .
à leur état , & à la charité qu'ils ont pour nous ? Le croirez-vous, que la raiſon qui les
empêche d'être d'accord avec nous , & dont ils font même un fondement de preuve, eſt
que ces priéres qu'on addreſſe font inutil s, & qu'ainſi quand ils avouëroient qu'ils font de
feconds Médiateurs auprès de Dieu , & auprès de J E s u -C H R i s T même ; cela ne
nous peut ſervir de rien de les invoquer , ſoit chacun en particaller , foit tous enſemble,
comme fait l'Egliſe.
Cette feconde raiſon, outre qu'elle est auffi mal fondée que la prémiére, a je ne fai
quoi de fi peu fenfé & de fi peu judicieux, que le rid cuie en parcî, de lui-meme, fans qu’ul
foit néceffaire que je me mette en peine de la refuter Car cette raiſon, qui dans leur
eſprit, a prevalu à l'autorité des Peres de tous les fiécies, & au tentiment de l'Egliſe , c'eſt
que les Saints pe connoistent ni n'entendent les priéres qu'on ieur addreſſe ; parce que la
même diſtance qui eſt entre le Ciel & la terre , & qui nous cache leur gloire , empêche
auſſi que nos priéres ne paffent juſqu'à eux, & qu'ainfi , difent-ils , il eſt inutile d'appeller
à nôtre fecours ceux qui ne peuvent entendre uôtre voix ; & encore moins les prié es que
nous leur faifons de coeur. Mais qui ne fçait que quoiqu , les Saints ne voyent , ni ne con
noiffent pas nos actions par les fens , & par les organes du corps , Dieu a bien d'autres,
moyens de les leur faire connoitre? Car qui empêche qu'il ne leur révele , & que cette ré
velation ne leur donne une connoiſſance plus nette & plus diſtincte des choſes les plus fe
cretes , & les plus éloignées , que nous ne connotflons celles qui fon: le plus à portée de
nos ſens ? Comme les Prophétes connoiffent les chofesies plus reculées dans l'avenir, &
comme quelques Saints ſur la tcrre ont découvert les ſecrets des coeurs, non par la péné
tration de leur eſprit, mais par une conncistance plus certaine que Dieu leur en a donnée..
De quelle maniére les Anges entendent-ils nos piéres & nos gémiſiemens ſecrets, qu'ils,
portent juſqu'au trône de Dieu, comme l'Ecriture le di expres ? Que fi l'on me repond.
que les Anges font députez de Dieu pour prendre ſoin le nous , & que Dieu a pou vû aux
moyens dont ils doivent s'acquiter de leur emploi : hé ſi es Saints s'intereffent dans nos.
beſoins, s'ils font ſenſibles à nos miſéres , s'ils nous procurent des graces, & follicitent.
nôtre converſion auprès de Dieu , comme nous n'ei: pouvons douter ; n'eſt-ce pas avoiier
qu'ils connoiffent nos mitéres, qu'ils écoutent ceux qui les prient , & qu’tis ſçavent ceux
qui s'addreſſent à eux ? ils voyent l'Ellence divine , où toutes choſes font d' ne maniére
plus excellente que dans elles mêmes ; & c'eſt pour cela que les Theologiens & les Saints
Peres l'appellent un miroir fi iele , qui repréſeni e aux Bleuheureux du moti s tou: ce qui les,
regarde , & tout ce qui peut contribiici à leui fatisfaction » d'une manicre Rus nv ble &
PREMIER DISCOURS PRELIMINAIRE. xiij
plus vive que s'ils les voyoient de leurs yeux, & par l'experience de tous leurs ſens
ll ne me reſte plus qu'à vous montrer con bien le troistéme prétex: e que nos adver
faires alléguent pour fe defendre de ce culte, eſt frivole & peu raiſonnable, ſçavoir difent
ils , qu'il ett fujet à de gran Is abus ; de forte que quand cette invocation ne feroit p is dé
fenduë, & qu'on fe tiendroit à l'ancien uſage, de prier aux mémoires des Martyrs, &
d'implorer les ſuffrages des Saints, afin qu'ils intercedent pour nous ; ( ce que les Égliſes
d'Angleterre, avec leſquelles nos Proteſtans ont fait alliance, n'oſent condamner, & ont
déclaré par la plume d'un de leur Rois , n'être pas fort blâmable , ) quand , difent ils , on
s'en tiendroit là , ce qu'on y a introduit, & les abus qui s'y gliflent,rendent ce culte illicite,
& cette invocation fuje te à de dangereux inconveniens. Ainſi , voilà un point de foi que
les Proteſtans eux mênes ont fouvent appellé fondamental, réduit à un point de fait. On
abuſe du culte & de la priére des Saints : hé ! que ne ſe font ils donc contegrez de blåner
ces abus , ſoit véritables ou imaginaires , & d'y renoncer ? Ils n'auroient fait que ce que
n us faiſons, en nous tenant aux paroles du Concile de Trente, qui déclare que les Saints
qui regnent au iel avec JEsus ČH Risr , offent leurs priéres pour les hommes , & qu'il
eſt bon & utile de les invoquer: Sanétos unà cum Chrtilo regnantes orationes fitas Leo oferre ;
bonum atqui utite effe fup liciter eos invocare.
Quand on leur accorderoit que par le zéle & la dévotion indiſcrete de quelques particu
liers, il ſe feroit glifle quelques abus , ou qu'il pourroit s'en introduire parmi quelques
Perſonnes fimples, les fautes que l'Egl fe condanine & qu'elle defapprouve elle niême, ont
elles dû être un lujet de ruptu e & de tch fine , contre le fent nient de Calvin niêne, qui
réfléchiffan ſur la grandeur du mal que cauſe la diviſion, asture qu'il n'en faut venir lå,
que dans l'ex reme neceſſité, & lorfju'il n'y a plus d'autres meſures å prendre Mais quelle
conté quence je vous prie , de vouloir défendre l'uſage des choſes les plus utiles & les plus
néceflaires à la vie , ſous prétex e que quelques-uns en abuſent , ou cn peuvent abuſer ?
L'Egitíc meme & a vigilance des Patteurs n'arrêtent-elles pas ces abus , quand ils vien
nent à leur conno ſfance. De plus , q 'ils nous difent en quo ils confitten ces prétendus
abus , qu'ils ont fouffert dans Viclef, dans Jean Hus, & dans Jerôme te Prague , qu'ils
reconnoistett pour leurs freres , quoiqu'ils ayent invoqué les Saints ? Ne fera-ce point
en priant , & reconnoillant pour Saints des perſonnes dont le falut cft douteux , la vie
équivoque, & quelques-uns mêmes qu'on ne fait s'ils ont jamais été au inonde ? Car
c'e : à quoi iis cn font réduits : n'eſt-ce point dans la maniére de es prier , par
des termes outrez, ou par des cérémonies qui ne ſe doivent pratiquer que da s le culte que
l'on rend à Dieu ? *
Il eſt facile de les fatisfaire fur tout cela, fans entrer dans une longue diſcuſſion fur tout
ce détail ; les maniéres de les invoquer , ou de les honorer ſont faintes, dès-là que la coû
tume de tant de fiécles, & le conſentement de l'Egliſe les ont autoriſées, puiſque c'eſt à elle
à régler nô:re culte & nos dévotions fur ce chapitre. Si quelques-uns ont invoqué des
Saints qu'elle n'a point reconrus, elle ne peut étre coupable d'un culte qu'elle n'approuve
& qu'elle ne permet qu'après un examen exact de la vie & même des miracles de ceux
qu'cic niet au nombre des B, nheureux, & pour ce qui eſt des ſacrifices qu'on offre en leur
honneur
de , & des
faint Auguſtinautres
, qu'il ce
ne emonies que l'Égliſe
faut pas croire que le em loye s'offre
ſacrifice , je repondrai
aux faints par les paroles
Martyrs, enco- Lib. 8. de
ib, 8. d.
Civir. Dei
re que felou l'uſage de ce temps là , reçû par l'Egute univerſelle , on offre le facrifice fur
c. 27
leurs corps, & à leurs mémoires, c'est-a dire, devant les lieux où ſe confervoient leurs
Re iques.
D'où il faut conclure , que fi on peut honorer & invoquer les Saints, comme je ne crois
Pas qu'on en puiſſe do te après ce que nous avons dit, puiſqu il n'y a rien dans ce culte
Pui e choquer un eſprit rafonnable , on ne ſçauroit y apporter tr p de reſpećt, pen
ant qu'on s'en tiendra au fentiment de l'Egliſe , & que c'eſt le plus injuſte de tous les
prétextes que les Hé é iques ont pris po ir juſtifier un ſchufne fait avec tant déclat &
de ſcandale. Je ne veux pas icy retracer le fouvenir de ces funeſtes & malheureux temps,
ni des prémie s effers d'une erreur fi infoû, enable ; les temples dediez en l'honneur des
Saints ren verlez avec fureur , les Aurels où leurs Reliques é oient expoſées à la vénéra
tion des peuɔles, prophanez & détrui s ; leurs corps qui s'é oient conſe vez entiers après
Pluſieurs fiéc'es brûlez ; leurs cendres jettées au vent ; leurs statuës & leurs images bri
1ées & miſes en pieces , pour ne laiffer aucun monu vent le la Religion daus lanuelle ils
étoient nez. Plut à Dicu que ces temps aftreux n'cuſſent jamais été, ou enfe la
11},
xiv PREMIER DISCOURS PRELIMINAIRE.
velis dans un éternel oubli ! Je ſçai, mes freres , ( car la charité chrêtienne, & le zéle que
j'ay pour vôtre falut , n'oblige encore de vous donner ce rom ; ) je ſçai que pour avoir
hérité des erreurs de vos peres, vous n'étes pas coupables de leurs violences ; mais dé
testez l'impiété qui les a portez à ces excès , & forcez d'avoüer que les Saints méritent d'ê
tre bonorez , qu'ils intercedent pour nous , & qu'il n'y a pas plus de danger c'implorer le
fecours de feurs priéres auprès de Dieu, en leur addreſſant les rôtres, que de prier nos
amis de nous faire la même faveur ; convaincus , dis-je, de ces véritez, ne trahillez point
les fentimens de vôtre corur , mais écoutez plú ô: celui de l'Egli e , qui eſt prête de vous
recevoir dans fon fein. C'eſt la grace que je conjure ces mémes Saints de vous impétrer du
Dieu de miféricorde , qui ne fouhaite rien tant que vôtre ſalur.
Pour vous, fidelles Chrêtiens, qui avez été élevez dans les ſentimens de l'Eglife, & qui
avez ſuccé fa doćtrine avec le lait ; fouvenez-vous que ce n'eſt pas affez de les honorer &
de les invoquer , fi vous ne vous efforcez encore de les initer , & de ſuivre les exemples
qu'ils vous ont laistez. Penfez que c'eſt pour vous y animer que l'Egli e vous les mer tous
devant les yeux, & qu'il y en a parmi ce nombre prodigicux , qui fet ont vos accuſateurs
& vos juges , fi vous ne devenez leurs imitateurs , parce que leur état ayant plus de rap
port au vôtre, & leurs emplois ayant été tout ſemblables à ceux que vous exercez , ils
vous font donnez comme des modelles ſur leſquels vous devez vous former.
XV
SE C o N D D IS CO U R S P R E L IM IN AIRE.
Sur la maniere de faire les Panegyriques des Saints felon la methode
de ce temps.
- Vant que de fournir aux Ministres de la parole de Dieu des deffeins , & des maté
riaux ſur les principaux ſujets de Patégyriques , j'eſpérc qu'ils me ſçauront quelque
gré de leur donner outre cela , le moyen de les mettre en oeuvre , en leur expoſant nette
ment les régles & la méthode de faire les Eloges des Saints à la maniere de ce temps. En
effet , on a tant encheri fur l'ancienne méthode & fur ies préceptes même des Orateurs
prophanes , qu'on peut dire hardiment que c'e't tout un autre genre d'écrire, & de par
Jer, & que de bien faire un éloge de cette maniere, c'eſt méti er un éloge tout fingulier.
C'eſt pourquoy les remarques que j’ay faites là di ilus doivent être d'autant mieux reçủës B
que de toutes les pieces d'éloquence , la plus difficile , de l'aveu de tout le monde , &
ceile où l'on voit moins de perſonnes qui cxccllcnt, c'eſt le Panégyrique : car enfin ou
tre les difficultez générales qui fe trouvent dans tous les diſcours de cette nature , les
éloges facrez dont nous parlons icy , en ont encore de particulieres ; car il faut fouvent
faire coni.oître le mérite de quelques Saints, quoiqu'il ne ſoit contú que de D.eu ſeul ;
il faut mettre dans un beau jour , des aćtions cachées , & qu'ils ont eux-niêmes dérobées
aux yeux des hommes , tirer de l'obſcurité des vertus purement intérieures, & les tnettre
dans un point de vúë qui en faſſe remarquer tout l'éclat i faire connoitre le prix de leur
humilité, de leur patience, des confuſions qu'ils cnt fouffettes, des austéritez qu'ils ont
pratiquées, & fçavoir par un tour ingenieux , faire eſtimer des choſes pour leſquelles le
commun des hommes n'a que du mépris , & de l'horreur. Il faut enfin attra PPer le carac
tere propre du Saint, & le distinguer des autres d'un caraćlere ſemblable ; ce qui n'eſt pas ſi
facile , comme nous avons remarqué dans la Préface , particulierement quand on eſt en
gagé à faire un nombre conſidérable de femblables éloges ; car c'eſt preſque tcủjours le
mene zéle qu'on loüe dans les perſonnes Apoſtoliques , la même force , & le même cou
sage dans tous les Martyrs , & les mêmes auſtéritez dans tous les l'énitens ; & il n'y a
guéres que ceux qui travaillent fur ces fortes de ſujets , qui connoistent la difficulté qu'il
y a de n'uſer point de redites , & de ne ſe point copier foy-n éine , ou de ne point ſe ren
contrer avec les autres. C'eſt pourquoy je ne ſuis pas furpris ſi la plúpart des Prédicateurs
s'épargnent cette peine tant qu'ils peuvent , & ne s'engagent à faire un Panégyrique,que
quand ils-ne s'en peuvent défendre. La Morale qui eſt Pius en vogue que jamais , leur
eſt d'un grand ſecours en ces occaſions , & à la faveur d'un exorde , on prétend perſuader
aux Auditeurs , que le Saint même trouvera bon , qu'on préfere l'édification de leurs ames
à la gloire que lai attireroit un éloge stérile, ou de peu de fruit.
On entend affez ce langage , mais comme il y a des occaſions où l'on est indiſpenſa
blement oblige de s'acquiter de ce devoir , telle que feroit , lorſqu'on prêche le jour de la
Fête d'un Saint , dans l'Egliſe qui lui eſt dediée, & qu'on s'attend d'en entendre l'eloge ;
ou bien devant une Communauté Religieuſe à la Fete de leur Fondateur , & dans d'autres
femblables cérétnonies ; je n'ay pů ne diſpenſer moy-même , fe'on la méthode que je me
fuis preferite dans les autres parties de cet ouvrage , de mettre à la tête de celle cy , les
remarques , ou les réflexions que j’ay faites ſur la maniere de bien faire un panégyrique,
& fur ies défauts q on y commer ordinairement , fans m'arrêter aux préceptes généraux
que nous en ont laiſle les Mai res de cet art J'en ay entendus une infinité de bons, & de
nauvais , & j’ay lá la plupart de ceux qui ont été imprimez depuis , trente , ou quarante
ans. J'en ay trouvé de très juſtes , & de très éloquens, fans parler des autres manuſcrits
qui ne font tombé entre les mains ; & bien loin de prétendre d'en faire la critique, ou de
trouver rien à redire dans les excellens ouvrages de ces excellens Maîtres , je prie mes
Le&eurs d'être perſuadez, que c'eſt ſur ces chef-doeuvres, que je me ſuis formé l'idée d'un
diſcours Panégyrique ; & que j’ay remarqué les défauts de ceux qui fe font éloignez de
leur méthode , máis de telle forte que , comme en qualité de Prédicateur, j’ay toujours.
taché de blåner les vices , fans diffamer les perſonnes , maintenant , en qualité d'Auteur,
je n'ay point d'autre deficia que d cinèècher les Prédica:curs de to uocr ca des défauts »
* .* -=m
Le Panégyrique en général , est, comme tout le monde ſçait , un diſcours qui renferme
l'éloge des vertus, & des actions d'une Perſonne çoi fiicraele : & la fin qu'on ſe propoſe
dans ce diſcours, qui eſt ordina:1 cment Pt b: c , c'eſt dc nontrer qu'une perſonne eſt di
gne des ioüanges qu'on lui donne, s de l orter ceux qui les ecou crt , à lui rendre l'hon
neur, & le reſpect qui lui eſt du. Je ne diray tien de l'origine de cette lorte d'éloges, ny
des différentes occaſions où ils peuvent etre cu ployez , ni de tout ce que la Rhetorique
a coûtume d'étaler ſur ce ſujet ; quoiqu'il y att des choles aflez cu ieuſes à dire, que l'on
peut voir dans ceux qui en ont pailé plus a fond. Je dis ſeulement que quoique les Pa
négyriques factez ayen: beaucoup de choles communes avec les prophanes , ce n'eſt pas
- cependant tout à fait de mene , Fuitqu ils ſont différens dans leur fin , dans la matiere
*- qui y doit être miſe en oeuvre & dans ia maniele de les traiter. .
Ce que l'on prétend uniquement dans les Panégyriques des grands hommes, c'eſt de
donner une haute dée de leur mérite , & tout au plus, comme l'honneur eſt la récom
penſe de la vertu , de leur procurer de la gloire , par l'eſtime qu'on en fait naître, & dont
on retrace le ſouvenir dans les eſprits. Mais ceux qu'on fait en l'honneur des Saints, ont
pour but , non-ſeulement de leur procurer après leur mort , la gloire qu'ils ont mépriſée
pendant leur vie: nais, comme nous avons céja dit , de ſe ſervir de leur exemple pour
exciter , & an mer les Auditeurs » à les imiter , ſelon cette parole de laint Auguſtin , que
les ſouffiances des Martyrs, font de fortes exhortations à ſouffrir le marryre, ſi l'occa
fion s'en préſentoi: ; ce qui doit s'étendre à toutes les vertus chrétiennes. Que fi les exem
ples des grands homnes excitent aufli à de grandes actions , il cst rare qu'on parle devant
des Auditeurs qui foient d'une profeilion & d'un caractere à imiter les vertus militaires ou
politiques qui font d'ordinaire le ſujet de leurs éloges , qui ne ſoient portez à les imiter.
Et pour ce qui eft des vertus morales , qu'ils peuvent avoir pratiquées, à moins que la
Religion n'y ait part , il eſt encore plus rare que quelqu'un en retire du fruit.
Ce qui fait que les éloges des Saints font cn ſecond lieu différens des autres , pour les
choſes qui en font le ſujet , & la matiere : c'eſt qu'on ne louë dans les autres que des
aếtions d'éclat, de grandes entrepries , de gands exploits i mais pour les Saints, ón fçair
que les verrus chrétiennes font d'une autre nature , aufli bien que d'un autre prix. Ces
Fanégyriques enfin font differens pour la maniere dont on louë les Saints , puitque c'eſt
à Dieu qu'on refere la principale gioire de leurs actions :
& toute la Part qu'on en donne
à ceux dont on fait l'éloge, c'eſt d'avoir été les fidelles adminiſttrateurs des biens que
Dieu leur a confiez.
Il faut pourtant convenir que nonobstant ces différences , & ces difficultez particulie
res, il n'en eſt pas de ce genre de diſcours , comme des Sermons ſur les Myſteres , & ſur
les véritez morales dont nous n'avons point de modelles dans les Auteurs prophanes , &
très peu parmy les Saints Peres, ſur leſquels on ſe puiſſe former. Mais pour le Panégyri
que, les Grecs , & les Latins, les Auteurs ſacrez , & prophanes nous ont laiſlé des pieces
excellentes ; & c'est beaucoup fi nous pouvons approcher de leur perfection. Parmy les
Grecs perſonne n'ignore quel cas on a touj urs fait de ceux d'Iſocrates : & parmy les Pe
res , de ceux de faint Baſile , de faint Gregoire de Nazianze , & de quelques-uns de faint
Chryſoſtome.
Les Orateurs Latins n'ont point cédé aux Grecs en ce point. Ciceron en a fait deux à
la loüange de Céſar , & un à la loüange de Pompée , leſquels ont mérité l'admiration
de tous les fiecles ; & depuis que l'éloquence a degeneré avec la pureté de cette langue,
nous en avons des volumes entiers, qui contiennent les éloges des Empereurs ; & celuy
de Pline le jeune paffe encore pour une picce achevée, qui a donné ſujet de dire que cet
Auteur a fait ſon propre éloge , en faiſant celui de l'Empereur Trajan. De maniere que ce
genre d'oraiſon qu'on appelle Epidićtique , eſt auſſi ancien que l'éloquence même. Or
comme le Saint Eſprit s'en eſt fervi dans les éloges des Saints Patriarches, dont le livre
de l'Eccleſiaſtique eit rempli , & dans pluſieurs auttes endroits de l'Ecriture , il ne faut
pas être furpiis que l'Eglile l'ait adopté pour honorer les Saints, & pour exciter les fidel
les à l'imitation de leurs vertus. On peut même ajouter que ces Panégyriques ſacrez ont
cet avantage fur les prophanes , & ſur ceux que l'on fait en l'henneur des grands hom-,
mes , dans les harangues funcbres , & dans les autres cérémonies où ils font employez ; .
- qu'ils
SECOND DISCOURS PRELIMINAIRE. xvi
qu'ils ne peuvent guére être ſuſpects de flaterie , qu'ils font écoutez avec plus de reſpect ;
que les aćtions qu'on y étale , pour être chrétiennes , n'en font pas moins admirables, &
ne donnent pas moins de lieu aux plus grands traits de l'éloquence. Ainſi la grandeur du
fujet , les difficultez propres de ces diſcours , & l'importance de la fin que l'Örateur doit
avoir devant les yeux , font d'affez puiſſans motifs pour s'étudier à les bien faire ; & pour
cela , outre les régles que la Rhétorique nous cn donne, voicy Pluſieurs remarques qui
y pourront être de queique utilité.
Il faut commencer , comme dans tous les autres diſcours, par choiſir le deffein , & par
tracer le plan ſur lequel on veut travailler. Car enfin , faire le Panégyrique d'un Saint,
n'eſt pas faire un ſimple récit de fa vie , & de ſes principales aćtions; mais c'est les reduirc
à certains chefs, à quoy l'on raporte tout ce qu'il y a de plus grand , & de plus conſidé
rable. Ce deflein , ou ce plan , pour avoir de la juſteffe , doit avoir ſon unité , qui eſt cſ
fentielle à tous les diſcours d'éloquence; c'est-à-dire, qu'il faut une propoſition, une véri
té , ou quelque vertu qui ſe diviſe en ſes membres, & en fes parties qui ayent de la
proportion: Ainſi, quand on prend pour deffein du Panégyrique de faint Jean Baptiste,
de faire voir qu'il a été grand devant Dieu , qui est l'eloge que lui donne l'histoire ſa
crée ; les membres, ou les parties de cette vérité, pour en partager les points , fe peuvent
prendre de la grandeur de ſon ministere , qui eſt d'avoir été le Précurſeur du Meffie, de la
rigueur de fa pénitence , & de l'austerité de fa vie , & enfin du courage qu'il a fait pa
roître à rendre témoignage de la vérité, en reprenant Hérode de fon inceste. Voilà une
propoſition diviſée en parties, les plus propres, & les plus naturelles du ſujet , & qui
renferment tout ce qu'on peut dire. Cette unité ſe peut prendre tantôt de l'état dans le
quel un Saint a vécu, tantôt de l'employ, ou du ministere qu'il a exercé, comme fi ça
été un Evêque , un Apôtre, un faint Doćteur, en faiſant voir que le Saint a rempli par
faitement les plus eſſentiels devoirs qui font attachez à ces états, de maniere que le
ou le plan du Panégyrique, n'étant que pour donner quelque ordre aux aćtions des Saints
dont on fait l'éloge ; il doit étre conforme à l'état , au ſexe , à l'employ , & aux aćtions
par leſquelles ils fe font fignalez. On peut quelquefois ſe borner à une ſeule vertu, comme
à la charité, ou au zele, & alors diviſer cette vertu en fes eſpeces , ou la confiderer dans
les occaſions où elle est le plus d'uſage , & avoir égard que la propofition donne d'abord
!
une idée générale du caraćtére de la perſonne.
On pourroit faire icy une question, fçavoir fi l'on peut prendre pour ſujet d'un Panégy
rique , une ſeule action particuliere d'un Saint , comme l'on peut faire l'éloge d'un grand
homme, pour avoir remporté une fignalée viétoire, ou pour être heureuſement venu à
bout par fa prudence, d'une grande entrepriſe. Il me ſemble que cela ne ſouffre point de
contestation, quand on n'a autre choſe à dire, comme le combat, & la mort d'un Martyr,
quand on n'a rien dans fa vie de certain ; & alors, il faut avoir recours à la morale pour
remplir un juste diſcours. Ce qui peut encore avoir lieu , quand il est facile de rapporter
toutes les autres actions d'un Saint, à cette unique & principale aćtion ; comme, dans
l'Apôtre faint André, où tout ce qu'il a fait ſe peut reduire à l'amour , & au defir de la
CIO1X.
Sur ce principe de l'unité qui ſe doit trouver dans un diſcours Panégyrique , il faut
conclure que celui-là n'eſt pas juste, qui embraffe deux ou trois vertus , qui n'ont nulle
liaiſon , nulle proportion , & nul raport à une propoſition plus univerſelle, & plus éten
duë, qu'on doit toûjours prendre pour deſfein de fon diſcours. Ainſi celui qui répréſen
teroit les tentations de faint Antoine, ſa folitude, & ſes jeûnes, n'en feroit pas un Panć
#yrique régulier, s'il ne réunifloit ces trois choſes fous un même titre, quoique toute
vie de ce Saint ſe réduiſe à ces trois chofes.
Ce n'eſt pas affez que le plan & le deſfein du diſcours foit juste par le rapport & la
proportion des parties qui en i la diviſion ; il doit être en fecond lieu , propre du Saint,
& en faire le caraćtere ; car on ne repréſenter un Solitaire , comme un Apôtre ,
parce que par ſes prieres, il a contribué à la converſion du pays, fans qu'il le foit appli
qué à l'instruire, ny à prêcher avec zele. Cette circonstance peut bien être rapportée pour
exemple de la charité d'un Saint : mais non pas pour faire le caractere d'un Apôtre ; il
faut quelque chofe de plus marqué , & qui réponde davantage à l'idée qu'on a communé
ment d'un zéle Apostolique. Il faut de plus que ce deſfein air , s'il ſe peut ; quelque cho
fe de fingulier, qui distingue un Saint, d'avec un autre : ou du moins, qui faile connoitre
qu'il n'a pas tout à fait tenu la même route que les autres de n ême profeſſion , ou de
même rang, Que fi le texte qu'on a choiſi peut marquer cette distinstion, alors le deflein
Paneg. des Saints. Tome I. 1
xviij SECOND DISCOURS PRELIMINAIRE.
fera heureux ; mais l'on ne doit pas s'en faire une loy, qui non-ſeulement feroit trop gê
nante, mais qui auroit de la peine à fournir aflez de matiere pour remplir un juſte diſ
cours. Par là on exclut tous ces deffeins genéraux qui peuvent convenir à tous le Saints ,
comme feroit de montrer que tel Saint en particulier a obſervé fidellement la loy de Dieu,
ou qu'il a été vigilant à travailler à ſon falut , ou qu'il a évité les defordres du ſiécle.
Le deſſein doit encore avoir quelque chofe de noble, & l'élevé, qui frappe d'abor i , &
qui faffe naître à l'Auditeur le déſir de l'écouter, & en même temps qui engage l'Ora
teur à élever fon ſtile & fes penſées pour le foûtenir. Mais il n'y a pas moins de danger
de donner dans l'autre excès en voulant rendre fon deſfein trop brillant & trop pompeux ;
car c'eſt un écueil affez ordinaire pour les jeunes Prédicateurs ; quoiqu'aujourd'huy on
foit bien revenu de ces delleins ſi ſpécieux , comme je l'ay déja remarqué dans la Préface
des Myſtéres , & de les prendre des comparaiſons de l'Aigle , du Phoenix , des Aſtres ,
d'un Temple , des pierres précieuſes , & d'autres femblables , qui ne ſont plus du goût
du fiecle. Atoſi ce deſiein, qui cut autrefois grand applaudistement dans un Auditoire
choiſi , & de gens d'eſprit , ne ſeroit pas aujourd'huy bien reçì. Le Symbole étoit une
grenade dont le rapport fournit une diviſion aſſez jute , & meme affez heureuſe pour le
Panégyrique de fainte Urſule ; parce qu'il repréſentoit la naista ce royale de cette Sainte
par ce fruit couronné, on martyre , par la couleur naturelle , qui eſt la pourpre, & enfin
les onze mille Vierges ſes compagnes , par la fécondité de ce fuit , qui renferme une fi
grande multitude de grains ; ce qui n'empêche pas qu'on n'eut på employer cette ſimilitu
de pour ornement du difcours , au lieu d'en faire le fond , & la diviſion. On ne peut
plas même ſouffrir maintenant ces paraileles justes , & é u liez, que l'on farfoit de quel
ques Saints avec les anciens Patriarches, ou avec les Prophetes, dont les rapports fai
fotent la mariere , les diviſions , & les tranſi ions d'un point à l'autre. Après tour, je
crois qu'on ne fe doit pas tant mettre en peine de trouver un deffein ſpécieux, il ſuffic
qu'il foi: naturel : le point est de le bien rempiir ; & co nme il y a des Saints dont le ca
raćtére ſe préſente d'abord à l'eſprit, & vient en la penſée de tout le monde, il ne faut
pas le rebutet pour avoir été prévenu par d'autres qui ont pris le même deſfein , & la mê
me divifion : non plus que l'on ne ſe met point en peine de rapporter les mêmes actions ,
puiſque le tour, & la maniere de les traiter en feront toujours differens.
La plus grande difficulté que j'y trouve , eſt d'habiller , pour ainſi dire , différemment
des ſujets d'un même caractere , tels que font tous les Solitaires , tous les Pénitens, tous
les Martyrs , tous ceux qui ont mené line vie Apoſtolique, & tous les Saints Fondateurs
d'Or 're , don les traits font fi femblables , qu'on n'auroit qu'à changer de nom , pour
dire de l'un , tout ce qu'on peut dire de l'au-re. Cette difficulté ſe fait entir à ceux qui en
ont un nombre conſidérable à reciter dans le même licu, & encore davantage à ceux qui
les donnent au public. C'eſt ce qui m'a ob igé d'en re-rancher pluſieurs ; pour ne pas uſer
de redites , ce que je me fuis efforcé d'éviter avec le plus de foin; car c'eſt un défaut dont
bien des perſonnes n'ont pû fe défendre , non plus que le dire des choſes qui peuvent être
appli luées à pluſieurs autres Saints , & q l'on pourroit justement appeller du commun des
Vierges, des Martyrs, ou des Confeſſeurs. Mais ne nous arrêtons pas davantage ſur ce
chapitre.
Après avoir pris fon deſfein, & choiſi l'ordre que l'on veut donner au Panégyrique d'un
Saint , il en faut venir aux preuves de ce qu'on a entrepris de faire voir , ce que la Rhé
rorique appelle da is route forte de difcours , la narration. Je laiife aux maîtres de l'art
à en preſcrire les préceptes. Ariſtote , Ciceron & Q inrilien en ont fait d'ampies traitez:
& le "çavant & pieux Louis de Grenade en a donnez de pour les Panégyriques
des Saints. Mes obſervations & les réflexions que j’ay faites ſur cet e partie du Panégyri
que , ne rega“ lent qu'un pet t détail où ces grands hommes n’ont pas jégé à propos
d'enrer ; peut-être ont ils crû que l'expérience, ou le bon fens nous inſtruiroient aflez
là-deſſus.
La narration dans un Panégyrique de Saints, ſe doit prendre de lenrs vertus, & de
leurs aétons, parce que c'eſt ce qui les a fait Saints , & que c'est pour cela qu'ils ont
Lib. 3 Re h mérité qu'on en fi: l'éloge. Or la premiere regle que donne Aristote en général , dans la
f . i to» narration propre du Pané gyrique , m'a fait remarquer pluſieurs défauts dans celle que l'on
fait dans l'éloge d'un Saint. t a narration , dit ce Philoſophe , re do t pas êt e toute de
fuite dans ces fortes de diſcours , mais à diverſes repriſes, & partic à partie. Il en apporte
deux raiſons. La prémiere, parce que fi l'on faiſoit de fuite un narré de toutes les belles
aćiions d'une Perſonne, comme d'une Part elles font de différentes effcces , & ſe rappor
SECOND DISCOURS PRELIMINAIRE. xix
tent à différentes vertus ; & de l'autre , que la même perionne s'eſt ſignalée dans chacune
en différentes rencontres , ce leroit une choſe trop embarraflante d'obliger l'Auditeur à fa
fouvenir de ce qu'on a dit en telle rencontre, pour montrer quelle étoit fa prudence , &
de telle autre pour faire voir ſon courage , & de telle action, pour prouver combien elle
étoit juſte & équitable. Mais l'autre rafon me paroît encore plus plauſible : (çavoir, qu'u
nc narration de faits , fans autre liaifon que celle du hazard, & des affaires qui ſe ſon r
préſentées , tient plus de la fimplicité d'une hiſtoire qui s'attache à l'ordre des tenips, &
aux circonſtances des choſes, que de l'élevation du Panégyrique, où l'on doit s'étudier à
les mettre dans un beau jour. Or cette narration qui ne doit pas être poulée , pour ainſi
dire, tout d'une haleine, depuis la naiſſance d'un homme , ruſqu'à ſa mort, ne doit être
interrompuë dans l'éloge d'un Saint, que par quelque exemple, º quelque applica
tion de l'Ecriture , par quelque réflexion morale , ou par quelque vérité , & queique ma
xime de nôtre Religion,que ce Saint a fait voir en pratique: ou ei fin pai quelqu e Haiſon
nement de Théologie, qui appuye , ou qui juſtifie ce qu'on a avancé , ce qui
l'amplification du ſujet que l'on traite. Mais voicy les défauts que j’ay renarqué či plu
fieurs Panégyriques , qui d'ailleurs ont de grandes beautez.
On cn voit qui coupent , & qui interrompen leur narration, mais d'une maniere qui
change la nature du Panégyrique, par une alternative de morale qui eſt d'une plus longue
écendue , que les actions qu'on ra conte ; en faifant non-feulement des réflexions fur cha
que vertu : nais en prenant occaſion de là , d'invećtiver contre les moeurs des Chrétiens,
contre les défordres du temps, & contre les défauts qui ſe commettent dans l'exercice
de toutes les vertus. Je ne çay con ment ce défaut , qui est devenu fort ordinaire , ne
faute pas aux yeux de ceux qui out quelque goût pour la justeffe d'un diſcours. On dit en
peu de mots , par exemple, qu'un Saint reçût une heureuſe éducation dans ſa jeuneſſe, &
l'on prend occation de la , de debiter un grand lieu commun ſur l'inſtruction des enfans,
& fur l'importance de les é ever dans la crainte de Dieu. On paffe enfuite à une autre par
tie de la vie du néme Saint ; & s'il a mer é une vie folitaire & retirée, on croit n'avoir
pas fait un bon Panegyrique , ſi l'on ne fait l'éloge de la ſolitude , & fi l'on n'exhorte à la
retraite , par les avantages qu'elle donne pour parvenir à la fainteté, ou fi l'on n'invećti
ve forren ent contre la c flipation d'e prit qui ſe trouve dans le grand monde. Si le Saint
enfin a pratiqué de rudes austérie.cz , c'eſt une belle occaſion de condanner la vie molle
que menent la i lúpart des Chrétiens, en recherchant leurs aifes , & leurs commoditez
par tout. Ainſi l'on parcourt toute la vie d'un Saint, dont chaque aćtion fournit un ſujet de
morale. Certes, fi cette méthode eſt juste, & fi l'on en doit introduire l'uſage , c'eſt à
tort qu'on a toújours enviſage le Panégyrique comme la piece la plus difficile de l'élo
quence, puiſqu'il n'y a rien de plus aiſé que d'en faire de cette maniére en peu de temps,
& j'atouterois même d'en faire un grand nombre, fi au bout de trois , ou quatre de ce
caraćterc , un Orateur n'avoit pas épuiſé tous ces lieux communs. Tout l'avantage que
je vois dans cette maniere de charger ainfi de morale un Panégyrique , c'eſt qu'un feul
peut fervir à trente ſujets diferens. Il faut pourtant convenir qu'il y a des Saints dont nous
ne ſçavons que très-peu d'aćtions ; & ſuppoſé qu'on foit obligé d'en faire l'éloge , il n'y a
pas d'autre moyen de ſe tirer d'affaire, que de ſuppléer par la morale, à ce que le ſujet
ne fournit pas de fon fond.
Il y en a d'autres qui tombent dans un ſecond défaut, qui n'eſt guéres différent de ce
lui-là ; c'eſt de ceux qui établiſſent de grands & étendus en forme de
thèſe générale, & mettent à la tête du diſcours, ce que les autres mettent à la fin , &
puis difent en affez peu de paroles, que c'eſt ce que le Saint a pratiqué, par un court re
cit d'une aćtion ou deux , & enfin tirent la concluſion par une autre morale, pour ex
citer les Auditeurs à l'imiter. Cette maniere n'est pas ſupportable dans un, ſujet ample , &
dont la multitude des actions doit plûtôt faire retrancher tous les préambules , & abreger
les principes ſur leſquels on s'appuye , pour donner une juſte étenduë aux aćtions , & aux
vertus. D'autres enfin pêchent contre le bon ſens, en rempliffant leurs Panégyriques de
digreſſions, ou de circonstances inutiles, de remarques, de paſſages d'Auteurs inconnus,
ou profanes , par une ostentation de doćttine , comme s'ils vouloient faire leur Panégyri
que propre, & non pas celui du Saint ; car , Pour être régulier , il faut que la nariation
contienne des faits, ou des aćtions qui ayent du rapport à la vertu ſous laquelle on les
range , amplifiez par les circonſtances qui peuvent leur donner du relief, & leur at tiret
plus d'estime. On peut de temps en temps y mêler quelque réßexions , mais courtes ,
& qui n'ayent point rait de lieu comỗhun. Il n'est pas néceſſaire, ni menic à propos de
1 1)
XX SECOND DISCOURS PRELIMINAIRE.
prendre à tâche de ne rien omettre , & d'étendre tout par un detail qui pourroit être er
nuyeux ; mais il faut faire un choix de ce qu'il y a de plus éclatant , & paſſer légerement
fur les choſes de moindre importance , en les accumulant , pour faire par leur multitude
la même impreſſion que pourroit faire un petit nombre d'autres, qui auroient plus d éclar,
& tirer ſur la fin de chaque point, quelque concluſion morale qui fuive naturellement
de ce qu'on a prétendu prouver , & qui excite l'Auditeur qui ſe trouvera dans le même
état , & dans les mêmes conjonŝtures, à tenir la même conduite , & à pratiquer les mê
mes vertus ; à quoy l'on réuſſira immanquablement , fi les actions d'un Saint font rappor
tées, non d'une maniere féche & languiſſante, mais vive, & animée, en tenant les ef
Prits attentifs par le tour qu'on donne aux choſes ; & nous voyons par expérience , que
rien ne ſe fait mieux écouter, que le recit de quelque belle aćtion, ou de quelque avân
ture extraordinaire ; d'où il s'enfuit que jamais l'Auditeur n'eſt mieux diſpoſé à recevoir
les ſe nens qu'on lui veut inſpirer : de maniere que ceux qui veulent l'exciter à l'imita
tiot - Saint, ( ce qui doit être la principale fin de l'Orateur qui en doit faire l'éloge, )
n'y retrtfiront jamais , avant que d'en avoir donné une haute idée, par le recit éloquent
qu'ils auront fait de fes belles aćtions.
Que fi l'on s'opiniâtre à foûtenir qu'une forte morale eſt plus propre à perſuader, & à
émouvoir, qu'une narration de faits, & de belles actions, que l'Orateur étale avec étu
de , & avec arr ; il faut avoir oublié que l'exemple eſt de lui-même une puiſſante ex
hortation à faire le bien , & qu'il n'a guére moins de force quand il eſt bien raconté ,
que quand il eſt mis en pratique, & qu'il frappe nos yeux ; car c'eſt pour cela qu'on écrit
les vies des Saints & des perſonnes vertueuſes, & qu'on en conſeille la lecture. Ainſi de ce
côté-là, un Panégyrique chrètien n'a pas moins de force pour émouvoir , & pour tou
cher le cæur , que d'agrément pour plaire , qui eſt l'effet qu'on lui a tribuë ordinaire
ment. Et pour ce qui eſt de perſuader, ( qui eſt la premiere fin de l'Orateur , ) je ne vois
pas par quelle autre voye il peut parvenir, qu'en convaincant les Auditeurs de la grande
fainteté de celui dont il fait l'éloge, par ſes vertus, & par ſes actions, qu'il met dans
un beau jour ; ſur quoy cependant, il y a deux , ou trois choſes à prendre garde.
La premiere eſt, que dans les faits qu'il expoſe, s'il y a quelque chole de douteux ,
qu'il ne le donne pas pour inconteſtable, & qu'il ne faffe pas fond fut cela ; comme ce
lui qui a fait faint Jacques le Majeur, proche parent du Fils de Dieu , & qui a fondé ſur
cet avantage, dont on ne convient pas, la meilleure partie de fon éloge. Ce Prédicateur
éroit trop habile homme, pour avoir pris faint Jacques le Majeur , pour le Mineur , qui
fût Evêque de Jéruſalem, & que faint Paul appelle Fratrem Domini , c'eſt-à-dire , le cou
fin germain du Sauveur. Mais un diſcours fur un fondement fi incertain , eſt défectueux
dans fa plus effentielle partie ; auſſi-bien que celui où faint Philippe l'Apôtre eſt pris pour
le Diacre qui baptifa l'Eunuque de la Reine Candace. Si quelque Auteur a avancé ces
faits, un Orateur ne doit pas aller contre le ſentiment commun , parce que fi le fonde
ment n'eſt pas ſolide, l'édifice , qui eſt établi deſfus, eſt ruineux.
La feconde choſe à quoy je voudrois qu'on prit garde , eſt que fi l'Orateur employe
pour orner & enrichir ſa narration, quelque trait de l'Hiſtoire profane , ce qui paroît
plus excuſable dans un Panégyrique, que dans un autre diſcours, il le faſſe par une ma
niere de comparaiſon, qui donne l'avantage à une aćtion chrêtienne fur une autre de
même nature, foit pour l'excellence du motif, foit pour la difficulté qu'il y a à ſe vain
cre foi-même, & à réprimer quelque paſſion. La troifiéme choſe enfin à quoy je vou
drois que l'on fit réfléxion dans les éloges des Saints , eſt qu'on paflât legerement ſur les
chɔfes dont les anciens Panégyriſtes profanes faiſoient le principal ſujet des loüanges
qu'ils donnoient à leurs Heros, fçavoir ſur les talens , & ſur les avantages natu
rels, tels que font la nobleſſe , la gloire de leurs ancêtres , leur patrie , leurs alliances,
leurs richeſſes. Les Saints Peres à la verité ne les ont pas omis , comme nous voyons
dans les éloges que faint Ambroife, faint Grégoire de Nazianze , & les autres nous ont
laiffez ; mais il faut prendre garde qu'ils n'ont employé ces foibles avantages , que pour
montrer que ceux qui pouvoient être confidérez dans le monde par ces endroits , ont in
comparablement plus fait état des vertus chrêriennes , & qu'une grande partie de leur
gloire, est d'avoir mépriſé cette grandeur mondaine.
Il n'en est pas tout à fait de même des qualitez de l'eſprit , comme de la ſcience , du
courage, de la prudence, & des autres de cette nature ; car quoique ces belles qualitez.
confidérées en elles-mêmes, ne rendent pas une perſonne plus conſidérable devant Dieu »
le bon uſage néanmoins que les Saints en font » ne contribuč pas peu à leur ſaintcté ; &
SECOND DISCOURS PRELIMINAIRE. xxj
comme la grace travaille ordinairement ſur le fond de la nature, & s'accommode aux dif.
ferens naturels des hommes , on ne peut douter que ces avantages ne puiſſent entrer dans
*
l'éloge qu'on fait des plus grands Saints, & que ces biens intérieurs ne foient incompa
rablement préférables à ceux qui ne font qu'extérieurs, tels que ſont la nobleſſe, la puiſ
fance, & tout ce qu'on appelle biens de la fortune, puiſque c'eſt le fentiment qu'en ont
eû les Payens mêmes.
Le doute ſemble encore moins raiſonnable de demander fi les dons naturels , & pure
ment gratuits ; comme les miracles , qui font les effets d'une cauſe ſupériedre, doivent
trouver place dans les éloges des Saints. Je ne toucherois pas cet article , fans que j'ay
remarqué que pluſieurs les retranchent de la vie de ces Saints , & que d'autres crovent
qu'il en faut uſer de même dans les Panégyriques que l'on fait en leur honneur. Leurs
raiſons font, qu'il eſt inutile de propoſer à l'Auditeur des aćtions qu'il n'eſt pas en ſon
pouvoir d'imiter, que ces choſes miraculenſes & furprenantes ne font rien à leur faintcté,
puiſqu'elles ne dépendent pas d'eux ; & cnfin que parmy ces miracles , il y en a de dou
teux, quelques-uns qui peuvent être ſuppoſez , & d'autres que l'on conteſte , & où l'on
ne voit pas par quelle néceſſité Dieu auroit changé l'ordre, & les loix de la nature.
Mais il eſt aiſé de fatisfaire ces perſonnes ; & fans m'en prendre à l'incrédulité de nôtre
fiécle, qui ſous couleur de rafinement d'eſprit , ou de critique, révoque en doute ce qui
a été inconteſtable dans les fiécles paſſez ; ni à la malignité des Hérétiques, qui décricat
les miracles , dont ils ne peuvent iuſtifier un ſeul , pour autoriſer leur réforme prétenduë ;
je dis que ceux qui ne jugent pas à propo den pa ler dans un Panégyri ne , raviſien:
aux Saints une partie de leur glo re , & de l'opinion qu'on avoit de le i fanteré , puiſ
que ces miracles en font les preuves les plus aurentiques, & que l'Eglife même artend
pour les déclarer Saints juridiquement , qu'ils marquent le pouvoir qu'ils ont auprès de
Dieu, & que c'est enfin ce leur attire davantage le reſpect & la vénération des pcu
ples. Je ne dis pas qu'il en faille remplir un diſcours : ni les rapporter fans di cernement ,
& fans avoir égard s'ils font bien averez , & bien conſtans ; & entre ces miracles je choi
firois plus volontiers ceux que Dieu a fait pour juſt fier leur innocence contre les traits
de la calomnie , ou pour favorifer leurs grandes entrepriſes , ou pour mon:rer la confian
ce qu'ils avoient en Dieu.
- Comme c'eſt le detſein du Prédicateur de faire l'éloge d'un Saint ; & de le propoſer pour
un parfait modelle de verru , on po rroit de nander fi l'on doir didimuler ſes défauts, ſes
vices , & les défordres aufquels il a été ſuje: avant que de fe donner entiérement à Dieu.
On voit atlez qu'il eſt tout à fait à propos d'en parler , & même quelquefois de s'y éten
dre, puflus de lå , on prend occaſion de faire, voir la miféricorde de Dieu , qui a
éclaté dans cette converſion, comme dans celle d'un faint Paul , d'une Madelaine, d'un
faint Augustin. Il eſt même de l'inte êt de la gloire du Saint, qui a fi ielement répondu
à la grace du Ciel, & l'Auditeur enfin conclut de là , qu'il peut eſperer de devenir grand
Saint, à quelque vice qu'il ſoit ſujet ; outre que ces péchez ont fouvent fervi à élever
un Saint plus haut dans la gloire, par la pénitence qu'il en a faite.
Je n'ay plus qu'une choſe à ajoûter ſur ce chapitre de la narration , qui est que lorſ.
qu'on eſt obligé de rapporter les paroles auſſi-bien que les aćtions des Saints , on s'abſ.
tienne de leur faire des dialogues, ou de longs colloques. L'Orateur peut bien rapporter
leurs fentimens , & les faire parler quelquefois, puiſ Jue c'eſt un des traits les plus vifs, &
les plus animez de l'éloquence ; mais je ne crois pas qu'on puiſſe ſouffrir qu'il introduiſe
perſonnages, qui parlent chacun à leur tour ; ce qui eſt plus propre du théâtre ,
que de la chaire.
J'ay peu de choſe à remarquer fur le stile , & ſur les ornemens qui doivent être em
ployez dans les Panégyriques des Saints, parce qu'ils n'ont rien en ce point, qui leur ſoit
particulier, & que toutes les régles & les préceptes que les maîtres de cet art donnent fur
cela , font connus de tout le monde. On eſt perſuadé qu'il y faut plus de beautcz, & des
tours plus étudiez, que dans les autres diſcours , un stile plus fleuri, plus vif, & plus
élevé ; mais je ſouhaiterois qu'on fut auſſi perſuadé de deux ou trois choſes qu'on ne
peut trop rebattre, & que peu de perſonnes obſervent exaćtement. La prémiere, eſt que l'é
loquence ne conſiste point dans les mots , mais dans les choſes , & que ces expreſſions
fi brillantes, pleines d'emphaſes & vurde de fers, au licu d'orner un ſujet qui eſt de luy
même fec & sterile, font à peu près lans un d fcours, ce que l'enflure eſt dans un corps ;
bien loin d'être une marque de fanté, elle est une marque qu'il eſt mal diſpoſé ; & je ne
trouve rien de plus ſenſé que ce que dit le Prince de l'éloquence fu ce point , qu'il faur
l. 11),
xxij SECOND DISCOURS PRELIMINAIRE.
accommoder les paroles aux chofes que l'on dit , & no o pas les chofes aux paroles ; &
ainſi , les termes les plus naturels font toûjours les plus propres, puiſqu'ils font mieux en
tendre ce qu'on veut exprimer. Il faut qu'il n'y ait rien de bas, ni de rempant dans un
diſcours Parégyrique , non plus que dans les autres que l'on recite en public ; mais ce
n'eſt pas à dire que tout doive être grand , & magnifique, & qu'on employe les mêmes
ornemens dans les plus petites choles, que l'on feroit dans les grandes. De là il s'enfuit
que comme dans un tableau , il faut qu'il y ait des ombres, pour relever & faire paroître
ce qui doit fraper davantage les yeux , il faut pareillement dans un diſcours , qu'il y ait
des endroits moins travaillez , & qui ne foient que pour donner du jour au reſte, & faire
davantage éclater ce qu'il y a de plus conſidérable. Il faut diſpoſer l'Auditeur à quelque
choſe de grand, par d'autres choſes qui ne demandent pas ene fi particuliere attention ;
autrement trop de lumieres éblouit plútôt qu'il ne fait remarquer les traits les plus par
ticuliers d'un objet. C'eſt ce que nous admirons dans les pieces des Anciens qui paffent
pour des modeles achevez , où les figures , & les ornemens font n.énagez , & mis en
leur place, & où tout n'eſt pas également brillant & travaillé.
Ajoutez enfin , que quand on dit qu'un Panégyrique doit être plus étudié & plus po
li ; il faut cependant qu'il y ait de la différence entre un diſcours chrêrien propre de la
Chaire, & un diſcours d'Academie, & qu'ainſi le stile en doit être uri & majeſtueux, &
non pas coupé , rempi de penſées & d'antithéſes que l'Auditeur ne peut ſuivre , ni rete
nir , parce qu'il n'en demeure dans l'eſprit qu'une idée confuſe , qui fait qu'on louë &
qu'on admire davantage l'Ora'eur que le Saint dont il a fait l'élege ; & je ne puis croi
re que ce foit le moyen d'exciter puiſſamment à imiter des vertus & des actions, qu'on ne
fait que faire entrevoir, en les couvrant de trop d'ornement.
T A B L E
D E S S U J E T S
LA
LA BIBLIOTHEOUE
DES PRÉDICATEURS,
CONTENANT LES SANITS DONT PARLE
l’Ecriture, & que l'on prêche ordinairement.
Po z R LE PAN e GrR 19 z E de s. A N D R é
A v E R T I S SE M E N T.
- ( à qui nôtre travail pourra être de quelque uſage , doivent fe fouvenir de
ce que nous avons averti dans la Préface, que nous ne parlons dans ce pré
mier volume que des Saints dont l'Ecriture fait mention , & que dans l'ordre
que nous nous ſommes prestrit qui est de ſuivre l'Année Eccléſiastique, quoy que
Jaint André ne ſe trouve pas toi jours dans l'Avent, c'est afez qu'il s'y rencontre
quelque fois pour commencer par ce grand Apôtre, que le Fils de Dieu a appellé
le prémier à fà fuite, cr qui est l'un de ceux dont le Panégyrique donne un plus
beau champ aux Prédicateurs, pour la multitude des faits, des vertus , & des
nobles fentimens rapportez dans l'histoire de fa vie.
C'est pourquoy encore que tout l'éloge de ce grand Saint fe reduiſe à la qualité
d'Apôtre, de Confeffeur & de Martyr; cependant il en a rempli les devoirs avec
tant de distinčtion, d'avantages, & de fidelité, Č avec des circonstances fî fin
gulieres, qu'il n'est pas difficile defaire fon caractere particulier, de ce qu'il a de
commun avec les autres Apôtres ; en s'étendant fur ce qu'il y a de plus marqué
dans ſa vocation, de plus glorieux dans les courſes Apostoliques, de plus généreux
dans le genre de fa mort, & dans les fentimens qu'il fit paroître à la vüe de la
C7'01.Y.
P A RAGRA P HE P R E M I E R.
2°. Qu'en qualité d’Apôtre, il a prêché la croix, & porté ce glorieux éten
dart juſqu'aux extrémitez de la terre, & à des nations barbares , qui ont ådoré
la croix, convaincus par fes diſcours, par ſes miracles, & encore plus par les
exemples de fa vie.
3°. Qu’il a fait de la croix un char de triomphe, par une mort glorieuſe,
& toute ſemblable à celle de fon Sauveur , en pratiquant les mêmes vertus,
& remportant les mêmes vićtoires. Voilà ce qui fera les trois parties de l'éloge
de ce grand Saint, qu’un fçavant Interprete ſembla avoir compris en ces trois
1In OtS : Diſcipulus , fignifer , & martyr. Mais fouvcnons-nous que l'Egliſe 1) C
l'expoſe pas ſeulement à nôtre culte & à nôtre vénération ; mais plus particu
licrement encore à nôtre imitation , puiſque nous devons en qualité de Chrê
tiens être comme lui diſciples de la croix, par nôtre profestion, prêcher la
croix par l'exemple de nôtre vie, & être crucifiez au monde par la mortifica
tion , & un veritable amour de la croix.
I V.
O N peut donner un autre tour au deffein précedent, & l'exprimer d'une
maniere plus ſimple & plus préciſe, en faiſant voir :
P ARA GR APHE P R E M I E R.
1°. Que faint André a aimé & déſiré la croix, ayant commencé à l'embraſ
fer par la pratique de la pénitence ſous Jean-Baptiſte, & continué à la por
ter en s'attachant au fervice du Fils de Dieu qui ne l'avoit appcllé que pour
Matth. 16.
cela, ainfi qu'il s'en explique dans l'Evangile : Qui vult venire post me, tollat
crucem ſuam , G fequatur me. L'on peut s'étendre ſur les qualitez de cet
amour de la croix, lequel a été definterelle , généreux, & conſtant.
2°. Il l'a prêchée à une infinité de nations , avec zele , avec mille travaux,
& mille dangers de mort, fans crainte des perſécutions, avec un fruit inesti
mable: Il l'a même prêchée juſque ſur la croix, ce qui le distingue des autres
Apôtres.
3°. Il l'a ſoufferte avec un courage héroïque, empêchant qu’on ne l'en
délivrât, priant pour ceux qui l'avoient condamné à ce fupplice , triomphant
de l'opiniâtreté des idolâtres, & de la cruauté des bourreaux, &c.
Il faut faire voir, pour ſujet & pour partage d'un diſcours , que faint An
dré s'est diſtingué entre les Apôtres, dans les trois choſes, qui d'ailleurs lui
ont été communes avec eux; fçavoir, dans la vocation à l'Apoſtolat, dans la
miſſion, ou prédication de l'Evangile , & dans la mort qu'ils ont tous ſouffert,
à la referve de faint Jean, pour la confeſſion de la foy.
Il s'est distingué des autres Apôtres dans ſa vocation;car , º. il a été le pre
mier appellé & le premier reçû au nombre desDiſciples,d'où vient que quelques
faints Peres l'ont nommé le Fils aîné du Sauveur ; d'autres l'ont appelle fa
Premiere conquête , & d'autres le premier fruit de fa grace. 2°. Parce qu'il
eſt l'unique qui s'est préſenté lui-même, fans autre attrait , ni autre invitation
que celle d'un faint mouvement intérieur, qui l'a fait chercher J. C. & l'aller
trouver au lieu de fa demeure pour s'inſtruire de la verité,& l'on ne peut dou
ter qu'il n'ait puiſé dans cette des lumieres plus vives & plus particu
lieres que pluſieurs autres dans une converſation qui dura toute une nuit.
3 º.Il a ſuivi le Fils de Dieu,&s'eſt fait fon Diſciple aprés avoir déja été formé
de la main de S. Jean, & diſpoſé à embraſſer la doćtrime & les maximes d'un
plus excellent Maître ; au lieu que les autres l'ont ſuivi fans instrućtion,
fans diſpoſition de leur part , & ſans fçavoir à quoy ils s'engageoient. 4o. Ce
grand Saint n'est pas venu feul au fervice de ce divin Maître ; mais en com
pagnie de ſon frere Pierre, à qui il a fervi lui-même d’Apôtre, & qu'il a
conduit à la ſource de la lumiere & de la vie ; enſuite il y a amené Nathanaël
& quelques autres , & l’on peut dire qu’il a commencé la fonction d'Apôtre
avant même que d’être reçû en qualité de Diſciple. Voilà certes une vocation
bien finguliere, & qui a des marques de diſtinćtion , qui nous doivent donner
une haute idée du mérite de ce grand Saint , du rang qu'il a tenu auprès du
Fils de Dieu , & de la part, qu'il a eủe dans ſa confidence & dans fon af
fećtion.
S'il a été distingué entre les Diſciples & les Apôtres dans ſa vocation, il ne
l'a pas moins été dans fa miſſion, & par le fruit de ſes travaux Apoſtoliques ;
puiſqu'il a prêché l'Evangile à des nations toutes différentes, dont les unes
&toient polies , fçavantes, & éclairées de la fageffe du fiecle, qui font les
Grecs ; & les autres groſſieres & barbares, telles qu'étoient les Scytes ; &
d'autres dont connoît-on les noms; d'où il eſt évident que c'eſt par
U Il- diſpoſition inguliere de la divine providence, & même par une diſtinc
A iij
6 P O UR LE PANEGYRIQUE DE S. A N D R E'.
tion bien honorable qu’on a fait de lui , d'avoir confié à ſon zele & à ſes foins
ce qu'il y a de plus difficile dans une miſſion Apostolique. Je ne vois guere
que faint Paul qui lui puiſſe diſputer cette gloire d'avoir eû à traiter avec ces
deux fortes de peuples, encore eſt-il incertain fi faint André n'avoit point déja
achevé fa que faint Paul eut commencé la fienne ; & en cas, l'un
auroit été ſucceſſeur de l'autre, dans ce double employ, & dans un fi glo
rieux miniſtere.
Enfin faint André a fouffert la mort pour la défenſe de la foy, comme les
autres Apôtre ; mais ce qu’il y a eû de fingulier dans fon martyre , & ce qui
l'a diſtingué des autres,'eſt la reſſemblance qu’il a eu avec fon Sauveur en ce
point. 1°. Il eſt mort ſur la croix du même genre de ſupplice que lui. 2°. Il a
prêché fur la croix même , & converti les ſpećtateurs de fon fupplice. 3°. Il
a comme le Sauveur prié pour ſes perſécuteurs. 4°. Il a perſevéré avec un cou
rage invincible dans la croix,& empeché qu’on ne l'en délivrât, à l'exemple du
même Sauveur, que fes ennemis folliciterent en vain d'en deſcendre , afin
de le reconnoître par ce miracle, pour le véritable Roy d'Iſraël. Or cette ref
femblance fi bien marquée du Diſciple avec le Maître , fait le caraćte de
nôtre Saint, & la différence qui le distingue non-ſeulement des autres Apôtres,
mais encore des autres Martyrs.
V I. Qui vult venire post me tollat crucem ſuam, & ſequatur me.
N'eſt-il pas étonnant, Chrêtiens, que le Fils de Dieu voulant s'attacher
des Diſciples, & inviter les hommes à le ſuivre , ne propoſe & ne promette
que des croix, c'est-à-dire , des perſécutions & des ſouffrances à ceux qui
auront l'honneur d'étre de fa fuite. Cela paroîtroit étrange fi l'on ne fçavoit
par le témoignage même de ceux qui font fideles à fon ſervice, que la croix
qu'il leur commande de porter, a fes douceurs & ſes conſolations qui la
rendent aimable ; enforte qu’autant que les mondains en ont d'horreur, au
tant ceux qui la portent, en veritables Chrétiens, y trouvent de délices. C'eſt
ce qu'ont éprouvé & publié hautement une infinité de Martyrs ; ce qui a fait
dire à un grand Saint que la croix du Sauveur eſt accompagnée d'une onction
toute céleſte, qui en adoucit toute la rigueur. Mais en faut-il d'autre preu
ve que l'illuſtre Diſciple de la croix, le glorieux faint André, dont l'Egliſe
nous rappelle la mémoire en ce jour, & dont j'entreprend de faire l'éloge en
ce lieu , où il eſt fi particulierement honoré ; non que je veüille foûtenir
que Dieu, en faveur de ce fidele Diſciple , ait ôté à la croix ce qu’elle a de
rude & de fâcheux aux fentimens de la nature, comme il a fait quelquefois
en faveur de quelques Martyrs ; mais qu'en laiſſant à cette croix ce qu'elle
a de rude & de rebutant, elle lui a fait reflentir ce qu'elle a de plus confo
lant & de plus doux , qui la lui a fait fouhaiter avec ardeur , embraſler avec
joye, demander avec inſtance , fouffrir avec confolation , juſqu'à craindre
d’en être délivré. C'eſt ce qui fera le ſujet & le partage de ſon éloge , où
j'eſperc vous montrer dans la premiere partie, que faint André a recherché
dans la croix ce qu'il y a de plus rude & de plus capable d'effrayer la nature,
effrayée de ce terrible objet. Et dans la ſecond, que Dieu de ſon côté lui a fait
refientir ce qu'elle a de plus doux & de plus conſolant.
Premire partie. Je dis donc premierement que faint André a recherché dans
la croix, & éprouvé ce qu'elle a de plus rude & de plus rebutant. 1°. Il étoit
P ARA GRA PHE P R E M I E R. 7
Diſciple du glorieux Précurfeur du Meſlie, le grand faint Jean-Baptiste, le
quel prêchant & pratiquant la pénitence dans la plus grande rigueur qui eût
été juſqu’alors, & vivant dans la derniere auſtérité, ne ſouffroit dans fon
école que des perſonnes qui fuivoient ſon exemple, ſeveres à eux-mêmes
comme lui , mortifiez comme lui, ennemis de toute délicateſſe , & de toute
fenſualité comme lui. Or André étoit un de ſes plus fervens fećtateurs, ne
vivoit pas fans doute dans la moleſſe; mais faiſoit déja comme un rigoureux
effai de la croix, qu'il devoit porter à la fuite du Sauver : car enfin vous ju
gez bien que changeant de Maître, ce ne fut pas pour mener une vie plus
commode. Il avoit entendu l'invitation que Jesus-CHR1 sT faiſoit à ceux
qu'il appelloit à ſervice: Qui non bajulat crucem ſuam non potest meus este Disti Luc. I 4.
pulus; & il n’ignoroit pas ce que le Sauveur entendoit par cette croix qu'il
commandoit de porter, fçavoir le renoncement entier à ſoy-même, & la mor
tification de nos paſſions. Cela ne rebuta point André ; c'eſt pourquoy en ſe
dévoüant au fervice de ce nouveau Maître , on peut dire qu’il fe devoüa à
la croix , & qu'il s'engagea d'en accepter toutes les rigueurs. 2°.
Après la mort du Sauveur, & la deſcente du Saint-Eſprit ſur les Āpôtres, il
s'est offert & expoſé à une autre eſpece de croix, qui n’a pas été moins rude
ue la prémitre ; ce fut d'embraſſer l'employ Apostolique, non par pré
de fes propres forces, mais par le zele ardenr dont il brûloit du
fervice de fon Maître : Or quels travaux n'eût-il point à eſfuyer ; quelles con
tradićtions à foûtenir de la part des Prêtres des idoles, qui s'oppoſoient à fa
doćtrine ; quelles perſécutions de la part des Magiſtrats des villes, & des
Gouverneurs de Provinces ? Quelles fatigues dans tant de longs & de péni
bles voyages, & parmi tant de différentes nations, d'humeurs & de coûtumes
fi differentes ? faites-en le dénombrement , & vous ferez étonné qu’un ſeul
homme , fans aucun fecours humain, & dans le denüement de toutes choſes,
ait parcouru tant de païs, & par conſéquent eû tant de difficultez à ſurmon
rer, & tant de croix à fouffrir. 3°. Comme fi toutes ces croix qu'on pourroit
appeller équivoques , n'euſſent pas été aſſez rudes, il en a une réelle
& véritable, à l'exemple de fon divin Maître, & c'est cèlle à laquelle il a été
effećtivement condamné & attaché, accompagnée de tous les outrages, & les
cruautez qui avoient coûtume de préceder un fi honteux ſupplice ; fçavoir,
l'empriſonnement, la flagellation fanglante, les inſultes & les ,&
tous les mauvais traitemens que peut inventer la cruauté des bourreaux, &
la rage des ennemis de la foy. Ce grand Saint ne s'eſt pas contenté de fouhai
ter cette croix, ou de la demander inſtamment, par une ferveur de devotion ;
mais ſon courage s'eſt ſignalé à la ſouffrir effećtivement ; c'est tout autre cho
fe de la mépriſer, en ne l’enviſageant que de loin, & de l'accepter de grand
cæur, quand elle eſt préſente, & qu'on est obligé de la fouffrir: car alors
l'eſprit a beſoin de toutes ſes forces, pour ne point céder à la douleur , & ne
s'en point laiffer accabler; comme ces gens que l'on ne voit que trop ordi
nairement, qui font les braves quand ils ne regardent les peines & les ſouf
frances que de loin ; mais qui perdent courage quand ils font au fait , &c.
Il y a bien de réflexions morales à faire ſur cette premiere partie ; il y a des
croix qui font d'obligation, & que nous devons toûjours être prêts de prati
quer, telles que font la mortification de nos paſſions, le renoncement aux
8 P O U R L E PANEGYRIQUE D E S. A N D R E’.
choſes qui nous portent à violer les loix de Dieu ; le détachement du coeur
des biens de ce monde ; car tout cela s'appelle du nom de croix ; & je les
appelle des croix de néceſſité, attachées à la profeſſion de Chrêtien que nous
avons embraſſée. Il y en a d'autres, qui nous viennent par l'ordre de Dieu , &
que nous n'éviterons jamais en quelque état que nous foyons, & quelque
employ que nous exercions ; c'eſt pourquoy nous les devons accepter de bon
coeur, & nous foumettre aux arrêts de la Providence. Enfin il y en a qui nous
viennent de l'injuſtice ou de la mauvaiſe volonté des hommes, & c'eſt parti
culierement celles qu’il faut fouffrir patiemment , à l'exemple de faint André,
& du Sauveur lui-même, qui n'a pas choiſi ſa croix; mais qui accepte celle
que fon Pere Eternel lui avoit deſtinée , & que la cruauté des hommes lui a
fait ſouffrir.
Seconde partie. Dieu de fon côté a fait goûter & éprouver à faint André
toutes les douceurs & les conſolations de la croix: Ör ces conſolations que
les Saints ont trouvées, font de deux fortes ; les unes naiſſoient d'une vive foy,
& d'une ferme eſpérance du grand & ſolide bien que ces croix leur devoit
procurer ; les autres peuvent être appellées ſenſibles, parce qu'elles rejailliſ
foient juſque fur le corps, & fur les ſens. Nous voyons que faint André trou
va l'une & l'autre conſolation dans la croix, qui étoit le fupplice auquel il
fut condamné. 1°. Il y trouva une conſolation folide dans la gloire qu'elle lui
procuroit de mourir par un ſupplice ſemblable à celui de fon Sauveur ; par le
bonheur éternel qui en devoit être la récompenſe,& fur tout par la joye,l'hon
neur qu'il recevoit , de mourir pour celui qui avoit le premier donné ſa
vie pour lui zº.Il y trouva & reſentit une conſolation fenſible, dont le Sau
Matth. 27. veur même fut privé, étant délaiffé de ſon Pere fur la croix : Deus Deus meus
ut quid dereliquisti me. Mais André en fut comblé à la vůč ſeule de la croix ,
& il la fit éclater par ces paroles, qui marquent la joye intérieure qu'il reffen
tit en l'embraſſant: O bona crux : diu defiderata , &c. Il n'en fit pas moins
paroître étant attaché à cette croix, puiſqu'il pria instamment qu'on ne l’en
détachât point, mais qu'on le laiſſảt conſommer fon ſacrifice , qui étoit le
V I.
plus grand plaifir qu'on lui pût faire, &c.
Ç’a été ſans doute un bonheur, & un avantage incomparable pour les
Apôtres d'avoir vécu, & converſé familierement avec le Fils de Dieu , &
d'avoir été honorez du glorieux titre de fes amis & de ſes confidens ; car c'eſt
delà qu'on infere, qu’ils ont été les plus éclairez des lumieres d'enhaut , &
instruits plus à fond des véritez céleſtes que le Sauveur eſt venu annoncer au
monde par leur moyen. Ce bonheur & cet avantage est grand , il en faut
convenir ; puiſque c’eſt avoir puiſe dans la fource même les eaux falutaires
du falut , & avoir reçú immédiatement du ſoleil de juſtice, les lumieres qui
ont distipé les tenebres de l'erreur répanduës univerſellement par toute la ter
re. Mais je ne crains point d'avancer aujourd'hui, que cet avantage & ce bon
heur, d'avoir connu fi particulierement eelui qui a été l'attente de toutes
les nations, en quoy faint Jean nous aſiủre que confiſte l'eſperance de la vie
Joan, 17.
éternelle: Hæc est vita aterna ut cognoſcant te Deum vivum,Ơ quem miſisti Jeſum
Christum. Que ce bonheur, dis-je, & cet avantage , qui a été commun à tous
les Apôtres avant la mort du Sauveur, doit faire l'éloge particulier du glo
rieux ſaint André, lequel en qualité de prémier Diſciple du Fils de Dieu, a
COI) Illl
P A R A G R A P H E P R E M I E R. 9
connu plus particulierement la perſonne & la doćtrine de fon divin Maître ;
& enſuite en qualite d'Apôtre, l'a fait connoître à une infinité de peuples
d'une maniere å fe distinguer entre tous les autres. C’eſt en ces deux choſes
que je prétend ren fermer la gloire & l’éloge de ce grand Saint ; & ne croyez
as que ce ſoit dire peu de choſe à fa loüange , que de publier qu'il a connu
e Fils de Dieu, & qu'il l'a fait connoitre: puiſque l'on renferme la plus gran
de faveur que Dieu puiſſe faire à une créature raiſonnable , & l’autre le
plus grand ſervice qu'une créature puiſle rendre à fon Dieu. Le connoître cet
homme-Dieu, c’eſt un avantage après lequel les faints Patriarches & les
Propheres de l’ancienne Loy ont foûpiré, & qu'on doit regarder comme le
principe de tous les biens , de toutes les vertus, & de toute fainteté. Et d’ail
leurs le faire connoître ce même homme-Dieu , & par ce moyen porter les
autres à l'aimer & le ſervir, c'eſt l'employ le plus glorieux & le plus divin,
diſent quelques faints Peres, & par conſequent le plus grand fervice que Dieu
puiſſe attendre de nous. Ainſi Chrétiens auditeurs, que peut-on dire de plus
illustre à la gloire de ce fidelle Diſciple, & de cet Apôtre zélé, que de faire
voir qu'il a réüni ces deux avantages en ſa perſonne. Qu'il a connu ſon
divin Maître, & qu'il l'a fait connoître l'un & l'autre d'une maniere fi pro
re & fi particuliere, que l'un a été le principe de toutes fes vertus, & l'autre
f matiere de fes heroïques actions. Ce feront donc les deux parties de ſon
éloge.
Saint André en qualité de prémier Diſciple du Sauveur, a parfaitement V I I.
pris l'eſprit de fon divin Maître.
1o. Il a parfaitement étudié & compris fa doćtrine toute celeste. 2º. Il
eſt entré dans tous fes ſentimens & dans tous ſes deſfeins. 30. Il s'eſt conduit
en tout ſelon ſes maximes, en le prenant pour modele qu'il a parfaitement
imité.
Saint André en fecond lieu, a été la gloire de fon Maître, pour avoir mis en
pratique la fçience toute divine qu'il avoit appriſe de lui; 19. par le zele infa
tigable qu'il a témoigné à la prêcher,& l'enſeigner à tant de peuples différens,
de langages & de mæurs, ainſi que le Sauveur l'avoit prefcrit. 2 o. En la foû
tenant, & la confirmant par l'exemple de fa vic , autant que par ſes miracles.
3o. En ſouffrant pour ſa défenſe le même ſupplice que ſon Maître, & prê
chant fa doćtrine juſque fur la croix où il étoit attaché. V I I I.
C'est un éloge,& tout enſemble un avantage tout particulier à faint André
d'avoir été le fils aîné du Fils de Dieu. Les Propheres qui ont appellé le
Meſſie, le Pere du fiécle à venir , & la maniere dont l’Ecriture nous aſsûrc
qu'il nous a engendrez ſpirituellement par ſa parole, qui eſt la verité même :
Voluntariè genuit nos verbo veritatis file. Cette maniere, dis-je , de donner la
vie aux hommes,fait que le titre de Fils aîné du Sauveur du monde , doit être
par un privilege particulier , attribüé à ce grand Saint, entre les Diſciples &
les Apôtres qui ont eû les prémices de l'eſprit, comme dit faint Paul , qui en
tend par là, l'eſprit d'adoption qui nous fait enfans de Dieu. Nous juſtifie
rons dans la premiere partie de ce diſcours les droits de ce glorieux titre, &
dans la ſeconde nous en ferons voir les avantages.
Premiere partie. Les droits d'aîneſſe propres de ce grand Saint ſont fondez;
1o. Sur ce qu'il a été le prémier reçu dans l'école du Fils de Dicu : car fi:
Paneg. des Saints. Tome I. B
1o PO U R L E PANEGYRIQUE D E S. A N D R E’.
les Maîtres font les Peres de leurs Diſciples i s'enfuit que les Diſciples font
leurs enfans. 2º. Sur l'adoption qu'a fait le Fils de Dieu de ce Saint; car s'il
n'a pas été juſtifié par la grace,qui fait nôtre adoption,il l'a été par la Foy entre
les Apôtres, parce que la Foy qu'il a reçûë le premier ,eſt le principe de la vie
qui nous fait enfans de Dieu. 3°. Parce qu'il s'est préſenté le premier au Sau
veur , & s'est foûmis à fa conduite , comme un enfant à fon Pere, qu'il a toû
jours regardé comme tel.
Seconde partie. L'on peut dire qu'ila joüi de tous les avantages de ce glo
rieux titre à proportion comme les aînez des familles qui font: 1 º. Qu'ils
poſledent le coeur & l'affećtion de leurs parens ſeuls avant les autres.
2°. Qu'ils font plus conſiderez & favoriſez, & ont plus de part aux affaires.
3°. Qu'ils ont la meilleure part à l'heritage. Ce qui ſe peut juſtifier à l'égard
de faint André.
P A R A G R A P H E S E C O N D.
Les fources où l’on peut trouver dequoy remplir ces diffeins, é les
Auteurs qui en traitent.
Les Saints Aint Augustin , fur faint Jean, chap. 1. s'étend ſur la fidelité de faint
Peres, André à correſpondre à la vocation du Fils de Dieu , & ſur le déſir qu'il
eut de s’inſtruire de la vérité.
Saint Ambroiſe, tome 4. marque que les prieres de faint Pierre & de faint
André, obtinrent du Sauveur la guériſon de la belle-mere de ce Prince des
Apôtres, & que l'on peut voir par-la combien la pricre des Apôtres étoit puiſ
fante auprès de cet homme-Dieu.
Saint Grégoire le Grand , épître 38. fait un éloge de faint André, & fit
une homelie dans une Egliſe qu'il avoit fait batir en fon honneur.
Saint Jerôme, fur faint Matthieu, chap. 1 o. s'étend auſſi ſur la vocation
de ce grand Saint.
Saint Chryſoſtome, dans un fermon ſur la croix, parle avec éloge de faint
André.
Saint Procle , Archevêque de Conſtantinople, & Diſciple de faint Chry
foſtome, en a fait un Panegyrique.
Saint Chryſologue, ferm. 1 3 3. fait un éloge de ce grand Saint.
Saint Grégoire de Tours, livre premier des miracles des Martyrs, chap.79.
fait auſſi l'éloge de faint André, & rapporte les merveilles que ſes reliques
ont operé.
Efichius , Prêtre, a une oraiſon panegyrique fur cet Apôtre.
Eufebe d'Emeſe , un fermon.
Saint Epiphane herefie ; 1. parle du defintereſlement de ce Saint dans fa
VOCat 10n.
Le même , chap. 14. d'un autre ouvrage , veut que faint André air eû
pluſieurs entretiens avec le Sauveur avant qu'il fut appellé à l'Apoſtolat, &
qu'il ne ſe mit à fa fuite qu'après le témoignage que faint Jean rendit, que
c'étoit l'Agneau de Dieu.
PAR A G RA PH E S E CON D. I I
Le Cardinal Pierre Damien , a deux fermons ſur ce ſujet, mais le ſecond
eſt attribué par quelques uns à faint Bernard, & fe trouve parmi les ſermons de
ce Saint fur faint André. -
Saint Bernard a 4. fermons fur faint André, l'un pour la veille , & les
autres pour la fête de ce grand Apôtre.
Saint Thomas , fur la fête de ce Saint a deux fermons.
Saint Bonaventure , deux. *
B if
12 P O U R L E PANEGYRIQUE D E S. A N D R E’.
P A R A G R A P H E T R O IS I E’ ME.
Andreas invenit primum fratrem fuum, André trouva prémierement ſon frere , & lui
er dixit illi : invenimus Meſiam. Matth.4. dit : nous avons trouvé le Meflie.
Ils dirent à Jesus; Maître oi demeurez
Dixerunt ei Magister ubi habitas ! dicit
eis, venire gr videte , venerunt Cr vide
vous ? & JEsus leur dit ; venez & voyez : ils
runt , Cr apud eum manferunt die illo. vinrent & virent , & demeurent chez lui ce
Joann. 1. - jour là. - -
Erat autem Andreas frater Simonis Petri, Or André, frere de Simon Pierre étoit l'un
unus ex duobus qui audierant à Joanne,čr des deux qui avoient entendu Jean Baptiſte par
fecuti fuerant eum. Ibidem. ler de Jesus, & qui l'avoient fuivi.
Si quis vult venire post me,abneget femet Si quelqu'un veut venir après moy , qu'il ſe
ipſum , & f quatur me. Matth. 16. renonce ſoy-même, qu'il porte fa croix, & qu'il
me ſuive.
Tunc parebit ſignum Filii hominis in celo. Alors le figue du Fils de l'Homme paroîtra
Matth. 24. dans le Ciel.
Mihi alfit gloriari nist in cruce Domini Qu'il ne m'arrive point de me glorifier en
nostri feſu Christi, per quem mihi mun: aucune autre choſe que dans la croix de Jesus
dus crucifixus est , & ego mundo. Ad CHR1 sr,pour lequel le monde m'eſt en horreur,
Galat. 6. COII] Illc ul n, & pour lequel je fuis re
ciproquement en horreur au monde.
Christo confixus fum cruci. Ad Galat. 1. Je ſuis attaché à la croix avec Jesus. CHR1sr.
Spectaculum fatti fumus, mundo Ange Nous fommes expoſez en ſpectacle aux yeux
lis , Cr hominibus. 1. Ad Corinth, 4. de Dieu , des Anges & des hommes.
Imitatores mei estote, ſicut ego Christi. Soyez mes imitateurs , comme je ſuis l'imita
lbidem. teur de Jesus-CHR 1sr.
Inſpice & fac fecundùm exemplar quod Conſiderez, & ſuivez le modele qui vous
tibi in monte monstratum est. Exod. : 5. a été montré ſur la montagne.
Nos predicamus jefum Christum , judais Pour nous , nous prechons JEsus-CHR Isr
quidem fandalum , gentibus fultitiam » crucifié, qui eſt un ſcandale aux Juifs, & qui
ipſis autem vocatis Dei virtutem , Ć” Dei Paſie pour folie dans l'eſprit des Gentils, máis
fapientiam. 1. Ad Corinth. 1. c'eſt la force & la fageffe de Dieu pour ceux
qui font appellez.
Si Rex Iſraël est deſcendat nunc de cruce, S'il est le Roy d'Iſraël, qu'il deſcende main
Cr credimus ei. Matth. 17. tenant de la croix , & nous croirons en lui.
Ibant gaudentes à conſpectu concilii , Ils s'en alloient remplis de joye devant le
quoniam digni habiti funt pro nomine je u conſeil des Juifs, parce qu'ils avoient été trou
contumeliam pati. Act. 3. vez dignes de fouffrir des ignominics pour JE
sus-CHRIST.
P A R AGR AP HE T R O IS I EM E. I3
Si exaltatus fuero à terra , omnia tra Si je fuis une fois élevé de terre, j'attircray
ham ad me ipſum. Joan. 12. tout a moy.
Qui Christi funt, carnem ſuam crucif Ceux qui ſont à Jesus-CHR 1sr ont crucifié
xerunt , tum vitiis & concupistentiis. Ad leur chair , avec ſes paffions & fes déſirs dé
• Galat. 5. réglez.
Semper mortificationem feſu Christi in Nous portons toûjours en nôtre corps la mor
corpore nestro circumferentes , ut & vita tification de Jesus-CHR1st , afin que la vie
fefu , manifestetur in corporibus nostris. de Jesus paroiste auſſi dans nôtre corps.
2. Ad Corinth. 4.
Deſiderium cordis ejus tribuisti ei Domi Vous lui avez accordé , Seigneur, ce qu'il a
me. Plalm. 2o. fouhaité de tout fon corur.
Hostiam Cr oblationem noluisti, corpus Vous avez rejetté les oblations & les ſacrifi
autem aptasti mihi, tunc dixi, ecce venio. ces, mais vous m'avez formé un corps, j'ay
Ad Heb. 2o. dit me voilà , je viens.
Obſecro vos fratres, ut exhibeatis corpora Je vous conjure mes freres d'offrir vos corps,
vestra, hostiam viventem , fanciam Deo comme des hosties vivantes & agréables à
placentem. Ad Roman. 12. Dieu.
Baptiſmo habeo baptiRari, & quo modo Je dois être baptizé , & je ſouffre une gran
coaritor donec perficiatur. Luc. 11. de douleur , & un refferrement de coeur juſqu'à
ce que cela ſoit accompli.
Christus paffus est pro nobis, vobis relin JEsus-CHR ist a fouffert, nous laiſſant cet
quens exemplum , ut fequamini vestigia exemple , afin que nous marchions ſur les
ejus. 1. Petri 2. tra CCS.
Multi ambulant quos fațe dicebam vo Pluſieurs', dont je vous ai fouvent parlé,
bis , čr nunc fiens dico, inimicos crucis & dont maintenant je vous parle en gémiffant,
Christi quorum finis interitus, Cr gleria in ui ſe conduiſent en ennemis de la croix de
confuſione ipſorum. Ad Philipp. 3. c , dont la fin ſera la mort, & qui
n'auront en partage que la confuſion au lieu
de la gloire.
Exemples G- Figures de l'Ecriture.
il ne faut pas s'étonner s'il a eû autant de figures , d'eſlais , & pour ainſi sus-CHR1st
dire, autant d'ébauches qu'il y a eủ de faints Patriarches, de Prophetes, &
d'excellens hommes dans cette ancienne Loy , leſquels ont repreſenté ſes myſ
teres, & toutes les actions de ſa vie , ce qui a donné ſujet à un faint Pere
d'appeller ces grands hommes : Rudimenta Christi. Mais ce que j'admire,
c'eſt que les Diſciples de ce Souverain Maître, ont auſſi été figurez par d'au ment , mais
tres dont ceux-cy pourroient réciproquement paſſer pour des copies, & fes Apôtres
fans parler des autres Apôtres, voicy quelques traits qui ont bien du rapport nnemes ont
avec faint André. -
aufli eû
L'Evangile nous apprend que ce prémier Diſciple n’eut pas plûtôt connu le leurs figu
Ics.
Mestie, & puiſé dans la ſource même les prémieres connoillances de la vérité, Comme
que par une charité qui commença à mettre en pratique une des prémieres Moyſe dé
maximes du Christianiſme , il voulut faire part de l'heureuſe découverte couvrit à ső
qu'il avoit faire à Pierre qui étoit fon frere, & l'amena & le conduiſit lui fiere Aaron
cs ordres
même au lieu où il avoit trouvé un fi précieux trefor, afin qu'il s'en enrichîr qu'il avoit
comme lui. Or nons avons un exemple d'une ſemblable charité dans l'an r çůs de
Dieu ; de
cienne Loy , en la perſonne de Moyſe; fi vous n'aimez mieux dire, que le même
charitable empreſlement qu'André eut pour ſon frere, eſt tiré fur An le modele dré fi
de ce prémier Légiſlateur, lequel rendit un ſemblable office à fon frere Aaron,
qui dans le projet de Dieu devoit être le Souverain Pontiphe de la Loy an- fiere de a
B iij
14 , P O U R L E PANEGYRIQUE D E S. AND RE’.
tretien qu'il cienne, comine ſaint Pierre fut dans la ſuite choiſi pour être après le Sau
avoir ců a veur le Chef viſible de l'Egliſe de J E s us C H R i s T , & le Souverain .
y li "s- Pontiphc de la nouvelle Loy. La reffemblance eſt telle , qu'on a peine
“"***" à décider quel est le modele, & qu'elle est la copie : vous en jugerez,
après avoir écouté les termes dont ſe feit l'Ecriture, pour exprimer l'aćtion
Exod. 4. de Moyſe: Osttilatus est eum , narravitque Moyſes Aaron fratri fuo omnia ver
ba Domini, quibus miſerat eum , & fgna que mandaverat veneruntque .
fimul. Ce fut de la même maniere qu’André raconta à ſon frere Simon
tout ce qui s'étoit dit & paſlė dans l'entretien qu'il avoit eû avec le Meſfie du
rant cette heureuſe nuit , & il ne faut point douter que le rapport qu'il lui
- en fit n'excitât dans Pierre un ardent défir de joüir du même bonheur, &
qu'il ne témoignât à André l'obligation qu'il lui avoit de lui avoir découvert
un fi grand tréſor.
Saint An- L'ancien Teſtament appelle Daniël un homme de défirs: Vir deſideriorum ;
a té un & David n'est appellé un homme felon le coeur de Dieu, que parce qu'il dé
firoit avec une fainte paſſion de marcher fans relâche dans la voye des com
me ónvid mandemens du Seigneur : Concupivit anima mea defiderare justificationes tuar.
& Daniël, Ces deux Saints ont pů fervir de modeles à faint André, qui a défiré avec
une paffion extréme d'être attaché à la croix, & la préſence de ce faint objet
! * enstämma tellement ce défir, que tout tranſporté de joye,il ne put s'empêcher
Ffaim. 118. de la témoigner par ces paroles qui cn marquent aſſez la violence : O buna
crux diu deſiderata , &c.
Saint-An: Quelques Saints Peres demandent pourquoy le grand faint Jean Baptiſte ,
dié ſºfé qui êtoit la voix du Fils de Dieu, & le Précurfeur du Mestie, au lieu de te
faire lui-même Diſciple de ce divin Maître, s'eſt érigé lui-même en Maître
å . & en Prédicateur, a aſſemblé des Diſciples, prêché en même temps, & couru,
Diſciple du pour ainſi dire , dans la même lice avec lui. Il ne faut pas s’imaginer, dit
Fils de
Dieu.
faint Augustin
quelque , qu’il
fentiment ait élevé école
d'émulation ; maiscontre
c'eſt école
que ,comme
ou qu’ilceait été touché
glorieux de
Précur
feur diſpoſoit les eſprits des peuples par la pénitence à recevoir le Meſfie , &
les lumieres de l'Evangile ; de même il lui préparoit des Diſciples choiſis ,
formez de fa main , & cultivez avec foin, pour les rendre capables de pro
firer des leçons de cet homme-Dieu, quand ils auroient paſſé de ſon école
dans la fienne, comme étant déja tout accoutumez à la pénitence, & à la
croix,après les avoir élevez dans cet eſprit. Ceft de ce nombre qu'étoit André,
lequel de l'école de faint Jean fut reçú le prémier dans celle de Jesus-CHRIST :
c'eſt-à-dire,que des prémiers élemens du Chriſtianiſme, il crut, & s'avança.
juſqu'à la plus haute perfećtion ; de forte qu'après avoir été fon prémier
Dilciple, il devint l'un des plus zelez de ſes Apôtres, & l'un de ceux qui a
Compa- imité le plus parfaitement Maître » en mourant comme lui fur une
raiſon de S. Croix.
º 8 de Saint Pierre & faint André ont tous deux ſuivi leur divin Maître ; tous
deux ont mérité de mourir comme Jesus-CHRısT ſur la croix; tous deux ont
plice de la ců l'avantage de conſommer fur la croix leur glorieux martyre. Voilà, dit
croix que faint Chryſoſtome , en quoy ils eurent comme frères, une reffemblance par
"* faite ; mais du reste, voicy quelle différence il y cur entre l'un & l'autre
" dans leur crucifiement même. C'est que le courage & la réſolution de faint
P A R A G R A D H E T R O I SI E M E. I5
Pierre à ſuivre Jesus-CHRIST , n'a pas empêché qu’il n'ait témoigné de la ré
pugnance , & qu'il n'ait fait paroître dans ſa conduite de l’éloignement pour
la croix ; au licu que faint André a toûjours paru plein de zele , & pénétré
non-feulement d'eſtime & de vénération , mais d’amour & de tendreſſe pour
la croix. Quand Jesus-CHRIST dans l'Evangile parle de la croix à faint Pierre,
faint Pierre s'en ſcandalife, & s'en offenſe; je ne m'en étonne pas ; il n'en con
cevoit pas encore le myſtére , & il étoit trop peu verſé dans les choſes de
Dieu ; mais après même qu'il a reçû le Saint-Eſprit, tout confirmé qu'il eſt
en grace , il ne laiffe pas, ſi nous en croyons la tradition , de fuir la croix,
qui lui eſt préparée ; il fe fauve de fa priſon ; il fort de Rome, & il faut que
Jesus-CHRIST lui apparoiſſe, le fortifie, le ranime , & l'encourage à retour
ner au lieu où il doit être crucifié. C’est faint Ambroiſe qui le rapporte ; &
cette tradition fe trouve conforme à ce qu'avoit prédit le même Sauveur,
lorſqu'il déclara ouvertement à ce Prince des Apôtres, que quand il feroit
dans un âge avancé, on l'obligeroit à étendre les bras , & qu'un autre le me
neroit où il ne voudroit pas aller ; lui marquant, ajoute l'Evangeliſte, les far. 11.
circonstances de fon martyre, & de quelle mort il devoit un jour glorifier
Dieu. Voilà quel eſt le caraćtere de faint Pierre, un homme crucifié,mais
pour qui la croix ſembloit encore avoir quelque choſe d'affreux. Au contrai
re, que vois-je dans faint André ? un homme à qui la croix paroît aimable,
qui en fait fon bonheur & fes délices, qui foûpire après elle, qui la faluë avec
reſpećt, qui l'embraſſe avec joye , & qui met le comble de ſes déſirs à s'y
voir attaché & y mourir. Tel eſt, Chrétiens, le prodige qui ſe préſente au
jourd'hui , & que je puis appeller le miracle de l'Evangile. Extrait du fer
mon du Pere TBourdaloite.
Il est dit dans l'Evangile qu'il fut impoſé à Simon Cyrenéen de porter la Le for de
croix après Jesus-CHR ist ; heureuſe rencontre pour cet homme qui venoit
de fon village à la ville ! Service bienhonorable qu’il rendit à Jesus-CHRIST ;
& fi glorieux que des Empereurs mêmes lui ont porté envie ; cependant ce i eu. que
bonheur est infiniment au-deſſous de celui de faint André ; & c'eſt de lui ſeul celui de ŝi
que l'on peut dire véritablement qu'il lui a été impost de porter fa croix après ºn º
Jesus-CHR1 st. Mais que dis-je , qu'il lui a été impoſe ? Ce n'eſt point Egée , "
ce ne font point ſes bourreaux qui lui ont imposé certe heureuſe néceſſité ; la
c'eſt ſon amour, ce font les déſirs de fon coeur. Il ne faut point l'y obliger, roix d e
comme
beaucoup Simon , quidu
le mérite ne fervice
la portaqu'il
querendit
par contrainte ; contrainte
à Jesus-CHR i sr, routquihonorable
diminia J e s u ss T.
qu'il étoit. André va au devant de la croix, & plus généreux que Simon
qui n'en portoit que l'extrémité , & la plus legere partie, Jesus - CHRIST
étant chargé de la plus péſante ; il n'en partage point le rude fardeau avec fon
Maître , il la porte toute entiere, & il en ſouffre feul toutes les rigueurs. Di
fons davantage ; plus courageux encore une fois que Simon , qui ne porta la
croix du Sauveur, que juſqu’au Calvaire ; mais qui n'y fut point attaché, &
qui n’y mourut point avec lui ; André y est attaché, & y meurt. Quelle gran
deur de courage ! mais quelle honte pour les pécheurs, je ne dis point qui ne
la portent pas, ou qui n'y font pas attachez , mais qui en rougiſſent.
Saint Pierre a été heureux d'avoir eu Jesus-CHR ist pour Maître ; mais il , L°, bº -
l'a été auſſi d'avoir eu André pour frere ; d'où il faut conclure, qu'André
16 P O U R L E PANEGYRIQUE D E S. A N D R E’.
voir eu pour ayant été le maître de Pierre, il est à ſon égard ce que Pierre a été à l'égard des
lJ I C,
faint Juifs, & ce que
norer Pierre faintlePaul
comme a été
Prince desàApôtres,
l'égard des
PaulGentils.
commeNous devons
l'Apôtre des donc ho
nations;
mais honorons André comme le Maître de Pierre, & le modele de faint Paul;
regardons-le comme la colonne de l'un , & l’exemple de l'autre : comme une
pierre miſe pour fondement de l'Egliſe avant une autre pierre. Je ne prétend
pas cependant abaiſler pour cela, ni rien diminuer de la primatie de Pierre ;
elle eſt trop bien fondée pour vouloir la lui conteſter, fur quelque droit que
ce puiſſe être; l'autorité de fon rang parmi les Apôtres eſt fondée non fur le
temps , non fur la qualité de fon mérite ; mais préciſément ſur le choix que
le Fils de Dieu a fait de Pierre, & non de Paul,ni d'André pour être le Chef
de fon Eglife & des autres Apôtres : C'eſt cependant une vérité incontestable,
que Pierre élevé à la dignité de Chef, n'est entré dans le glorieux miniſtere
d'Apôtre de Jesus-CHRısr,que par le zele & l'entremiſe d'André,dont la gra
CC | voulut fervir pour artirer Pierre à ſon fervice.André en vertu de ce choix,
que la grace a fait de lui pour attirer Pierre à Jesus-CHR 1st , eſt donc le
prémier conquerant du Fils de Dieu; mais il ne l'eſt pas moins dans ce qu'il a
fait pendant toute la fuite de fon Apostolat.
Applications de quelques paffages de l'Ecriture à ce fujet.
Les fnti- , Afhi autem abstt gloriari,nist in cruce Domini nostri feſu Christi. Ad Galat. 6.
A. Dieu ne plaiſe que je me glorifie en autre choſe qu’en la croix de
Nôtre Seigneur Jesus-Christ. Voilà Chrétiens, quelles étoient les penſées
F & les fentimens du glorieux faint André ; voilà les paroles, que l'amour de
qu'il
foit.
en fai. fon divin Maître lui fit dire mille fois tous les jours de fa vie. Il les avoit prê
chées , il les avoit miſes en pratique long-temps avant que faint Paul eût fon
gé à les écrire , & lors que ce zelé indiſcret ne regardoit encore la croix que
comme un objet de ſcandale & d'infamie ; lorſqu’il faiſoit tous ſes efforts pour
en abolir le culte, & en exterminer les adcrateurs, faint André avoit déja
porté fa g'oire juſqu’aux extrémitez du monde , & avoit eu le bonheur de
mourir entre fes bras. Heureux Diſciple de Jesus ! qui du plus honteux, &
du plus infame de tous les ſupplices,s'eſt fait comme lui un titre d’honneur &
un monument qui marquera éternellement fes victoires & festriomphes.
C'est-là ſa deviſe, c'est par là qu’il fe distingue des autres Apôtres. Il laiſſe
de bon coeur à ſon fiere Pierre la dignité de Chef de l'Egliſe ; à Jean , la qua
lité de Diſciple favori ; à Jacques le nom de fils du tonnerre, à un autre
Jacques celui de frere du Seigneur; pour lui , il ſe contente d'avoir la croix
en partage, & d’en être le principal & le plus légitime héritier: Mihi autem
alft gloriari nist in cruce Domini nostri.
U "* Aſihi mundus crucifixus est , Ở ego mundo. Ad Galat. 6. Donnez-moy un
Prédicateur de l'Evangile, parfaitement mort à lui-même comme faint An
, & dré, & qui diſe de bonne foi avec faint Paul : Le monde est crucifié pour moy,
qui y est či je stiis crucifié pour le monde : Rien ne lui réſistera ; avec cela il triomphera
crucifié có de l'erreur, il confondra l’impicté, il exterminera le vice , il convertifa les
Pº"
Taul , eft
villes entieres. Avec cela, les pecheurs les plus endurcis l'écouteront & le
* - - * * ** *
4
bis : croitont, les libertins & les impics te ſoumettront à lui , les ſenſüels &
les.
P A R A G R A P H E T R O IS I E M E. 17
les voluptueux ſubiront le joug de la pénitence. Pourquoy ? parce que telle faire un
eſt, dit faint Jérôme la vertu de la croix, prêchée par un homme ſouffrant fruit ineſti
lui-même , & mourant ſur la croix : Omnem dottrinam ſuam crucis diſciplini mable.
roborant, comme dit faint Jerôme. Tiré du fermon du P. Bourdaloüe fur faint
André. | -
dans les calamitez ou publiques, ou particulieres, dans les pertes de biens , vie morti
dans les maladies, tout cela prêchera pour nous, & nous prêcherons par tout fiée.
cela. Le même.
Si exaltatus fuero à terra omnia traham ad me ipſum. Joannis i 2.Je vous avoüe En quel
que j’ay de la peine à juſtifier ces paroles du Sauveur, que quand il feroit êlevé fens ii faut
entendre ce
en croix il attireroit tout à lui, comme s'il trouvoit dans les bras de cette croix
qu'a dit le
une vertu attraćtive , qu'il n’eût pas dans le fein de fon Pere : car bien loin de Fils de Dieu,
le voir attirer tout à lui par la croix, je le vois abandonné de tout, il y demeure que quand
feul, ſes amis le quittent, ſes diſciples s'enfuyent, ſa gloire ſe cache, fa puiſ ilvé-il
feroit (le
attire
fance l'abandonne, ſes forces ſe retirent, fon Pere le délaiſſe, ſon ame ſe îếpa roit tout à
re de fon corps, fa vie naturelle defaut, Appellerons-nous cela attirer tout à foy lui , ce qui
par ſa croix ? ou plûtôt ne dirons-nous pas que la croix éloigne & chaffe toutes peut ê, re
ces choſes ; c'est elle qui les écarte , & fi elle a une vertu attractive, c'est pour appliqué à
attirer toutes les douleurs imaginables, & en ce ſens il peut bien dire : Omnia S. André.
traham ad me ipſum. Il attire à lui, fur la croix & par la croix toutes les douleurs
corporelles, en ſouffrant dans toutes les parties de fon corps ; il attire toutes
les angoiffes de l'ame, qu'il veut fouffrir & expérimenter ; il attire à ſoy toute
la malédićtion de la terre, & comme la marque de cette maledićtion étoit les
épines, qu'elle doit produire à l'homme, nous voyons qu'il les a priſes fur fa
Paneg. des Saints. Tome I. C
18 P OUR LE PANEGYRIQUE DE S. A N D R E’.
téte, pour nous álfurer que cette maledićtion , dont elles étoient le figne, a été
levée , & attachée avec lui. Je fçai bien que les Peres & les Interpretes ont trou
vé le fens véritable de ces paroles: Cum exaltatus fuero à terra , omnia traham
ad me ipſum , en diſant que cette force , & cette vertu attraćtive de la croix s'eſt
fait fentir par la converſion de tout le monde, qu'elle a attiré le reſpećt & l'a
doration de tous les , & que ſes perſecuteurs, & ſes plus grands enne
mis en ont reconnu le fouverain pouvoir. C'eſt ce que nous pouvons dire avec
quelque proportion de faint André attaché à la croix, lequel à la vérité d'un côté
s'est attiré les inſultes, les tourmens, & les douleurs inſéparables du fupplice
de la croix; mais auſſi d'un autre côté, lorſqu'il a été élevé fur cette croix, a
attiré l'admiration des ſpećtateurs de fon fupplice , l'affećtion de tout le peuple
qui ſe récria tout haut que c'étoit un homme de Dieu, la compaſſion de pro
pres bourreaux, & enfin la converſion des idolâtres,qui par la force de fa paro
le , furent attirez à la foy.
La croix . Nos prædicamus Christum crucifixum. 1. Ad Corinth. 1. Il faut avoüer,dit ſaint
cù S. André Auguſtin, que la croix a été la chaire où le Fils de Dieu a prêché avec plus d'é
i. clat & p'us d'éloquence 3 & où par ſon exemple, il a enfeigné les vertus les plus
difficiles & les plus glorieuſes : Crux Christi cathedra docentis; de forte qu'au
rédicateur, jugement du prémier & du ſouverain Doćteur, qui eſt Jesus-CHR1st , la ma
comm: S niere la plus propre, & la plus efficace pour enſeigner, pour perſuader, & pour
Auguſtin.“
de la croix
émouvoir, c’eſt le langage de l'aćtion, & de l'exemple. Or c'est de cette élo
du Fils de Gunce dont s'est fervi faint André fur la croix. Il avoit auparavant pénétré dans
Dicu. la Scytie , & parcouru toutes les Provinces de la Trace & de l'Epire, prêchant
& enſeignant les peuples. Un plus noble motif que celui des conquerans l'avoit
porté juſqu'aux extrémitez du monde, & fait paſſer de Royaume en Royaume
pour publier l'Evangile : mais c'eſt principalement en Achaie, où étant élevé
fur la croix, par les ordres du Proconful Egée, il prêche l'eſpace de deux jours
d'une maniere fi forte & fi éloquente, que perſonne ne lui peut réſiſter : Biduo
vivens pendebat , in cruce pro Christi nomine , & docebat populum. C'eſt donc avec
justice qu’on peut dire que faint André n’a jamais expliqué avec plus de clarté
les points de nôtre foy; jamais il n'a prouvé avec tant de force, & de convic
tion les grandeurs adorables de fon Maître, & la vérité de fa doćtrine, que lorf
qu'il a fait de fa croix, une chaire ; qu’il a employé pour prêcher, autant de
bouches qu'il avoit de playes ; que la voix de ſon fang s'est fait entendre de tou
tes parts ; en un mot, qu'étant crucifié lui-même , il a prêché fon Dieu crucifié :
Crucifixus crucifixum pradicabat, dit faint Chryſoſtome. Le P. Texier , fermon de
faint André.
Il y a en crucis
ce
Multi ambulant
Christi. quos fpe3. dicebam
Ad Philipp. Il n'eſt vobis, nuncvrai
que trop autem & fiens
, que dico , inimicos
maintenant la plů
: part des Chrétiens font du nombre de ceux dont faint Paul ne parloir que les
pui, gand larmes aux yeux, qui , quoy que baptiſez au nom de JEsus-CHRust crucifié »
onbre de vivent néanmoins d'une maniere, qui témoignent aſſez qu'ils font ennemis
F"º"?“,
cnne mies de
de fa croix : Flens dico , inimicos crucis Christi. Hé Dieu ! que ce véritable eſprit
* /" - - * * * J - -
la croix , & du Chriſtianiſme, qui conſiste dans l’amour de la croix, & dans l’exercice de la
qui font ces véritable penitence , de la mortification des fens, & de la haine de foy-même,
ferſonnes? est éteint & étoufé parmi nous! Car n'est-il pas vrai que l'eſprit de ce fiécle
est un eſprit de molleffe & de délicateſſe, une recherche déréglée de ſes plaiſirs
& de ſes commoditez ; comme autrefois les idolâtres avoient élevé ſur le Cal
P A R A G R A P H E T R O IS I E M E. 19
vaire une idole de Venus,& une autre d'Adonis,pour abolir la mémoire de la Paſ
fion de Jesus-CHR1st. Ainſi nous élevons tous jours ſur nos coeurs, une vo
lupté infame, un amour profane, &c. Le même. *
Tunc parebit ſignum Filii hominis. Matth. 24. La croix du Fils de Dieu paroîtra la croix de
au jugement dernier; mais celle de faint André paroîtra auſſi, fuivant le fenti- faint André
ment des Theologiens, qui croyent probablement que les Martyrs paroitrontà
ce jugement avec les inſtrumens de leurs ſupplices. Quelle gloire à cet Apôtre gement , &
de s'y préſenter avec cette marque de fon courage ! Mais quelle fera nôtre hon- pourquoy i
te à la vůë de la même croix, qui ſera la balance de nos aćtions, & le caraćte
re qui diſtinguera un véritable Chrêtien. Elle doit être imprimée fur nos fronts
cette croix, par la foy de ce myſtere ; mais elle le doit-être fur nos coeurs par la
diſpoſition que nous devons avoir à ſouffrir les croix que Dieu nous envoye,
ou celles qui font néceſſaires pour nôtre falut, comme les mortifications & les
Penirences , elle doit paſſer juſque fur nos corps, par les jeûnes & les autres
auſtéritez,fans leſquelles on ne pourroit ſe conſerver dans l'innocence ; mais où
trouver cette eroix dans un corps accoûtumé aux délices, & nourri dans la mo
leffe ? Est-ce là ce qui s'appelle être Chrétien ; c'est-à-dire, avoir promis à Dieu
de faire de fa vie une croix perpétuelle, comme dit faint Auguſtin : Tota vita
Christiani, fî fecundum Evangelium vivat crux est ó martyrium : Conſiderons
nôtre vie,& par l'état où nous ſommes préſentement, jugeons de celui où nous
nous trouverons à ce grand jugement. Que dit faint Paul ſur cela : Qui Christi Ad Galat.»
fint carnem ſuam crucifixerunt eum vitiis ở concupiſcentiis. Ceux qui appartiens
nent à Jesus-CHR1st, crucifient leur chair avec leurs vices & leurs concupiſ
cences : Tunc parebit ſignum Filii hominis. Un Chrétien dans ce dernier jugement
fera placé entre deux crucifiez, entre le Sauveur d'un côté & faint André de
l'autre ; André comme accuſateur, '& Jesus-CHR1st comme Juge : Malheu
reux, dira le Diſciple , ne deviez-vous pas vous faire quelque violence pour
n'adoriez-vous pas
Porter la croix de vôtre Sauveur, & pour imiter la mienne ?
un même Dieu ! n'eſperiez-vous pas une même grace & une même récompen
fe ? Le Juge alors ajoûtera : J’avois enduré la croix pour vous » ne deviez
yous pas endurer quelque chofe pour moy , & pour tant de fang que j’ay ver
fé ? Oüi Chrétiens, la croix de André vous accuſe auſſi-bien que celle du
Sauveur ; & après qu'elle a fervi à ce grand Apôtre de chaire pour vous inf
truire, elle lui de tribunal pour vous condamner. Extrait du Sermon de
A4onsteur Biroat, fur faint André. - |
-
Invenimus Meſiam. Joan. 1. André n'eût pas plůtôt découvert le Fils de Dieu, , S.
par le moyen de Jean-Baptiste, 'qu'il fehấta de l'aller dire à ſon frere Pierre, -
Invenimus Meſiam. Nous avons trouvé le Meſſie. Pourquoy ſe fervir de ces - pietre au
mes ? C'eſt dit ſaint Chryſostome, qu'ils le cherchoient véritablement ce Mestis, Sauveur, &
& qu'ils défiroient avec beaucoup d'empreſſement de le trouver ; Puiſqu'ils part
eurent un fi grand fujet de joye de l'avoir découvert. Mais c'eſt une marque du i.
grand coeur d'André, puiſqu'il fe fait un plaifir de partager avec fon frere le bon- découvert.
heur qu'il avoit cú de découvrirle prémicr leMeſſie.Il compte pour tien ce avan
tage, s'il ne le partage avec ſon frere ; il regarde comme un larcin fait à Pierre »
& à ſes aurres compagnons de ne point leur faire part de l'heureuſe rencontre
du Meſfie : Furtum deputat fine confortibus poſſidere Christum , dit laint Chryſoſ
tome ; c'eſt-là ce qu'on peut appeller avoir trouvé Dieu ; est point ca
---- 1)
2o P O U R L E PANEGYRIQUE D E S. AND R E'.
pital de la véritable dévotion de vouloir être uni avec ſes freres par les liens
communs de la foy & de la grace. En un mot, nous ne liſons point de Peres.
qui ne fe foient efforcez de ſignaler le zele d'André, qui ne ſe contenta pas.
d'avoir appris à ſon cadet, qu'il avoit trouvé le Meffie, il voulut même le lui
foan. 1. amener : Et adduxit ad Jeſum : Et ainfi voilà Pierre, ce Chef des Apôtres, amené
par fon frere, & préſenté à Jesus-CHRIsr.
Nous de
vons à l'e
Paratum cor meum Deus , paratum cor meum. Pſalm. 56. Nous pouvons en
xemple de
tout temps, & en toutes occaſions nous ſacrifier à Dieu comme faint André,
faint-André parce que le véritable ſacrifice est en nous. Soyons dans une préparation de
etre diſpo volonté à ſouffrir , tout ce que la divine Providence nous prépare ; exerçons les
fez à ſouf aćtes les plus excellens de toutes les vertus; pour prévenir par ces diſpoſitions
frir tout ce
que la Pro
intérieures les heureux momens aufquels cette même Providence nous enga
vidence or gera à les pratiquer. Difons fans ceſſe avec le Prophete & faint André : Man
donnera de cæur est préparé , Seigneur, mon cæur est préparé. Allons au devant du martyre
ROUS..
comme ce faint Apôtre par ce martyre inviſible, & ſoyons aſsûrez que par cet
Pfal. 56. te préparation générale de fouffrir tout ce qu'il plaira à Dieu dans les .
circonſtances de nôtre vie , nous aurons à ſes yeux, le mérite de tous les genres.
de martyres, parce que nous les avons acceptez par une foûmiſſion inté
rieure.
P A R A G R A P H E QUAT R IE’ME.
Penfees & Paffages des faints Peres fur ce fujet.
Mnem Doãrinam fuam, crucis difci Lforcedoćtrine qu'enſeignoit ce Saint tiroit ſa
pliná roborans, S. Hieronymus. de la croix, dont il fuivoit en tout les:
InaXIII) CS,
P A R A G R A P H E C IN QUI E ME.
ce qu'on peut tirer de la Théologie par rapport aux affions
différentes du Saint.
Ce qu'é. S André avant ſa vocation à l'Apostolat, étoit un pauvre Pêcheur,
toit faint frere de faint Pierre, compagnon de Jean & de Jacques ; homme groſſier &
" ruſtique, fans biens, fans lettres, ignorant & plein de ténébres ; mais cependant
u. avec un heureux fond de foûmiſſion, & de docilité:avec un grand défir de ſon fa
ver le fils lut,& de ſa perfećtion. Il n'eut pas plûtôt entendu parler de la pénitence que prê
de Dieu,que choit Jean-Baptiste,& de l'affluence du peuple qui l'alloit entendre dans le déſert,
reffentit une fainte impatience de connoître le Meſſie,que ce faint Précur
" feur annonçoit , & dont les peuples faiſoient leurs entretiens & le ſujet de leur
conneitres: attente. C'étoit une heureuſe diſpoſition pour approcher du Meffie. Auſſi eſt-ce
comme
le
il; &
lui d'être
qui a eudel'honneur de lelui
fa fuite. C’eſt connoître le prémier,
qui y a été le prémierdeappcllé,
s'attacher à luia le
& qui prémier,
commencé
a. le ſacré College des Apôtres: Primitiarum principium , comme l'appelle un
VCU1I, S. Pere. Ce fut le prémier fruit de la miſſion de Jésus-CHRIST ; S. Joſeph,faint
Jean-Baptiste, ont été fes prémiers confidens ; mais André a été fa premiere
conqueſte, & celui dont il s'eſt fervi pour lui en attirer d'autres. En un
mot, il eſt le fils aîné du Sauveur, ce qui eſt un honneur & un avantage tout
fingulier à ce grandApôtre.
Tous les . Il eſt conſtant que les Apôtres, ces prémiers fondateurs du Christianiſme,
Apôtres
été
ont choiſis
me ſes
& appellez par, leainſi
Filsque
de Dieu pour publier
les appelle ſa Loy,
faint Paul; il eſt,&dis-je,
ſes mysteres,
conſtantcom
que
I les Apôtres ont reçû du Sauveur, pour leur prémiere & principale commiſſian,
sauveu , l'ordre de prêcher la croix, & d’en publier la vertu par tout le monde ; c'eſt le
mais ſaint , même Apôtre qui nous en aſsûre: Nos pradicamus Christum & hunc crucifixum.
A En forte qu'au lieu que la Croix n'avoit été juſque-là qu'un ſujet de malé
": dićtion, & qu'un opprobre, qui étoit un ſcandale aux Juifs, & paroifioit une
quité de c:t folie aux Gentils, à force d'en exalter la vertu, ils l'ont renduë vénérable à tou
employ. te la terre. C'est à quoy s'est terminé leur vocation, & par où ils ont mérité le
! 4 Gº- nom d’Apôtres. Or il n'est pas moins évident que faint André s'est ſignalé
"** entre tous les autres dans ce glorieux employ,& qu'il ne l'ajamais mieux rempli,
que quand il a été lui-même attaché à la croix, parce que c'eſt ſur la croix qu'il
a prêché J E s u s-C H R 1 s T crucifié , ou fi vous voulez , la Loy de Jesus
CHR I st, avec plus d'autorité, avec plus d'efficace & de convićtion , avec
plus de ſuccès & de fruit.
ce que . Si vous fouhaitez ſçavoir ce que nous prêche faint André, lorſqu'il recon
faint André noît , que la croix qu'on lui préſente, eſt digne de ſes reſpećts , & qu’elle mé
nous en rite fon amour ; voici en peu de mots ce qu'il nous enfeigne fur ce ſujet. Pre
i mierement,dit-il, cette croix a été conſacrée par le corps de Jesus-CHRIST :
alus Salve crux que in corpore Christi dedicata est. Secondement, elle a reçû des
& qu'il em- membresadorables de Jesus crucifié des beautez , & des perfećtions extra
braſie avec ordinaires: O bona crux que decorum & pulcritudinem de membris Domini fuf;
P A R A G R A PH E C IN QUI E'ME. 23
eepisti. Troifiémement, elle a été préparée & ordonnée de Dieu, pour remplir de, fenri
de graces & de biens furnaturels, les coeurs affamez & alterez de fes Saints : m n dan
O crux cupienti animo preparata.Quatriémement, comme Dieu par une invention af stion fi
de fa ſageſſe cachée, a voulu nous communiquer la vie par la croix, qui est "*""·
un inſtrument de mort, & faire en forte que fa divinité s'abaiſsat, & deſcendit
vers nous, par la croix ; il veut auffi que la croix nous éleve vers Dieu , &
nous fafle entrer en participation de fa vie : Ut per te me recipiat, qui per te
me redemit. Je ne m'étonne donc pas fi faint André convaincu par toutes ces
raiſons , de ces grandes veritez, & tout rempli des hautes connoiſſances de la
croix,bien loin de fe troubler à fa rencốtre,& de la fuir,il entre dans de fi grands
tranſports de joye,qu'il ne fçait comment exprimer les ſentimens de fon amour.
Saint André dont nous honorons la mémoire, a véritablement ſuivi Jesus- saint An
CHR1 sr
moler , parce
ſa vie , pourqu'il a aiméaulesSauveur
donner ſouffrances, & qu'ildes
du monde s'eſt fait undeplaifir
preuves d'im- dré s'est
fon amour. un
Sans nous arrêter à examiner toutes les perſécutions qu'il a efuyez, pour de
exercer le faint miniſtere qui lui avoit été confié, ne conſidérons que ſes der- j , S
nieres paroles, & la maniere dont il s'exprima ; quand il apperçût la croix. Christ, en
O chere Croix ! que j’ay fi long-temps déſirée, que j’ay aimée avec tant "" la
d'ardeur, que j’ay cherchée avec tant d'empreſſement, & qui êtes enfin ac- ***
cordée à mes væux, je viens à vous plein de confiance & de joye. Ces pa
roles toutes de feu expriment merveilleuſement les ſentimeus de faint André.
La croix est l'objet de fon amour; il l'aime, il la recherche ; il est tranſporté
de joye, de ce que ſes déſirs font à la fin accomplis ; il a de l'impatience d'être
atraché à la croix ; rien ne luy paroît plus glorieux pour un Diſciple, que de
mourir comme fon Maître ; rien ne luy paroît de plus charmant, de plus
aimable, de plus digne de fes empreſſemens que la Croix. Voilà les fen
timens dans leſquels on entre, quand on est pénétré des maximes établies par
Jesus-CHR ist : Vous ferez bienheureux , lorſque les hommes vous chargeront d'in
jures , & de reproches, qu'ils vous perſecuteront , Ğ qu’à cauſe de moy , ils diront
faußement toute forte de mal de vous. Réjouiſſez-vous alors , foyez ravis de joye,
parce qu'une récompenſe vous est refervée dans le Ciel.
Comme faint André ne s'est pas contenté de dire , qu'il offroit chaque jour . Le ſacri
l'Agneau de Dieu en ſacrifice, il, faut de même que nous joignions le fa- f "o":
crifice de nous-mêmes au ſacrifice du Corps de Jesus-Christ. C'est le de
voir eſſentiel à quoy le Chriſtianiſme nous engage , & je ne crains point d'a- faire à Dieu
vancer que fans cela le ſacrifice que faint Pierre nous aſsûre être propre de pour imiter
tous les Chrétiens , n'a pas, felon Dieu , toute la qu'il doit faint Adié,
avoir. Car il eſt de la foy, qu’encore que le ſacrifice de l'humanité de Jesus- si:
CHR1st ait eû par luy-même une vertu infinie, pour nous fanćtifier, & pour com
nous reconcilier avec Dieu ; Dieu néanmoins par une conduite particuliere de me une vic
fa Providence, ne l'a accepté , pour nous accorder en effet la grace de cette imsºn, of
reconciliation & de cette fanćtification, qu'autant qu'il a prévû que ce ſacri-
fice devoit être , & feroit accompagné de nôtre coopération. Il eſt de foy, e p
qu’encore qu'il n'ait rien manqué au ſacrifice de nôtre redemption de la part tre du sci
de Jesus-CHR 1st, qui l'a offert pour nous, comme nôtre Mediateur, & le gneur. .
fouverain Prêtre , il peut y manquer quelque choſe de nôtre part , en forte
que ce ſacrifice, tout divin qu'il eſt, par le défaut de nôtre correſpondance ».
24 P o UR LE PANEGYRIQUE DE S. A N D R E'.
nous devienne infrućtueux, & ne foit pour nous de nulle efficace. Or ce qui
peut manquer de nôtre part au ſacrifice de Jesus-CHRist , c'eſt le ſacrifice per
fonnel que Dieu exige de nous, & que nous luy devons faire de nous-mê
mes , mais que fouveut nous ne luy faiſons pas. De-là vient que faint Paul, à
qui ce mystere avoit été ſpécialement révélé, fe faiſoit une Loy inviolab'e d'ac
complir tous les jours dans ſa chair ce qui manquoit aux ſouffrances de Jesus
Ad col ffen- CHRIST : Adimpleo ea que defunt paffionum Christi in carne meâ. Il restoit donc
fes. 1- encore pour faint Paul, quelque choſe à ajoûter au ſacrifice du Fils de Dieu.
Prenez garde: quelque choſe par rapport à Saint Paul même ; quelque choſe
d'où dépendoit en un fens ', pour faint Paul même, le mérite , ou plú
tôt l'application aćtuelle du ſacrifice du Fils de Dieu ; quelque choſe par
où ſaint Paul même ſe croyoit obligé de remplir la meſure des ſouffrances du
Fils de Dieu. Or comment la rempliſſoit-il cette meſure ? par la ferveur de
fa pénitence, par l'austérité de fa vie, par la mortification de fa chair : Car
c'étoient là, remarque faint Chryſoſtome, autant de ſacrifices de luy-même,
qu'il unifſoit à ce grand ſacrifice de la croix, & en vertu deſquels il pouvoit
La croix, dire : Adimpleo ea que defunt paffionum Christi, in carnemeå. .
s. La Croix eſt un tréfor dont nous ne connoiſſons pas le prix & la valeur :
frances font Nefcit homo pretium ejus. Mais ſi nous conſidérons faint André attaché à la
un grand croix, il nous convaincra que c'eſt à tort que nous frémiſſons, & que nous
"*" "º" nous troublons à la vůë de la croix ; puiſqu'elle doit être l'objet de nos défirs;
: il vous dira que ce qui vient de Dieu, ce qui est ordonné de Dien , ce qui
le prix & la conduit à Dieu , ce qui nous rend participans de Deu , ce qui a été le par
valeur. tage de Jesus-CHR1st , qui eſt Dieu, ne peut avoir tant de rapport ayvc le
fouverain Bien, fans être bon. Or les croix, les maladies, la pauvreté , les
tentations, les afflićtions viennent de Dieu ; elles font ordonnées & envoyées
de Dieu ; elles nous conduiſent à Dieu ; elles ont été le partage de Jesus affli
gé, & crucifié ; donc les croix & les afflićtions font très-défirables. Et fi vous
me demandez quel bien on peut trouver dans les croix, je vous diray que
Ad Galat 6. tout le bien honnête, utile & délećtable s'y rencontre : l'honnête : Abfit mihi
gloriari, nist in cruce Domini nostri Jeſu Christi. Ne vous trompez pas , dit
faint Cyprien, ces fers, ces chaînes qui chargent les Martyrs, font les orne
mens les plus illuſtres de leur gloire: Ornamenta funt ista : non vincula ; nec ad
infamiam copulant, fed clarificant ad coronam. Je ne veux point montrer l'uti
2- Ad Co- Saint Paul en a fait l'abbregé en
lité des croix, ce feroit un diſcours infini.
peu de mots; Momentaneum & leve tribulationis; ſupra modum, sternum glorie
pondus operatur in nobis. Quant au bien délećtable, faint Jacques nous en
feigne qu’il fe trouve véritablement dans la croix ; puiſqu'elle eſt pour un
Ef fa- fidelle , une fource inépuiſable de joye: Omne gaudium existimate , fratres ,
“*” “ cùm in varias tentationes incideritis. Jé joins à cette autorité une raiſon en peu
de mots: La véritable joye ſe trouve dans la vive eſpérance du fouverain
4***"*" Bien : Or c'est dans les croix que ſe trouve cette eſpérance. C'est le raiſonne
Le bien ment de faint Paul : Tribulatio patientiam operatur, patientia probationem , pro
(pirituel que batio verò ſpem : ſpes autem non confundit. -
podpir en L'afflićtion ſoufferte pour Dicu, produit en nous la patience, cette patien
rit ce produit l'épreuve dont Dieu ſe ſert à l'égard des prédeſtinez; cette épreuve
** fait naître en nous l'eſperance ; & cette vive eſpérance n'est jamais confonduë :
Spes
*
P AR A G R AP HE CI N Q U I E M E. 25
Spes autem non confundit , parce que , répond faint Bernard, elle verſe dans
l’ame une certitude morale de nôtre falur, accompagnée d'une douceur , &
d'une joye inefable: Spes non confundit , quia certitudinem infundit ; per hanc
enim ſpiritus testimonium perhibet ſpiritui nostro quod fumus filii Dei.
de D'où vient,
la croix, je vouscontraire
& qu'au prie, que
faintJesus-CHR1st tremble,
André la regarda d'un & fut effrayé
viſage aſsûré ,à &la que
vůë D'oùJEsus
vient
bien loin d'en être troublé, il courut l'embraller avec une joye indicible : fi la
ce n'eſt, comme dit un faint Pere, que le Sauveur en cette occaſion voulut feuie pe &
prendre nôtre foibleſſe,
fi vous pour
l'aimeznous revetir
c'eſtdeque
fa force : Christi infirmitas
fortitudo est; ou mieux, cet homme-Dieu a bâ nostra
toute de ila croix,S.
l'amertume de la croix , en forte qu'elle a entierement changé de nature ,
quand on la ſouffre pour ſon amour, & qu'au lieu qu'avant que le Sauveur y joy.
eut été attaché, elle étoit un objet d'horreur, clic eſt devenuë un objet de
joye, & de délices.
C'eſt en ſouffrant que l'on aſsûre ſon ſalut; on ne peut regner avec Jesus- . On n'ar
CHRIST que l'on ne fouffre avec lui ; C'eſt par la croix , & par les ſouffrances e
que l'on arrive à la gloire. Ces maximes font fủres, & ne peuvent être révo- la e
quées en doute ; mais comme il eſt difficile de les imprimer dans le coeur du & les fouf
Chrétien , le Fils de Dieu a eu foin de les établir d'une maniere claire & fo- frances.
lide , non-ſeulement par paroles , mais par fon exemple & celui des Saints , &
particulierement de faint André fon prémier Diſciple. Les raiſons
Quatre choſes nous engagent à porter la croix de Jesus-CHRIST , à l’exem- qui
» A __ A - r * ... 1 » » -
„ ! nous
- -
Apôtres. Le royaume éternel n'eſt que pour les crucifiez, il ſouffre violence ;
& il n'y a que ceux qui la font à leurs paſſions, qui le gagnent. Si nous fouf
frons avec Jesus-CHR ist , dit l'Apôtre, nous régnerons avec lui. Voilà la
régle du Chriſtianiſme : & il ne faut point fe flatter d'exception, quelque diſtin
gué ou élevé que l'on ſoit parmi les hommes. Comme c'est une néceſſité de
mourir, c'eſt une néceſſité de ſouffrir, l'un & l'autre font la peine du peché ;
il ne faut mourir mêine qu'une fois, & il faut ſouffrir & porter ſa croix tous
les jours, parce que les fouff ances de toute la vie n'ont point de rapport avec
la grandeur de la g'oire éternelle qui nous est promife. Saint An
On peut dire que faint André a fait comme un apprentiffage de l'Evangile dré avoit
dans l'école du Précurfeur du Fils de Dieu ; & qu'au lieu que les autres ont dija prati
Paneg. des Saints. Tome I. -
-
26 P O U R L E PANEGYRIQUE D E S. A N D R E’.
qué les ma paffě des foins de la terre à la fuite du Sauveur , celui-cy a paſſé d'une vie déja
fainte à une autre plus fainte , & plus parfaire ; ayant déja mis en pratique les
plus rudes maximes du Chriſtianiſine , avant même qu'il fût publié , & paſſe en
Loy; parce que comme toute la doćtrine de faint Jean aboutilloit à diſpoſer
Jean-Bap- les peuples par la pénitence , à recevoir le Mcflie. Ce Diſciple pour la rece
tifte. voir , innita l'abſtinence & l'auſtérité de fon Maître, comme nous pouvons
Lur. f. juger de cette parole de l'Evangile : Quare Diſcipuli 7oannis jejunant frequenter ,
Ġ obſecrationes faciunt ? Ainſi il ne lui fallut pas changer de vie , & de manie
res, comme firent les autres, mais ſeulement continủer ce qu'il avoit heureuſe
ment commencé. Quc fi ce Verbe Incarné a éclairé de fes lumieres tant d'autres
qui ne le cherchoient pas , & même qui s'y rendoient les plus rebelles ; que n'a
t-il point fait en faveur de celui qui n'avoit point de plus grand deſir que de
le voir : Quel fera ce Diſciple dans l'école du Fils de Dieu , puiſqu'il eſt
déja ſi éclaire dans celle de ſon Précurfeur. Quc ne fera-t-il point quand il en
tendra ſa voix non plus réfléchie par faint Jean , qui en étoit l'écho; mais quand
il cntendra tant d'oracles de la bouche è avec quelle ardeur ne le ſuivra-t-il
oiut ?
f Les Apôtres dans leurs Epîtres ſe qualifient Peres des Fideles qu'ils avoient
s instruits: In Christo Jeſu ego vos geniti, dit faint Paul aux Corinthiens : Filioli
appelé le que te º Par riº , donec formetur Christus in vobis, dit le même faint Paul
fi: .i., é de aux Galates. Mes enfans que je ne celle d'enfanter, juſqu’à ce que J E s u s
} r s u s- CHRusT ſoit formé en vous. La connoifiance de Jesus. CHR 1ST étant formée
“***** dans fon eſprit , il la fait paſſer dans l'eſprit des Galates. C'eſt ainſi qu'il les
cngendre. D'où il s'enfuit, qu'être maître, c'est étre pere ; & étre diſciple , c’eſt
ĉtre fils , & par une conſéquence néceſſaire , être premier Diſciple de J E s u s
CHR 1st , comme l'a été faint André, c'eſt avoir été fon prémier fils, & ſon
fils aîné. Mais il ne faut pas fe niéprendre icy en confondant l'ordre de la gé
nération naturelle , avec l'ordre de la naiflance fpirituelle. Le prémier ne dé
pend point du tout de nôtre croix ; aufſi tout l'avantage que les uns y ont par
destus les autres , n'eſt qu’une pure faveur du Ciel , que l'on peut bien rece
voir, mais dont on ne peut jamais ſe rendre digne: Il y a fans doute bien du
bonheur de venir au monde avec tant de privileges ; mais il n'y a aucun mérite.
Il n'en va pas de nićine dans l'ordre de la naillance ſpirituelle ; car quoy que
la grace foit le principe de toutes les différences , & de toutes les diſtinćtions
qu'on remarque parmi les Saints , il eſt pourtant vrai que rien ne fe fair que de
leur aveu, & de leur conſentement , & que dans l’empire de Jesus-CHR 1st ,
perſonne n’eſt élevé à aucun honneur, qu’il n'y contribué de fon côté par la
fidelité qu'il rend à la grace , & par l'exercice des plus nobles vertus. C’eſt
austi cn cette maniere que faint André a été l'aîné de tous les Diſciples,
saint An- Saint Grégoire nous enſeigne dans fes Morales , que Jesus-CHRtst ne
dié n'a ia s'offroit point pour nous à ſon Pere, quand nous ne nous offrons pas nous
" " "é mêmes avec lui: mais qu'il eſt véritablement une hoſtie par nous, lors que nous
nous offrons volontairement à Dieu en qualité de vićtimes : Tunc verè pro nobis
i erit hostia Deo, cum noſmetipſos hostias offeremus. C'eſt ce que faint André a
fon Sauveur pratiqué en toutes les circonſtances de fa vie , n'ayant jamais ſeparé fon
iacrifice du ſacrifice de fon divin Maître : Car fi Jesus-CHR i sr s'eſt ſacrifié à
fon Pere tous les jours de fa vie , ayant été dans les travaux dès ſa plus tendre
PARA GR APHE C IN QUIE ME. 27
jeuneſſe : In laboribus à juventute meà. Saint André ne s'est-il pas ſacrifié de mê
me en ſe mettant à la fuite du Fils de Dieu, & embraſſant tout ce qu'il y a de
plus pénible dans l'Apoſtolat. Si Jesus-CHR1sr après avoir paſie fa vie dans
des travaux continuels, l'a finie für une croix pour conſommer fon ſacrifice ;
faint André n’a-t-il pas été uni au ſacrifice de Jesus-ChR1 sr à la vie & à
la mort , puiſqu'il a fini comme fon Sauveur.
La vocation commune des Chrêtiens, eſt de croire en Jesus-CHR ist, d’ob La voca
ferver les préceptes de l'Evangile, & de faire un bon uſage des richelles ou de tion d'André
fut toute
la pauvreté: car l'on n'eſt pas obligé de tout quitter, ſi Dieu n'y appelle pas
par une feconde vocation , comme il y appelle faint André la ſeconde fois. Particuliere,
I) OU S no
Que fi la Providence permet que l'on foit ruiné par quelque accident, ou ſommes pas
par l'injuſtice des hommes, il faut fe foûmettre aux ordres de Dieu, & croire obligez de
quitter tout
alors que Dieu nous dit comme à faint André, quittez tout & me ſuivez. C'eſt comme lui ,
ces fortes d'épreuves que nous pouvons connoître fi nous ſommes attachez mais quand
ce que nous poſledons, où fi nous ſommes attachez véritablement à Jesus Dieu permit
CHR i sr. Saint André fit connoître qu'il le préferoit à tout, en quittant tout qu'on nous
enleve tout,
ce qu'il poſſèdoit , & tout ce qu'il pouvoit polieder, & ſe montrant en cela un nous d-vons
vrai Diſciple du Sauveur, qui dit: Quiconque ne renonce pas à tout ce qu'il acquieſcer à
pº/Sede, & à ſoy-même, ne peut être mon Distiple. fa divin e
volonté.
Lorſque l'on dit que faint André eſt venu trouver le prémier Jesus CHRIsr , } E s u s.
l'on ne doit pas entendre par-là qu'il ait prévenu le Meſſie & le Sauveur ; car
CHR i s r a
c'eſt toûjours la grace de Jesus CHRisT qui vient au devant de nous. Si la pre venu
voix de Dieu ne nous frappoit, nous demeurerions toûjours dans une létargie (aint Andrć
par fa grace,
fpirituelle, fans pouvoir faire la moindre demarche pour aller à lui. C'eſt donc & faint Au
lui qui donna à faint André ces oreilles du coeur pour entendre ; c'eſt lui qui dié l'a ſuivi
le choiſit le prémier ; mais ce faint Dſciple est le premier qui nous a donné par une
l'exemple d'une docilité parfaite, constante, & perſeverante. -
obéiliance
Saint André a été fameux entre les Apôtres : On voit dans toute l'antiquité Pa faite.
Saint An
des marques de la folemnité avec laquelle on a toûjours voulu que ſà fête fut dré a toû
célébrée ; preſque tous les faints Peres en ont parlé avec de magnifiques élo jours été re
ges: Et ce qui est plus conſidérable, c'eſt que Jesus-CHR1sr lui a témoigné veré dans
une affection particuliere; puiſque c'est le prémier des Diſciples qui l'a vů, l'Egliſ- , &
fa fére été
qui l’a oüi, qui a demeuré chez lui. Il fut de faint Jean , qui paroiſ célébrée.
foit alors comme un grand Prophete dans toute la Judée ; mais il le quitte
pour s'attacher uniquement å Jesus-CHR ist ; en quoy ce faint Apôtre a ap
- pris le prémier dans la nouvelle Loy, d'éviter toutes les partialitez , & les di
viſions qui arrivent fi fouvent en matic re de doctrine , & de Doćteurs ; mais à
chercher uniquement Jesus-CHR i sr , & in verté qu'il nous enfeigne , & qu'il
nous fait aſſez connoître par la voix de fon Egliſe, même fans s’attacher à aucun
parti qui lui ſoit contraire, & ſans foûtenir opiniâtrément celui où on ſe trouve
engagé , par erreur, ou par une dévotion mal entenduë.
Il y a trois raiſons entre autres qui nous doivent faire estimer & aimer les Les raiſons
occaſions de ſouffrir. La premiere, eſt l'ordre de la Providence & de la volonté qui nous
de Dieu qui le veut : ce qui nous doit faire croire que les fouffrançes font bon doivent fai
re a inner &
nes, parce qu'il ne veut que le bien, & que tout ce qu'il veut est bien ; & rien eſti mer les
ne doit être estimé bien , que parce qu'il le veut. Voilà comme les Saints , & occaſions de
en particulier nôtre faint Apôtre, ont raporté tout à ſa volonté ; & l’en ont (ouffit , !
D ij
28 P O U R L E PANEGYRIQUE D E S. AND RE’.
comme la toůjours glorifié & remercié , & comme nous devons auſſi en uſer , en le
- croix que
Dilcu nC) us remerciant autant des croix & des afflictions, comme des biens temporels.
* A * * .*
La ſeconde raiſon ſe prend de nôtre Sauveur , qui n’a pas ſeulement rendu
le bois de la croix honorable : mais encore toutes les croix ſpirituelles , qui
font les afilićtions de cette vie. D'où il s'enfuit, que puiſque nous honorons
le bois de la croix , qu'il a rendu adorable par ſon attouchement ; nous de
vons austi honorer , & trouver bonnes les peines & les afflictions qu'il
nous a renduës recommandables en les ſouffrant. La troifiéme raiſon , eſt
nôtre propre bien : car ſoit que nous regardions nos pechez paffez qui méri
toient les peines éternelles ; ſoit que nous confidélions le danger d'y retomber
dans la fuite , ou que nous fastions attention à la gloire éternelle promiſe à
nôtre patience : nos fouffrances nous pourront toûjours inviter à dire, com
me ce faint Apôtre: O bona crux ! ô l'aimable ! ô la bonne croix ! envoyée
} ar fouffrançes.
le tendre amour de mon Sauveur, & fanćtifié , & j'oſe dire , diviniſée par
PARAG RA PHE S I X I E’ M E.
de vrai Meſlie , l Agneau de Dicu , qui ôte les péchez du monde ; qu'il avoit vů
Jean Baptiſ deſcendre fur lui l'Eſprit de Dieu , ſous la forme d'une colombe , & qu'il y
te dans celle étoit demeuré. Ce fidele & zelé Diſciple du Précurfeur du Meſlie , après
avoir entendu ces paroles de la bouche d'un homme qui ne prononçoit que
Cristºr de, oracles, crut ne pouvoir mieux faire que de ſuivre celui dont il avoit
rendu un fi illuſtre témoignage. Ce ne fut pas une défertion de la part du
Diſciple André ; mais une déférence foûmiſe aux avis de ſon prémier Maitre,
qui ſembloit ne l'avoir difpofé & preparé que pour être fous la conduite d'un
autre plus excellent. Ce Diſciple paſla donc de l'école de ſaint Jean dans
celle de Jesus-CHR ist ; mais ce qui marque fa fidélité à la grace de cette vo
cation, qui fut la premiere par laquelle le Fils de Dieu commença l'ouvrage
de nôtre falut ; c'eſt que cet Apôtre le ſuivit le prémier, ſans y avoir été au
paravant engagé par aucun miracle : il n'avoit encore devant fes yeux aucune
perſonne qui fût à fa fuite , ni qui pút le déterminer à s'attacher à lui. Il n'en
uſa pas de même quand il ſe mit fous la conduite de Jean-Baptiste ; car avoit
il vû auparavant les Publicains , & les Doćteurs même de la Loy , courir à
fes fermons, & des perſonnes de tout rang , & de toute qualité le venir trou
ver dans fon déſert , & s'empreſſer pour le voir, & pour l'entendre ; & ainſi
André pouvoir avoir été entraîné par la foule comme pluſieurs autres ; mais
quand il réſolut de ſuivre & de chercher Jesus-CHRIST , il ne trouva nulle trace
en ſon chemin , perſonne n'avoit juſqu'alors ſuivi ce Mestie: on ne le con
noiſſoit pas même encore ; il eût eủ beau s'enquêter de fa demeure , perſonne
pe luy en cût dit des nouvelles. O ſecret impénétrable de la Providence de
PAR A C R A PHE sixIE ME. 29
mon Dieu ? après avoit bien cherche, il s'adreſſe à Jesus-CHR ist lui même,
& lui demande où eſt ſa demeure : Kabbi ubi habitas ? Oue de nobles ſentimens
font renfermez dans ces paroles : car vouloir fçavoir d'abord où demeuroit
Jesus-CHR i s T , c'étoit non-ſeulement le connoître, mais vouloir être entiere
ment inſtruit de fa perſonne , de ſes mystéres, & ce qu'il falloit faire pour fon
falut. Auteur moderne.
C'eſt un avantage commun à tous les Apôtres d'avoir vû le Sauveur du mon- saint An
de, d’avoir vécu, & converſe avec lui comme ceux de fa fuite , qui ont dié a été
compoſe fa cour, & ceux qui ont ců le plus de part dans fa confidence & dans privilegié
fon amitié. Car c'eſt de la que l'on infere qu'ils ont été les plus éclairez des vé- en
ritez éternelles que le Fils de Dieu nous a apportées du Ciel, & qu'ils ont
uiſé les véritez évangeliques dans leur propre fource. Ils ont eû part , je venu à fon
f , à ce bonheur incomparable, comme les Diſciples du même Maître ; ſervice dé
ils nous ont même appris ce qu'ils ont vů, ce qu'ils ont entendu, & ce qu’ils :*
ont touché, comme dit l'un d'entre eux. Mais je ne crains point de le dire du fes
glorieux faint André en particulier, comme de celui qui y fut diſpoſé par le maximes.
grand faint Jean-Baptiſte, dont la doćtrine & les prédications étoient comme
l'aurore de l'Evangile, & avoient préparé ce Diſciple à recevoir la plénitude
des lumieres qu'il reçût depuis. Les autres Apôtres , quand ils furent appellez
par le Fils de Dieu , étoient des gens groffiers, fans étude , & fans instruc
tion ; mais André avoit été élevé dans l'école d’un Maître, que le Fils de Dieu
a appellé le plus grand de tous les hommes ; il étoit même , au fentiment de
quelques-uns, le prémier Diſciple de ce grand homme ; le mieux verſé dans fa
doćtrine ; d'où il avoit tiré cet avantage , qu'il étoit déja comme initié dans
celle du Sauveur ; parce qu'étant entré dans les fentimens de faint Jean , & .
ayant oüi la voix du Précurfeur, il fçavoit par conſequent, qu’il n'étoit que
pour annoncer , & pour faire connoître le Meſſie. André donc comme pré
mier Diſciple de l'un & de l'autre Maître, a auffi reçû les prémiers écoulemens
de ces deux fources de lumieres, comme le prémier ſujet , auquel l'un & l'au
tre avoit communiqué les plus grands myſtéres. Certes, puiſque l'un & l'autre
en ont fait le choix comme d'un ſujet propre à recevoir les prémieres impreſ
fions de leur doćtrine , on ne peut douter qu'ils n'ayent réüffi dans leur def.
fein, & qu'ils n'en ayent fait un de leurs plus éclairez, & de leurs plus fideles
fećtateurs. De maniere que fi le grand faint Jean a été l'aurore de la grace ,
comme l'appelle faint Chryſoſtome , il faut dire que ſon Diſciple faint André
en a apperçû le prémier éclat ; s’il a été un Précurſeur qui l’a montré, & qui
l'a fait connoître, c'est à ce fidele Diſciple qu'il l'a fait voir le prémier ; & ſi
ç'a été fa voix qui l'a annoncé , & déclaré, c’eſt aux oreilles de nôtre Saint
qu'elle a retenti la prémiere fois, ou du moins c'eſt lui qui a le prémier obéi
à cette voix. L’Auteur des Sermons fur tous les fujets,& c.
Il ſemble d'abord que faint André ait eu cet avantage fur les autres Diſci- il y a cet
ples, que le Fils de Dieu a cherché, & appellé les autres, comme un faint te difen
Philippe, & un faint Matthieu ; mais le grand faint Jean-Baptiste ne le lui a pas ce , & les
plûtôt montré, qu'il l'a fnivi ; il s'est informé du liếu de la demeure , & eût un
Îong entretien avec lui. C'est ce que j'appelle la pémiere vűë : & la prémiere i
connoillance qu'il eut du Sauveur. Repréſentez-vous donc ce Fils de Dieu qui que façon
va commencer à ſe manifeſter au monde , & à Publier unc nouvelle doćtrine; venu cher
- D iij
3o po U R L E PANEGYRIQUE D E S. AN D R E'.
cher les au- il lui faut des Diſciples, & des Apôtres , pour embraſier cette doćtrine , & •
tres , mais l'annoncer par tout ; en voicy un qui ſe préſente le prémier par le défir qu'il
Fel -ey
l'eſt venu
a de fon falut , & de fa perfećtion qui l'accompagne juſqu'à fon logis, qui le
- » • - * _ » A -À - »*1 / _ _ - -N
tIOu V tr prie de l'instruire, & qui s'offre pour être auprès de lui , ce qu'il étoit auprès
de ſon prémier Maître le grand faint Jean : Quel accueil ne lui fit point ce
Dieu de bonté, qui n'a pas rebuté les plus grands pecheurs ? il le reçoit , il
- - le loge, il l'inſtruit , il paſſe la nuit ſous le même toît , pour le faire
joüir d'un bien que tant de faints Patriarches ont attendu, & que tant de
Prophetes ont annoncé. Qui pourroit nous expliquer ce qui ſe paſla dans ce
prémier entretien de ce nouveau Maître avec ce prémier Diſciple ? Qui nous
dira avec quelle ardeur ce Diſciple écouta les prémieres leçons de ce divin
Maître, & quelle impreſſion elles firent fur fon coeur, lors qu'il lui decouvrit
pour quel deſfein il étoit venu ſur la terre, & que le temps de la redemption
des hommes étoit proche ? car fi deux autres Diſciples , pour avoir ſeulement
joüi de l'entretien de ce même Sauveur , durant quelque eſpace de chemin
après fa réſurrećtion, fe recrioient tout ravis, & tout hors d'eux-mêmes :
Luc. 14. Nonne cor nostrum ardens erat in nobis , dum loqueretur nobis : de quelle ardeur
le coeur de faint André ne fut-il point embrafé, quand il lui découvrit qui il
étoit, ce qu'il venoit faire , & par où il vouloit commencer ? Je me contente
de dire que dès cette prémiere entrevúë , il demeura fi attaché à fa doćttine,
que de Diſciple il devint Apôtre, c'eſt-à-dire, qu'il lui procura d'autres Diſci
ples, en amenant fon frere Pierre à cette même fource de lumiere pour en
être éclairé. L'Auteur des Sermons fur tous les fujets , &c.
Quand S. Quand faint André n'auroit amené que faint Pierre ſeul au Sauveur du
André "a"- monde, c'est affez pour avoir fait dire au devot Hefichius ces belles paroles,
qui valent un éloge tout entier: Sacra illa tuba, Andreas primus Apostolorum
faint pierre fætus , prima Ecclesta colomna, ante Petrum Petra , fundamenti fundamentum ,
à I e su s vocans antequam vocaretur, adducens antequam adduceretur. C'eſt la prémiere
CHR1sr , il trompette de l'Evangile ; le premier fruit de l'Apoſtolat ; la premiere, & la
plus ancienne colomne de l'Egliſe, la pierre fondamentale ſur laquelle le
fondement même de toute l'Égliſe de faint Pierre est appuyé , puiſqu'il l'ap
l'office pelle avant que d'être appellé lui-même à l'Apostolat, parce qu'enfuite le
d'Apôre. Fils de Dieu les y appelle tous deux enſemble : Venite post me G faciam vos fieri
***** * pistatores hominum. Le Fils de Dieu ne demande point d'autre inſtruction pour
faint Pierre , c'eſt affez que fon frere André le lui amene, puiſqu'il étoit aſſez
éclairé pour l'enſeigner. Le même.
L'estime, , . Sans faire comparaiſon du mérite des Saints, qui n'est connu que de Dieu
ſeul, on peut croire que faint André a été fans doute l'un de ceux qui est en
tré plus avant dans l'amitié du Sauveur, & que s'il a témoigné plus de fami
m à liarité à faint Jean, & plus de condeſcendance à faint Pierre, il n'y en a point
fair Ändé à qui il ait témoigné plus d'eſtime , & plus de confiance qu'à faint André ,
en l'aste: qui avoit tout quitté juſqu'à fon propre Maître, pour paſſer dans ſon école :
ciant à , fon car quand le Sauveur du monde voulut faire ce fameux miracle de la multipli
office de :
gag:: des catio) des pains, faint André prend la liberté de lui dire fon avis , & de lui
* - / * r * 1 * • *
ames à repréſenter le peu de ſecours qu'il pouvoit tirer de cinq pains d'orge , & de
Dieu- peu de poiſſons qui ſe trouvoient pour toute la provifion : & dans une autre
rencontre, ne ſemble-t-il pas être en poſſeſſion de l'office d'introducteur des
PA R A GRAPH E S I X I E’ M E. 3I
Gentils auprès du Fils de Dieu, puiſque c'est lui qui les préſente pour le voir,
& pour le connoitre : Volumus Jefim videre, diſoient-ils un jour à faint Philip- 7,an. 4.
pe qu'ils rencontrerent le prémier : mais cet Apôtre ſe contenta de le dire à
faint André, pour leur donner plus d'accès auprès de leur maître : Et Philippus
dixit Andree. Les autres Apôtres font occupez tantôt à lui amener des mala
des, des fourds, & des aveugles pour les guerir, tantôt à chaſſer au nom de leur
Maître les demons des corps des poffedez ; mais pour André, il a un em
ploy plus noble , parce qu'en qualité de fon prémier Diſciple , il s'occupe à
lui en procurer d'autres, & à les attirer à la connoiſſance, & à la fuite du Sau
veur ; il eſt comme fon ſecond , & fon aſſocié dans cet important, & glorieux -
employ. Certes, grand Saint, vous n’avez pas fujet d'envier ni la primauté de
l'Apoſtolat, qu'il donna à faint Pierre, ni les carefles qu'il fait à faint Jean ;
puiſqu'il vous aſſocie à fon propre ministére, ne pouvant rien faire de plus
grand , ni de plus digne de vous, & de lui tout à la fois, que d'appeller les
autres à fa connoiſſance , parce que le falut d’une ſeule ame eſt preferable à
tout le reste de l'univers. Grand Saint! que vous êtes avantageuſement par
tagé ? Son exemple, Chrétiens, nous eſt une puiſſante inſtrućtion , pour nous
apprendre que nous ne devons pas nous contenter de connoître le bien , mais
que nous devons nous efforcer d'en procurer aux autres la connoiſſance , & de
les attirer au fervice de Dieu par nos diſcours , & par toutes les voyes qui
font en nôtre pouvoir. I e même.
Jesus-CHRısr devoit à faint André, comme à ſon premier Diſciple, plus Raiſons
d'amour & plus de faveur qu'aux autres. Il le devoit en la maniere que Dieu que le San
peut devoir, quand il ne s'eſt obligé par aucune promeſſe, c'eſt-à-dire , qu'il -
y avoit grande raiſon de l'aimer & de le favorifer plus que les autres. C'étoit
le prémier des hommes qui l'étoit venu chercher fur la terre, & qui s'étoit une affection
approché de luy pour le connoître ; le premier qui s'étoit foûmis à lui, & qui particuliere
l'avoit
tions ; pris pour ſon
le premier qui Maître ; le premier
avoit donné créance qui
à fesavoit écoutéquiſesavoit
paroles, divines inſtruc-
reconnu faint
& lld i Ce
honoré ſa miſſion. Enfin, c'étoit la prémiere conquête de Jesus-CHRIST, &
puis ſon premier conquérant, qui lui alla chercher de nouveaux ſujets , &
qui fervit à compoſer fa troupe Apostolique. Voila de grands motifs pour
aimer un homme , & plus grands que pour l'aîné d'une famille ; car on est
l'aîné par un bonhenr de naiflance ; mais pour être le prémier Diſciple de Jesus
CHR i sT , il falut de grandes vertus, une humilité & une docilité d’eſprit ad
mirable , & une grace de Dieu toute extraordinaire. Se foûmettre à J E s u s
CHRist , c'est une aćtion qui furpaſſc tout le pouvoir de la nature ; s'y foû
mettre le prémier , c'eſt une merveille de la grace. Nôtre Seigneur n'avoit
fait encore aucun miracle , il n'avoit encore donné aucune preuve de ce qu'il
étoit, & il n'avoit encore perſonne à fa ſuite. André le trouve feul , & ſe
joint à lui, il ſe rend le premier à fa voix, & ſe destine à ſon ſervice. Il n'a
voit vû l'exemple de perſonne devant lui , & fut lui-même l'exemple de
fon frere & des autres Diſciples, & enfuite de tout le Chriſtianiſme. Peut-on
douter que cette ạćtion n’ait été, & de grand mérite pour le Diſciple , &
de grande conſolation pour le Maître ? lui qui venoit chercher des hommes »,
voir cette franchiſe au prémier qui l'aborde, trouver une fi prompte & ſi
heureuſe étrenne du trafic qu'il commençoit ſur la terre, préſage fortuné du.
32 P O U R L E PANEGYRIQUE D E S. A N D R E’.
gain qui lui venoit ; cela ne dût-il pas bien lui gagner le coeur , & lui don
ner de douces inclinations pour ſaint André. Le Pere Cafiillon, panegyrique de
faint André. -
André ne Saint André n’étoit pas ſeulement l'aîné de naiſſance du Fils de Dieu,
trºuva. Pas mais encore de créance , & de vertu , non-feulement l'aîné dans la maiſon
de Jona , mais encore dans la maiſon de Jesus-CHR ist. Il y étoit entré
a le Prémier , & bien plus, il y avoit fait entrer fon frere. Il l'avoit donné à
iierre en Jesus-CHRIST , & Jesus-CHRIST le lui préfere. Il l'avoit fait Diſciple de
dignité '; Jesus-CHR 1st , & Jesus CHRIST le fait ſon Maître. N'avoit-il pas ſujet
d'envier ce choix, & ces préferences à ce cadet, que tant de conſidérations
rejettoient après lui ? Mais comme prémier Diſciple , parfaitement inſtruit
de ſes maximes, il entendoit fort.bien que fi dans le monde la dignité du
Pere eſt le partage de l'aîné : tout au contraire , dans la maiſon de Jesus
CHR I ST , l'humiliation , & la croix du Pere eſt le partage de l’aîné. On donne
la Mere à faint Jean, mais fans croix : c'eſt une faveur délicieuſe , c'eſt
pour le favory. On donne la croix à faint Pierre, mais à Rome, avec la
Chaire de Rome , & avec la Primauté de l'Egliſe : une croix mêlée de gran
deur, de commandement, & de Royauté. C'eſt une faveur honorable , c’eſt
pour le fidelle & généreux fils. Mais on donne à faint André la croix toute
pure , c'eſt une faveur ſans mélange , c'eſt pour l'aîné. De-là vient que
laiſlant les délices à faint Jean, la grandeur à faint Pierre, il ne regarde que
la croix, il n'aſpire qu'à la croix, tous les entretiens de fon eſprit font ſur la
croix, tous font de la croix. Que les autres ayent les careffes,
& les tendreſſes du Pere, les gouvernemens ; & les charges du Royaume:
André ne demande que la croix ; auſſi-tôt qu'il l'apperçoit , il court à elle,
il la faltie , & lui rend mille reſpećts , il l'embraſſe, il la baiſe, il l'aroſe de
fes larmes,il meurt d'impatience de s'y voir attaché. Le même.
|Les tra- . Laiſſant à part les marques plus particulieres de l'attachement & de l'amour
vaux que le d'André, je m'arrête uniquement à fon zele , qui eſt la plus pure flâme de la
s charité ; zele qui lui a fait tout entreprendre, & n'épargner ny travaux, ny fa
Il Gil' -
i tigues » ny dangers, pour porter le nom de Jesus CHR1st par tout, & pour at
gloire du tirer tout le monde à fon amour : Car , comme il étoit un de ceux qui avoient
šauveur lui reçû plus de lumieres du Fils de Dieu : il a auſſi été deſtiné après fa mort, pour
a fi entr - porter le nom de ſon Maître aux peuples enlevelis dans les plus épaiſſes ténébres
* de l'idolâtrie ; ou bien, comme il avoit eû la charge d'introducteur des Gen
qu'il a tils auprès de fon Maître vivant, cet emploi lui fut continué après ſa Reſurrec
fait parcou- tion , ayant eu pour ſon partage d'inſtruire les Schythes d'nn côté, & de l'au--
rir. tre les Grecs ; les uns fi groſſiers, & fi barbares , qu'ils n’étoient capables de
concevoir que ce qui tomboit fous leurs fens, & les autres fi ſubtils & fi ingé
nieux, qu'ils ne | rendoient qu'à la force des raiſons , & aux évidences de la
vérité ; de forte que pour convertir les uns, & les autres , il failoit la même pa
tience, la même charité, & le même zele; il falloit s'expoſer à la cruauté des
uns, & aux railleries des autres ; & en un mot , il falloit les mémes lumieres
de la grace pour convertir deux nations d'un genie fi oppoſé, & chez leſquelles
il trouva les mêmes difficultez à combattre. Voilà, grand Apôtre, le champ de
vôtre moiſſon, & la matiere de vos conquêtes ; auſſi peut on dire qu'après Saint
Paul , il n'y en a point qui ait parcouru tant de nations, & qui air travaillé
* - a VCC
PA RA GRA PHE S I X I E’ M E. 33
avec plus de zele , & plus de fatigues ; quand il n'y auroit củ que la feule Scy
thie , habitée alors par le peuple du monde le plus barbare , & dont la ſeule
peinture que nous en fait Tertullien , eût été capable d'ébranler le courage le
plus intrépide , & de le détourner de cette entrepriſe, où il y avoit fi peu d'ap
parence de réüstir. Le climat étoit inſupportable pour le froid qui y éroit conti
nuel ; les habitans vivant fans maiſon , & fans commerce avec les autres na
tions , étoient diſperfez , & vagabonds, ſans preſque aucune ſocieté entre eux ;
farouches dans leur humeur, indociles & barbares dans toutes leurs manieres ;
la malice étoit jointe à l'ignoranee , & l'orgủeil à la brutalité. Tel est le champ
que nôtre Apôtre entreprend de défricher, pour y jetter la femence de la Foy. Il
faut apprendre aux habitans à devenir hommes , avant que d’en faire des Chrê
tiens : moiſſon incertaine, fatigues inſupportables. Rien pourtant ne paroît im
poſſible au zele de cet Apôtre, qui va volontiers porter les lumieres de l'Evan
gile là où le Soleil ſemble ne porter les ſiennes qu'à regret. C’eſt là où la fer
veur de fà charité va faire fondre la glace de ces coeurs endurcis , pendant que
celle de l'hyver demeure ſur la terre en toutes les ſaiſons de l'année. Voilà une
rude & longue carriere ouverte ; il y court, & peut être auroit-il moins d'em
preſſement pour y entrer, s'il y voyoit moins de fatigues à eſſuyer. Vôtre employ,
grand Saint ! durant la vie de vôtre Maître , étoit de lui gagner des ames, &
de les lui amener : mais maintenant il vous faut les aller chercher juſqu’au
fond de la Barbarie, & juſques dans les plus épaiſſes ténébres de l'infidélité ; &
c’eſt par la vaſte étenduë de ces pays que vous entreprenez de parcourir , qu'il
faut meſurer la grandeur de vôtre zele; il ne fe contente pas de pénétrer dans
les plus affreux déferts de la Scythie , & aux confins de la mer noire : il faut
qu'il ſe répande fur les peuples voiſins juſqu'à l'Ethiopie. Nouvelles conquêtes,
nouveaux travaux ; c'eſt ce que témoigne Sophronius, qui a fait le ſupplément
du catalogue que Saint Jérôme avoit commencé des voyages des Apôtres. Le
Martyrologe Romain y ajoûte la Thrace ; Nicephore y joint la Capadoce, & la
Bythinie ; Saint Gregoire de Nazianze, l'Epire ; & S. Chryſoſtome, toute la
Grece. Ah Dieu ! qu'il faloit que ſa charité le preſsât vivement , pour parcourir
tant de peuples , effuyer tant de travaux ? Ne pouvoit-il pas dire auſſi-bien que
S. Paul ; Charitas urget nos. C'est la charité qu'il a pour fon Maitre & le zele de 1. ad Co
fa gloire, qui le fait ainſi courir, ou plûtôt voler de Nations en Nations. L'Au rint. f.
theur des Sermons fur tous les fujets , &c.
L'amour
C'est un miracle de la ſagelſe & de la puiſſance de Dieu, d'avoir attaché le que S. André
falut du monde à la croix de Jesus-CHR1st , & d'avoir voulu qu'un ſupplice a ců pour la
auffi crüel que honteux, fût la fource de nôtre bonheur & de nôtre gloire. Mais croix , eft
certes, ce n’eſt pas un moindre miracle d'avoir uni dans la croix la douleur avec quc tout ve
le plaiſir , & d’en avoir inſpiré l'amour & l'eſtime dans le coeurs de tous les Fi ritableChré
tien doit
delles; car il eſt vray que le véritable Chrétien eſt un Amant de la croix, qui la avoir.
cherche pendant fa vie , & qui s'estime bienheureux quand il la peut trouver à
fa mort. Il eſt vray que tous les Chrêriens ne la reçoivent pas avec la même diſ
poſition: ceux qui ſont plus fenſibles à la crainte qu'à l'amour , la reçoivent
avec patience, & ne l'acceptent que parce qu'ils ne peuvent pas la refuſer : ceux
qui ont plus d'eſpérance que de crainte , la reçoivent avec foảmiſſion , & mê
me avec quelque forte de plaifir ; mais ceux que l'amour a conduit à la perfec Ser. 1. de
tion, la recherchent avec ardeur , & l'embraſient avec joye: Qui initiatur S. Andraa
Paneg. des Saints. Tame I. E -
34 poUR LE PANEGYRIQUE DE S. AND RE.
à timore, dit S. Bernard, crucem Christi fiftinet patienter: qui proficit in fpe, portat
libenter ; qui vero conſummatur in charitate, amplettitur eam ardenter. Quand je
conſidere la paſſion violente avec laquelle S. André a recherché & embraſſé la
croix, il faut que j'avouë qu'il fait lui ſeul, un ordre particulier, qui est élevé
au-deſſus de tous les Fidelles, & qu'il ne peut être comparé en l'amour qu'il
a ců pour la croix, qu'à Jesus-CHR ist ſeulement : Car outre qu'il l'a déſirée
avec ardeur pendant tout le cours de fa vie , qu'il la cherchée avec empreſſe
ment dans fes voyages, qu'il l'a demandée avec inſtance dans ſes prieres, il la
reçoit avec un excès de joye qui ne bannit pas ſeulemen&a crainte : mais qui
femble avoir étouffé tous les fentimens de foibleſſes, dont les plus courageux
font capables. Le Pere Senaule Prêtre de l'Oratoire.
La force Auffi-tôt que Saint André apperçût la croix, il éleva ſa voix , & lui addref
& le coura
ſant ce diſcours, il dit : O croix ! l'objet de mon amour, reçois le diſciple du
ge que cet Maître qui mourut entre tes bras, & prête moy ton fein amoureux pour ache
Apôtre té
moigna en ver le ſacrifice de ma vie. Etoit-ce un homme, ou un Ange, s'écrie ſaint Ber
embraſſant nard, qui parloit ainſi ? c’étoit un homme fans doute, fragile, & mortel com
la croix. me nous ; mais c'étoit un homme dont le Saint-Eſprit avoit fortifié la foibleſſe,
& à qui l'amour avoit donné du courage. C'étoit le diſcours d’un homme, con
tinuë ce même Saint, qui avoit changé de ſentiment & de nature, qui n'accep
toit pas ſeulement la croix avec plaiſir, mais avec ardeur, qui couroit aux dou
leurs, comme aux délices, & qui eſpéroit de trouver ſa felicité dans le ſuppli
Id. ibid. ce de la croix : Alterati hominis est ista vox, qui nonfolum patienter, aut libenter :
fed c ardenter ad tormenta tanquam ad ornamenta , ad pænas ſicut ad delicias
properabat. C'eſt pourquoi, il eſt impoſſible d'exprimer les fentimens de faint
André, qu'en les comparant avec ceux de Jesus-Christ ; & je ferois tort à
fon courage , ſi je ne vous faifois voir que la croix lui a été, comme au Fils de
Dieu, une chaire où il a enſeigné les ignorans ; un autel, où il s'eſt lui-même
immolé; & un tribunal, où comme Juge, il a condamné les criminels. Le même.
Si le Sauveur du monde, comme dit S. Auguſtin, est le Pere de tous les
Chrêtiens, qui nous a donné la vie par ſa mort, & qui nous a engendrez ſur la
croix, il ſemble que faint André ait quelque part à cet avantage, & que comme
il est mort en la croix, il y ait trouvé la qualité de Pere, & qu'il y a donné la vie
à tous ceux qu'il a convertis. Etendons cette penſée, puiſqu'elle releve la gloi
re de nôtre Saint , & faiſons voir que fa mort, comme celle de Jesus-CHRIST,
est miraculeuſe & féconde. Les Apôtres font les peres des Fidélles, parce qu'ils
font Prédicateurs, & parce qu'ils font Martyrs. Comme Prédicateurs, ils en
fantent ceux qu'ils instruiſent ; ils donnent la vie à ceux aufquels ils donnent
la grace, & ils peuvent tenir à tous leurs diſciples le même langage que S. Paul
Gal. e. 4. tenoit aux Galates: Filioli quos iterùm parturio, donec formetur Christus in vobis.
Comme Martyrs , ils engendrent des enfans à Jesus-CHRust ; leur ſang eſt un
germe fécond qui peuple l'Egliſe , & leur mort est une fource immortelle de
Tert. Apel.
in fine. vie: Semen est fanguis Christianorum. Il ſembloit que les Chrétiens naiſſoient des
playes des Martyrs. Comme faint André portoit ces deux qualitez, qu'il ajoû
toit la gloire du Martyre à celle de l'Apostolat, il étoit pere des Fidelles qu'il
instruiſoit, il les animoit par ſes paroles, il les engendroit par l'Evangile, & il
I. Cor. 4. pouvoit leur dire auffi véritablement que S.Paul: Per Evangelium ego vos genui.
La qualité de Martyr lui donnoit encore plus de droit à celle de pere ; ſon ſang
P ARAGRA PH E S I X I E’ M E. 35
étoit une femence féconde; ſes playes produiſoient des Chrêtiens, & ſa mort
donnoit la vie à mille infidelles convertis. Le même.
Saint Auguſtin avoit raiſon de dire que la croix de Jesus-CHR1st étoit fa Comme s
chaire, & que de là, comme un divin Maître, il enſeignoit la Morale à tous ^ é? Prê
les Fidelles: Cathedra docentis. Cette croix a été à faint André ce qu'elle fut
autrefois au Fils de Dieu, & c'est dans cette auguſte chaire, que ce grand Apô- la
tre acheve d'inſtruire & de convertir les Nations. Il avoit couru diverſes pro- il fut atta.
vinces, & fon zele avoit ſurmonté tous les travaux qui accompagnent la vie ché.
Apoſtolique. Mais ce qui m’étonne , c'eſt qu'il n’interrompt pas cet exercice
fut la croix : ſes douleurs ne l'empêchent pas d'exhorter les infidelles, ny le juste
reſſentiment que pouvoit donner leur barbare cruauté, de prier pour leur falut.
C'est le miracle de la prédication, dit faint Chryſoſtome, que le nombre des
Fidelles ſe multiplie , non par l'éloquence, mais par la patience des Prédica
teurs; & que des hommes couverts d'affronts & de playes, faſſent plus de con
quêtes que les Rois avec la force de leurs armes , & que les Orateurs avec les
charmes de leur parole. En effet, n'est-ce pas une merveille de voir qu'un Apô
tre, du haut de la croix où il eſt attaché, ait encore aſſez de courage & de
voix, pour exhorter ſes Auditeurs, & que la crainte de la mort, & l’effort de
la douleur ne lui faſſent pas perdre le zele d'un Prédicateul Evangelique ; que
pendant que ſa vie s'écoule avec ſon fang , il trouve encore des raiſons pour
convaincre l'opiniâtreté des Infidelles. Il est bien aifé de prêcher dans une chaire
d'où l'on nous écoute avec reſpect ; il est bien facile de perſuader des Auditeurs
qui revérent Jesus-CHRist en nôtre perſonne : mais qu'il eſt malaifé de prêcher
fur la croix comme faint André : & il faut avoir bien de courage & de l’amour,
pour combattre la douleur en plubliant l'Evangile. Le même. - -
Nôtre faint Apôtre fait de ſa croix une chaire, prêche tout couvert de fang, suite du
employe tout ce qu'il a de liberté pour convertir les pecheurs ; & afin d'imiter "*"* fujet,
plus parfaitement ſon Maître, oubliefes douleurs, & ne penſe qu'au falut de
fes ennemis. Il éleve ſa voix pour obtenir leur pardon , il fait parler ſon ſang
pour être mieux écouté , & il ſe fert de ſes playes comme d'autant de bouches
fanglantes, pour demander la grace de ſes bourreaux. N'est-ce donc pas avec
juſtice que je vous ay dit, que eſt fa chaire, & qu’il eſt ſemblable au
Fils de Dieu, puiſqu'il a prêché comme lui, fur le gibet où il étoit attaché ? Ca
thedra docentis. Cette maxime eſt veritable, que la croix de Jesus-CHRısr
même nous eſt inutile fans la nôtre; Non fufficit crux fua fine tuâ ; & tous les
mérites qu'il nous a acquis en mourant ne nous fervent de rien , s’ils ne nous
font appliquez par nos Il faut prévenir la fureur des bourreaux par
nôtre juste colere ; il faut venger Dieu en nôtre perſonne, & nous crucifier nous
mêmes, fans attendre que les hommes nous crucifient. Si nemo te crucifigit : ipſe
te crucifige , dit faint Chryſoſtome. Mais le malheur est que la plupart des
Chrêriens n'aiment point la croix, qu'ils s'éloignent de tout ce qui en approche
tant foir peu, qu'ils fuyent les afflićtions, parce qu'elles en ſont les images ;
qu'ils ſe défendent des injures, parce qu'elles en ont la reſſemblance : Car, com
me dit faint Jean Chryſostome, s'ils aimoient la croix, ils meneroient une vie
crucifiée. ; Si crucem amarent, vitam crncifixam agerent. S'ils étoient imitateurs
de S. André, ils feroient comme lui, les images vivantes de Jesus-Christ
crucifié ; & après avoir eủ part à ſa croix fur la terre, ils eſpéroient avec juſtice
d'avoir part à ſa gloire dans le ciel. Le même. E ij
|
36 po U R LE PANEGYRIQUE DE S. ANDRE'.
Lorſque les grands Orateurs ont voulu exciter des mouvement extraordinai
res dans l'eſprit & dans le coeur des Juges , ils ont laiſsé les paroles pour avoir
recours à l'action. Ils ont jugé que la vůë d’un corps couvert de playes , feroit
capable de faire de plus fortes impreſſions fur les coeurs , que tous les mouve
mens les plus animez de leurs diſcours. Que cet Apôtre couvert de fang & de
playes , qui fait de fon gibet un autel, de fa mort un facrifice, de fon corps une
vićtime immolée pour la gloire de Dieu, dont il a prêché les grandeurs, eſt un
fpećtacle touchant ! Que ſes bras étendus fur la croix, font des gestes patheti
ques ! Expanſis manibus ad Cælum orabat. Que la voix de ce fang fait naître de
fortes pastions,& de puiſſans mouvemens dans les ames de ceux qui aſſiſtent à ſon
martyre ! Que ces paroles qui fortent de la bouche de ce crucifié, font touchan
tes ! En vérité , dit faint Bernard, ce n’eſt pas une langue qui parle, c'eſt un
charbon de feu qui jette des étincelles & des flames : Ignis vibrans est , non lingua
loquentis ; & fî lingua est, ignea planè est. Carbones funt lingua ejus, & ignir, quem
de exelſo miſit Christus in offibus ejus. Le P. Texier, Panegyrique de ce Saint.
Ce grand Saint André nous découvre la joye folide & véritable cachée au milieu des
sain; at- douleurs, lorſqu'il repoſe avec tant de douceur fur fa croix, lorſqu'il ne craint
qu'une ſeule choſe, qui est, qu'on ne l'empêche de ſouffrir long-temps, &
craint qu'on qu'on le détache de fa croix. Ecoutez la priere qu'il fait à Dieu : Seigneur,
n: 'en déli dit-il , je ne vous demande qu'une grace ; Tantummodo in istå voce exaudi me.
vie , & ne Et quelle est cette grace ? N'eſt-ce point qu'il demande au Ciel, un miracle
ande à pour le délivrer ? Ne defire-t-il point que Dieu écarte les bourreaux qui
l'environnent ? qu'il rompe les cordes qui l'attachent ; ou qu'il falle quelque
autre prodige pour conferver ſa vie , & pour déclarer fon innocence? Rien
moins. O que fentimens font bien plus nobles , & ſes prieres plus definte
reffées ! Seigneur, dit-il, ne permettez point que mon ſacrifice foit interrom
pu ; ô que ce malheureux Juge me raviſſe la vie tant qu'il voudra ! mais
qu'il ne me raviſſe pas le précieux tréfor de ma croix ; qu'après l'avoir fi long
temps déſirée, je la poſſede autant que je fouhaite , & que je meure entre
bras; Ne me patiaris ab impio Judice deponi. Il joint à fa priere la vertu que Dieu
lui a donnée de faire des miracles. Il engourdit les bras des bourreaux qui le
veulent détacher ; il les rend immobiles, puis s'environnant d'une clarté mi
raculeuſe , il les chaffe d'auprès de lui , afin de demeurer paiſible poſleffeur de
la croix qu'on lui vouloit ôter. Le même: -
Une mul. Je ne fçay fi les leçons de ce Docteur par excellence, fi les diſcours müets de
titude d'in- ce fameux Prédicateur, nous deſabuferont touchant les fauſſes opinions que
fidelles , ſe nous avons des croix & des afflićtions. Je ne ſçay pas fi l'exemple de faint André
*" retirera nos coeurs de l’amour dangereux des plaiſirs , & des delices de cette vie:
mais je fçay bien ce que l'histoire de fon Martyre me témoigne , que deux mil
mourit avec le perſonnes qui aſſiſterent à fa mort , furent remplies de l'amour & de la con
tant de joys noiſſance de Jesus-CHRIST crucifié , & que ceux qui avoient refiſté à ſes inf
* * Pa- participant
t1CIICC,
trućtions, ſeà larendirent
féconditéentierement à la prédication
de Jesus-CHR1st , auffi biende fa mort ; de forte
fa croix, que
il engen
dra pluſieurs enfans en expirant ; & malgré la fureur de ſes ennemis , il laiſſa en
l'étrange perdant la vie , une glorieuſe postérité. Helas ! que nous avons beſoin de pro
averſiºn que fiter de la doćtrine de faint André , dans le malheureux fiécle où nous vivons ?
les Chrêtiés : - - - * * 1 y - »
Il ſe fait une émotion populaire pour le délivrer: Hé ! quoy, mes Freres, leur
dit-il, êtes-vous donc de mon bonheur ? Faut-il qu'en vous interestant
Pour moy, vous conſpiriez contre moy , & que par une fauſſe compaſſion ,
vous me fastiez perdre le mérite d'une mort fi précieuſe ? Le juge intimidé, s'of
fre à l'élargir, & André le raſsûre; le Juge commande qu'on le détache de la
croix, & André proteſte que c'est en vain , parce qu'il y eſt attaché par des liens
inviſibles, que l'enfer même ne peut rompre, qui font les liens de la Foy, & de
fa charité. S'il n'étoit en effer perſuadé , penferoit-il, parleroit-il , agiroit-il,
fouffriroit-il de la forte: & pour marquer que ſes fentimens font ſinceres, perfif
teroit-il deux jours entiers dans le tourment le plus crüel ; Biduo pendens , pu
bliant toûjours que Jesus CHR1st eſt le ſeul Dieu qu'il faut adorer, & que
toute la ſainteté, toute la prédestination des hommes eſt renfermée dans la
croix. Le P. Bourdalouë, Sermon fur les Fêtes des Saints,tom. I.
Qui n'admirera le ſuccès prodigieux de la prédication de faint André, & la le Leſuccès
fuit &
bénédićtion que Dieu donna à fon Apostolat ? Si nous en croyons les Actes de prodigieux
fon Martyre , de tout le peuple a rentif à l'écouter prêchant fur la croix, à de la prédi
peine reſta-t'il un payen qui éclairé des lumieres de la grace, & cédant à la cAntion de S.
tré ſui la
force d'un tel exemple, ne renonçât à l'idolâtrie, & ne confeſsât Jesus-CHRIST. croix où il
Au lieu que Jesus-ChR1st crucifie avoit pů dire ce que Dieu par la bouche d'un eft attaché.
Prophete diſoit à Iſraël : Totâ die expandi manus meas ad populum non credentem ;
J'ay tendu mes bras à un peuple rebelle & incrédule ; ſaint André eut au contrai
re ; la conſolation de tendre les bras à un peuple docile qui reçût ſa parole avec
reſpećt, & qui s'y foûmit avec joye; pour accomplir, ce ſemble, dès lors, ce
qu'avoit dit le Fils de Dieu ; que celuy qui croiroit en lui, feroit non-feulement
les mêmes oeuvres , mais eucore de plus grandes oeuvres que lui ; Qui credit in foam. c. 11.
me ; opora que ego facio, & ipſe faciet, G majora horum faciet. Des milliers d'in
fidelles que le ſupplice de cet Apôtre avoit allemblez autour fa croix, con
11]
38 P O U R L E PANEGYRIQUE D E S. AND R E'.
vertis par ce qu'ils ont vů, par ce qu'ils ont entendu , s’en retournent glo
rifiant Dieu : De la ville de Patras, où Dieu par le miniſtere de faint André,
opére ces effets miraculeux, le bruit , difons mieux le fruit, s'en répand dans
toutes les Provinces voiſines. On voit avec étonnement les temples des idoles
abandonnez , le culte des demons aboli, le regne de la fuperstition détruit , le
nom de Jesus-CHR ist par tout révéré. Le frère même du Proconſul , juſques
là zelé défenſeur des fauffes divinitez , rend hommage à la vérité. Entre les
Egliſes naiſſantes, celle d'Achaïe, où ſaint André a fouffert, devient en peu
de jours, la plus nombreuſe, & la plus fervente. Qui fait tout cela ? la foy
d'un Dieu crucifié, prêchée par un Apôtre crucifié ; je veux dire , le zele
d'un Apôtre qui, à l'exemple de fon Maître , prêche la croix du haut de la
croix , & qui ſelon la belle expreſſion de faint Jerôme, confirme par ſon
amout pour la croix, tout ce qu'il enſeigne de l'obligation de
porter la croix. Omnem doctrinam ſuam crucis diſeiplina roborans. Le
7/2ť777ť,
Comme Sur le refus que faint André fit de ſacrifier aux idoles, on lui préſenta l'inf
faint A n !, é
après avoir
trument de ſon ſupplice ; & comment enviſage-t-il cette croix ? comme un
refuſé de autre autel où il va préſenter à Dieu le ſacrifice de fa perſonne , & de fa vie.
factifier aux Oüi , Seigneur , s'adreſſant à Jesus-CHR i sr, c'eſt pour cela que ja
idoles, s'of l'embralle cette croix, parce que c'est ſur elle que je vais remplir dans tou
fre lui mê
me en fa
te ſon étenduë mon facerdoce. Aſſez long-temps, ô mon Dieu ! j'ay fait
crifice ſur la
l'office de Sacrificateur, à vos dépens : il faut que je le falle aux dépens de
croix qu'on moy méme. Je vous ay mille fois ſacrifié pour moy , il faut que je me fa
lui 4 rétt nte. crifie une fois pour vous, & que par cet effort de reconnoiſlance , vous ren
dant amour pour amour, & ſacrifice pour ſacrifice, j’aye enfin la conſolation
d'être crucifié pour vôtre gloire, comme vous l'avez été pour mon falut. Ainſi
parla-t-il, & ſans différer, il étend ſur la croix fon corps vénérable, il n’ar
tend pas que les bourreaux l'y attachent, il prévient leur cruauté parfa ferveur :
ne voulant pas devoir à un autre l'honneur de ſon crucifiement ; mais regardant
encore comme un précieux avantage d'être tout enſemble, & la victime, &
le prêtre de fon ſacrifice. Car c'eſt en cela, dit faint Auguſtin, qu'a particu
lierement confisté l'excellence & le mérite du facerdoce de Jesus-CHRIST.
Dans l'ancienne Loy on n'avoit rien vú de ſemblable, les hommes les plus
faints s'étoient contentez d'honorer Dieu par des vićtimes étrangeres : & par
ce que ce culte étoit imparfair, le Fils de Dieu, comme Pontife étoit venu
faire à ſon Pere, cctte pleine oblation, où il voulut être tout à la fois, le
facrificateur & l'hoſtie; Idem facerdos & vittima. Mais ce qui fut vray de
Jesus-CHR i sr, l'eſt encore de faint André, avec toute la proportion néan
moins, qu’il peut y avoir entre un homme & un Homme-Dieu. André
mourant ſur la croix pût dire après le Sauveur du monde: vous n'avez plus
voulu de la chair des animaux: mais vous m’avez formé un corps ; les anciens
holocaustes ont ceffé de vous plaire, & alors j'ay dit: me voicy, recevez-moy
comme vôtre victime. Tunc dixi, ecce venio. Le Pere Bourdalouë Panegyrique
des Saints.
Ce faint Saint André eſt attaché à la croix : il y demeure deux jours entiers
Apôtre ne plein de force & de vigueur , toûjours prêchant au peuple l'Evangile de
voulut pas
Jesus crucifié. Le peuple en est touché de compastion , & il délibcrc déja
- P ARA GR APHE S I X I E’ M E. 39
d'uſer de violence contre le Juge, & les bourreaux pour le détacher de la permettre.
croix ; mais ce généreux Apôtre , qui avoit peur de perdre par-là tout le
merite de fes fouffrances, & qui fe fouvenoit encore que fon cher Maître,
n'avoit pas voulu deſcendre de la fienne pour confondre l'orgueil des vo :
Juifs qui lui demandoient par raillerie, ce témoignage de fa divinité, prie le verer à
Ciel avec leur
ple ayent inſtance
effetdedans
ne pas permettre
cette que le
rencontre. Cezele,
n'eſt& point
la compastion
à nous àdu'choiſi
peu c J E s u s
- J * * A * A I C H R Isr.
nos croix, & ce n'eſt point à nous à régler le temps que nous y devons être
attachez. Comme nousies devon, recevoir de la main de la Providence qui
connoît celles qui nous font néceſſaires, nous devons auſli y demeurer tout
le temps qui nous est preſcrit par fes ordres. Saint Andre demeure deux jours
entiers fur la fienne , & pour mieux dire, il y demeure le cours entier de
fes années, par une vie toute Apoſtolique, & toûjours ſouffrante, & en
fin il y expire au milieu d'une lumiere céleſte , & des miracles qu'il fait
pour n'en être pas détaché. Faſſe le Ciel que nous demeurions juſques-là fur
les nôtres ; du moins n’ecoutons pas la paſſion qui nous dit à tout mo
ment, comme les Juifs à Jesus-CHRIST : Defcendat de cruce , deſcendez de
vôtre croix, ſecoüez le joug de vos humiliations & de vos peines. Ce n’eſt
point à la paſſion , ce n'eſt point au monde, ny à nos faux amis , à nous preſ
crire le temps de nos afiličtions ; c'eſt à la volonté de Dieu, qui nous dit in
térieurement dans ces occaſions , comme à Joſeph , par un Ange : Esto ibi ,
uſque dum dicam tibi. Demeurez-là juſqu'à ce que je vous diſe d'en fortir. Il
n'appartient qu'à moy de regler le temps de vos peines, demeurez fur vôtre
croix, juſqu'à ce que je vous diſe d’en deſcendre: Esto ibi , ufque dum dicam
tibi. Tiré des diſcours Chrétiens, Sermon de faint André. -
Jesus eſt venu pour faire la fonćtion de Maître & de Docteur, & fingu- saint An
lierement pour apprendre aux hommes les myſtéres de la croix , qui devoit dié en qua
être un ſujet de ſcandale aux Juifs, & qui devoit paſſer pour une folie chez lité
les Gentils. Puis donc que ſaint André a été le prémier Diſciple de ce Maître, u
il aura fans doute entré plus particulierement dans les fentimens du Sauveur ; a -
il aura reçû plus abondamment le caraćtere de fon Eſprit. Il étoit venu pour tré dans les
InOuS engendrer dans la grace , & pour nous régénérer par les ouvertures de ,
fes playes, & par la fécondité de fa croix. Saint André a été le prémier né de “
fes enfans, il aura donc reçû pleinement les humeurs & les inclinatoins de is dans
fon Pere, & s'il est vray ce que dit ſaint Cyprien, que tous les Chrétiens fa ſource
font
aura les
reçûhéritiers du crucifix:
la meilleure Heredes
part dans cetcrucifixi:
héritage.Sans doute
Mais que cen'eut-il
comment prémierpas
né l'amour de
la croix.
reçû dans fon coeur l'héritage de cet eſprit, & les ſentimens de ce Maître,
puiſque dans les diſcours ordinaires Jesus ne lui, parloit que de croix ? Choſe
remarquable, que fous le nom de ce ſupplice , il exprime preſque toûjours
les vertus de pénitence, de mortification, de ſouffrance! Ne vous en éton
nez pas, c'est qu'il veut diſpoſer les Apôtres à voir fa croix quand il en ſouf
frira le ſupplice, ſans en recevoir de ſcandale, & à ſouffrir conſtamment celles
qui ſe à eux-mêmes. Il veut apprivoiſer leur imagination à cet
objet naturellement effroyable , comme ceux qui pour diſpoſer les ſoldats au
combat, leur aviliffent fouvent les ennemis, à de les mépriſer devant
eux. Ce fut à la vůë de la croix que nôtre faint Apôtre redoubla l'ardeur de
4o P O U R L E PANEGYRIQUE D E S. A N D R E’.
fon amour pour elle, & le deſir de la ſouffrir en foy-même. La croix que le
Fils de Dieu endura fe forma inviſiblement dans le coeur de ce Diſciple.
Deux choſes pouvoient juſqu'alors rendre le ſupplice de la croix terrible
aux yeux des Apôtres, l'ignominie & la douleur : mais elle perdit ces deux
qualitez dans le fang de Jesus CH Rist. Hélas ! de quels yeux regarda-t-il cet
objet ? Il lui parût comme un trône d’honneur où ſes déſirs devoient prétendre ;
au lieu des cloux, & des épines, il n'y void que des plaiſirs & des couronnes,
que Jesus-CHR 1st mourant y avoit attachez. Faut-il s'étonner , fi la voyant
revêtué de ces ornemens , il la défire ? & faut-il d'autres témoignages de fes
défirs, que ceux qu’il en donne lui-même, par le mouvement que fon coeur
produiſit au déhors quand il vir paroître cette croix, où il devoit être atta
ché. Le coeur d'André reçut toutes ces imprestions du coeur de fon cher
Maître : il porte dans fon ame les mêmes déſirs,& il en témoigne les empreſ
femens avec la même ardeur. Remarquez trois qualitez dans ſes défirs : il la
fouhaite long-temps : Diu deſiderata: il la défire avec ardeur : Concupiſcenti
animo , & il la recherche fans relâche. Monsteur Biroat, Panegyrique des
Saints. -*
|- i Saint Bernard remarque trois degrez dans cette victoire : Non modo pa
. tienter, fed , & libenter, verkm , eý ardenter ad tormenta ſicut ad ornamenta,
fouffe is ad pænas, ſicut ad delicias ibat. Il meurt avec patience, fans que jamais la
fupplice de violence de fa douleur pût dérober à fon coeur une foibleſſe , ny à fa bouche
la crois 'n ne plainte. Ce n'est pas aflez , il meurt volontiers , & avec fatisfaction.
". | Encore plus, il va au fupplice avec la même ardeur , que s'il alloit à des cou
grace du ronnes ; il y court avec la même violence , que les autres courent aux délices.
šauveur. Ah ! c’eſt un effet de la force de fon amour pour Jesus,& de la puiſſance de la
grace ſur ce faint Apôtre, & de la plénitude des conſolations que Dieu répand
dans fon coeur, à la vůë de la croix;Le Sauveur avoit été delaiſle de fon Pere en
cette derniere occaſion, il avoit été privé de toutes les conſolations fenſibles,
qu'il fembloit devoir eſpérer de fa bonté. C'eſt , difent les Peres, qu'il réſer
voit ces douceurs pour les verſer ſur les tourmens de ſes Martyrs. Le
77237726”.
sentimens Faut-il s’étonner fi André triomphe à la vůë de cette croix, s'il court au-de
de iº : & vant d'elle , pour y fentir les plaiſirs que la main de Dieu lui préſente, &
s'il lui témoigne fon ardeur, & fa joye, comme fi la croix étoit fenſible à ſon
A la amour ? Securus , & gaudens venio ad te. O croix arroſée du fang de mon Maî
vậë de la tre, fource de ſes joyes, & de fes plaifirs! c'eſt avec affećtion , & avec joye,
croix. que je me jette entre vos bras. Ne peut-il donc pas dire en cette occafion,
ce que diſoit un autre Apôtre : Superabundo gaudio. J'ay une furabondance 'de
joye , & de courage, je ſouffre ce tourment ; mais je me ſens tranſporté de joye
de ce que je vais le ſouffrir : Superabundo, je ſens tant de joye en moy même,
que j'en ay affez pour en répandre fur ma croix, afin de faire voir que la croix
eſt l'objet de mes défirs, & le fujet des mes triomphes. Il fant admirer un
dernier triomphe dans fa croix , qui fe prend de la différence du crucifiement
de faint André d'avec celui du Sauveur. Le Sauveur eſt attaché à la croix
avec des cloux qui lui ôtent la liberté d'en deſcendre, à moins que de faire
des miracles. Saint André y eſt attaché avec des liens affez faciles à rompre;
il y demeure deux jours ſans mourir, c'eſt afin de laſſer ſa patience par la
- longueur
P ARA G R AP H E S I X I E’M E. 4I
longưeur du tourment, & que la facilité de fe délivrer , l'oblige pûtôt d’en
deſcendre. Mais qu’on n’attende pas ce lâche conſentement d'un Apôtre , il
fe ſervira de cette longueur, & de cette facilité, pour augmenter ſon triomphe.
Pour mourir tout d'un coup, il ne faut qu'une réſolution d'un quart d'heure ;
mais pour vivre deux jours en croix, il faut renouveller à tous momens fon
courage , & fa réſolution. Ainſi , mourant en cet état , il meurt de mille
morts , & avec mille fouffrances réiterées, comme fi ce n'étoit pas aſſez de
mourir une fois. Le même.
André, en vertu du choix que la grace a fait de lui, devient un des plus , L'étenduë
grands Apôtres , & des plus grands conquérans du Fils de Dieu. Repoufer : la
les ennemis du Sấuveur juſqu'au de là de leurs frontieres, foûmettre le Scythe «
& le Sarmate , convertir des millions de barbares, forcer la Grece, & la pays où ii a
Thrace de renverſer leurs idoles; voilà l’occupation de nôtre Apôtre pendant porté la foy
A
Le zele de Si faint André a fait connoître de la forte le Sauveur du monde aux peu
cet Ä ples les plus barbares, ſon zele ne l'a pas moins ſollicité d'instruire les plus polis,
ne s'eſt pas
corttenté de & les plus civilifez, je veux dire les Grecs, les plus fçavans, mais les plus fu
faire con perſtitieux de tous les peuples. Icy , il lui faut combattre des Athées, qui en
ncître II font venus là, plûtôt par la corruption de leur coeur abandonné à toutes les
ses CHR. 1 sr
aux peuples
paffions, que par les faufies ſubtilitez de leur raiſon corrompuë. Là il faut at
les plus bar taquer l'idolâtrie, qui contre toutes les lumieres de la raiſon, a introduit une
b: res , il a multitude monſtrueuſe de Divinitez. D’un autre côté, il faut détruire un liber
a ffi instruit
tinage affreux, & arrêter un debordement de vices authoriſé par l'exemple de
les plus po leurs Dieux fabuleux. A quels travaux ne doit pas s'attendre ce faint Apótre ?
PARAGR APHE S I X I E’ ME.
Mais quels ſuccès doit-il attendre de ſes travaux : Voyons-le je vous prie. L'A-lis & les.
chaïe, qui en eſt une des principales Provinces, fit le principal objet de fon zele; i civili
c'est-là où il ſe partage entre le vice, la ſuperstition , & l'herefie qui y avoit ‘**
déja pénétré. Il lui faut bâtir, & détruire tout-à la fois, & dans un même
champ, arracher la zizanie , & cüeillir une moiſſon ; faire connoître aux uns
quel étoit le Fils de Dieu, & montrer aux autres ce qu'il n'étoit pas ; parce
que du temps des Apôtres , il s'étoit déja élevé des Hérétiques, qui ne lui don
noient qu'un corps phantastique. Or, le connoître de la forte, c'étoit ne le con
noître pas. C'eſt donc à le faire connoître que s'employe le zele de nôtre Apôtre,
avec toute l'ardeur imaginable, en ſe partageant aux uns , & aux autres. Les
vices, & les moeurs corrompues de ces peuples ne lui donnent pas moins
d'exercice, que leurs erreurs, & il ne s'y occupe pas avec un moindre ſuccès ;
témoin la converſion fameuſe de ce vieillard impudique, qui après avoir paſſé
plus de ſoixante ans, dans une vie infâme , & débordée, conçut par les prédica
tions de ce grand Saint, quelque eſpérance en la mifericorde de Dieu ; & le
Saint obtint pour ce pécheur, la grace d'une parfaite pénitence, & le bonheur
d'une fainte mort. Miraçłe grand à la vérité! mais qu'eſt-ce que Dieu peut refu
fer à la charité d'un Apôtre qui n'a en vůë que de le faire glorifier.Tous les vices
que l'idolâtrie nourriſſoit dans ce pays, & qui reciproquement entretenoient
l'idolâtrie , ſemblent diſparoître lorſqu'il approche de quelque lieu. Il prêche, il
instruit, il confond les Idolâtres, & fait tant de prodiges, qu'il triomphe de
tout ce qui s'oppoſe à ſon zele, & à fa charité. L'Autheur des Sermons fur dif
ferens fujets , &c.
Pour comble de gloire de cet Apôtre, je diray qu'il a perſéveré dans cette . L'admira
croix comme ſon Maître, qui n'en voulut jamais deſcendre, quelque reproche “ -
qu'on lui fit de ſon impuiſſance, & quelque promeſſe qu'on lui pût faire de le
tenir pour Fils de Dieu, ſi lui-même s’en pouvoit détacher : Si Rex Iſrael est , ce sa de
deſcendat de cruce, & credimus ei. Ce fut ce modelle que faint André ſe propo- vo loir
fa devant les yeux ; & certes il avoit ſouhaité cette croix avec trop d'ardeur , Mourit ſur
& de paffion, pour vouloir l'abandonner, & ne pas conſommer ſon facrifice en- le
tre fes bras; juſques-là, que le peuple émû par ſes prédications & par fa conſtan- s r.
ce , courut tout furieux à la maiſon du Preconful, pour l'obliger à le faire dé- 1.4a co,i,.
tacher , & à le mettre en liberté. Il y vint lui-même en perſonne pour les ſa- 1. Matth. 17.
tisfaire, de crainte que le déſordre, & le tumulte n'allât plus loin, & ce fut
en cette occaſion que nôtre Saint profera ces paroles, qui ont fervi de ſujet à
fon éloge ; Magister meus, quem cognovi, quem dilexi, quem confeffus fum ;
jube me de cruce ista non deponi, nist prius ſpiritum meum fuceperis. Ah !
mon Sauveur ! & mon cher Maître, que j’ay connu, & que j’ay tant aimé,
& que je confeſſe encore maintenant, ne me privez pas du bonheur que j'ay
tant ſouhaité ; & puiſque vous n'avez pas voulu vous-même deſcendre de la
croix, ne permettez pas que je quitte cet objet de mes væux, & de mes eſpé
rances. Sa priere fut efficace; on tâche de le délier pour appaifer les cris du peu
ple ; On voulut monter à cette croix, mais, comme fi elle eut fui , ou qu'elle
fe fut échappée , ils ne la purent toucher; on s'efforce de couper les cordes,
mais les bras demeurent immobiles en les étendant. Leur compaſſion tient
lieu de martyre à l'Apôtre, puiſque fa croix fait ſes délices. Tous leurs efforts
font inutiles, parce que le Saint employe les fiens pour les en empêcher , mar
F ij
44 PO U R L E PANEGYRIQUE D E S. AN D R E’.
quant autant de perſéverance à les en empêcher, qu'il avoit témoigné de défir à
y être attaché, & de courage à y perſéverer, & mourir pour la gloire de Jesus
CHRIST. Le même.
Nous ne
Dès le moment que nous naiſſons, & que nous commençons à joüir de la
pouvons lumiere , nous trouvons des croix, & des peines en nôtre chemin ; elles ſe mul
manquer
d'occaſions tiplient , elles s'augmentent avec nos jours , elles nous accompagnent dans
de ſouffrir tous les âges , & tous les états où nous nous trouvons ; & nous éprouvons la
en cette vie, verité de ces paroles du faint homme Job : Militia est vita hominis ſuper terram.
& de porter C'eſt-à-dire, que l'on paſſe fa vie dans les combats, dans les fouffrances, dans
nôtre croix.
f.b. 7. les contradićtions perpetuelles, les unes viennent de l'alteration du tempera
ment, ce font les maladies , les autres des accidens imprévûs,comme les playes,
& les bleſſures douloureuſes ; les autres de la corruption du coeur, comme les
paffions, & les péchez qui en font les effets ; les autres de l'envie , & de l'in
juſtice des hommes , ce font les pertes de biens, & le renverſement des fortu
nes ; la ruine de l'eſtime , & de la réputation ; les autres de la malignité des en
nemis, qui confiſte dans l'application qu'ils ont à nous nuire , & à nous fuſciter
des perſecutions injuſtes. Anfi il n'y a rien icy bas qu'amertumes, que tribula
tions, que fouffrances, & que croix ; mais on demande ce qu’il faut faire dans
ces miferes, ces ſouffrances, & ces différentes tribulations, dont nous ſommes
inceſſamment attaquez dans cette multitude de maux qui nous environnent. Je
réponds qu'il en faut faire l'uſage Dicu veut qu'on en faſſe, les fouffrir
en paix, de quelque nature qu'ils puiſſent être, les recevoir de la main de Dieư
comme des moyens , & des occaſions de purifier nos coeurs, de fanćtifier nos
voyes, d'imiter les fouffrances du Sauveur, & de faint André , & de mériter
les recompenſes qu'il a destinées à ceux qui auront porté leur croix, & ſouffert
patiemment pour ſon amour. L'Abbé de la Trappe Jes Réflexions morales fur
l'Evangile de faint Marc.
45
P O U R
Comme nous ne recueillons icy que ce hui peut fervir à l'éloge de S. Thomas, le
Prédicateur, 1 º. ne doit point taire fon infidelité, mais la faire fentir par toutes les
circonstances rapportées dans l'Evangile ; puis qu'outre qu'il l'a réparée avantageu
fement, c'est ce qui fait éclater davantage la mifericorde de Dieu envers cet Apô
tre. 2º. Il doit faire remarquer que ce même Apôtre s'est fignalé en la chofe à
quoy il s'éteit montré le plus oppoſe, favoir, de publier & de porter la Foy de la Foy
de la Reſurrettion juſqu'aux extrémitez de la terre, après l'avoir fi opiniâtrément .
combatue. 3°. Il ne doit pas omettre les refléxions morales & naturelles, que ce fujet
lui préfente , d'invectiver fortement contre l'incrédulité de certains eſprits, qui ne
veulent croire que ce qu'ils voyent, & contre la Foy chancelante & languistante de la
*
plipart des Chrétiens de ce temps.
46 P o U R L E PANEGYRIQUE D E S. T H OM A S.
P A RAGRA P H E P R E M I E R.
puiſqu'il a entrepris de la prêcher aux peuples les plus éloignez, & les plus *
barbares, avec des travaux inconcevables. 3°. La plus conſtante, & la plus
inébranlable , puiſqu'il fouffrit la mort pour ſa défenſe.
L e Saint-Eſprit dans l'Ecriture Sainte, appelle ordinairement les grands V I.
crimes, des abîmes, & des puits profonds, où les pecheurs ſe précipitent :
mais fur tout, l'infidélité eſt de ce nombre ; la raiſon est que la foy eſt le
fondement, & la baſe de routes les vertus, & particulierement de l'eſpé Ad Heb. I 1.
rance : Fides est ſperandarum ſubstantia rerum. Or l'infidelité qui détruit la
foy, détruit par conféquent le fondement , & renverſe rout l'édifice ſpiri
tüel ; ainſi elle fair dans l'ame un abîme fans fond de malheurs & de mi
fercs , & c'est celui dans lequel faint Thomas s'eſt précipité.
Premiere Partie. Deſcendons dans la confidération de la profondeur de
cet abîme par trois degrez , qui font trois circonstances de l'infidélité de
cet Apôtre. La premiere, eſt la foibleſſe criminelle de fon eſprit ; car il
devoit avoir appris par la vůë de tant de miracles que le Sauveur avoit
operez, que le pouvoir de fon Maître alloit infiniment au de-là de toutes
fes penſees. La , est l'obſtination orgüeilleufe de fa volonté ; car lui
feul, par ſon opiniâtreté, s'oppoſe au fentiment de toute l'Egliſe qui étoit
alors,& s’attachant par un orgueil inſupportable à ſon propre jugement , il
aime mieux ſuivre løs doutes de ſon eſprit aveuglé , que d'adhérer au con
Paneg. des Saints. Tome I. G
5o P O UR LE PANEGYRIQUE DE S. T H O M A S.
fentement univerſel de tous ſes freres. La troifiéme, est fon extrême témérité,
qui paroît en ce qu'il veut donner des loix à Dieu , en proteſtant que:
s'il ne fait abſolument ce qu'il veut, c’est-à-dire, s'il ne touche fes playes,
& s'il ne porte fa main dans fon côté, il ne croira jamais qu’il foit reſſuſ
cité. Voilà dcquoy eſt capable un homme abandonné à ſoy-même , & les
dégrez Par leſquels cet Afôrre eſt tombé dans ce profond abime d'in
fidélité.
Seconde Partie. Conſidérons maintenant l'abîme de la miféricorde du
Fils de Dieu à l'égard de cet Apôtre infidéle. Cette miféricorde paroît prin
cipalement en trois choſes. 1°. Dans la patience admirable avec laquelle le
Sauveur ſupporte cet infidéle. 2º. En ce qu'il l'attaque, & le combat d'une
maniere pleine d'amour , en condeſcendant à ſon déſir, luy montrant fes
playes, &c. 3°. En ce que le ſuccès du combat est fi avantageux à faint.
Thomas, que fa chủte ne fert que pour le relever, & en faire un des plus
fidéles, & des plus zelez de ſes Apôtres. Pris du Pere Texier.
V I I. L'Ev ANGILE nous repréſente ſaint Thomas dans deux états bien dif
ferens ; car nous le voyons d'abord comme un Apôtre qui a perdu la foy,
& qui est tombé dans le dernier abîme de l'infidélité. Mais enſuite il nous
paroît comme un rebelle fostmis , qui voyant le Sauveur de ſes propres
fean. 1o. yeux, le reconnoît pour ſon Seigneur , & pour fon Dieu : Domintis meus ,
C” ‘Deus meus ! Ce qui nous donne lieu de faire ces deux réfléxions ; la pré
miere, que fi l'Apôtre tombe dans l'infidélité, à quelque degré de vertu
que nous puiſſions être élevez, nous devons toûjours craindre , & ne comp
ter jamais fur nos propres forces. La feconde, que fi un infidele devicnt
inébranlable dans la foy juſqu'à ſouffrir la mort pour ſa défenſe , dans quel
que abîme de corruption que nous foyons plongez, nous ne devons jamais
deſeſpérer de la miféricorde de Dieu. L'Abbé de Montmorel.
V I I I. O N peut faire voir dans un diſcours ſur ce ſujet. 1°. Le foin , & la
peine que le Sauveur a priſe pour affermir la foy de faint Thomas ; car il ap
paroît après ſa Réſurrećtion, exprès pour luy : il condeſcend à ce qu'il de
mande ; il l'avertit de n'être plus incrédule après une conviction fi cyidentc.
2°. Le foin qu'a pris faint Thomas d'étendre, & de défendre la foy du Sau
veur en la prêchant avec un zele infatigable ; en la portant juſqu'aux extrê
mirez de la terre, & enfin fouffrant la mort pour la défendre.
P A R A G R A P H E S E C O N D.,
Les fources où l’on peut trouver dequoy remplir ces deffeins, & les
Auteurs qui en traitent.
Les faints S Augustin dans le troifiéme Sermon ſur l'Evangile du Dimanche d'a
Percs. près Pâque , fur ces paroles: Affer manum tuam , G mitte in latus meum,
parle de l'incrédulité de faint Thomas, & de la merveilleuſe condeſcendance
du Fils de Dieu envers cet Apôtre.
Le même, Sermon 1 ; 8. aſsûre que faint Thomas trouva l'affermiſſement de
fa foy, en touchant les playes de Jesus-CHRIST.
P ARA GRAPHE S E C O N D. 51
Le même, fur faint Jean, où il explique ces paroles : Dominus meus , &
JDeus meur.
Le même, dans l'Epître 23 o. releve le mérite de ce faint Apôtre.
f Saint Gregoire, homel. 29. fur les Evangiles, s'étend beaucoup ſur ce
uJet.
Origene , lib. 2. in Celſum , foûtient que faint Thomas mit ſes doigts
dans les trous des cloux , & de la lance, & dit fur ce ſujet de belles
choſes.
Saint Chryſostome, homil. 61. in Joannem , marque que cet Apôtre a dé
truit par avance l'herefie de Neſtorius.
Le même, tome 6. Homel. ; 1. d'écrit éloquemment les pays qu'il a par
COU Ill.
Parmi les Sermons du même Saint, le 84. eſt preſque tout entier un éloge
de cet Apôtre. -
Dans l’ouvrage imparfait fur faint Matthieu, Homel. ſeconde, il eſt rap
porté que faint Thomas a eté dans le pays des Mages, & qu'il les a employez
à la prédication.
S. Gaudence , Homel. 17. s'étend ſur les circonstances de la mort de ce
Saint.
Parmi les ouvrages de faint Chryſostome, tom. 6. il y a un Sermon, c'eſt
le 3 2. où ſaint Thomas eſt magnifiquement loüé.
Saint Thomas l'Ange de l'École, a un Sermon fur cet Apôtre, où faiſant
alluſion à ſon nom qui ſignifie un abîme , il le repréſente comme un abime
d'infidélité, & enſuite comme un abîme de vertus.
Denys le Chartreux, a deux Sermons à la loüange de cet Apôtre.
Albert le Grand, ſur ces paroles que le Sauveur dit à faint Thomas 3
Infer digitum tuum huc, & noli effe incredulus, prouve la vérité de la Réſurrection
du Fils de Dieu.
Guillaume de Paris, dans le ſecond, & rroifiéme Sermon à la loüange de
cet Apôtre, en rapporte pluſieurs particularitez. |- y
-t--
Homas , unus . ex duodecim non Homas l'un des douze , n'étoit pas avec
erat cnm eis , quando venit feſus. eux lorſque J E s u s vint.
}oan zo.
Dixerunt ei alij Diſcipuli , vidimus Do Les autres Diſciples lui dirent , nous avons
minum. lbidem. vů le Seigneur.
Ille autem dixit eis : niß videro in ma Thomas leur répondit : Si je ne vois dans ſes
nibus ejus fixuram clavorum, & mittam mains la marque des cloux, & ſi je ne mets ma
digitum meum in latus ejus, non credam. main dans la Playe de fon côté , je ne le croi
lbidem. rai point.
fefus dicit Thoma , infer digitum tuum J E s u s dit enſuite à Thomas , portez icy
huc, cr vide manus meas , Ở affer ma vôtre doigt , & voyez mcs mains, & portez icy
num tuam , Cr mitte in latus meum , vôtre main , & mettez-là dans mon côté , & ne
cr noli effe incredulus , fed fidelis. foyez pas incrédule, mais fidele.
lb: dem.
ir Reſpondit Thomas , 6 dixit ei : Thomas répondit , & lui dit: mon Seigneur,
Dominus meus , Cr Deus neus ! Ibi & mon Dieu !
dem. -
Ruia vidisti me Thoma , credidisti : Vous avez cru Thomas ; parce que vous m'a
brati qui non viderunt , cr crediderunt , vez vû ; heureux ceux qui n'ont Point vû , &
Ibidem. qui ont cru.
-
PAR A G RA PH E
r - - - -
T R O I S IE’M E. 53
Nist ſigna , & predigia videritis, non Si vous ne voyez des miracles , & des prodi
credetis. Matth. 12. ges, vous ne croirez point.
Eamus Ó nos , & moriamur cum illo, Allons , & moutons avec lui.
-
-
- * - -
|Joan. 1 f. -
Rui non credit jam judicatus est. Celui qui refuſe de croire, est déja condamné.
Joan. 3. ** : * R
vit«. 1. Joan. 1. |-
- | *
Fides est fperandarum fubstantia rerum. La foy est le fondement des choſes que l'on
Ad Hebr. 1 1. eſpere.
Nonne cor nostrum ardens erat in nobis, Nôtre coeur n'étoit-il pas tout brûlant d'a
dum loqueretur nobis, in via. Luc. 24. mour, lors qu'il nous parloit durant le chemin.
Palpate, é videte, quia fpiritus carnem, Touchez , & voyez qu'un eſprit n'a pas de la
čr offa non habet , ſicut me videtis habere. chair , & des os comme vous voyez que j'en ai.
Joan. 2o.
In manibus meis deſcripſi te. Iſaiæ. 49. Je vous ai écrit dans mes mains.
Vulnerasti cor meum, Cant.4. Vous avez bleſſé mon corur.
Et tu aliquando converſus confirma Et vous après vôtre converſion, confirmez vos
fratres tuos. Luc. 12. fretes.
Le ſerpent d'airain expoſé aux yeux des Iſraëlites guérifioit tous ceux qui Les playes
avoient été mordus par les ferpens de feu ; ils n'avoient cet effet du Sauveur
qu'à découvrir leurs playes. Ainſi le Fils de Dieu découvre es playes aux àfaint l'égard de
Tho
Apôtres, & à faint Thomas , avec des circonstances particulieres ; il applique In2S cu I cnt
ce remede efficace à ſon incrédulité, avec d'autant plus de foin, que cet Apô- un effet
tre en avoit un plus grand beſoin. Il l'oblige de porter la main à fon côté , & ft mblable
au ferpent
de regarder ſes playes vivifiantes , pour être gueri de ſes bleſſures mor d'airain à
telles.
* - A A - l'égard des
La fituation de faint Thomas fût en même temps , & auſſi triste , & Juifs.
auſſi heureuſe que celle des anciens Prêtres, qui dans les temps de défola créLequi
feu fa
fut
tion ayant caché le feu ſacré dans le fond d’un puits, ne trouverent qu’une caché dans
eau bourbeuſe, & du limon, au licu de ce feu qui devoit être allumé dans le un puits , &
Sanctuaire. Mais cette eau épaiſle , expoſée aux rayons du ſoleil, fe conver- changé en
tit en un feu qui tranſporta de joye tout le peuple d'Iſraël, & lui fit eſpérer jau bour
que le Seigneur continuëroit fes anciennes miſericordes. La foy de faint Tho- »
mas allumée dans le fond de ſon coeur, comme un feu ſacré, devoit y demeu- : -
rer cachée, & s'y conſerver, juſqu'au temps de la manifeſtation prefcrite par rayons du
la ſageſſe de Dieu. Mais ce feu fut converti en limon par l'infidelité de cet ſoleil, figu
Apôtre. Au lieu de lumiere, ce limon n'exhaloit qu'une mauvaife odeur ca-; l éta de
»• * - * .** -
la foy
inte , &
pable d'infećter toute l'Egliſe naiſiante ; mais des playes de Jesus-CHR1st , il enſuite i al
en fortir une lumiere fi brillante , & tant de chaleur, que cette foy éteinte, lemể de
ce lir. : “ i s fût converti cn une lumicre fi éclatante, que le College des S. Thomas.
- G iij
54 P O U R L E PANEGYRIQUE D E S. T H o MAS.
1. Mac. 6. Apôtres entra en admiration ; Tempus eficitur quo ſol refulfit, qui prius erat in
nubilo : & accenſus, & ignis, ita ut omnes mirarentur.
saint Tho. Comme le nom de Thomas ſignifie abîme, ainſi que l'enſeigne l'Ange de
mas ºnt li l'Ecole, dans un Sermon qu'il a fait ſur ce faint Apôtre, on peut faire com
nom ſignifie paraiſon de Thomas avec l'abîme du néant, dont Dieu tira toutes les créatures.
un abî ne , / _ • / - s – 1_ A -
, Dans la création, les ténébres couvroient toute la face de l'abîme, & faint Tho
vec l'abîme mas ne fe fût pas plûtốt đéclaré contre la vériré de la Réſurrection de ſon Maî
du néant. tre, que les ténébres de l'infidélité couvrirent fon eſprit, Dieu parla aux té
nébres de l'abîme, pour en faire fortir la lumiere : Fiat lux; & paur rendre à
faint Thomas les lumieres de la foy qu'il avoit perduë par ſon obstination, le
Fils de Dieu lui dit : Portez icy vôtre doigt, & voyez mes mains ; portez icy
vôtre main, mettez-là dans mon côté, & ne foyez pas incrédule , mais fidéle.
La lumiere que Dieu tira du prémier abîme, avoit deux opérations différen
tes ; elle éclairoit le rhême abîme d'où elle étoit fortie , & elle éclairoit les
autres créatures, elle leur fervoit de guide , & de flambeau. Telle eſt la lu
miere de la foy, que le Fils de Dieu verſe dans l'eſprit de faint Thomas ;
elle l'éclaire, & elle éclaire toute l Eglife. Thomas ne l'a pas fi-tôt reçủë par
l'attouchement des playes de Jesus, que détestant fon infideliré , il avouë fa
Réſurrećtion, & proteſte par une double confeſſion, qu'il est fon Seigneur, &
fon Dieu ; c'eſt-à-dirc , Dieu & hornme tout enſemble, dans une unité de
perſonne : Dominus meus , & Deus meus :
$ in Thºr Saint Thomas est entre les fideles, ce que faint Jean-Baptiste a été entre
* les Prophetes. Ceux-cy ont prédit le Meſlie, mais ils ne l'ont point vû ; ces
jean-Baptiſ- deux avantages étoient réſervez à Jean-Baptiste. Il a été Prophere, & plus que
ce , & en Prophete, ou plus heureux que tous les Prophetes ; il a vů , & prophctiſé tout
quoj« enſemble ; il a prédit, & montré du doigt l'Agneau fans tache, qui a cffacé
les pechez du monde. Il en eſt de même de faint Thomas à l'égard de tous
les fideles ; ceux-cy font heureux, parce qu'ils connoiffent Jesus-CHR1 sr par
la foy:Huc est vita sterna: ut cognoſcant te folum verum Deum, & quem miſisti
#efum Christum. Ils le croyent, mais ils ne le voyent point, & ils ne le ver
ront que dans le Ciel. Saint Thomas est plus heureux, il le voit, il le croit,
& le touche du doigt tout enſemble.
Tous les Je ne fçay fi ce n'est point une de ces penſées pieuſes qui viennent quel
| quefois dans l'eſprit des perſonnes dévotes, de dire que tous les membres du
c du corps adorable du Sauveur ont triomphé du peché, ou de la mort, chacun
sauveur ont à leur tour ; mais il eſt constant qu'on a vů des prodiges de graces qu'ils
cu e me : ont operez en différentes occaſions. On a vů une Magdelene à ſes pieds, y
recevoir le pardon de ſes crimes; fes mains toute puistantes ont rendu la vie
« à un mort, en le touchant, par une vertu vivifiante qui ſembloit y être atta
for les ames, chée. Son coeur, fur lequel repoſa le bien-aimé Diſciple faint Jean , lui inſpi
mais parti ra les plus hauts fentimens d'une charité toute divine ; & enfin, tout le corps
de cet Homme-Dieu devint un inſtrument de graces, & de vertu, à l'égard
de cette femme qui toucha feulement la frange de fa robe avec une vive
Ill3S« foy. Mais diray-je que ſes pieds, & fes mains percez, ſon côté ouvert, &
tout fon corps reſſuſcité , ont triomphé tout à la fois de l’Apôtre faint Tho
changeant ſon infidélité opiniâtre en une foy qui fût depuis iné
í AIlia DiC. *
P A R A G R A P H E T R O I S I E’M E.
. Saint Eſtienne fût favoriſé des dons les plus éminens de graces, de force, La faveur
& de ſcience dont il confondit les Juifs ; il fût encore favoriſé d’une viſion reçût
celeſte, dans laquelle il vît Jesus-CHRIST à la droite de fon Pere. La force
de ce faint Levite redoubla fon amour pour ſes perſécuteurs. Le defir de pof i s v
féder ce qu'il voyoit prit un nouvel accroiſlement. Cet objet qu'il vit , & restufeité, &
qu'il ne poſledoit pas encore, le transforma au dedans, juſqu'à faire rejaillir rºcher
fur fon viſage, des rayons, qui le lui rendoient auſſi brillant , que le viſage
d'un Ange. Si cette vűë produiſit en faint Estienne de fi grands effets, grande :
faint Thomas, qui a ajoûté à la vůë , l'attouchement des playes ſacrées de celle qui fut
Jesus-CHR1
charité, sr , fon
& dans n'encourage.
a-t-il pas reſſenti une nouvelle ardeur dans fa foy, dans ſa e à faint
de -
La converſion de l'Apôtre faint Thomas est bien différente de celle des autres
Apôtres, & de la maniere dont le Fils de Dieu a attiré les autres pecheurs à ſon la droite de
fervice. Autrefois Jesus-Christ employa un rayon de fon viſage pour éclairer ſon Pere.
Magdelene ; il lui perça le coeur d’une fleche de ſon amour, dit l'Egliſe : f
Currit amore faucia. Il fe fervit d'un regard de fes yeux, pour convertir "
faint Pierre ; Converſus reſpexit Petrum; Deux ou trois paroles forties de ſa differente
bouche, fuffirent pour arracher Matthieu de fa banque; Veni, fequere me. Il de celle de
employa ſa voix accompagnée de lumieres, pour renverſer , & pour conver- les au
tir ſaint Paul ; mais il employe ſes playes adorables, & fur tout celle de fon . 2 2.
coeur, four convertir Thomas. Ces playes font des caraćteres ouvertes, d'où writth. 9.
fort un déluge de graces, pour inonder ce pecheur : Abyſsus ab ffilm invocat in Pfalm. 4r.
voce catarattarum tuarum. Ou bien ces playes foot des bouches éloquentes, - ,
dont il fe fert pour
rappeller, & convertir cet infidele ; Abyſſus dedit vocem abatue, s
fuam. Jamais pecheur ne fût combattu, & vaincu par des armes fi nobles, & -
fi belles ; puiſque Jesus-Christ n'employe pas ſeulement fes playes, mais fon *
cæur; puiſqu'il le veut convertir par l'attouchement de ſon côté ; Mitte ma foann. 2o.
num tuam in latus meum. ' , ' ' - - - - - - '' '' . . . . . . . .
Nous ne manquons pas d'exemples de grands pecheurs qui enſuite, par la
miféricorde du Seigneur, ſont devenus de grands Saints ; parce que Dieu qui
a fçủ tirer la lumiere des ténébres, tire auffi le bien du mal , & fait que tou
tes les aćtions des Saints fe tournent à leur avantage. Ainſi le Saint-Eſpriti
nous parle de David adultere, & de David pénitent; il nous fait voir Saul per
fécuteur, & Paul vaſe d'élection ; il nous mentre Magdelene péchereſſe, &
Magdelene convertie. Ainſi il nous fait voir Thomas incrédule, & Thomas,
éclairé, & zelé pour porter la foy, aux pays les plus éloignez. : -
- 1 ,* " " i 1. – . ; } .- \ 1 e ºí -i . ' . .
Applications de quelques Faffages de l’Ecriture à ce fajet. ' ' ·
Sicut tenebre ejus, ita, & lumen ejus. Pfal. 138. C’est une propriété de Saint Tho.
l'être de Dieu , que le Prophete Royal a remarquée y & dont il a nas peut
prétendu faire un ſujet d'éloge, quand il a dit, que les ténébres où Dieu ;
fe dérobe à nos yeux, & qui nous le cachent dans cette vie , ne font pas n
moins admirables, que ſa lumiere même ;, & que tout ce que nous décou- 1'infidelité,
vrons d'éclatant, & de lumineux dans fes perfećtions adorables, n'est pas unteres º
- *- / / - . -
plus glorieux pour lui, ny plus vénérable Po n : que a " y pa.
- -
Nist videro, non credam. Joan. 2o, Non-feulement faint Thomas ſe ſépara
des Apôtres; mais dans le doute où il étoit de la Réſurrećtion de fon Maî
tre , il ſe préoccupa , & conclut d'abord qu'il ne croiroit pas : Non credam.
# ce qui fit Quelle raiſon eut-il de s'en déclarer de la forte ? point d'autre , dit ſaint Chry
tomber faint foltome , qu'une prévention aveugle , qui lui fit prendre parti fans fçavoir
pourquoy , & qui l'engagea à conteſtet , & à nier une vérité, avant que de
s'en éclaircir , & de s'en inſtruire. Combien y a-t-il dans le ſiécle infidelle où
préven nous vivons, de ces prétendus eſprits forts, dont tout le raiſonnement fur
u inc.
tion avei- pluſieurs articles de la Réligion, ſe réduit à cette parole de faint Thomas:
gle telle . Non credam ? Ils n'ont jamais pénétré la difficulté de ces queſtions de foy,
- & peut être à peine la conçoivent-ils ? Bien loin d'en avoir fait une étude
exaćte, ils avoüent fouvent que ces matieres ne font pas de leur reſfort; ils
qui font les n'ont nulle évidence , & nulle demonſtration du contraire , & cependant ils
el?tits forts n'en diſent pas moins hardiment, Non credan. En faut-il d'avantage pour les :
c : , rss . confondre ? Ce qui les rend inexcuſables devant Dieu, c'eſt que fur tout le ,
- * reſte , ils auront, ſi vous voulez, de la docilité. Propoſez à un mondain de .
* ce caraćtere, les opinions les plus paradoxes d'une nouvelle Philoſophie qui
fait bruit , & ſe répand; avancez-lui même une opinion commune expoſée .
avec eſprit, il vous écoutera attentivement, & ſans préoccupation ; mais par
lez-lui d'une vérité de foy, il ſemble qu'il ſoit en garde contre Dieu, & qu'il :
ait droit de tenir pour i fon témoignage, N'y a-t-il pas en cela un
abandon viſible à ce que l'Ecriture appelle ſens reprouvé ? Non pas, Chrétiens,
prenez garde, s'il vous plaît à cette remarque , non pas que l'intention de.
Dieu foit que nous donnions aveuglément , & ſans choix en toutes fortes de
créances ; mais il veut, & avec juſtice , que nous examinions toutes cho
r. Ad Test ſes fans prévention , felon ce que dit. l'Apôtre : Omnia probate , quod bonum
/*loa, 5. e5i , tenete. * - * - -
Nous d-- Beati qui non viderunt . ; & crediderunt. Joan. 2o. Remercions Dieu , &
vons nous comptons pour une grace, finguliere de ce- que noas pouvons avoir le mé
estiner ea ritę de ne pas voir, & de croire , puiſque Jesus-Christ nous déclare qu'en
ceła même nous ſommes heureux. Ne foyonsopas aveugiez juſqu'à ce point,
reux que s. de nous en affliger, ny de nous en plaindre , & ne nous failons pas un malheur
Thomas, ds de la choſe méme dont, il nous a fair une béatitude. Souhaitons que nôtre
croirc foy ſoit plus abondante , plus agiſſante , pius fervente ; mais ne ſouhai
. tons pas qu'elle ſoit Plus évidente. Demandons à Dieu , non pas qu'elle ſoit
cIl
P AR A G RA PHE T R O IS I E’M E. 57
en elle-même plus éclairée, mais que nous foyons plus diſpoſez à être éclai vens pas fu
rez par elle , touchez par elle , fanćtifiez , & convertis par elic. Ne tombons jet de notis
plain dre de
point ſur tout dans le défordre de ces hommes infenſez dont parle l'Apôtre uóEr c ſoit.
faint Jude, qui après avoir corrompu tout ce qu'ils fçavent , condamnent
tout ce qu'ils ignorent, abuſant de ce qu'ils voyent, & de ce qu'ils ne vo
yent pas. Nous en voyons affez pour ne pas douter qu'il y a un Dicu, au
quel nous devons obeïr , & nous n’en voyons que trop pour attirer fur
nous toutes fes vangeances, ſi nous ne lui obéiſſons pas. J'en reviens à cet
avis important que donna Jesus - CHRIST à faint Thomas , & que je vous
donne : Noli effe incredulus, ſed fidelis. Préfervons-nous des défordres de l'in foan. 1 o.
crédulité, en nous foûmettant à la foy. Soyons fidelles, & foyons-le d'eſprit,
& de coeur. Soyons-le d'eſprit , en nous rendant dociles aux véritez de la foy,
& foyons-le de coeur, par un zele ardent pour la foy. Sur tout conformons
nôtre vie à nôtre foy, & honorons nôtre foy par nôtre vie. Que la foy foit
la régle de toutes nos aćtions ; que la foy foit le reméde de toutes nos
paſſions ; que la foy ſoit le principe de toutes nos déliberations.
Charitate vulneratà fum. Cant. 4 On peut faire l'application de ce paſſage, duLes playes
Sauveur
qui fe lit autrement dans la Vulgate, au glorieux faint Thomas, en difant firent d'au
que les playes du Sauveur, par une opération qui leur est finguliere , firent tres plaves
d'autres playes à cet Apôtre , & particulierement celle du coeur de J E s u s an cerut dc
en fit une au coeur de Thomas , en lui inſpirant un amour le plus fort , & plus S. Thotmas.
ardent envers fon Sauveur, & ſon Dieu. C'eſt à quoy ne contribua pas peu la
condeſcendance admirable que le Fils de Dieu avoit eûë de le prendre par
fes propres paroles ; car, comme remarque faint Auguſtin, il ne lui fit point
de reproche pour le confondre : mais la playe de fon coeui fut une bouche
éloquente , qui felon la penſée de ce faint Doćteur, lui parla au fond du
coeưt , & lui fit entendre ces paroles pleines de tendreſſe, & de bonté ;
Occiſus fum propter te ; per locum quem vis tangere , fanguinem fudi ut redine
rem te, & adhuc dubitas de me , nist tetigeris me. Ecce , & hoc prºsto s tange,
& crede ; inveni locum vulneris , fina vulnus dubitationis. J'ai fouffert la mort
pour ton amour ; j’ay verſé le reste de mon fang par la playe que tu veux
toucher; & tu peux encore douter , & même proteſter avec opiniâtreté,
que ſi tu ne touche, tu ne croiras point. Hć bien ! je t'accorde encore cette
faveur : touche-donc, & crois enfin, convaincu par tes propres fens, cher
che ma playe , & gueris la tienne. Ah ! il n'en falloit pas tant pour remplir
cet Apôtre de douleur, & de confufion ; il ne falloit pas tant de feu pour
rallumer ce flambeau éteint, & l’ernbrafer d'une charité toute divine ; austi.
n'en peut-il retenir la prémiere ardeur ; mais laiſlant ailer ſon coeur où ſon
eſprit éclairé le conduiſoit , il s'écria : ‘Dominus meus, & Deus meus ! O mon
Seigneur, & mon Dieu ! je ferois indigne de la grace que vous me faites,
fi en me montrant vôtre coeur tout ouvert, je ne vous ouvrois entierement le
mien ; & ſi étant convainçu de la grandeur de vôtre amour , auſſi-bien que
de la vérité de vôtre Réſurrećtion , l'ardeur de mon zele ne répondoit
aux lumieres que vous répandez dans mon eſprit. La meſure de mon
amour ſera doreſenavant celle de ma foy ; perſonne n'a jamais été
convaincu comme je lc fuis : perſonne ne vous aimera jamais comme
moy.
Paneg. de Sainti. Tome I. - - H
58 P O U R L E PANEGYRIQUE D E S. T H O M A S.
Comme A fus abyſſum invocat. Pſal. 41. L'Ange de l'Ecole, dans un Sermon qu'il
S. Thomas a fait en l'honneur de faint Thomas l’Apôtte , dit que Thomas en langue fain
a pade dans
abime un te , fignific un abîme ,, &
- & que
q nous pouvons appliquer a: cet Apôtre
pouvons appliquer Apotr dansS f.
12t
aute converſion , ces paroles de David : Abyſsus abyjum invocat in voce catarattarum.
abine, de L’abîme profond d'infideliré où cet Apôtre eſt tombé , appelle, c'eſt-à-dire,
celui de l'i”- demande le fecours du grand abîme de la miféricorde de ſon Maître, qui par
ſes Playes , comme par autant d'ouvertures , & de cataraćtes, fait fortir ce
o deluge de fang qui a lavé le monde entier, & guéri les playes de faint Tho
de du Sau- mas ; ou bien, comme pourſuit le même Doćteur Angelique,cet Apôtre est forti
veur , &c. heureuſement de l'abîme de fon erreur, pour entrer dans un abîme de foy, de
cilarité , & de toutes les autres vertus ; d'où il a élevé ſa voix, pour la faire
enrendre à tous les pecheurs qui font tombez dans des abîmes de maux ; qu’ils
ne doivent jamais deffperer ; parce qu'il n'y a point de fi grands crimes, dont
avec la miféricorde de Dieu , ils ne puiſſent fortir. Car, felon faint Paul, tout
concourt au bien des Justes , & même les péchez, dit faint Augustin : Dili
geatibus Dominum omnia cooperantur in bonum : etiam peccata. Deſcendons
dans la conſidération de la profondeur de cet abîme, par trois degrez, qui font
trois circonstances de l'infidelité de faint Thomas. La prémiere , c'est la foi
bleile criminelle de fon eſprit; la feconde, c'est l'obstination orgueilleuſe de fa
yo'onté ; la troifiéme , ſa témérité de vouloir donner des régles, impoſer des
|- loix à Dieu même.
H : Til aliquandò converſus , confirma fratres tuos. Luc. z 2. Ce font les paroles
que le Sauveur du monde dit à faint Pierre , pour lui faire entendre, qu'il
dans devoit un jour fortifier fes freres par la fermeté de fa foy , après les avoir ſcan
l'infidelité , daliſez par l'exemple de fa châte , & que cet Apôtre , qui le devoit fi lâche
ºſº º ment defavoier à la voix d'une fimple fervantc , étoit choiſi pour être dans fa
perſonne, & dans celle de ſes ſucceſſeurs, le Chef viſible de fon Egliſe en ter
, re , & le dépoſitaire des clefs qui ouvrent, & qui ferment les portes du
confirmer Royaume des Cieux. ll est aisé de voir que ces paroles conviennent à faint
a Thomas, puiſque perſonne n'ignore que cet Apôtre fut particulierement deſ
dans la foy. tiné par la Providence pour confirmer tous les Fidelles dans la créance du
myſtere fondamental de la Réligion, après l'avoir combattu par ſon obstina
tion à ne le pas croire, & que Jesus-CHRIsr ne permit qn’il tombât dans l'in
fidelité, qu'afin d'avoir lieu de l'en guérir par des témoignages fi fenſibles, &
fi convaincans, qu'ils puffent fervir de preuves aux Chrétiens de tous les
fiécles avenir. C'est donc à cet Apôtre, à qui Jesus-CHRist a dit : Après vô
tre converſion , confirmez vos freres ; Tu aliquando, converſus , confirma fra
tref fff0f,
Cer Afô- Dominus meus, & Deus meus! Cette confeſſion de foy ne répare-t-elle pas
avantageuſement le ſcandale que l'infidelité de cet Apôtre avoit cauſés & joſe
dire qu'elle ne cede point à celle que fit le Prince des Apôtres, lorſqu'il dit
frandals hautement qu'il reconnoiſſoit Jesus-CHR1st pour le Fils de Dieu vivant. Car ,
qs'il avoit fi faint Pierre éleve Jesus-CHRIST , au-deſſus des plus lautes Intelligences,
en le faifant égal au Pere Eternel ; Tu es Christus filius Dei vivi 5 Saint Tho
dniité. mas ne donne pas à Jesus-CHRIs T un rang moins élevé, en l'appellant fon
Math. 16. Seigneur , & fon Dieu , qui font les deux titres les plus auguſtes, dont
l'un déclare fa puistance , & l'autre ſa nature, & ſa grandeur.
|- « - - - -
PA R A G RA P H E T R O I S I E’ M E. 59
Daminus meus, Ở Deus meus ! C’eſt la foy qui parle par la bouche de L'excellen
cet Apôtre , & qui paroit dautant plus excellente qu'il s'est rendu plus : la foy
difficile à croire. S'il a failli en ne croyant pas aſſez-tôt, il a bien réparé ſa *
faute , par l'excellente confeſſion de foy qu'il a faite ; car c'est le prémier -
qui a confeſſé clairement que Jesus - CHR ist étoit vrai Dieu , & vrai hom
me: Dominus meus, & Deus meus ; vous êtes mon Seigneur, & mon Dieu.
Vous êtes mon Dieu : car un autre que Dieu ne peut ſe reffuſciter lui-mê
me par fa propre force ; & vous êtes mon Seigneur, parce que vous êtes mon
Ditu. Vous êtes mon Seigneur & mon Dieu, parce que vous êtes mon Sau
veur, qui m'avez racheté par vos ſacrées playes. Dieu feul ne pouvoit pas mou
rir ; un homme ſeul ne pouvoit pas , en rigueur, payer mes dettes , vous êtes
donc vrai Dieu , & vrai homme , puiſque vous êtes mort pour me redonner la
liberté avec la vie ; je vois l'un , & je crois l'autre. Je crois que vous êtes
Dieu, parce que je vois briller des playes ſur le corps d'un homme reffuſcité.
Ces précieuſes playes , ce coeur ouvert , ces mains percées, font pour moy de
vives fources de lumieres, qui éclairent mon aveuglement, & me découvrent
l'amour incompréhenſible de vôtre nature divine cachée ſous le voile de nôtre
humanité. Le Pere Noüet, dans la vie glorieuſe de J E s u s C H R i s T fir la
terre. -
Saint Thomas avoit dit : je ne croirai point fi je ne mets mes doigts , & ma . Amour de
main dans fes playes ; mais de quelques réſolutions que l'on s'arne contre la | :
foy, Dieu ſçait bien par où prendre le coeur de l'homme pour l'aſſujettir.
En laiſſant ainſi tomber cet Apôtre , il vouloit nous faire voir que ſes plus Thoma. s.
intimes amis n'ont crů ſa R qu'après y avoir été forcez par l'évi- pour l'Egli
dence des preuves , & des témoignages indubitables ; il n'a laillé cet Apôtre [e,
quelquc temps dans cette révolte, que parce qu'il avoir deſfein de la faire fer
vir à ſon humilité ; à la gloire de fa grace, & à la converſion des incredules ; il
fair autant pour faint Thomas que pour tous les autres Apôtres ; qui n'ad
mirera la bonté du Sauveur qui ne diminuë rien de la grace qu'il a faire
aux autres, en la faiſant pour ce feul Apôtre, & qui prend fujet de l’ab
fence de celui-ci, pour les honorer, & les conſoler tous une feconde fois.
Admirons donc la charité, la douceur, & l'application du bon Paſteur à
guérir ce Diſciple chancelant ; mais admirons auſſi cette élevation de coeur,
& cette confestion de foi , courte, prompte, ardente , & parfaite ; n'eſt e'le
pas le modelle de celle que nous devons faire à tout moment : Saint Thomas eſt
le dernier à croire ; mais il est le premier à confeſſer la divinité de Jesus
CHR1st depuis fa mort ; il voit l’humanité, & il y reconnoît la divinité ;
il ouvre les yeux aux miracles, & il y trouve les preuves d'un Dicu fait hom
mes , & il lui dit vous êtes vraiment Seigneur , le Maître de mon ame, puiſque
vous l'avez rachetée par le ſacrifice de vôtre humanité ; mais vous êtes mon
Dieu , parce que vous êtes la fanćtification de mon ame par vôtre grace , &
par vôtre eſprit ; vous êtes ſon bien , & fon bonheur éternci par vôtre
loire. -
Quia vidisti me , Thoma , credidisti : beati qui non vidertint , G. crcdidertint. Nôtre foy
Joan. 2o. Quoique la faveur qu'a reçû cet Apôtre ait été fingulicre , j'oſe ? "
dire que nôtre bonheur peut diſputer avec le fien , & que nótre foy peut avoir S.
un avantage qui a manqué à celle de faint Thomas ; c'eſt le Fi's de Dieu Thomas,
H ij
6o P O U R L E PANEGYRIQUE D E S. T H O M A S.
qui est is même qui nous en eſt garant : écoutez ſes paroles : Quia viaifii, c’e. Vous
croite fans croyez, Thomas, parce que vous avez vú , & que vous ne pouvez démentir
avoir vu le témoignage de vos yeux : mais ceux qui n'ont pas củ ce bonheur, feront
ils d'une condition moins avantageuſe ! Non ſans doute , Parce que leur
foy eſt d'un plus grand mérite , qui leur tiendra lieu d'une plus grande
faveur : Beati qui non , G-c. Heureux ceux qui croyent fans avoir vű ; parce
que , comme répond un faint P re , ils vertont un jour plus parfaitement,
& que la récompenſe qui est réſervée à la foy eſt la claire vůe des objets
qu'ils ont crů. C'eſt le principe de nôtre bonheur, d'être appellez à cette
foy: mais ce qui nous ic fait mériter, c'est de nous y foûmettre aveuglément.
O pour cela, depais qu'on s'y est une fois foû mis , dèslors raiſonnement,
fubtilité, pénétration d'eſprit, curioſité, tout doit être ſacrifié à la foy. La
recevoir dit faint Chiyoſome, c'eſt agir ſeulement par elle ; ſans raiſonner,
c'est la faire la régle de fes penſees , & de ſa conduite ; c'eſt démentir fes
fens , fufpendre, & arrêter fes propres lumieres, avouer ſon ignorance , faire
hommage à l'autorité de Dieu , par la plus prompte , la plus aveugle , &
la plus univerſelle dépendance qui puille être ; & ſans cela quel mérite au
roit cette foy, pour prétendre à la joüistance du fouverain bien ?
ce saint Qui funt isti qui ut nubes volant , & quaſi columbe ad fenestras fuas ! Iſaia 6o.
dans ſes , Le Prophete Iſaïe nous repreſente les Apôtres comine des nuées, qui vo
: *" lent par l'univers, & comme des colombes qui font aux fenêtres. Če glo
. rieux Apôtre a rempli parfaitement ce prémier fymbole par ſes courſes
qui vont par apoſtoliques ; puis qu'il a été comme une nuse feconde qui a porté les pluyes
toute la de grace, & de bénédiction à une infinité de nations; & il eſt constant que
tette , &º de tous les Apôtres c'eſt celui qui a pénétré le plus avant dans l'Aſie , & a
parcouru le plus de pays. A quoy l'on peut ajoûter , pour juſt fier le nom
de colombes, qu'Iſaïe attribué aux Apôtres , & que le Fils de Dieu même,
en voulant qu'ils foient prudens comme le ſerpent, & ſimples comme des
colombes ; pour justifier, dis-je , ce nom , je puis dire que faint Thomas te
nois parmi ces colombes un rang bien conſidérable: car on lui donne pour
fymbo'e une colombe fur le haut de la croix, comme remarque le Cardinal
Baronius : mais il avoit oublié le précepte de fon Maître. Il n'étoit pas aſſez
fimple, pour vouloir être trop fage. Ce fut la cauſe de ſon égarement, qui
penſa le faire tomber dans les filers du démon : mais ayant heureuſement
rencontré fon afile dans les playes de Jesus CHR 1st , il s’y retire comme
la colombe dans le creux du rocher , pour y être à couvert , & y gemir tout
à loiſir, en confeſſant fa faute avec une ſincere douleur. Pris du Pere Nouet,
dans fes méditations ſur la vie glorieuſe du Sai: veur fur la tyre. -
Applica- Beati qui non viderunt , G crediderunt. Joan. 2 o. Vous l'avez dit , Sci
tion de ce gneur, heureux ceux qui n'ont point vû ; & ġui ont crů ! Vos paroles, ô mon
paſla º Šauveur, ne font elles pas une prédićtion bien claire , comme faint Auguſtin
"" nous l'afüre, de la vocation des Gentils à la foy ? car ils ont crû en vous,
oir fans demander , comme l'Apôtre infidelle , de toucher vos playes divines.
vů . C'eſt donc aux Gentiis, à qui le Prince des Apôtres diſoit : Vous n'avez point
Petr. 8. vû Jesus-CHR i s T , & vous l’airmez; vous ne le voyez pas cncore , & néan
moins vous croyez en lui , & vôtre foy vous fait trefaillir d’une jeye ineffa
ble , & P cine de gloirc, & le fruit que vous cn remportcrcz, ſera le falut
/
PA R AG RAPHE T R O I SI E’M E. 6I
de vos ames. Or, mes freres, dit faint Grégoire, nous fommes du nombre de
ces bienheureux, dont la foy a été prédite par Jesus-CHRIST , parlant à faint
Thomas ; pourvů néanmoins que nos aćtions fe trouvent conformes à nôtre
foy , comme faint Thomas, guéri de ſon infidelité, a réglé ſes aćtions
Apoſtoliques ſur l'éminence de fa foy; car celui-là croit vraiment , qui régle
fa vie fur fa foy. Mais ceux, dit faint Paul, qui faiſant profestion de con-
noître Dieu, le renoncent par leurs aćtions , n'ont garde d'être heureux
d'une foy, que l'Ecriture dit être une foy morte, parse qu'elle n'eſt pas ac
compagnée des oeuvres.
Dieu tout-puillant, qui avez reſſuſcité la foy de vôtre Apôtre faint Thomas,
opérez en nous le même miracle, par un effet de vôtre bonté infinie. Animez
nôtre foy comme celle de ce grând Apôtre , afin que nous puiſſions nous
écrier avec vérité ; Mon Seigneur , & mon Dieu : Dominus meus , Č, Deus
meus ! Il eſt allé juſqu'au bout du monde , porter cette foy que vous lui
avez renduë, & il a eâ le bonheur par vôtre grace, de la fceller de ſon fang;
donnez-nous auſſi par l'interceſſion de ce ſaint Apôtre, une foy d'autant plus
vive, que non-ſeulement elle nous falle vivre pour vous , mais qu'elle nous
rende même capables de mourir pour vous. -
Dominus meus , G Deus meus. ?oan. 2o Ces paroles bien entenduës , Les princi
comprennent les principaux mysteres de nôtre créance , & nous dé- paux arti-,
couvrent
C toutEt ce
H R 1 s T. qu'il
il me y aque
ſemble d’humblc , '& de
la confeſſion grandThomas
de faint en J Enes doit
us . O Il
rien à celle de faint Pierre, lorſqu'éclairé de la lumiere du Ciel , il Pro- dans la con
nonçaDei.
Filius cet oracle
Car s'ilquiéleve
lui par-là
acquit la qualité de Chef
Jesus-CHR1st de l'Egliſe
au-deſſus : Tu es Christus
des hommes festion Tho
& des faint de
Anges, s'il l'égale à Dieu fon Pere, & s'il nous aprend qu'il est fon Fils, "*
auſſi bien que ſon eſclave ; il me ſemble que faint Thomas nous découvre les
mêmes véritez , qu'il nous explique tous les ſecrets de l'Incarnation, & que
s'élevant par la foy, juſques dans le fein du Pere Eternel, il y voit Jesus
CHR1st homme , & il y croit Jesus-CHRIsr Dieu ; car, comme a très-bien
remarqué faint Gregoire, cet Apôtre voit une choſe, & en croit une au
tre ; il touche l'humanité , il adore la divinité ; & joignant dans fa con
feſſion deux natures fi éloignées, il nous exprime admirablement le mystére
de l'Incarnation, qui n’eſt autre chofe , que l'union de la nature divine,
avec l'humanité en la perſonne du Verbe : Aliud vidit , aliud credidit ,
vidit hominem , intellexit Deum. Il vit la chair qu'il croyoit encore renfer
mée dans le tombeau , & fut perſuadé de ſa Réſurrećtion ; mais il crut la
Divinité, qu'il ne voyoit pas, & rendit nn témoignage public de fa créance ,
quand il dit : Dominus meus, & Deus meus ! ,
H iij
6. PO U R L E PANEGYRIQUE D E S. TH O M A S.
P A R A G R A P H E Q U AT R I E' ME.
Paffages & Penfees des faints Peres fur ce fujet.
Iligentibus Deum omnia cooperantur Out tourne en bien, dit l'Apôtre , à ceux
D bonum. ait Apoſtolus. Omnia , qui aiment Dieu , tout entierement , &
etiam peccata. S. Auguſt. même les pechez qu'ils ont commis.
Ecce iterùm venit Dominus, ne periret, Le Seigneur apparoît une feconde fois pour
Diſcipulus. Idem. empêcher la perte d'un de ſes Diſciples.
Magnus de cælo deſcendit Medicus:quia Un grand Medecin est deſcendu du Ciel ,
magnus in terra jacebat agrotus. Idem. parce qu'il y avoit ſur la terre un grand ma
lade.
Fides est fanitas mentis. Idem. La foy est la fanté de la raiſon.
Sic perdidisti in triduo memoriam Ma Eſt-ce ainſi qu'en trois jours vous avez ou
gistri, Thoma, ut non crederes omnipoten blié que Jesus CHR 1sr étoit vôtre Maître ,
tia Christi ? Idem. Sermon. 1 59. de tem juſqu'à nier fa puiſlance.
Orc.
Fides est humilium , non fuperborum, La foy est le partage des humbles, & non des
Idem. Serm.7. de Quadrag. fuperbes.
Numquid cafu gestum creditis , ut elec N'est ce point par hazard , que ce Diſciple
tus ille Diſcipulus tunc de effet, post au choiſi de Dieu fe trouva abſent , lorſque Jesus
tem veniens audiret, audiens dubitaret , CHR ist parut aux Apôtres ; qu'en leur enten
dubitans palparet , palpans crederet ? non dant parler de l'apparition de Jesus-CHR ist ,
hoc cafu, fed diviná diſpenſatione gestum il douta ; qu'en doutant , il toucha les playes du
est. Sanctus Gregorius Homil. 16. in Sauveur ; qu'en les touchant il ait cru; le hazard
Evangel. n'a point de part dans ces circonſtances , mais
la Providence les a conduites.
Fgit miro modo fuperna clementia ut La miféricorde céleſte a fait en forte que ce
Diſcipulus ille dubitans, dum in Magistro Diſciple chancelant , & douteux en voulant
fuo vulnera fanaret earnis , in nobis fana guérir les playes du corps de fon Maître ,
ret vulnera infidelitatis. Idem , ibidem. guérit véritablement les playes de nôtre infi
delité.
Plus nobis Thoma infidelitas ad fidem , L'infidélité de faint Thomas nous a plus affer
quam fides credentium Apostolorum profuit. mis dans la foy, que n'a fait la foy des Apôtres
ldem , ibidem. qui ont crû.
Dum ille Apostolus ad fidem palpando Lorſque cet Apôtre est rappellé à la foy, en
reducitur, nostra mens , omni dubitatione maniant le corps reſſuſcité du Sauveur, nôtre
postpoſitá, in fide folidatur. Idem , ibi eſprit eſt affermi dans la foy, n'ayant nul ſujet
dem. de deuter de la vérité.
sic Diſcipulum Dominus post refurrettio Le Seigneur permit que ce Diſciple doutât de
memfuam dubitare permiſit, nec tamen in la vérité de ſa Reſurrećtion , mais il ne l'aban
dubitatione deferuit. Idem, ibidem. donne pas dans fon infidelité.
Dum vidit Thomas , dum palpavit , Après que faint Thomas eut vů, & touché,
cur ei dicitur, quia vidisti me credidisti , d'où vient qu'on lui dir, vous avez crů Thomas,
fed aliud vidit, aliud credidit, à morta parce que vous avez vů. C'eſt qu'en effet il vit
li quippe homine divinitas videri non po une chofe , & en crut une autre : car enfin la
tuit, hominem ergo vidit , & Deum con divinité ne peut être vûë par un homme mort.
ffus est , dicens Dominus meus, & Deus Ce fut donc un homme qu'il vit , & un Dieu
meus. Idem , ibidem. qu'il confesta,en s'écriant : mon Seigneur, & mon
Dieu.
Beati qui non viderunt, & crediderunt, Bien heureux ceux qui n'ont point vû , &
in hac fententiá nos fpecialiter ſignati fu qui ont crû : C'eſt nous qu'il déſigne par ces
mus, qui eum, quem carne non videmus, paroles, nous qui croyons par une foy vive ,
mente retinemus. Idem , ibidem. celui que nous ne voyons pas des yeux du corps.
PARA GR APHE QUATRI EM E. 6
Occiſus fum propter te : ( ait Chriſtus
Thomæ ) per locum quem vis tangere,
J'ay fouffert la mort pour ton amour ; ;
verſé le reste de mon ſang par la playe que tu
fanguinem fudi , ut redimerem te , Cr ad veux toucher, & tu peux encore douter, & mê
huc dubitas de me, niſi tetigeris me ; ecce, me proteſter avec opiniâtreté, que fi tu ne tou
cr hoc presto ; tange , cr crede , inveni lo che, tu ne croiras point bien, je t'accorde
cum vulneris, fana vulnus dubitationis. encore cette faveur ; touche donc, & crois enfin,
Sanctus Auguſtinus. convaincu par tes propres fens , cherche ma
playe , & guéri la tienne.
Efuderunt hac vulnera te aperiente f Ces playes qui ſur la croix ont donné de
dem, que aquam in lavacrum, & fan l'eau pour laver nos pechez , & du fang pour en
guinem in animarum pretium effudarunt. payer le prix , produiſent encore en vous la foy,
Sanctus Chryſologus. Serm. 84. puiſque vous en renouvellez l'ouverture.
Si vulnera ista cum aliis abolita fuiſ Si ces cicatrices des playes du Sauveur avoient
fent, quod fidei tua periculum ista curiost diſparu avec les autres , en quel danger cette
tas peperiffer. idem, ibidem. curiofité n'eût-elle pas mis vôtre foy ?
Christus pofuit Thomam in latere, joan Jesus - CHR1sr a placé ſaint Thomas dans
nem in peếtore, Petrum in finu Patris, fon côté , faint Jean fa poitrine, faint Picrre
Paulum in tertio cælo. Sanctus Bernardus. dans le fein de fon Pere, & faint Paul dans le
troifiéme Ciel.
Thomas immiſit manus, patefecit vul Thomas mit les mains dans les playes du
nera, 6 ut Christum crederet, iterum pati Sauveur , qu'il r’ouvrit en les y mettant ; &
compulit Christum. Sanćtus Chryſoſto pour croire Jesus-CHR1sr reffuſcité, il l'obli
mus, Serm.3 5. gea en quelque maniere de ſouffrir une ſeconde
fois.
Thomas ambigua mentis incredulus, de Thomas incrédule , & d'un eſprit chancelant,
Reſurreếtione dubius, & pene perfidia la doutant de la vérité de la Reſurrection , & pref
queo ſufocatus , expavit culpam ſuam, Čr que entierement fuffoqué par fa perfidie , fur
confeſſionis pænitentiam publicavit. Idemeffrayé de la grandeur de fa faute , & publia ſa
homil. 2. de Reſurrećt. pénitence en confeſſant publiquement ſa foy.
P AR A G RA PHE CINQUI EM E.
Ce qu'on peut tirer de la Théologiepar rapport à ce fujet.
( | fut un étrange ſpećtacle de voir un Apôtre infidéle , de voir un Dieu
fait de l'in
2
eſprit qui doit porter la foy par tout l'univers, la perdre , & une fidelité de
bouche destinée à prêcher l'Evangile , le combattre par ſes paroles, & par cet Apôtre
une obſtination invincible à tout autre, qu'à Je su s - C H R 1 s T. C’eſt
une preuve
un des ſecrets de la prédeſtination de permettre ces choſes ; mais il faut invincible
remarquer que les Apôtres ayant été destinez pour deux fins, pour la gloi de la foy.
rc de J E s u s-C H R i s r , & pour l’inſtrućtion des hommes, ils ſervent à
ce double deſfein, non-ſeulement par leurs vertus, mais encore par leurs
péchez. C'est ce qui a fait dire à faint Chryſostome, que faint Thomas ».
qui avoit paru d'abord le plus foible, & le plus incrédule de tous les
Apôtres, devint par l'indulgence que Jesus-Christ eut pour lui, à ſuppor
ter fa foibleſſe, & par la puiſſance de fa grace, plus fort, plus ardent »
plus invincible que tous les autres. Ce qui nous apprend que Dieu fait.
tirer le bien du mal , comme il a fait du péché du premier homme ,
lequel lui a donné occafion de faire réuſſir fa plus grande gloire du Plus
grand de tous les maux. De même de l'infidelité de cet Apôtre, il a fait
une preuve invincible de la verité de nôtre foy, - - - - -
64 po U R L E PANEGYRIQUE D E S. THOMAS.
combin L'incredulité de cet Apôtre étoit fans excuſe ; il devoit croire à la parole
la faute de du Fils de Dieu, qui avoit prédit ſa Réſurrection , au témoignage de faint
. Pierre qui l'avoit
vů refuſcité , & à celui de tous les autres Diſciples, auf
quels il étoit apparu. C'eſt une imprudence de croire de leger , comme dit
ble. le Sage : Qui cito credit , levis est corde ; mais c'eſt opiniâtreté de ne pas
Ereli. 19. déferer à la parole de pluſieurs perſonnes dignes de foy, par attache à fon
propre ſens. C'eſt le vice des libertins, & des hérétiques , qui difent comme
Thomas: Nist videro , non credam. Je ne croy rien fi je ne le voy ; car dans
les choſes de Dieu, la foy doit préceder la vůë : Niſi credideritis, non in
telligetis. Vous n'entendrez point les myſteres de la Religion , fi vous ne
les croyez. Les Bien-heureux même ne voyent rien dans le Ciel , que ce
Pful. 47, qu'ils ont crû ſur la terre: Sicut audivimus , fc vidimus in civitate Domini
virtutum. Sa préſomption étoit extrême : car it préferoit ſon jugement à ce
lui de tous les Apôtres , qu'il accuſoit de ſimplicité , & peut-être que le
mépris qu'il en faiſoit , fut cauſe qu'il fortit du lieu où ils étoient affem
blez, avec un évident danger de ſe perdre ; outre que fon abſence le priva du
bonheur de voir ſon Maître, & des ſignalées faveurs qu'il fit à ſes Diſciples
en leur donnant le Saint-Eſprit. Tant il eſt dangereux de ſe ſéparer de la
compagnie des gens de bien, de faire bande à part, de mépriſer leurs avis,
& de vouloir ſe diſtinguer des autres un pur eſprit de fingularité. Il y
a encore grand ſujet de s'étonner de ſon ingratitude , de fa témérité, & de
fon irrévérence pour un fi bon Maître. De ſon ingratitude , en ce que le
fouvenir du rang qu'il tenoit auprès du Sauveur , le devoit retenir dans fon
devoir : ajoûtez à cela toutes les graces qu'il avoit reçủës de lui. De fa témé
rité ; car il vouloit preſcrire des loix à ſon Souverain , & à ſon Dieu. De
fon irréverence ; car s'il n'eût perdu le reſpect, la ſcule penſée de porter la
main dans le côté du Sauveur , ne le devoit-elle pas faite trembler de
frayeur ? - ----
Tar fon Thomas par fon infidélité, attaque également, & l'autorité de la parole
infidelité il de Jesus CHR isr , & l’étenduë de fa puiſſance, dont il lui a fi fouvent don
né des preuves par une foule de miracles. He ! quoy, dit ſaint Augustin, vous
de ta avez donc perdu en trois jours, l'idée de la toute puiſſance de vôtre divin
parole , & Maître ? Sic perdidisti in triduo , memoriam Magistri : ut non crederes omni
ſo pºuvº potentie Christi ? Les Juifs qui s'oppoſoient à la créance de Jesus CHRrsr
4" reffuſcité, commettoient un plus grand crime, que le déïcide où ils étoient
4, tombez; de même vôtre infidélité Ř joignant à celle des Juifs , appuye leur
fando Tho. calomnie ; vous eſfayez comme les Juifs , de faire mourir Jesus-ChR 1 sr
f72f2. une feconde fois, & cela , parce que vous ne pouvez comprendre juſqu'oừ
- -- , " " "
peut aller la toute-puiſſance de l'homme Dieu. , 3. . . } ,
,
Nous avons trois choſes à craindre dans les myſteres de nôtre Religion. Les ch».
1°. De donner trop à nôtre raifon humaine, nous appuyant ſur les ſubtili- ſes qui font
tez de la philoſophie naturelle. 2°. Une attache deregiée à nôtre jugement, à its
laquelle pourroit nous engager dans des fentimens particuliers, ce qui a été . de
juſqu'à préſent le principe de toutes les opinions chimeriques , & extravagantes. reli
3°. De refuſer d'entendre les témoignages convaincans , dans la crainte d'être gion.
détromptez. Saint Thomas donnoit dans ces écticils, comme les Scribes , 8:
les Pharifiens, il écoutoit trop la raiſon hnunaine, & avec eux, il pioit la
réſurrection des corps , en refuſant de croire la Réſurrection de J E s u s
CHR ist. Comme eux, il étoit déja jugé, puiſque celui qui ne croit pas, est
déja condamné : Qui non credit , jam judicaty gji. Enfin , comme ces incrédu- foan. 3.
les , il vouloit de nouveaux prodiges, fans ſe rendis à ceux que des témoins
irréprochables lui attestoient. La bonté de J E s u s-C H R i s T fut fi grande,
qu'au lieu de lui dire comme dans une autre occaſion, voulez-vous vous
ranger du côté des incrédules , & vous retirer ? Nunquid & vos , vultis foan. f.
abire ? Il vient de nouveau , & il fait pour ce Diſciple en particulier ,
ce qu'il avoit củ la bonté de faire pour tous les Diſciples en general : Ecce
venit iterùm Dominus , ne periret Distipulus , dit faint Auguſtin. Le Seigneur
daigna revenir encorc pour ce Diſciplc , de peur qu'il ne périt : il vint raliu
mer dans fon coeur le feu du faint amour, qui y étoit tout éteint.
La foy, eſt la premiere de toutes les vertus, le fondement de la Religion , L'infi léli
le prémier lien qui nous attache à Jesus-CHRIST ; & l'infidélité, qui lui cit op- té qui est,
poſée, eſt le prémier de tous les crimes , & le dernier effort qui nous ſépare
abſolument de Dieu. Celui qui peche contre la charité, peut conſerver ſa ɔ
quoique morte , & fans merite , & par elle il rient encore à Jesus - CHR ist s tous les ci
mais celui qui perd la foy , perdant austi la charité , il n'a plus de relation mes.
avec lui; fon eſprit n'eſt plus fous le joug de la foy, & ſon coeur n'est plus
fous la loy de l'amour. Quel fut donc le peché de ſaint Thomas , lorſ
qu'il douta de la Réſurrection du Fils de Dicu, que lui annonçoient les au
tres Apôtres.
La foy, felon le Concile de Trente , eſt le principe , & la racine de nôtre comm
justification : l'incrédulité, eſt la fource, & l'origine de nôtre réprobation. la foy eſt
Comme la foy nous fauve, l'incrédulité nous perd. C'eſt donc un abregé le Principe
de route la morale Chrétienne, que ce que dit JEsus-CHRIST à faint Thomas:
Noli effe incredulus, ſed fidelis. C'est comme fi Dieu avoit eủ destein de nous |
marquer dans cet exemple, tous les éclieiis aufquels il prévoyoit que nôtre est la fource
foy feroit un jour expoſée, & que nous aurions à éviter dans le monde , ſi de nó:s re
nous voulions y conſerver une Religion pure , & fans tache: Car l'eſprit probation.
chrétien qui agit par les mouvemens de la foy, eſt un eſprit univerfel, un "***" 10,
eſprit droit , un eſprit docile , un eſprit élevé au-deſſus des fens : un eſprit
univerſel, qui s'atrache à l'Egliſe, & qui s'y conforme : un eſprit droit, qui
pour chercher la vérité, fe dégage de toute prévention ; un eſprit docile ,
qui revient aiſément de fes erreurs ; un eſprit élevé au-deſſus des fens , qui
n'a pour régle que les grands principes de la fagelſe, & de la toate-puiſ
Paneg. des Saints. Tome I. I
66 P O U R LE PANEGYRIQUE D E S. T H OM A S.
fance de Dieu, lorſqu'il s'agit des æuvres de Dieu. Encore une fois , quand
il n'y auroit que cette feule oppoſition entre la foy, & l'incrédulité, ne
faudroit-il pas avoüer que l'incredulité, de la maniere qu’elle fe forme dans
la plûpart des hommes du fiécle, est un pur déréglement de l'eſprit humain ;
au lieu que la foy est par excellence , la vertu des ames raiſonnables, &
fages.
L'eſprit de Saint Thomạs n’étoit pas avec les autres Diſciples, quand J E s us leur
º apparut: Non erat cum eis, quando venit J es u s. Tel eſt l'eſprit de fingu
larité, & cet eſprit est le principe le plus ordinaire de l'incrédulité : Car
voilà une des plus communes fources d'où procedent mille défordres , qui
comme ii corrompent, ou qui alterent dans les eſprits des hommes la pureté de la foy.
paroit da Qui fait dans le monde tant de libertins en matiere de créance : l'effecta
8. " "º" tion d'une vaine, & orgủeilleuſe fingularité, dont les libertins ſe piquent. Ils
croyent qu'il leur ſuffit d'être finguliers, pour avoir plus de lumieres, &
plus de raiſon que les autres. Ne pas penſer comme les autres , & parler
autrement que les autres ; dire ce que perſonne n'a oſé dire , & rejetter
ce que tout le monde dit : voilà en quoy confiste cette ſupériorité d'eſprit
dont ils fe flattent ; voilà tout le ſecret de leur libertinage. Et ſur quoi
s'appuyent-ils, & fe fondent-ils pour ſecoüer le joug de la foy ? fur leur
propre ſens, à l'excluſion de toute autre régle: Car bien loin de convenir
avec ceux qui marchent dans la voye d'une humble foûmiſſion à la foy , à
peine conviennent-ils avec aucun de ceux qui mépriſent cette voye , & qui
font libertins comme eux ; puiſqu'il eſt vrai que chaque libertin , felon fon
caprice, fe fait intérieurement une créance à fa mode, & qui n’est que pour
lui ſeul; ſuivant en aveugle toutes ſes idées, raiſonnant tantôt d’une façon,
& tantôt de l'autre; fe formant des ſyſtêmes chimeriques de providence ,
& de divinité qu'il établit, & qu'il renverſe felon l'humeur préſente qui le
domine, ne ſe fixant à rien , & conteſtant ſur tour.
Comment . L'intention de Dieu n’est pas que nous donnions aveuglément, & fans
nôtre,fºy choix en toute forte de créance, ny qu'il s'enſuive de-là que nous foyons obli
« gez de recevoir fins diſcuſſion , tOut Ce qu'on nous préſente, comme révélé
i de Dieu. Si cela étoit , nôtre foy ne feroit plus une foy diſcrete , ny par
nécestaire conſéquent , une foy divine. Bien loin que Dieu le prétende ainſi, il exige
pour cela au contraire, qu'en matiere même de foy, rant pour n'y être pas trompez,
que pour en pouvoir rendre compte, nous nous inſtruiſions des chofes , &
quoiqu'il nous défende de raiſonner , quand nous ſommes une fois con
vaincus que c'est lui qui nous parle, il trouve bon que nous 1aiſonnions, pour
nous aſſürer fi c'est lui en effet qui nous a parlé. Non-feulement il le trou
ve bon , mais il le veut ; & ſelon la meſure de nôtre capacité , il nous
1. feann, 4 l’ordonne : Nolite credere omni ſpiritui ; probate ſpiritus an ex Deo fint. Mais
il veut auſſi, & avec juſtice , que nous faſſions cet examen fans prévention,
& que ce ſoit au moins avec le même reſpećt que nous examinerions la
parole d’un Souverain de la terre , dont on nous fignifieroit les ordres.
C'eſt à quoy manqua faint Thomas; qui ſe ſéparant des autres Apôtres, s'a
bandonna entierement à l’eſprit de fingularité.
L'endurti C’eſt encore un autre caractere de l'infidélité du fiécle , qui par un endur
( "º" º?", cistement opiniâtre , ſe rend impénétrable, & inflexible à la vérité. On ne
natic , qui
P A R A G R A P H E C IN QUI EME. 67
peurroit ſe le perſuader, fi l'expérience ne nous l'apprenoit pas , qu'il y eut riette att
dans le monde de ces impies, qui pour ſe confirmer dans une monſtrueu
fe , & ſcandaleufe impiété, font gloire de rejetter toute autorité ; oſent gnages
s'inſcrire en faux contre les témoignages les plus évidens , contre les mi- lu évi
racles les plus averez, contre les faits les plus inconteſtables; penſent en être dens.
quittes pour dire, que ceux qui atteſtent ces faits , quelque vénération qu'on
ait pour leurs 'perſonnes , pour leur capacité , pour leur fainteté, les Cy
priens, les Ambroiſes, & les Augustins , ont été ou trompez eux-mêmes,
ou des trompeurs, ou des vifionnaires, ou des impoſteurs. C’eſt ainſi néan
moins que parle le libertin. Le croiroit-on, que la corruption de l'eſprit de
l'homme allât juſqu'à ſe faire un point d'honneur, de ne revenir jamais de
fon ſentiment, de n'acquieſcer jamais à la vérité, quand il s'eſt une fois
déclaré contre elle ? de pouffer une erreur aux dernieres extrémitez, parce
qu'on s'eſt engagé à la foûtenir , & d’aimer mieux en voir les fuites fu
neſtes , que de la reconnoître, & d'en faire humblement l'aveu ! C'eſt ce
Pendant à quoy aboutit le faux zéle de l'hérétique. Peché qui attaque di
rećtement le Saint-Eſprit, en oppoſant à toutes ſes lumieres, un coeur dur
dont l'eſprit de ténébres s'est emparé. Peché dont l'Egliſe a reçû tant de
Playes mortelles ; puiſque l'obstination d'un feul homme l'a fi fouvent jettée
dans la confuſion & la déſolation. Péché, qui dans la ſocieté civile, cauſe
tous les jours tant de défordres , au préjudice de la charité qui en eft
bleſſee, de la paix qui en est troublée , de la justice, & de l'innocence qui
eſt opprimée. C'est-là cependant l'abîme où Thomas ſe précipita en adhe
rant à ſon propre ſens, & s'obstinant à ne point ajoûter foy aux témoigna
ges de fes freres. C'est ce que le monde aveuglé fait paſſer pour force
d'eſprit. C'est ce que les libertins du monde s'imaginent être plus fûts, que
tous les témoignages de l'antiquité, par l'entêtement où ils font de ſe faire
un nom dans le monde, & y fonder, à ce qu'ils penſent , UT1C réputation de
fageſſe durable à tout jamais.
C'eſt le dernier aveuglement de l'infidelité, qui fe contredifant elle-même, Aveugle
après avoir
lation quittéveut
de Dieu, le parti d'une
réduire raiſon
toutes choſesſolide
aux qui la foûmetroit
connoiſſances à la com-
des fens; réve ne
me fi les ſens avoient un tribunal ſupérieur à la révélation , & à la raiſon ; croire que
comme s'ils étoient juges competens des mystéres que la Religion noas ce qu'ils
propoſe; comme fi dans les affaires mêmes du monde, on nc fe tenoit pas
obligé de croire mille choſes qu'on ne voit pas, & qu'il eſt impoſſible de leur
voir. Non Chrétiens, ce n'est point par-là qu’on parvient à la vérité. C'eſt tendent évi
Parce qu'on a oüi, dit l'Apôtre , & non pas parce qu'on a vů ; qu'on dens.
cennoît Dieu dans cette vie : Fides ex auditi. La vůë des myſtéres de Dieu *"": "º:
eſt la récompenſe qu'on nous réſerve dans le ciel : mais cette récompenſe doit
étre méritée ſur la terre par l'obéïdànce de la foy.
Saint Thomas a crů: donc nous devons croire après lui. C'est la confé- c'est une
quence infaillible que tous les Peres de l'Egliſe ont tirée de la confeſſion conſéluence
de ce faint Apôtre. Car enfin, difent-ils , la foy de cet Apôtre ne peut i
Erre ſuſpećte, & le libertinage le plus défiant n'a rien à lui oppoſer. Il a será
crů, ce n'eſt point par foibleste, ce n'est point par légéreté, ce n'eſt point pat va i
une aveugle déférence au ſentiment, & au rapport des autres. Il étoit bien a été , nous
l ij
é8 P O U R LE PANEGYRIQUE DE S. T H O M A S.
devons croi- éloigné de ces diſpoſitions. Il s'enfuit donc qu'il a cru, ou par un miracle
re, & de la grace qui s'eſt fait en lui , ou par une évidence parfaite qu'il a euë
" de la Reſurreċtion de fon Maître. S'ii a crû par un changement miraculeux
douter. ' qui s'eſt fait en lui , il n'en faut pas davantage pour me convaincre ; car il
n'y a que Dieu qui puiſſe avoir été l'auteur d'un pareil miracle.
La foy de La foy eſt ia preuve certaine de ce qui ne ſe voit pas , elle cxclut
S. Tho nas, toute évidence, comme l’évidence n'admet point d'obſcurité ; celle néan
moins qui fait dire à faint Thomas, en touchant les playes de fon Maître,
cure, & évi- vous ĉtes mon Seigneur, & mon Dieu, eſt fi ſublime, qu'elle admet tout
dene , & enſemble l’évidence , & l’obſcurité. Vous avez crů , Thomas , parce que
comment, vous avez vů. Il a vů l'un, ajoûte faint Gregoire, & il a crû l'autre: Unum
vidit, & aliud credidit. Il eſt vrai que cet Apôtre a été incrédule , jnſqu'à
réſiſter avec opiniâtreté aux Apôtres , qui lui annonçoient le mystére de la
Réſurrection ; nous oſons néanmoins aſſûrer, difent les Peres, que ſon infi
délité a plus fervi à la foy des Chrétiens, que la foy des autres Apôtres. Car
lorſque doutant, il a été ramené à la foy par l'attòuchement de l'humanité, &
des playes du Sauveur, il a ôté à nos eſprits tout ſujet de doutcr : il nous a
confirmez dans la foy : ii a gueri nôtre incrédulité par la fienne , dit faint
Augustin , & l’on ne peut plus douter de la Réſurreċtion de Jesus - CHRIsr ,
quand on lit dans l'Evangile , que pour en convaincre un Apőtre , il lui a
dit : Portez icy vôtts doigt, & voyez mcs mains : portez icy votre main , &
mettez-là dans mon côté, ne foyez plus incrédule , mais fidele : Incredulitate
Thomæ, vulnus incredulit itis nostræ finatur. C’eſt donc par les doutes de cet
Apotre , c'eſt par ſon incrédulité même, que l'infidelité de nos eſprits est chan
gée, que nôtre foy eſt devenuë plus ferme , & que les playes morrelles que
l'incredulité fait dans nos coeurs, font entierement guéries.
perire la La foy, eſt le prémier principe de la vie furnaturelle , & le fondement de
foy est, tout l'édifice ſpirituël ; ou, felon l’Apôtre faint Paul, comme c'est la baſe
tº" P & le foûtien de toutés nos eſpérances : perdre la foy , c'est tout perdre, &
parce qu'elle 1 * * '. ----- : -- , . .
tout à la fois , c'eſt détruire les fondemens de la Réligion , & renverfer
ment de toutes les eſpérances de ſon bonheur éternel , de maniere que pendant que
tout l'edifi cette foy ſubſiste dans une ame , il y a toûjours quelque reſſource ; l’on
ce ſpirituel. peut recouvrer par fon moyen la perte que l'on a faite de tous les autres
biens , & relever fur ce fondement l'edifice, dont les ruines peuvent fervir à
le rétablir dans le même état qu’il étoit auparavant. Mais quand on a perdu la
foy, on peut dire que le bâtiment est détruit juſqu'au fondement, que l'arbre
eſt mort juſqu'à la racine , & enfin que le principe de cette vie divine eſt
entiérement éteint. A quoy j'ajoấte avec faint Pierre, que c'eſt un mal in
comparablement moindre de n'avoir jamais reçû cette foy, que d'étouffer
fes lumicres après en avoir été éclairé ; parce que l’on eſt infiniment plus
aveuglé , & plus indigne de recevoir un bien que l'on a volontairemeut mé
2. Petri. 2. priſe: Melius est ad agnitionem veritatis non venire : quàm post agnitionem re
trorsum converti. Voilà l'état déplorable où étoit réduit l’Apôtre faint Tho
mas, & où il s’étoit lui-même malheureuſement engagé.
Les playes Les playes du Sauveur que toucha faint Thomas, rendent, pour ainſi dire:
du sauvu nôtre fy ſenſible, & palpable: Quod vidimus , & manus nostre contrečiave
"*" ' * runt de verbo vit«, dit un des Apòtres ; nous rendons témoignage de ce que
P A R A Ğ R A P H E : C I N QUIEME. 69
nous avons
ployée pourtouché, & deune
en autoriſer ce que nous
autre, & avons vů.fervir
pour lui de preuve, ilchoſe
Or, lorſqu'une fautestqu'elle
em- touché:
faint
ait en fòy quelque degré de cettitude, que n'a pas celle que l'on autoriſe par ſon s.
moyen. Ces playes ont donc cette force d'éclairer, de perſuader, & de convain- tre foy fin
cre, & c'est ce qui n'a jamais paru plus viſiblement que dans nôtre Apôtre, qui fible, & pal
ne vouloit point fe rendre, s’il n'avoit cette preuve incontestable ; mais il ne les pable.
eut pas plůtôt touchées, qu'il ſembla toucher du doigt la vérité même , & 1. fvan. 1.
fit cette admirable profeſſion de foy: Dominus meus, c; Deus meus : O
c'est maintenant , que je connois que vous êtes mon Seigneur , & mon
Dicụ. - ' .
Saint
meus Hilaire leemploye
: comme les paroles
témoignage de incontestable,
le plus faint Thomas,&Dominus
le plus meus,
formel& deDeus , Les paro
la les i
* * * - * * A - - Il O IN CA |
divinité de Jesus - CHRIST. Ainſi Dieu qui a coûtume de faire fortir la lu- »
miere des ténébres, a voulu tirer les preuves les plus fortes de cette vé- f je té:
rité, d'une bouche qui avoit proteſté de ne la point croire ; & comme faint moignage le
Pierre s'eſt particulierement ſignalé dans la force de confeffer fon Sauveur ,
après que la crainte le lui eut fait defavoüer ; comme faint Paul s’eſt .
distingué par le zele ardent de porter par tout le nom de Jesus - CHRust, sus cris .
après avoir tâché de l'étouffer dans le fang des premiers Chrétiens ; ſaint -
une fource de lumiere, l'ont éclairé ; les graces fortes, & puiſſantes qu'elles
ľui ont mérité , ont triomphé de ſon obstination.
P A R A G R A P HE S I X I E’ M E.
Les endroits choists des Livres ſpirituels, & des Prédicateurs modernes
- Jur ce fujet.
Uel fut donc le peché de faint Thomas, lorſqu'il douta de la Réfur- c'est en
ećtion du Fils de Dieu, que lui annonçoient les autres Apôtres ? Je ne vain que
prétēTids pas faire de vains efforts pour l'excuſer, & dire avec quelques Doćteurs,
que ce ne fut pas tant une infidélité, qu'une curiofité qu'il croyoit néceſſai
re pour autoriſer d'avantage l'Evangile ; perſuadé que les peuples ne pourroient excuter le
fon témoignage, s'il pouvoit leur dire avec faint Jean , ce que ºché de $,
je vous annonce du Verbe de Vie, est fi incontestable, que je l'ay entendu de ; il
mes oreilles, que je l'ay vú de mes yeux, & que je l'ay touché de mes mains. -
Non, Thomas fut infidéle , il douta de la Réſurrećtion de fon Maître , & fidéle.
par conſéquent de fa divinité. Eût-il douté de la promeſſe qu'il avoit faite
durant ſa vie , de fortir glorieuſement du tombeau, le troiſieme jour après
fa mort ? Il rejette toutes ces réfléxions, du moins il ne leur donne point,
I iij
7o P O UR LE PANEGYRIQUE DE S. T H O M A S.
d'entrée dans fon eſprit ; ii ſouſcrit à la calomnie des Juifs ; il conteste ce que
le Ciel, & la terre , les Anges, & les hommes avoient déja reconnu pour vé
ritable ; il jure qu'il ne croira pas, s'il ne voit dans les mains de Jesus-CHRısr
les marques des cloux qui les ont percées. Sous prétexte d'un plus grand at
tachement à fon ſervice , il demande par une curiofité cruelle , dit faint
Pierre Chryſologue , de rouvrir les playes que lui ont fait des bourreaux, & il
perſévere huit jours dans fon obſtination. O aveuglement d'autant plus étran
ge , qu'il fe trouve dans un Apôtre, & dans une perſonne que le Sauveur
avoit comblée de tant de graces. Qui eut jamais penſé que le Fils de Dieu fût allé
chercher faint Thomas dans fon incrédulité ? qui eût crû qu'après ces paroles
opiniâtres; Non credam, la grace eût pris foin d'éclairer ſon eſprit rebelle ?
C'eſt dans cet égarement néanmoins qu'elle lui préſente la lumiere qui doit
diſſiper les ténébres de fon infidelité. Diſcours chrétiens.
Le cæur . Aux marques fenſibles d'amour, & de tendreſſe que le Sauveur donne à
de faint - faint Thomas , le coeur tiéde de cet Apôtre fe fentit échauffé , il fe ſentit
embraſé des plus vives flammes de la charité : il ſe ſentit autant d'ardeur, qu'il
: avoit été plein de glace. Vous êtes mon Seigneur, & mon Dieu, dit-il à Jesus
de la chari- CHRIST, & pour réparer le ſcandale que j’ay donné à l'Egiiſe par mon in
té la plus fidelité , & par ma tiédeur , je n’en demeureray pas à l'avoüer devant elle ;
' " j’iray le dire aux nations les plus éloignées, & je le foutiendray juſqu'à l'ef
da fuſión de mon ſang. Et certes, s'il est permis de juger des effets par l'excel
sauveur, & lence de la cauſe qui les produit, que ne devoit-on pas artendre d'un homme
la rendrelle qui avoit porté ſa main dans le cæur même de Jesus-CHR i sr , dans le
Sanćtuaire de la divinité, dans cette mer immenſe de toutes les douceurs *
- dans le tréſor de l'amour, & de toutes les richeſſes de la gloire ? D'un hom
me qui ayant puiſé l'amour dans la fource même de l'amour , avoit été fait
Saint, non-feulement comme David, ſelon le coeur de Dieu : mais immédia
tement dans le coeur de Dieu, & du coeur de Dieu. Saint Jean-Baptiſte, eſt
l'ouvrage des mains de Dieu : La main de Dieu étoit avec lui. Saint Pierre, est
l'ouvrage de ſes yeux : Le Seigneur regarda Pierre après fon peché ; & auffi-tot
il pleura amerement. Saint Matthieu, eſt l'ouvrage de fa parole , lorſqu'il lui
dic : Suivez moy. La Magdeléne , eſt l'ouvrage de fes pieds: Elle était affife
aux pieds de Jesus. Saint Jean l'Evangeliſte eſt l'ouvrage de fa poitrine fer
mée : Pendant la Céne il s'étoit repoſe fur fon fein. Mais faint Thomas est
l'ouvrage de fon coeur ouvert par le fer d'une lance ; c'eſt de là immédiate
ment qu'il a puiſé ce zele, & cet amour qui l'ont porté aux extrémitez du
monde , pour y rendre témoignage de la Réſurrećtion du Fils de Dieu, dont
il avoit ců le malheur de douter. Les mêmes.
comme Saint Thomas ne fe fût pas plûtôt déclaré contre la Réſurrećtion de fon
e Saint , Maître, que ſans reſpcéter l'autorité des perſonnes qui lui annonçoient que
: Jesus étoit refuſcité, & fans avoir égard au préjudice que íon incrédulité pou
voit apporter à la foy des Fidéles, il exprima fur le champ ſes ſentimens
une glo isu- par fà voix : Non credam : je ne croiray pas li je ne vois la marque des cloux,
f: coafel & ſi je ne mets ma main dans fon côté. Au contraire , dès que le Fils de Dieu
củt rappellé fon eſprit égaré, dès qu'il eût rallumé dans fon cæur le feu de la
*** charité qui s'étoit rallenti, il changea de langage , & fit entendre par cette
généreuſe confeſſion : Dominus meus, & Deus meus ! vous êtes mon Seigneur,
PARA GR APHE S I X I E’M E. 71
& mon Dieu ! qu'il avoit de la foy, & de l'amour. Mais parce qu'il vouloit
que ſa voix fervit autant à la gloire de Jesus-CHR1st , qu’elle lui avoit été
injurieuſe ; il ne fe contente pas de publier en préſence des Apôtres, dans le
Cenacle, qu'il le reconnoît pour fon Seigneur, & pour fon Dieu ; il veut le
faire entendre aux nations les plus éloignées , & que fon coeur , perſuadé
que quand on aime , l’on ne peut affez parler de fon bien-aimé , répare le
funeſte moment auquel il fut infidéle, en employant tous ceux qui lui ref
tent de vie, à publier la gloire, & la Réſurruećtion de ſon Maître. Confitebor Pſaml. 133.
tibi , quia terribiliter magnificatus es. Je vous confeſſeray, & je publieray
vôtre gloire , parce que vous vous êtes rendu extraordinairement magnifique
à mon égard. Comme il n'y a aucun endroit de la terre où vous ne donniez
des marques de vôtre magnificence , & de vôtre bonté, je voux de même
qu'il n'y en ait aucun , où ma voix ne porte la gloire de vôtre nom. En effer,
elle ne s’est pas fait entendre ſeulement dans une ville, dans une Province,
ou dans un Royaume ; tout cela ne ſuffiſoit pas à fon zele ; il faut qu’il traver
fe les mers, & qu'il entre dans les Indes , & dans le nouveau monde. Il ne ſe
contente pas de prêcher l'Evangile aux Parthes, aux Medes, aux Caramans ,
aux Perſans, & aux Hircaniens, il faut qu'il aille chercher les Garamantes, -
& les Abyſſins. C'est à lui, ce ſemble, que Dieu a promis par le Prophete les
nations pour héritage, & les extrémitez de la poſſeſſion , & c'eſt
de fa voix qu'il a dit, que c'est un tonnerre porté ſur des rouës : Vox tonitrui Pſalm.76.
tui in rota. La rouë va toûjours en avant, elle ne touche preſque pas la terre,
ce n'est du moins qu'en un point preſque indiviſible , & telle étoit la voix
du Predicateur des playes de Jesus. La mortification avoit tellement atte
nué ſon corps, qu'il ne touchoit preſque plus la terre ; il paroiſſoit plûtôt un
Ange qu'un homme ; ou, comme l'écrit Metaphraſte , les auſtéritez l'avoient
tellement décharné , qu'étant entré dans les Indes, on l'y prît plûtôt pour
l'ombre d'un corps, que pour un corps même. Mais fa voix étoit un tonnerre
qui briſoit les Idoles, qui convertifſoit les Idolâtres, qui portoit dans tous les
coeurs la crainte des jugemens de Dieu , & qui rouloit de Province en
Province , pour ‘ gagner de nouvelles ames à J E s us - C H R 1 s T. Les
7/2c772ĉ.f.
J'avouë que toutes chofes ne répondirent pas aux immenſes inclinations du son cor
zele de cet Åpôtre, & que fi d'un côté, il acquit à Jesus-CHRIsr un grand gº ſe -
nombre de Diſciples, il fe fit de l'autre, des tyrans , & des perſécuteurs, “
dont la haine ne pût s’éteindre que dans fon fang. Mais ce fut par-là qu'il -
contenta l'ardente charité qui lui avoit fait dire dans un temps où notre
Seigneur étoit menacé de mort: Eamus , & nos , & moriamur cum eo. Allons foan. 15.
en Jeruſalem, & mourons avec lui ; tous les autres Apôtres étant d'un fenti
ment contraire, parce qu'ils ne ſe fentoient pas encore diſpoſez à accepter la
mort pour leur Maître. Les mêmes.
Que l'infidelité de faint Thomas fût injurieuſe au Fils de Dieu. O qu'un , La gran
malèst dangereux quand il offenfe le Médecin qui le doit guerir ! Quelle in- in
jure au Sauveur , de voir perdre une foy , mais une foy qu'il avoit donnée fir
par miracle ! & cela par une infidélité qui choque la créance de fa Réfurrec- aus u
tion, qui étoit le mystére le plus important à fa gloire; comme fi le Lazare en refuſant
fe fût tué lui-même , & fe fût ôté la vie miraculeuſe qu'il avoit reçûe de ſa
- u IICCt: Q,
72 P O U R L E PANEGYRIQUE D E S. T H OM A S.
J E s u s - C H R 1 s T. Saint Auguſtin dit très-bien , que le crime des Juifs
qui s'oppoioient à la créance de la Réſurrećtion du Sauveur, lui étoit en quel
que façon plus injurieux, que le prémier parricide qu'ils avoient commis en
le faiſant mourir. Pourquoy ? parce qu'en refluſcitant il reparoit l'infamie de
fa mort , & comme dit faint Pierre Chryſologue , il anéantiſoit fon infa
mie dans le même tombeau d'où il forroit : Sepelivit morientis infamiam, Ainſi,
en combattant la créance de la Réſurrećtion, les Juifs le faifoient mourir
une ſeconde fois. Ils lui ôtent cette feconde vie ; ils renouvelioient ſes af
fronts , ils r’ouvroient en quelque façon fes playes. Mais ce que les ennemis du
Sauveur avoient eſſayé de faire par leurs crimes , cet Apôtre l'acheve parfon
infidélité ; il ſouſcrit à la calomnie des Juifs , & condamnent ce que le ciel,
& la terre, ce que les Anges, & les hommes publient , fçavoir, le mystére
de la Réſurrećtion ; il y renonce, & ſe joignant aux incrédules, il crie : Non
credam ; je ne croiray pas. Monsteur Biroat.
D:.a ner. C'eſt une choſe bien étrange que Dieu ait permis la chute de ſes Saints ,
m t la chů & de ceux-là principalement qui devoient rendre de plus grands fervices à ſa
te des sinis gloire ; il a fait les plus zelez de ceux qui avoient été les plus coupables.
Quoy de plus ardent que faint Paul ? C'étoit un perſecuteur, avant qu'il fut
1 C.
i. Apôtre. Quoy de plus zelé que faint Pierre : il avoit rcnić Jesus-Christ de
la même bouche dont il annonce fa gloire. Pourquoy ? afin que les pechez
qu'ils ont commis , ſervent de motifs à leur zele ; qu’ils tâchent de récompenſer
leurs crimes par leur vertu, & lui rendent autant de gloire , qu'ils lui en
Pſalm. ;o. avoient ôté, difant avec David pénitent. Docebo iniquos vias tuas , G impii
ad te convertentur. Ah, Seigneur ! puiſque j’ay offenſé vôtre nom , j'en pro
cureray la gloire. Ma vie a été un fcandale , j'en feray un exemple , & puiſ
que j’ay fait des coupables , je convertiray des pecheurs. Ah ! que l'infidélité
de Thomas étoit un puitlant motif à ſon zele ! que ſon peché étoit une ré
fléxion avantageuſe à ſon amour, pour l'obliger à prêcher l'Evangile , & pour
Pfalm. 138 proportionner en quelque façon fes lumieres à ſes ténébres ? Sicut tenebre ejus,
ita , & lumen ejus. A proportion des ténébres de fon infidélité, il a annoncé
la foy avec éclat , & avec pompe. Quand il fe fouvenoit de fon infidelité :
Ah ! diſoit il en foy-même , allons réparer le tort que nous avons fait à mon
Maître ; allons par tout allumer cette foy que nous avons éteinte en nous
mêmes. J’ay renié mon Seigneur , & mon Dieu dans mon coeur , je l'iray
précher à la face des tyrans, & le porteray dans les coeurs de tous les peuples ;
& fi ce n'eſt pas aſſez de ma voix, j'employeray mon fang & ma vie. Le
7/2/2777Ca -
mas, & tu connoîtras l'imprestion de mes cloux, & celles de res crimes. Voilà
les divers objets qu'il voit dans ce coeur aimable du Sauveur. L'amour infini que les point fait
le Fils de Dieu lui a témoigné, quand il a enduré ces playes; la playe que fon se i de
infidelité lui a faite. Ah ! ne doutez pas qu'après avoir vů la grandeur de fon :
crime , il ne s'anime à l'amour & à la gloire de fon Maître : Patent viſcera mife- is
ricordiæ ; il voit les entrailles de la miſericorde du Pere, qui l'avoient conçu touché.s.
dans fon coeur par la grace, comme le fruit de fa douleur, & qu'il avoit dé
chirées par ſon ingratitude & par ſon infidelité. Nous ne devons pas douter qu'à
ce moment qu'il eût le doigt dans fon coeur, & qu'il ſentit les mouvemens du
coeur amoureux de Jesus, ce coeur ne lui dit mille choſes pour le convaincre,
& pour lui faire connoître fon peché par des lumieres bien vives. Mais pou
voit-il le faire d'une plus douce & plus aimable façon ? pouvoit-il lui procurer
plus efficacement la douleur de ſon crime ? Nous ne ſçavons pas à la vérité quel
les furent les playes de cet Apôtre, puiſque l'Evangile ne nous dit rien de ſa
pénitence. Mais comme on connoît communément la grandeur des playes Pat
les instrumens qui les ont faites, nous pouvons juger des bleſſures du coeur de
cet Apôtre, par le glaive & par les fléches que le Sauveur employe , pour les
faire, & pour les ouvrir. Les playes de Jesus-CHR ist ont été les inſtrumens,
les glaives, les fieches qui ont percé le coeur de Thomas : ne peut-on pas conjec
Paneg. des Saints. Tome I. »
74 P o UR LE PANEGYRIQUE DE S. T H o MAS.
turer de-là la grandeur de ſes playes, & la rigueur de ſa pénitence. Et fi faint
Pierre, pour avoit été converti par les yeux de Jesus-ChRısr, conſacra ſes yeux
à la pénitence & aux larmes : ne peut-on pas dire que faint Thomas converti
par les playes du coeur du Sauveur, conçut des douleurs proportionées à leur
randeur ? Le même.
comme on Thomas bleſſé par la charité du Sauveur , court de pays en pays , de Provin
peut cire que ce en Province, pour y trouver dequoy contenter ſon amour & fon zele ; juſ
faint Tho- qu’à ce qu’arrivant aux Indes, il rencontra dequoy foulager. fon ardeur , en
trouvant un bourreau qui lui fait des playes par où il verſe tout ſon fang, &
termine avec ſa vie , le feu qui brûle fon ame. Et ce fang , & les playes de fon
corur fut corps montrent en même temps , & les playes de ſon coeur, & la force vićto
bli ſfé, en, rieuſe de celle de ſon Maître ; puiſqu'on peut dire que les playes que Thomas
les de fon fouffte dans ces rudes combats, font un effet du zele qque J e sus-CH n i s t lui
- |- |- -
avoit montré en Jéruſalem, qui firent alors celles de fon coeur, & puis celles
de fon corps même. Quand un homme a été dangereuſemeut bleſſé de quelque
playe ſecrete, bien qu'il ne meure pas à l'heure meme , & qu'il furvive quelque
temps après, on dit néanmoins qu'il eſt mort de fes anciennes bleſſures, parce
qu'elles ont été la véritable cauſe de fa mort , quoy qu'elles ayent eû une opéra
tion plus lente. Que Thomas meure bien-tôt, ou long temps après avoir vů
les playes de ſon Maître ; qu'il aille ſouffrir le martyre dans des pays éloignez :
n'importe, il meurt d'une double playe , & de celle qu'il a vû ſur le corps de
Jesus, & de celle qu’il a reçû lui-même en fon coeur. C'étoient des playes mor
telles dès le premier moment, elles n'ont eû leur effet que quelque temps après.
C'est une opération qui eſt lente: mais toûjours il eſt mort de ces playes & de
ces fléches que l'amour avoit laiflees dans ſon coeur ; & il me femble qu'il peut
dire en mourant , fur les extrémitez des Indes, les mêmes paroles à proporticn,
que le Sauveur lui dit au Cenacle: Wide manus meas, cognoſce locum clavorum.
Mon Dieu, vous m’avez montré les playes que vous avez reçûës pour moy , je
vous préſente celles que j’ay ſouffertes pour vous ; vous m'avez commandé de
mettre ma main dans vôtre côté,recevez le fang qui fort du mien , & recevez en
même temps mon eſprit , que je remets entre vos mains. Le même.
La préocu- _ Outre que faint Thomas fe préocupa, il s'opiniâtra dans fon incrédulité.
pation de Tout le portoit à croire que Jesus-CHR ist étoit relluſcité ; le rapport des fem
faint Tho mes qui l'avoient vû, le témoignage de Magdeléne qui lui avoit parlé, celui
des deux Diſciples qui avoient mangé avec lui dans la bourgade d'Emmaüs, la
déclaration de tous les Apôtres aſſemblez au milieu defquels il venoit de paroî
s'oppofánt à tre , l'événement des chofes , c'eſt-à-dire , le tombeau trouvé vuide fous le
tous les té- fceau public, la Synagogue allarmée , les gardes confus ; tout cela ſans doute
devoit le convaincre de la Réfuriećtion de fon Maître. Mais malgré tout cela, il
la perfiste, & s'obſtine à dire qu'il n'en croira rien. Véritable caractere de l'infidé
Reſurreaien lité du fiécle, qui par un endurciffement opiniâtre, fe rend impénétrable & in
du Sauveur féxible à la verité. Le croiroit-on, que la corruption de de l'homme
allàt juſqu'à ſe faire un point d'honneur, de ne revenir jamais de fon fentiment,
de n'aquieſcer jamais à la vérité, quand on s'eſt une fois déclaré contre elle ; de
pouſſer une erreur aux dernieres extrémitez, parce qu'on s'eſt engagé à la foûte
nir , & d’aimer mieux en voir les fuites funeſtes, que de la reconnoître, & d’en
faire humblement l'avcu ? C'eſt cependant à quoy aboutit le faux zele de l'hére
--
P A R A G R A P HE S I X I E’M E. 75
tique. Peché qui attaque direćtement le Saint-Eſprit, en oppoſant à toutes fes
lumieres un coeur dur, dont l'eſprit de ténébres s'est emparé. Peché dont l'E
gliſe a reçû tant de playes mortelles, puiſque l'obstination d'un feul homme l'a
fi fouvent jettée dans la confuſion & la déſolation. Peché, qui dans la ſocieté
civile , cauſe tous les jours tant de déſordes au préjudice de la charité,qui en est
bleſſée, de la paix qui en est troublée, de la juſtice & de l'innocence qui eſt op
primée. C'est ce que le monde aveugle fait paſſer pour force d'eſprit. Ah !
Seigneur, ne permettez pas que nous nous en formions jamais une ſemblable ;
ne ſouffrez pas que nos eſprits ſe fortifient aux dépens de la foy. S'il nous reste
encore quelque force, c'est pour vous, Seigneur, que nous prétendons la con
ferver & l'employer. Le Pere Bourdaloüe.
Pour confondre l'incredulité ſur le ſujet de la réſurrećtion , & par conſéquent Combien
de la divinité de Jesus-CHR1st , faint Thomas n'avoit qu'à ſe montrer, & ge le témoigna
de faint
qu'à dire hautement : c'est moy qui combattois certe réſurrection, moy qui ay Thomas eſt
fait voir tant d'oppoſition à la croire , mais qui ſuis aujourd'huy forcé de la re puiſſant pour
perſuader la
connoître, & qui ne veux plus vivre que pour la publier. Il m'en coûtera la vie, Réſurrećtion
mais trop heureux fi par l'effuſion de mon fang, je puis rendre à une fi fainte
du Fils de
vérité le témoignage que je lui dois ? Ce témoignage m'attirera la haine de tou Dieu.
te ma nation ; mais je compteray pour rien d'être expoſé à toute la haine du
peuple , pourvû que j’annonce la gloire de mon Dieu. Encore une fois, qui
pouvoit inſpirer à cet Apôtre des ſentimens ſi généreux ? Etoit-ce préocupations
étoit-ce interêts ? étoit-ce renverſement d'eſprit ? ou plûtôt, n'eſt-il pas evident,
que ce ne fut rien de tout cela ? Et puiſque la converſion de cet Apôtre ne peut
ĉtre expliquée,qu'en diſant que ç'a été l'effet, mais l'effet incontestable & palpa
ble de la vérité qu'il avoit vůë ; que nous reste-t'il à fouhaiter davantage pour
la ſûreté de nôtre foy ? Le même.
Non-feulement la foy de faint Thomas est un argument qui nous convainćt; faint La foy de
Tho
mais une leçon qui nous instruit ; & qui après nous avoir réduits à la néceſſité mas eſt une
de croire, nous apprend encore ce que nous devons croire : Car, comme re preuve q : i
IMOUIS COin
marque Guillaume de Paris, par une ſeule parole ; ce grand Saint est devenu le vainćt , &
Théologien, le Doćteur, le Maître de toute l'Egliſe, a éclairci la foy de tous une leçon
les fiecles , a diſſipé toutes les ténébres dont la malignité de l'héréfie devoit dans qui 1) O us
la ſuite des temps obſcurcir nos principaux myſteres. Et prenez garde, en effet, inſtruit.
ce qui fait l'effentiel & le capital de nôtre foy, c'eſt de croire que Jesus
Chr 1 sr est Dieu ; fans cela , point de Christianiſme, fans cela point de Reli
gion , point de grace, ny de falut. Fuſſions-nous des Anges de lumieres, fuſ
fions-nous des hommes de miracles, ſi nous ne confeſſons la divinité de Jesus
CHR i st , & fi nou, ne ſommes prêts à mourir pour la défendre, nous ſommes
des anarhêmes & des reprouvez. Le Pere Bourdalouë.
Je fçay qu'il y auroit toûjours de la préſomption & de l'injustice à ſoupçon Quel autre
ner la fidelité des Ministres de l'Evangile: mais quand je vois un Apôtre percé interêt que
celui de la
de traits comme faint Thomas , tout enfanglanté & mourant pour confirmer la verité pou
foy qu'il annonce, je me dis à moy-même ; quel autre interét que celui de la voit enga
vérité pouvoit l’engager à ſouffrir de la forte; & à s'immoler ? Il falloit qu'il fût ger faint
Thomas à
bien perſuadé d'une religion qui lui coûtoit fi cher à défendre. Il falloit qu'il en foufF ir une
eût des preuves bien fortes. Et à qui d'ailleurs puis je plus fûtement & plus fa mort crüel
gement m'en rapporter, qu'à celui même qui dit avoir été oculaire de le.
1)
*:
*-
76 po U R L E PANEGYRIQUE DE S. THOMAS.
ce qu'il nous a appris, & de ce qu'il a foûtenu avec tant de conſtance ? Son té
moignage, fur tout en de pareilles conjonćtures, eſt donc une conviction pour
nous: comme fon exemple eſt encore une instruction qui nous montre en quelle.
diſpoſition nous devons être nous-mêmes à l'égard de la foy. Le même.
Nous de- En effet, telle doit être la préparation de nôtre cæur, & tel l'attachement à
nôtre foy, que rien ne ſoit capable de nous en ſeparer. Il eſt vray que nous ne
Ể ſommes plus en ces temps ou toutes les puitiances du monde liguées contre
Jesus-CHR s T & fon Evangile, employoient tout ce qu'ils avoient d'autorité &
défendre nỗ- de force à pourſuivre les Fidéles. Nous ne ſommes plus expoſez au banniſ'e
tre foy à l'e- ment & à l'exil, aux fers & à la captivité, aux tourmens & à la mort. Nous
2 ! |} T. *“ avons
pouvons faire unedans
embrallèe profeſſion libre &, publique
nôtre baptême & où nousdeavons
la ſainte religion Mais
été élevez. que auſſi
nous
la profestion que nous en faiſons maintenant fans danger, & même avec hon
neur, pour avoir le degré de mérite & de perfection de la confeſſion de faint
Thomas, & qui lui eſt effentielle , doit être accompagnée d'une auſſi ferme ré
folution que la fienne ; en forte que nous foyons avec le ſecours de Dieu, prêts
à courir tous les dangers , & ſouffrir la mort même, plûtôt que de dementir le
caraćtere que nous portons. Le même.
Il est bien . Il ſemble que faint Thomas ne devoit point être fuſceptible de cette foibleſſe
étº" d'eſprit: Car prémierement, il avoit demeuré l'eſpace de trois ans dans l'école
de la Sagelle incréée & incarnée, dont les vives & éclatantes lumieres devoient
éé capable avoir fort fié & éclairé l'eſprit de ce Diſciple , à qui il n'avoit pas donné une foy
c'une trile commune,mais une foy d’Apôtre, c'eſt-à-dire, un flambeau deſtiné pour éclairet
fgibi ſe tout le monde. 28. Il devoit avoir appris par la vůë de tant de miracles , que le
pouvoir de ſon Maître alloit infiniment au delà de toutes ſes penſees. 3. Com
e me Jesus-Chr 1st ſçavoit bien que le myſtére de la Réſurrection devoit être le
en doutant fondementde ſon Egliſe , & la baſe de toute nôtre créance, il avoit pris un foin
de 8 - particulier d'en inſtruire fes Apôtres, & de joindre dans fes diſcours la gloire
de ſa Réſurrećtion , avec l'infamie de fa mort. Saint Thomas ne pouvoir être
incrédulc fur ce ſujet, fans douter que Jesus-CHR ist eût voulu , ou qu'il eût
på reifuſciter ; l'un & l'autre étoit également criminel. S'il doute qu'il ait voulu
rcliuſciter , il dément fa parole, puiſquil a nettement dit qu'il relluſciteroit ; s’il
doute qu'il l'ait pâ, il defavoué toutes les preuves de ſa toute-puiſſance, qu'il a
données fi fouvent par ſes miracles. Ajoutez, que comme les Juifs qui s’oppo
foient à la créance de la Réſurrećtion de Jesus Chrisr , commettoient un cri
me en quelque façon plus injurieux au Sauveur, que n'avoit été le déïcide qu'ils
avoient commis en ſa perſonne , d'autant qu'ils lui vouloient ôter dans l'eſprit
des hommes fa vie immortelle & glorieuſe; ainficet Apôtre par ſon infidélité, fe
joignant aux Juifs, & appuyant leur calomnie, condamne en même temps ce
que le Ciel & la terre, ce que les Anges & les hommes publient de la Réſurrec
tion de ſon Maître. Il tâche comme les Juifs, de le faire mourir encore une ſe
conde fois ; & tour cela parce qu'il a l'eſprit fi foible, qu'il ne peut concevoir
que la puistance de Dieu puiſſe faire ce qu'il ne peut comprendre. Le Pere Te
* xier, dans fon Paregyrique de faint Thomas. -
f c : Quel eit donc l'orgüeil & l'obſtination de cet homme qui ofe foûtenir que
tºute l'Egiile est dans l'erreur : qui veut faire paſſer non-ſeulement Magdelene
PARAGRAPHE SI XIE ME.
& les Diſciples, mais ſaint Pierre, & tous les Apôtres, pour des rêveurs , & &tionl'obstina
de cer
des eſprits foibles ? Il traite toutes leurs apparitions accompagnées de cir Apôtre.
conſtances fi publiques , & fi évidentes , comme des illuſions, & des ſonges;
il s’érige en eſprit fort, ou plútôt en eſprit préſomptueux ; & par une eſpece
de tyrannie, il veut lui ſeul obliger tous les autres à ne pas croire ce qu'ils ont
vů, pour croire ce qu'il ne ſçait pas. Après donc que tous les Apôtres lui ont
raconté toutes les particularitez de la Réſurrećtion de leur Maître, & que
toute l’Egliſe lui a apporté des témoignages fi autentiques ; il s’emporte avec
tant d'excès, qu'il protefte que fi Dieu ne fait abſolument ce qu’il veut, & s’il
n'en veut paſſer par ſes loix,il ne croira jamais. Non,dites ce qu'il vous plaira,je
vous déclare que fi je ne vois les playes des pieds, & des mains de nôtre Maître,
& s'il ne me permet de les fonder avec le doigt : encore même n'est-ce pas affez,
fi je n'enfonce la main bien avant dans fon côté, je ne croiray jamais qu'il
foit reffuſcité : Nist videro in manibus fixuram clavorum , & mittam digitim foan. 1 o.
meum in locum clavorum , & mittam manum meam in latus : non credam. En
verité grand Apôtre, c'est trop réſister aux lumieres du Ciel, c'est trop abuſer
des bontez de vôtre Dieu, c'est trop vous obstiner à vôtre perte. Quoy , la
providence de Dieu dans la diſpenſation du falut du genre-humain, n'a deſti
né qu'un ſeul Apôtre pour prêcher à des peuples entiers, & à pluſieurs Royau
mes le mystére de la Reſurrection de Jesus-CHRısr , & pour vous, elle
employe le College de tous les Apôtres dont le témoignage fera ſuffiſant
Pour faite croire un jour toutes les nations de la terre, & vous ne pouvez
vous réſoudre d'y ajoûter foy ? Non , cela ne ſuffit pas : Non credam. Le
7/2ť7716 •
Hé bien ! malheureux incrédule, vôtre Maître eſt fi bon, qu'il ne peut Suite da
conſentir à vôtre perte. Oủi, vous le verrez, vous aurez le bonheur de voir, même ſujet.
& d’étudier à lo fir tous les traits admirables de fon viſage ; vous lirez dans fes
yeux la vérité du myſtére que vous rejettez avec tant d'injuſtice: il vous par
lera, & vous dira lui-même qu'il est reſſuſcité. Ne ferez - vous pas après cela
fatisfait & convaincu ? Non: Nist mifero manum meam in latus, non credam. Ibidem.
Je ne croiray pas à mes yeux, ny à mes oreilles , reſolument je veux toucher,
je veux manier le corps qu'on dit être refuſcité. Mais à tout le moins, opi
niâtre, fi vôtre Maître, eſt affez condeſcendant pour permettre à un homme
mortel comme vous , de toucher une chair immortelle, & glorieuſe comme
la fienne, & s'il vous dit ce qu'il a dit à quelques autres : Palpate, ő videte, I ti ”. 14,
quia ſpiritus carnem , & oßa non habet. Vous vous rendrez aſſurément, & vous
croirez? Non credam. O aveuglement inſupportable ! extréme injustice d'un
fujet cnvers fon Souverain, d'une créature envers fon Créateur, qui fait que cet
Apôtre s'abandonne au caprice de fon eſprit , & qu'il ne fçait ce qu’il deman
de. Il n'agit point par raiſon , mais par obſtination , & par caprice. Si un
Apôtre eſt tombé dans un tel aveuglement d'eſprit, quel ſujet n'avons-nous
point de craindre ? Si un homme choiſi de Dieu pour porter la foy par tout
l'univers , l'a perduë, & fi une bouche deſtinée pour prêcher l'Evangile , l'a
combattu avec tant d'obſtination , ne devons-nous pas beaucoup apprehender ?
Le même.
L'amour de J e s u s-C H R 1 s T envers faint Thomas paroît en ce qu'il & L'amour,
la con
vcut venir tout exprès Pour lui , & lorſqu'il ne devoit paroître que pour le defendance
- K iij
du Fils d 78 P O UR LE PANEGYRIQUE D E S. T H O M A S.
Dieu en vers châtier ; il paroît pour le fauver: Ecce iterum venit Dominus » 716 periret Disti
pulus, Les autres Apôtres n'ont été appellez qu'une fois, pour celui-cy il y a
une double vocation. Repréſentez-vous donc le Sauveur des ames, qui pa
roillant au milieu de tous les Apôtres, & leur donnant la paix , regarde ce:
infidele d'un oeil, non pas de colere, mais de compaſſion. Nous ne point
dans l'Evangile, qu'il lui ait dit une ſeule parole de reproche fur fon injuste
procédé ; mais au contraire, le regardant avec tendreſſe, il lui dit : Approchez,
Thomas, vous m’êtes trop cher, je ne fçaurois conſentir à vôtre perte, il faut
vous convaincre de la maniere que vous voulez. Vous dites donc que cen’eſt
pas aſſez que je vous montre les playes de mes pieds , de mes mains , & de
mon côté: il faut encore r’ouvrir ces playes pour vôtre falut. Oüi , j'y con
fens de bon coeur. Donnez vôtre doigt, approchez vôtre main. Il me ſemble
que je vois cet Apôtre couvert de honte, & de confuſion, qui n'oſe lever les
yeux pour regarder fon Maître , & qui frappé d'étonnement, & ſe repentant
de fa faute, demeure immobile. Mais fon Maître prenant fon doigt, le met
sura. dans fes playes : Infer digitum tuum huc. Il prend ſa main , & la met dans fon
7***: *º: côté : Mitte manum tuam in latus meum , noli effe incredulus. Hé bien : êtes
vous maintenant content , & perſuadé, Thomas ? Quittez-donc la qualité d'in
Com crédule, pour prendre celle de fidele. Le même.
k La penſée de faint Pierre Chryſologue, est belle ſur ce ſujet. Il dit que les
s playcs de Je su s - C H R 1 s r., qui ſur la croix avoient donné du ſang pour
1'ouvertes nous racheter, & qui après fa mort donnerent de l'eau pour nous baptiſer :
En la sur Après ſa Réſurrećtion
répandirent , étant
les lumieres de nouveau
de la foy, & Ppour:ouvertes
lui, , , &parpour
la main de ThomasSi,
pou toute l’Egliſe.
de faint
Thomas , . - - • ɔ cɔ
repandirent bien , dit faint Grégoire le Grand , que l'injuste infidélité de Thomas nous a
les lumieres plus profité pour nous établir dans la foy, que la raiſonnable crédulité des autres
loy. Diſciples: Plus nobis profuit ad fidem Thoma incredulitas : quàm fides Diſcipulorum
" " ** credentium. Le même.
fur toute |- |- |- / 4 * • T _ »• I 1 » _ __ _ •
l Eglilc
«) •
Saint Thomas ne ſe pouvoit excuſer de ſon infidélité, puiſqu'il l'avoit pu
r * A • r -
- liée lui-même , & que doutant de la verité du mystere qui fert de fondement
°°" Thº à nôtre créance, il avoit mis en danger fon falut avec le nôtre : Car comment
mas par fon
" euſſions-nous pů nous perſuader la Réſurrećtion de J e s u s-C H R 1 s T , fi un
mit en dan- de ſes Diſciples l'eût combatuë ; & comment fuſſions-nous devenus fidéles, ſi
ger ſon fa- faint Thomas fût demeuré incrédule ; Mais le Fils de Dieu par un excès de
DOTIC,
* le bonté
ma fa diffipa
foy parles ténébres de; lui
l'expérience ſonpermit
eſprit de
, y fonder
porta laſeslumiere
playes,par
afinles ſens,
qu'il confir
guérit les
fiennes, & que celui qui avoit été le plus incrédule de tous les Apôtres, en
devint le plus humble, & le plus fidéle. Le Pere Senault.
Comme Comme la foy, est le principe de toutes les vertus chrètiennes , l’infidélité
fiuntelité, est auſſi la fource de tous les péchez. Qui ne croit point , dit. Jesus-CHRIST ,
: eſt déja jugé : Qui non credit, jam judicatus est. Il ne peut aimer Dieu, parce
, s. qu'il ne le connoît pas ; il ne peut eſperer en fes promestes , parce qu’il n'a
une folie. point de confiance en fes paroles ; il ne peut aller au Ciel , parce qu'il eſt
feann 3. hors du chemin qui nous y conduit; plus il s'avance, plus il s'égare ; plus il a
de vent, plus il court de hazard. Je ſçay bien que l'infidélité choque la ſageſſe,
& la puiſlance de Dieu, qu'elle veut donner des bornes à ces deux perfections
infinies , & que par un horrible aveuglement , clle s'imagine que Dieu ne peut
PAR A GRA PHE S I X I E’M E. 79
faire ce qu’elle ne peut concevoir. C'est pourquoy faint Hilaire a eu raiſon
de dire, que toute incrédulité, est une eſpece de folie; parce qu'elle veut ré
gler toutes choſes par la lumiere de fes fens, & par la foibleſſe de ſon opinion,
& qu'elle ſe perſuade que tout ce qui lui est inconcevable, est abſolument im
poſſible. Et pourſuivant ce raiſonnement, il ajoûte avec beaucoup de bon fens,
& de lumiere, que la cauſe de nôtre infidelité ſe doit prendre de l'infirmité de
nôtre opinion, lorſqu'elle ne croit pas qu'une chofe foit faite , parce qu'elle
ne croit pas qu'elle ait pů fe faire. Saint Thomas ne tombe pas ſeulement dans
ce défaut commun à tous les infidéles, & ne meſure Pas feulement la puiſſance ,
& la ſageſſe de Dieu par l'impuiſſance, & l'ignorance de fon eſprit; mais il com
met encore deux injuſtices ſignalées, qui rendent fon crime moins excuſable.
La prémiere, est qu'il combat la vérité des paroles de J E s u s-C H R 1 s T , qui
avoit fouvent parlé de fa Réſurrećtion; car, comme elle est la baſe de nôtre
eſpérance, il en avoit pluſieurs fois entretenu fes Diſciples, & il avoit toû
jours joint la gloire de ce myſtere avec l’infamie de fa mort, afin que fi l'une
avoit abbatu leur courage, l'autre relevât leur confiance. De forte que faint
Thomas doutoit de la puiſſance, ou de la vérité de Jesus-CHRIsr , & offençoit
les deux qualitez qui appuyent nôtre créance. S’il eût voulu comparer le
paſſé avec l’avenir, il eût tiré des preuves de l'un pour fe perſuader de l'autre;
& ayant vû arriver toutes les circonſtances que Jesus-CHRust avoit prédites de
fa mort,il n'eut pas douté de la vérité de fa Réſurrećtion. Il est vrai que la gran
deur de cet accident, le ſcandale de la croix, l'étonnement qui l'avoit ſuivi,
pouvoit ſervir d'excuſe à l'infidélité de nôtre Apôtre, & engager fon cher Maî
tre à lui pardonner ce péché. Mais la feconde injustice qu'il commit, ne ſe peut
ny excuſer, ny défendre. Il combat lui ſeul le témoignage de tous les Diſci
ples ; il dément tour ce qu'ils diſent par une horrible incrédulité, ou par un
orgüeil inſupportable, & demeurant opiniâtre dans fon erreur, il aime mieux
croire aux doutes de ſon eſprit , qu'aux rapports & au confentement de tous
fes freres. L'infidélité n'est jamais plus criminelle , que quand elle préfere
orgueilleuſement fon fentiment à celui des autres , & que par une extrême
vanité, elle ſe perſuade qu'il n'y a qu’elle qui connoiffe la vérité. C'eſt l'injusti
ce de nôtre Apôtre qui croir que l'Eglife eſt dans l'erreur; qui par une eſpece
de tyrannie, veut obliger fes freres à ne pas croire ce qu'ils ont veu , pour
croire aveuglement ce qu'il n'a pas vú. Mais autant que l'infidélité de faint
Thomas avoit été opiniâtre, autant ſa foy fût-elle ardente, puiſqu'elle l'obligea
à quitter ſa patrie, & à aller porter le nom de fon Maître où aucun Conquerant
n'avoit encore pénétré. Le même.
Aimer mieux croire à ſes ſens qu'à la parole d'un Dieu ; aimer mieux s'en fier L'indignité
à ſoy-même ſur la vérité d’un fait, qu'au rapport de pluſieurs perſonnes, de la du procedé
bonne foy deſquelles on ne doit point douter, fût-il jamais un entêtement :
pareil! Telle étoit la diſpoſition de Thomas, & telle eſt celle de ces prétendus :
eſprits forts, qui croyent être plus éclairez qu'on ne l'a été depuis feize ſiécles; l'entët mene
qui s'imaginent avoir des connoiſſances que toute l'antiquité n'a point euës : de estigno
qui ne peuvent s'en fier, ny à l’Ecriture,ny à la Tradition, ny aux Conciles, ny
aux Peres; qui voudroient qu'on repaſsât en leur faveur, tous les fondemens .
de la Réligion , & qui exigeroient volontiers pour en croire les myſtéres, que de ó f:
le Sauveur revint au monde , & qu’il y fût crucifié de nouveau. Ils voudroient cle.
8o P O U R L E PANEGYRIQUE D E S. TH O M A S.
le voir de leurs yeux, & toucher eux-mêmes les playes de fes mains, & celle
defon côté. AMonsteur de Montmorel.
La miferi- En conſidérant l'infidélité de cet Apôtre , admirons la miféricorde infinie du
coide admi- Seigneur, qui fait pour un ſeul, ce qu'il a déja fait pour tous , & montre
fes playes une ſeconde fois pour guérir le ſeul malade qui restoit dans ía fa
" mille, & parce que l'eſprit de cet incrédule étoit tout charnel, le Sauveur veut
Apstrs in- le rendre fidéle par le plus groſſier de tous les fens ; car Thomas ne demande
fidéle. pas ſeulement à voir les playes de fon Maître : mais à mettre ſon doigt dans
les trous de ſes cloux, & fa main dans l'ouverture de fon côté. Jesus-ChRısr
fût huit jours fans lui apparoître ; pour exciter en lui un plus grand defir de
le voir , & pour donner à ſes Apôtres rout le temps de l'instruire, & de pou
voir le ramener de ſon égarement, & enfin il lui apparut en préſence des au
tres Diſciples, pour les confirmer de nouveau dans la foy de la Réſurrećtion,
pour les conſoler une feconde fois, & pour donner lieu à cet infidele qui
avoit ſcandaliſé les autres par fon opiniâtreté, de reparer publiquement ſa fau
te, par la confeſſion fincere d'une vérité qu'il avoit refuſée de croire : & cette
feconde apparition fe fit avec les mêmes circonstances que la prémiere, afin que
cet infidéle voyant ce que les autres lui avoient déja témoigne être arrivé, il fut
plus convaincu de la verité. Le même.
Le proce- Dieu ſeul eſt capable de rappeller un pécheur ingrat, & infidéle par une
é du Fils condeſcendance telle que de lui donner fes mains, & ſon côté à toucher.
*" Auſſi peut-on dire que Thomas entendant cette parole: Partez icy vôtre doigt,
A ap. qui fut pour lui le reproche le plus tendre, reconnut d'abord ſon crime , & le
prend aux détesta. Reconnoître fon Dieu, & répondre à ſa bonté infinie , fut preſque
Mini du une même choſe ; ce qui a fait dire à pluſieurs Peres, qu'il ne toucha point les
il- playes du Sauveur, ou que, s'il les toucha, ce fût le Sauveur lui-même qui
ce les lui fit toucher. Miniſtres du Seigneur, en voyant aujourd'hui le Fils de
doivent re- Dieu s'accommoder à la foibleſſe d'un infidéle , aprenez la charité que vous
cevoir les devez avoir pour les pecheurs; ſupportez celui qui eſt foible dans la foy, & fai
tes que les hommes ne foient pas plus feveres à l'égard des hommes, que Dieu
"*"*" même : Nous devons donc, dit l’Apôtre, nous qui fommes forts , ſuporter les foi
blefes des infirmes. Rermarquez ce terme, nous devons ; c'est un devoir, puiſ
que le fort ne perd rien par ſa condeſcendance, & que le foible ſe perd, à
moins qu'on ne le ſupporte. Les manieres dures, & iufléxibles ne ſont guéres
propres à ramener des pécheurs égarez , & opiniâtres. Il faut pour guerir
leurs playes à l'exemple du Samaritain de l'Evangile, detremper l'huile avec
le vin ; c'eſt-à-dire , employer toute la douceur , & l’onćtion de la cha
rité ; il faut ſe baiffer pour relever celui qui eſt tombé ; courir après la brebis
égarée, & la charger même fur ſes épaules avec joye : il faut fe relâcher tant
qu'on le peut de È droits , quand on voit qu'en cedant quelque chofe , on
- gagnera une ame à Jesus-CHRIST ; car voilà tout le but & toute la fin de vôtre
ministére. C’eſt pour cela que vous êtes envoyez par le Fils de Dieu , comme
il a été envoyé lui-même parfon Pere. Les Parthes, les Medes, les Indiens
n'auroient jamais peut-être reçû la foy, ſi le Fils de Dieu, par un excès de
charité, ne fe fût accommodé à la foibleſſe de fon Apôtre. Le même.
Les four. Nous pouvons remarquer pluſieurs circonſtances de l'infidélité de faint Tho
ces de l'in- mes qui l'agravent infiniment , & qui peuvent beaucoup nous instruire , dont
la
P AR A GRAPHE s IxIEME. 81
Îa principale eſt feion les Peres, la fource des autres ; c'eſt qu'il n'étoit point
avec les autres Apôtres quand le Sauveur leur apparut: Thomas autem non erat foan. 2ə.
cum eis quandò venit JEsus. Les Apôtres étoient la figure de l'Egliſe, Thomas
en étoit éloigné, il ne participera point à la grace que le Sauveur leur va faire :
ce qui a fait dire à faint Bernard , en parlant à cet incrédule ; vous vous trom
pez, Thomas, vous vous trompez, fi vous eſperez voir le Seigneur étant fcpa
ré de la compagnie des Apôtres ; la vérité aime la ſocieté, & la fingularité lui
deplaît ; elle réſide au milieu ; c'est-à-dire, qu'elle aime la vie commune , la
rége commune, les manieres uniformes. En effet, croire avec la multitude,
s'attacher toűjours aux opinions les plus communes de l'Egliſe , ne ſe ſéparer
jamais des perſonnes aufquelles la Providence nous a liez, ce font des opinions
u'on ne peut aſſez rebattre. Le même.
Il faut de plus remarquer que cette infidélité ne regarde pas quelque poine Comme
de foy en particulier, comme ceux qui dourent d'un article , & qui font prêts, l’infi le lité
de Taint
pourvû qu'on relâche fur ce point, de ſouſcrire à tous les autres ; mais il eſt infi Thomas re
dele dans le point fondamental de la Religion , & dans celui que le Sauveur gardoit l'ar
avoit lui-même donné pour preuve inconteſtable de tous les autres : ſçavoir, ticle fonda
dans la foy de la Réſurrection , & par conſéquent, c'étoit autant que de dire mental de
nô: re Reli
qu'il n'étoit pas Fils de Dieu, comme il l'avoit dir. Ainſi , ce que les ennemis du gion.
Sauveur s'étoient efforcez inutilemcnt de renverſer par leur animoſité , & par
leur envie : cet Apôtre penſa le faire par ſon infidélité ; car il détruit autant qu'il
peut la gloire de cette Réſurrećtion ; il autoriſe la calomnie des Juifs : il nie
ce que le Ciel, & la terre, les Anges, & les hommes avoient publić, & non
feulement il renonce à l'eſpérance de la gloire que cette Réſurreċtion ſeule nous
| prouver ; mais fans une particuliere providence de Dieu, il eût pû être
a cauſe que perſonne n'eut crû cnſuite, ce qu'un Apôtre même avoit opiniâtre
ment nié, & conteſté. Ne voilà-t-il pas le procedé le plus outrageant qui pût
être fait au Fils de Dieu, par une perſonne qu'il avoit tant obligée, & qui le
touchoit de fi près ? Aufſi n'y a-t-il eû que la vertu de fes playes qui ait été ca
pable de guérir une telle infidelité ; de forte que fi l'opiniâtreté de ſaint Thomas
fut extrême, il faut avouer que la mifericorde de cet Homme-Dieu n'a jamais
éclaté plus hautement qu'à l'egard de cet Apôtre, puiſqu'il veut bien le con
vaincre par les preuves mêmes qu'il en demande, & condeſcendre à fa volonté ,
pour l'attacher enſuite plus inviolablement à la fiennne, & lui faire trouver
dans ces mêmes playes le tréfor de la foy, que fon infidelité lui avoit fait per
dre fi malheureuſeinent. L'Auteur des Sermons fur differens fujets.
Je ne doute point qu'il ne ſe ſouvint alors de ce qu'il avoit dit autrefois lui Sentimens
même , & qu'il ne le repetât avec un fentiment mille fois encore plus généreux, généreux de
faint Tho
qu'il ne le fit la prémiere fois ; Eamus, & nos, & moriamur cum eo. C'eſt tout mas , à la
de bon maintenant que je ferois indigne de la vie fi je ne la donnois pour mon vue des pla
Dieu , & pendant que j'auray une goutte de fang dans les veines , je le veux Sauveur.
yes de fon
verſer pour celui qui daigne bien m'appliquer le mérite du fien. Il me fait voir oam. 1 f.
fon coeur par la playe qu'il a foufferte pour mon amour: il faut que je lui mon
tre le mien par celles que je veux recevoir pour lui ; trop heureux qu'il me juge
digne de ſouffrir pour ſon amour, ce qu'il a fouffert pour meriter le mien , &
mille fois trop gorieux, ſi une ſemblable playe pouvoit lui marquer que je
fuis devenu fidele juſqu'à la mort ; Eamus , & nos , & moriamur cum eo. Son
Paneg. des Saints. Tome I. L
-
82 P O U R LE PANEGYRIQUE DE S. T H O MAS.
fouhait fût écouté , c'eſt pourquoi je ne m’arrêteray point à ce qu'il ſouffrie
dans Jéruſalem avec les autres Diſciples ; je dirai ſeulement que là où il avoir
été le dernier à fe rendre, & le plus opiniâtre à ne point croire la Réſurrećtion
de fon Maître : là il fût un des prémiers à la publier, & comme la crainte l'a
voit obligé de fuir plus loin , & de ſe cacher plus long-temps, il affronte
maintenant la mort, & tous les ſupplices. Je dirai ſeulement un mot de ſon
dernier ſupplice qui fut à Calamine appellé maintenant Meliapur. C'eſt là où
pour rendre fa mort plus reſſemblante à celle de ſon Sauveur , fon amour de
fouffrir comme lui , paſſa de l'eſprit ſur le corps ; il ne pût vivre fans bleſſure
après avoir vú le corps de fon Dieu entr’ouvert de playes, & la cauſe n'en fût
pas moins glorieuſe que l'effet, parce que ne pouvant s'empêcher de publier
par tout la foy du Sauveur, & ſon courage prenant de nouvelles forces par les
défenſes qu’on lui faifoit d'annoncer aux peuples cette loy, & par les obstacles
qu'on apportoit à ſes deſfeins, il fût pourſuivi par les Infidéles , & percé de
fléches qui le couvrirent de playes, & qui lui ouvrirent le coeur, comme la
lance avoit fait celui de fon Sauveur. Le même.
- 83
P O U R
LE P A N E G Y R I QUE
D E
SA IN T E T I E N N E.
A V E R T I S S E M E N T.
L ij
84 PO U R L E PANEGYRIQUE D E S. É TIE N N E.
P A RA GRA P H E P R E MI E R.
Divers diffeins, & Plans de distours fur ce fajet.
S US plenus gratià, & fortitudine faciebat prodigia; & figna magna in
populo. Ačł. c. 6. Voici l’idée que le Saint Eſprit nous donne du prémier
Martyr faint Etienne. Il a été plein de grace , & en même temps plein de
force : Plein de grace dans l'accompliſiement de fon miniſtere, & plein de force
dans la conſom mation de fon maityie. Cette double plénitude , que je regar
de comme le caraćt.re qui le diſtingue, & qui a fait tout ſon mérite devant
Dieu , & devant les hommes: Cette plénitude de grace qui a fanćtifié ſa vie ,
& cette plénitude force qui a couronné ſa mort : cette plenitude de grace qui
a rendu ſa conduite fiirrépréhenſible, & fi édifiante , & cette plénitude de for
ce » qui a rendu fa parience, & fa chatité fi héroïques: cette plénitude de grace
en vertu de laquelle il a été un parfait Miniſtre de l'Egliſe de Jesus - CHRIST,
& cette plénitude de force, en vertu de laquelle il a été non-ſeulement le pré- ,
m er Martyr , mais un des plus fervens Martyrs de Jesus - CHRIST 5 c’eſt là
le partage le plus juſte que je puis me propoſer dans ce diſcours, puiſqu'il eſt
renfermé même, & fi clairement exprimé dans les paroles de non texte : Stepha
niis plenus gratià , či fortitudine.
Prémiere Partie. Etienne plein de grace dans l'accompliſſement de ſon mi
nistére. Il étoit Diacre, & même le premier des Diacres de l'Egliſe. Charge ho
norable, mais qui l'engageoit à deux choſes : l'une d'adminiſtrer les biens de
l'Egliſe , dont il étoit par office, le diſpenſateur ; l’autre de gouverner les veu
ves , qui renonçant au monde , fe conſacroient à Dieu dans l'état de la vi
duité. Charges où la faintste même trouvoit des rifques à courir ; mais où
Dieu voaloit que faint Etienne, par ſa probité, & par ſa ſagelle , fervît d'exem
ple à tous les ſiecles futurs.
1º. Conme diſpenſateur des biens de l'Egliſe , Etienne étoit reſponſable
de fi conduire à Dicu, & aux hommes: prémiere épreuve de fa vertu, où pa
roît fa probité , & toute la grace dont il fut rempli : Car dans un tel miniſtere,
qui y a-t-il de plus difficile , que de conferver devant Dieu tout le mérite d'un
parfait defintereſſement, & d'en avoir devant les hommes toute la réputation ?
Tel fut le double avantage de faint Etienne, & qu'il feroit à fouhaiter que les
biens Eccleſiastiques fiểne de nos jours ainfi diſpenľcz.
2°. Comme directeur des veuves, qui vivoient feparées du monde , Etien
ne étoit chargé de leur conduite : autre épreuve bien dangereuſe : Carà queis
Perils, à quels diſcours, & à quels ſoupçons n'est-on pas expoſé dans un employ
où l'on eſt obligé de traiter fouvent avec lcs perſonnes du ſexe ? Que n'en coûtâ
t-il point à ſaint Jérôme ? mais parla-t-on jamais de faint Etienne qu'avec ref
ećt, & avec éloge ? Il n'y a que la probité, & la probité reconnue , qui puiſ
fe être de la forte au-destus des jugemens du monde, & voilà le fruit de la
grace dont Etienne eut la plénitude. Erreur, fi nous prétendons , fur tout
dans un fiécle comme cclui-cy , échapper à la malignité du monde , par une
autrc voye , que par celle d'une conſtante , & exaćte regularité. A cette probité
PARAGRA PHE P R E MI E R. . . . 85
fe trouva jointe une fageſie toute divine. Pour en être perſuadé , il n'y a
qu’à lire ce beau diſcours qu'il fit aux Juifs, & ce qu'il leur difoit , à combien
de Chrétiens pourroit-on encore le dire: Durâ cervice, cr incircumcists cordibus
auribus : vos femper Spiritui Savéto refistitis.
Seconde Partie. Etienne plein de force dans la conſommation de fon mar-,
tyre. Deux miracles , où il a fait éclater cette force. Miracle de patience dans
toutes les circonſtances de fa mort ; miracle de charité envers les auteurs de fa
mort. 1°. Miracle de patience dans toutes les circonstances de fa mort : car ç'a
été le prémier Martyr, dont l'exemple a fortifié tous les autres,mais qui marchant
à leur tête comme leur chef, avoit beſoin d’une plus grande force. Il a fouf
fert de tous les genres de martyres un des plus crüels, & au milieu de fon tour
ment , il conſerva toute la paix de fon ame. Nous, que voulons-nous fouffrir ?
Saint Etienne a triomphé des tourmens, & de la mort, & tous les jours nous
fommes vaincus par la molleste , & par les douceurs de la vie. zº. Miracle
de charité envers les auteurs de fa mort. Non-ſeulement il leur pardonna ,
mais il pria pour eux, & avec plus de zele , que pour lui-même : Car en priant
pour lui-même il ſe tenoit debout , mais en priant pour fes bourreaux il fléchis
les genoux. Dans une telle charité, quelle force ? Aufſi Dieu l’écouta-t-il , &
de la vint la converſion de Saul. Un des fignes les plus certains de nôtre pré
deſtination bien-heureuſe, c'eſt cette charité envers nos ennemis. Pardonnons,
& Dieu nous pardonnera. Pere Bourdalouë.
I L est hors de doate que c'eſt la charité qui fait les Saints ; puiſqu'elle est I I.
le principe de leurs mérites, la couronne de toutes leurs vertus, & la meſure
de leur gloire ; juſques-là que les plus hauts Seraphins, qui approchent le
plus près du trône de Dieu, font austi ceux qui brûlent des plus pures flammes
de fon amour. Pour établir ſur ce fondement l'éloge du grand faint Etienne , il
faut prendre trois rayons de cette charité toute divine qui a embrafé fon coeur,
& dire : 1°. Qu’il a eủ ce qu'il y a de plus ardent dans la charité, qui est le
zele, lequel l'a fait Apôtre fans en avoir le nom, puiſqu'il a été un des pré
miers à prêcher l'Evangile , & la doćtrine du Sauveur. 2º. Qu'il a fait ce qu'il
y a de plus grand dans cette charité, qui est d'avoir donné le prémier fa vie , &
fon fang pour l'amour de fon Dieu , felon cctte parole de fon Maître :
Majorem hic dilectionem nemo habet, quàm at animam fuam ponat quis pro fran. 15.
amicis fuir. 3 °. Enfin, qu'il a accompli ce qu'il y a de plus difficile dans cette
même charité, qui eſt l'amour des ennemis. L'Auteur des Sermons fur tous les
fujets , &c.
L e s ſept Diacres qui fûrent établis par les Apôtres, la même année, à ce I I I.
que l'on croit, que J E s u s - C H R 1 s T monta au Ciel, étoient tous rem
plis du Saint-Eſprit, pleins de foy, & de fageſſe ; mais cette plénitude du
Saint-Eſprit, de foy, de grace, & de force , eſt particulierement attribuée à
faint Etienne, que l'Ecriture nomme le prémier d'entr'eux ; auſſi étoit-il
véritablement le prémier, & par le rang , & par le mérite , & Par la grace. Il a
poſledé éminemment ces glorieuſes qualitez.
1º. En méprifant la mort avec un courage invincible. - :*
86 p O U R LE PANEGYRIQUE DE S. E T I ENN E.
1°. On peut dire qu'il eſt de la force d'un Martyr d'aller au devant de la
rmort , de la prévenir en eſprit , la contemplant dans tous fes appareils les
plus terribles, pour n'en être point effrayé lorſqu'elle ſe préſente, car les traits
qui font prévůs tombent moins à plomb, la nature s'accoûtume à cet objet ;
c'eſt préciſément ce que dit faint Ambroiſe, que le courage d'un Martyr a
quelque choſe de fier : Fortitudo vim quandam , ferocemve virtutem habet, mor
tem contemnere. Il mépriſe la mort, parce qu'il eſt allé au devant d'elle, pour
ne l'enviſager qu'avec ces yeux Chrêriens qui la rendent plûtôt aimable,
que terrible. Telle fût la diſpoſition d'eſprit de faint Etienne. Ce généreux
Diacre pouvoit être effrayé d'abord par une populace émůë , armée de pier
res , & de cailloux ; le triſte ſpectacle de la mort de Jesus-CHRIsr étoit pein
te devant fes yeux, la carriére où il entroit n'avoit pas encore été frayée par
cette troupe innombrable de Martyrs , qui ont rendu cette voye &
& glorieuſe. Toutes ces circonstances rétiniës pouvoient effrayer nôtre faint
Diacre, comme Jesus-Christ , & faint Pierre fon Vicaire en furent effrayez;
mais faint Etienne ſe préſente en eſprit à la mort, avant qu'elle ſe préſentât
à lui : il la dépouilla de tout ce qui intimide la nature. La mort ne lui paroiſ
fant que comme le chemin qui conduit au Ciel , comme la clef qui le lui
devoit ouvrir, non-fenlement il eût du mépris pour elle, mais il la défira
violemment. C'eſt le prémier effet que produiſit dans ce faint Levite, cette
éminence de grace dontil avoit été privilegié.
zº. Il est vrai qu'il y a loin de la ſpéculation à la pratique ; celle-cy étant dif
ficile , il est aſſez ordinaire que l'on demeure court, & que nos aćtions ſoient
preſque toûjours au-deſſous de nos idées ; c'est ce qui fait dire que le Sage n'est
seneca, jamais content de lui-même : Omnis ſapiens ſemper laborat fastidio fui, parce
que ſes aćtions ne répondent jamais à la juſteſſe de fes idées. Ainſi, mépriſer
la mort quand on ne la voit que de loin , & comme dans un enfoncement,
& la fouffrir généreuſement lorſqu'elle ſe préſente, font deux choſes très-d'ffé
rentes. Saint Etienne les a néanmoins parfaitement alliées ; il a mépriſé la mort
en la voyant de loin , & il l'a ſouffert avec patience, lorſqu'elle est venuë à
lui. Aufſi, ny les menaces de tous les Juifs, ny le concours de cette populace
emûë , ny la fureur qu'ils faiſoient paroître en diſputant contre Etienne , ny la
rage qu'ils avoient exercée fur J e s us - C H R 1 s T , modele de celle qu'ils
devoient exercer fur ſes membres, ne l'étonnent point. En vain ils frémiſſent
de rage contre lui, en vain toute la Synagogue eſt armée avec ſes Proſélytes;
faint Etienne demeure ferme comme un rocher, non par inſenſibilité , mais
par un effet de cette patience héroïque qui mérite d'étre éprouvée , dont les
čpreuves font foûtenuës par cette eſpérance qui n'eſt jamais confondë , parce
que la charité étoit répanduë dans ſon coeur par l'Eſprit Saint, qui nous est
facobi 1. donné ; Parientia probationem operatur probatio verò ſpem, ſpes autem non con
Rom. 5. fundit, quia charitas diffuſa est in cordibus nostris per Spiritum Santium qui datus
est nobis. / *
, 3°. On peut dire que faint Etienne a frayé un nouveau chemin en priant
pour fes bourreaux. L'Homme-Dieu l'avoit précédé , mais depuis, nul homme
ne lui avoit donné cet exemple ; il a donc montré que l'homme étoit capable
de ce généreux effort, par un effet de la grace qui l'éleve au-deſſus des reflen
timens de la nature. Il a fait voir que la loy du Talion étoit détruite , & qu'au
PAR AGRA PH E P R E M I E R. 87
lieu de donner ceil pour æil, il falloit au contraire, prier pour ſes em
faire du bien à ceux qui nous perſécutent , afin que nous foyons les enfans de
nôtre Pere céleſte, qui fait lever fon foleil ſur les bons, & ſur les méchans.
Approchons donc cette copie de fon original, & après avoir vû l'Evangile pra
tiqué par faint Etienne avant que nul autre pur homme l'eût pratiqué dans
cette circonſtance du pardon accordé à ſes ennemis , & à ſes propres bour
reaux ; écoutons Jesus - CnRisT qui dit à la croix ; mon Pere , pardonnez
leur, car ils ne ſçavent ce qu'ils font : Pater, dimitte illis, quia neſciunt quid fl Lur. 28,
ciunt ; & écoutons faint Etienne qui étant accablé d'une grêle de pierres , dit
au Pere Eternel : Mon Seigneur, & mon Dieu, ne leur imputez pas ce pe
ché : Domine, ne statuas illis hoc peccatum. Dans le Maître, & dans le Diſciple,
ce font les mêmesparoles, les mêmes fentimens , c'eſt le même amour, & la
même charité qui pardonne la mort.
O N peut donner ſur le même ſujet un autre deſfein , comme a fait Mon
fieur Biroat.
1°. Saint Etienne mépriſe la mort, comme Jesus-CHRIST.
zº. Il l'endure comme J E s u s-C H R 1 s r.
3°. Il la pardonne comme J E s u s-C H R 1 s r ; ce mépris eſt un effet de la
grace toute-puiſſante de J E s u s-C H R i s T ; cette patience n'eſt foutenuë que
par J e sus-C H R 1 s r , que faint Paul le Dieu de la patience :
Deus autem folatii ; & ce pardon accordé à ſes ennemis , a pour principe Ad Roman.
l'exenrple tout recent de Jesus-ChR1st , qui avoit prié ſur la croix pour les 1 J•
Juifs.
O N peut conſidérer de quelle maniere faint Etienne a aimé ſes ennemis, & V. -
On verra ,
1. Qu'il a eu un zele ardent du falut de fes ennemis, & de leur con
verſion , dans le temps qu'ils avoient conçû plus d'animoſité contre
luy. -
2°. Qu'il a pardonné la plus grande de toutes les injures, qui eſt la mort
qu'ils lui ont fouffrir.
L A mort des Martyrs n'est précieufe devant Dieu que parce qu'elle est un V I.
triomphe. Suivant cette idée, nous pouvons dire,
1°. Que ſaint Etienne atriomphé de la jaloufie des faux zelez contre Jesus
CHRist. C'est le prémier effet de la grace, & de la force de ce faint Diacre, &
fon prémier triomphe.
2°. Qu'il a triomphé des calomnies de fes accuſateurs devant les Juges de
la Synagogue. C'est le ſecond effet de la grace , & de la force de faint Etienne,
& ſon ſecond triomphe. ~
3 °. Enfin l'un & l'autre employe fes derniers foûpirs pour ſauver ceux qui
lui donnent la mort.
La diviſion la plus juste & la plus propre qu'on puille faire ſur ce ſujet,
eſt de faire voir, -
1°. Qu'il a câ une pureté angelique dans fon ministere & dans fon employ,
qui étoit d'avoir foin des veuves, & de fournir à leurs beſoins.
zo. Une force héroïque dans fon martyre , puiſqu'il eſt le prémier qui a
fouffert la mort pour le Sauveur, & même la mort la plus crüelle.
3o. Une charité toute divine dans le pardon des injures , & qu'il a deman
dé à Dieu pour ſes propres bourreaux : à l'exemple du Sauveur:
X I. P ou R ne pas nous éloigner de l'éloge que le Saint-Eſprit donne à Saint
Etienne dans les Aćtes des Apôtres, je me ſens obligé de vous dire que plein
de grace & de force il faiſoit de grands prodiges & de grands miracles parmy
le peuple; & c'étoient du moins de grands prodiges de charité. La charite ren
ferme deux chofes , l'amour de Diku , & l'amour du prochain, qui font
comme deux ruiſſeaux d'une même ſource , & deux branches d'une même rige.
La perfećtion de l'amour de Dieu, c'eſt le zéle de fa gloire , mais un zéle ar-,
dent & généreux pour foûtenir fes interêts juſqu'au de fa vie. La per
fection de l'amour du prochain, ne conſiſte pas préciſement à aimer ceux qui
Il O US
P ARA GR APH E P R E M I E R. 89
nous aiment ; mais à aimer pour Dieu ceux qui nous diſent des injures, & qui
nous font des outrages. Et c'eſt en ces deux choſes que la charité de faint Etien
ne s'eſt renduë recommandable ; de forte qu'on la peut conſidérer fous trois
viſages differens ; 1°. comme une charité pleine de zele ; 2°. pleine de force ;
3°. pleine de douceur, pleine de zele, pour foûtenir la gloire & les interêts de
Dieu; pleine de force, pour les foûtenir juſqu'à la perte de fa vie ; pleine de dou
ceur , pour pardonner ſa mort à ſes ennemis juſqu'à demander leur grace.
SAINT ETIENNE a dans les Juifs deux fortes d'ennemis à combattre, il a X I I.
ceux de Jesus-CHR. 1st , & il a les fiens ; mais pour les combattre , il s'y
prend d'une maniere bien differente de la nôtre.
1°. Il ne peut ſouffrir que les ennemis de Dieu l'offenſent, & il employe
contre eux tout ce qu'il a de zele.
2°. A l'égard de ſes ennemis , il oublie tous les outrages qu'ils lui font, &
r’a pour eux qu'une douceur charmante. Admirable exemple pour tous les
Chrétiens ! Voilà les deux regles que j’ay à vous propoſer , pour vous fair
voir de quelle maniere vous devez vous comporter en ces deux rencontres ; &
pour prendre des régles plus fenfibles, je m'arrêterai à la perſonne, & à la con
duite de Saint Etienne. En effet , examinez bien ce qu'il a fait , & ce qu'il a
dit, & vous apprendrez juſqu'où doit aller vôtre zele à l'égard des ennemis
de Dieu ; ce fera le ſujet de mon premier point. Juſqu'où doit aller vôtre dou
ceur, & vôtre patience à l'égard de vos propres ennemis ; ce fera le ſujet de
mon fecond point.Le zele de Saint Etienne à défendre les interêts & la gloire de
Dieu, contre la malice & la dureté des Juifs ſes ennemis , prémiere matiere
de ſon éloge ; la charité de Saint Etienne à renoncer à ſes propres intcrêts, à
excuſer, & demander grace pour ſes propres ennemis ; matiere de
fon éloge.
SAINT ETIENNE a été un parfait exemple de charité, & le prémier exem X I I I.
ple de la charité parfaite. Voilà, Meſſieurs, juſqu'où peut aller la charité du
Christianiſme la plus excellente ; aimer entre les hommes juſqu'à ſes propres
ennemis; aimer Jesus-CHRIsr juſqu'à lui ſacrifier fa propre vie. L'amour ne
fçauroit avoir ny plus d'étenduë , ny plus de force. On ne peut donner de
loüanges à Saint Etienne qui foit, ou plus véritable , ou plus propre que de
dire qu'il a été comme le modelle & l'idée de la chariré chrêtienne. Mais ce
ui lui rend cet éloge encore plus particulier , c'eſt qu'il a été le prémier de
tous les Chétiens, qui ait porté cette vertu à ce haut point de perfećtion ;
puiſqu'il a appris à tous les Chrêtiens juſqu'où elle pourroit aller , avant
qu'il l'eût pû apprendre de perſonne.
Cette propofition renferme deux véritez que nous allons examiner dans les
deux parties de ce diſcours.
1º. Que Saint Etienne a été un parfait exemple de charité.
zº. Qu'il a été le prémier exemple de la charité parfaite. J'entreprens cet
éloge avec d'autant plus de plaifir, que je travaille ſur un fond ſolide & iné
branlable. On ne me reprochera point d'avoir composé moy-même mon Hé
ros, & d’avoir tracé une idée de la charité , qui n'eſt qu'une pure idée ; je ne
dirai rien dont le Saint Eſprit ne me ſoit garand ; c'eſt lui-même qui a bien
voulu dićter la vie de nôtre Saint, laquelle eſt raportée bien au long dans les
ActesPaneg.
des Apôtres ; de forte que quelque incroyable que puiste paroitre
des Saints. Tome I. M
ce que
9o P O U R L E PANEGYRIQUE D E S. ET I EN N E.
je vais dire , il ne fera pas même permis d'en douter.
XI W. ON peut dire que faint Etienne a fouffert deux martyres, l'un des bour
rĉauX , de foy-même, & de fon amour, en ſacrifiant intérieurement, &
extérieurement à la foy de Jesus-CHR1st , & à ſon Evangile, le reſſentiment
naturel de haine, de colere, & de vengeance qu'il devoit avoir contre fes
perſécuteurs. On peut conclure, ayant comparé ces deux fortes de martyres
enſemble, que le plus grand a été le martyre non ſang'ant , où ce faint Diacre
n'a point eû d'autre bourreau que ſon amour: ’am coronam novam habebat, &
ideò palmam martyrii fuo nomine prestabat. August. Serm. 2.
PARAG RA PHE S E C O N D.
Les fources où l'on peut trouver dequoy remplir ces deffeins, & les
Auteurs qui en traitent.
Les Saints QAint Augustin, prémier Sermon fur faint Etienne, où il montre l’effet de
Peres, la Nativité du Sauveur fur ce prémier Martyr, s'étend ſur les vertus de ce
rand Saint , & principalement ſur l'amour des ennemis, & ſur l'efficace de
priere dans la converſion de faint Paul.
Le même , dans le fecond Sermon , montre comme faint Etienne a parfaite
ment imité le Sauveur, en priant pour ceux qui le lapidoient, en marquant
du zele contre les ennemis de Dieu , & n’ayant que de la bonté, & de la dou
ceur pour les fiens propres, demandons leur pardon à genoux.
Le même, dans le troifiéme , fait voir , comme faint Etienne a cherché la
loire du Sauveur, & non la fienne propre, & comme en toutes choſes , il a
les traces de ce divin Paſteur.
Le même, dans le quatriéme, exhorte à l'amour des ennemis, fur l'exemple
de Jesus - CHR1st attaché à la croix, & de faint Etienne lapidé par les Juifs,&
finit par montrer l'injustice, & le malheur des vindicatifs.
Le même , dans le cinquiéme , montre que faint Etienne est donné à toute
FEgliſe comme un modele de pureté, de patience, de foy, de charité, & de
l'amour des ennemis
Le même , dans le fixiéme , dépeint le triomphe de ce grand Saint, ſes
rérogatives, & rapporte au long toute l’hiſtoire de fon Martyre, & enſuite
miracles qui fe faits en divers lieux , par l'interceſſion de ce faint
Martyr. liv. 2 2. ch. 8. de Civit.
Le même, en parle au tome dixiéme dans les Sermons. 32. 33. f 2. 61.
7o. 71. 9 ... juſqu'au 1 oo. De diverfis.
Le même : Epist. 1o3. rapporte qu'il avoir dans fon Egliſe d'Hyppone des
reliques de faint Etienne , comme il y en avoit dans d'autres Egliſes.
Saint Fulgence, dans le Sermon qu'il a fait ſur ce fujet, fait une compa
raiſon continüelle de Jesus-CHR1st naiſſant, & de faint Etienne mourant pour
JEsus. CHRIST.
Saint Grégoire de Nyſſe a fait un diſcours à l'honneur de ce prémier
Martyr, où il dépeint particulierement le combat qu'il eut à foûtenir contre
les Docteurs de la Loy.
PAR AGRAPHE S E C O N D. 9I
Saint Chryſoſtome, tome 6. Sermon 3 3. fait un long diſcours , où il
ramaſſe tout ce qui ſe dit à l'honneur , & à la loüange de ce faint
Martyr.
Saint Irénée , livre 3. ch. 12. dit de tres-belles choſes à la gloire du même
Saint.
Saint Jérôme ſur Iſaïe, ch. 46. & dans fes Epîtres 15. & 25. en parle avec
éloge. 4.
Saint Grégoire, Pape , en ſes Morales. liv. 2. ch. 2. & dans fes Dialogues.
liv. 1. ch. 2.
Saint Evode, liv. 1. ch. 6. en fait un grand , & bel éloge.
Euſebe d'Eméſe, a une homeliefur ce Saint, qu'il repréſente expoſé à la fu
reur de fes ennemis , & pardonnant les outrages qu'il en reçoit,
Saint Chryſologue, Sermon. I 54. fait l'éloge de ce Saint, & en parle magni
fiquement.
Saint Astére , Evêque d'Amafée , a fait le Panegyrique de faint Etienne,
dont l'extrait eſt tiré de Photius, & traduit du Grec par l'Abbé de Belle
arde.
8 Saint Procle, Orat. 2. en a fait auffi un fort bel éloge.
Gennadius , ch. 46. en parle auſſi.
Pierre Damien. Serm. 62. de Sanctis , a un Sermon fur faint Etienne que
quelques-uns attribüent à Saint Bernard.
Saint Laurent Juſtinien, part. 2. Sermon. 2. fait voir le ſecours que faint
Etienne reçut du Ciel, dans ſon combat , & comme il a ſuivi l'exemple du
Fils de Dieu.
Saint Thomas ſur ces paroles: Stephanus plenus gratiâ, & fortitudine, ſup
poſant que ce nom d'Etienne fignifie , Couronne, montre que ce Saint a mé
rité toutes les couronnes des autres Saints.
Albert le Grand , fur ces paroles : Video cælos apertos , &c.
Guillaume de Paris, in proprio Sanctorum. Sermon 1 5. a pluſieurs con
fidérations , fur les combats de ce grand Saint avec les Docteurs de la
Loy.
Denys le Chartreux, a deux Sermons fur les vertus , & les mérites de faint
Etienne.
Radulphus Ardens, ſur le fixiéme chapitre des Aćtes des Apôtres , fait un
beau diſcours pour montrer combien faint Etienne eſt recommandable, & pour
quelles vertus en particulier. -
Ceux qui ont fait les Vies des Saints comme Bolandus, Surius, Ribade-, Les livres
e ira, & quelques nouveaux Auteurs, qui en ont fait des abrégez. 9
Ceux qui ont fait des Méditations ſur les fêtes de l'année, comme le Pere ***
Suffren, le Pere Haineuve, le Pere Noüet , le Pere Craſſet.
Les Interpretes qui ont écrit ſur les Aćtes des Apôtres.
Molinier , quoy qu'un peu ancien, peut encore être d'uſage en ce tems. CâtLes
Le Pere Catillon , dans ſon Avent.
Prédi
cu TS mos
Le Pere Grifel, dans fon Avent, intitulé. Baltazar. dernes.
92 p O UR LE PANEGYRIQUE D E S. ET I E N N E.
Monſieur Biroat, dans fes Panegyriques , tome premier.
Le Pere de la Colombiere, dans le ſecond tome de fes Sermons.
LePere de la Peſſe, dans le tome fixiéme.
L'Auteur des Diſcours Chrétiens, fur les principales fêtes de l'année, tome
Témier.
L'Abbé de Monmorel, a une Homelie , & un Sermon fur ce ſujet.
L'Auteur des Sermons ſur tous les Sujets, dans fes Panegyriques, tome
/
premier.
Dans les Eſſais de Panegyriques, il y a trois abregez de Sermons.
PA R AGR AP HE T R O I S I E’M E.
Molliti funt fermones ejus , ſicut oleum, Ses diſcours ont la douceur de l'huile, mais
Cr ipſi fant jacula. Pſalm. 14. ce font véritablement des traits.
Ego autem dico vobis , diligite inimicos Et moy je vous dis, aimez vos ennemis.
vestros. Matth. 5.
Commendat Deus charitatem ſuam, quod Jesus CHR 1sr a rendu fa charité recomman
cum inimicis ipſius estemus , Christus pro dable en mourant pour nous , lorſque nous
nobis mortuus est. Ad Roman. f. étions les ennemis.
Tous deux meurent d'un même ſupplice ; & chacun jette fa pierre ſur l'un, &
dan je e l'autre. Mais Acham meurt fous un fardeau de pierre, pour avoir offenſé la
de Joſué, vérité, & faint Etienne y meurt pour l'avoir défenduë. C'eſt la justice qui ôte
h. 9. ºnt la vie à Acham, & c'eſt l'amour de la vérité qui la fait perdre à faint Etienne.
Ces deux ſupplices ſont ſemblables quant à la peine : mais ils ſont bien diff
rice, mis rent quant à la cauſe. Acham le fouffre comme un criminel qui l’a juſtement
pour un fu- méritée , & faint Etienne l'endure comme un victorieux qui triomphe. Ce
i bien fupplice a été honteux à Acham, & il a été glorieux à faint Etienne. Ils ont
"*" été tous les deux des victimes, mais Acham a été une victime immolée à la
colere de la juſtice, & faint Etienne en a été une, qui a été immolée à la gloire
de la vérité. Celle d'Acham a été une vićtime d'expiation,& celle de faint Etien
ne une victime d'innocence, qui étoit toute couronnée de graces.
Comme les Il falloit un autel à faint Etienne pour être une vićtime agréable aux yeux
Pirie ººr de fon Dieu ; mais où le trouverons-nous, & de quelles pierres fera-t-il bâti ?
: La Loy vouloit que l'autel fu de terre, ou que fion en dreſſoit de pierres,
a été que ces pierres n'euffent point été taillées ; mais qu'elle: fuffent fans être polies,
i autel, où ở que le fer ne les eut point touchées. Autrement l'Autel étoit prophané. Si
il a féin la Loy ordonnoit ainſi que l'autel fût bâti de pierres informes ; ne vo
yons - nous pas l'autel préparé à la victime de nôtre faint Lévite , dans
tinne. l'amas confus des pierres qui couvrent, & qui tuënt ſon corps. Toutes ces
Extd. o. pierres n'ont point été taillées, & il eſt vray de dire que tous les autels
Deut. 27. où les Juifs avoient offert des ſacrifices à Dieu , n'ont jamais été fi hono
rcz, que celui de nôtre faint Martyr. Dieu n'a vû ſur ceux-là que des ani
maux, & il regarde fur celui-cy un holocauſte raiſonnable, & une vićtime
innocente , & ſanćtifiée, qui n'est pas confumée par un feu matériel ,
tel que l'allumoient les Sacrificateurs ordinaires : mais par un feu divin,
*
& ſpiritüel , qui eſt celui de la charité que le Saint-Eſprit ſeul peut al
lumer.
La charité Saint Fulgence témoigne qu'il ſe faiſoit pendant le martyre de faint
Etienne à peu près la même choſe qui arriye lorſque des pierres ſe cho
comparée les unes , les autres ; il en fort des étincelles. Ainſi les pierres qui
aux étincel- frappoient ce faint Martyr , en faiſoient fortir le feu de la charité ; Cum
les de fea lapides illi Stephanum percutiunt , ignem charitatis eliciunt. Il n’étoit pas né
ceffaire d'embraſſer le Christianiſme pour aimer ceux qui nous aiment, un
qui Turc en fait bien autant, & peut-être plus; mais aimer nos ennemis ; les
quent.
PARA GRAPHE T R O ISI EM E. , 9;
aimer lorſqu'ils nous affligent, qu'il nous calomnient, qu'ils nous outragent,
voilà ce qui nous distingue des Infideles : Quand je livrerois mon corps
aux fiammes , quand je donnerois tous mes biens aux pauvres , f je
n'ay pas la charité , st je ne pardonne pas à mes ennemis , je ne fuis rien. Effais de
Panegyriques. -
Saint Auguſtin avance avec raiſon , que nôtre faint Martyr Etienne a
eû une parfaite reſſemblance avec le . Sauveur. Il fût condamné par les
mêmes Juges que le Seigneur , pour le même crime , dans les mêmes for- a Fils
mes , & avec les mêmes procedures. Les miracles qu'il fait lui attirent Dieu.
l'envie des Juifs ; ils l'accuſent publiquement d'avoir blaſphêmé contre
Dieu, & contre Moyſe. Ainſi ils avoient accuſé J E s u s-C H R 1 s T d'avoir
dit qu'il détruiroit le Temple , & qu'il aboliroit la Loy ; l'un & l'autre
accuſation eſt également injuſte. J E s u s-C H R 1 s r , bien loin d’abolir la
Loy, étoit venu, comme il le dit lui-même, pour l'accomplir dans tous fes
Points ; Non veni ſolvere legem, ſed adimplere ; Et le Temple qu'il devoit Alat I, 1;.
détruire, étoit celui de ſon corps, qu'il vouloit immoler à ſa mort , pour
le rétablir trois jours après, à ſa Reſurrećtion glorieuſe ; Et post triduum redi- Matt. 14.
ficabo illud. Saint Etienne , au lieu d'avoir blaſphêmé contre Dieu , &
contre Moyſe , fait voir dans fes diſcours , une profonde connoiſſance de
la doćtrine de ce faint Légiſlateur , dont il explique les oracles , & dévelo
pe le fens avec tant de netteté, que ſes n'ont rien à lui répon
dre ; de forte que, comme il leur montroit clairement ſon innocence , ils
étoient enflammez de fureur , & grinçoient les dents de rage , parce qu'ils
ne pouvoient le convaincre d'aucun crime ; Stridebant dentibus in eum. Les Aa, z.
A
2726772ĉ.f.
bloit de toutes parts ; mais debout au milieu des bourreaux, & conſtant dans
l'extrémité d'un crüel ſupplice ; de forte qu'au lieu que faint Paul diſoit : Nous
fommes devenus le fpećtacle du monde, nous avons été regardez & des Anges,
& des hommes, ſaint Etienne peut dire : Spectaculum fatius fum Christo , G
Angelis, & hominibus. J'ai été, moi, le ſpećtacle de Jesus-CHR ist , j'ai
été regardé , non-ſeulement des Anges & des hommes , mais encore de
JEsus-CHRIST.
Viderunt faciem ejus tanquam faciem Angeli. Ačł. 6. Un viſage d'Ange dans Comment
l'Ecriture, c'est un viſage glorieux, plein de lustre & d'éclat, qui a je ne fçai & pourquoy
quoi de céleste & de ravillant. C'est pourquoi Esther diſoit à Aſſuérus : Vidi te, s
Domine, quaſi Angelum Dei. En regardant vôtre Majeſté, j'ai crû voir un An
ge de Dieu, & mon coeur s'est troublé à la vůe de vôtre gloire ; car il vrai que femblab
toutes les graces eclatent fur vôtre viſage. Ce viſage angelique de faint Etien- à un Arge
ne n'étoit donc autre choſe qu'une transfuſion de gloire & un éclat de beauté, Ffh. 6. f.
que l'humanité glorieuſe de Jesus ChR1st apparoiſſant , voulut lui commu
niquer pour beaucoup de raifons. Prémicrement, pour autoriſer ſes paroles
par ce ſigne viſible de la preſence de Dieu, d'autant plus qu'il avoit
contre eux la verité de la Reſurrećtion , & certe lumiere glorieuſe en étoit un
échantillon que Dieu leur produiſoit. Secondement, pour le rendre formidable
aux Juifs, comme Moyſe autrefois avec ſes rayons lumineux, & pour chan
ger leur colere en reſpects, & en admirations. Ce fût encore pour honorer
faint Etienne, & pour faire connoître la beauté extraordinaire de fon ame,
par la beauté de ſon corps. L'ame ſe montre fouvent par le corps, & lui com
munique ſes qualitez, & nôtre Seigneur voulut quc cela ſe fit en la perſonne
de faint Etienne pour fa juſtification , & pour ſa gloire. C'étoit l'abondance
du coeur qu'il s'étoit répanduë fur ſon corps ; c'étoit la ſplendeur de l'ame qui
paroiſſoit lur fon viſage ; c'étoit le Saint-Eſprit qui lui donnoit cette beauté
Angelique. -
Domine, ne statuas illis hoc peccatum. Att. 7. La mort de faint Etienne a un . $. Etienne
rapport admirable avec celle de Jesus-ChRist;mais la plus glorieuſe conformité “
que j'y trouve, c'eſt cette priere heroïque qu'il fait pour ſes bourreaux, à l’i- f s ur,
mitation du Sauveur qui avoit demandé grace à ſon Pere pour ſes perſécuteurs. en priaat
Paneg. des Saints. Tome I.
98 P O U R L E PANEGYRIQUE D E S. ET I ENN E.
pour ſeslors
nemis en Jesus-Chais, n'a ricn fait de plus grand dans fa vie, & à ſa mort, que de
qu'ils le pardonner à ſes ennemis ; c’eſt là comme le dernier caractere de la divinité ; il
lapidoient. meurt après ce grand effort, comme ne pouvant rien faire de plus admirable ;
quand il faiſoit des miracles, on le prenoit pour Elie, pour Jean - Baptiſte
reſiuſcité, ou pour quelque autre Prophéte ; mais lorſqu'on lui entend dire ,
mon Pere, pardonnez-leur, il eſt reconnu pour Fils de Dieu : Verè hic Filius
Dei erat iste. Saint Etienne partage cette gloire avec Jesus-Christ. Il ſe ſert
des paroles les plus tendres : DomineJESU , dit il , ne statuas illis hoc pecca
tum. Seigneur, puiſque vous étes Sauveur, ne laiſſez pas pcrir ces miſerables,
mais faites-leur miféricorde. Jesus – CHRIST ne ſe contente pas de prier ſon
Pere , mais il employe la voix de ſon ſang , c'eſt ce que fait auſſi ſaint Etien
ne en prononçant le nom de Jesus, il verſe du fang de toures les parties de
fon corps. Il en fait un ſacrifice à Jesus-CHRrst pour attirer fa miféricorde
fur ceux qui le lapident. Que la voix de ce ſang eut de force, puiſqu'elle fe
fit entendre du Sauveur, & qu'elle en obtint la converſion de Saul. Ce fang
fût la femence féconde d’une infinité de Chrètiens par la converſion de l'A
pôtre des Gentils , & par l'exemple qu'il a donné à tant d'illustres
Martyrs.
, alt
: Domine, ne statuas illis hoc peccatum. Act. 7. C'étoit beaucoup que faint
aćtion plus Etienne eût animé tous les Martyrs , & leur eût appris par ſon exemple , à
giotieuſe en furmonter les douleurs, & à triompher de la mort ; mais c'est bien plus ſans
é:ouffantles comparaiſon, que dans le juste reffentiment de mille injures, & de mille
e V C119 cail*
coups, il étouffe les défits de la vangeance, & qu'imitant le Fils de Dieu , il
- * - - - - -
ɔ “ “ demande la grace de ſes ennemis: Domine, ne statuas illis hoc peccatum. Aufſi
ionan faut-il avoti r que cette action fait toute la gloire de faint Etienne , qu'il est
à ſes enne- plus conſiderable en oubliant ſes outrages, qu'en furmontant fes douleurs, &
qu'il offre à Dieu quelquc choſe de plus grand & de plus difficile que la mort,
quand il lui offre la modération de ſon eſprit, & l’amour de fes bourreaux :
glorieux Prº lapidantibus orabat ut Christi Diſcipulus, majus aliquid Deo, morte offerens,
martyre. nempe animi moderationem, & inimicorum dilećiionem. Difons donc que la cha
Greg N3- rité que faint Etienne cut pour fes ennemis, en a fait un parfait modele du
Sauveur; & que nous pouvons parvenir à ce ſuprême degré d'honneur, fi
nous imitons ce faint Diacre avec autant de fidelité, qu’il a imité Jesus
CHR I st.
pies . Postisti, Domine, ſuper caput ejus coronam de lapide pretioſo. Pſal. 2o. Les
Saints Peres honorent faint Etienne du titre de Chef , & Prince des
to Martyrs, & faint Augustin le nomme même la couronne des Martyrs ; mais
zutant de couronne qui n'eſt pas ſeulement compoſée d'une pierre précieuſe , comme cel
pierres pré- le dont le Roy Prophere dit que Dieu couronne chaque juste en particulier :
mais d'autant de pierres précieuſes, qu'on ſe fervit de cailleux pour lui ôter la
vie. Et de même que le Souverain Pontife de l'Ancien Testament, entrant dans
le Saint des Saints, portoit toûjours fur fon vêtement douze pierres précieuſes,
fur chacune deſquelles ie nom de chaque Tribu des enfans d’Iſraël étoit gravé »
pour le faire fouvenir qu'il y devoit prier pour tous, & prendre indifferem
ment devant Dieu les interêts des uns & des autres; ainſi l’on peut dire que
quand faint Etienne entra dans le Ciel, il portoit, comme prémicr Martyr,
une couronne de pierres précieuſes, où étoient gravez les noms de tous les Mar
P AR A GRA PHE T R O IS Í EM E. 99
tyrs qui devoient ſouffrir dans la fuite des temps,& que dèslors il pria J E s u s
C H R 1 s r de leur donner la force de vaincre le monde, & les tyrans.
Exivit vincens ut vinceret. Apoc. 6. Je ne ſçay fi vous avez jamais fait Saint Etien
réfléxion à ce que dit faint Jean dans fon Apocalypſe , de cet homme qui par- ºs vis
tit vićtorieux pour continuer à vaincre, & auquel on donna une couronne :
auſſi-tôt que des armes pour combattre : Car pourquoy le couronner avant :
que d'être aſſûré qu'il a vaincu ſon ennemi ? C'eſt qu'il avoit réſolu de le vain- le combat,
cre plûtôt par fa patience, & pat ſa douceur, que par la force de ſon arc, & Parce qu'il
de ſes fléches. Or étouffer en foy-même les mouvemens de l'impatience pour
appaiſer la colere de fon ennemi , c'est remporter une double viétoire dont la ề
plus noble commence par foy-même. C'eſt-là l'image de faint Etienne ; c'eſt fentimens
đansgénéreux
un le champſoldat
de fonquimartyre
part vićtorieux pour continuer
avec la couronne à vaincre.
en tête , parce qu'ilIla entre
déja de hainc
; Ceux
triomphé de ſes pastions, & reſolu de vaincre ſes tyrans plûtôt par ſes prie- .
res, & par ſa charité, que par la force ; & par la reſiſtance. Grand exemple de tement,
modération ! qui nous apprend qu'il est indigne d'une ame chrétienne de fe
laiſſer emporter aux fentimens de la vangeance ; qu'il ne faut pas que la
quantité, ou la qualité des injures allume nos paſſions contre la raiſon, & nous
porte à violer le grand commandement que Jesus-CHR ist nous a fait d'aimer
nos ennemis, & de benir ceux qui nous perſécutent. Plus la palme eſt chargée ,
plus elle éleve fes branches vers le Ciel ; & plus on nous offenſe, plus nous
devons avoir de douceur, & nous élever à Dieu.
Ecce video cælos apertos,& Jefum stantem à dextris virtutis Dei. Att.7.Dieu vou- , La joye ,
lant récompenſer dès ce monde la courageufe fidélité de fon ſerviteur Etienne,lui : la -
fit voir les cieux ouverts, & l'anima par la vůë de Jesus - Christ à la droite de .
fon Pere. Ce généreux Martyr dans un tranſport de joye, & de raviſſement, fait dans
retentir le fon fedeferment
ces paroles aux oreilles
pour nedespoint
Juifsentendre
, qui faiſis
velle fureur, les oreilles ſes d'une
Orales;nou-
& du Filsà dela
fe jettant ſur lui avec impetuofité, le traînent hors de la ville, & l'enſe
velitſent fous une grêle de pierres, qu'ils font pleuvoir fur fa tête. Mais quel- dan
que crüel que fût ſon ſupplice , quelque animez que fuſſent ſes perſécuteurs, bourreaux
ils ne pûrent s’empêcher de voir ſur le viſage de faint Etienne , une fainte : gient
joye viſage.
fon , & comme un rayon
De quelque de laquegloire
maniere cela fedefit,
Dieu qui étoitqu'il
il ſemble répanduë fur
goûta par ge.
e
avance de ce bien qui vient de la fource de toute felicité. Il est écrit que
perſonne ne verra Dieu, & vivra; c'eſt un privilége , ce femble , réſervé
à nôtre faint Martyr. Il pouvoit dire avec le Prophete : Renuit conſolari ani- Pfalm. 7.
ma mea, memor fui Dei, & deleếtatus fum. La vůë de Dieu enchante toutes -
mes peines, & me fait fentir par avance les prémices de la gloire. C'est
ce que ſon coeur repetoit mille fois au défaut de la langue. Ces pierres
qui fondoient ſur lui comme un torrent, lui fûrent douces, parce que Dicu
par une bonté infinie fçait tirer pour fes favoris , du miel , des pierres
les plus dures. Extrait des Effais de Panegyriques.
Pofuisti, Domine , fuper caput ejus coronam de lapide pretioſº. Pſalm. z o. combien
Je croy pouvoir appliquer ces paroles au grand faint Etienne , avec d'au- est précieuf
tant plus de justice , que ſelon la penſée de Pierre Damien , il n'y a pas cette cou
même juſqu'au nom de cet illuſtre Martyr qui ne ſignifie couronne.
ij Non- si
que ce Saint
a méritée
1oo P O UR LE PANEGYRIQUE DE S. ET I E N N E.
feulement il areçû la couronne de Martyr , & du prémier des Martyrs ;
par tant de
vićtoires, & mais on peut dire que cette couronne a été compoſée de pierres précieu
de gloricux fes, puiſque ce font des pierres qui furent les instrumens de fon fupplice ,
combats. & dont la Providence forma cette couronne. Il n'y a que ceux qui com
battent ſur la terre, qui ſoient couronnez dans le Ciel , il faut foûtenir une
longue guerre, & conſommer ſa courſe, pour recevoir avec l’Apôtre faint
Paul, la couronne de juſtice à la fin de fa carriere : c’eſt ce qui rend les
couronnes que Dieu met ſur la tête des élûs , infiniment précieuſes, puiſ
qu'elles ſont le fruit de leurs travaux , & la récompenſe de leurs vềrtus , &
qu'il n'eſt point de Saint qui n'ait été comblé de merites , avant que d'ê
tre couronné de gloire. La couronne de faint Etienne fût le juſte prix de
quatre victoires qu'il remporta fur ſes ennemis. Son innocence triompha de
leur calomnie ; ſa fageffe , de leur aveuglement ; ſa force , de leur cruau
té, & fa charité de leur haine. Ces quatre vertus ſont comme les quatre
pierres qui compoſent la couronne que Dieu lui a mis ſur la tête. Les mê
272ć.f.
La plus Domine, ne statuas illis hoc peccatum. Art. 7. C'est la priere heroïque que
horoique faint Etienne fait pour ſes bourreaux, à l'imitation du Sauveur qui avoir
aćtion de
S. Etienne demandé grace à ſon Pere pour ſes perſécuteurs. Jesus-CHRIsr n'a rien fait
eſt le par de plus grand dans fa vie , & à fa mort, que de pardonner à ſes ennemis.
don des in
Le pardon des injures nous paroît difficile , & il l'est effećtivement : mais
jures , & la toutes choſes font poſſibles à celui qui croit qu'il n'y a point de falut à
pr1:re pour
fes ennemis eſpérer pour celui qui ne pardonne pas ; Omnia poſſibilia funt tredenti. Repré
fur l'exem fentons-nous au lit de la mort, & toutes les difficultez que nous trouvons à
ple du Fils pardonner, s'évanoüiront. Un vindicatif en cet état, ne reſpire que van
de Dieu.
geance lors même qu'il n'a plus qu’un moment à vivre. On appelle un Con
feffeur dans la derniere extrémité ; on fait venir cet ennemi, on preſſe le ma
lade de pardonner à cet objet de fa haine, il le fait d’une voix mourante ; mais
les fentimens d’une haine inveterée peuvent-ils ſe diſſiper fi facilement ?
Cependant il faut pardonner fi nous voulons que Dieu nous pardonne. Les
277t'7/26J".
Les con
folations, & Lapides torrentis illi dulces fuerunt,chante l'Egliſe,dans l'office de ſaint Etienne.
les joyes Je voy bien,mon Dieu,combien les inventions de vôtre amour font admirables :
celestes qui vous fçavez tirer le miel de la pierre,& une onćtion délicieuſe des rochers les plus
adou cirent
les ſouffran
durs; Oleum de faxo duriffimo. C'est cette onćtion ſacrée qui adoucit les playes de
ces de faint S.Etienne,& qui le fait cốme nager dans la joye, lorſqu'il est inondé de ruiſſeaux
Etienne , & de fang. Il voit dans Jesus-CHRIsr les cicatrices adorables des playes qui lui
l'eſperance ont ouvert l'entrée de fa gloire, & plus il participe à ſes ſouffrances, plus
de la gloire il eſpére de participer à ſes couronnes. C'eſt cette eſpérance qui devroit être
qui doit nôtre unique confolation , dans les amertumes dont la vie humaine est rem
adoucir les
nôtres. plie. A la vérité nous ne voyons pas comme faint Etienne , les cieux ouverts
Deht • 31. dans nos afflićtions, & Jesus-CHRIST la palme à la main , prêt à nous eou
ronner comme faint Etienne; mais fi nous avons une foy vive, & animée,
elle nous découvrira des tréfors infinis renfermez dans ces tribulations, qui
n'ont rien que de rebutant aux yeux de ceux qui ne les confiderent que
par raport aux fens, & à la nature. Cette foy pénétrante qui fait ſubſiſter
en nous, dit faint Paul , les biens futurs, & inviſibles que nous eſpérons »
A
P A R A G R A P H E T R O IS IE'M E. IOI
nous fera voir un poids éternel de gloire dans un moment d'afflićtions : elle
nous repréſentera le Ciel attaché à cette calomnie, à ce mépris, à cet affront ,
à cette infirmité , & voyant un bonheur éternel uni avec des maux paſſagers,
nous embraſſerons les uns avec joye, afin d'acquérir, & de meriter les au
tres. Dieu me tiendra compte de cette raillerie que je diſſimule , de ce
reſſentiment que j’étouffe, de cette confuſion que j'embraffe. C'est l'expia
tion de mes offenſes, c'eſt le prix du Ciel ; en faut-il d'avantage pour adou
cir les plus grandes amertumes ? Les confolations humaines endorment la dou
leur pour un temps ; mais celle-cy en adoucit l'amertume juſques dans la
fource , & fi elle nous laiſſe quelque ſentiment de nos maux pour exercer
nôtre patience , elle remplit le fond de nôtre ame d'une joye intérieure,
qui lui fait dire avec le Prophéte : O mon Dieu, vous avez dilaté , & épanoüi
mon coeur dans les tribulations : In tribulatione dilatasti cor meum. Ainſi , Pf', 'm. 118.
quand vous ferez aux priſes avec la douleur, regardez l'éternité ; ne confiderez
pas où vous marchez, dit faint Auguſtin , mais où vous allez , le chemin que
vous tenez eſt pénible, il eſt vrai ; mais il conduit au Ciel ; ce qui conduit
au Ciel ne peut être que doux. C'eſt-là un motif bien puiſſant pour nous
faire participer aux joyes de ſaint Etienne dans nos ſouffraces. Il reçût une
plénitude de charité, une plenitude de joye , & une plénitude de paix, qui
en fit le premier des Imitateurs de J e su s - C H R 1 s T dans la plus
héroïque de fes aćtions, c'est à-dire , dans le pardon des ennemis. Les
mêmes.
Domine , ne statuas illis hoc peccatum. A.H. 7. Il n'eſt rien de plus admira aćteLedegrand'
cha
ble dans la Paſſion de nôtre Seigneur , que ce grand exemple de charité rité que
u'il donne aux hommes, lorſqu'il conſacre les dernieres paroles de ſa bon faint Etien
che , les derniers ſentinens de fon coeur, & ſa derniere priere, au falut de ſes envers
ne exerça
ſes
ennemis , lorſqu'il offre en ſacrifice la derniere goute de fon fang, pour
obtenir l'effet de fa demande. Mais jamais ce grand exemple ne fût fi fidele àperſécuteurs
l'exemple
ment imité, que par ſaint Etienne. C'eſt un prolige de charité qui doit être du Fils de
l'objet de nôtre admiration , & de nôtre imitation. O mon Dieu ! dit ce Dieu.
faint homme, n'imputez pas à mes bourreaux le crime de ma mort, & pour
être plus facilement exaucé, il prononce le nom adorable du Sauveur qui
lui avoit frayé ce chemin ; il fléchit le genou, afin que fa priere accompagnée
même de foumiſſion plus entiere ; eûr auffi plus d'efficace. Vôtre fang, ô
Prince des Martyrs, a une voix fi éclatante , qu'il pénetre de la terre au
Ciel; il ne demande pas juſtice, mais miféricorde ; il ne demande point la ven
eance, mais la grace pour vos perſecuteurs. Les mêmes.
Le Fils de
Video cælos apertos , & Jefum stantem à dextris virtutis Dei. Att. 7. Dieu ne ſe
Ne vous figurez pas, dit faint Auguſtin , que Dieu regarde faint Etienne
Contente
combattre, comme les peuples regardent les Athletes: Non ſpectat in agone pas d'être
certantes, ſicut populus in stenå. Dans ces occaſions les ſpećtateurs ne font le , f esta
que regarder les combattans; mais ils ne les fecourent pas, ils ne leur don teur du com
bat de faint
nent pas la force pour combattre. Mais fi Jesus-CHRIST a des yeux pour voir Etienne , il
ce faint Martyr , il a des mains pour le fecourir. Au même temps qu'il lui donne la
le regarde, il fait couler inviſiblement la grace vićtorieuſe dans ſon coeur, il force de
lui communique la force de fon eſprit. Mais Dieu ne lui donne cette vaincre.
plénitude de grace , que parce qu'il eſt le prémier Martyr , comme les
N iij
1o2 P O U R L E PANEGYRIQUE D E S. ET I EN N E.
prémiers effets des cauſes font plus vigoureux. C'est la prémiere fois que Jesus
CHRIST a paru étant monté au Ciel, & qu'il a communiqué cette grace triom
phante , & victorieuſe, & c'eſt dans cette occaſion que faint Etienne reçoit
la plénitude de l'eſprit du Martyre. Faut-il s'étonner s'il mépriſe la mort avec
tant de reſolution , & s'il l'endure avec tant de courage ? Monsteur
ZBiroat.
Saint Etien- Inſpice, & fac fecundum exemplar quod tibi in monte monstratum est. Exod. 25.
Si jamais il y a eủ de Saint qui ait imité parfaitement un Dieu mourant,
ç'a été fans doute faint Etienne. La qualité de ſes Juges , & de fes bourreaux,
veur dans fa la circonſtance même du lieu où il endure, lui donne l'avantage , & la com
mort & modité de pouvoir imiter le Sauveur. Il meurt comme Jesus - CaRisr , en
Jéruſalem : & comme la mort du Sauveur étoit nouvellement arrivée, il
de fa paſ- fe peut faire que les mêmes Juges qui condamnerent le Seigneur , con
fion. damnerent auſſi ſon prémier Martyr, que les mêmes bourreaux qui crucifié
rent l'un , lapiderent auſſi l'autre. Le faint Martyr même imite autant qu'il
peut ſon Seigneur ; puiſqu'ayant vû mourir Jesus - CHRısr, & ſe ſouvenant
qu'il avoir pardonné à ſes bourreaux, & prie pour eux , il en fait le motif
de fa patience , en pardonnant aux fiens, & priant pour eux, regardant en
tout fon martyre, la douceur du Sauveur comme un exemple qu'il doit en
tierement exprimer en foy-même. Le même.
Les vertus Stephanus plenus gratiâ, & fortitudine, faciebat prodigia, & figna magna in
& los populo. Act. 6. Vous me demandez , quels miracles en particulier a fait
laint Etienne ; l'Ecriture ne nous les dit pas, & elle fe contente de nous aſ
de plus fûrer qu'il en a fait d'éclatans , dont tout le peuple a été témoin. Mais je
grands m - me trompe , elle nous dit en particulier , les miracles qu'a fait ce grand
racles dans Saint , & c'est à moy à vous les marquer. Elle ne nous dit pas les malades
qu'il a gueris, ny les morts qu'ii a refuſcitez; mais elle nous parle d'autres
fait prodiges qui , pour être d'une eſpece différente, ne méritent pas moins le
dans la na nom de miracles: D'autres prodiges dont nous ſommes encore plus ſûrs ,
ture : & que & qui font plus capables de contribüer à nôtre édification : Car elle nous dit les
"º excellentes vertus que faint Etienne a pratiquées, les grands exemples qu'il
Point. “ nous a donnez,
tout cela les fignalées
peſé dans la balancevićtoires qu'il a ,remportées
du fanótuaire ſur ledesmonde,
eſt au-deſſus &
miracles
mêmes. Elle ne nous dit pas ce qu'il a fait d'extraordinaire dans l'ordre de
la nature ; mais elle nous dit ce qu'il a fait de prodigieux dans l'ordre de la
grace ; elle nous dit les miracles de fa fainteté, les miracles de fa fageſſe,
Îes miracles de fa constance, les miracles de ſon invincible charité. Le Pere
Bourdalouë.
I O3
P A R A G R A P H E QUA T R I E’ME.
Paffages & Penfees des faints Peres far ce fujet.
Rat illi, ở pulchritudo corporis & flos E. Saint avoit avec la steur de l'âge, la beau
statis,& eloquentia fermocinantis.S.Au té du corps, & l'art de l'éloquence.
gustinus,ferm. de S. Stephano.
In hac re quod prapofitus est feminis, tef Puis qu'on le chargea d'avoir foin des fem
timonium habuit ſincere castitatis. Idem. mes, & particulierement des veuves, pour leur
adminiſtrer leurs neceſſitez , il falloit qu'on eut
reconnu ſon incorruptible pureté.
virgo preponitur faminis , 6 in hoc testi On commet le foin des veuves à un Levite
monium accipit integerrima castitatis.ldem. vierge ; ce qui eſt un témoignage d'une parfaita
chafteté.
GRuast faviebat Beatus Stephanus, ſed S. Etienne paroiſſoit ſevere à l'égard des Juifs,
faviebat ore , corde diligebat. Idem. qu'il reprenoit aigrement ; mais cette févérité
n'étoit que dans ſa bouche, pendant qu'il avoit
l'amour dans le coeur.
, fudai virum Dei lapidabant, ille roga Les Juifs lapidoient l'homme de Dieu, & lui,
bat afpiciens Deum, idem. confiderant Dicu, le prioit au milieu des bour
IC3A1X.
Quando alius oblivifci poterat chariffi Dans un temps où un autre auroit pů oublier
mos ſuos, tunc ille commendat inimicos. les perſonnes les plus cheres, ce Saint recomman
ldem. doit au Seigneur fes propres ennemis.
Si Stephanus non oraffet, Paulum Ec Si S. Etienne n'avoit point prié, l'Egliſe n'au
elesta non haberet. Idem. roit pas maintenant l'Apôtre S. Paul.
Formam prabuit Fidelibus moriendi. il eſt le modele de tous ceux qui veulent mou
Idem. -
rir pour la vérité.
Si quid distare potest inter Martyres, S'il peut y avoir quelque différence entre les
precipuus videtur effe qui primus. ldem. Martyrs, il ſemble que celui là eſt préférable,
lequel est le prémier de tous.
Retribuere voluit primus ipſe Domino , Ce Saint a voulu rendre le premier au Sci
quod cum omni humano genere accepit à gneur, ce que lui & tout le genre-humain en
Domino. Idem. avoit reçu, fçavoir ſa vie. - :
Si non potes imitari Dominum turum, at Si vous ne pouvez ſuivre l'exemple de vôtre
tende Stephanum confervum tuum. Idem Seigneur & de vôtre Dieu, imitea du moins ce
ferm. z. de Concord, cum Donatiſtis. lui , qui eſt ſerviteur de ce Seigneur comme
VQuS.
Fortitudo vocatur, quando quis feip On conçoit la force d'une perſonne, lors
fum vincit , iram continet. Sanctus Am qu'elle ſe vainét elle-même , & qu'elle reprime
broſius. l'imperuofité de fa colere.
Hoc est effe confeſſorem Domini , hoc est C'est être véritablement Confeffeur, & Martye
effe Martyrem , fervare invictam circa de Jesus-CHR1sr , que de lui garder une fide
omnia , Čr folidam firmitatem. S. Cypria lité inviolable dans toutes les tentations qui
nus. Epiſt. 2o. nous atraquent.
Pro lapidantibus orabat, ut Christi Dif. Ce Saint prioit pour fes ennemis , comme un
cipulus, majas aliquid Deo morte oferens, parfait Diſciple du Sauveur ; & par cette action,
mempe animi moderationem, & inimico offroit à Dieu quelque choſe de plus que fa more
rum dileếtionem. Gregorius Nazianzen. même, fçavoir, fa moderation, & le pardon des
Orat. I 9. 1njures. -
de leur fureur, & l'amour qu'il leur rendoit en échange de tout cela. Prémie S Etienne
rement, quand nôtre ennemi est un méchant homme , il nous ſemble qu'il d'avoir aimé
nous est permis de le haïr, comme cela l'étoit dans l'ancienne Loy. 2 º. Quand fes ennemis,
& d'avoir
il viole tous les droits de la nature, & de l'amitié, qui l'obligeoient à nous prié pour
aimer. 3°. Quand il nous porte une haine implacable , qu'il nous a telle CúlX •
ment en horreur, qu'il ne nous peut voir , ny entendre , ny fouffrir en au
cune maniere , comme ceux de qui Job ſe plaignoit. 4°. Quand il nous
haït de la forte fans aucune raiſon, n'ayant reçû de nous que des faveurs.
N'eſt-il pas véritable que c'est une choſe bien difficile que d'aimer une
perſonne avec toutes ces mauvaiſes circonstances ; c'eſt cependant ce que
faint Etienne a fait, & il l'a fait dans la derniere perfećtion.
Les Théologiens diſent que Dieu exauce plus facilement les prieres que nous ceDieu erau-
les prie
faiſons pour nos ennemis ; parce qu'elles fortent d'une charité plus defintereſ res de eeux
*.
fce, & qu'elles ont un caraćtere de miſericorde qui reffemble à la bonté qui prient
pour leurs
de Dieu. Et faint Augustin aſſûre que faint Etienne mérita par ſa priere, la ennemis,
converſion de faint Paul, & donna cet Apôtre à l'Egliſe. Ne pouvons-nous
donc pas comparer les pierres qui accablérent faint Etienne, aux pierres fur
leſquelles Jacob repoſa autrefois. Ce faint Patriarche en fit un autel, il l'oignit
d'huile ; c'est ce que fair nôtre faint Martyr, il fabrique un autel des pierres
dont ſes bourreaux l'accablent ; il l'arroſe de l'huile de ſes ferventes prieres ; il
s'y immole lui-même en holocauste pour fes propres bourreaux ; enfin il s'y
repoſe au Seigneur, n'ayant pû rien faire de plus beau , ny de plus magni
fique en ce monde que de ſe rendre un parfait modéle de fon Sauveur.
P A R A G R A P HE S I X I E’ M E.
l'avoit imiré le prémier en pratiquant la plus haute, & la plus difficile de fes par quelles
aćtions ce
maximes qui conſiste à pardonner à ſes ennemis ; il étoit bien juſte , dis-je : grand Saint
que celui-là fût loüé de la même bouche que lui : que la vérité méme qu'il a méi i té cet
avoir défenduë au prix de fon propre fang, employât la voix de ce même fang hoan; ur.
pour publier ſon éloge, & que le Ciel même accomplit l'augure de ſon noin
1]
1ο8 P O UR LE PANEGYRIQUE DE S. ET I EN NE..
qui fignifie une couronne, en lui mertant ſur la tête une couronne com
poſée de toutes les prérogatives des autres; afin de fervir d'exemple à tous
les états, & à tous les Ordres de l'Eglife. Il eſt vray qu'après avoir eủ pour
héraut de fes vertus un des Evangeliſtes du Fils de Dieu même, il ne faudroit
pour le loüer que le filence , & l'admiration ; mais je puis dire de lui en ce
jour , ce que le Sauveur dit autrefois aux Juifs en parlant de foy-même, lorſ
que ſes ennemis vouloient empêcher les enfans deciater en cris de joye, &
de témoigner par des acclamations publiques, les ſentimens de leur coeur ;
Que fi ceux-là ſe taiſoient , les pierres auroit des bouches, & des langues,
pour publier fes grandeurs. J'en dit icy de même , Meſſieurs , ſi nous rc
fuſions au grand faint Etienne le tribut de nos loüanges, les pierres parle
roient en fa faveur, & feroient l'office de prédicateur. J'entens ces pierres
qui ont été l'instrument de ſon martyre , & que je puis appeller autant de
pierres précieuſes, dont fa couronne eſt compoſee. Auſſi peut-on lui appliquer
en particulier , ce que faint Bernard dit en géneral de tous les Saints ,
qu'il ne manque rien à ſa gloire, & à ſa couronne, que d'avoir des imitateurs
de fes vertus.
saint Etien- Le Christianiſme venoit de naître, & l'on peut dire que Saint Etienne le
porta à ſa derniere perfection. Les grandes ames qui agilent par des prin
cipes de Religion , font des demarches qui ne tiennent rien de la lenteur, &
au plus haut de la foibleſſe ordinaire aux ames communes. Engagé par ſon caraćtere, &
point de par ſon employ à foûtenir les interêts de J es u s-C H R 1 s T, & à prêcher fon
P Èvangile, il pratiqua avec une généroſité héroïque tous les renoncemens in
| féparables de fa profeſſion : j'en remarque trois principaux ; il fût preferé aux
christian autres Diſciples parles Apôtres , pour être élevé à un min ſtere également dif
Mcs ficile, & important ; il méprifà cette gloire , & en conſacra tous les avanta
ges à l’honneur de Dieu. Il eût à traiter avec une nation fire & indocile ,
qui s'offençoit de fes inſtructions, & de fes bontez ; il méprifa toutes ſes in
fultes, & tous ſes rebuts, ne ſongeant qu'à étendre l'empire de Jesus-CHRısr
dans les coeurs. Il avoit toures les qualitez qui pouvoient lui gagner l'eſtime,
& l'attachement du monde : il ſe mépriſa ſoy - même : il ne fit cas que de
fa foy, & du bonheur qu'il avoit de connoître , & de publier l'Evangile du
Sauveur.
L'office de Ce n’étoit pas un médiocre embarras pour les Apôtres , que le ministere
Diacre dont de la parole demandoit tout entiers, que d'être obligez de fe décharger ſur
ce Saint fut les Diacres du foin des aumônes destinez aux pauvres. Saint Etienne qui paroiſ
. foit plus rempli de l'Eſprit divin, fut choiſi par eux tout jeune qu'il étoit.
marque de Cet honneur eut pû réveiller la vanité dans un coeur moins uni à Dieu,
distinâion , que nôtre faint Diacre , fur tout dans un commencement, où les diſtinctions
qui pºuvoi étoient remarquées plus aiſément ; mais la charité du faint Martyr l’attacha
le uniquement à la gloire de Dieu, & à l'utilité de fes freres. Le Fere la Pfe.
u un Sermon de faint Etienne.
rand fond Saint Etienne ayant été reçû au rang des Diacres par les Apôtres, il ne
fustiſoit pas qu'il eût pour cela une probité véritable ; mais il lui falloit une
probité reconnue; une probité éclatante, une probité éprouvée, & à laquelle
t toute l'Egliſe rendir hautement témoignage : car c'eſt ce qu'expriment ces pa
Etienne fut roles: Viros bani testimonii. Pourquoy ? Parcequ'il étoit question d'un employ
P A R A G R A P H E S I X I E’ M E. I o9
auſſi difficile , & auſſi délicat dans l’idée même des hommes , qu'il étoit faint bien recon
devant Dieu. Je m'explique. Saint Etienne fut choiſi Diacre, & même le pré- P :
mier des Diacres : Primicerius Diaconorum : Ainſi l'appelle faint Augustin. Char- .
ge honorable, je l'avoue ; mais qui l'engageoit par une indiſpenſable néceſſité mi a ion
à deux choſes ; l'une, d'adminiſtrer les biens de l'Egliſe, dont il étoit par office des biens
le conſacroient
fe diſpenſateur ;àl'autre
Dieu , dans
de gouverner
l'état de les veuves, Charge
la viduité. qui renonçant au monde,
où la fainteté même de l'Egliſe, de
trouvoit des riſques à courir ; mais où Dieu vouloit que faint Etienne fervit (n.
d'exemple à tous les fiécles futurs. Le Pere Bourdalouë. tez des veu
Nous les
fecourir avons remarqué
veuves, & à que faint Etienne
converſer avec unétoit
ſexe engagé par ſon&ministére
fi dangereux, fi capableà Saint
Commeſe
ce
* – LT.- : l-l : .. * - - comporta
d'affoiblir les plus forts. C'est une de ces fonćtions, qui dans tous les temps .
ont donné plus de priſe à la médifance : mais par un effet tout oppoſé , ment fans
c'est ce qui augmente l'opinion , & la haute eſtime qu'on a conçuë de la per- (candale »
O iij
1 Io P O U R LE PANEGYRIQUE DE S. ET I EN N E.
mais avec ſonne de faint Etienne. Sa réputation eſt fi bien établie, que la plus rigide
cenſure eſt forcée ſur ce point de la reſpećter. Etienne à la fleur de fon âge , &
dans l'excrcice de fon miniſtére , converſe avec des femmes, diray-je fans fcan
le foins dale? C'eſt peu, mais fans reproche, fans ſoupçon, & ce n'est point encore aſſez ;
qu'ilprit des car il le fait avec honneur, il le fait avec fruit, il le fait avec une édification qui
"*"*" fe communique à toute l'Egliſe ; voilà ce qui approche du miracle. Voulez
vous voir de quelle distinction, & de quel poids eſt cette loüange pour Etien
nc ? Souvencz-vous de ce qu'ont ců à effuyer les plus grands Saints en de pa
reilles occaſions. Souvenez-vous de ce qu'il en couta à faint Jérôme. C'étoit
un homme vénérable, & par ſa doćtrine, & par ſon auſterité ; un homme
crucifié, & mort au monde ; un homme dont la vie étoit une affreufe , &
perpétuelle pénitence. Quelles perſecutions, quoi qu'injustes, n'eût-il pas à
foutenir ? quels bruits, quoique mal fondez, la critique ne répandit-elle pas
contre fa conduite ? Malgré les ſages précautions dont il uſa dans la direction
de ces illustres Romaines qu’il avoit gagnées à Dieu , de quelles couleurs,
quoique fauſſes, n’entreprit-on pas de le noircir ? de quelles apologies n'eut-il
pas beſoin pour justifier ſon zele, quoique faint, & ſes intentions quoique pures?
Quelles plaintes n'en faiſoit-il pas , & comment lui-même s'en eſt-il expliqué?
Le même. - -
saint Etien- Outre le foin des veuves dont faint Etienne étoit chargé, & la distribution
ne a eu ce des aumônes à laquelle il étoit employé, on peut ajoúter encore qu’il a eû ce
qu'il y a de qu'il y a de plus ardent dans la charité, ſçavoir, le zcle qui le portoit à prêcher
plus la parole aux Juifs pour les attirer à J e su s - C H R 1 s r , & qu'il fut
- en cela véritablement Apôtre, fans en avoir le nom. En effet, ce zele ar
voir zele dent qui nous pouſſe à travailler à la converfion des autres, n'eſt à propre
pour la con-
des
ment
inte,parler
& la que la ferveur
vivacité de laque
: de forte charité même
ce que ; s'eneſt est
la flâme comme
au feu, l'eſprit ,aux
le brillant la
| aſtres, & l’éclat aux pierres précieuſes, de même eſt le zele à la charité, fans
chant'jus- lequel elle est defarmée,& ne peut rien faire, ny entreprendre de grand, ou fi elle
CHR is r. le fait, elle s'arrête à la moindre difficulté ; au lieu que le zele , dit faint Ber
nard, lui donne des mouvemens extraordinaires, & des tranſports ſemblables
aux boüillons de l'eau, laquelle ne fort de fon vafe , que lorſqu'elle eſt
échauffée par l'ardeur d'un feu violent, & qui ne ſe peut contenir en cet
état. C'eſt ce que le zele , & le feu de la charité fit d'abord dans ſaint
AH. 6. Etienne, que l'Ecriture nous repreſente rempli du Saint-Eſprit ; Elegerunt
Stephanum :plenum fide , G- Spiritu Santto, c'est-à-dire, plein de la charité qui
nous attache ce divin eſprit , lequel n'étant que feu , & qu'amour, embraze
tout le monde de la même ardeur. Et cette plénitude de nôtre Saint l'oblige
de ſe répandre au dehors, & de prêcher la doćtrine du Maître au ſervice du
quel il s'étoit conſacré. Or quoique cette gloire lui fut commune avec une
infinité d'autres qui ont porté la foy & l'Evangile juſqu'aux extremitez du
monde , on peut dire n’éanmoins que nôtre faint Martyr a eu cela de parti
culier par-deſſus les autres qu'il a été le prémier ; qui ſe propoſant la gloire du
Sauveur, & ſon exemple, s'est entierement ſacrifié à ſon honneur, y laiſſant fa
vie. Auteur moderne.
Saint Etien- Ce n'est pas une petite gloire pour faint Etienne d'avoir été envoyé com
ČQ Illinns un me un ſecond Prophéte, pour faire une derniere tentative ſur les eſprits rebelles,
--
*
PA R A G R A P H E S I X I E’M E. 111
& opiniâtres des Juifs. On peut dire qu'il a été comme le ſecond Ambaſſa- ſecond Am
deur qui leur a été député pour les ſommer de ſe rendre. Le Fils de Dieu 3
leur avoit prêché lui-même, & les avoit éclairez de fa doćtrine , & de fes . fe
exemples, & ils l'avoient rebuté, & traité de la maniere du monde la plus , s.
indigne. Saint Etienne est comme un ſecond médiateur qu'il leur envoye pour de recon
les porter à ſe reconnoître, & à faire pénitence ; il est l’Ange, & l'Ambaſſa- ei e leur
deur qui leur porte la derniere parole de paix de la part de Dieu, lequel n'a *"*"
pas ſeulement coûtume d'envoyer à ſon peuple des Prophétes pour lui frayer le
chemin, & lui préparer la voye; mais qui enſuite en charge d'autres pour en
recueillir le fruit , & mettre la derniere main à ſon ouvrage. Ainſi, avant que
de paroître lui-même parmi le peuple Juif, il leur donne fes Prophétes, & im
médiatement avant que de leur prêcher, il leur envoya fon Précurfeur qui
étoit fon Ange , & fon Ambaſadeur : Ecce mitto Angelum meum ante te. Il Liit. 7
en fait de même après qu'il eſt forti de ce monde , puiſqu'outre ſes Apôtres
qui l'ont accompagné, il leur envoye ce dernier Ange, & ce dernier Ambalia
deurs, pour faire les derniers efforts, afin de les reduire ; & il eſt remarqué
aux Aćtes des Apôtres, que ce fût lui qui leur reprocha le plus fortement
leur infidélité. De maniere que fi c'eſt une gloire incomparable au grand faint
ean-Baptiste d'avoir été le Précurfeur du Sauveur, & fon Apôtre ſans en
avoir le nom, avant même qu'il y eût des Apôtres à fa fuite , & d'avoir été
comme l'aurore du jour de la grace; s'en eſt une toute ſemblable à nôtre
faint Etienne, d’en avoir recüeilli toute la lumiere, pour la répandre ſur ce
peuple aveuglé. L'un eſt le crefpuſcule du matin , & l'autre celui du foirs
l'un fon Précurfeur, & l'autre comme fon Subſiſtut en ce même employ. Tous
les deux ont prêché, & fait connoître le Fils de Dieu, ſans porter le titre
d'Apôtres ; mais il les ont égalez en zele, dit faint Auguſtin; zele qui a été fi
ardent en faint Etienne. Le méme.
duSaint
MeffieEtienne
: mais ail non-ſeulement
a encore foûtenuporté, & prêchéperſecutions,
les prémieres la vérité , & &la eſſuyé
doćłrine
les saint foûte
Etien
premieres tempêtes : ce qui est un avantage qui ne donne pas peu d’éclat à fa .
couronne. En effet , c'eſt le propre du zele, & d’une charité ardente de s'expo- fécutions
fer à tout pour un Dieu qui mérite tout ; juſques-là que faint Paul donne contre la
pour marque
vangile. de Etienne
Or ſaint fon Apostolat,
a eu cetteſesgloire
perſécutions dans d'avoir
particuliere, la prédication depré-
foûtenu les l'E- CHRIST».
fºi de Jesus
mieres contradićtions, & d'être celui ſur qui le prémier orage eſt venu fon
dre: Car il n'a pas marché ſeulement ſur les pas des Apôtres, il s'est trouvé
avec eux dans le choc, & dans la mêlée ; & s'il leur a été inférieur en digni
té, il ne leur a cedé ny en zele , ny en courage : mais ç'a été un zele accom
pagné de fçience, & de fageſſe, lequel l'a fait attaquer les chefs, & les princi
paux. Docteurs de la Loy. Ce fut fans doute la plus dangereuſe, & la plus
cruelle de toutes les perſécutions, comme ce fut la prémiere , parce qu'il
n’eut pas pour une Sećte à combattre comme les autres. Ce n'étoit
pas ſeulement l'idolâtrie , & l'ignorance du Paganiſme qu'il falloit diffi
per , & que l'on peut découvrir , & convaincre par les ſeules lumieres de la
raiſon ; mais il eût en tête les Doćteurs même de la Loy , & il falloit les
porter à quitter cette Loy , qui juſqu'alors , avoit été la ſeule véritable.
Il falloit les combattre par leurs propres armes, & les convaincre par leurs
I 12 P O U R LE PANEGYRIQUE DE S. ET I E N N E.
principes mêmes; & en un mot , vaincre les plus grands obstacles que la v é
rité ait jamais eu à ſurmonter; vous fçavez ce que c'eſt que les querelles de
Religion, juſqu'à quelle extrémité peut aller un faux zele , & comme chacun
fe fait un mérite de fon emportement , & un honneur de ne démordre jamais
de ſon opinion : car fouvent ce qui en attache pluſieurs au party qu'ils trou
vent , ce n'eſt pas une convićtion de la vérité, mais un défir de nouveauté,
qui les pouſſe avec une chaleur qui tient plus de la fureur, que du zele. Ce
font des gens entêtez de leurs ſentimens, qui ne les ont pas embraſſez pour
avoir reconnu qu'ils font les meilleurs ; mais qui veulent abſolument qu'ils
foient les meilleurs, parce qu'ils s'y font engagez par cabale, & qui ne les
défendent, que pour maintenir l'avantage qu’ils y trouvent de ſe faire va
loir, & de ſe distinguer. D'où vient que ces fortes de conteſtations font d'or
dinaire des commencemens d'une guerre ouverte , où des paroles on en
vient aux mains, & des raiſons, aux armes, pour emporter par le fer, ce que
les preuves, & les argumens n'ont pû faire décider : particulierement quand
ce zele mal reglé eſt allumé , & fomenté par l'ambition, ou par l'interêr ,
après que l'envie , ou la jaloufie l'ont fait naître , comme l'on a vů
dans toutes les heréfies, & dans les diſputes de la Religion, & de la foy. Le
même.
Quels étoiết L'occaſion en laquelle nôtre Lévite ſe vît obligé de paroître pour défendre
les ennemis le Christianiſme naiſlànt, fut contre les Doćteurs de la Loy , dont les uns
de la foy étoient de ces eſprits opiniâtres; & entêrez, qui ne reviennent jamais quandils
que faint
Etienne cut ont une fois pris leur party : & les autres, de ces faux devots, que la paſſion
à combatre. de paroître grands obſervateurs de leur Religion, faiſoit donner aveuglément
dans tous les excès, & qui jaloux de voir déchoir leur autorité , & leur credit
par la vertu, & la fainteté des prémiers Chrêriens, s'étoient liguez pour dé
truire cette nouvelle Loy: car les prodiges qu'ils voyoient devant
leurs yeux parlaffent affez en ſa faveur, l'envie les obſtiner dans leur
dureté. Ils paroiſſent donc en cette lice avec un air de fierté, & de ſuffiſance
qui promettoit déja la vićtoire : mais ce Doćteur, & ce Prédicateur du Ciel
porte tant de lumiere dans leurs yeux, qu'ils n'en peuvent foutenir l'éclat ; il
parle avec tant de force : & d'éloquence, les convainc par tant, & de fi
preſſantes raiſons, les pouste avec tant de vivacité, qu'ils ne peuvent refiſter à
Aft. 7. cet Eſprit de Dieu qui l'anime , & qui parle par ſa bouche : Et non poterant
refistere Spiritui qui loquebatur. J'avouë qu'il n'a pas , comme les autres
Apôtres, parcouru les Provinces, & les Royaunes pour porter l'Evangile aux
Nations les plus éloignées ; mais, ce qui est la même choſe, toutes les Sećtes,
& toutes les Nations qui ſe trouvoient dans Jéruſalem, s'aſſemblerent , &
Ibidem. s'unirent contre lui ; Surrexerunt quidam de Synagoga que appellabatur liberti
morum , & Cyrenenſium , & e Alexandrinorum, & eorum qui erant à Cilicia , cá
Afià, diſputanter eum Il faut qu'il fatisfaffe ſeul aux raiſons de tous
les partis , qu'il défende eul la vérité attaquée par tant de fçavans, qu'il ré
fute les uns d'une façon , & les autres d'une autre ; qu'il paroiſſe feul au mi
lieu de leur Synagogue, où tout le monde est contre lui, & où il n'a pour
défenſe, que la bonté , & fa cauſe, & le fecours du Ciel. Et c'est dans ce
prémier choc , & dans ce prémier combat que ſaint Etienne ſignale fa force
auſſi bien que ſa ſageſſe ; outre que c'étoit à la naiſſance de l'Egliſe lorſque le
Chriſtianiſme
P AR AGRA PHE S IX I E’M E. I I3
Christianiſme commençoient à s'étendre, & dans la premiere atteinte qu'il don
noit aux autres Religions. Le même.
Saint Pierre , & quelques autres Apôtres avoient prêché la divinité de La viao
J E s u s-C H R i s T avant faint Etienne , mais elle n'avoit point encore eû te que faint
d'ennemis déclarez , & quoiqu'on eût déja fait défenſe de publier cette Loy,
perſonne n'avoit encore entrepris de la combattre. Ce fût à faint Etienne que
l'on s'attaqua d'abord , & par conſéquent la victoire qu'il remporte eſt le , foy ,
prémier exploit , & la prémiere conquête qu'ait fait la Religion Chrétienne, fut la pic
le prémier ſuccès de fes armes, le prémier progrès qu'ait fait le Christianiſme, mis ºn
& le premier triomphe du Sang du Fils de Dieu. Que fi faint Paul a dit de-
puis, que tout ce qu'il fouffroit étoit pour l'interêt de l'Evangile , & que ce
ir
qu'il enduroit pour ce ſujet, étoit ſa gloire, & la choſe du monde dont il ſe
faiſoit le plus d'honneur : Et hoc propter Evangelium ; nôtre faint Martyr ne pou
voit-il pas dire de même avec autant de raiſon, que tout ce qu'il ſouffroit
étoit pour la défenſe de l'Evangile, qu'il n'avoit point d'autre but que de le
faire vaincre, & triompher en fa perſonne ; puiſque c'étoit de fa force, & de
fon courage qu'en dépendoit le premier faccès, & l'heureux augure de toutes
les victoires qu'il remporteroit enſuite de fes ennemis. Je ne parle point en
core icy de ce combat ſanglant où il donna ſa vie pour défendre l'Evangile ;
mais ſeulement des vićtoires qu’il remporta dans les diſputes qu'il eût contre
les Doćteurs de la Loy , leſquels il confondit ; ce qui lui acquit la couronne
de Dočteur, avant celle de Martyr, & où je puis dire de lui ce qu'on a dit de
puis de faint Athanafe, que fa vie étoit un éclair , & fa parole un foudre ;
parce que la lumière de ſes actions étoit fi brillante , que les Hérétiques ne la
pouvoient foûtenir. Le même. *
L'exemple du faint Lévite Etienne nous fait voir clairement que quand le . Ce que
zele eſt foûtenu par une fainte vie, il n'y a tien qui lui puiſſe réſister ; que tou
tes ſes paroles portent coup , & que toutes ſes raiſons font fans répliques. "
Que fi la malice de ceux à qui nous parlons en empêche le prémier effet, qui l'exemple
est leur converſion , elle ne peut éviter le ſecond , qui est la confufion qui d'une fainte
leur en demeure, & qui leur couvre le viſage. Voilà la plus forte & la plus "**
puiſſante éloquence que puiſſent employer ceux qui travaillent au falut du pro
chain, & ſans laquelle tout le reſte a peu , ou point du tout d'effet. Et j’ofe
dire que les Apôtres mêmes avec tous leurs diſcours, & tous leurs miracles,
n’euffent rien avancé, fi l'on n'eût vû leur doćtrine appuyée, foûtenuë, & au
toriſée par leurs aćtions, qui ont jetté tant d'éclat, que leurs paroles enſuite
ont été comme un tonnerre qui s’est fait entendre par tout : In omnem terram Pſalm. 13.
exivit fonus eorum. Austi est-ce ce qui rendit nôtre ſaint Etienne invincible,
ayant la fainteté, & l'eſprit des Apôtres, à qui toute la ſcience des Scribes,"
& des Docteurs de la Loy ne pût réfiter : Non poterant refistere Spiritui Aã. 7.
qui loquebatur. Ajoûtez à cela, qu'il prêcha la doćtrine de fon Maître devant
les tribunaux, & en préſence des Juges, & des perſecuteurs, & qu'il a donné
l'exemple de cette liberté chrétienne que la crainte de la mort, ny tous les
dangers ne ſont pas capables d'arrêter. En effet, avec quelle liberté ne repro
che-t-il point aux Juifs d'avoir fait mourir l'Auteur de la vie : Cujus nunc pro- ibidem.
ditores & homicida estis. Avec quel zele ne leur fait-il point connoître leur
opiniâtreté º Durâ cervice , & incircumcifis cordibus. Avec quelle intrépidité
Paneg. des Saints. Tome I. P
ne.
114 P o UR LE PANEGYRIQUE D E S. ET I ENN E.
leur repréſente-t'il point les bienfaits qu'ils ont reçûs de Dicu , & l'ingratitu
de dont ils les ont payé ? En un mot , il prefſe fes Juges , & les confond , &
faiſant gloire du crime dont ils l'accuſent , il leur remet devant les yeux com
bien les leur eſt extreme, & incxcuſable. Le même.
Avcc quel Si faint Cyprien appelle celui qui preche la Foy avec intrépidité ; cor reg
le liberté ce
faint Levite nans ; un coeur libre & royal, qui exerce par tout un empire fouverain; cet éloge
ne peut être donné plus juſtement qu'à nôtre faint Martyr, qui prêche librement
reprend les
vices & prê un Dieu crucifié , avant faint Paul , & qui rend raiſon de fa foy, étant en la
che les ve
ritt z chré
puiſſance de fes ennemis, qu’il défie au combat par un zele qui fervira d'exem
tiennes. ple à tous les Prédicateurs qui viendront après lui. Il leur apprendra quel cou
rage ils doivent apporter au ministere de la parole de Dieu, fans que ny la
crainte de la mort, ny les menaces des hommes puiſſent jamais les en rendre
prévaricateurs. Il leur montrera avec quelle liberté il faut annoncer cette
parole , en préſence des Grands & des Magistrats, fans flater leurs vices, fans
conniver à leurs défordres, fans approuver leurs injuſtices ; & quoi qu'on
doive épargner leurs perſonnes, & ne perdre jamais le reſpećt qu'on leur
doit : il ne faut pasaulii que leur conſidération cmpêche les Ministres de l'E
vangile de blâmer les vices , & les oblige de ſe taire dans les déréglemens pu
blics, de crainte que leur lâcheté ne fomente le mal, à quoi ils font obligez
de tâcher d'apporter du remede. C'est ce que difoit un Prophéte, qui fe
Iftia. 6,
croyoit coupable de tous les crimes qu'il n'avoit pas ců la hardielle de repren
dre ; Ve mihi , quia tacui. Malheur à moy , fi étant l’Ambaſſadeur du Souve
rain Maître, je n'ai pas le coeur de foûtenir fes interêts; fi par mon filence je
laiſſe prendre cours au libertinage ; fi par la crainte de chổquer ceux qui ſe
fentiront coupables, ou de déplaire aux perſonnes d'autorité, je n'ofe invec
tiver fortement contre les fcandales : Ve mihi, quia tacui. C'est ce front de
diamant que Dieu promet de donner à un autre Prophéte , pour ne point ſe
mettre en peine des jugemens des hommes, & fe mettre au-deſſus de la cen
fure des gens intereſſez , & c'eſt cette bouche & cette langue que Dieu don
na à ſes Apôtres, & à quoi rien ne pouvoit réſister : Dabo vobis os cui non po
terunt reffere. Le même.
Comme le
Quelque ardent que fût le zele de faint Etienne, il fût toûjours temperé par
grand zele la douceur de la charité : il évita ainſi ce qu'il y a de dangereux dans le zele
de S Etienne
fut temperé qui naît de cette vertu, mais qui fouvent dégenere en une animofité ſecrete,
par la dou qui s'aigrit par les obstacles qu'il rencontre, où fouvent la chaleur du combar
ceur de fa que l'on entreprend pour défendre la verité, refroidit l'ardeur de la charité
charité,
qui nous a porté à nous y engager ; de forre que le zele , fans lequel la charité
feroit languiſſante, en devient quelquefois le plus funeſte écueil. Or ce qui
rend recommandable le zele de nôtre faint Martyr, c'eſt d'avoir parfaitement
imité le Sauveur en ce point. Il a ců un zele ſincere & ardent pour ſes plus
grands ennemis, qu'il n'a attaquez que parce qu'ils étoient les ennemis de
Dieu ; il falloit donc les combattre comme tels, & en même temps les aimer
comme ſes propres freres: il falloit ſéparer fa propre cauſe d'avec la caufe de
Dieu, & faire différence de ce qui le touchoit en ſa propre perſonne, d'avec
S. Aug.fer. ce qui regardoit les interêts de la Religion ; il falloit que nôtre Martyr accor
de S. Steph. dât deux extrémitez fi difficiles à unir: Quafi enim feviebat Beatus Stephanus:
Jed ſaviebat ore , corde diligebat. Son zele étoit tour de feu dans ſes paroles ;
P A RA G RA PH E S I X I E’M E. I I5
car avec quelle liberté ne leur repréſente-il point les bienfaits de Dieu fur leur
Nation, avec quel ardeur ne leur reproche-t'il pas leur ingratitude ? Seviebat
| in illo charitas. Mais ce zcle qui emprunte les termes de la colere & de l'ai
greur, venoit d'un fond de charité qui les mettoit fur ſa langue, & qui ne les
poufloit pas plus loin. Auſſi n'appartient-il qu'au Saint-Eſprit dont il étoit
animé , & qui eſt un Eſprit de force & de douceur tout enſemble, de faire un
fi juſte temperamment de ces deux qualitez qui ſemblent fi contraires : telle
ment que ſon coeur est plein de ſentimens d'amour pour leur falut, & de com
paſſion pour l'aveuglement où ils font. C'est ce qui change cet amour en zele,
& qui lui fait employer toute la force de ſes paroles pour rompre & fiéchir la
dureté de leur coeur. Extrait du ferm. du P. Grifelfur S. Etienne.
Ce caraćtere d'amour pour fes ennemis, eſt fans doute fingulier, d'oppo- Le carac
:::
fer à ce faux zele qui les porte à la vengeance, un autre zele plus ardent qui te de la
rend l'apparence de la haine , pour vaincre leur opiniâtreté ; comme leur
ii
véritable haine avoit l'apparence de zele pour perdre faint Etienne en qualité
de blaſphémateur. Mais de l'exemple de ce grand Saint, quelle inſtrućtion ne vers les en
pouvons-nous
nemis point
d'avec les tirer, de
ennemis pour régler
Dieu, & nôtre
pour charité, pour diſtinguer
ne pas chercher nos propresnosinte-
en- nemis, &de les
rêts, ſous prétexte de foûtenir les fiens? Il est permis d'attaquer les impies, "******
d'arrêter les défordres des pecheurs, de faire tous fes efforts pour pouſſer &
confondre les Hérétiques ; c'eſt-là un zele, qui bien loin d'être contraire à la
charité, en eſt la perfećtion , ou du moins, c'en eſt une des marques les
plus infaillibles ; mais le danger n’est que trop ordinaire de couvrir une vérita
ble haine ſous couleur de ce zele fi ardent. Car combien trouverez-vous de
perſonnes qui autoriſent par-là u Ile paſſion d'envie , ou de vengeance ? com
bien qui, après avoir fomenté long-temps une animofité ſecrete , la font écla
ter à la faveur de ce zele prétendu : combien qui ſous ce prétexte, publicnt
ouvertement des médifances atroces , & qui pour perſécuter impunément
paſſer pour ennemis déclarez de Dieu, pour des hé
leurs ennemis , les font
rétiques, ou pour des perſonnes pernicieuſes à l'Etat & à la Religion ? Il eſt
'i-: vray qu'il est difficile de diſcerner le veritable zele d'avec le faux & le contre
fait, qui en prend facilement la reſſemblance , en imitant fi bien les paro
les , les ſentimens, & les aćtions du véritable, que fouvent les plus éclaircz
y font trompez : mais il me ſemble qu'on ne peut manquer , en fe réglant
fur celui de nôtre Saint, c'eſt-à-dire, en fe declarant hautement contre les dé
fordres, & en tâchant de convertir ceux qui en font coupables. L'Auteur des
Sermons fur tous les ſujets.
: Le zele & la douceur de faint Etienne n'eurent point d'autre cffet Lez-le d'E
fur ces eſprits envenimez , que d'augmenter leur opiniâtreté ; la honte tienne pour
de ſe voir vaincus attire tellement leur indignation , qu'ils ne ſe conten
tent pas de la faire éclatter par leurs cris confus : mais ils s'abandonnent en-
fuite aux furieux tranſports de leur colere ; & afin de faire paſſer ces emporte- point d'autre
mens de leur pastion pour l'effet d'un juste zele, ils prennent de faux prétextes ft de
de conſcience, en l'accuſant d'avoir blaſphêmé contre le Temple ; & contre :
Moyſe ; & enfin pouſſez de la plus violente, & la plus injuſte haine qui fût
jamais , ils le traînent tumultuairement hors de la ville, afin de le lapider i , & de le
comme un blaſphémateur. Ces envieux confus, ſubornent de faux témoins, traiter avec
P ij
1 16 P O U R L E PANEGYRIQUE D E S. E TIE N N E.
toute Findi qui rapportent qu'ils ont entendu de la bouche quantité de blaſphèmes contre
g"
Ila D1 : »
Moyſe &
'"'3' Scribes quicontre Dieu même.
s'aſſemblent ; on traîne le peuple
Voilà faint qui s'allarme,
Etienne les Anciens
dans le Sanedrin & les
où le grand
Prêtre préſide ; on lui confronte les témoins, qui dépoſent qu'il a parlé fcan
daleuſement contre la Loy , & contre la faintcté du Temple ; qu'il en a pré
ché la ruine avec le renverſement de la Religion ancienne. Comment fera-t'il
fon apologie ? de quels termes uſera-t'il pour ſe défendre contre un amas con
fus de tant de gens furieux, entêtez , & opiniâtres ; contre tant de fauſſaires
acharnez à fa perte ? Sa grace, fa force l'aban ionneront-elles dans ce preſſant
détroit où il fe trouve? Non , Meſſieurs, fon zele & fon ardeur redoublent ; la
grace paroît ſur fon viſage , & ſes ennemis ne peuvent, qu'ils ne s'en apper
çoivent : Ces Juges paiſi »nez qui cherchent avec grande impatience la con
vićtion du faint Martyr, au moins dans fes mouvemens extérieurs, font hors
d'eux mêmes de voir qu'au lieu de paroître étonné, confus, tremblant, il pa
roît p'ûtôt comme un Ange ; Viderunt faciem ejets tanquam faciem Angeli. Le
Pere Texier ferm. für S. Etienne.
avec quel's Repréſentsz - vous cette multitu le enragée , qui ne pouvant p'us fuppor
tag: ": ter les reproches de faint Etienne, l'interrompt tout d'un coup par d'horri
bles cris , & ſe jette ſur lui avec furie, comme pour le mettre en pieces. Ils
& le pouſſent, ils le trainent hors de la ville , & là jettant leurs habits , &
avec quel s'armant de pierres & de cailloux , ils fon lent ſur lui tout à la fois , & le la
couage il pident cruellement. Il eſt aiſé de juger du nombre & de la force des coups,
. par le nombre de fes bourreaux, & par la fureur dont ils étoient animez ;
plice. P mais pourrez-vous bien croire qu'il elfiye cette grêle épouvantable, fans
- être porté par terre, fans être ébranlé le moins du monde. Le voilà déja tout
meurtri, tout brifé, tout couvert de fang ; il n'a plus qu’un moment de vie;
il est près d'expirer, & néanmoins il est encore debout : il fe foûtient encore
cn cette poſture , pour faire voir que fon amour eſt encore plus fort que la
haine de fes ennemis , qu'il eſt même plus fort que la mort. Le P. de la Colom
biere , ferm. de S. Etienne.
La force & Si les Philoſophes ont appellé la force militaire une vertu héroïque, parce
le courage qu'elle mépriſe la mort & tous les dangers qui ont coảtume de nous imprimer
de la crainte : je puis fans doute appeller de ce nom , la force des Martyrs, qui
n'ont pas ců ſeulement à vaincre la mort, mais la mort accompagnée de rou
été le pre- tes fes horreurs ; qui l'ont affrontée fans crainte , & qui font demeurez intré
mier qui a pides au milieu des fupplices , & des bourreaux. Ce qui eſt une aćtion d'une
ſouffert la générofité fi haute, que la Religion Chrêtienne n'a rien de plus grand; mais en
; ; tre tous les Martyrs, je le puis bien dire d'une façon toute particuliere du
cm a r, grand faint Etienne , comme de celui dont la charité a parů plus forte & plus
s pour être généreuſe. La raiſon est qu'il eſt le prémier , & par conſéquent le chef des
is de Martyrs qui ont donné leur vie pour le Sauveur ; de forte que files autres ſont
les ſoldats du Fils de Dieu , la fleur, & l'élité de fa nobleſſe , & pour
ainſi dire, les braves qui ont fignalé leur force & leur courage ; c'eſt faint
Etienne qui marche à la tête de cette généreuſe troupe, & qui en eſt le Capi
taine, ainſi que l'appelle faint Auguſtin ; Miles Christi fidelis , fignifer Marty
rum & primicerius. D'où s'enfuivent deux prérogatives toutes particulieres, &
propes de ce grand Saint. La Premiere eſt une certaine prééminence qui lui eſt
P A R A G R A PHE SIX I EM E. 117
dẫể ſur tous les autres : Car c'est ſans doute une gloire toute autre d'être le
prémier & le chef de quelque entrepriſe, que de ſuivre ſeulement ceux qui
nous ont précedé ; à cauſe que ceux qui commencent & qui mont rent le che
min, effuyent les prémieres difficultez & les prémiers dangers qui font dans
l'abord des affaires. Les prémiers inventeurs des arts ſe font ſignalez tout au
trement que ceux qui les ont cultivez enfuite,deſquels on ne parle pas ſeulement.
Les ſoldats qui montent les premiers à l'affaut paſſent pour les plus braves & pour
les plus courageux,& ce font eux proprement qui prennent les villes,& dans tou
tes les autres entrepriſes,c'eſt le premier qui met la main à l'oeuvre qui mérite le
prémier honneur. Or c'eſt la gloire de nôtre faint Martyr de paroître aujour
d'hui à la tête de plus d'onze millions de Martyrs que l'Egliſe a eûs depuis,
d'être le chef de cette armée nombreuſe, & d’avoir été le prémier qui ait don
né ſa vie pour rendre témoignage de fa foy; honneur qui lui est dû par préfé
rence aux Apôtres mêmes ; ce qui a fait dire ces belles paroles à faint Augustin:
Licet Stephanus ab Apostolis Diaconus ordinatus fit : ipſis tamen triumphali morte
praceffit , & qui inferior erat ordine , primus factus est paffione, qui distipu
lus est gradu , magister effe cæpit martyrio; ab Apostolis est ordinatus , ſed prior
est coronatus. Auteur moderne.
Quoique faint Etienne ne fût que Diacre ſeulement , & ministre des Apô Suite du
tres, il a vaincu devant eux, & avant même qu'ils euffent combattu ; il leur même ſujet,
& la même
a cedé en dignité, mais il les a précedé en l'honneur de fouffrir, & de mourir penſée
tout le prémier. Il n'eſt que leur diſciple eû égard à la dignité de l'ordre ; mais d'autresenter
il est leur maître dans la gloire du martyre ; il a été choiſi & ordonné de leurs II] <S.
La grande Le plus bel éclat de la couronne de faint Etienne eſt d'avoir pardonné ſa
gloire de , mort, & d'avoir pratiqué ce qu'il y a de plus ardent, & de plus haut dans la
charité, mais encore ce qu'il y a de plus difficile qui est l'amour de fes enne
: mis: Car fi le prémier l'égale aux Apôtres, fi le ſecond le fait l'exemple , &
e qu'il le modele des Martyrs, il y en a un troifiéme qui le rend ſemblable au Fils
ait faite, est de Dieu même , puiſqu'il a le prémier imité, & repréſenté fa charité immen
d'avoir prić ſe , d'avoir prié pour ſes perſécuteurs. Permettez-moy, Meſſieurs, de les con
fronter un peu enſemble, pour en remarquer plus facilement tous les traits.
i'exemple 1°. Il pardonne comme lui ſa mort, qui est la plus grande de toutes les
du sauveur, injures, comme la vie est le plus grand de tous les biens que l'on nous
ravir. Car fi ce fût une charité fi grande dans le Sauveur de tous les
ommes , qu'au fentiment de quelques Saints Peres, il falloit être Dieu pour
pardonner de la forte, ayant tant de raiſons de ſe venger, & tant de moyens
d'exercer fa juste vengeance ; c'eſt néanmoins ce que faint Etienne imite le
prémier, car quoiqu'il connoiſſe la paſſion, & la rage de fes ennemis, quoiqu'il
reſſente avec quelle indignité il est traité,de ſe voir lapidé comme un blaſphéma
teur ; il pardonne cette mort à l'exemple de ſon Maître;il n'attend pas non plus
que lui qu'on le conjure d'oublier cet outrage, il ne differe point ce pardon juſ
qu'à ce que le temps ait apporté quelque adouciſſement à la playe de ſon coeur ;
mais il pardonne comme lui au plus fort de fes douleurs, lorſque fes per
fecuteurs font le plus furienſement déchaînez contre lui, & durant les plus
violens efforts de haine. C'est alors qu'il n'a que des mouvemens de
charité pour eux. Or j’ay dit que c'est ce qu'il y a de plus difficile dans la
charité chrêrienne ; car qui ne la peine qu'il y a d'étouffer les justes ref
fentimens de la colere, quand l'on ſe voit traité indignement ; & de réprimer
les mouvemens de fon coeur ? C'eſt le plus grand effort de la grace, & une
PA R A GR APHE SI X I E’M E. II 9
aćtion héroïque, qui peut avec juste raiſon fermer le cercle de la couronne de
nôtre Saint ; comme nous liſons du faint Roy David , qu'après avoir pardon
né à Saül lorſqu'il étoit en fa puiſſance , & qu'il pouvoit par fa mort , mettre
en aflûrance fa couronne, & fa propre vie ; qu'après , dis-je , cette grande
aćtion, il compoſa ce beau Pfeaume qui s'appelic Mičiam , c'est-à-dire, une
couronne, préferant cette victoire à tous fes trophées, & comme voulant ra
maſſer toutes ſes couronnes dans ce grand aćte de généroſité. J en puis dire
de même de nôtre prémier Martyr , que toutes fes belles aćtions font renfer
mées dans cette ſeule aćtion, ce qui fait le plus bel éclat de fa couronne, &
qui le rend ſemblable en ce point au Sauveur , qui voulut conſacrer les der
niers momens de fa vie , nen-feulement en pardonnant ſa mort ; mais encore
en priant ſon Pere pour ſes bourreaux mêmes ; & ramaflant ce qui lui
restoit de voix, & de forces pour pouffer ces dernieres paroles : Pater, dimir
te illis , non enim ſciunt quid faciunt. Sur quoy un fçavant Interprete remarque
qu'il pria pour ſes avant même que de conſoler ſa Mere, avant
que de ſonger à ſes amis , & même avant que de recommander fon ame à
fon Pere : Car nonobſtant qu'il eût les oreilles batuës des reproches qu'ils
lui faifoient, & les blaſphémes qu'ils vomiſſoient inceſſamment contre lui; il
éleve ſa voix pour témoigner que fon coeur débonnaire, bien loin de conce
voir des fentimens de vengeance , n'étoit bleſſe que d'amour, & de compaſſion
à leur égard. N'eſt - ce pas ce que fait encore nôtre Saint juſqu'au plus
fort de fon ſupplice, lorſque tout autre eût pû oublier fes plus chers
amis
même. , il a le courage
8 de Pprier P
pour ſes Plu$.
plus grands
g ennemis. Le
La plus douce conſolation de faint Etienne, est de voir Jesus qui ſe tient Quand faint
debout pour l'animer, qui lui inſpire par ſes regards , le courage , & la conf. prie
tance , qui lui donne la force de lui parler avec autant de tranquilité dans i le
l'excès de fes maux, qu'il feroit dans la joüiſlance de la gloire. Ce qui fait fait avec
dire à faint Augustin : Judei virum Dei lapidabant , ille rogabat aſpiciens tranquilité,
Deum : Les Juifs lapidoient l'homme de Dieu, & lui , en conſidérant Dieu,
le prioit au milieu des bourreaux. Saint Luc, a remarqué qu'il prioit pour foy
avec une confiance paiſible ; Domine Jesu , fuſcipe ſpiritum meum. Mon ame mis and
s'en va abandonner ce corps, recevez-là , s'il vous plaît , Seigneur. Mais il prie pour
lorſqu'il veut prier pour ſes ennemis, fa posture, le ton de ſa voix, ſon em- "" is,
preflement montrent l'ardeur qu'il a pour leur falut : Poſitis autem genibus,
clamavit voce magna, dicens , Domine , ne statuas illis hoc peccatum. Il # met à s. avec :
genoux, il crie à haute voix, Seigneur , pardonnez-leur ; il ouvre autant de preſſement.
bouches, qu'il a de playes, & dans l'extrémité de fon martyre, il employe 4ä. 7.
le cæur à l'amour, & la langue à la priere pour ſes propres bourreaux : ""
Quando alius oblivifci poterat etiam chariffimos filos: tunc ille Domino commen
dat inimicos. Dans un temps où un autre auroir pû oublier les perſonnes les
plus cheres, il recommandoit au Seigneur ſes plus cruels ennemis ; il a eû
un zele animé, & plein de feu pour leur converſion , lorſqu'il a été obligé
de les reprendre, & de glorifier fon Maître en les convainquant qu'il étoit
Dieu ; mais il n'a que de la douceur, de la compaffion , & de la tendreſſe
lorſqu'il faut mourir. Je ne m'étonne pas que pour une ame fi tranquille,
une mort fi cruelle s'appelle un ſommeil : Et eum hoc dixiſſet, obdormivit in liidem,
12o p OUR LE PANEGYRIQUE DE S. E TIE N N E.
Domino. L'expreſſion ne pouvoit être plus juſte, dit le Cardinal Pierre Da
mien : Felix fomnus cum requie, requies cum voluptate voluptas cum fe
ɔ
Chrêtien a ces ſentimens barbares, & s'il meurt avec cette diſpoſition, que nous ne de
doit-il attendre, finon que le Ciel fe fermera à fa mort, que Jesus-CHRIsr vons pas
fermera fon cæur, qu'il fermera fes playes, puiſque cet homme ferme ſon que
coeur à ſon frere : Judicium fine mifericordià. Vous avez beau demander mi-
féricorde à l'heure de la mort, vous ne l'avez pas faite pendant vôtre vie, jamais.
vous ne l'aurez pas à ce moment. Pardon , direz-vous au Seigneur ; pardon, facobi. 2.
dira-t-il , & vous l'avez refuſé à vôtre frere, & à moy-même qui vous l'ay
demandé pour lui ? Ah ! ne foyons pas fi cruels à nous-mêmes , que pour nous
venger ainfi d'un ennemi, nous nous perdions nous-mêmes, & que , par une
extréme cruauté, nous nous damnions pour lui faire un mal fi leger. Monsteur
TBiroat.
Non - ſeulement faint Etienne a fouffert le prémier des . Martyrs , La cruauté
mais il a plus fouffert que les autres ; le ſupplice dans lequel il expira du, ſupplice
- - - |- - fouff:
étoit le ſupplice ordinaire des blaſpémateurs , des ſacrileges , &
des adulteres ; mais il fut accompagné pour faint Etienne , de cir
constances qui en rendirent l'exécution plus cruelle qu'à l'ordinaire ; car
fes accuſateurs , par une faillie de rage , devenant tout-à-coup fes bour
reaux, le frappent en foule, & avec violence : Impetum fecerunt in eum. Ils Ast. 7.
lui font autant de playes, qu'ils lui donnent de coups ; ils le laiſſent cou
vert de fon fang ; peut-on rien imaginer de plus inhumain ! Cependant ,
admirez le courage de nôtre illuſtre Martyr; jamais fon corps ne pût être abba
tu par cette multitude de cailloux lancez contre lui de toutes parts ; il demeura
Q ij
124 po UR LE PANEGYRIQUE DE S. ET I ENN E.
toûjours debout, il ne déchit les genoux que pour mourir. Put on fe fi
gurer quelque chofe de plus héroïque ! peut-on porter le z le de la Religion
plus loin ! peut-on porter l'amour de J E s us : C H R 1 s t a un plus haut
degré ! pouvoit-on établir de plus glorieux fondemens de la Religion ». & du
martyre; peut-on voir une plénitude de grace , de force & de charité plus
abondante, que dans l'ame de faint Etienne : Mais quel ſujet de douleur & de
confuſion , quand nous venons à comparer le courage de ce faint Martyr avec
la lâcheté des Chrêtiens ! Ah ! mes Freres, diſoit faint Cyprien , dans un temps
où la violence des perſécutions étoit interrompuë, faut-il que la paix dont
nous joüiffons ait énervé le courage de l'Egliſe ? Après que nos peres ont triom
phé des tyrans & des bourreaux, nous nous laillons vaincre & amollir par les
délices; & comment réſiſter aux tentations, lorſque l'on s'abſtient des remedes
que Dieu nous a laiſſez pour en répouſſer, & pour en prevenir les atteintes?
Lorſque l'on nourrit & que l'on fomente la concupiſcence , au lieu de la mor
rifier, & que l'on irrite les fiammes que l'on devroit éteindre ; il femble que
l'on prenne plaiſir à baifer ſes chaînes , & qu'au lieu de faire la guerre à ſes
ennemis, on les flatte, & on les careſſe. Ah ! mes Freres, comment pouvons
nous nous flatter que nous avons la grace de Dieu , lorſque nous ne voyons en
nous aucun de fes effets. Quand je vous verrai diſpoſez à faire autant de ſacri
fices à Dieu, que vous avez de mauvaiſes inclinations , je croirai que le
Saint-Eſprit habite en vous, comme dans ſaint Etienne. Il en fit le prémier
des Martyrs par une plénitude de charité , & le prémier des Bien-heureux ſur
la terre, par une plénitude de joye. Effais de Panegyriques.
S Etienne Par quel endroit enviſagerons-nous faint Etienne, ou comme un faint Lévi
te, qui dans les maiſons des pauvres distribuë avec une exacte fidelité les au
mônes des fideles, en y joignant l'aumône ſpirituelle, afin de nourrir le corps &
& comme l’ame ? Ou bien l'enviſagerons-nous comme un Doćteur de l'Egliſe naiſſante,
Docteur , qui humilie tout ce qui s'éleve contre la fçience de Dieu ? Ou comme un faint
#Martyr."º fes
Martyr,
freres ?qui
Pardonne ſa vieSaint
tout nôtre & pour Jesus-Christ,
eſt dans ſon point de&vůë
pour l'Egliſe, &
: charitable pour
Lévite,
Doćteur profond, & Martyr invincible. Heureux d'avoir enſeigné, & prati
qué ! il fera grand dans le Royaume que Dieu s'est formé ſur la terre par le
Sang de fon Fils, & dans ce Royaume éternel où tous les eſclaves font des
Matt. y. Rois ; Qui fecerit , G docuerit , magnus vocabitur in regno cælorum. Autheur
moderne. e -
Détail de Les rares qualitez de l'eſprit & du corps , la vertu même , qui de
la Pénitude concert, devroient déſarmer f'envie, n'en font-ils pas l'objet ordinaire. Vous
voyez dans faint Etienne que tout ce qui peut s'attirer la bienveillance des
s Etienne. perſonnes » en excite néanmoins l'envie & la haine ; une ame noble , un corps
Poitrait des bien fait , un courage élevé & généreux, un naturel bienfaifant , une pléni
yetus de ce roit
Saint. .
rudefon
de grace
eſprit qui
par rendoit ſa beauté
les lumieres de lanaturelle comme
foy. Quelle angelique
douceur dans ,fon
& entretien
qui éclai!
5 quel zele dans le ministere des pauvres : quelle docilité envers les Apôtres !
Tout parloit en lui; il étoit par tout & en toutes choſes la bonne odeur de
Jesus-C#Rist & de l'Égliſe. La vertu ornoit en lui la fçience, & la fçience
éclairoit la vertu : il brilloit, & il touchoir. Tel étoit le portrait du coeur
de ce faint Ministre. Suſcitez, Seigneur, dans vôtre Egliſe fainte des Lévites
P A R A GRAPH E S I X I E’ M E. 125
d'une femblable ferveur ; que vôtre grace , & l'exemple de faint Etienne qui
n'est qu'un ouvrage de vôtre grace, opére en tous ceux qui vous font conſacrez,
afin que le troupeau foit fanćtifié par vertu des chefs : Pro eis fantifico me- Jºan. 17.
ipfum. Sermon manuſcrit. -
Saint Etienne traîné hors de Jéruſalem comme une vićtime , nous repréſen- Comparai :
te Jesus-CHRIsr traîné hors des murs de cette ville meurtritre, comme un fon
agneau qui ſe tait devant ceux qui le conduiſent à la boucherie. Le Diſciple niers cir
fouffrit le martyre, & il fût lapidé comme un blaphémateur ; ſupplice ordon
né par la Loy. Le Maître fût attaché à une croix comme il avoit été prophe- , ::: *
tife, & confondu avec deux voleurs; preſque tout eſt parallele entre le fer- c ,
viteur, & le Maître ; c'étoit la premiere copie tirée d'après nature , fur le avec celles
divin Original. En effet, icy les partagent les habits de Jesus-CHR1st : S- Etienne.
is de
là les témoins, felon l'ordre de la Loy , fe dépouillerent de leurs vête
mens, & les mîrent aux pieds d'un jeune homme nommé Saul , austi celebre
par les peines qu'il a cauſées à l'Egliſe, que célebre par les peines qu'il a en :
durées pour elle ; lapidant faint Etienne par les mains de tous ceux dont il
gardoit les habits; comme depuis il a aimé Dieu par l'amour de tous ceux qui
İe fervoient. Saint Etienne recommande ſon eſprit à Dieu, comme J E s u s
C H R 1 s r , & il pouſſe fon dernier foûpir en priant comme Jesus-ChRist,
pour ſes bourreaux. Autheur moderne. ---- -
Clamavit voce magnâ dicens: Domine , neffatuas illis hoc peccatum. Je s u s- Aã. 7. -
PARAGRAPHE
I 29
P A RAGR A P H E P R E M I E R.
exempté plus que les autres de boire le calice de Jesus-CHR I ST & de ſouffrir. :
Au lieu d’un martyre que les autres ont ſouffert, il en a enduré trois ; l'un au |
Calvaire, le ſecond dans Rome , & le troifiéme dans ſon exil. 1°. Au Cal
vaire, & ce fut le martyre de fon coeur. Que ne fouffrit il pas en voyant ex
pirer ſon Maître ? 2º. Dans Rome , & ce für un martyre de fang. Quel ſup
plice d'être plongé peu à peu dans l'huile boüillante. 3°. Dans fon exil, où
- il mourut. C’eſt ainſi que Dieu aime fes Elûs ; & n'efperons pas qu'il nous
* aime autrement. Nous bůvons tous le calice des ſouffrances ; mais combien le
boit-on en reprouvez, au lieu de le boire comme les amis & les Elůs de Dieu ?
C'est le de/Sein du Pere Bourdalouë.
I I. C o N s 1 D E R E z , s'il vous plaît , quelle fource de bonheur ç'a été pour
ce bien aimé Diſciple , d'avoir été le favori du Fils de Dieu. Pour cela il faut
fuppoſer que l'amitié étant un compoſé de l'eſtime , de la tendreſſe & de la
bienveillance que les amis ont mutuellement les uns pour les autres, il s'en
fuit que l'eſprit , le coeur & la volonté doivent s'accorder ſur le choix d'une
perſonne qu’on prend pour ami ; l'eſprit, pour y trouver du mérite , ce qui
fait qu'on luy donne toute fa confiance, & qu'on luy communique ſes penſees
& ſes ſecrets les plus importans ; le coeur, pour s'y plaire par une inclination
fecrette, qui fait qu'on s'y attache, & qu'on luy donne toute fa tendreſſe ;
& enfin la volonté, pour luy vouloir , & pour luy faire du bien par un
épanchement qui fait que tout eſt commun entre les amis. En trois mots ,
la confidence, la tendreſſe , & les bienfaits étant les principaux devoirs.
auſſi bien que les marques infaillibles d'une fincere amitié, nous en voyons
le modele en celle que le Fils de Dieu a euë pour faint Jean, & dans la fi
dele correſpondance que ce Diſciple bien-aimé luy a rendue. L'Auteur des Ser
- mons fur tous les fujets, &c.
I I I. E T R E aimé de fon Roy, attirer fur foy ſes regards & fa bienveillance ,
c'eſt un effet des perfećtions du ſujet , & des nobles inclinations du Prince.
Mais être aimé de Dieu, devenir ſon favori & fon bien-aimé, c’eſt le folide
bonheur de l'ame chrétienne. Tous les juſtes joüiffent de cet avantage ; Jesus
CHR I sT fait ſes delices d'habiter avec eux, & toutes les ames qui font dans la
grace de Dieu , font à ſes yeux des objets de tendreſſe & de complaifance.
Mais il y en a qu'il favoriſe d'une affećtion plus tendre , pour les élever à un
plus haut degré de perfećtion. Or parmi ces bien-heureux favoris de Jesus
CHR1 st , il n'en eſt point qu'il ait plus viſiblement distingué & honoré de ce
titre glorieux, que faint Jean l'Evangeliste , puiſque dans l'Evangile même il
eſt deſigné par le bien-aimé Diſciple de Jesus; Diſcipulus quem diligebat Jesus.
Ceux qui aiment veritablement, font toûjours diſpoſez à donner , fans garder
de meſures dans leurs bienfaits ; car ayant une fois donné leur coeur, qui eſt
le bien le plus précieux, ils n'ont plus rien à ſe réſerver. Ainfi les libéralitez
de Jesus-CHR ist envers fon cher Diſciple, ont été proportionnées à la gran
deur de fon amour. 1 º. Il luy donne fon coeur ; 2°. Il luy donne ſa Mere ;
3°. Il luy donne fa croix. Son coeur renfermoit tous les tréfors de l'amour ; ſa
Merc étoit un abîme de perfećtions ; fa croix étoit la fource de toutes les
graces. Que pouvoit-il donner de plus grand, de plus excellent, & de plus
Précieux à ſon favori ? Il le fait le confident des ſecrets de ſon coeur, il le fait
P A R A G R A P H E P R E M I E R. 131
le Fils adoptif de fa tres-ſainte Mere , il luy fait part de fa croix. Estais de
Panegyriques.
- L e Saint-Eſprit ſe communique différemment aux membres qui compoſent 1 V.
le corps myſtique de Jesus-CHR 1st ; il leur diviſe fes graces, dit l’Apôtre, &
il les appelle à divers miniſtéres : Diviſiones gratiarum funt, diviſiones ministra- 1 Cºr. 12.
tionum funt. Mais voicy un Saint dans lequel Dieu a réüni toutes les per
fećtions qu'il a diviſées & partagées dans les autres. Nous voyons dans #
Jean les lumieres d'un Prophete , le zele d'un Apôtre & d'un Evangeliste, la
générofité d'un Confeſſeur, la pureté d'une Vierge , la charité d'un Martyr.
En un mot, le Saint-Eſprit a ramaflé dans fon ame les vertus & les graces des
Saints qui l'ont précedé dans l'Ancien Testament, & de ceux qui le ſuivront
dans la nouvelle Loy. Reduiſons néanmoins tout ce qui regarde la gloire de ce
grand Saint à trois principaux traits. Il a été Evangeliſte , Apôtre & Diſciple
de Jesus. 1°. Comme Evangeliſte, il a été un oracle de la verité ; 2°. Comme
Apôtre ; il a été un modele de fidelité ; 3º. Comme Diſciple de Jesus, il a été
l'exemple de la charité. Les mêmes.
D 1 e u fait toûjours les avances quand il veut attirer les cæurs, il les pré- V.
vient par des bénedićtions de douceur, & il aime toûjours le prémier; mais il
veut que les hommes répondent à ſon amour pour eux. Il eſt le Dieu ja
loux qui ne peut fouffrir de diviſion dans le coeur, & il veut qu'ils ſe donnent
à luy fans réſerve, comme il ſe donne à eux fans partage. Ainſi, comme ce qui
fait la gloire de faint Jean, eſt d'avoir été particulierement aimé du Sauveur :
ce qui fait ſon mérite, eſt d'avoir aimé particulierement ce même Sauveur :
De ſorte que pour bien faire l'éloge de ce grand Saint , il faut le repréſenter;
1°. comme le Diſciple que Jesus-CHR1 sr a le plus aimé : 2°. comme le
Diſciple qui a le plus aimé Jesus. Les mêmes. . . -
J E fçai bien que la politique eſt partagée ſur cette queſtion, fçavoir, s'il est VI.
raiſonnable & s'il eſt avantageux à l'état, que le Prince ait des Favoris ; mais
fans nous mêler de faire un eclairciſſement qui eſt auſſi dangereux, qu’inutile,
je puis dire fans manquer au reſpećt que nous devons aux Monarques du
fiécle, qu'il appartient proprement à Dieu d'avoir des favoris. Il peut avoir
des favoris, parce qu'il eſt abſolument le maître de fes inclinations. 2°. Parce
qu'il eſt tres-indépendant dans la diſpoſition de fes biens. Troifiémement,
parce que c'eſt luy ſeul qui peut faire des créatures véritablement grandes.
Mais fans nous arrêter davantage aux prérogatives que Dieu a pour faire des
favoris, voyons comme il en uſe avec faint Jean, qui ſe nomme le Bien-aimé
de Jesus par excellence ; & pour en juger raiſonnablernent, prenons les regles
que nous en donne faint Bernard , qui nous apprend que cet amour de fa
veur eſt,
1 º. Tendre , |
I l ſemble que le Sauveur a réüni en la perſonne de faint Jean toutes les VIII.
graces qu’il avoit diviſées entre les autres Saints : car faint Jean a été ap
pellé à l’Apostolat comme faint Pierre, honoré de la dignité d'Evangeliſte ,
comme faint Matthieu, élevé à la qualité de Martyr, comme faint Etienne,
& favoriſé de celle de Vierge , comme faint Paul ; fi bien qu'il n'y a rien de
grand ni d'illuſtre dans tous les Saints qui ne foit renfermé dans celui-cy.
Mais ne croyez pas que ſon Panégyrique foit achevé, qu'on ne peut rien ajoû
ter à ſa grandeur, & que le Maître même dont il étoit le bien-aimé Diſciple,
ne lui ſçauroit accorder de nouvelles graces ; car je n'ay touché que celles qui
lui font communes avec les autres Saints. Je n'ay point encore parlé de fes
privileges, & pour en dire icy quelque choſe de particulier, il faut que je
vous faffe voir:
1°. Qu'entre les Evangeliſtes, il est le plus éclairé.
2°. Qu'entre les Apôtres, & les Diſciples, il eſt le mieux aimé.
3°. Qu'entre les Martyrs, il est le plus affligé.
4°. Qu'entre les Vierges, il est le mieux recompenſé. Le Pere Senault, Prêtre
de l'Oratoire. -
L e Fils de Dieu a fait tant de graces à faint Jean, il l'a avantagé de tant, IX.
& de fi grands privileges, qu'il ne que les confidérer pour être perſuadé que
les Philoſophes Gentils n'ont pas bien rencontré, ont dit qu'il n'y
pouvoit avoir d'amitié entre Dieu , & les hommes. Pour vous prouver le con
traire de cette opinion , & vous en montrer le faux , il n'y a qu'à conſidérer
tsus les témoignages d'amitié que le Fils de Dieu a donnez à faint Jean, &
kes careffes qu'il lui a faites. Nous pouvons les rapporter à deux chefs, qui
feront les deux parties de ce diſcours.
Au prémier , vous verrez qu'il a reçu toutes les graces gratuites , & que
toutes les faveurs qui ont jamais été communiquées aux autres Saints, lui ont
été données avec quelque droit de fingularité , & avec quelque préémi
Inc11Ces
Au ſecond, je vous ferai voir qu'il a reçû des graces, & des faveurs qui
lui ont été communiquées privativement à tout autre. Voilà en peu de mots
le ſujet de ce diſcours, qui pourra ſervir d'entretien à vôtre devotion. Le Pere
Odet Dalier. -
. L'AM 1 Tre', dit faint Ambroiſe, apprend l'égalité à tout le monde ; elle ne
fouffre point de rang qui la refroidiſſe ; il faut ſe défaire de tout air de fupé
riorité pour être fuſceptible de fes belles qualitez. Le Sauveur pouvoit-il ſe
rendre égal à faint Jean ; pouvoit-il rendre faint Jean égal à foy-même ?
non , il ne le pouvoit pas. Devenir ce qu'étoit fon Diſciple? il ne le pouvoit
pas; faire fon Diſciple ce qu'il étoit lui-même ? ſa puiſſance n'en pouvoit pas
venir à ce point. L'amitié toutefois devoit , ou trouver , ou mettre quelque
égalité entr'eux. Elle fit deſcendre le Maître, & elle fit monter le Diſciple.
Je vous montreray donc dans la prémiere partie de cet éloge , comment
Jesus-CHRIST s'abbaiſſa juſqu'à ſaint Jean ; & dans la ſeconde , comment il
éleva faint Jean juſqu'à ſoy. -
1°. Il s'abbaiſſa lui-même par les fentimens qu'il témoigna à ſon ami.
R iij
134 POUR LE PANEGYR. DE S. JEAN L'EVANGELISTE.
2°. Il éleva ſon ami par les graces dont il l'honora ; c'eſt toute la matiere
que je me ſuis propoſée. Auteur moderne.
X I. D I E u partage & réünit ſes dons , felon fon bon plaifir : car aux uns il
donne le don de Prophetie ; aux autres, il leur donne le mérite des Apôtres ;
à ceux-cy, celui d'être Evangeliſte ; mais il réủnit en faint Jean , les plus
éminentes qualitez, pour en faire un vaſe particulier d'election ; auſſi voyons
nous dans ce faint Apôtre,
1°. Qu'il a été un oracle de la verité, comme Evangeliſte.
2°. Un modele de fidelité à remplir fes fonćtions, comme Apôtre.
3°. Un exemple de charité, comme Diſciple de Jesus CHR1st.
X I I. Po u R peu que nous fastions attention aux dons & aux faveurs dont faint
Jean a été pourvû dans un éminent degré, il nous fera facile d'y remarquer,
1º. Qu'il a eû toutes les lumieres des Prophetes par ſes révelations divines,
qui nous ont devoilez les myſteres les plus cachez dans les ſecrets de l'avenir.
2°. Qu'il a eû la pureté des Vierges , ayant chéri fi particulierement cette
vertu, que ſelon faint Jerôme, elle luy a mérité plus que toute autre vertu,
l'amour de Jesus-CHR I ST.
3 °. La générofité d'un Martyr, bůvant comme ſon Maître, le calice qu'il
luy a préſenté.
X I I I. Nous pouvons remarquer trois titres entre pluſieurs autres, qui ne permet
tent point de douter que tout a été furnaturel & divin dans le Diſciple bien
• r
al IIIC.
Le plus aimé ; il a reçû plus de biens , & a été participant des plus hauts
fecrets du Sauveur.
Le plus aimable, ayant eû plus de raports & de conformité à ſon divin
Maître.
Le plus aimant , parce qu'il a été attaché d'un amour indiſſoluble à fon
Seigneur.
I L n'y a point de perſonnes dans le monde qui foient plus en bute à l'envie, X V I.
ny qui ſoient plus expoſées aux traits de la médifance que les favoris des Sou
verains. Plus leụr fortune eſt éclatante, & plus elle fait mal aux yeux des
gens du monde. On ne les regarde dans un poſte élevé qu'en grondant & avec
chagrin. Les eſprits mêmes les plus modérez ont bien de la peine à les voir
au-deſſus d'eux, & s'ils n’ont pas aſſez de malignité pour inventer des calom
nies, afin de les noircir, ils n'ont pas aſſez d'équité pour boucher leurs oreil
les à tous les faux bruits que l'on fait courir contre leur réputation. Il eſt
vray auſſi que parmi un fi grand nombre de favoris que les histoires nous
fourniſſent,il y en a tres-peu qui n'ayent donné beaucoup de ſujet de plaintes &
de murmures, & qui n'ayent mérité une partie de la haine & de l'averſion
qu'on avoit pour eux. Car , 1 º. il n'est que trop vray que la plâpart font ef
fećtivement indignes de la faveur qu'ils poſſedent, n'ayant ny les qualitez, ny
les vertus que demandent une fi haute élevation. 2°. On en voit peu qui n'a
bufent de leur fortune en devenant fiers & infolens. 3°. L’établiſſement de
leur grandeur eſt preſque toûjours la ruïne de pluſieurs autres ; & ils veulent
tellement être les arbitres des graces & des affećtions du Prince, que per
fonne ne peut prétendre à ſon amitié & à ſes bienfaits.
Mais Jean bien loin de reſſembler à ces indignes favoris, & de s'atti
rer comme eux, la haine & l’envie qui fuivent toûjours l'éclat d'une fortune
fans mérite , nous fait voir aujourd'huy. 1°. Qu'étant digne de la faveur de
Jesus, c'eſt la raiſon & la justice qui ont préſidé à ſon élevation. 2“. Que
n'ayant employé les graces & les libéralitez de fon Maître, que pour augmen
ter fa gloire, & accroître ſon empire, on ne peut aflez loüer ſa fidélité & fa
reconnoiſſance. 3°. Que ne s'étant enfin fervi de fa faveur que pour obliger
136 POUR LE PANEG. DE S. JEAN L'EVANGELISTE.
tout le monde , on ne peut fans injuſtice lui refuſer route forte d'honneur , &
de reſpećt.
Voilà donc trois choſes qui affûrent , & qui conſervent à ce grand Saint,
, le titre, & la qualité de digne favori de JEsus. 1°. Il est monté à la faveur
par mérite. 2°. Il n'en a ufé que pour faire regner plus glorieuſement fon
Maître. 3°. Bien loin de la vouloir poſſéder tout ſeul, il a tâché d'en faire
part à tous les hommes. Comme ces véritez font fans contredit, elles feront
auffi le fujet, & le partage de ſon éloge.
XVII. N e foyons pas en peine de chercher un deſfein pour faire le Panégyrique
de faint Jean , il nous le marque lui-même par ces paroles : Diſcipulus quem
diligebat J e su s ; & ce ne feroit pas le loüer comme il défire, que de pren
dre un autre ſujet de fes loüanges. En effet, être le favori de Jesus, c'eſt
âtre tout compoſé de graces, & de mérites ; dire que faint Jean a été le fa
vori de Jesus, c'eſt dire que jamais perſonne n'a été , ni mérité d'être fi
dignement en faveur que lui : Cette, qualité, que chacun défire pour foi dans
un Prince de la terre, & qu'on ne fçauroit ſouffrir dans un autre, est fans
doute la plus haute fortune où un particulier puiſſe monter. Il n'y a rien au
deſſus d'elle, que la couronne, encore voit-on fouvent que le favori en eſt plus
le maître, que celui à qui elle appartient par le droit de la naiſſance. Mais
auffi il n'eſt pas aifé d'arriver à cette haute fortune , & il est encore plus
difficile de s'y maintenir. Car ce n'eſt pas affez d'être regardé de bon oeil,
& de recevoir des graces de fon Souverain ; ce n'est pas aſſez d'être toûjours
auprès de lui, d'avoir ſon oreille , & de lui parler à toutes les heures. Ces
choſes-là font bien des marques de la faveur, mais elles n'en font pas l'eſ
fence. Pour faire donc un véritable favori , trois conditions font ne
ceffaires.
1°. Il doit être aſſûré de poſſeder le coeur de fon Prince , abſolument ,
& fans réſerve.
2°. Il faut être le confident, & le dépoſitaire de tous fes ſecrets.
3 º. Il faut être le maître de fes tréſors, & en diſpoſer à ſa volonté. Or,
fi jamais toutes ces conditions ont concouru enſemble pour rendre icy bas
un homme heureux, certes nous pouvons dire qu'elles ſe font rencontrées
en la perſonne de faint Jean, comme l'on peut faire voir dans les trois parties
de ce diſcours.
P A R A G R A P H E S E C O N D.
Les fources où l'on peut trouver dequoy remplir ces deffeins, & les
Auteurs qui en traitcnt.
Les faints S Augustin, fur faint Jean, où il dit que Jesus aimoit ce Diſciple,
& & qu'il lui a fait tous les avantages que l'on fçait, afin d'autoriſer les vé
hon- ritez qu'il, devoit annoncer.
Hit S. Le même, au même lieu, foûtient que ce Diſciple favori, a vécu dès fon
cnfance dans une parfaite pureté.
Lie:
PAR A GRA P H E S E C O N D. I 37
Le même, ſur le même Evangile, s'étend ſur la faveur accordée à ce graná
Saint de repoſer fur le fein de Jésus-Christ.
Le même » au même lieu, examine fi faint Jean prit la fuite avec les
autres Apôtres à la paſſion du Sauveur.
Le même, dans le même lieu, s'étend ſur les foins que faint Jean prît de la
fainte Vierge, après la mort du Fils de Dieu.
Le même , parle encore de ce Saint ſur le Pſeaume 144.
Saint Jérôme ſur faint Marc, ch. 9. expliquant les noms de Boanerges,
dit de belles choſes de faint Jean.
Le même » Epître Premiere, parlant de l'âge de faint Jean , lui donne de
grandes loüanges.
Le même » contre Jovinien, livre 2. ch. 14. l'égale en mérite à tous ceux
qui l'ont ſurpaſſé en âge.
Le même, ſur Ifaic , ch. 56. rapporte tous les avantages de faint Jean , à
fa pureté.
Le même, contre Jovinien, livre 1. fur ce que Jesus-CHRIsr recommanda
fa Mere Vierge à un Diſciple Vierge.
Le même, Epître 16. examine fi faint Jean a pris la fuite à la Paſſion du
Sauveur.
Le même, ſur ces paroles du Sauveur, répondant à faint Pierre, qui lui
avoit demandé ce que deviendroit faint Jean.
Le même, fur faint Matthieu, où il aſſûre que faint Jean a fondé toutes
les Egliſes de l'Aſie.
Le même, au même lieu , & forme la question fi faint Jean a bů le calice
que le Sauveur l'avoit aſſûré qu'il boiroit, c'est-à-dire , s'il ſouffriroit la
In Ort,
Euſebe liv. 3. cap. 11. parle des voyages de faint Jean en Aſie, même
dans fa plus grande vieilleſſe.
Le vénérabe Bede, dans une homelie ſur l'Evangile du jour, montre l'admi
Paneg, des Saints. Tome I.
138 POUR LE PANEG. DE S. JEAN L'EVANGELISTE.
rable privilege de faint Jean , d'avoir été plus honoré du Sauveur ; que les
autres Apôtres, & parle enſuite de ſes écrits , par leſquels on peut refuter tous
les hérétiques. - - -
Le même , a un fermon ſur ce grand Saint, où il étale fes aćtions, fes ver
tus, ſes miracles ; mais il dit bien des choſes qui font contre le commun fen
timent des autres Peres de l'Eglife.
Saint Chryſostome au tome 6. dans un fermon qu'il a fait ſur ce même Saint,
où il marque tous les titres d'honneur qui lui ſont dûs , parle de ſon exil, loüe,
& admire l'Evangile qu'il a compoſe , ſes vertus , ſes aćtions, &c.
Pierre Damien, a deux fermons íur faint Jean ; le prémier contient diffé
rens ſymboles, qui expriment les vertus, & les prérogatives du Saint ; dans le
fecond il parle de fes mérites , & croit qu'il eſt refuſcité , & enlevé en corps, &
en ame dans le Cicl.
Guillaume de Paris, premier Sermon ſur ce Saint, où il parle de l'amitié
dont le Fils de Dieu l'honoroit , & des qualitez d’un vérirable ami ; & dans le
fecond que toutes ces qualitez ſe font trouvées dans le Sauveur, & dans faint
Jean. *
Albert le Grand, fur ces paroles : Converſus Petrus vidit illum Diſcipulum
quem diligebat Jesus, où il montre que faint Jean a été un parfait Diſciple de
Jesus-CHRIST.
Saint Laurent Juſtinien , a un Sermon fur ce fujet.
Saint Thomas pareillement un, où ilinſiſte ſur la comparaiſon de l'Aigle, qui
est le ſymbole de faint Jean.
Saint Thomas de Villeneuve, fur ces paroles: Converſus Petrus , &c. où il
montre le bonheur d'être aimé de Jesus, & les avantages qui accompagnent
CC T ATT] Oll T.
S Le Pere Bourdaloüe, dans le prémier tome des Sermons pour les fêtes des
11ntS.
L'Auteur des Sermons ſur tous les ſujets de la Morale Chrêtienne, dans le
premier tome des Panegyriques.
Labatha, titul. Joannes Evangelista. Ceur ani
ont fait des
Spaner, titul. foannes , &c. recueils ſur
Matthias Faber, in Auftuar. :
ce ſujet.
Les Interpretes ſur l'Evangile de faint Jean.
Tolet, Salmeron, Silveira, &c.
PARAGRAPHE T R O I S I E’M E.
Annunciate que ventura ſunt , Cr di Prédiſez-nous les choſes futures, & nous di
cemus quia dii estis vos. 1. Iſaiæ. 4 I. rons que vous étes des D eux.
guid est homo quia magnificas eum ? Qu’est-ce que l'homme pour mériter que
aut quid apponis erga eum , cºr tuum. vous le regardiez comme quelque choſe de
Jobi. c. 7. grand, & comment daignez vous appliquer vº
tre coeur ſur lui ?
Sacramentum Regis abſcondere bonum est. Il est bon de tenir caché le ſecret du Roy.
Tobiæ 12. -
Nemo novit Patrem nist Filins , & cui Perſonne ne connoît le Pere que le Fils , &
- - - - 1
voluerit Filius revelare. Matth. 11. celui à qui le Fils l'a voulu révéler:
S ij
14o poUR LE PANEG. DEJeS.vousJEAN L'EVANGELISTE.
ai appellé mes amis , parce que je
Vos autem dixi amicos; quia quecumque
audivi à Patre meo nota feci vobis. vous ai fait fçavoir tout ce que j'ay appris de
mon Pere.
Joan. 1 f.
Ex abundantia cordis os loquitur. La bouche parle de l'abondance du coeur.
Matth. 11.
Quod vidimus, & audivimus hoc an Nous vous prêchons ce que nous avons vů,
nuntiamus vobis, ut vos focietatem habeatis & ce que nous avons oüi , afin que vous foyez
nobifcum. 1. Joan. 1. unis avec nous dans la même focieté ?
Hac est vita aterna ut cognoſcant te La vie éternelle conſiste à vous connoître ,
Deum verum , é quem miſisti feſum vous qui êtes le ſeul Dieu véritable , & Jesus
Christum. Joan. 17. CHR1sr que vous avez envoyé.
glucd fuit ab initio , quod audivimus Nous vous annonçons la parole de vie , qui
quod vidimus oculis nostris, quod perpexi étoit dès le commencement , que nous avons
mus, ér manus nostra contretta verunt de oüi, que nous avons vûë de nos yeux , & que
verbo vite annuntiamus vobis. 1. Joan. 1. nous avons touchée de nos mains.
Erat recumbens unus ex Diſcipulis ejus in Un des Diſciples que lesus aimoit, ſe re
finu jefu , quem diligebat feſus. Joan. 13. poſoit ſur le ſein de Jesus.
Cum recubuiſſet ille fupra pečius Fefu ; Ce Diſciple donc qui ſe repoſoit ſur le fein de
dicit ei : Domine qui: est ? Idem, ibidem. Jesus , lui dit , Seigneur, qui est ce ?
Converſus Petrus vidit illum Diſcipulum Pierre s'étant tourné, vit le Diſciple que Jesus
quem diligebat fefus : hunc cum vidiffet aimoit , & l'ayant apperçû dit à Jesus , Seigneur
Petrus, dixit feſu, Domine hic autem quid? que deviendra celui-cy ; Jesus lui dit : fi je
dicit ei fefus, fie eum volo manere donec veux qu'il demeure juſqu'à ce que je vienne ,
veniam, quid ad te ? Idem. c. 21. que vous importe ?
Exiit fermo iste inter fratres, quia Diſci Il courut un bruit parmi les freres, que ce
pulus ille non moritur , non dixit ei Diſciple ne mourroit point. Jesus néanmoins
feſus non moritur; fed , fc eum volo ma n'avoit pas dit , qu'il ne mourroit point ; mais
nere, donec veniam, quid ad te ? Ibidem. fi je veux qu'il demeure juſqu'à ce que je vienne,
que vous importe.
Hic est Diſcipulus ille , qui testimonium C'eſt ce Diſciple qui rend témoignage de ces
perhibet de his , & feripfir hac, & ſcimus choſes , & qui a écrit cecy , & nous fçavons que
quia verum est testimonium ejus. Ibidem. fon témoignage eſt véritable.
Mulier ecce Filius tuus ; Fili ecce Mater Femme, voilà vôtre Fils ; & au Diſciple,voilà
tua , & ex illá horá accepit eam Diſcipulus vôtre Mere : & depuis cette heure lå le Diſciple
in fua. Idem. c. 19. la prît chez ſoy , comme la part de ſon heri
tage.
Exiit ergo Petrus, će ille alius Diſci Pierre fortit, & cet autre Diſciple aufſi , & :
pulus quem amabat feſus, & venit primus ils vinrent au ſepulchre, & cet autrc Diſciple
ad monumentum. Idem. c. 2o. vint le prémier.
Tunc introivit, & ille Diſcipulus , qui Alors cet autre Diſciple qui étoit venu le
venerat primus ad monumentum, & vidit, prémier au ſepulchre, y entre austi, & il vit , .&
cr credidit. Idem , ibidem. il crut. -
Dixit Diſcipulus ille , quem diligebat Alors le Diſciple que Jesus aimoit dit à Pierre,
fefus , Petro. Dominus est. Idem. c. 21. c'eſt le Seigneur. -
Ego foannes , frater vester. Apocalip, 1. Moy Jean , qui fuis vôtre frere.
Potestis bibere calicem quem ego bibiturus Pouvez-vous boire le calice que je boirai, nous
fum , dicunt ei poſſumus, calicem quidem le pouvons , lui dirent-ils, & Jesus leur repar
meum bibetis ; federe autem ad dextram tit , vous boirez le calice que je boirai ; mais
meam vel finistram,non est meum dare vo pour ce qui eſt d'être affis à ma droite ou à ma
bis , fed quibus paratum est à Patre meo. gauche , ce n'eſt point à moy à vous le donner,
Matth. c. 2 o. mais cela est pour ceux à qui mon Pere l'a
préparé.
Ego foannes vidi fantiam civitatem f-- Moy Jean, je vis la ville fainte, laļnouvelle
ruſalem novam deſcendentem de cælo à Jéruſalem, qui venant de Dieu deſcendoit du
Deo. Apocal. 22. Ciel.
Si quis diligit me diligetur à Patre meo, Si quelqu'un m'aime, mon Pere & moy nous
ér ego diligam eum, & manifestabo ei me l'aimerons , & nous nous manifeſterons à lui.
ipſum. Joan. 14.
PAR A GRAPHE T RoIsIE ME. I4I
L'Ecriturelenous
Sanctuaire, apprend, &
Tabernacle quele Saint
dans des
le Temple
Saints. deLesSalomon
Prêtres ,entroient
il y avoitdans
le Saint lean
ſur
Saint Pierre Chryſologue, qui dit que faint Jean re: point obtenu le pri
| 11)
142 POUR LE PANEG. DE S. JEAN L'EVANGELISTE.
vilege de s'approcher fi près du Sauveur des hommes , fi ce n'eût été pour ſe
Il eſt tres
changer, & pour ſe transformer tout en Dieu.
robable que Il y a d'affez bonnes conjećtures pour croire que faint Jean l'Evangeliste
fût compagnon de faint André , lorſque faint Jean-Baptiſte ayant montré le
l'Evang liste Sauveur à deux de ſes Diſciples, en diſant, voila l'Agneau de Dieu, ils le
a été difci
fuivirent, & demeurerent tout le jour avec luy. Notre Saint qui raconte
ple de faint cette hiſtoire au premier chapitre de fon Evangile, ne nomme que faint An
Jean Baptif.
te avec faint dré, à qui il laiſſe tout l'honneur de cette viſite. Mais on croit qu'il a celé
André, avant fon nom par humilité , & qu'il étoir cet autre Diſciple , compagnon de
que d'être faint André, parce que ç'a été ſa coûtume de ne ſe nommer jamais, lors mê
appellé à
l'Apoſtolat , me qu’il raconte des choſes qui le touchoicnt. Que fi cette conjecture a lieu,
& les con on en peut tirer deux conſéquences à ſon avantage. L'une , qu'il étoit Diſci
fé quences ple de faint Jean-Baptiſte avant que d'être appellé à l'Apoſtolar. Tous deux
qu'on peut avoient le méme nom : & comme faint Jean-Baptiſte étoit un grand Maître,
tirer de là.
nous ne pouvons penſer autre choſe, finon qu'il donna deux grands Diſciples
au Sauveur, faint André , & faint Jean. L'autre conſéquence qu'on doit tirer
à ſon avantage, eſt qu'il a été appellé à l'Apoſtolat avec faint André, & que
ce font les deux prémiers de tous felon l'ordre de leur vocation. Toutefois
on appelle communément faint André le Doyen de tous les Apôtres, à cauſe
qu'il est ſeul nommé des deux Diſciples de faint Jean-Baptiſte , qui allerent
trouver nôtre Seigneur.
De l’union Quelle union plus fainte , que celle que nous voyons entre faint Pierre, &
qu'il y avoit faint Jean ? L'égalité, non de l'âge, mais de la vertu , forma entre eux cette
eutre faint
Pierre , & union, dit faint Chryſoſtome ſur les Aćtes : cette amitié ſincere avoit Dieu
faint Jean. pour principe ; ils s'uniſſoient dans toutes leurs aćtions , pour avoir Dieu au
milieu d'eux ; nous apprenant combien ceux qui font foibles doivent s'unir,
pour fe fortifier par une amitié fainte, Admirez l'humilité de faint Jean , qui
cede par tout à faint Pierre , le laiffe toûjours parler, agir, faire des mira
cles; bien différent de ce qu'il étoit avant la paſſion du Sauveur » lorſque
luy & fon frere demandoient à tenir le prémier rang entre les Apôtres. Il
n'eſt preſque jamais ſéparé des aćtions les plus éclatantes , des faveurs les
plus du Prince des Apôtres. Avec lũy il ſe trouve ſur la montagne de
Thabor , & y contemple Jesus CHR ist dans toute fa gloire ; il guérir avec
cet Apôtre, un homme qui avoit toûjours été perclus de fes membres ; il en
renvoye toute la gloire à Jesus-CHR ist ; il ſouffre avec faint Pierre , les pei
nes de la priſon, tous deux declarent qu'il vaut mieux obeïr à Dieu qu'aux
hommes; pour confondre les ménaces des Juifs, l'un & l'autre continuent de
précher Jesus. CHR 1st & ſouffrent de nouveau les priſons. S'ils font foüetez
pour avoir foûtenu la divinité de Jesus-CHR 1st , c'est le comble de leur gloire;
Aőt. f. Ibant gaudentes à conſpettu concilii , quoniam digni habiti funt pro nomine # E S U1
Saint Jean
contumeliam pati. Autheur moderne.
comparé
Saint Jean eſt comparé à l'Aigle , à cauſe qu’il a volé plus haut que les au
à l'Aigle. tres, juſques dans le fein du Pere Eternel, où il a vů ſon Fils unique ; Unige
foan. 1. nitus qui est in finu Patris , ipſe enarravit. Sa doctrine eſt la plus profonde, ſes
penſées les plus ſublimes , & fes connoiſſances les - plus étenduës ,
J e s u s-C H R 1 s T luy communiqua tous les ſecrets qui regardoient
fa divinité , fon humanité , & fon Egliſe. Les autres Apôtres n'avoient
V.
P AR A GRA PHE TR o ISIEME. , , 14;
reçủ que de foibles idées , que des connoiſſances bornées de la gran.
deur de Dieu. Mais faint Jean, comme un Aigle myſtique, s'éleve juſques
dans le fein de la Divinité même, perce les rayons éclatans qui l'environnent,
pénétre juſques dans les plus profonds ſecrets , & rapporte ſur la terre les
plus fublimes connoiſſances, pour nous inſtruire des plus hauts mystéres de la
Religion, tandis qu'il laiſſe les autres chercher Dieu parmi les figures, & les
énigmes, parmi l'obſcurité, & les nüages. Il entre dans les communications les
plus fecretes de l'effence divine : il paſſe à travers les ombres de la foy ; il
puiſe dans le fein de Dieu les plus pures lumicres , & nous découvre ces hauts
mystéres que l'oeil n'a jamais vů, & l'oreille n'a jamais compris, & qui fur
paſſent toute l'intelligence de l'eſprit humain. C'eſt faint Jean qui nous a en
feigné la fublime doćtrine de l'auguste Trinité, & qui a comme édifié la
foy de l'Egliſe par ces paroles: Tres funt qui testimonium dant in cælo : Ils
font trois dans le Ciel qui rendent inceſſamment un mutuel témoignage à l'éter
nité de leur être. Mais ce n’est pas affez pour faint Jean de pénétrer dans **
les ſecrets de l'éternité ; le Verbe lui a encore revelé tout ce qu'il y a de plus
myſtérieux dans fon Incarnation. C'eſt ce paradoxe ſurprenant qui a étonné
toute la nature , Dieu , & homme tout enſemble : In principio erat Verbum , foan. 1.
& Verbum erat apud Deum, & Verbum caro factum est. Voilà comme il éta
blit en peu de mots l'égalité du Fils avec ſon Pere, la vérité du corps de
J e su s - C H R 1 s T contre les hérétiques qui la devoient combatre ,
l'union de la nature divine avec la nature humaine dans une même
perſonne.
Les plus
d'avoüer quegrands
leur hommes qui trop
eſprit étoit ont parlé de ces
foible pourmystéres , ont laétéprofondeur.
en pénétrer contraints estSaint lean
Le Prophete Jérémie en a dit quelque choſe , mais il conclut auſſi-tôt par
le filence, & dit au Seigneur en begayant, qu'il n'eſt qu'un enfant , & qu'il cien Testa
ne fçait pas parler. Le Prophete Iſaye nous fait une aſſez vive peinture de fes m:nt.
douleurs ; mais quand il vient à fa génération, il avouë qu'elle eſt enveloppée
de lumieres qui l'ébloüistent, & finit en difant ; qui pourra raconter fa géné
ration ? Il ſembloit que faint Paul en devoit comprendre tout le ſecret
dans ſon raviſſement juſqu'au troifiéme Ciel ; cependant la grandeur de ſes
révélations n'a point été juſques-là : du moins, s'il en a connû quelque cho
fe, on ne lui a pas permis , après ſon retour, d'en faire part au reste des
hommes ; de forte qu'il ſe contente de dire, qu'il y a entendu des paroles
ineffables, qu'il n'est pas permis à un homme de rapporter ; qu'il y a des
choſes que l'oeil n’a point vůës, que l'oreille n'a point entenduës, & que le
coeur de l'homme n’a jamais conçủës.
uelle différence mettrez-vous entre le privilege de faint Jean repofant fur saint lean
N’est-ce pasdele Jesus-Christ
la poitrine , &- CHR1st
coeur de Jesus faint Paul élevéle juſqu'au
qui fait troifiéme
Ciel, la joye , & la Ciel
goire? compié
faint
des Bien-heureux ? C'est-là où faint Paul a appris des ſecrets qui font ineffa
bles: Arcana verba que non licet homini loqui. C'est-là où cet Apôtre a vů ce
que l'oeil de l'homme n'avoit jamais vů, ce que l'oreille n'avoit jamais en
tendu, & ce que le coeur de l’homme n'avoit jamais compris. C'est-là où
il a appris ces profondeurs qui le portent à s'écrier : O altitudo divitiarum Rºm. 2,
fapientia, & ſcientiæ Dei ! C'est austi dans le coeur de J E s u s-C H R i s r
144 POUR LE PANEG. DE S. JEAN L'EVANGELISTE.
où faint Jean a appris cette divine Théologie, qui renferme de fi profonds
fecrets, qu'un homme ne peut ny les comprendre , ny les expliquer. C'eſt
dans cet abîme de lumiere où faint Jean a vů ce que i'oeil de l'homme n'a
voit jamais vů, où il a entendu des ſecrets que nul n'avoit entendus avant
lui. Enfin, c'est dans le coeur de Jesus-CHRIsr que faint Jean a trouvé, com
me faint Paul , toutes les dimenſions de la charité, fa hauteur, fa largeur,
Saint fen“ profondeur, étenduë.
fon |- A A -A • " _ •
fit. je boiray , & être baptiſez du baptême dont je ſeray baptiſé ? Potestis
Matth. z.o. bibere calicem quem ego bibiturus fum. Ce calice plein d'amertume qui
m'est préparé, ce calice de ma paffion, pouvez-vous le partager avec moy ?
Car j'aime mes Eůs , mais d'un amour ſolide & fort ; & pour les aimer, je
- n’en
P A R A G R A P H E T R O IS I E’M E. I45
n'en fuis pas moins diſpoſé à les exercer. Mon calice donc, & mon baptême,c'est
à-dire, mes fouffrances, & ma croix, voilà d'où ma faveur dépend; voyez fi
vous pouvez accepter, & accomplir certe condition : Potesti ? Et comme ils
répondirent qu'ils le pouvoient : Poffumus ; quoique Jesus-Christ n'eût rien,
ce ſemble, à exiger de plus, & qu'en apparence il dût être content de leur
reſolution, il ne voulut pas néanmoins s'expliquer fur le point de leur de
mande , ny leur en aſſurer l'effet. Il leur dit ſeulement qu'ils auront part à
fon calice, & qu'ils le boiront; qu'ils feront perſecutez comme lui, ſacrifiez,
& livrez à la mort comme lui : Calicem quidem meum bibetis. Parole bien capa
ble de reprimer le murmure des uns, & la cupidité des autres.
Diſcipulus ille , quem diligebat Jesus. Joan. 2. 1. Après ces trois paro'es, Toute la
j’ay déja fait le Panegyrique de faint Jean , & comme dans la penſée de # de
faint Auguſtin , les paroles que Dieu prononça au commencement du mon
de , quand il dit à la terre de produire des herbes & des fleurs : Germinet c,
eerra , contenoient éminemment tout ce que la nature a produit depuis ; ſeul éloge
puiſque toutes ſes productions n'ont été que les explications de cette paro- : le ,
Îe. Ainſi le nom de Diſciple bien-aimé, que faint Jean prend aujourd’hui
contient excellemment toute la gloire de cet Apôtre. Tous les Panégyriques , c
qu'on pourroit faire à ſon honnenr , ne ſcroient que les explications de ce Genf. 1.
titre. Il ne prend lui-même que celui-là ſeulement.
Nomine eterno hereditabit illum Dominus Deus noster. Eccli. I 5. Prencz gar- ce nom
de s'il vous plaît , que l'Egliſe inſpirée par l’Eſprit de Dieu , a choifi de favori du
pour faint Jean ces paroles. Ce nom léternel est celui de favori , qui ſub
fiste non-ſeulement dans le titre, mais encore dans l'aimable fonćtion que
fignifie ce titre. Il n'est plus Théologien pour confondre les hérétiques, aste è -
parce qu'il n'y en a pas dans le Ciel ; il ne fait plus la fonćtion de Pon- nellement.
tife, parce qu'il n'y a point de ſacrifice à offrir ; il n'est plus Prophéte en
exercice, parce que dans le grand jour de la gloire , on voit clairement
tous les myſteres. Il n'eſt plus Martyr, parce qu'il n'y a point de tourmens
à ſouffrir ; il n'eſt plus Apôtre pour convertir les peuples par ſes prédica
tions laborieuſes, puiſque ſes travaux font finis. Mais il conſerve toûjours,
& le nom, & les fonctions de favori ; il aime, & il est aimé. Que dirons
nous maintenant pour nous-mêmes ? la faveur de faint Jean a été tendre,
fage, & généreuſe: ne pouvons-nous pas y participer? Tous les ſujets du
Sauveur font univerſellement les favoris d'un fi bon Prince : il est vigilant, &
appliqué à les rendre tous heureux. Il travaille pour l'agrandiſſement de la
fortune de tous. Il nous a tous aimez d'un amour tendre , puiſque c'eſt pour
nous tous qu'il s'eſt revêtu de nôtre chair. Il nous a tous aimez d’un amour
fage, puiſqu'il a revelé à tous les Chrêriens ſes véritez éternelles. Il nous a
tous aimez d'un amour généreux, puiſqu'il eſt mort pour tous.
Calicem quidem meum bibetis , &c. Joan. 2o. Le martyre du fang n'a pas Le mar
manqué à faint Jean , non celui du coeur. L'Egliſe autoriſée de la tyre effeaif
tradition nous l'apprend , lor qu'elle célébre le jour bienheureux, où ce je faint
zclé Diſciple combartant à Rome pour le nom de fon Dieu, ſouffrit devant :
la Porte Latine. Quel tourment , ſi nous, en croyons Tertullien, & le recit . quoy
qu'il nous en fait, un corps vivant eſt plongé peu à peu dans l'huile boüil- que par un
lante ! Cette ſeule idée ne vous ſaiſit-elle pas d'horreur ! J'avouë que faint Jean miracle ſur
Paneg, des Saints. Tome I.
146 POUR LE PANEG. DE S. JEAN L'EVANGÉLISTE.
prenant il fortifié d'une grace extraordinaire, cât la vertu de réfifter à ce ſupplice, & que º
n'y Perdi: Dieu par le miracle le plus autentique l'y conſerva; mais fuivant le Cardinal
ir Pierre Damien , ce miracle fût un miracle de rigueur, un miracle que Dieu
opera pour mettre faint Jean en état de ſouffrir ; & plus long-temps, &
martyre plus plus vivement: un miracle pour lui faire boire à plus longs traits le calice
$ilong. & Plus quile lui
la avoit été preſenté
car , ,voilà,
& qu'il avoit accepté ; unainſi
miracle plus affreux
mort même: Chrêtiens, fi je puis m'exprimer, les
miracles de la faveur de Jesus-CHR i sr. Miracles que faint Pierre ne com
prenoit pas, quand Jesus - Crir ist lui diſoit , parlant de faint Jean; que
vous importe ſi je veux que celui cy demeure juſqu'à ce que je vienne : Si
fuan. 21. eum volo manere donec veniam, quid ad te ? La conféquence qu'en tira faint
Pierre, fut que faint Jean, par un privilege particulier, ne mourroit point ;
mais ajoûte taint Jean lui-même, ce n'étoit pas ce qu'avoit dit le Sauveur.
Il avoit ſeulement marqué que Jean ne mourroit pas comme les autres, d'un
martyre court , & ſimple : mais qu'il leur devoit ſurvivre de beaucoup pour
éprouver, & ſouffrir une troifiéme forte de martyre, beaucoup plus long que les
autres Diſciples, auquel Dieu avoit reſolu de le réſerver. Quel est-il ce der
nier martyre? C'est , Chrêriens, ce fâcheux, & inſupportable exil où ſaint
Jean demeura une fi longue fuite d’années ; c'est ce long exil où il eût tant de
perſecutions à effuyer, tant de miſeres, & de calamirez à ſouffrir, tant de
croix, tant de peines , & de travaux de la part du temps , tant d'injures,
& de durerez de la part des ennemis de l'Egliſe ; ſe trouvant relegué dans
une iſle déſerte, ſeparé de fon Egliſe , éloigné de ſes enfans bien-aimez,
arraché d'entre les bras de fes Diſciples, fans aucune confolation de la part
des hommes, fans foûtien, fans apuy, destitué enfin de tout ſecours dans une
extrême vieilletle , & juſqu'au moment de fa mort.
comme Memoriam fecit mirabilium fuorum, mifericors,Ở miferator Dominus. Pſalm. I 1o.
Dieu a réüni Dieu a fait dans faint Jean un abregé de ſes merveilles. C'est l'ordre de la
* utes
"*"f;"é
les
conduite de Dieu , après avoir créé quantité d'êtres dans le Ciel, de leur
* - • 1»
Vierges n'a-t'elle pas auſſi été ſon partage , & eût-il été digne d'être nommé
Fils de la Vierge, de la bouche de ſon Maître même , s'il n'eût été Vierge.
Ce Diſciple bien-aimé de Jesus-Christ est donc l'auguſte abregé des merveil
les de toute la fainteté.
Hie est Diſcipulus qui recubuit fupra petius Jesus. Joan. i 1. Heureux Diſci- ce Diſci
Ple , vous rellouvenez-vous du temps auquel vous demandiez à Jesus-CHR isr P's a été
par les ſollicitations de vôtre mere, qu'il vous fit aſſeoir dans ſon Royaume,
ou à ſa droite, ou à ſa gauche ? Permettez que je vous dife maintenant, que ci.
vous ne ſçavicz pas en effet ce que vous demandiez alors, puiſque l'on vous cæur du
refervoir
ment affisque
à laque chofede de
droite bien plus confidérable.
Jesus-Chaisr , mais vousAh! vousfurn'êtes
repoſez pas ſeule-
ſon ſein. Vous fi$auveur,que
on | eût
n'occupez pas ſeulement la prémiere place de ſon Royaume, mais vous poſſe- " -
dez, pour ainſi dire, fa tres-Sainte Mere, qu'il estime plus que ſon Royaume; place qu'il
vous comme le Maître & le poſſeſſeur, fi je l'ofe dire, du cæur de Jesus, demandoit
vaut infiniment plus qu'une infinité de Royaumes, que pouvez-vous de- (en
Cr d'avàntage ? vos deſirs ne font-ils pas remplis , la conſommation de *º)*""·
l'infini amour est vôtre partage, & vous pouvez dire que tous vos ſouhaits
font remplis juſqu'à la ſatieté. Eustiez-vous pû jamais eſperer une fortune plus
avantageuſe, en fouhaitant la gauche ou la droite du Royaume du Sauveur ?
vos deſirs, permetrez.moy de le dire, étoient alors bien bornez.
Do tibi unan partem extra fratres tuas. Gen. 1 o. N'est-il pas ſenſible que d qualité
Jesus-CHR ist a distingué faint Jean entre ſes Diſciples, comme Jacob dittin- é
gua Joſeph entre ſes freres. L’un & l'autre ont eû une portion dans l'héritage luy
de leurs peres, qui n'a pas été commune aux autres. En effet, faint Jean Par- a donnée
tage avec les autres Apôtres, le zele dans le ministére apostolique, la pure- comme par
të avec les Vierges, le don de pénétrer l'avenir avec les Prophetes , les fonc- » &
tions de Pogrife avec les autres Prêtres: mais il ne partage avec perſonne le " -
titre de Diſciple bien-aimé. C'est une portion d’héritage que Dicu luy donne ge au-deſſus
par deſfus ſes freres : Do tibi unam partem extra fratres tuos. Cet héritage par- des autres ,
ticulierd'Apôtre
nistére est mêmen'aéternel; toutes les
pas toûjours lieuautres
: les qualitez
Prophetespaſſent , puiſque
voyant toutes le mi-'
chofes G a
dans la ſource qui est Dien, ceffent de prophétifer; faint Jean ceste donc tous
les exercices qui conviennent à ces éminentes qualitez : mais il ne ceſſe ja
mais d'être le Diſciple bien-aimé, puiſqu'il eſt dans l'exercice continüel de
l'amour: Diſcipulus ille quem diligebat Jesus. C’est l'héritage que Jesus luy a
donné par préférence à tous fes freres. Sermon manustrit. -
n les douceurs & dans la gloire , il le ſuivit dans les fouffrances & les douleurs.
au fouffan. Non content de l'avoir accompagué aux nôces de Cana , pour participer
ces qu'à la au plaifir & à la joye du feſtin , il fût fidéle à le ſuivre ſur le Calvaire ; &
gloire. jamais il ne le quitta au milieu de ſes plus vives douleurs. N'eſt-ce pas là aflez,
Chrétiens, pour vous confondre , lorſque ſenſuels & voluptueux, vous courez
aux faux plaiſirs que le monde vous offre , & jamais ne voulez endurer la
moindre douleur pour Jesus-CHRIST ? S'agit-il de loüanges , de jeux & de
fpećtacles, de feſtins, & de plaiſirs : Ah! nous ſommes toűjours prêt de ſuivre
ceux qui nous appellent, & qui nous diſent ce que Jesus-CHR ist dit à faint
Jean: Sequere me , fuivez-moy ; mais quand il s'agit de ſouffrir la moindre
choſe : Ah ! nous nous revoltons, nous murmurons, nous nous ennuyons : &
s’il nous arrive le moindre accident facheux, ce n'eſt que par force que nous
nous y ſoumettons ; il n'y a pas même juſqu'aux perſonnes qui ſe piquent
d'être les plus dévotes,qui fi-tót qu'elles ſentent la moindre peine arrivée à l'im
prévú, interrompent tout d'un coup le cours ordinaire de leur dévotions
Šont-elles à couvert de toutes miſeres, goûtant les douceurs d'une vie com
mode & aiſée : Ah ! pour lors elles ne perdent point courage : elles entretien
nent leur dévotion : mais dès qu'elles lentent l'aridité, la moindre fechereile,
ou traverſe: ah ! tout eſt perdu. De là naît auſſi-tôt le degoût de la vertu, & la
dévotion fe trouve infenſiblement évanouie. Autheur moderne.
Nemo, audeo dicere, tanta fubſistitur fa J'ofe dire que perſonne n'a approché de la Ma
pientia, majestatem dividit, c nobis pro jeſté divine par une intelligence plus ſubtile &
prio fermone refervavit. Idem, in Prooem. Plus pénétrante, ni ne nous en a découvert les
in Evang. Luc. fccrets en des termes plus propres & plus ex
prestifs. *
Diligebat eum JEsus quoniam fpeciali J E su s l'aimoir, paree que par une ſpéciale
prarogativa castitatis , ampliori dılectione Prérogative de fa pureté, il l'avoit rendu plus
fecerat dignum. Gregorius Nyffenus. Idem dignc de fon affection.
Homil. i.,
velut fpongiam appoſuit in fonte vita. En repoſant ſur la poitrine du Sauveur, il a été
Rdem. comme une éponge toute imbuë & appliquée à
la fource méme de la vie.
Paulus audivit arcana verba qua non Saint Paul ravi juſqu'au troifiéme ciel, y a ap
licet homini loqui : foannes vero audivit pris des ſecrets qu'il ne luy a pas été permis de
quod licuit loqui , Ó potest hominibus pra réveler ; mais faint Jean repoſant ſur le fein du
A dicari. Origenus. Fils de Dieu, y a appris,ce qu'il a pû découvrir &
précher aux honomes. .
Multoties maryr est foannes. Sanctus Ce Saint Apôtre a ſouffert pluſieurs fois le
Chryſost. Homil. 33: ad Popul. martyre.
In pettore Christi talem feientiam hausti , Il a puiſé ſur le cæur de Jesus Chrisr une .n.
qualem nullus unquam mortalium fortitus fcience fi haute & fi profonde, que nul autre n'a
est. Idem. pû y atteindre.
Haufit foannes de finu unigeniti, quod Saint Jean a puiſé dans le fein du Verbe, les
de paterno hauferat ille. Bernard. ferm. 8. lumieres que le Verbe avoit trouvées, dans le
1Il C1Ill 1C. fein du Pere celeſte. . . . ..
:
In foanne intelligimus omnes animas Dans la perſonne de faint Jean, tous les Elús , ,
eleitorum. Idem ferm. 55. y étoient compris ; c'est ainſi que nous devons -. , , )
- entendre les paroles que le Sauveur luy dit ſur ri - .
la croix. * *
Nemo videtur jare major meritis & qui Perfonne n'est ſuperieur en merites à celuy qui
fpeciali quadam gloria frater est Salvatoris. par & une prérogative ſpéciale
Petrus Damiani. venu le frere du Sauveur. -- - . .. . . . » =
*
- Sicut inter natos mulierum non furrexit Comme entre tous ceux qui font nez d'une - *
-
major joanne Baptista ; fie inter choros An femme,Perſonne n'est plus grand que faint Jean
gelorum non furrexit major joanne Evan Baptifte , de même entre les chceurs des A ges.
gelista. Idem. il n'y en a point de plus grand que
l'Evangeliſte.
Petrus diligebat ferventius, & ideò dilige Saint Pierre aimoit Jesus CHR ist d'une plus
batur fortius ; joannes amabat dulcius, ér fervente affećtion ; c'eſt pourquoy, l'amour que . .
ideò diligebatur familiarius. S. Bernardus Jesus avoit pour luy étoit fort ; ſaint Jean
Epiſt. 2 5. avoit un amour plus tendre, c'eſt pourquy le
Sauveur l'aimoit d'un amour plus familier it
Amat ardenter qui ita proprio inebriatur Celuy là aime ardemment , qui est teilement,
amore, ut majestatem non cogitet , o quan enyvré de fon amour, que fans confiderer la ma
ta smoris vis ! quanta in fpiritu libertatis , jeſté de Dieu, il oſe repoſer fur ſon fein ? qu'elle,
fiducia! Idem, Serm. 7. in Cantic. hardieffe & quelle confiance l'amour infpire en
l'eſprit d'une fainte liberté. , , *
Melior est qui plus diligit Christum , feli Celuy que Jesus-CHRısraime davantage , eft
eius quem plus diligit Christus. S. Auguſtin lus heureux, celuy qui aime plus JEsus. CHRIsr,
eſt meilleur.
traćt. ultimo in Joannem. -
Ipſe est foannes fublimium Pradicator, & C'eſt faint Jean qui eſt le Prédicateur des plus
lasis interna atque aterne fixis oculis con fublimes mystéres, & celui qui a contemplé la
T iij
15o POUR LE PANEGYR. DE S. JEAN L'EVANGELISTE.
templator. Idem. - lumiere intérieure & éternelle avec des yeux fixes,
Testabatur Jesus de cruce, cr testamen- . Jesus du haut de la croix faiſoit fon iestament,
tum ejus ſignabat foannes , dignut tante & faint Jean , comme le plus digne témoin d'un
testatore istis S. Ambroſius in c, 1; Lucr. tel testajeur , le fignoir,
foanni defuit martyrium , ſed feannes . Le martyre a manqué à ſaint Jean ; mais ſaint
non defuit martyrio. ideoque nec foanni Jean n'a pas manqué au martyre ; c'est pour
defuit pramium martyrii. Sanctus Hierony- quay manque.
le prix qui est dû au martyre ne luy a pas
IIAU15.
T-T -
----
Il y a deux J. La plus honorable qualité qu'on puiſſe donner à un homme, c'est d'être
fo da bien-aimé de J E s u s-C H R 1 s r. Son amour est la meſure de nôtre mérite,
mour en & nous ſommes tels en nous-mêmes, que nous fommes dans fon coeur. Il y a
Dieu deux fortes d'amours en Dieu : un amour antecédent, agiſſant, & efficace ,
qui ne pas le mérite des objets , mais qui le fait , & qui en les ai
mant, les rend aimables. Il y a une ſeconde eſpece d'amour , que nous pou
merite , & vons appeller un amour cenſéquent, amour d'apptobation , & de com
qui, plaifance, par lequel Dieu aime les objets, après qu'il les a rendus aimables.
Il aime en nous, dit ſaint Augustin, les bienfairs qu'il nous a conférez, & les
graces qu'il y a miſes. Si nous diſons qu'un homme est aimé de cette pré
Jean de l'un miere façon, ne pouvons-nous pas tirer de là toutes les conſéquences avan
& de l'autre tageuſes à fa þiens
am OllT,
gloire? ; Et
& fidire puiſquequ'il
nousqueajoủrons Dieuestl'aime
aimé beaucoup, il lui fera
de cette ſeconde ré
exion d'amour, ne pouvons-nous pas tirer de la grandeur de fa complaifance,
la granderir du mérite de l'objet , & dire qu’il faut qu'il ſoit bien-aimé , puiſ
qu'il est ainfi aimé. C'eſt de cette maniere que faint Jean prend aujourd'hui le
titre de Diſciple bien-aimé, qui contient excellemment toute la gloire de ce
faint Apôtre; & tous les Panégyriques qu’on pourroit faire à fon honneur ne
froient aſſurément que de fimples explications de ce titre.
1 : s u s- . C'est une belle & curieuſe question , ſçavoir, fi J E s us - C H R 1 s r a câ
fit; ist º des paſſions. Il est fans doute, qu'ayant pris la nature des hommes, il a auſſi
““?“ épouſé les mouvemens naturels de l'appetit ſenſitif que nous expérimentons
- #
*
- Þ A R A GR A P H E Ć IN QUÍ É ME. " 15 ti
en nous-mêmes ; qu'il a été capable de trîsteffe, & d'apprehenfrón, d’amour, ble des mê
& de colere ; mais avec cette différence , que ces mơưvernens qui préviennent paſions
en nous la raiſon, & qui la troublent, qui farprennent la libertể, & qui la -
débauchent, ont toûjours été ſubordonnez à la raifon, & à la liberté dans le ,
Sauveur. Ils ne ſe font jamais ſoûlevez que par ſes ordres, & ont été employez avec cette
pour le grand deſfein de la gloire de ſon Pere. Mais s'il a témoigné en di- ence
verſes occaſions les mouvemens fenſibles de ſon coeur, comme fa colere dans le
Temple, fa tristeſſe dans le jardin ; il a choifi faint Jean pour être robjet de
fon amour, même d'un amour ſenſible, & naturel. Mais fans nous arrêter aux fon ii a
cauſes de cet amour, diſons qu'il lui a donné de fi grandes marques de la tem- donc pû
dreffe
encoredefon coeur,conçurent
parfaits,en que les Apôtres, témoins de certe familiarité,
de la jaloufie. n'étant pas
- slv .
- Ç'a toújours été le fenriment des Sages de l'antiquité, qu'il ne pouvoit y turel.
avoir une véritable amitié entre les Souverains, & les fajers, & encore moins c'est une
entre Dieu, & les hommes: parce, difoient-ils, que la distance de leur condi- de
tion, ou de leur nature est trop grande, pour y trouver cette égalité qui est le # il
lien des parfaires amitez. On est revenu de cette erreur, depuis qu'on a vű d'un ne
côté, des favoris des Princes, & de l'autre des Princes, & des Monarques qui veritable
élevent des ſujets de la pouffiere juſqu'à leur trône ; pour patrager leur puiſſance entre ,
avec eux ; de forte que quelque jaloux qu'on les falſe de leur rang , nous
voyons tous les jours qu'ils ſe dépouillent de ce faste, & de cette Majesté, qui i i ts,
est incompatible avec l'amitié, pour fe familiarifer avec ceux que la naiſ- ni entre
fance a abbaiſſez foss leurs pieds; ſoit que le poids de leur propre grandeur :&
leur faste chercher du foulagement à s'en décharger d'une partie für u autre;""""""
foit que laſſez de tenir leur rang, qui les rient en même temps dans une gêne, º
& dans une contrainte continuelle, ils trouvent quelque forte de plaiſir à s'ab
baiſſer; foit enfin que la vie leur ſemble fâcheuſe fans avoir quelqu'un à qui
ouvrir leur cæur, & à qui communiquer leurs plus ſecrettes penſées. Quoy
qu'il en foit, il est constant qne l'amitié fait une des plus grandes douceurs de
la vie , & qu'en vouloir priver les Sơuverains comme prétendoient ces Phi
lofophes, c’est leur défendre le plus doux uſage de h volonté, & les dépoüil
ler du plus doux ufage de la volonté. '' ' , ·
Il est étonnant que Dieu même dans cette puiſſance fouveraine qui le Disu dans
rend indépendant de fes créatures, & dans cette Majesté infinie qui l'éleve tous les fié
fi haut au-deſſus de nous; que Dieu, dis-je, ne fe contente pas d'avoir roús e º fit
les hommes pour amis , par le moyen de la grace qui
participation de fa narure, afin d'y mettre quelque eſpece d'égalité, fans la
qnelle l'amitié ne peut ſubfilter i mais encore qu'il ait des regards bienfaiſans, ,
& des inclinations favorables plûtôt pour les uns, que pour les autres , juf- ?9 en fai
qu'à à avoirfait choix de quelques-uns dans rous les fiecles, pour être ſes con- :
fidens, & ſes favoris. Qui trouvera donc étrange que le Sauveur du monde di
air été fuſceptible de cette inclination ſecrette , qui nous fait fentir pour faint
une perſonne certe rendreſſe que nous ne fenrons point pour une autre ; & que lean pour .
le Verbe Divin qui reſpire fans ceffe l'amour dans le fein du Pere Erernel , favori .
forte de cette fournaife de flåmes inacceſſibles, pour le répandre fur faint
Jean, avec des affections inexplicables ? Confidérons donc, s'il vous plaît, quel- ples,
- -
-
- '
--
152. POUR LE PANEGYR, DE S. JEAN L'EVANGELISTE.
, le fource de grandeur, & de bonheur ç'a été pour cet heureux Diſciple, d'a- , .
voir été aime de la forte du Fils de Dieu. . ' - - - . * '.
puiſque le Puiſque le Fils de Dieu, qui eſt la ſagelſe incarnée, a jetté les yeux ſur cet
Fils de Dieu heureux Diſciple, pour lui donner un rang fi conſidérable dans fon amitié,
il faut croire qu'il n'en jugeoit point de plus digne d'occuper cette place , &
é que quand même il ne l'auroit point mérité, comme en effet cette faveur étoit
finguliere, il au-deſſus du mérite d'une pure créature : l'amour d'un Dieu qui fait la digni- :
fant croire té de fon objet, au lieu que les autres la préſuppoſent, l'auroit rendu tel, en
qu'il ne ju- faiſant la fource, & le principe de ſa grandeur. Hélas ! il n'en va pas de même :
du reſte des hommes, puiſqu'il n'y a rien de plus ordinaire, ni de plus dange-,
digne de cet- reux, que le mauvais choix que l'on fait d'un ami à qui l'on donne fa confi
te faveur dence , & j'oſe dire qu'il n'y a rien en quoy la prudence ſoit d'un plus grand
uſage , que dans cette occaſion ; parce qu'aurant qu'il est facile d'y être
> , trompé , autant les malheurs qui fuivent d'une mauvaiſe amitié, font fu-,
neſtes, & inévitables. Il faut donc employer la prudence, & les lumieres les
plus pures de l'eſprit pour faire ce choix, & c'est ce qui a rendu ſainte, & heu
reuſe l'amitié dont le Sauveur a bien voulu favorifer fon bien-aimé Diſciple
faint Jean. -* -
Quand Dieu
* Il n'y a que Dieu qui puiſſe choifir , & fe faire des favoris, fans être obli
* gé à diſcerner leur mérite ; & ce qui eſt encore bien plus remarquable, il n'y a
em. que Dieu qui ſe faiſant ainfi des favoris fans nul diſcernement de leurs mérites,
ploy , ou ſoit néanmoins incapable de ſe tromper dans le choix qu'il en fait. Pourquoy ?
? Les Théologiens en apportent une excellente raiſon, parce qu'il n'y a que
ti Dieu; diſent-ils , dont le choix ſoit efficace, pour opérer tout ce qu'il lui
e plaît de vouloir ; c'est-à-dire, parcequ'il n'y a que Dieu, qui choiſiſſant un fa-,
le merite vori, lui donne une vertu de ce choix, le mérite qu'il faut pour l'être. Il
Par ſon, n'en est pas de même des Rois de la terre. Qu'un Souverain honore de ſa faveur
"* un Courtiſan,il ne lui donne pas pour cela ce qui feroit néceſſaire pour en être di
* gne.Il peut bien le faire plus riche, plus grand , plus puiſſant ; il peut le combler
de plus d'honneurs: mais il ne peut le rendre plus parfait ; & quoy qu'il faſſe
pour l'élever, par cet accroiſſement d'élevation , & de fortune, il ne lui ôte pas
un ſcul défaut, ni ne lui communique pas un ſeul degré de vertu. Il n'y a
donc encore une fois que la faveur de Dieu qui porte avec foy le mérite.
Comme Dieu, il a ſeul le pouvoir de perfećtionner les hommes par ſon amour; .
& quand il les adınet au nombre de fes favoris , ( c'eſt la belle réfléxion de
: • faint Jérôme, ) il ne les y appelle pas parce qu'ils en ſont dignes : mais il
** : fait en les y appellant, qu’ils en ſoient dignes : Non idoneos vocat , fed vo-,
cando facit idoneos. Cette raiſon ſeule devroit ſuffire pour justifier le choix
,
que le Sauveur du monde fit de faint Jean. Ce Dieu homme le voulut ainſi :
· i : pour
c'est devenir
affez , puiſqu'en le voulant,
le favori d'un Dieu.
il rendit fon Diſciple tel qu'il devoit être ,
Ceut qui Il y a bien de la différence entre l'amour de Dieu, & l'amour des hommes.
" Les hommes aiment ſouvent par caprice, leur amour est preſque to jours
i re aveugle, injuste, déréglé, & les choſes qui devroient être l'objet de leur haine.
toujours les font ordinairement celui de leur affection. Il n'en eſt pas ainfi de l'amour de .
|us aina; Dieu ; comme il est toûjours tres-éclairé, il ne s'attache jamais qu'à des
objets dignes de ſes complaiſances, & de ſes tendreſſes. Ceux que les hommes
all'Incnt
p AR A G R A P H E C IN QUIEME. I 53
aiment le plus, ne font pas toûjours les plus aimables ; mais les plus aimez
de Dieu ſont toûjours les plus parfaits. Les hommes n'ont pas affez de lumie
res pour pénétrer l'eſprit, & pour ſonder le coeur de ceux qu’ils ainent :
ainfi ils prennent fouvent le faux pour le véritable ani. Mais Dieu voit juſ.
qu'au fond des ames, & quand il n'y découvre pas les vertus, & les perfec
tiens qui peuvent lui plaire , il les y forme. O qu'il eſt avantageux à ces con
ditions, d'être l'ami de J E s us - C H R 1 s T ! Ainſi , dire que faint Jean
étoit le Diſciple que J E s us aimoit , c'eſt faire fon Panegyrique en un
mot ; car on ne fçauroit rien ajoűter à cet auguste privilege.
Quoyque l'amitié, & la charité ayent leurs devoirs différens, & leurs droits „a Quelque
à part , elles doivent pourtant fe réunir , pour faire d’une amitié morale, une -
amitié fainre, & chrêtienne, qui doit fe ſervir de la confidence que ſe font #
les amis, pour ſe porter mutuellement à la vertu , & à toutes fortes de bien ; tiế, s. la
parce qu'elle a pour fin , non-feulement le bonheur de cette vie, comme les charité, el
amitiez mutuelles des infideles: mais encore le bonheur de l'autre, en ſe fer- les doiveat
vant mutuellement d'aide , & de ſecours pour acquerir ces biens qui ne doi- pour
| et allts aut -
de même , elle eſt ſujette à trois défauts ellentiels : Car prémierement , il
quels l'ami- n'arrive que trop qu'elle ſoit aveugle , & qu'au lieu d'être la recompenſe du
i mérire & de la vertu, elle s'attache fans diſcernement & fans choix ; ou plû
veur des tôt par un choix bizarre , à d'indignes fujets. Secondement , elle devient fou
Erands est vent orgüeilleuſe & fiere, & par l'abus qu'en fait le favori , elle l'enfle en
fujettc. l’élevant, & elle le corrompt. D'où il s'enfuit en troifiéme lieu, qu'à l'égard
de ceux qui en font exclus, & qui auroient droit d'y prétendre , la faveur eft
Freſque tcủjours odieufe ; & qu'en faiſant le bonheur d'un ſeul, elle est pour
tous les autres un objet d'envie.
P A R A G R A P H E C I N Q U I E'ME. 155
Les amitiez du monde ont trois imperfećtions. 1°. Elles font difficiles à Is imper
acquerir ; après mille empreſſemens que vous avez témoignez, mille dépenſes
que vous avez faites le coeur de cette créature , elle ſe moquera
de vous. 1°. Elles font difficiles à conſerver ; que d'inconstances, que d'infi- fe trouvent
délitez; il ne faut qu'une mauvaiſe humeur, un caprice, une jaloufie, pour Point dans
rompre les plus fortes amitiez. 3°. Elles font peu profitables & peu ſinceres,
parce qu'on ne voit que fourberies & que diſſimulations, & qu'après quel- ,
que profit & quelque plaifir, que vous retirerez peut-être dans le temps, en
fin ces amitiez vous quittent , & ne fçauroient vous ſecourir dans vôtre gran
de néceſſité, ni paſſer au delà de la vie. 1 º. Mais l'amitié de Jesus-CHR i s'r
eſt tres-facile à acquerir. Il ne faut qu'une bonne réſolution pour entrer dans
fa grace. 2°. Cette amitié eſt facile à conſerver; Jesus-Chr. 1 sr eſt un ami
fidele , qui ne nous quitte jamais le prémier ; il faut que nous luy fastions
mille injures , pour l'obliger à rompre avec nous. Je défie tous les hommes du
monde de ſe plaindre de fon infidélité,ou de fon inconstance.3°.Enfin,c'est le ſeul
ami fidéle & véritable,le feul dont l'amitié nous eſt utile & dans le temps & dans
l'éternité, qui nous ſecoure lorſque nous ſommes abandonnez de tout le monde.
Il y a trois fortes d'amitiez ; il y en a de faintes, il y en a d'indifférentes, Les differen
àil celle
y en de
a deJesus-CHR
coupables1st.
ou dangereuſes. Les amitiez
Il faut en conſerver faintes
l'ardeur. Si nous peuvent
elles font fervir dont
indifféren- tes amitiez
les
tes , on peut les garder fans crime : mais il faut qu'elles changent de motif , il .
faut les élever dans un ordre furnaturel. Vous aimez par inclination vos amis , bles, & l'u
par devoir vos parens, joignez à cette inclination & à ce devoir l'uſage de la fage qu'on
charité, aimez les pour l'amour de Jesus CHR 1st dont ils font les images. s.
Mais ſi les coupables , Ou dangereuſes , & que d'elles-mêmes elles
portent auamitiez
mal, il ne faut pas déliberer un moment ; pour conſerver l'amitié E
a été verita- On demande fi faint Jean a été Martyr. Il eſt aifé de voir qu'au lieu d’un mar
bleinent tyre que les autres ont ſouffert, il en a enduré trois ; le prémier, au Calvaire,
que j’appelle le martyre de fon cæur ; le fecond, dans Romez, que nous pou
fois. vons regarder comme ſon martyre véritable & réel ; & le troifiéme , dans l’exil
qui en eſt une eſpece, qui eſt la plus longue,& qui n’eſt pas la moins douloureu
fe. Que ne ſouffrit-il pas lorſqu’étant au pied de la croix, il vit expirer fon cher
Maître, couvert de malédićtions & d'oổprobres, luy qui brûloit de zéle pour
cet homme Dieu , luy qui en connoiſſoit tout le mérite & toute la fainteté ?
Ah ! dit excellemment Origene, il n'étoit pas néceſſaire après cela qu'il y eût
pour faint Jean, une autre eſpece de martyre. Il ne falloit plus pour éprouver
fa foy, ny épées , ny rouës, ny feux ; cela étoit bon pour les autres Apôtres,
qui n'avoient pas été preſens au cruel du crucifiement de J s s u s
C H R 1 s T. N'ayant pas fenti comme faint Jean , ce martyre intérieur, il leur
en falloit un extérieur ; parce que d'une ou d'autre maniére, ils devoient être,
felon l'expreſſion de l’Ecriture, les témoins de J E s u s. C H R 1 s T mourant.
Mais ſaint Jean qui l'avoit été au Calvaire , étoit degagé de cette obligation ; il
y avoit fatisfait par avance ; & bien loin qu'il eût été diſpenſé du martyré, il
étoit devenu par là, le prémier Martyr de l'Eglife. Oüy, Chrêtiens, il étoit
Martyr de zele & de charité, de cette charité qui eſt l'eſprit du martyre même,
& qui en fair tout le mérite. Car, comme raiſonne faint Cypricn , ce que nôtre
Dicu veut de nous, ce qu'il cherche en nous » ce n’eſt pas nôtre fang, mais nôtre
PAR A G R A PHE CIN QUI E ME. , 157
foy : Non querit in nobis fanguinem , ſed fidem. Saint Jean , par l'excès de ſa dou
leur en voyant J E s u s-C H R 1 s T crucifié , luy avoit déja rendu le témoigna
ge de ſa foy; c'étoit aflez , J E s u s-C H R 1 s T ne demandoit Plus le témoigna
ge de ſon fang.
Lorſque le Fils de Dieu étant en croix,dit à ſa Mere,parlant de faint Jean,Voilà en quel (ens
vôtre fils,& à S.Jean, voilà vôtre mere:il ne faut pas croire que ces paroles du Sau- & de quelle
veur eurent la force de faire que ſaint Jean devint fils de la très-ſainte Vierge
d'une maniére plus parfaite même que n'eſt celle de l'adoption Le doćte Salme
ron a très-ſçavamment réfuté cette opinion , & l'Ecriture ne nous permet point fis e Ma
de porter nos penſées plus loin que ces exprestions; mais on peut dire du moins, rie, qui lui
ce ſemble,
de fa que JMere
très ſainte E s u, s-C H R 1 splus
un amour T par
fortces paroles,
& plus tendreimprima dansJean,
pour faint le coeur
que fut
"°"dºnnée
Mcrc.
ne peut être celuy que la nature donne ordinairement aux meres pour leurs
enfans; & reciproquement qu'il mît dans le coeur de cet Apôtre, des fentimens
d'amour & de reſpećł bien plus grands pour la très-ſainte Vierge, que ne font
ceux que la nature & la raiſon oblige les enfans d'avoir pour leurs meres. -
Pour mériter la couronne du Martyre , il n'eſt pas néceſſaire de mourir par reur érre
la violence des tourmens. C'eſt affez de ſouffrir ce qui de foy est capable de Ma
cauſer la mort, quoiqu’elle ſoit empêchée par un miracle. L'Egliſe célébre la n'est pas né
fête de faint Thecle comme de Vierge & Martyre, parce qu'elle paſſa par le cefaire de
feu , & ſouffît divers autres tourmens. Dieu ne prive donc pas de la couronne
du martyre, les perſonnes à qui de leur part, il ne manque rien pour la mériter. ”
Et ce feroit en quelque façon leur faire tort , que de leur ôter ce qu’ils auroient mens de
eû felon le cours ordinaire des cauſes naturelles.Nous pouvons donc tenir com- ſouffit ce
me une vérité que faint Jean a été Martyr , puiſqu'il a bû le calice du
Seigneur. la mort.
Suppoſé
qu'elle que, l'ame
anime & quefouffre plus dans
l'invention le corps
la plus cruellequ'elle aime, que
pour éprouver dans celuy
la patience d’un Sai
a
homme, c'est de le faire ſouffrir en la perſonne de ſon ami ; il endure fes pro- ni,
pres douleurs avec une constance qui en adoucit la cruauté, & s'il peut en les ne de Jesus
touffrant fecourir, ou délivrer ſon ami, on peut dire qu'elles fe changent en Christ » .
délices ; mais s'il est contraint de voir ſouffrir ce qu'il aime , & d'être ſpecta- inºit
teur de ſes tourmens, il faut confeſſer que c'est la derniere épreuve de fa patien
ce & de fon amour. Auffi ne vois-je perſonne qui n'avouë qu'Abraham ſouffrit dans
plus qu'Iſaac dans ce ſacrifice où il fût obligé de l'immoler, & que Dieu ne la fienne
luy fit ce rigoureux commandement, qu'afin que le pere fe facrifiảt luy-même PrºPre.
en ſacrifiant ſon fils unique : Ut in filio pater quoque mattaretur. Et pour moy , s. Ami, tiz.
je ne doute point que le Prêtre n'endurât plus que la vićtime , & que toute la de Arab.
douleur ne fût pour luy dans un ſacrifice où il offroit à Dieu ſes propres en- Patriar.
trailles : 7 ta erat patris paffio ubi filius immolabatur. Si cette maxime est vérita- cigac
ble , il n’eſt pas malaiſé de comprendre que faint Jean l'Evangeliſte a été le plus s
affligé de tous les Martyrs, puiſqu'il a ſouffert en la perſonne de Jesus-Christ,
& que le ſupplice de fon Maître a été le fien.
*
Les endroits choists des livres firituels, & des Prédicateurs modernes
fur ce fujet.
On demande 'Est le Diſciple que Jesus aimoit. Joan. c. 2 1. Quel est ce Diſciple qui n'est
pourquoy connu que fous le titre de bien-aimé de J E s u s ? N'eſt-il pas ſurprenant
qu'undeHistorien
fupprime ſon nom qui entreprend d'écrire le regne d'un Souverain, omettei eſt
le
de ſon f
ſon favori,
*
qui a le plus de part dans les intrigues de f.a Cour , que
- - -
qu'en par- mêlé dans toutes les avantures de ſa vie, & qui fait d'ordinaire luy-même le
lant de lui- fujet des entretiens de tout le monde ? Pourquoy donc vous tenir caché, grand
même , il nº Saint ! Est-ce pour marquer vôtre grandeur , ou vôtre humilité, que vous vous
opiniâtrez à ſupprimer de la forte vôtre nom ? Vous êtes le Soleil de l'Egliſe »
que le l'Aigle des Doćteurs, au fentinent des Saints Peres; vous avez réüni en vôtre
bien aimé de ſeule perſonne les prérogatives de tous les Saints, les titres de Prophéte , d'Apô
***u* tre, d'Evangeliste, de Doćteur, de Vierge & de Martyr; & quand il eſt question
de fçavoir le nom de ce grand homme, c'eſt dites-vous ; celuy que J E s us ai
moit ? C'eſt qu'il n'y a point de nom plus capable de faire connoître tous les
autres avantages qu'il poſledoit , que celuy de bien-aimé du Sauveur ; puiſque 2
fi le Fils de Dieu l'a le plus aimé, il s'enfuit qu'il étoit le plus aimable , & que
uand même il ne l'auroit pas été, cet amour d'un Dieu qui fait la dignité de
objet,au lieu que les autres la fuppoſent , l'en auroit rendu digne, en faiſant
la fource & le principe de ſon mérite. C'est pourquoy faint Chryſostome tout
furpris de voir que Dieu ait daigné appeller Abraham fon ami, dit qu’un hom
me qui est ſur ce pied-là, est parvenu au comble de toutes les grandeurs où
nôtre ambition pourroit prétendre, qu'il est ſupérieur à toutes les loüanges qu'on
luy peut donner, & que dès-là, il peut mériter le nom de grand, de noble &
d'heureux: parce que ce ſeul titre comprend tout ce qui ſe peut imaginer de
fouhaitable ſur la terre & dans le ciel. Ce feroit donc une choſe ſuperfluë de
chercher d'autre fujet de l'éloge du grand faint Jean , que celui qu'il nous
fournit luy-même, d'être le bien-aimé du Sauveur : Diſcipulus quem diligebat
J E s u s. Extrait des Sermons fur tous les Sujets, &c.
Perſonne Qui est-ce qui méritoit mieux d'avoir part a la faveur de Jesus-Christ ,que
ne plus celuy de tous qui par le caraćtere de distinét on qu'il portoit, je veux dire par
digne de re- ſa pureté, s'étoit rendu plus ſemblable à J es u s-C H i s T # Qui est-ce qui
pe devoit plûtôt repoſer fut ce ſein vénérable où habitoit corporellement la plé
: nitude
de la divinité, que cet Apôtre , dont la fainteté étoit en quelque forte
in au-deſſus de l'homme, par la profeſſion qu'il faiſoit d'une inviolable pureté ?
caue de ſa Qui eſt-ce qui ſe trouvoit plus digne d'être le dépofitaire & le confident des
Puisté. feciets du Verbe de Dieu, que ce diſciple , lequel ayant épuré fon coeur de
tous les défirs charnels, étoit felon l'Evangile , par une béatitude anticipée »
déja capable de voir Dieu , & par conſéquent ce qu'il y avoit de plus intime
- & de plus caché dans Dieu ? Quiconque, dit le Saint-Eſprit, aime la pureté »
Eesli: *f- aura le Roy pour ami : Qui diligit cordis munditiam , habebit amicum regem.
P A R A GRA PH E S I X I E’ M E. I 59
Voilà par où ſaint Jean mérita la faveur de ſon Maître, & voilà par où nous
la mériterons nous-mêmes. Voulez-vous que Dieu vous aime , & voulez-vous
être du nombre de fes Elûs ? travaillez à purifier vôtre cæur; fans cela, qui
que vous foyez, vous êtes indigne, & même incapable d'être aimé de vôtre
Dieu. Or du moment que vous étes exclus de fon amour , dès-là vous êtes ana
thême & un ſujet de maledićtion ; il eſt vray que Dieu, comme fouverain ar
bitre de la prédeſtination des hommes, n'a acception de perſonne ; qu'il n'a
égard ny aux qualitez, ny aux conditions de ceux qu'il choiſit ; l'Ecriture nous
l'apprend, & c'eſt un article de nôtre foy : Non est perſonarum acceptor Deus.
Mais il n'eſt pas moins de la foy, que le même Dieu, qui ne conſidere ny les
conditions, ny les qualitez des hommes, priſes dans l'ordre naturel , fans dé
roger à cette regle , ne laiſſe pas dans l'ordre de la grace d'avoir des égards
particuliers pour les ames pures, juſqu'à les élever aux prémiers rangs de ſes
prédeſtinez, juſqu'à les combler de fes dons les plus exquis, juſqu'à les ho
norer de ſes plus intimes communications. c'eſt pour cela qu'il les traite d’é
ouſes dans le Cantique ; c'eſt pour cela que dans l'Apocalypſe, les Vierges
nous font repreſentées comme les compagnes de l'Agneau ; c'eſt pour
cela qu'elles environnent ſon trône , & que plus elles font pures, plus elles
ont d’accès auprès de luy; c'eſt pour cela que rien de foüillé n’entrera jamais dans
le ciel, qui eſt ſa demeure, & le palais de ſa gloire. Le Pere Bourdalouë, Panegy
rique de faint Jean.
Plus l'amour de Jesus est ardent, plus la familiarité de Jean ſon favori Le temps
est conſidérable; puiſqu'il oſe bien prendre cette liberté fi douce de ſe repoſer *
fur cette fournaiſe embraſée de la poitrine de fon Maître , dans un temps ! "
plein de mystéres; lorſque Jesus-CHRIST étant à la veille de fa mort, don- de jsºu
noit aux hommes les marques, & les plus viſibles preuves de ſon amour ; Citatsr, eſt
lorſque fa charité qui avoit été toûjours tres-ardente, redoubloit ſes flammes:
A * - * * * * '12 --: y• :ar::. A quable ma
, &
Cùm dilexistet ſuos qui erant in mundo , in finem dilexit eos ; lorſqu'il ſe laiſſoit à une preu
l'Egliſe pour gage de ſon affection immortelle, dans l'adorable ſacrement de e i
fa chair, & de fang : lorſqu'il faiſoit le prémier ſacrifice de fon Egliſe, amour que
anticipant, comme dit ſaint Gregoire de Nyſſe, celui qu'il devoit offrir ſur la
croix ; dans un temps auquel la grace qu'il faiſoit à ſon Diſciple, devoit “
erre plus remarquée par les autres Apôtres, qui étoient dans l'effroy, parce " ’”
que le Fils de Dieu leur avoit dit que celui qui le devoir trahir, étoit dans
leur compagnie. Dans ce mélange de crainte , de triſteſſe, & d'amour, ce
Diſciple a la confiance de poſer ſa tête ſur le cæur de Jesus. Il faut qu'il ſoit
bien perſuadé de la tendreſſe de cet aimable coeur pour lui, puiſqu'en pré
fence de tous fes freres étonnez à la vůë des grands myſteres que Jesus opere ,
ou remplis de la défiance d'eux-mêmes, il cherche avec affûrance le repos , &
le ſommeil ſur le coeur de fon cher Maître. Cette liberté ſi familiere eſt une
preuve qu'il est le favori du coeur, & fait voir que fon union avec J es u s
C H R 1 s r eſt bien plus intime , que celle de tous les autres, à qui il don
ne accès auprès de adorable perſonne. Il ne fait pas en effet la même
grace à tous ceux qu'il honore de fon amitié. Il accorde aux pénitens la permiſ
Îion de ſe jetter à ſes pieds; Magdeléne y trouve fon afile, fa conſolation, &
le pardon de fes fautes. Il promet aux juſtes d'écrire leur nom dans ſes mains,
pour les avoir toûjours devant ſes yeux ; c'est une marque du ſoin & de la
*3
ce que les . Qui pourroit dire les lumieres que nôtre Saint puiſa dans le coeur du Fils
faints P es de Dieu , fur lequel il repoſa ? C'eſt icy qu'il fait beau d'entendre parler les
es lum'eres
Saints Peres ; car il ſemble qu'ils ayent voulu encherir les uns ſur les autres,
- - * - - * - -
& diſputer à qui auroit de plus ſublimes penſées ſur ce ſujet. Saint Chryſostome
nean puiſa nous dit que faint Jean portant ſa bouche au coeur de Jesus, comme à la four
dans le ce de toutes les lumieres , il y puiſa une ſcience fi admirable, que jamaislau
cu cu mortel n'en a eủ de pareille : In pettore Christi talem ſcientiam haufit : qualem
lequel il nullus unquam mortalium fortitus est; & le même faint Doćteur ajoûte qu'il apprit
repoſa. dans cette extafe, des myſteres fi fublimes, que les Anges ont de quoi s'instruire
Homil. in dans
dansla
le lećture
coeur dudePere
fes écrits.Origene
Eternel,& qu’ilnous
y vitdit, qu'il ces
paſlaineffables
du coeurcommunications
de J. CHR 1st,
S. toutes
: *“ de la tres finte Trinité qu'il a après cela enſeignées aux hommes. Saint Bernard
nous enſeigne qu'il puiſa dans le ſein du Fils de Dieu ce que le même Fils de
* Dieu avoir puiſé du de ſon Pere ; Haufit Joannes definu unigeniti quod de
” Paterno hauferat ille ; Que comme le Fils de Dieu par un baifer amoureux de
fon Pere , reçoit l'infuſion de fes divines clartez; de même faint Jean en
baiſant le coeur du Fils de Dieu, a été rempli de ces incompréhenſibles lu
mieres, qui lui firent connoître la Divinité preſque ſenſiblement. Saint Gré
goire de Nyſſe nous dit, que Jesus préſenta à ce cher favori ſon coeur com
me une éponge toute imbuë , & toute pénetrée de la divinité, afin qu'il la
pût boire, & s'en raſlafier : Tanquam fpongiam ori ejus appofuit, ut divinitatem
potaret. Enfin faint Pierre Damien voulant l’emporter fur tous les Saints
Peres en fa faveur, dit, qu'il a parlé plus hautement de la Divinité , que
Jesus-CHR 1st même ; Hoc Beato foanni Dominus conceſit in verbis , quod, G
Petro conceſit in miraculis ; videlicet, ut ille altiora proferret , & hic majoribus
virtutum prodigiis corruſcaret. Sermon manuferit.
ºf Lorſque faint Jean repoſa ſur le coeur du Fils de Dieu, ce Sauveur venoit
, d’inſtituer
la Cene ; c'est-à-dire , l'auguſte Sacrement de fon Corps, & de
fon Sang. Il l'avoit fait en préſence de tous fes Apôtres,pour leur marquer
si leur per qu'il les aimoit juſqu'à la fin : In finem dilexit eos. C'étoit donc là un aſſez
grand témoignage de ſon amour , que de leur donner fon Corps, & fon
Sang; mais il voulut accorder à ſon Diſciple bien-aimé une faveur toute fingulie
fő re,& ce fut celle de repoſer fur ſon ſein adorable:Et recubuit in cænå ſuper
amoúr, il ejus. Quelque troublé qu'il fût par le mauvais traitement que les Juifs barba
en donne un res lui préparoient, il voulut cependant mettre fon Diſciple en poſſeſſion de
fon cæur. C'eſt-là où il puiſa toutes ces belles lumieres, qu'il a depuis fait pa
- roître avec tant d'admiration ; & de grandeur : c'est-là qu'il apprit à
metraut de ner parfaitement du Verbe ; c'eſt-là d'où il tira toutes ces richeffes inépuiſa
pe ſer bles de ſcience, & d'amour, qu'il a communiquées aux hommes par ſa bouche,
feann. i 3. & par ſes écrits; enfin ſon cæur repoſant ſur ce ſein adorable y étoit appli
2 - - -
1b.d. qué comme une cire molle fur un cachet , pour en recevoir unc imprestion
de
P A R A G R A P H E S I X I E’ M E. I 6I
de la Divinité, & de ce qu'il y avoit de plus admirable dans le Fils de Dieu.
Goûtez , ô grand Saint ! ces divines délices ; mais hélas! elles ne dureront pas
long-temps, & toutes ces douceurs feront bien-tôt changées en amertumes. Je
vois déja ce cher Diſciple s'apprêter, & s'offrir à tous les dangers, à tous les
fupplices , & prêt à boire même le calice plûtôt que d'abandonner J E s u s
C H R i s T. Réſolu de tout endurer, il ne s'éloigne pas un feul moment de
fon divin Maître, il le fuit pas à pas, il court après lui par tout où les Juifs
l'entraînent , ne ſe confolant que par fes larmes, ne ſe faiſant entendre que
par ſes ſoupirs, & pendant que tous les autres Diſciples allarmez, & troublez
prennent la fuite de toutes parts, le coeur ſeul de ce bien-aimé Diſciple con
ferve ſa fidele charité juſqu'après la mort de ſon cher Maître. Autheur
moderne.
Un ami véritable n’a rien de caché pour fon ami , dit faint Ambroiſe ; Le Fils de
& l'un de ſes plus innocens plaiſirs est de verſer fon coeur dans le fien , & de P en en
lui communiquer ſes plus ſecretes penſées: Nihil occultat amicus, st verus est,
effundit animum in amicum ſuum. Ainſi le Sauveur ayant donné fon coeur à
faint Jean, ne manqua pas de lui en donner auſſi la clef , & de lui appren- ble lui avoir
dre tout
faint ce que
Zenon fon Perel'appelle
de Verone Eternel leluiconfident
avoit appris ; & Eternel,
du Pere c'est dans&cette vůč que
le fidéle dé- désovci:fe
poſitaire de ſes ſecrets: Peculiarem arcanorum Domini conſultorem. Or nôtre ; of.
Seigneur a eủ trois fortes de ſecrets ; les prémiers regardoient fa Divinité, les cior. . . .
feconds, ſon humanité fainte, & les troifiémes fon Egliſe. Saint Jean a ců erm de .
une communication entiere de tous ces fecrets. Jamais perſonne n'a parlé plus fide, ffe, ở
divinement de Dieu que lui ; il ne faut que lire le commencement de ſon “”“
Evangile, pour comprendre que les Peres Gercs ont eû raiſon de lui donner le
norm de Théologien par excellence. Les autres Evangeliſtes , comme remar
que faint Augustin, marchent preſque toûjours ſur la terre avec nôtre Sei
gneur. Ils décrivent la génération temporelle du Fils de Marie, la Royauté du
légitime héritier de David, le Sacerdoce de celui qui a été Prêtre felon l'ordre ·
de Melchiſedech , & la vićtime de tout le monde ; ils nous le font voir dans
l'exercice de la priere, du jeûne ; prêchant par les villes , & les bourgades;
chaſſant les demons des corps, & des ames qu'ils poſſedoient; faiſant des mi
racles, & des prodiges; reffuſcitant les morts , &c. Mais ils ne difent que peu
de choſes de ſa Divinité. Et c'eſt peut-être ce qui donna la hardieffe à l'infame
Cerinthe, & aux Ebionites de publier par le plus horrible de tous les blaſphe-
mes, que Jesus-CHRIST n'étoit qu’un homme , & qu'il n'étoit point devant
fa Mere. Je ſçai bien au moins que Julien l'Apoſtat reprochoit aux Chrêtiens,
comme rapporte faint Cyrille, que de quatre Evangeliſtes , il n'y avoir que
Jean qui ſe fût aviſé de dire que Jesus étoit Dieu. Ce reproche étoit également
calomnieux, & impie ; mais auſſi l’on ne peut nier que cet Aigle céleſte n'ait
volé incomparablement plus haut que les autres ; & ne falloit-il pas qu'il eût de
bons yeux pour les arrêter fixement ſur le Verbe brillant dans le fein de ſon
Pere , des ſplendeurs de ſon éternelle génération. Iſaïe , tout accoûtumé qu'il
étoit à voir la gloire de Dieu, n’avoit oſé entreprendre d'expliquer cette naiſ.
fance d'un Fils auſſi ancien que ſon Pere ; cette naiſſance qui dure toûjours , &
qui n'a jamais commencé, ne finira auſſi jamais ; de forte qu'il ſemble vouloir
Paneg, des Saints. Tome I. X
162 POUR LE PANEG. DE S. JEAN L'EVANGELISTE.
Ifaia. 33. défier tous les hommes , & tous les Anges d'en parler : Generationem ejus quis
enarrabit ? Sermon manuſcrit.
Saint Jean ne fût pas attaché à la croix comme le Sauveur , mais il le fui
vit courageuſementjuïques ſur le Calvaire ; les autres Apôtres furent dif
si perfez comme des brebis qui s’égarent quand on frappe le Pasteur ; faint Pierre
nais le fui- même fut le plus lâche de tous, quoiqu'il eût promis d'être le plus intrépide,
yi : le & cette colomne de l'Egliſe fur ébranlée à la voix d'une ſimple ſervante.
où il fouf e Jean est le ſeul que la mort même ne peut ſéparer de J e s u s-C H R 1 s T ; }
un l'amour fit alors dans ſon coeur l'office de tyran ; la douleur tira de fes veines
martyre, le plus pur de ſon fang par fes yeux dans ce martyre d'amour qu'elle lui
fit ſouffrir fur le Calvaire. Martyre infiniment plus glorieux, & plus excel
lent que le martyre du ſang : il n'étoit donc pas julte que la main d'un bour
reau le fit expirer dans les tourmens. Venez donc , glorieux Martyr, recevez
le précienx don de la croix de J E su s - C H R 1 s T ; vous avez accompli vôtre
parole, lorſque vous dîtes que vous pouviez boire le caclice : Postumus.
Effais de Panegyriques.
Toutes les aćtions de faint Jean portent le caraćtere de l'amour, & toutes
fes paroles de même étoient des étincelles qui fortoient de cette fournaiſe
d'amour qui brûloit ſon coeur; ſes fautes même partoient de ce principe :
car il crût donner à Jesus CHR. 1 sr des marques de ſon attachement parti
culier, lorſqu'il voulut empêcher une perſonne de chaffer les demons au
nom du Seigneur, parce que cet Exorciſte ne s'étoit pas uni au nombre
des Diſciples; mais au lieu d'être repris de cette faute, qui n'avoit point
d'autre fource que le zele , & l'amour, le Seigneur l'instruiſit qu'il ne faut
pas empêcher les foibles de faire le peu de bien dont ils font capables ,
fous pretexte qu'ils ne font pas tout le bien dont ils font capables. Autheur
moderne.
Il y a loin de l'amour de Dieu, à l'amour des hommes ; ceux cy n'aiment
fouvent que par caprice, leur amour est aveugle,injuste, dereglé;mais l'amour de
Dieu a des qualitez oppoſées. Ceux que les hommes aiment ne font pas toûjours
les plus aimables ; mais les plus aimez de Dieu, font toûjours les plus parfaits,
Il fait toutes les avances , il previent par une abondance de bénédićtions.
Ainſi, c'eſt un éloge achevé de dire de ſaint Jean, que Jesus l'aimoit: Diſcipulus
ille quem diligebat Jesus. E/Sais de Panegyriques. -
Né peut-on pas dire que faint Jean a plus aimé le Fils de Dieu que les , on peut
autres, parce qu'il en a été le plus aimé, comme le diſent quelques Saints Pe- dite que
res ? Cette vérité qui vous ſemble peut-être étrange, puiſque nous aimons lean,
fouvent des perſonnes qui n'ont nul amour pour nous, ne vous le paroîtra plus,
fi vous faires réfléxion à ce que dit faint Bernard : qu'il y a certe correſpon- que les
dance entre le coeur de Dieu, & le coeur de l'homme, que quand Dieu aime autres, parce
une ame d'un amour de complaiſance & de tendreſſe, il verſe dans fon coeur qu'il en a
l'amour & les ſentimens qu'il conçoit pour elle, afin de la contraindre en quel- :
que façon, à aimer austi. L'amour de Dieu produit l'amour de la créature , q i
& fait que les mêmes empreſlemens qu’il a pour elle,elle les a réciproquement fait une con.
pour d'un
aimé luy. Or ſaintdeJean
amour a été le&favori
préference du Fils de
de tendreſſe Dieu, le donc
; pourquoy Sauveur l'a toûjours
ne diray-je ! see
pas “ l'autre,
que ce Diſciple a aimé réciproqnement Jesus-CHR 1st avec la même ardeur &
le même zele : & puiſque l'on dit de luy par excellence, qu'il a été le Diſciple --
que Jesus aimoit plus que les autres ; pourquoy ne dirai-je pas qu'il eſt celuy.
de tous les Diſciples qui a plus aimé Jesus-CHRIST ; & que c'eſt de lui que
s'entendent ces paroles du Cantique, mon bien-aimé eſt infigne en amour, &
lui ſeul m'aime plus que dix mille autres ? Diſcours Chrétiens.
L'amour montre ce qu'il eſt dans le temps de la tribulation, & les amis qui Saint lean
nous abandonnent dans l’extrémité, ne font pas les amis de nos perſonnes , ?" é .
mais de nos bonnes fortunes. Sain Jean n'a point été de ce nombre, il n'aban-
donne pas ſon Maître dans ſes plus extrêmes afflictions , il ne le fuit pas de
loin, mais de près, & s'expoſe à tous les dangers. Il entre chez le grand Prê- sauveur ,
tre , où Jesus-CHR1 st eſt conduit pour être interrogé , & quoiqu'il en fût Parce qu'il
X ij
164 POUR LE PANEG. DE S. JEAN L'EVANGELISTE.
est demeuré connu à cauſe de fa naitiaace , dit faint Jerôme, il ne craint pas qu'on l’y accu
fidele au fe d'être l'un de les Diſciples , & qu'en cette qualité, on le condamne à mourir
, avec luy. Les mêmes.
l'affliction. / • - * • • 7 - A A
La confi- Le prémier
précieux, c'eſt devoir de l'amitié,
la confidence & qui enl'eſtime
qui marque eſt à même temps
que l'on fait led'un
gageami.
le plus
Or
. l'onpeut dire en particulier, que la confidence dont le Fils de Dieu a honoré
fon cher Diſciple faint Jean , a été le témoignage le plus incontestable de fon
i'a nfié , & amitié ; car s'il n'eſt pas à propos de découvrir fes ſecrets à toutes fortes de
uns preus, perſonnes, vous fçavez que ceux des Rois entre les autres, font, felon le lan
q on n gage de l'Ecriture, une eſpece de Sacrement, qu'on ne peut publier fans profa
nation , & que leur Majeſté étant une choſe ſacrée, tout le monde n'a pas droit
a d'entrer dans ce ſanctuaire : Sacramentum Regis abſcondere bonum est. Mais lorſ
que les Souverains mêmes font cet honneur à un fujet, d’en venir juſqu'à la
derniere confidence , en luy ouvrant le fond de leur coeur ; c’eſt fans doute une
marque d’une amitié ſinguliere ? & un ancien a bien oſe dire, que c'étoit quel
que choſe de plus que de partager leur royaume avec eux, parce que c'eſt l'af
focier à un cmpire où ils regnent par eux-mêmes, au lieu qu’ils font obligez
de ſe rapporter à leurs Officiers d'une grande partie des autres affaires de leurs
Etats ; outre que c'eſt par une fuite néceſſaire, partager avec luy le reste de
leur Royaume , parce que, comme ces grands corps ne fe remuent que par
de fecrets reflorts, renfermez dans la tête des Souverains : qu’eſt-ce autre cho
fe, regner avec eux, que de connoître , examiner , & fouvent.méme régler
leurs projets, avant qu'ils impriment le mouvement à tout uħ grand Etat.
C'eſt donc une marque d'un amour fingulier plein d'estime & de confiance »
qui fait qu’on n’ufe d'aucune réſerve avec ſon ami. -
tes fee,..ts C'eſt de cette maniere dont le Sauveur du monde en a uſé avec ſon Diſciple
dont l- F is bien-aimė, avec lequel il a voulu vivre dans une étroite confidence, en le fai
de Dieu , lant le dépoſitaire de ſes ſecrets , dont les uns font appellez dans l'Ecriture,
Excelſa Dei, les chofes hautes qui font dans Dieu , & qui à cauſe de leur
1ean. élevation , font inacceſſibles à nos eſprits , & regardent la Divinité même. Les
autres font les choſes à venir,enveloppées dans les révolutions des temps, com
me d'autant de plis & de voiles qui les couvrent , & qui les dérobent à nos
Matth. 13 yeux, & que le Prophete nomme pour ce ſujet , des choſes cachées: Eruciabo
abſcondita : & les troifiémes çnfin, contiennent des choſes preſentes à la vérité ;
mais renfermées, dans le fond des coeurs , que ni homme ni Ange ne peut ré
, criarh. nétrere & que l'Apôtre appelle profunda Dei , des choſes profondes qu'il n'y a
*» que Dieu qui puiſle fonder. Mais ces trois abîmes dont Diều, ſcul a la clef,
quelque impénétrable qu'en foit la profondeur , font ouver manifeſtez à
faint Jean ; car enfin, dès là que ce grand Saint eſt l'ami & le confident du Fils
de Dicu, il n'y a plus rien de caché pour luy , plus de reſerve, plus rien de
particulier, puiſque tour doit être commun entre les amis. L'Autheur des
Sermons fur tous les Sujets.
Nous ſom- C'eſt à faint Jean que nous devons la connoiſſance des perſonnes divines.
m : pa- C'est luy qui nous a decouvert ce profond abîme de la tres-ſainte Trinité, où
nôtre foy ne trouvoir que des obſcuritez & des ténébres. C'eſt de luy, felon la
remarque de faint Hilaire, que l'Egliſe a emprunté toutes les armes dont elle
taiat peaa s'eſt ſervie , pour combatrc les ennemis de cet auguſte nyſtére. Par où confon
. P A R A G R A P H E S I X I E’ M E. 165
doit-on les Ariens ? par l' Evangile de faint Jean. Par où les Sabelliens, les Ma- de la ccn
cedoniens , & tant d'autres herétiques étoient-ils convaincus d’erreur dans les º de
anciens Conciles ? par l'Evangile de faint Jean , qui nous a donné en trois .
courtes paroles , tout le précis de la plus éminente Théologie , & de la plus nes s'
fublime Religion, quand il nous a dit que le Verbe s’est fait chair : Verbum
caro fatium ejt. Les autres Evangeliſtes fe font contentez de nous annoncer la
génération temporelle de ce Verbe incarné : mais faint Jean nous a conduit
juſqu'à la fource de la génération éternelle du Verbe incréé. Saint Jean , en
nous faiſant connoître le Verbe , nous a révelé tous les tréfors de la fageffe &
de la ſcience de Dieu , puiſque la plénitude de ces tréſors est dans le Verbe ,
comme, dit faint Paul, ou plûtốt n’est rien autre choſe que le Verbe de -
Dieu même., & voilà l’eſſentielle obligation que nous avons , en qualité de
Chrétiens, à ce Diſciple bien-aimé & favori. Le Pere Bourdalouë.
Non-ſeulement faint Jean a porté fa vůë fur ce qui s'eſt paſie dans l’éternité, Le Fils de
mais encore ſur les choſes les cachées de l'avenir: ce qui n'est pas une moin- Dieu a de-
dre marque de confidence , puiſque c’eſt une chofe que Dieu s'est tellement
réſervée, que ſelon l'Ecriture, c'eſt l'un des caraćteres de la Divinité même ; .
Annuntiate que ventura funt , & dicemus quod dii estis vos. Mais le titre de ye
confident femble donner droit à faint Jean de fçavoir l'avenir auſſi bien que le nir.
paſſé, quoique la Providence ait tiré deſfus un viole impénétrable ; car c'est luy lfai. 4".
qui a mis par écrit ce qui doit arriverà la fin du monde , les malheurs qui pré
cederont le grand jour du Jugement, les combats & les perſecutions que l'E
gliſe doit ſouffrir, & toutes les choſes qui doivent paroître au déhors dans la
fuite des temps, que l'Ecriture appelle abſcondita Dei, les choſes cachées qui futra.
font encore dans les conſeils de Dieu. Les Prophétes y ont à la vérité percé bien "
avant , & ils ont vû par une connoiſſance anticipée, des choſes qui n'ont paru
au jour que pluſieurs fiécles après : mais leur connoiſſance a été bornée à une
choſe , ou deux en particulier. Ils ont bien été appellez quelquefois au confeil,
& on leur a communiqué quelques affaires. Jéremie a vů les defaſtres qui mena
çoient la ville de Jéruſalem ; Iſaïe a eû une particuliére connoiſſance de ce qui
regardoit la perſonne du Meſfie s Ezéchiel a vû en eſprit la captivité du peuple
de Dieu en Babylone, & les autres ont partagé ces grands fecrets de l'avenir :
mais faint Jean est le dépoſitaire de tous ; il ſemble que rien n'ait été caché pour
luy, juſques-là que pluſieurs Saints Peres nous aſsûrent, que quiconque auroit
l'intelligence de ſon Apocalypſe ; y trouveroit autant de mystéres, que de paro
les; n'y ayant ni ni héréſies qui ayent déſolé l'Egliſe depuis fon temps,
qu'il n’ait marquez ; point de perſecutions qu'il n'ait prédites; point de révolu
tions d'Etats & de Monarchies , qu'il n’ait dépeintes : de maniére qu’on
pourroit l'appeller un homme de tous les fiécles ; non pour avoir préſent en ſa
mémoire tout ce qui s’eſt paſſe, comme ceux qui poſſedent l'hiſtoire ; mais pour
furvivre en quelque façon à luy-même, & voir tout à la fois ce que les fiécles
ne découvrent aux autres que ſucceſſivement , & par parties.
Ajoûrez qu'outre ces ſecrets, aufquels l'éternité route entiére a fervi de viole, na eu la
& ceux
tous les que les ſiécles
eſprits, il y enà a venir couvrent
d'autres d'unêtre
qui, pour nuage épais,n’en
préfens, qui font
les derobent
pas moinsà connoistap
ce du fe&et
cachez dans l'abîme & la profondeur du coeur de l’homme : Profonda Dei ,
comme les appelle l'Apôtre. Cependant , puiſque ce Di a été fi heu- f
11]
166 POUR LE PANEG. DE S. JEAN L'EVANGELISTE.
ble n'attri reux, que d'avoir eû la confidence du Fils de Dieu, il a la clef de cet abîme,
bü:r qu'à & il n'y a ni profondeur , ni obſcurité qui lui puiſſe rien cacher. Il voit dans le
Dieu Icul.
fond de la conſcience de l'Ange de Laodicée, c'est à-dire, de l'Evêque de cette
Apocal.
ville-là, & y découvre ce que l'autre n'y connoilloit pas luy-même, ſçavoir » la
charité éteinte, & la perte des biens, & des dons qui ia fuivent ; Dieis, quia
dives fum : & neſcis quia pauper es, ci miſerabilis. Il en avertit un autre du re
froidiſſement de fa ferveur , & du relâchement de fa piété. Vous diricz
qu'il liroit dans les coeurs, & qu'il en penétreroit les plus épaiſſes ténébres :
Pfal i 38. ce que le Prophete n'attribué qu'à Dieu : Et tenebra non obſcurabuntur à te: Cet
aigle cependant qui a la vůë aflez forte pour foûtenir les éclairs de la Divini
té, l'a encore aſſez perçante, pour voir dans les ténébres mêmes.
Le Sauveur Mais le coeur qui lui a été plus particuliérement connu, & qu'il s'est plus
lui a encore étudié de connoître , c'est celuy où étoient renfermez tous les tréſors de la fa
découvert
fes ſecrettes geſle & de la ſcience , j'entens celuy du Sauveur, qui s'est ouvert & manifeſté
penſées , & à ce Diſciple bien aimé, & où il a puiſe le reste de fes hautes connoillances ;
fait confi car le Fils de Dieu ne luy a pas ſeulement découvert tout ce qui regarde fa
dence de ſes Perſonne, fa naiſſance éternelle, & les perfećtions de fon humanité ſacrée, il luy
deſfeins.
a fait part de ſes plus ſecrettes penſees juſques-là que c'est à luy que s'addreſſent
les autres Apôtres, pour fçavoir les ſecrets de leur Maître, fçachant bien qu'il
n'y avoit rien de caché pour luy ; comme quand il fut queſtion de fçavoir le
nom de celuy qui le devoit trahir, n'oſant prendre la hardieſſe de le demander
au Sauveur même, ils s'addreſſent à faint Jean pour le connoître. D'où viént
qu'un faint Pere l'appelle Verbum Verbi, le Verbe, & l'expreſſion du Verbe
même ; parce que, comme dans l'auguste Trinité des Perſonnes divines, le Ver
be éternel est le terme de la connoiſſance du Pere, & épuiſe toute fa fécondité ;
de même faint Jean femble exprimer toutes les connoillances & tout ce qu'il y
a de plus ſecret dans ce Vcrbe divin , parceque l'union de leurs coeurs a pro
duit une communication de leurs penſees & de leurs ſecrets. Quel honneur ! &
quelle gloire à un homme mortel ! L’Auteur des Sermons fur differens
fujets, &c.
Les myſte Conſidérez combien de myſtéres font renfermez dans ces paroles, In princi
res qui font pio erat Verbum ; & Werbum erat apud Deum: & avec quelle justice faint Am
renfermez
dans les broiſe a dit de faint Jean : Quidquid loquitur mysterium est. Car il nous apprend
prémiéres que le Verbe eſt Dieu, cớ Deus erat Verbum : que ce Verbe demeure en Dieu,
paroles de & Werbum erat apud Deum; que ce Verbe est la penſée & la parole de fon Pere;
l'Evangle que comme penſée , il a conçû le deſfein de l'univers ; que comme parole, il l'a
de faint
Jean.
executée avec ſon Pere : Omnia per ipſum facia funt ; ce qui a donné ſujet à faint
S. A nbr l. 9• Auguſtin de dire, que cette parole n'eſt pas de la nature des autres, qui com
de Sacra c. mencent avec le temps, qui fe forment dans la bouche , qui fe perdent dans
2. «
les airs, & qui font inutiles , ou impuiſſantes. Si faint Jean eſt plus éclairé
que tous les Evangeliſtes, il a encore cet avantage, que ſes lumiéres nous font
utiles , & qu'il nous explique ce que les autres ſe contentent d'admirer, ou
de connoître pour eux : car encore qu'Iſaye ait mérité le nom de cinquiéme
Evangeliſte, qu'il ait écrit l'hiſtoire du Fils de Dieu avant qu'il fût au monde,
& qu'il ait marqué les principales circonstances de fa vie , & de fa mort , il
n'a parlé de ſa naiſſance qu'avec admiration , & il a crû dire beaucoup quand .*
Pour nous en faire connoitte la grandeur par fon étonnement , & ſon filence,.
PAR A G RAPHE S I X I E’M E. 167
il a dit : Generationem ejus quis enarrabit ? Mais faint Jean explique ce qu'Iſaye lfaia 53.
admiroit ; il nous apprend des particularitez que ce Prophete ignoroit , & il
donne à toute l'Egliſe la connoiſſance d'un Mystére, pour lequel toute la Sy
nagogue n'avoit que de l'admiration. Saint Paul fut enlevé juſques dans le
troifiéme ciel ; il y pénétra les ſecrets de l'éternité, & dans une école, où Dieu
même étoit ſon Maître , il apprit les plus hautes véritez de la Religion Chrê
tienne ; mais ces révélations ne furent que pour luy ſeul : il n'eut pas la per
miſſion de les publier ; & en même temps qu'elles luy furent communiquées, Cor. 1. 12.
illuy fut défendu de les découvrir aux autres ; Audivit arcana verba quæ
non licet homini loqui. Mais nôtre divin Evangeliste est fạavant pour tour le
monde ; il a permiſſion d'instruire tous les fideles, & il n'y a point de Philo
fophes, ni de Théologiens qui ne ſe puiſſent dire être Diſciples de ce divin
Maître , puiſqu'au jugement de faint Jean Chryſoſtome, les Anges mêmes ont
appris de luy quelque choſe qu'ils ne fçavent pas : A qua didicerunt Angeli que chryf, ia
ignoraverunt. Il eſt donc le plus ſçavant de tous les Evangelistes , le plus fubli- fear.
me de tous les Théologiens, le plus éclairé de tous les Prophetes, & le plus
éloquent de tous les Prédicateurs: Ipſe est Joannes fublimium pradicator, & lucis la. niu.
aterne contemplator. Mais comme l'amour eſt préférable à la ſcience, faint Jean
eſt plus heureux d'avoir été le plus aimé de tous les Apôtres, que le plus éclairé
de tous les Evangelistes. Le Pere Senault de l'Oratoire. |
On peut dire que fi Jesus-CHR1 sr n'a rien caché à fon ami du mystére de la E
tres-ſainte Trinité & de l'Incarnation, il ne l'a pas moins instruit des mystéres
qui regardoient ſa mort : & comme il dit en préſence de ſes Apôtres, qu'il y Diſciple
en avoit un d'entr'eux qui le trahiroit , alors tous ſurpris & consternez de bien ainé
cette terrible prophétie, ils commencerent à ſe regarder les uns les autres.
Saint Jean fut le prémier qui découvrit le traître , & qui vît au travers du
coeur de Jesus-CHR 1st , comme dans un miroir, tout ce qui fe paſſoit dans le devoir arii
coeur de Judas ; ce qui effraya tellement ce Diſeiple, qu'à la vůë d’une fi hor- verdans l'E
rible trahiſon,
tateur il tomba
de la gloire pâmé ſur le cæur
de Jesus-CHRısT ſurde
le Jesus
ThaborChrist.
, avantIl que
avoitd'être
été leleſpec.
té- (a Paflion.'
moin de ſes ſouffrences ſur le Calvaire ; & il eût autant de part dans les myf
téres les plus éclatans du Sauveur , que dans les moins glorieux & les plus
fombres. Mais quels ſecrets mystérieux ne lui fûrent pas révelez touchant l'E
gliſe dans l’ile de Pathmos pendant fon exil ? Ce fût dans ce lieu où ce grand
Apôtre s'élevant au deſſus de l'infirmité humaine, porté ſur les ailes de la plus
fublime contemplation , fortifié par une grace particuliere, puiſa dans le ſein
du Fils de Dieu ces vives lumiéres, ces révélations mystérieuſes que nous liſons
dans fon livre de l’Apocalypſe , qui n'eſt qu’une explication fgavante de tout
ce qui regarde l'Egliſe univerſelle. Effais de Panegyriques.
Pour juger de la tendreſſe du Sauveur du monde envers ce Diſciple fi cheri, Pour mar
nous n'avons qu'à parcourir la vie de cet Homme-Dieu , nous verrons que |
par tout où l'un ſe trouve , l'autre l'y accompagne, & qu'il est toűjours le plus que le
proche de luy, par un certain charme inexplicable qui fait qu’on ne s'en- sauveur
*
nuye jamais avec ceux qu'on aime. Ce Sauveur veut découvrir un éclat de ſa voit pour
loire par un rayon de lumiere que foname bien-heureuſe fait couler, & re- | :
jaillir juſques fur ſon corps; grand Saint comme ſon favori , vous en ferez
témoin , & vous monterez avec lui ſur le Thabor. Dans ſa tristelle & dans fontout, comme
168 POUR LE PANEG. DE S. JEAN L'EVANGELISTE.
s'il n'eàt pâ agonie mortelle , qui lui fait fuer le fang & l'eau, vous ferez un de ceux qui
s'en f'Paret: partagerez ſes déplaiſirs, & vous ferez témoin de fes fouffrances, auſſi-bien
- que de fa gloire ; & c'est alors que l'on pourra dire , que l'ame d'un ami eſt
plus où elle aime , que là où elle anime, puiſqu'il fait un miracle pour empê
cher que l'excès de la douleur ne luy faſſe quitter fon corps ; mais il ne faut
que ſon inclination naturelle pour le faire courir auſſi-tôt vers ce cher Diſciple,
comme s'il eut fenti calmer fa douleur , par la ſeule vůë de la perſonne qu'il
chérifioit, & dont la converſation ſuſpendoit une partie de l'amertume de ſon
coeur. Ces faveurs néanmoins ne font point fi particulieres, que d'autres n'y
ayent eủ quelque part : il faut pour luy quelque marque d'affection toute fin
guliere , qui témoigne qu'il eſt le plus tendrement aimé , & il ne faut pas la
chercher bien loin, puiſque je le vois le plus proche du coeur de fon Maître,
joan , ;. & qu'il repoſe fur ſon fein. Erat recumbens unus ex diſcipulis ejus in finu Jesu.
C'est une . Quel excès, je vous prie . & quel prodige de familiarité ! on a bien vû des
Princes s'appuyer fur leurs favoris ; mais qu'un favori ait jamais pris la liberté
ple de voir de répoſer fur le fein de ſon Prince, c'est ce qui eſt inoüi : mais pour témoi
in favori gnage du plus grand & du plus parfait amour qui ait jamais été, il falloit la
repoſer ſur plus extraordinaire faveur qui pût être. Certes quand je confidere que le coeur
| ‘n de du Sauveur, dont les affections étoient toutes divines; ce coeur qui ne ſe don
: noit pas aveuglement & fans choix , puiſque c'étoit le coeur du Verbe
& de la Sageffe incarnée ; ce coeur dont l'amour eſt la fource & le principe du
à lain: Jean, bonheur de tous les Saints ; ce coeur que la charité même avoit formé : que
ce coeur, dis-je,ſe lie & s'attache par un doux penchant , & par un instinćt
fecret , à ce i , pour le faire entre tous les hommes, l'objet de ſes plus
tendres affećtions, & le ſujet de ſes communications les plus intimes. Ah ! il
me ſemble que les Anges mêmes en entreroient en jaloufie, s'ils en étoient ca
pables, s'eſtimant trop heureux de regarder feulement celui avec lequel ce
r. Pet 7. Diſciple vit , & converſe avec tant de privauté : In quem deſiderant Angeli prof:
picere. Quelle autre joye pouvoit-il avoir en ce monde, fe voyant colé de la
forte à la ſource de tous les véritables plaiſirs ? & que pouvoit-il lui rendre au
tre choſe, qu'une affećtion reciproque ? Que de tendreſſe en effet ! que de ra
viſſemens, & que de faints envers celui qui le prévenoit de tant de
careffes , & de faveurs ! Car qui pourroit fçavoir ce qui ſe pafle dans cet en
tretien ſecret de ces deux coeurs, qui ſe parlent immédiatement , & qui ex
- priment leurs ſentimens les plus tendres ? C'est ce qui nous est inconnu à la vé
rité ; mais c'eſt ce que nous pouvons aiſément conjećturer,par ce qu'ont coûtu
me de faire les amis dans leur ſéparation , & dans les précieux momens
de leur derniere , entrevůë ; car c'eſt alors qu'ils s'abandonnent à
toute leur tendreſſe , qu'ils ſemblent verſer tout leut coeur l’un dans
i l'autre, & qu'ils s'uniffent plus étroitement fur le point de ſe ſéparer. C'est ce
qui ſe paſſe entre ces deux coeurs dans le dernier repas qu'ils devoiant faire en
femble: après quoy l'un doit aller au ſupplice, & l’autre être témoin de ſa mort.
Dans quelles tendreſſes ne paſſent-ils point ces derniers momens ? coeur fur
čoeur, & même coeur dans coeur, par le moyen de l'auguſte facrement de l'Au
tel, que J E s u s-C H R 1 s T institüa dans ce même temps-là ? C’eſt ce qui ne
peut exprimer ; on peut ſeulement dire que l'un reffent tous les mouve
mens , & toutes les pastions de l'autre ; que le coeur de faint Jean ſe rctreſſit
dans
. P A R A G R A P H E S I X I E’M E. I 69
dans les triſteſſes du Sauveur, qu'il fe dilate avec lui dans la vůë de la g'oire
de ſa Réſurrećtion, & de ſon triomphe, comme un ami qui a pour lui une :
tendreſſe réciproque, & qui prend part à tout ce qui le touche ; comme s'il
n'eut vécu que par le mouvement du coeur de ſon Maître.L'Autheur des Sermons
fur tous les fujets. t. - ·
. Comme l'affećtion fi tendre que le Sauveur portoit à faint Jean, ne tendoit , 9 est ſur
qu'à rendre ce cher Diſciple plus faint, & que la plus haute fainteté confilte .
dans le plus parfait amour de Dieu, on ne peut douter que ce ne ſoit ſur le .
coeur de ce divin Maître que ce Diſciple a puiſé cette tendreſſe de charité a puiſé cet
qu'il a euë toute fa vie, & qu'il tâchoit d'inſpirer à tout le monde, en les mour Pour
| portant à s'entr'aimer pour l'amour du Fils de Dieu ; ce qui faiſoit que ce
rand Saint ne parloit d'autre choſe, que ſes écrits en font tous remplis,
que ſes actions font toutes marquées de ce caractere; que fes entretiens avec tout le
fes Diſciples n'avoient &
point d'autre ſujetprioient
que la de
charité:
changerDiligamus alterutrum, nonde.5.& 6.
diligamus nos invicem; quand ils le quelquefois de dif- foan.
cours, pour ne pas toûjours répéter la même choſe ; Ah ! diſoit-il, c'eſt le
commandement de mon Maître, & celui-là feul tient lieu de tous les autres ;
comme s'il n'eût pû parler d'autre choſe, que de ce qu'il avoit puiſé dans le
- coeur du Sauveur, & que fa langue, & fa bouche ne pullent exprimer, que
: ce qu’il avoit lui-même imprimé fi avant dans le fien ; Ex abundantiâ cordis Matt. 12.
| os loquitur. Ainſi fon coeur en étant tout rempli . & tout pénétré , com
ment eut - il parlé d'autre choſe ? L'Auteur des Sermons fur tous les
fujets , &c.
A la vérité le Fils de Dieu a partagé ſes dons, & ſes faveurs à tous les au- Les dons, &
tres, comme dit Saint Paul. Il en a fait les uns Apôtres, les autres Prophetes , les faveurs
les autres Paſteurs ; c'eſt un Prince qui diſtribuë les char- '';
: ges de ſon état : mais qui ménage tellement ſes graces , que fon favori eſt toû- ,
|- jours le mieux partagé; auſſi le Sauveur les a-t-il toutes réünies dans faint ce favori, &
Jean, en l'honorant de toutes ces prérogatives. Il l'a fait Prophete dans l'Iſle e Digipe
de Pathmos, où il a écrit ſon Ấpocalypſe : Patriarche dans l'Aſie, dont il a "***"*
gouverné toutes les Egliſes ; Diſciple, & Apôtre dans Jéruſalem; Martyr à
Rome, où il fut jetté dans l'huile boüillante; il a ajoûté le titre d'Apôtre à ce
1 lui de Diſciple ; au titre de Prophétc , celui d'Evangeliste ; le tirre de Vierge
& de Martyr , à celui de Confeſſeur, pour lui donner un rang à part , en
réüniſſant en lui ſeul toutes les grandeurs de tous les rangs , afin de lui compo
fer une couronne de la matiere de toutes les autres. Ne diriez-vous pas que le
Fils de Dieu lui ayant donné ſon amitié, & ſes plus tendres affećtions, lui au
roit dú enſuite accorder toutes ſes faveurs, & qu'il n'avoit point eû d'autre
3 foin, que de lui marquer par ces profuſions, qu'il meritoit cette préférence de
A
u'il laiſſe en mourant, pour marque de fon affection finguliere , à celui qu'il par tcſta
|- - a le plus chéri pendant ſa vie ; car c'est alors que l'amour paroit plus ardent , & ment ſa
reſſemble
s'éteindre à: un fiambeau,; ſunt
Testamenta qui jette
quibusdes flammes
omnem plusmentis
testa nur vives lorſqu'il
affectum ;eſt& coinne
prêt de *faifaint
te Jean
Mere
* l'appellent les Juriſconſultes: Testationem mentis, un témoignage de la volonté
Paneg. des Saints. Tome I. -
17o POUR LE PANEG. DE S. JEAN L'EVANGELISTE,
d'un ami , & de fon affection, qu'il ve ut faire vivre, & ſubſister après ſa
mort. Mais qu'y vois-je d'abord, & dans l'un des prémiers articles ? O le riche
partage de nôtre Saint ! compris dans ces deux aimables paroles : Ecce Mater
tua ; puiſqu'il lui donne ce qu'il a de plus précieux dans ce monde ; c'est ſa
Mere , que Pierre Damien appelle Theſaurus totius Divinitatis, le tréfor de la
Divinité. Heureux héritage ! riche potſeſſion ! Qu'en jugez-vous ? Cette Mere
Vierge donnée par le Fils de Dieu , au dernier moment de ſa vie, par un titre
austi glorieux, qu’eſt celui de devenir fon Fils, par un Teſtament fi ferme , &
une donation fi irrévocable ; n'eſt-ce pas le plus grand, & le plus avantageux
préſent qu'il pouvoit lui laiſler, pour témoignage de la plus grande aftećtion
jer. '?' qui fût jamais ? Ecce Mater tua. Le même.
Sººinia
tion du Je m'imagine que le Sauveur du monde fit en cette rencontre, quelque
D * - r *
même fujet. choſe de ſemblable à ce que nous lifons dans la Genéſe, que fit le Patriarche
Jacob, lequel étant à l'article de la mort, & ayant devant les yeux tous fes en
fans , pour déclarer fes dernieres volontez , leur laiſſa à tous une notable
portion de ſes biens ; mais ayant apperçû fon fils Joſeph , qu'il chériſſoit
plus tendrement que les autres, il lui dit en ſoupirant ; C'eſt toi, mon cher
fils, de qui j’ay reçû plus de confolation pendant ma vie ; je veux maintenant
reconnoître, & récompenſer tes fervices avant que de mourir: & pour cela,
- je te donne par préciput, une portion conſidérable dans mes biens, outre celle
Geneſ 48, que tu partageras avec tes fréres ; Do tibi partem extra fratres tuos. Tu auras
le partage d'un aîné, quoique tu fois le plus jeune de tous. C'est ce qu'a fait
le Sauveur du monde étant prêt d'expirer ſur la croix ; il avoit préfens dans ſa
penſée, tous fes enfans ; il distribué tout ce qu'il a de biens ; il remet ſon ame
entre les mains de ſon Pere ; il avoit déja donné fon Egliſe à faint Pierre, &
fon Corps à ſon Egliſe. Or, dans ce dépouillement univerſel , il ne lui reste
qu'une ſeule choſe , qui vaut tous les tréſors du monde, c'est ſa très-ſainte
Mere, qu'il donne à ce Diſciple bien-aimé : Ecce Mater tua. Tenez, lui dit-il,
voilà vôtre partage, c'eſt ce que j’ay de plus précieux ; je vous laiſſe ma pro
pre Mere, pour être dès maintenant la vôtre. Le nom de Diſciple n'exprime
pas aſſez l'étroite amitié qui nous a liez en cetre vie , il faut que vous préniez
celui de frere par le rapport que vous aurez à la même Mere que moy.
Quelle impreſſion , je vous prie, une faveur fi fignalée ne fit-elle point ſur
l'efprit de ce Diſciple ? Il ne faur point douter qu'avec ce nom plein de dou
ceur, & de tendreſſe, il n'ait reçû en même temps un coeur de fils envers une
teile Mere : c'eſt pourquoy il eut pour elle la plus tendre affećtion que la ver- .
tu pouvoit faire naître. Difons plûtôt que la grace prît dèslors , la place de
la naturc, & lui inſpirales mêmes reſpećts , & les mêmes ſentimens, que fi
cette Vierge très-ſainte lui eût effectivement donné l'être , & la vie. Le
7/2c7/26?,
Comme Le Fils de Dieu donna reciproquement faint Jean pour fils à ſa Mere ; ce
. * ui ne fut pas un bienfait peu. fignalé cn VCTS Ce grand Saint, voulant qu'enſuite
proquement ils fuffent unis, finon par les liens du fang, du moins par ceux d'une charité
à ſa Mere, ardente : AMulier , ecce filius tuus ; Tenez , Mere déſolée , voilà maintenant vô
faint Jean tre fils, c'est celui qui fera ſubſtitué en ma place, pour vous rendre les mêmes
"* comme que je vous rendois
Pour lui te- devoirs
i ravaim ; vous l'aimerez comme
iſque c’eſt un a
vôtre fils ; fi vous l'aimez
ov-même s d • / -
Dieu, l’amour en tenoit le compte , & les imprimoit dans le coeur de nôtre
Martyr. Pendant que J e su s étoit couronné d'épines , l'amour en faiſoit our
reffentir toutes les pointes à ſon bien-aimé Diſciple ; & lorſque les bourreaux que lui.
enfonçoient les cloux dans fes mains & dans ſes pieds, l'amour faiſoit autant
de playes dans les pieds, & dans les mains de cet Apôtre. Et quand on perça le
côté de J e sus d’une lance, Jean en reflentit le coup, & il accomplit plus
véritablement que faint Paul, ce qui manquoit à la paſſion de fon Maître. Ainſi
il est vray Jean fut crucifié avec fon cher Maître , & qu'ils endurerent
tous deux un même martyre. Le Pere Senault de l'Oratoire.
Y ij
172 POUR LE PANEG. DE S. JEAN L'EVANGELISTE.
ce que faint Si vous voulez fçavoir plus en particulier ce que le Diſciple bien-aimé a re
Jean ? I tiré de la familiarité & des careffes de ſon divin Maître : je vous diray avec
laint Chryſostome, que comme dans la nature le coeur est la ſource & le princi
, & Pc de la vie , faint Jeanpar une familiarité, ou plûtôt par une faveur inouïe,
des faveurs ayant repoſé ſur le coeur du Sauveur, il y a puiſe une vie fainte & toute divine».
qu'il en º comme s'il n'eut plus vécu enſuite que par les mouvemens de ce coeur : de
s lat. 2. maniere qu'il pouvoir dire avec autant de raiſon que faint Paul, qu'il ne vivoir
Ad Gal 31 : * · Plus, mais que Jesus-Chr 1st vivoit en luy. Quelques-unsont voulu dire qu'il
y avoit même puiſé la vie du corps , & que c'est pour cela qu'il eſt réſervé en
vie juſqu'à la fin des ſiécles, afin de foûtenir & de défendre l'Egliſe dans fes.
derniers combats ; c'est ce que les autres Apôtres ſe perſuaderent d'abord ;
7-an. 21. Exiit fermo inter fratres quia diſcipulus ille non moritur. D'autres ont crû avec au
tant de probabilité, qu'étant mort felon la loy commune à tous les hommes, il
eſt refluſcité par un privilege particulier. Et faint Augustin rapporte qu'il entra.
tout vivant dans le tombeau, pour y attendre la mort qu'il ſentoit approcher,
& qui fut enfin cauſee par un violent effort de la charité ; mais que quelques.
jours après ſon corps ne s'y trouva plus, comme s'il avoit puiſé une fource
de vie du coeur de fon Maître, fur lequel il avoit repoſé ; ou bien comme fi:
le Sauveur étant dans le fejour de fa gloire, n'eût pû demeurer plus long
temps ſéparé de ce cher Diſciple, fans l'avoir pour compagnon de fon bon
heur cn corps & en ame , par une faveur qu'il n'a peut-être jamais accordée,
qu'à la Mere & à ce grand Saint. Mais pour laiffer ce qui eſt incertain, c'eſt
aflez qu'il ait puiſé dans ce cæur une vie ſainte & morale par une confor
mité de ſentimens, comme s'il n'eut cât eû point d'autres que ceux du coeur
du Sauveur.
t, mind , Si vous, me demandez d'où pouvoit venir cet amour fi tendre & fi ar
pale cauſe dent du Fils de Dieu envers faint Jean ; je vous diray que les autres Apô
du grand tres ne s'étant donnez à luy que dans un âge déja avancé, celui-cy l'a fait
am dans la fleur de ſes prémiércs années ; & ainſi il n'y a rien de plus capable
de gagner le coeur de Dieu , que de fe donner à luy, fitôt qu'on l'a connû ; les
ja reſtes d'un autre ne luy font jamais fi agréables, & c'eſt beaucoup que Dieu
étoit fon in- ne nous rebute point, après avoir été peut-être fi long-temps au fervice de
nocence 2 & fon ennemi. Que ſi nous ne pouvons imiter en ce point ce grand Saint , qui,
! porta au fervice du Sauveur ſon innocence, un grand fond de piété & d’a
i d bon- mour pour la perfećtion Evangelique, la pureté de fon corps & de ſon ame,
ne heure à un naturel fuſceptible de toutes les impreſſions de la vertu , & fur tout, un
ſon ſervice coeur capable des plus grands fentimens d'amour , & de reconnoiſſance en
vers cet Homme-Dieu, qui en avoit uſé d'une maniére fi obligeante à fon
égard. Si nous avons déja trop fervi un autre maître pour tenir un rang fi
conſidérable dans l'amitié du Sauveur, ce qui nous reſte eſt du moins de
nous y conſacrer le plutôt que nous pourrons. L'Auteur des Serm. fur tour
les fujets. - -
La fidélité . Une autre raiſon de cet amour fi particulier du Fils de Dieu envers ce Diſci
de ce Diſci- ple , eſt qu’il a été de fon côté le plus fidele de tous , comme nous avons vû ;
ple · * * . mais nous, combien d'infidélitez commettons-nous tous les jours à fon fervi
ferveur conf, ce : |- J A -l-
- 2 A 11 i » A
nom du Seigneur , parce que cet exorciste ne s'étoit pas mis au nombre des de l'amour.
Diſciples. Mais au lieu d étre repris de cette faute, qui n'avoit point d'autre
fource que le zele & l'amour, le Seigneur l'instruifit qu'il ne faut pas em
pêcher les foibles de faire le peu de bien dont ils font capables, fous pretextes
qu’ils ne font pas tout le bien dont ils font capables. Auteur moderne.
C'eſt une erreur dont il faut fe guérir , de croire que les Saints ont été im- Les fautes
peccables, & d'être ſcandaliſez de leurs imperfećtions. L'impeccabilité est le des saints
grand privilege de J e su s C H R 1 s t , & les imperfećtions des Saints rele tourns" à la
vent leur vertu comme les ombres relevent les peintures. Si donc l’on a vů dans gloire :',
faint Jean un zele peu reglé, lorſqu'il demanda que le feu du ciel devore les
Samaritains qui avoient refuſé de le recevoir avec l'autre Diſciple : s'il fit pa- 11 grace.
roître de l'orgueil en demandant d'être aſſis à la droite de Jesus-CHRIsr ;
c'eſt que le Saint-Eſprit n'avoit pas encore purifié ce Saint de tout ce qu'il y
avoit de terreſtre en lui : & c'eſt ce qui nous apprend , Seigneur, qu’il n'y a
rien de bon dans l'homme, que par vôtre grace ; Sine tuo numine nihil est in ho
mine , nihil est innoxium. Le même.
A Qui eſt-ce qui n'eſt pas attendri juſqu'aux larmes en voyant faint Jean , zele de faint:
âgé
dans de
le plus
fond ded’une
quatre-vingt-dix ans,unprendre
forêt, chercher un cheval
jeune homme qui &
de un guide de
ferviteur pourDieu
aller, "lean pour
feule
étoit devenu le chef d'une troupe de voleurs. Ni ſon grand âge, ni la difficulté
des chemins inconnus, ni l'incertitude du ſuccès, ne peuvent retenir fa ferveur. **
Le faint vieillard ſe fait prendre par les voleurs, il fe fait conduire à leur chef
qui prend la fuite. Qui eſt-ce qui n'est pas attendri, quand l'on entend ce Saint
vieillard qui s'écrie : Mon fils, pourquoi me fuyez-vous ? pourquoy fuyez-vous
vôtre pere ? & un homme de fi grand âge , & fans armes : Mon fils ayez pitié
de vous, ne craignez point, il y a encore eſpérance pour vôtre falut ; je ré- Fuai. l. 3°
ondrai pour vous à J e su s C H R i s T : je donnerai mon ame pour “*”
vôtre ; croyez-moy , c'eſt J E s u s-C H R 1 s T qui m’a envoyé à vous.
voyez-vous comme tout cede à un zele enflammé ? faint Jean avoir ap
pris de J es u s-C H R i s T à chercher la brebis égarée , & à la rame
ner dans le bercail, en la portant fur fes epaules. Ce chef de voleurs s'arrête tout
effrayé, jette ſes armes » pleure amcrement , s'approche du hi; vieillard , &
i 11]
174 PoUR LE PANEG. DE S. JEAN L'EVANGELISTE.
l'embraffe , pouffe des foûpirs, forme un ſecond baptême par fes larmes, cache
fa main droite, comme foüillée par tant de meurtres, & le faint Apôtre ſe met
à genoux devant ce pénitent, pour lui inſpirer davantage des fentimens de com
ponćtion, & par une condeſcendance qu’on ne peut affez admirer, il lui prend
la main droite qu'il cachoit, & la baiſa, comme ayant été purifiée par les lar
mes de la pénitence. Il ſe mortifia avec lui par des jeûnes continúels, il adoucit
fon coeur par les paroles de l'Ecriture , comme par un faint enchantement, &
ne ſe ſépara point de lui, qu'il ne l'eût reconcilié à l'Egliſe. Grand modele pour
les Paſteurs, qui ne doivent jamais abandonner les brebis les plus deſeſperées ;
mais redoubler leur charité envers elles, à proportion qu'elles font plus malades.
Auteur moderne.
I 75
P O U R
LE P A N E G Y R I QUE
S A I N T S I N N O C E N S.
A V E R T I S S E M E N T.
I Lpuiſque
y a lieu de douter fi ceſujet doit être mis au rang des panégyriques;
le martyre de ces Saints Innocens, quoy que reconnu par l'E
glife , a été de leur part, fans liberté, & par confequent fans merite,
qui doit être le fondement d'un éloge véritable. Sans nous arréter aux
raiſons que quelques-uns oppoſent pour ravir à ces enfans la gloire du
martyre, nous tácherons de recueillir ce que les Peres, les Autheurs ca
tholiques nous ont laiße für cela ; c'est-à-dire , fur la cruauté d'Hérode,
c fur les vúës que le fouverain Maître de nos vies a eu de permettre
cet horrible maffaire, foit pour publier & faire connoître par ce moyen la
naiffance du Sauveur des hommes, foit pour jetter les prémiers fonde
mens de fon Eglife , qui ne devoit s’accroître que par les perfếcutions ;
foit enfin pour le bonheur de ces enfans mêmes, qui n'en pouvoient eſpe
rer un plus grand, que de mourir pour leur Sauveur, ó de luy fauver
la vie par leur mort. Ce qui fait que faint Augustin ở quelques autres
Peres, les appellent, les prémieres victimes ofertes au Fils de Dieu naif.
Jant, & qui ont porté la nouvelle de fa naiſſancepar tout le monde.
176
- P A RAGRA P H E P R E M I E R.
P A R A G R A P H E P R E M I E R. 177
verité de ſes oracles: Car comment, difent-ils, celuy qui annonce la paix
aux hommes de bonne volonté, & qui choifit même le temps que le monde
joüit d'une paix profonde , afin de naître ſur la terre, commence-t-il par dé
clarer la guerre , & une guerre fi fanglante, qu'on ne pardonne pas même
à l'âge le plus tendre & le plus innocent ? Pourquoy celuy qui vient pour
donner la vie au monde , permet-il qu'on la raviste à une multitude d'enfans,
qui ne meurent que parce qu'on cherche à lui donner la mort à luy-même ?
En un mot , pourquoy mêler la tristeſſe avec la joye, les larmes & les gémiſ.
femens avec les cris d'allegreffe, & le fang & le carnage avec la nouvelle
d’une paix éternelle, attenduë depuis fi long-temps ? Nato Domino , evan- serm de ss.
gelifatur gaudium
audio , dit ſaint magnum
Bernard.univerſo mundo
Que veut : & dire
donc tamen
ce lachrymas
procedé ſi video, ploratů,
ſurprenant ? & f4f ******
•
comment accorder les promeſſes avec les effets de ce Dieu naiſſant, qui vient
donner la joye , la vie & la paix à tout le monde ? Pour vous développer CC
myſtére, je ne m'arrêterai point à chercher les raiſons qu'a eu le Sauveur des
hommes, de permettre que la jɔye de fa naiſſance fût troublée par un fi hor
rible ſpectacle. Je dirai ſeulement, que c'eſt à lui ſeul qu'on en vouloit, &
que ne pouvant le distinguer des autres enfans, on a tâché de l'envelopper
dans le maſſacre commun de tous ceux qui étoient nez environ ce temps-là;
qu'étant enfin venu pour fauver les hommes par l'éfufion de ſon Sang, il
n’a pas plûtôt paru ſur la terre, qu'il y a été perſécuté ; pour leur apprendre
que comme c'eſt par là qu'il leur a procuré un éternel bonheur, jamais ils ne
feront plus heureux que quand ils ſouffriront les plus cruelles perſécutions
pour ſon amour. Ainſi, comme c'eſt par le maſſacre inhumain de ces faints
Innocens qu'a commencé la prémiere perſécution contre Jesus-CHRısr, je
vous veux faire voir ,
1º. Que c'est la fource du bonheur de ces Enfans d'avoir les prémiers fouf
fert la mort pour leur Sauveur, avant même que de le pouvoir connoître.
zº. Quelle gloire ces Innocens perſécutez & mis à mort, ont rendu à cet
homme-Dieu, par le martyre avancé, & d'une eſpece toute particuliere, qu'ils
ont ſouffertà fon òccaſion. Ce fera le partage de ce diſcours, où j’ay dellein
de conſoler les gens de bien, qui ſouffrent perſécution de la part des impies,
Par ces deux conſidérations puiſſantes ; la prémiere, du témoignage que Dieu
leur donne par là de fon amour ; & la feconde, de la gloire qu'ils rendent à
Dieu, en fouffrant les plas rudes perſécutions pour la juſtice, & pour foûtenir
fes interêts.
I L est impoſſible que l'innocence foit ſéparée du martyre ; car rien de I II.
foüillé n'entrant dans le Royaume des cieux, il faut , ou comme les faints In- -
nocens, être baptizé dans fon fang, ou, comme les pénitens, être baptizé
dans les larmes , qui réparent l'innocence. Nous voyons donc dans les faints
Innocens d'aujourd'hui ,
1 ". L'innocence jointe avec le martyre.
2°. Qu'on ne peut recouvrir l'innocence , que par la voye du
martyre.
O n peut confidérer aujourd'hui que du berceau de Jesus-CHR 1sr , il en I V.
fort trois graces comme d'une fource féconde.
1º. J - s u s-C H R i s T enfant fait des faints Innocens, des Martyrs fans
Paneg. des Saints. Tome I. Z
178 poUR LE PANEGYRIQUE DES SS. INNOCENS.
volonté, fans liberté , & fans merites.
zº. Il en fait des vainqueurs, fans combat , & fans réſistance.
3°. Il en fait des témoins, fans voix, & ſans paroles.
D 1 e u renverſe les delleins des hommes en les faiſant ſervir à ſes deſfeins ;
Cat T :
1º. Herode ſauve par fa cruauté tous ceux qu'il fait mourir.
zº. Celui qu'il veut faire mourir lui échappe , malgré toutes fes précau
tions ; parce que Dieu exécute ſes volontez avec un empire mêlé de force, &
V I.
de douceur, que nulle violence n’est capable d'arrêter.
L e meurtre des faints Innocens n’etant pas arrivé fans la permiſſion de Dieu,
qui a toûjours de tres-juſtes raiſons de tout ce qu'il permet ; il femble
qu'il ait eu celles - cy en ce jour auquel il a permis le martyre de ces En
fans.
1º. Pour manifester à tout le monde la naiſſance de fon Fils , qui
fût connuë , quand on entendit , que cette cruauté étoit arrivée à fon
occaſion. -
zº. Pour le bien de ces faints Enfans, qui mourant ponr Jesus-CHRIsr,
fe trouverent en pleine poſſeſſion d'une vie immortel e , avant que d'a
voir reſſenti les miſéres de la vie préſente , & qui par l'effuſion de leur
fang , loüérent J e su s - C H R i s T , qu'ils ne pouvoient loüer de
bouche.
3°. Pour la gloire de l'Egliſe Catholique , qui parmi une infinité de
Martyrs , qui lui fervent d'ornement , a auſſi une multitude d'enfans
qui ont vaincu Sathan , avant que d'avoir les mains affez fortes pour le
combattre.
W I I. O N peut diviſer ce diſcours en deux parties: la prémiere, est de montrer le
bonheur que Dieu a menagé à ces faints Innocens, en permettant qu'ils ayent
été mis à mort par la cruauté d'Herode. La ſeconde, eſt de faire voir la gloire
que ces mêmes Innocens ont rendu à Dieu par leur mort., -
Dans la prémiere partie ; 1°. Ils ont été délivrez des miſeres de cette
vie , & particulierement du danger de fe perdre dans le monde, où ſans doute
ils euffent couru riſque de leur falut. zº. Il leur a procuré la gloire du
martyre qui est le plus grand bien , & la plus grande faveur qu'il eût pû leur
faire, s'ils euffent plus long-temps vécu. 3°. Il leur a donné une vie immor
telle pour une vie de peu de durée, qu'ils euffent peut-être paſſée dans.
la diſgrace de Dieu.
Dans la ſeconde. La gloire qu'ils ont renduë à Dieu par leur mort, c'est ;
1º. Qu'ils ont été les prémieres vićtimes immolées à la grandenr d'un Dieu
naiſſant. 2º. Ils ont rendu témoignage à fa grandeur par le martyre qu'ils ont
fouffert. 3°. Ils ont été les herauts du Fils de Dieu, puiſqu'ils ont publié ſa
naiſſance , &c.
179
*
P A R A G R A P H E S E C O N D.
Les fources où l’on peut trouver dequoy remplir ces deffeins, ó les
Auteurs qui en traitcnt.
Séloquemment
Augustin, dans le Sermon qu'il a fait ſur ce ſujet ,
le triste ſpećtacle du maſſacre des Innocens.
dépeint les faints
Peres , &
Le même, au ſecond Sermon, parle de la cruauté d'Hérode, & s'étend fur
le bonheur de ces faints Innocens, d'avoir été mis à mort pour J e s u s-
C H R 1 s r. 0
Origene, dans une homelie, dépeint la fureur, & les crimes d'Hérode, dans
cette aćtion. - -
Les prédi- Molinier , dans le tome premier des Sermons ſur les fêtes des Saints.
cateurs
dcinks-
mo- Monſieur
Le Biroat,dans
Pere Senault, dansle leprémier
tome prémfer
tome dedes
fesPanegyrihues
Panegyriques.des Saints.
L'Auteur des Sermons fur tous les ſujets, &c. dans le premier tome des Pa
negyriques des Saints. -
-
Monſieur Lambert , dans les homelies ſur les fêtes de l'année , tome
cinquiéme. - -
Ceux qui Mathias Faber dans le tome des Sermons ſur les fêtes de l'année.
ºn
recueils fur " Les Interpretes qui ont écrit ſur l'Evangile de faint Mathicu, & entre autres
* -
ce ſujet. Sylveira.
Avocat muet plaida la cauſe du mort avec tant d'éloquence , qu'il obtint de d'Abel, de
fon Juge la condamnation du parricide Caïn : Vox fanguinis fratris tui Abel mande ven
clamat ad me de terrà. David confeffe dans fa pénitence que rien n'avoit tant g ; &
agité ſa conſcience, que la voix du fang d'Urie qu'il avoit fi injuſtement que la voix
* / * - *- - - »» * -
.
-
fait répandre ; elle reveilloit ce Prince toutes les nuits ; elle lui reprochoit fon juſqu'au
crime dans ſon lit, & ſur ſon trône ; & ne trouvant point d'afile dans ſon état cieľ.
où il pût être en fureté, il étoit contraint de recourir à Dieu pour être délivré Gen. c. 4
d'un ennemi importun, auquel il ne pouvoit impoſer filence ; Libera me de pf.t. s.
fanguinibus, Deus, Deus falutis mee. On ne peut auſſi douter que le cruel Hé
rode, après avoir contenté fon ambition, par une execution fi fanglante, ne
fût agité à tous momens des terribles remords de ce témoin intérieur de la con
fcience , qui n'accorde jamais de tréve ni de paix aux ames toutes devoüées à
leurs paſſions brutales. La voix du fang de ces Innocens d'un autre côté eſt
montée au ciel, & est une confeſſion de la Divinité du Sauveur, pour lequel,
& en la Place duquel leur fang eſt répandu, parce que Dieu écoute la voix des
affligez qui ſouffrent injuſtement ; & encore plus de ceux qui ſouffrent pour
l'amour de luy , & pour foûtenir ſes interêts. *
couvrent de tout leur corps, & fauvent celuy qui doit fauver tous les hom
mes ; Car comme dit Saint Cyprien , ils tiennent la place de Jesus-Christ :
Pice Christi , & pro Christo détruncantur. Ils font donc plus véritablement Mar
tyrs que les autres ; puiſque leur mort conſerve la vie à leur Souverain, &
ue la perſecution & la mort qu'ils ſouffrent favoriſe fa retraite en Egypte.
- 4 / - * ,
Dans le meurtre des Saints Innocens, ce que le Prophere J remic avoir Pré- comme la
- 11)
182 POUR LE PANEGYRIQUE DES SS. INNOCENS.
;"º" ºr dit fut accompli: On a entendu un grand bruit dans Rama : on y a oiii des plain
: tes & des cris ; Rachel pleurant fes enfans , & ne voulant point recevoir de conſola
tion , parce qu'ils ne font plus. Le Prophete parle là de la captivité de Babylone.
f prophetic Son prémier fens eſt que les cris de Bethleem bourgade de la Tribu de Juda,
de Jérémie. qui pleuroit la perte de ſes enfans, ont été entendus juſques dans Rama ville
de la Tribu de Benjamin. Le Prophete ſe fert du nom de Rachel , pour défi
gner la ville de Bethléem, parce que Rachel femme de Jacob , & mere de Jo
ſeph & de Benjamin, avoit été enſevelie près de Bethléem. Dieu, en inſpirant
les Prophetes, & en leur faiſant d'écrire ce qui arrivoit au peuple Juif, avoit
articulierement en vůë de révéler aux hom nes ce qui regardoit le Libérateur
qui leur étoit promis. Ainſi les paroles de Jérémie s'entendent dans leur vrai
fens , du meurtre de Bethléem, & elles ont été véritablement accomplies par
le meurtre de ces Saints Enfans. Rachel , c'eſt-à-dite, Bethléem a pleuré fes en
fans. Des cris , dont une douleur fi vive étoit le principe , fe font fait enten
dre juſques dans les lieux reculez.
Comparai- , La fureur de Pharaon n'est pas comparable à celle d'Hérode. Ce prémier per
fécuteur du peuple de Dieu fait étouffer les enfans des Hébreux pour dimi
I2OI), nuer le peuple d'Iſraël , en diminuant le nombre de fes enfans : mais fes
deſfeins tournent contre lui. Il veut envelopper dans la foule celuy que la
destine pour affranchir Iſraël, & pour être le Dieu de Pharaon ; &
a ſageſſe de Dieu tourne tellement toutes choſes , que ce tyran honore de fa
protećtion, nourrit dans ſon palais ſous le titre de fils adoptif , celuy qui de
voit le faire trembler & le frapper de tant de playes. Le cruel Hérode porte
fon deſfein ambitieux non fur Moyſe chef du peuple d'Iſraël, mais fur Jesus
CHR i sr, dont Moyſe n'étoit que la figure ; dans le même carnage il veut
envelopper & le Sauveur d'Iſraël , & une partie de ce peuple dont Jesus
CHR. 1 sr est le Libérateur. Mais les deſfeins de Pharaon, & ceux d’Hérode font
confondus par la puiſſance de celui qui rend vains tous les efforts des Rois,
qui s'oppoſent à l'execution de fes volontez par des tours de fineſſes fembla
bles à celles de Pharaon & d'Hérode.
Quelques Abimelech, fils illégitine de Gédeon, qui avoit ſeptante autres fils légiti
de mes, pouffé d'une ambition démeſurée de en poffeſſion de la Princi
e, pauté de la ville de Sichem, égorgea tous ſes foixante & dix freres , & par
à celles une cruauté fi infigne ſe faifit de cette Principauté. S'il nous étoit permis de
d'Hérode. tirer ici des hiſtoires prophanes des exemples de cette furieuſe paffion de
dominer , nous en pourrions rapporter par milliers, dans leſquels nous pour
rions voir comme à l'oeil, des effets fi terribles, que nous ne ferions point
furpris juſques à quel excès de fureur s'abandonne aujourd'hui l'impie Herode.
Sylla qui fut un des prémiers qui affećta la domination dans la République Ro
maine en est un exemple funeſte , puiſqu'il fit maſſacrer quatre Legions entieręs,
même après leur avoir donné fa foy du contraire. Les cruautez de Marius, & du
- Triumvirat d'Auguste, de Marc-Antoine, & de Lepidus font connuës de tout
l’univers. nous arrêter à tous ces excès de fureur , que l'ambition
inſpire à ceux qui font poffedez de cette paffion brutale de dominer, il nous
fuffit de faire attention à celle du cruel Herode, dont nôtre Evangile fait men
tion , qui par une défiance mal fondée a déchargé ſa colere , non ſur des
. , P A R A G R A P HE T R O I SI E M E. 18;
hommes, de la force deſquels il eût eu quelque choſe à craindre, mais de
petits enfans encore au berceau, dont la foibleſſe , & l'enfance ne pouvoit
lui nuire en aucune maniere ; ce qui impoſe un plus grand crime à ſa bruta
lité, & lui ôtant tout prétexte , met en ſon plus grand jour juſqu'à quel
point de rage le brutal aveuglement de cette pastion peut emporter un
tyran.
C'est dans tous les temps que nous voyons les impies perſécuter les Justes ; . Exemples
Caïn ne conçût-il pas de la haine contre l'innocent Abel ? il en vint à cet excès de pluſieurs
de lui ôter la vie. Eſaü ne declara-t-il pas une guerre ouverte à Jacob, que
- - - - - cs
es rares qualitez rendoient cher à ſa mere; y a-t-il jamais ců un Prophete .
qui n'ait fouffert perſecution ? Quem Prophetarum non funt perſecuti patres cen.
vestri ? Or fi dans la Loy de nature, & dans la Loy écrite, la vertu, la ſain- Aã. 7.
teré, l'innocence ont été en buite aux plus fanglantes perſecutions : faut-il
être ſurpris de voir l'impie Hérode perſécuter les faints Innocens ? n'est-ce pas
un oracle qui s'accomplira juſqu'à la fin des fiécles, que ceux qui veulent vi
vre avec pieté en Jesus-CHRısr, ſouffriront perſécution : Qui volunt piè vivere
in Christo Jefu , perſecutionem patientur.
La premiere bête qui parut à faint Jean , dans ſa viſion étoit la figure des Herode,
grands perſécuteurs. Herode y eſt figuré, puiſqu'il eſt le prémier perſécuteur
de l'Eglife naiſſante ; il porte le ravage par tout Bethléem, & aux environs; f -
il est le prémier tyran qui a fait des Martyrs, perſécutant le Chef qu'il con- fe qui
traint de chercher un afile en Egypte contre fa fureur, & perſecutant les mem- vage la ter
bres de J E s u s-C H R i s T en la perſonne des faints Innocens. Mais com- ***
me le fort de la bête fût de ravager la terre un temps, & un temps,
c'eſt - à - dire, un intervale limité par la toute-puiſſance : Hérode n'eût
dans fa fureur qu'un cours borné, & il paya bien - tôt par un châtiment
exemplaire les peines dúës à ſes crimes ; au lieu que les faints Innocens
qui fouffrirent fa perſécution , poſledent un Royaume qui n'aura jamais
-de fin.
tréeLorſque l'Arche-d'alliance
de Bethléem, de grande
il y eût une l'Ancienquantité
Testament fit ſon entrée
de vićtimes dans: &
immolées la lorſ-
con- Les
: viai
1IntInO
Hi empti funt ex hominibus, primitie Deo, & Agno. Apoc. 14. Ils ont été Ces Inno
achetez d'entre les hommes , pour être les prémices offertes à Dieu, & à 4.
l'Agneau. Dieu fe conſacre les Elûs pour lui être offerts comme des prémices. as
Jesus-CHR ist a payé pour les avoir ; c'eſt le prix de fon Sang; ils ne font Elùs, & les
donc plus à eux : Empti enim estis pretio magno, jam non estis vestri. Ils ſont ? "
conſacrez pour fervir de vićtimes à l'Autel, & y être offerts à Dieu comme des
holocauſtes, ne vivant, & ne mourant que pour lui. Où trouver plus litérale- pour ce
.
ment ces véritez exprimées, que dans les faints Innocens ? Ils font offerts , & Dieu naiſ
conſommez ; la derniere afperfion de ces heureuſes vićtimes a été la prémiere; (ant.
leur courſe a été remplie en un instant. Tout l'uſage qu'ils ont fait des pre
miers inſtans de leur vie , ç’a été de la conſacrer fans ſe racheter, comme les *
premiers nez d'Iſraël étoient rachetez; Sanctifica mihi omne primogenitum. Ils ſe
font rachetez en ne fe rachetant point, pour ainſi dire, & en ne ſubstituant
point une offrande
Lavarunt étrangere
stolas fuas en leur
in fanguine place.Apoc. 14. Ils ont lavé leurs habits
Agni. -
de
dans leſang de l'Agneau. Lavez nous dans vổtre fang, ô Agneau égorgé pour e
le falut des hommes ! comme vous y avez lavez les faints Innocens ; enlevez- lavez dans
nous du monde, comme vous les en avez enlevez avant qu'ils ſe fullent foüil- le ſang du
lez. Si nous ne pouvons pas mourir comme eux pour vous fauver la vie, faites- A
: »
qu'à nous, en nous accordant la grace de mener une vie conforme à la vôtre, º.
& de mourir pour vous. :
Sinedemaculà
dance enim funt.
bénédićtions Apoc. 14.pasIlsprévenus
n'avez-vous font fanscestache. De Enfans
heureux quelle ,abon
Sei- mcme lujcr.
# , qui n'ont jamais commis le mal, qui ont trouvé dans la mort qu'ils ont
ouffert pour vous, une vie éternelle. Vous avez tout fait pour eux, Seigneur,
faites donc auſſi tout en nous. Faites tomber Satan fous nos pieds , afin que
nous paſions cette vie fans tache ; faites que nous ne connoiſſions jamais le
mal, ou fi nous le connoiſſons, faites que ce foit en nous inſpirant une
fainte horreur. Ces faints
Hofliam & oblationem noluisti: tunc dixi ecce venio. Ad Hebr. 1o. Entrant dans Innocens
le monde vous vous êtes offert à vôtre Pere, en lui diſant :les holocaustes vous ºnt imité
ont été déſagréables, je viens, Seigneur, me ſubstituer en leur place. Qui eſt- :
ce, Sauveur, qui vous a imité de plus près que ces petites victimes ? En en- ve
trant dans le monde, l'Egliſe vous a dit pour eux : nous voilà, nous venons au monde
rendre hommage à vôtre Souveraineré par la deſtrućtion de nôtre être ; nous comme
venons Paneg.
de le recevoir de vous,
des Saints. Tome le1. prémier uſage que nous en Avoulons
a faire. * T -
186 POUR LE PANEGYRIQUE DES SS. INNOCENS.
c'est d’en perdre tout uſage , & de nous anéantir devant vous, comme des ho
locaustes. Loin de nous toute vićtime étrangere qui pourroit être ſubſtituée en,
nôtre place, afin de nous racheter ; c'eſt être rache tez que de fe perdre pour
| Mnt th. 1o. vous ; Qui perdiderit animam ſuam propter me , inveniet eam.
|- * - + • , s- *
: . Ex ore infantium & latientium perfecisti laudem, &c. Pſal. 8. Tout concourt,
co t à Seigneur, à manifeſter la naiflance du Meffe ; les Anges la publient & la
publier la , célebrent par des cantiques qui ſe répandent par toute la Judée ; les Pasteurs
naidance dº en font le fujct de leurs entretiens, allant, & retournant d'adorer l'Enfant
i. qui est né pour le ſalut des hommes ; les Mages en répandent la nouvelle
iiérement dans tous les pays où ils paſſent ; tous deviennent vos Apôtres. Les Saints In
les faints nocens deviennent außi les témoins de l'avénement de vôtre Fils : leur ſan
lunoº *n° répandu est une voix puiſſante, qui annonce à toute la terre que le Roy des
Juifs est né. C’est ô mon Dieu ! que vous rendez vos loüanges parfaites
dans la bouche même des enfans ; de ces bouches muettes vous en faites au
tant de Prédicateurs , qui publient par tout la vérité de vos oracles, non
par des difccus éloquens, mais par un filence qui continuë encore de fe fai
re entendre juſqu'aux extrémitez de l'univers. Deus cujus praconium Innocentes
kn ; - Martyres non loquendo fed moriendo confeffi funt.
! * Deus cujus praconium Innocentes. Mar. &c. Cette forte de confeſſion n'est pas
i fion tout-à fait muette, puiſque, felon le langage de l'Ecriture, le fang & les larmes
de foy que parlent ; car bien que celles-ci coulent fans bruit ſur le viſage qu'elles arroſent »
frent ces elles frappent les oreilles auſſi bien que les yeux ; & David ne demandoit pas
“ feulement à Dieu qu'il regardâr, mais qu'il écoutât fes larmes : Auribus percipe
ar lachrymas meas. Austi ſaint Ambroiſe a-t'il remarqué que quand le Prince des
J : s u s- Apôtres eût renié ſon Maître , il aima mieux pleurer ſon peché que de l'excu
C H R 1 ° T, fer, ou de le défendre : Maluit cauſam flere , quàm dicere, & quod voce negaverat,
lachrymis confieri. Et fes larmes en cette rencontre , le firent bien mieux écou
le ter , que n'euſſent fait ſes paroles. Comme le ſang eſt encore plus conſidérable
fut au con- que les larines , il parle auſli avec plus de véhémence ; & la voix qu'il forme ».
rite fort produit des effets bien plus étranges. Il monte juſqu'au trône de Dieu, deman
de justice du meurtrier qui l'a répandu, & ne celle point de crier, que le cri
sim: is. minel ne ſoit puni , & que l'innocent ne ſoit vangé. Le ſang d'Abel obligea Dieu
de deſcendre de ſon trône, & cet avocat müet plaida la cauſe du mort avec
tant d'éloquence, qu'il obtint de fon Juge la condamnarion du fratricide Caïn ;
Geneſ, 4, Vox fanguinis fratris tui Abel clamat ad me de terrà. Pourquoi ne croirons-nous
pas que les Innocens ayent confeilė Jesus-CHR i sr , puiſqu'en leurs martyres
ils ont verſé tant de larmes, & répandu tant de ſang? N’ont-ils pas aſſez parlé
par leurs yeux ? ne ſe font-ils pas bien expliquez par leurs playes f & ces bou
ches ſanglantes n'ont-elles pas mieux fait cntcndre leurs intentions, que n'euf
fent fait leurs paroles ? -
Deus cujus praconium Innocentes Martyres non loquendo, ſed moriendo confeff; Comme ces
Innocens ,
funt , dit l'Egliſe, dans l'oraiſon de ce jour , qui leur attribué d'avoir, entre felon le lan
tous les Saints, publié les loüanges de Dieu, & confeſſe fon nom, non en par gage de l'E
lant, mais en mourant ; non par leur langue, mais par leur fang répandu pour glite , ont
fa gloire ; qui a fait entendre, non comme celui d'Abel, une voix de plainte, conf nom du
ſlé le
mais une voix de confeſſion ; d'où nous pouvons inférer que tous les fidéles Seigneur ,
font obligez de confeſſer leur foy, non-feulement par la langue , mais auſſi par Par la voix
les oeuvres, & d'ajoûter à la confeſſion de la parole , celle de la vie ; la prémiére de leur (ang.
érant vaine fi elle n’est foûtenuë de l'autre : Car ceux qui ſe contentent de con
felfer Dieu ſeulement fe bouche, & qui par des aćtions contraires, le nient, Ad Roman.
donnent ſujet aux infideles de blaſphêmer fon faint Nom : Propter vos nomen Dei 2«
blaſphematur inter Gentes. Ce qui montre évidemment que leur confcffion des
honnore leur Religion , & Dieu même qui en eſt l'auteur, & que bien loin de
fervir à leur falut, elle ne fert qu'à leur condamnation. La confeſſion de Dieu,
& l'offenſe de Dieu ne peuvent s'accorder enſemble , fuivant ce que dit le Pro
here David: Linguâ ſua mentiti funt ei : cor autem eorum non erat retium coram Pſalm. 77.
eo : nec fideles habiti funt in testamento ejus.
Les Mages ont-ils publié la naiſſance de Jesus CHRist avec plus de fuccès, Les SS. In
& en plus de contrées, que les SS. Innocens ? Ces fages ne parlent de l'étoille noccins ont
publié la
miraculeuſe qu'à Jéruſalem, lorſqu'elle diſparut à leurs yeux : Pendant la route naiſſance de
ils n’étoient pas dans la néceſſité de s'enquérir de la naiſſance de ce Roy nouveau, J E s u s
né, puiſqu'elle les accompagnoit par tout. Il est vrai qu'ils retournerent en C H R 1 s r
leur pays, où fans doute ils devinrent les Prédicateurs de l'enfant qu'ils avoient avec ſuccès
par leur
adoré ; mais le martyre de ces ſaints Enfans éleve ſa voix plus Puiflamment en fang, comme
faveur de Jesus. Christ. Il n'y a point de doute à oppoſer fur ce fait, au licu les Mages
que l'on pourroit conteſter la vérité de l'étoile. Le fait de ce meurtre frappe par leurs
tellement l'eſprit par ſa cruauté , que l'on eſt porté naturellement à en fçavoir Parolcs- :
toutes les circonſtances, & que par ces degrez on est conduit à une connoiſſan
ce certaine du Meſſic. On y voit des Mages venus d'Orient pour adorer un
Aa ii
188 poUR LE PANEGYRIQUE DES SS. INNOCENS.
nouveau Roi des Juifs ; l'on voit le trouble du tyran uſurpateur de la qualité
de Roi des Juifs ; l'on remarque l'oracle qu'il va conſulter , & qui annonce
Jesus-Christ nouveau né , & le Meſfie attendu depuis ſi long temps des Juifs;
& par là toute la terre a été conduite comme par la main à la connoistance du.
Meſſie pour l'amour duquel il fût répandu tant de fang dans Bethléem, & aux
environs,
P A R A G R A P H E QUA T R I E M E. 189
vacrum anima eficax. Idem ferm. de Ma de vertu pour laver de ſes foüilleures , que
gis & Innoc. celuy de l'eau. -
Lacrymis fuis matres, & filii fuo fanguine Les meres par leurs larmes, & les Enfans dans
bapti (antur. S. Chryſol. ferm. 15 z. leur fang, furent alors baptiſez.
Quos Deus fecit capere pro concertatione Ces Innocens par une faveur ſpéciale de Dieu,
victoriam , quos donavit coronis. antequam font ceux pour qui le combat fut une vićtoire,
membris. Idem Ibidem. & qui furent couronnez avant que d'avoir un
corps & des membres.
verè , isti funt gratia Martyres , con Véritablement ce ſont icy les Martyrs de la
fitentur tacentes , neſcientes pugnant, vin grace, qui confeffent fans parler, qui meurent,
cunt infcii , moriuntur inconfcii, ignori ra qui vainquent , qui triomphent fans le connoître
piunt palmas, coronas rapiunt ignorentes. ni le vouloir.
Idem Ibidem.
Salvete flores Martyrum, quos lucis ipſo Je vous faluë fleurs des Martyrs, qui à vôtre
in limine , ceu turbo nafcentes rofas Christi prémiére entrée dans ce monde , avez été ravis
infecutor fustulit. Prudentius Poëta in par le perſécuteur.
Hymn. *
Habemus in fanáo Stephano Martyrii Nous avons dans l'exemple de faint Etienne le
fimul opus & voluntatem ; habemus folam Martyre d'effet & de volonté ; dans ſaint Jean le
voluntatem in Beato foanne, folum in beatis Martyre de la ſeule volonté, & dans les SS, inno
Innocentibus opus. S. Bernardus ferm, de cens, l'effet feul fans volonté.
Innocent.
Nato Domino , evangelifatur gaudium A la naiſſance du Seigneur on annonce un
magnum univerfo mundo , Ó" tamen lacry grand ſujet de joye par tout le monde , & néan
mas video, ploratus audio. Idem Ibidem. moins je vois verfer des lames , & j'enrends des
cris, & des gémiſſemens.
Si quaris innocentium merita, ut corona Si vous demandez par quelles aćtions ces SS.
rentur, quare & apud Heredem crimina Innocens ont mérité d'être couronnez, demandez
ut trucidarentur ! an minor Christi pietas à Hérode pour quels crimes ils ont été mis à
quam heredis impietas, ut ille quidem po mort ; la piété de J. E s u s Sauveur, aura-t-elle
tuerit innoxios neci dare, Christus non po moins de pouvoir que l'impiété du cruel Herode ,
tuerit propter fe occifos coronare. Idem. Ibid. pour que celuy-cy air pû ôter la vie à ces Inno
cens, & que Jesus-CHR1sr n'ait pû couronner
ceux qui font morts pour lui.
Deus, cujus hodierná die praconium In Seigneur, dont ces Martyrs Innocens ont pu
nocentes Martyres non loquendo fed moriendº blié les loüanges , non par le fon de leur voix, .
confeff; funt. Eccleſia in Orat. de fanćtis en parlant , mais Par leur fang en mourant pour
Innocent. VOUS.
Martyre des voicy ce qu'ils ont de particulier, & ce qui fait leur différence, & leur gloire N
PAR A GRA PH E CIN QUI E M E. 19 r.
Ils meurent pour la perſonne de Jesus-CHR I ST , ils le délivrent de la mort Innocens a
en la ſouffrant , ils conſervent la vie de celui pour lequel ils perdent la leur : Particu
& ils ont cet avantage que la cauſe de leur martyre n'eſt pas ſeulement hono. les
rable, mais utile au Fils de Dieu. Ces faints Enfans, plus heureux que tous les autres
les autres Martyrs , meurent pour le Verbe Incarné , reçoivent les coups qui Martyrs.
devoient tomber ſur ſa tête, s'oppoſent à la violence d'Hérode pour l’en dé
fendre ; le couvrent de tout leur corps , & fauvent celui qui doit fauver
tous les hommes. C'eſt ce qu'a voulu dire faint Auguſtin par ces Paroles , qui,
bien entenduës, font connoître l'avantage de ces petits Martyrs par deifus
tous les autres : Occiduntur pro Christo parvuli : pro justia moritur innocentia. Ces Aug.ser. 2.
enfans font immolez à la place de J E s u s-C H R 1 s T , & l'innocence a le de Innoc.
bonheur de mourir pour la juſtice, ou comme dir ſaint Cyprien, ils tiennent .
fa place , & étant arrachez des mammelles de leurs meres , ils ſont égorgez -
au lieu de lui : Vice Christi, & pro Christo avulst, à matrum uberib us detruscan- Cypr, de
tur. Ils font donc plus véritablement Martyrs que les autres, puiſque leur ! si, , é:
mort conſerve la vie à leur Souverain, & que la perſécution qu'ils ſouffrent ******
favoriſe ſa retraite en Egypte. bus. |
Saint Thomas demande fi les Innocens ont eû l'aureole du martyre, & il Ces faints
répond qu'oüy. Cependant ils n'ont point combattu; car pour combattre ii :
faut de la réſiſtance ; pour avoir de la réſiſtance , il faut avoir du courage; pour ne
avoir du courage, il faut de la liberté ; pour avoir de la liberté, il faut un Thomas,
uſage entier de la volonté , & de la raiſon. Cependant, comme nous avons le lans le
vů, ces Enfans n'avoient rien de tout cela ; leur volonté , & leur raiſon
étoit enſevelie dans les nuages de leur enfance ; ils ne firent que ſouffrir, &
ĉtre égorgez comme des vićtimes innocentes par la fureur des bourreaux, &
immolez à la cruelle ambition d’un Prince impitoyable. Comment est-ce
donc qu'ils ont reçû cette couronne, puiſque felon l'Ecriture , c'eſt une regle
infaillible, & une vérité générale pour toutes fortes de perſonnes ? Non corona
bitur, nist qui certaverit. Il n'y a point de couronnes que pour ceux
qui auront combattu généreuſement. Ces Enfans donc n'ayant ni combattu,
ni réſisté, on ne les doit pas appeller vainqueurs. Mais remarquez qu'il faut
avoir toûjours recours au privilege, & que comme la prémiere grace qu'ils
reçûrent du berceau du Fils de Dieu , fut la qualité de Martyrs , quoiqu'ils
n’euffent aucun uſage de leur liberté, & de leur raiſon ; ainſi la ſeconde grace
fut l'aureole, & la couronne, qui eſtattachée à cette qualité, quoiqu'ils n'ayent
ni combatu, ni réſisté. Il y a donc un privilege , & une grace pour ces En
fans, qui ont été les premiers foldats du Fils de Dieu : il y a diſpenſe pour eux.
J'avouë bien que les autres Saints n'ont jamais reçû cette couronne, qu'ils
n'ayent combattu courageuſement , & réſiſté avec force : mais pour les
faints Innocens , ils ſont effećtivement victorieux fans combat , & ſans
reſiſtance.
Si la prémiere condition du martyre qui est de mourir pour la querelle du f .
Sauveur, fe rencontre dans le martyre des faints Innocens avec beaucoup d'a- -
vantage, la ſeconde ne lui manque pas auſſi : & l'on ne ſçauroit nier qu'ils tie esteniei
ne ſoient Martyrs , puiſqu'ils ont été Confeſſeurs. La confeſſion eſt une le
partie effenticlle du martyre, & il ne fuffit pas d'aimer Dieu de coeur , fi
on ne le confeſſe de Bouche. La confeſſion cſt le commencement du mar
CcI)S,
192 POUR LE PANEGYRIQUE DES SS. INNOCENS.
tyre, comme la mort en eſt la conclution ; & il femble que faint Cypríen
prefere la gloire d'un Confeſſeur qui ſouffre long-temps dans la priſon, à celle
d'un Martyr , qui meurt bien tôt dans les tourmens. Le Martyr qui meurt
promptement, ne triomphe qu'une fois ; mais celui qui demeurant long-temps
dans les peines, combat avec la douleur, fans fe laiſler vaincre , eſt tous les
jours couronné : & plus fon martyre est long, & pénible, plus il est faint, &
glorieux. Les Peres de l'Egliſe, qui ont bien vủ que la confeſſion ne ſubfiſ
toit que par la parole, fe font fervis de raiſons ingénieuſes , & d'artifices
innocens, pour nous perſuader que ces Bienheureux Enfans avoient uſé d'un
langage , que J E s u s - C H R 1 s r avoit bien entendu , & qu'on ne
pouvoir douter qu'ils n'euffent parlé, puiſqu'il les avoit couronnez comme
les autres Martyrs. -
Le fang de Pour voir encore plus clairement le fervice que les faints Innocens ont
ces faints , rendu à Jesus-CHR 1st , il faut confiderer la grace qu'ils reçoivent d'être
: fes témoins ſans voix, & fans paroles. On peut tirer cette penſée de l'oraiſon
que l'Egliſe nous met aujourd'hui en la bouche, en faveur de ces Innocens:
entendre au Deus cujus praconium Innocentes Martyres non loquendo, ſed moriendo confeffi funt.
tribunal
Dicu.
de Voilà des CHR
fer Jesus Enfans
1stqui n'ont Ambroiſe
? Saint point de voix,
dit quecomment
le ſang peuvent-ils
des Martyrsdonc confeſ
a cette ver
tu particuliere, qu'en même temps qu'il eſt répandu , il a une voix claire, &
pénétrante, qui fe fait entendre devant deux tribunaux ; i º. devant celui de
Dieu ; 2 º. devant celui des hommes : car quand un Martyr meurt, il fait
un ſacrifice de fon fang, il proteste la grandeur, & l'autorité que Dieu a fur
fa vie ; mais il addreſſe auſſi ſa voix aux hommes, pour leur faire voir la vé
rité de leur foi, confirmée par l'effuſion de fon fang. Il n'est pas difficile de
trouver dans les faints Innocens l'une de ces deux voix. Sans doute que le Fils
de Dieu fe crât bien honoré de recevoir quatorze , ou quinze mille victimes
innocentes égorgées pour ſon ſujet.
Le Fils de Ces Enfans donc font Martyrs, quoiqu'ils n'ayent aucune fonétion de leur
Die Pº lº liberté ; en voicy la raiſon. Vous ſçavez que dans l'ancienne Loy par le
, moyen de la Circoncifion, & dans la Loy de grace par le moyen du Baptême,
fupplée au les enfans font juſtifiez, & rendus héritiers du Ciel, fans aucune fonétion de
manque- .. leur liberté ; on leur annonce donc la paix fans l'uſage de leur volonté propre;
men de li pourquoi cela ? c’est parce que Dieu applique le merite de ſon fang au défaut
ces Enfans. de lavolonté de ccs Ènfans; lequel merite étant d'un prix infini , & ſuppléant
- - - • X • A * »» -
à cette condition requiſe, les justifie, & ôte l'obſtacle qu'ils avoient à la
gloire. Ainſi , dit faint Bernard, fi Dieu, par un privilege commun, & une
grace dont nous reflentons tous les jours les effets, fait ce ſupplément, ne pou
vons-nous pas dire, que par une faveur extraordinaire, il a fait une application
de ſes merites pour les Innocens, afin de ſuppléer à cette circonstance requiſe ,
à la qualité de Martyrs qu'ils portent, qui eſt l'uſage de la raiſon, & de la liber
chryfolºg. té. Je ſuis redevable de cette penſée à faint Pierre Chryſologue, qui les ap:
Ser. i 5 ; • pelle Martyrs de grace, & de privilege. Oüi, que ces faints Enfans ayent été
tuez fans aucun uſage de la raiſon , par la cruauté d'un tyran , qu'ils ayent
reçû la gloire du martyre, c'eſt un grand coup de grace, qui confiste en ce
que le Fils de Dieu a appliqué extraordinairement le merite de ſes larmes, &
de
PAR A G R A P H E C IN QUIE'ME. 193
de ſes petits ſoupirs , pour ſuppléer à cette circonſtance néceffaire , qui eft
l’uſage de la liberté , & de la raiſon.
Les Anges à la naiilance du Sauveur , annoncent la paix à tous les hommes ce: faints
qui ont une bonne volonté, & à ceux qui n'ont pas encore l'uſage de leur Innocens
volonté,
Car comme ajoûte faint
ſous la LoyBernard
ancienne: Etiam fine voluntatis
les enfans uſu in Sacramento
étoient juſtifiez pietatis : 9rifiezété, iu& -
dans la Circonciſion
A - * - baptiſez
par la foy de leurs parens , en vůë du fang de J e s u s-C H R 1 s r devoit re- :
pandre ; de même que le baptême juſtifie ces enfans de la nouvelle alliance , fang.
ar le ſang que Jesus-CHR ist a répandu : Icy les Innocens font juſtifiez dans
f baptcme de leur ſang , parce que Jesus-Christ ſupplée au défaut de la rai
fon, & de la liberté qui leur manquent. Perſonne ne ſera couronné, qu'il n'ait
combattu en gardant les loix preſcrites pour les combats, & néanmoins l'E
gliſe nous offre aujourd'huy des vainqueurs fans combat, des Martyrs cou
ronnez , & triomphans, fans être jamais entrez dans la lice: Quos fecit capere
fine concertatione victoriam : quos donavit coronis , antequam membris , dit ſaint
Pierre Chryſologue. Avec la vůë de Dieu , ils ont eû encore tous les appana
ges de ceux qui ont livrez leur vies pour Jesus-CHRIST ; l'effence de la gloire,
& l'aureole , comme l'on parle dans l’Ecole , leur a été donnée, parce qu'ils
ont été les prémiers ſoldats de Jesus-CHRist , qui ont eû diſpenſe du com
bat, & néanmoins qui ont reçû le fruit de la victoire avec toutes les gloricu
fes marques qui l'accompagnent. -
Le Fils de Dieu a tiré une gloire incomparable de la mort des Saints Inno
CCIIS , puiſqu'ils ont été les victimes du premier ſacrifice qui luy a été offert
nent, le plus grand , & par conſequent celui qui lui procure le plus de gloire, öisu , &
ett celui de leur propre vic par le martyre : au lieu que dans les autres fa- qui est |- -
crifices de l'ancienne loy, on ſubſtituoit une vićtime étrangere, & l'on mar-
quoit par la que l'on étoit prêt de conſentir à fa propre deſtrućtion , pour i, /
honorer la Souveraine Majeſte. Ii ne ferviroit de rien d'alleguer encore une a de m3--
fois qu'ils n'ont Pü conſentir à perdre la vie pour Jesus-Christ naistant, tie vie par
puiſqu'ils ne le connoitioient pas, & que ces 1aints Enfans ne ſe connoiſ- le n'ait) ***
Íoient pas eux-mêmes : il ſuffit qu'ils ayent louffert la mort à fon occaſion, & - -
que ces ſaintes victimes ayent ere, miles en ſa place , lorſque la cruauté des
bourreaux avoit dellein de l'immoler à l'ambition d'Hérode ; il fustit , dis je,
pour être un véritable facrifice , comme ii fufir pour être véritable Malty
un
re, & par une fuite néceflaire , rien ne pouvoit ette plus glorieux 3 CC Dieu
naiſſant, que d'accorder Par une grace fpécialc & particuliere a ces faints
Enfans, la faveur d'honorer ſon berceau d’une fi grande quantité de vićtimes
Paneg. des Saints. Tome A. B b
194 POUR LE PANEGYRIQUE DES SS. INNOCENS.
Difficulté Comme le martyre eſt l'ouvrage de la volonté, c'eſt en vain que nous avan
qui pt ut çons que les ſaints Innocens ont confeſlé Jesus. CHR1st , fi nous ne prouvons
1): 1: I c í ut
ce ſujet, & qu'ils ont voulu ſouffrir pour luy, & que s'expliquant par leurs deſirs, ils ont
que la Théc fait connoître leurs delleins au Pere Eternel. Je ſçai bien que faint Bernard
logie 1c pour refoudre cette difficulté , nous dit qu'il y a trois fortes de Martyrs dans
fout.
i'Egliſe ; Les uns d'effet & de volonté; les autres de volonté fans effet ; les au
trcs d'effet fans volonté. Si les faints Innocens qui font de ce dernier nombre
ont été Martyrs d'effet & non de volonté, Dieu a ſuppléé à leurs mérites par
un privilege particulier, & par une grace ſpéciale ; & il s'eſt contenté de
l'effet de leur mort, quoiqu’il ne fût pas accompagné de leur volonté. J'a
vouë que cette différence de Martyrs eſt bien fondée , & qu'elle fait admira
blement éclater la bonté infinie de Dieu, qui veut bien avoir agréable l'effet de
leur mort fans la volonté, comme il s'eſt contenté de la feule volonté ſans
l'effet dans pluſieurs autres. Il est vray que leur martyre paroît manquer de
la principale condition ; mais il s'eſt fait une fainte communication entre
JEsus-CHR 1st & ces faints Enfans, qui luy prêterent leurs corps pour ſouffrir,
& le Sauveur leur prêta ſa volonté pour mériter. Ils moururent pour luy, il mé
rita pour eux, & leur mort unie à fa volonté, donna la perfection à leur mar
tyre. Cela ne doit pas ſembler étrange aux fideles , qui ſçavent que le peché"
originel eſt volontaire, & que les hommes font coupables en Adam , & que
comme ils virent par fes yeux le fruit défendu , qu'ils le cuëillirent avec ſes
mains , qu’ils le mangerent avec fa bouche, ils commirent le peché par ſa
volonté. De là vient que Dieu accommodant le remede à la nature du mal,
a voulu que les enfans fustent fauvez par les mérites de fon Fils dans le
baptême , & qu'ils trouvallent leur falut en ſa volonté, comme ils avoient
trouvé leur perte en celle d'Adam. L'Egliſe même, à l'exemple du Pere Eter
nel , leur prere le coeur des Fideles pour croire, & leur langue pour confef
fer : afin que , comme ils fe font perdus par la faute de leur pere, ils ſe fau
vent par la foy de leurs freres; In Eccleſia Salvatoris, dit faint Auguſtin, per
alios parvuli credunt, ſicut ex aliis , ea que illis in baptiſmo remittuntur peccata,
traxerunt. Pourquoi donc ne croirons-nous pas que le Fils de Dieu ait ac
cordé aux faints Innocens la même grace qu'il accorde à tous les Fideles ?
Pourquoy ne croirons-nous pas que le fang a eû la même vertu , que l'eau a
our nous, & qu'ils ont ců dans le martyre le même avantage que reçoi
Cyfr. de vent les Chrétiens dans le baptême : Non minus est enim fanguis, quàm aqua,
Mar, Ó ad lavacrum anime efficax. -
P A R A G R A P H E S I X I E’ M E.
Les endroits choists des livres fpirituels, & des Prédicateurs modernes
fur ce fujet.
'Y a-t'il pas ſujet de s'étonner de voir la joye que les Anges annoncerent La ioye que
au monde , par l'heureuſe nouvelle de la naiſſance d’un Šauveur, fi tôt ! !
troublée par le maſſacre impitoyable de tant d'autres enfans , qui ont à peine an nOnce tent
- * » * -
vůle jour, que la fureur barbare du cruel Hérode le leur ravit à l'occaſion : -
de ce Meffie nouveau-né ? Ces cantiques célestes, dont les Bienheureux Eſprits veut , trou
avoient fait retentir l'air, & toutes ces marques d'une extraordinaire allegreſſe |
fûrent en effet changez en pleurs, en cris, & en gémiſſemens , qui fûrent en- “
tendus non-ſeulement dans la bourgade de Bethléem : mais encore dans tout
le pays aux environs ; lorſque les cris des meres déſolées, la voix de tant de
fang inhumainement répandu , & les plaintes de tant de familles affligées
monterent juſqu'au Ciel , & remplirent de crainte & d'horreur toute la Judée :
Fox in Rama audita est , ploratus, & ululatus multus. C'eſt ce que l'Evangile & Matt z.
les Prophetes ont marqué en termes exprès.
Quel bonheur d'abord, & quel plus fouhaitable avantage l'injuſte perſécu- ce fut ua
B b ij
196 POUR LE PANEGYRIQUE DES SS. INNOCENS.
bonheur, & tion d'Hérode pouvoit-elle procurer à ces petits Innocens , que de les enlever
: de ce monde , avant que d'avoir foüillé leur innocence par aucun peché, dont
ces leur âge les rendoit incapables : Certes, comme le peché eſt le plus grand de
tous les maux, ou plútót l'unique mal que nous ayons à craindre en ce non
voir été en- de ; il faut enviſager comme le plus grand de tous les biens , & comme l'effet
levez de ce d’une protećtion ſpéciale du Ciel, de rous en avoir preſervez. Je fçai bien
que ce n’étoit pas l'intention d'Hérode, qui étoit bien éloigné d'avoir cette
, perdu penſee. Ce monstre de cruauté n'avoit en tete que ſon ambition, & le deſſein
Jeur inno- d'affermir une domination injuſtement uſurpée , qu'il craignoit que ce Roy
Cc1)CC• nouveau né , & ce Meſſie, que le peuple Juif attendoit vers ce temps-là, ne lui
enicvât. Mais Dieu , dont les penſées font bien élevées au-deſſus des nôtres,
avoit fes vůës impénétrables à tout eſprit humain : & comme il fe fert fouvent
des crimes mêmes des hommes pour en tirer fa gloire , il a ménagé l'avantage
& le bonheur particulier de ces Enfans mis à mort dans l'àge le plus innocent.
Or ce bonheur & cet avantage eſt d'avoir été enlevez de ce monde, avant que
sapient. 4 d'avoir perdu cette innocence , comme l'Ecriture rapporte d'Henoc: Raptus est
ne malitia mutaret intellečłum ejus. Car enfin quel effet plus viſible d'une prédi
lećt on ſpéciale , & d’une providence particuliere à leur égard , que de s'être
fervi de la cruauté d'Hérode, qui en ſacrifiant leur vie à ſon ambition , leur a
sien na ôté le moyen de ſe perdre ; & aſſuré leur bonheur éternel ?
pi conj. Jamais il n'y a cû rien de plus efficace, ni de plus éclatant pour faire con
bué à faire noître la gloire de la naiſſance du Fils de Dieu, que le meurtre des faints In
fçavoir la, nocens , commis par l'ordre d'Hérode. Cette grande cruauté fe répandit par
tout le monde, juſqu'à Rome même, où Auguſte qui tenoit pour lors l'Em
pire , ayant appris qu’Hérode avoit fait mourir fon fils , & n'avoit pas même
de ces Inno- épargné fon propre fang, dit, pour moyJuifs j'aimerois mieux être le pourceau
CCIn5. d'Hérode, que fon enfant ; parce que les ne mangeoient point de chair de
porc, & ne les tuoient pas, au lieu qu'Hérode étoit affez barbare pour ſacrifier
fon fils même à fa fureur. Voilà pourquoi le bruit d'un maſſacre fi extraordi
naire allant par tout le monde , & fe répandant preſque par tous les coins de
la terre, opera en même temps la réputation & la gloire du Fils de Dieu : Car
on diſoit ; pourquoi cſt- ce que ce crüel tyran a fait ce maſſacre de tant
d'enfans innocens ? Il faut qu’il aye un grand fujet pour ne pardonner pas
même à fon fils ; car fans doute il n'auroit jamais été fi furieux, que de ſacrifier
à ſa barbarie quatorze ou quinze mille vićtimes fans un grand & important
deffein. C'eſt qu'il a appris qu'il y avoit un Roy nouvellement né, qui devoit
com mander fur la Judée , qu'une étoile avoit paru dans le ciel , comme pour
lui rendre hommage à ſon entrée dans le monde ; que trois puiſſans Rois
étoient venus d’un pays éloigné pour l'adorer, & que fans doute, il étoit en
danger de perdre fa couronne. Dans cette penſée, comme il étoir ambitieux &
cruel, il a crû qu'il y alloit de fa vie & de fon honneur de remédier à un fi
grand malheur. C'eſt-là le bruit qui ſe répandoit par toute la terre, & qui en
même temps publioit la gloire & la grandeur de la naiſſance du Fils de Dieu.
M. Biroat.
Il y a fuiet . N'êtes vous point frappez d'étonnement en voyant que la naiſſance de
de s'étonner J e s u s-C H R i s T donne lieu à la mort de tant d'enfans ? lui qui n’étoit
ººº
dc Di-u,
qu pour nous donner la vie , & Pour nous la donner plus
monde que
! "qui, venu auu monde |
P A R A G R A P H E S I X I E’ M E. 197
abondamment. Ego veni ut vitam habeant, & abundantius habeant. N'êtes-vous est venu ap
pas ſurpris que le berceau de J es u s-C H R i s t naiſſant devienne le ſépulchre Pºter la
de tant de petites victimes que la crüauté du tyran immole à ſa pastion ? Est ce sie
là,Seigneur, certe paix que vous avez annoncée par les Anges de paix ? Mais fie
fouvenez-vous que le Seigneur nous a donné l'intelligence de ce paradoxe ap- d'une gier
| , quand il nous a dit, qu'il n'étoit pas venu nous donner une paix fem- re d'un
lable à celle que donne le monde à ceux qui fuivent ſes maximes ; mais est
que la paix qu'il nous a apportée en naillant, c'est celle que l'on acquiert par j ro.
la vićtoire fur fes paſſions , par l'accompliſſement de la loy de Dieu. C'est ce
bonheur que la naiſſance de J e s u s-C H R 1 s T a procuré aux SS. Innocens.
Le tyran, au lieu d'avoir ôté la vie à ces SS. Enfans, leur en a procuré unc
meilleure. Ils étoient nez au monde pour mourir , & ils meurent au monde
pour vivre toûjours. M. Biroat. * -
u'il eſt bien vrai , ô mon Dieu ! que les divines Ecritures font nôtre con- on a ap
folation , & qu'elles font utiles pour nôtre instrućtion. Vous les avez divine- pris par ce
ment inſpirées à vos Prophétes qui vous avoient en vủë lorſqu'ils ont parlé. -
Nous pouvons bien admirer dans un eſprit de religion l'accompliſſeinent
des prophéties , dans le martyre des faints Innocens. Vous l'aviez prédit, & les
. '
Seigneur, pluſieurs fiécles auparavant. L'évenement s’est fait voir devant nous, forts de la
& comme en nôtre préſence: Vox in Rama audita est; Rachel plorans filios filos, “ 2
& noluit confolari, quia non funt. Ce crüel tyran Hérode, voulant contenter sa
fon ambition démeſurée, ne fût que l'exécuteur des propheties dans cette des plus
fanglante boucherie. C'eſt ainfi , Seigneur, que felon les decrets éternels de grands
vôtre providence adorable, vous ſçavez tirer le bien du mal, & vôtre gloire ma"*.
des plus grands déréglemens de nos paſſions, en vous fervant de la volonté
continüelle des impies à faire du mal , pour opérer & mettre en execution
vos plus grands delleins , pour accomplir les véritez contenuës dans vos
faintes Ecritures, & pour nous confirmer de plus en plus dans la vérité des
promeſſes que vous avez daigné faire à tous les hommes. Sermon manuſcrit.
A quelles extrémitez ne porte point la paſſion de regner dans ceux qu'elle Teinture des .
domine ? Herode , ce cruel tyran, n'eût point d'horreur de commettre le plus inquiétudes,
grand de tous les crimes , en voulant ôter la vie au Sauveur du monde, pour # ſoupçons
jouir fans concurrent, d'un Royaume dont il lui devoit faire hommage. On
peut remarquer combien un eſprit ambitieux est inquiet, timide, defiant, ia perſonne
ombrageux ; il tremble lorſqu'il en a le moins de ſujet , & fur de fauſles appa- d'Hérode.
rences, il croit que tout le monde lui en veut, qu’on ſonge à le dépouiller de
fa dignité , & qu'il y a toûjours quelque ſecrete conſpiration qui ſe trame con
tre lui. Ces fortes d'ombrages, & de ſoupçons chimeriques troublent Hérode,
qui ne fçait pas que nôtre Seigneur est deſcendu fur la terre, non pour ravir
aux hommes des Royaumes temporels , mais pour leur en aquérir un qui du
|
1
rera éternellement. Mais après cela, quelle douleur reflentit le Fils de Dieu,
lorſque de l'Egypte où il étoit, il vit l'horrible maſſacre des Innocens , qu'on
égorgeoit à ſon occafion ? Il est à croire que le même fer qui perçoit leurs corps,
lui perçoit le coeur, par un vif ſentiment de compaſſion , & de tendreſſe , &
qu'il enduroit autant de martyres dans ſon ame , que le tyran en faiſoit ſouf
frir à ces innocentes vićtimes dans les membres de leurs corps. Le Pere du Pont
| dans fes Meditations.
B b iij
198 pOUR LE PANEGYRIQUE DES SS. INNOCENS.
Autrefja- Avant cette cruelle exécution, qui eût vû Hérode, eût vů un homme tour
menté par ſa furieuſe ambition, faifi de crainte, pollede de fa fureur, tout en
at trouble , & en allarme. Il vient d'apprendre qu'un Roi eſt né dans fes terres,
fon ambi- qu’une étoile a paru dans le Ciel, que la prophetie eſt accomplie, que fon
țiºn: & en- Royaume doit finir. Voilà un eſprit tout agité, qui ne ſçait à quoi ſe refoudre.
C'eſt un tyran qui fe tourmente lui-même ; c'eſt fon ambition , & fa crüauté
qui lui fervent de bourreaux, qui lui font inventer toutes fortes d'artifices,
CC. & ne lui donnent aucun relâche , mais qui le troublent inceſlaminent. Si nous
le confiderons pendant l'execution, & durant le temps qu'elle fe fait , jamais
vous ne vites un homme plus troublé que ce Prince , qui pour fatisfaire fa
brutale paſſion, fair mettre à mort quatorze ou quinze mille enfans, & qui
voit en même temps, qu'il fera dit dans tous les fiécles, que c'eſt ſon ambi
tion, & fa fureur qui les a immolez. Car quoiqu'il eût étouffé par la gran
deur de fes crimes tous les remords de fa conſcience, & les ſecrets reproches
que l'on fe fait intérieurement à foi même ; cependant la mort de tant d'inno
centes victimes cruellement maſſacrées, ſe preſentant continuellement à ſes
yeux, ne pouvoit que lui reprocher ſon crime , & ſa fureur. Confidérons après
cela, ce tyran depuis l'exécution faite; fon eſprit est agité par les phantômes
de ces enfans, qui lui font voir clairement ſa fureur , & l’inutilité de l'ac
compliſſement de ſes ordres cruels: de forte que fi tous les hommes euffent
été afſemblez pour condamner ce même tyran à la mort, ils ne lui auroient
jamais imprimé dans l'ame tant de terreur, que le fit cet objet pitoyable d’une
fi grande quantité d'enfans égorgez. Son ambition néanmoins n'est pas encore
aſſouvic, n'étant pas certain fi ce petit Roi qu'il cherche, est mort, & envelop
pé dans ce carnage univerſel. Monsteur Biroat.
Apostrophe Que vous êtes heureux petits Sauveurs du grand Sauveur du monde ! Ne
à ces faints peut-on pas dire que vous l'avez fauvé les prémiers, avant qu'il fauvât le
. reſte des hommes, puiſque vous êtes morts pour lui , avant qu'il mourût
pour vous? Mais à vrai dire, ce n'est pas vous qui êtes morts : c'est lui-même
ont eu d'a. qui eſt mort dans vos perſonnes ; car c'étoit fon fang, & non pas le vôtre que
voir fauvé l'on cherchoit dans vos veines : c'étoit ſa vie , & non la vôtre que l'on cherchoit
dans vôtre fang ; en un mot , c'étoit lui, & non pas vous, que l'on avoit en
s. vie d'égorger. Ainfi vôtre mort a été proprement la fienne ; de forte que
IIIC.« vous avez été comme autant de petits Sauveurs. On publie la gloire des autres
Martyrs, de ce qu'ils ont donné leur vie pour la cauſe de leur Redempteur ;
mais ils n'ont pas l'avantage que vous avez d'avoir été immolez, comme s'ils
avoient été fa propre perſonne. Vous ſeuls avez la gloire d'être falüez de toute
l'Egliſe, comme les premieres fleurs des Martyrs : Salvete fiores Martyrum. O
innocentes fleurs ! de quelle tache étiez-vous falies ? quel crime aviez-vous com
mis , pour être traitez de la forte : Tout vôtre crime étoit d'être fi ſembla
bles à l'humanité de J E s u s-C H R 1 s t , qu'on ne pouvoit vous difcerner
d'avec lui; vôtre crime étoit d'être de fon âge, de fa patrie , & peut-être de ſa
parenté. Cette reſſemblance qui vous faiſoit prendre pour lui, est le crime qui
vous a rendus dignes d'une fi glorieuſe mort. O mille fois heureuſes vićtinies
de la cruauté de ce monstre! qui avez cüeilli preſque en naiſſant , les prémiers
fruits de la rédemption de toute la nature humaine ; bonheur incomparable ,
que vous n'avez pas été chercher de vous-mêmes , mais qui vous eſt venu trou
-*
PARA GRA PHE S I X I E’ M E. I 99 -
ver par la ſeule volonté de Dieu. Qu'on ne diſe point que vous n’avez pas , . . . .
pů mériter les palmes, parce que vous n'aviez pas pû les vouloir. Il est bien
vray que vous n’aviez pas d'autre volonté qui vous conduifit que celle de vôtre
Sauveur. Mais qui oferoit dire que vous n’ayez pas mérité d'être reconnus
Pour de faints Martyrs, parce que vous n'auriez pas eû d'autre volonté que celle
de Dieu. Le Pere d'Argentan Confer. Théologique.
Oui, glorieux Innocens, nous vous mettons au nombre de ces généreux Autre
Atheles , qui ont perdu la vie pour foûtenir les interêts de Jesus - ČH R1st ; Poſtroph:
vous avez combattu pour ſa gloire comme eux, & vous avez ſouffert pour ſa
perſonne, ce qu'ils n’ont pas fait comme vous ; vous avez parlé par vos i
vous avez figné vôtre confeſſion de vôtre ſang , vous l'avez ſcellée de vôtre cens.
mort , & le Fils de Dieu que vous couvriez de vôtre corps, vous a donné ſon
eſprit, & fa volonté, afin qu'on ne vous pût diſputer la qualité de Martyrs.
Joüiſſez en donc ſur la terre où vous l'avez acquiſe par vôtre mort ; poſſédez
en la couronne dans le Ciel, où vous regnez avec celui pour lequel vous avez
combattu , & reconnoillez que vous devez la gloire à la grace qui vous a
Prévenus. Le Pere Senault de l'Oratoire.
L'impie Hérode ſemble contraire à lui-même dans fes ambitieux deſfeins: Comme
ear d'où lui vient la crainte qu'il a conçủë d’un enfant nouveau né ? Com- Hé, nº
ment un âge fi tendre eſt-il capable de mettre tant de ſoupçons dans ſon
coeur, d'y jetter tant de crainte ? Eſt-ce cette étoile , eſt-ce la nouvelle reçûë st
par les Mages de la naiſſance d'un nouveau Roy des Juifs ? Sont-ce les Pro- contraire à
pheties expliquées de cet enfant, par les Prêtres , & les Doćteurs de la Loy ? lui-méme.
Mais, malheureux tyran ! où tu crois à tous ces ſignes, ou tu n'y crois pas. Si'tu
crois que ces fignes viennent de Dieu, penſes-tu rendre vains ſes decrets
éternels ? te crois-tu capable de jouer la Majeſté divine , & reduire au néant
fes arrêts ? Si tu crois que tout cela vient de Dieu, c'eſt inutilement que tu
executes tant de maſſacres, cela ruinera plûtôt les defleins, que les avancer ;
car tu diminué d’autant ton Royaume, que tu fais mourir de tes fujets , &
la volonté de Dieu n'en fera pas moins accomplie. Si tu crois que toutes ces
merveilles font des fauffetez , & qu’on t’en veux faire accroire, c'eſt en vain
que tu es faiſi de crainte , & de ſoupçons, pour un phantôme qui ne ſubſiſte
que dans l'eſprit des ignorans qui te l'ont annoncé. Mais le tyran eſt incapa
ble de faire aucune attention à ces raiſons, il eſt dépourvû de bon fens, & la
furieuſe paſſion de dominer l'a tellement aveuglé, qu'il n'eſt pas étonnant que -
dans l'excès d'un tel aveuglement, il falle maſſacrer tant d'innocentes vićti- -
plaît à fa providence de nous honorer en cette vie ; cette voye des fouf
frances ayant été la voye de tous les Elus, & le Fils de Dieu même nous aſsû
rant de cette vérité, puiſqu'il appelle bienheureux par avance ceux qui ſouf
Matt. 5. frent en cette vie des perſecutions pour la juſtice: Beati qui perſecutionem patiun
C a., tur prºpter justitiam. L'Autheur des Sermons fur tous les fujets.
C'eſt l'avantage que les perſécutions des méchans procurent aux gens de
que font les de bien ; elles les conſervent ordinairement dans la grace, & les affermiſſent
mechans aux dans le ſervice de Dieu ; mais parce qu'il y en a auſſi d'autres qu'elles ebran
gens de bien, lent , on peut dire que c'eſt ce qui fait la véritable diſtinćtion des enfans de
Dieu, d'avec les enfans du fiécle, comme parle l’Ecriture. Ceux-cy fuccom
bent ſous les perſecutions, & ne peuvent tenir contre les railleries & les dif
ébranlent cours deſavantageux que l’on fait à leur préjudice, ils n’ont pas le courage de
celle des foi- déclarent
bles.
foûtenir la; &
haine
en que les méchans
un mot leur portent,
, les perſecutions que lela monde
guerre leur
que fait.
les libertins leur
Ils ont honte
de ſe déclarer hautement pour la juſtice & pour la vertu , de crainte de fe
voir mocquez & mépriſez ; ou de paſſer pour des gens de , peu d'eſprit , qui ne
fçavent ni l'air, ni les maniéres , ni les bienfeances du monde. C’eſt la grande
perſecution felon le fentiment de faint Auguſtin, que le monde fait à l'inno
- cence ; perſecution plus crue le & plus funeste en un ſens, que celle que les
· · - tyrans ont déclaré à la Foy & à la Religion ; parce qu’elle tait renoncer à la
- - - piété, & aux devoirs les plus eſſentiels dont les Chrétiens ont fait une pro
feſſion publique dans leur baptême. Mais d’ailleurs , ces mêmes perſécutions
* -, font connoître ceux qui font élús & prédeſtinez ; elles les éprouvent, & elles les
font paroître plus généreux , plus fideles , plus glorieux ; & c'eſt une vérité que
l'expérience de tous les fiécles a confirmée, que la vertu, l'innocence & la ſain
teté
A
* P A R A G R A P H E S IX I EM E. 2OI
teré des moeurs n'ont jamais plus éclaté que dans les perſécutions. Jamais Da
vid n'a été plus grand & plus faint, que pendant que Saül l'a pourſuivi à mort;
jamais le peuple Juif n'a été plus fidéle, ni plus attaché au culte de Dieu,
que quand Dieu a permis qu'il fut opprimé, mené en fervitude, & perſecuté
de toutes parts; jamais les Chrêtiens n’ont été plus faints, que durant les
| langlantes perſécutions, où ils étoient à tous momens en danger de perdre
a vie » & de comparoître devant les tribunaux ; ils enviſageoient le martyre
comme le comble de leur bonheur, & comme la récompenſe de la vie ſainte
& innocente qu'ils avoient menée. Le même.
1 C'est encore un autre avantage que la perſécution d'Hérode a procuré à . Le grani
ces bienheureux Enfans, d'avoir été les prémiers Martyrs du Fils de Dieu ; & "ige
comme chante l'Egliſe, la fleur & les prémices des Martyrs ; c'eſt à-dire , les “
f témoins de la divinité de J e su s-C H R 1 s r ; parce, dit-elle, qu'ils -a
ui ont rendu ce témoignage, non de bouche & de parole, mais par la voix de procuré à ces
leur propre fang. Vous ſçavez la gloire qui est attachée au titre de Martyr, & , est
que la Religion Chrétienne n'a rien de plus grand, & de plus élevé, & vous
n'ignorez Pas que dans le ciel, les plus éclatantes couronnes font deſtinées à pour
ceux qui par un courage invincible, ont confeſſé leur foy au milieu des plus chaisr.
effroyables tourmens. Ör c'est cet avantage , ce titre d'honneur , & ce comble
de gloire, que cette troupe d'Enfans, dont l'Egliſe nous rappelle la memoire
en ce jour, a acquis par cette perſécution. Ils ne font pas ſeulement conſidérez
du Fils de Dieu pour leur innocence ; mais à raiſon du martyre qu'ils ont ſouf
fert à ſon occafion. Le même.
Si la mort est glorieuſe devant les hommes, quand elle est ſoufferte pour . Le Fils de
quelque noble fujet , & dans quelque belle occaſion; elle est précieuſe devant Dieu n'au
Dieu, quand on la ſouffre pour fes interêts, de quelque maniére que ce foit. pas
Mais ce qu'il y a de fingulier dans celle des SS. Innocens ; c'eſt d'avoir reçû
le coup que l'on portoit à un Homme-Dieu, & de l'avoir ſauvé lui-même de fent perdu
la fureur de ſes ennemis. Or fi les histoires n'ont pâ taire la liberalité des Prin- la vie pour
ces envers ceux de leurs ſujets qui ont été maltraitez à leur occafion, ou en ' ) !
haine de leurs perſonnes, le Fils de Dieu auroit-il ſouffert que ces innocentes
vićtimes euffent été fi cruellement maſſacrées pour lui, & en ſa place, fans les peaf ar
récompenſer de quelque choſe de plus précieux que la vie même qu'elles ont quelqu bien
perduë
cieux quepour lui,:finon
la vie Et que pouvoit-il
le nom leur donner
, la gloire, qui fût plusdu
& la récompenſe grand & pluspuiſ-
martyre; pré- Pl Pré u*
Y1C
c'eſt par ce ſeul moyen, dit faint Bernard, que la piété du Fils de Dieu a e
urpasté l'impiété d'Herode le tyran le plus crüel : Nunquid major est impietas
Herodir pietate Christi ? Le même.
Nous devons apprendre de cet exemple, que jamais nous ne rendons plus cet exemple
de gloire au Sauveur du monde, qu'en ſouffrant quelque choſe pour ſon amour, nous appen i
& que comme le plus grand de tous les ſacrifices que nous lui puiſſions offrir l
est celui de nôtre vie par un généreux martyre: celui y a le plus de rapport,
& par conſequent qui lui est plus glorieux, eſt de fouffrir quelque perſécution
pour la defenſe de ſes interêrs; il ne nous est pas permis de nous donner à nous- óieu, qu'en
mêmes le coup de la mort : ce feroit un crime horrible ; mais c'eſt une aćtion ſouffia:
heroïque de mourir pour la justice, & de pardonner de grand coeur à celui qui º
nous raviroit la vie injustement. De même , ſe dépoüiller de ſes biens pour *
c'eſtde ſouffrir paricmment les perſécutions de quelque côté qu'elles nous vien
PARAGRAPHE S I X I E’M E. 2ο3
nent, particulierement quand c'eſt pour la justice , & que nous ſommes inno celui que
nous en de
cens des crimes qu'on nous impute , & du mal dont on nous accừfe. C'est par vons retirer
là que Dieu nous donne les marques les plus éclatantes de ſon amour, le figne nous-mêmes
le plus évident de nôtre prédestination , & en un mot, c'est là la fource de nô
tre bonheur éternel : Beati qui perſecutionem patiuntur propter justitiam : quoniam Matt, f•
ipſorum est regnum cælorum. Si nous recevons tant de gloire des perſécutions
(mcnt un C ur incomparable
la cauſe de Dieu, nous procurerons austi par là réciproque
à Dieu même, puiſque c'eſt lui marquer unc
* - Cc ij
2O4
P O U R
LE PA N EGYRIQUE
S A IN T J O SE PH.
A v E R T 1 s s E M E NT.
ous ne fauons que tres-peu de chofes de la vie de faint 7fph,
l'Evangile n’en rapporte que trois ou quatre actions, & l'on n'y
trouve pas même une feule defes paroles ; la vie cachée, & obſcure
qu'il a menée, jointe au filence que les anciens Peres femblent avoir
afèőfé fur ce chapitre, ne nous fourniroit pas une ample matiere pour
faire ſon éloge, fi ce peu même que l'Evangile nous en apprend, m’étoit
de telle nature, & d'une telle excellence, que quiconque entreprendra
de faire le panegyrique de ce grand Saint, doit plútôt craindre d'être
accablé par la Jublimité des chofes qui le doivent compoſer : car il fuffit
de dire que les glorieux titres d'Epoux de Marie, & de Pere de Jesus,
dont il est en poff ffion, la qualité de Chef d'une fî fainte Famille,
le droit de commander aux deux plus augustes perſonnes qui foient für
la terre, fa fidelité à remplir tous les devoirs de ces illustres emplois,
demanderoient autant de diſcours.
c'est pourquoy fans fê mettre en peine de ramaffir tout tela dans un
feul Sermon, je confeillerois au Prédicateur de fe borner à quelqu'un de
ces titres, & defaire entrer les autres par maniere de preuves, comme
ont fait pluſieurs Panegyristes, & de faire de temps en temps des
réflexions morales, qui puffent s'appliquer à toutes fortes d'états, de
, d'emplois, & de perſonnes, à qui ce grand Saint peut fervir
e modéle.
2ο5
PARA G RAPHE P R E M I E R.
Divers deffeins & Plans de diſcours fur cefajet.
Q miliamputasſuamest ?fidelis fervus & prudens, quem constituit Dominus faper fa
Matth. 24. Dieu qui eſt le Souverain Bien , & la four
ce de tous les biens , fe communique diverſement à ſes Saints : Com
me il les conduit à ſes fins par ſa grace , qui felon faint Pierre, a pluſieurs I. Petr. 14.
formes , il leur donne divers caraćteres de fainteté , ſelon qu'il convient à ſa
gloire, ou à leur propre ſanctification , ou à l'utilité de fon Eglife , en faiſant
dominer en eux quelqu’une de ſes perfections divines. Il y a des hommes de
fa miféricorde, qu'il enrichit plus pour les autres, que pour eux-mêmes ,
qu'il fuſcite pour être comme les bienfaićteurs publics, & pour foulager les
miſéres du reſte des hommes. Il y a des hommes de ſa puiſſance , à qui il
femble qu'il ait donné toute la foice de fon bras , qui étonnent toute la na
ture , & la furmontent par des fignes & des prodiges, quand il s'agit de faire
connoître fa vérité » ou de faire craindre fes jugemens. Mais il y a des hom
mes de ſa providence, qu'il conduit comme pas à pas , à qui il donne un eſprit
droit, & un coeur docile pour connoître fes volontez, & pour les accomplir,
& même pour les découvrir aux autres. Voilà le caraćtere de ſaint Joſeph. C’est
un homme qui fe confie en Dieu , & en qui Dieu fe confie ; qui eſt le ſujet &
le ministre de ſes grands deſfeins. -
1°. Qui fe tient toûjours entre les mains de la providence de Dieu, pour fa
propre conduite. - - -
zº. Entre les mains duquel Dieu met fa providence pour la conduite de
Jesus-Christ & de Marie. Deffein de Monsteur Flechier.
Quis putas est fidelis fervus & prudens,quem constituit Dominus fuper familiam I I.
fuam. Matth: 24. C'est un ordre que Dieu garde dans la distribution des gra
ces, & des biens qu'il fait à fes créatures, de les régler fur la grandeur du
ministere auquel il les destine : de forte que s'il y a des hommes qui ayent en
ce point de l'avantage fur les autres, c'est que Dieu en a deſtiné quelques-uns
à des emplois plus relevez. Cette distinction ſe fait prémierement dans les
idées de Dieu , où toutes les créatures ſont renfermées comme dans un abîme
infini ; & où étant conſiderées dans la ſeule poſſibilité, elles font toutes éga
Jes , les Anges n'y ayant point de préémincnce fur les hommes, ni les hom
mes les uns les autres, juſqu'à ce que l'intention de Dieu fe déclare, & en
faffe la différence : car alors, comme il y en a ſur qui Dieu a des deſſeins plus
relevez que fur les autres, & qu'il destine à de plus éclatans emplois , il leur
deſtine auſſi des graces ſpéciales, & de particulieres faveurs. Or le plus haut &
le plus ſublime destein, qui ait entretenu l'eſprit de Dieu pendant toute l'é
zernité, ç'a été fans doute le mystére de l'Incarnation, qui s'appelle par excel
Bence la grande affaire de tous les fiécles ; mais ce qui releve nôtre Saint au .V !
deffus de tous les hommes ; c'est que Dieu ne penſa jamais à ce mystére, qu'il
n’eut en même temps la pensée de faint Joſeph. La raiſon eſt qu'afin qu'un
Dieu ſe fit homme comme nous, il luy failoit une Meres & paur couvrir
C c iij
2O6 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. JOSEPH.
l'honneur de cerre Meểe , il falloit un Epoux à cette Vierge, & un homme
qui paſſàt pour pere du Sauveur fur la terre, & dont ce Sauveur fût tenu pour
érre le Fils. -
IV. En prenant pour titre : Fidelis fervus quem constituit Dominus fuper familiam
fitam. Matt. 24. Dieu ayant choiſi une nation pour en faire rout Particuliere
ment fon peuple, il a voulu , parmi ce peuple , fe faire une famille où s'ac
complit enfin le grand ouvrage, que ſa ſagelle avoit concerté dans l'éternité,
i 3 ->
PA RAGRA PHE P R E MIER. , 2oz
que la puiſſance de ſon bras devoit executer dans la plénitude des temps , &
où ſa miféricorde & fa juſticc devoient également paroître, je veux dire, la
Rédemption des hommes. Mais qui la compoſera certe famille du Très-Haut?
Ce fera d'un côté une créature devenue la Mere du Créateur, une Vierge deve
nue féconde ſans intereſſer ſa pureté virginale, une fille devenuë l'Epouſe de
l'Eſprit adorable ; & de l'autre, un Dieu fait chair, & une chair élevés juſqu'à
la Divinité; l'Eternel devenu un petit enfant, & un enfant devenu toat puiſ
fant malgré la foibleſſe de l'enfance. Est-il quelqu'un parmi les hommes a qui
Dieu puitſe confier le foin d’une famille, où éclatent tant de prodiges , dont le
moindre eſt capable de confondre les plus ſublimes intelligences ? Oui, & c'est
le Saint dont nous célébrons aujourd'huy la Fête : Quem constituit Dominus ſuper
familiam ſuam. L'on regarde comme de grands hommes ceux que les Princes
de la terre honorent d'une ſemblable confiance , & l’éclat des perſonnes Roya
les dont on leur donne le foin, rejaillit ſur eux d'une maniere fi vive, qu’ils
éblouiſſent nos yeux. Quelle idée devons-nous donc avoir de Joſeph, que le
Seigneur a daigné mettre à la tête de la famille qu'il s'est faite icy. lui-mê
me ? Comment devons-nous regarder un homme revêtu d'un ministere capa
ble de faire honneur aux eſprits qui environnent le trône du Tout-Pnistant ?
Qui, d'entre eux, ne feroit pas empreſſé à venir ſur la terre pour prendre un
fi grand employ ? Cependant j'oſe dire que ce n'eſt là qu'une partie de l’éloge
de nôtre Saint. En vain auroit-il été élevé à une dignité fi éminente, s'il n'y
avoit fait paroître une fidelité auſſi parfaite. L'Ecriture ne nous l’apprend
s'elle pas dans les paroles de mon texte ? Fidelis fervus quem constituit Domi
nus fuperfamiliam ſuam. Joignons donc ces deux choſes pour en faire la ma
tiere de ce Panégyrique: rº. La grandeur que Joſeph a trouvé dans un ministere
fi ſublime , ayant été choifi de Dieu ; pour ſervir de voile pendant une ſi
longue fuite d'années au mystére adorable de l'Incarnation de Jesus-CHRIsr.
2°. La fidélité & le ſecret qu'il a apportez à ſon ministére. L'une doit être le
fujet de nôtre vénération, & l'autre le ſujet de nôtre imitation. Honorons Jo
feph dans la grandeur qu'il a trouvée dans ſon miniſtere : imitons Joſeph
dans la fideliré qu'il a apporté à ſon ministére : Fidelis fervus quem constituit
Dominus ſuper familiam ſuam. Sermon manuferit du Pere Martineau.
O N peut encore prendre pour texte : Joſeph, vir ejus , erat justus. Matt. 2. V. -
C'est en peu de mots ce que l'on peut dire de plus avantageux à la loüange
de faint Joſeph; car c'est à cette vertu héroïque qui fait le caraétere particu
lier de ce grand Saint, que fe rapportent tous les avantages qu'il a eûs d'ê
tre le dépoſitaire des ſecrets du Pere Eternel, le Pere adoptif de ſon Fils, l'E
poux & le proteéteur de la tres-ſainte Vierge ? avantages grands à la vérité,
& finguliers à ce faint Patriarche ; mais avantages qui, séparez de fa justice,
lui euffent été fort inutiles. Jesus & Marie en fûrent les deux objets. Jesus
dont il paſſoit pour être le Pere, Marie dont il étoit véritablement l'Epoux:
J E s us & Marie, les deux plus grands chefs-d’oeuvres des mains de Dieu ;
Jesus & Marie commis tous deux aux foins, à la prudence , à la vigilance, à
la chariré, en un mot, à la justice de Joſeph. Quelle justice qu’il a tenuế
à l'égard de Marie ! Quelle justice dans les fervices qu'il a rendus à
J e s us ! Il falloit qu'il fût juſte en un fouverain degré , pour vivre
avec Marie , comme il y a vécu ; il falloit qu'il fût juste en un fouverain
2ο8 P o UR LE PANEGYRIQUE DE S. JOSEPH.
degré pour aimer J E s u s comme il l'a aimé. Nous pouvons donc dire :
1º. Qu'il a été le plus juste de tous les maris. 2º. Le plus juſte de tous
les peres : Vir ejus erat justus. Eloges historiques.
V I. Nous pouvons juger de la gloire de faint Joſeph , par la qualité des
depôts que Dieu a confiez à fa fageſſe fur la terre , pendant un fi long
temps ; & pour le faire avec ordre, conſidérons-le ſous les trois qualitez que
lui donne l'Evangile. 1°. Sous la qualité d'Epoux de Marie:Joſeph virum
AMarie. 2°. Sous la qualité de Pere de Jesus : Ego , cr Pater tuus dolentes
querebamus te. 3°. Enfin ſous la qualité de Juſte : Joſeph , cùm effet justus.
Comme Epoux, Dieu lui a confié le dépôt de la pureté virginale de ſon Epouſe ;
comme Pere , Dieu lui a confié le dépôt de l'humanité du Sauveur ; comme
juste, Dieu lui a confié le depôt de ſon ame: mais voicy ce qui fait plus pré
ciſément fon éloge. C'est un Epoux qui a conſervé la virginité de ſon Epouſe,
dans un état où les autres la terniſſent. C'est un Pere, qui a conſervé l'huma
nité de Jesus-CHR ist dans un temps où des Rois impies cherchoient à le
faire mourir ; c'eſt un Juſte qui a conſervé l'innocence de fon ame dans un
fiécle corrompu , où perſonne ne faiſoit ſcrupule de la perdre. Diſcours
Chrétiens.
V I I. On devroit loüer ſaint Joſeph quand il n'y auroit autre choſe à dire de
lui, fi ce n'eſt qu'il a été l'Epoux de Marie. Ce ſeul titre peut fuffire pour faire
le panégyrique de ce grand Saint. Pour en être perſuadé, il ne faut que con
fidérer la vie de cet homme incomparable , laquelle fe peut diviſer en deux
parties. La prémiere ; eſt celle qui a précédé ſon mariage. La ſeconde , eſt
celle qui l'a ſuivi. Nous ne ſçavons rien du tout de la prémiere , & nous
ne fçavons que tres-peu de choſe de la feconde. Je prétend néanmoins vous
faire voir que l'une & l'autre a été fainte, puiſqu'elle a été comme couron
née d'un mariage fi avantageux. La ſeconde l'a été encore plus , puiſqu'elle
s'eſt toute paſſée dans ce mariage. Je veux dire que cette glorieuſe alliance
a été le fruit d'une tres-grande fainteté, où Joſeph étoit déja venu ; & qu'elle
a été la cauſe d'une fainteté encore plus éminente , où il a été élevé depuis.
Nous verrons donc dans le prémier point de ce diſcours : 1°. La ſainteté qu'il
doit avoir apporté à ce mariage. 2°. La fainteté qu'il doit y avoir acquife.
C'est tout ce que l'on peut dire de plus élevé ce ſujet. Le Pere de la
Colombiere.
V I I I. O N peut ſemblablement prendre pour ſujet de l'éloge de faint Joſeph,
l'éminente qualité qu'il a eủë d’être appellé le Pere de Jesus : & ſe borner uni
quement à cet auguſte titre, en montrant comme il a porté excellemment
certe rare qualité, & comme il s'eſt acquité fidellement des fonćtions de cette
charge. Pour cela il faut faire voir que ce que le Pere Eternel poſſède effen
tiellement en lui-même à l'égard de Jesus, il le communique à Joſeph ; car
en même temps qu'il lui donne la qualité de Pere , il lui donne ; 1°. Une
puiſſance fur Jesus. 2°. Il lui donne un foin, & une providence
pour le conduire, & le nourrir. 3°. Il lui donne la tendreſſe de ſon amour
envers lui. La prémiere comprend fa dignité ; la ſeconde, ſon office ; la troi
fiéme, fa fainteté ; & toutes trois donnent autant d'éclat à ſa gloire , qu'il a
répondu fidellement à ces trois choſes, qui font les trois points de ce diſcours
AMønsteur Biroat. - - - - . . ..
L'ExcELLE Ncs
P A RAGR A P HE P R E M I E R. 209
L' e x c e L L E N c = , & la fupériorité de faint Joſeph fur tous les autres I X.
Saints.
1 º. Tous les Justes font véritablement enfans adoptifs de Dieu par le
moyen de la grace qui eſt une participation de la nature divine ; mais a
cet avantage d'en être le Pere, de la maniere que nous l'avons fi fouvcnt
expliqué. -
zº. Tous les plus grands Saints tiennent à honneur d'être appellez ſerviteurs
de Dieu , comme faint Paul fe qualifie ; mais Joſeph a été fon maître, puiſque
le Sauveur lui a été foûmis.
3°. Les plus hautes, & ſuprêmes Intelligences ne font que les Ministres des
volontez du Seigneur : mais on peut dire que le Seigneur a exécuté en tout
la volonté de Joſeph.
J
3°. Cette abondance de lumieres dont ſon eſprit étoit rempli, produiſoit
dans ſon coeur un brafier d'amour qui le conſumoit : l'amour égaloit la con
noiſſance. Il avoir trois qualitez ; il étoit haut en fa grandeur, vehement en
fon aćtivité , intime en ſa communication. Il étoit haut ; Joſeph le pui
ſoit dans la fource même de la miféricorde, de la Majesté, & de la pureté.
Il étoir vehement : toutes choſes contibuoient à redoubler ſon ardeur ; la
préſence de Jesus, & de Marie, leurs regards , leurs paroles y ajoûtoient à
tous momens de nouvelles flammes. Et qui pourroit dire ce qu'opéroit dans
Paneg. des Saints. Tome I, Dd
21o P OUR LE PANEGYRIQUE DE S. J o S E P H.
l'ame de Joſeph le faint Enfant, lorſqu'il le portoit entre ſes bras, qu'il l’em
braſſoit , qu'il le faíſoit repoſer fur fon ſein ? Son amour étoit intime ; il
étoit dans la plus ſecrette familiarité que l'on puiſſe avoir avec Jesus &
Marie, & il avoit avec eux des communications, & des privautez que per
fonne n'a jamais eủës, ni n'aura jamais. C'est pour cela qu'il est le pere de
la vie intérieure, & le vrai protećteur des ames , qui ont le courage de ſe
dégager de tout, pour être en état de s'abſorber dans le goût des myſtéres
divins. Ses intimes communications avec le Verbe Incarné lui ont acquis le
droit de fecourir les ames intérieures. Tiré du tome troistéme des Ouvrages du
Pere Surin.
XI. P o u R montrer la grandeur que Dieu a communiquée à faint Joſeph,
il ſuffit de conſidérer ſa qualité de Pere, par laquelle Dieủ lui donne,
1°. La puiſſance paternelle qu'il a fur Jesus-CHR 1st.
2°. Il lui danne avec certe qualité, un foin , & une providence parti
culiere pour ſon Fils.
3°, ll lui donne avec ce même titre de pére , une tendreſſe d'amour
pour le Sauveur. C'est le deffein de Biroat. - -
X I I. O N peut auſſi conſidérer en faint Joſeph , que le Ciel ne l'a élevé à la qua
lité d'Epoux de la tres-ſainte Vierge, ) -- r ' *
1°. Que parce qu'il a reconnu en lui cet amas de vertus qui étoient les
veritables, & les uniques diſpoſitions à ce ſublime état.
2°. Que Joſeph ayant été jugé par le Ciel, digne de cette haute qualité, il
s'eſt vû tout-à-coup comblé de ces graces immenſes t & de ces bénédićtions
du Ciel qui étoient inſéparables de cette incomparable dignité. Ainſi, d'un
côté, nous ne concevons rien de plus relevé, qu'un Saint qui a merité l'au
guſte titre d'Epoux de MARIE : & de l'autre, on ne peut concevoir rien de
plus grand , qu'un Saint qui a fait un bon uſage des graces, que cette ſubli
me élevation doit avoir attiré fur ce Saint homme. C'est le deffein du Pere
Estienne Chamillart. -
le ſoleil ; Vidi fiellas undecim adorare me. Or ce n'est pas une choſe bien diffi- G-vef. 57.
cile à concevoir que ces étoiles ne font autres que les Saints, après que l'Ecri
ture nous avertit qu'ils brilleront dans le ciel comme des aſtres: Fulgebunt tan- Matt*. - 13.
quam stelle in perpetuas eternitates. Et que l'Apôtre nous aſſûre que ces étoiles
font différentes en clarté : c'eſt-à-dire, qu'ils font élevez à proportion de leurs
mérites, & de leurs vertus. Je ne fuis pas même en peine de fçavoir quelles
font ces onze étoiles : car ſoit que nous entendions par là les onze Apôtres
? étoient à la fuite du Sauveur, comme c'est l'application la plus naturelle;
oit les neuf choeurs des Anges avec les hommes qui en peuvent ajoûter deux
autres-, en les diviſant felon l'ancienne & la nouvelle Loy; ſoit les plus illuſ.
tres Patriarches de l'Ancien Testament, dont la fécondité ne tendoit qu'à la
naiſſance du Meffie ; ſoit tous les ordres en quoy l'Egliſe diviſe les Saints ,
fçavoir, les Apôtres, les Martyrs, les Doćteurs, les Confeſſeurs, les Pontifes
& les Vierges ; ſoit enfin que par ce nombre déterminé, l'on entende , comme
c'eſt la coûtume de l'Ecriture , tous les Saints, dont il n'y a que Dieu qui fça
che le nombre, non plus que celuy des étoiles ; il faut que tout cela ſoit foû
mis à faint Joſeph , après que le ſoleil & la lune, je veux dire, Jesus & Ma
rie, qui ſont les premiers de tous les Saints, lui ont été fujets : Vidi per fom
nium stellas undecim adorare me. L'application ingenieuſe & naturelle de la figu
re avec la vérité, peut faire le ſujet & le partage d'un diſcours.
D 1 E u conduit ſes Saints, & par les inſpirations particulieres , & par les XIV.
maximes générales de la foy & du bon fens. Etre attentif à l'inſpiration, & do
cile à la ſuivre, c'est fidelité; fe faire une régle des conduites des maximes gé
nérales de la foy, & du bon ſens, c'eſt ſagelſe , & une fageſſe furnaturelle. Õr,
à confiderer faint Joſeph ſur ce pied-là, je puis dire qu'il fût un ferviteur éga-,
lement fidele & fage ; fidele, il a ſuivi la revelation, lorſque dans des occaſions
difficiles, les lumieres ordinaires ne ſuffiſoient pas pour le conduire : Fidelis
Servus. C’eſt mon premier point. Prudent, il a réglé toutes fes demarches fur
les principes de la foy, & de la droite raiſon , lor e dans des occaſions moins
importantes, il étoit abandonné à ſes propres lumieres; Fidelis fervus & pru
dens ; c'eſt mon ſecond Point.
1º. Docilité de faint Joſeph à ſuivre les inſpirations qui luy venoient de la
art de Dieu dans les occaſions difficiles. -
2°. Sageffe de Saint Joſeph à ſuivre les regles générales dans les occaſions
moins importantes. Ce feront les deux parties de ce diſcours. Deffein du Pere
Catroit. -
f. 1o. L'Egliſe, par ſon exemple , invite les Chrêtiens à honorer faint Jo
eph.
Les interêts ſpirituels de chaque Chrêtien l'engagent à être devot à
faint Joſeph.
Łes refléxions morales que l'on peut faire ſur chaque point
P A R A G R A P H E S E C O N D.
T
Les fources où l'on peut trouver dequoy remplir ces deffeins, & les
Auteurs qui en traitent.
S Aint Augustin , l.. 2. de ferm. Domini in monte. c. 14. montre que la Les saints
fainte Vierge & faint Joſeph ont été unis par le lien d'un véritable mariage. Peres , & au
Saint Jérôme, in Helvidium, foûtient que non-ſeulement Marie a toû- tres grands
jours été Vierge, mais que Joſeph même fon Epoux l'a été par ſon moyen. hommes,
Les Prédica- Il feroit difficile de faire une liste exacte de tous ceux qui ont fair des Panegyriques
fur ce grand Saint. Voicy ceux qui font publics , & qui font venus à ma connoiſſance.
qui ont fait Joannes Echius, connû par ſes doctes écrits, a trois fermons ſur ce ſujet.
-
L'Abbé du Jarry.
Le Pere Senault, Prêtre de l'Oratoire , tome prémier.
Monſieur Fromentiére dans fes fermons.
Le Pere Texier, tome prémier des Panégyriques.
Le Pere de la Colombiere, tome ſecond de ſes fermons.
Le Pere Duneau, tome prémier des Panégyriques.
Le Pere Odet d'Allier, tome prémier. -
L'Autheur des Sermons fur tous les ſujets , &c. Tome prémier de fes Pané
gyriques. -
L'Autheur des Diſcours Chrétiens, ſur les principales fêtes de l'année, tome
prémier. |
P A R A G R A P H E T R o ISI EM E.
Paffages, exemples, figures, & applications de l’Ecriture
fur ce fujet.
Aciamus ei adjutorium fimile fibi. Falencis, unc aide qui lui reffemble.
Jl Gen. 1.
Tbi derelictus est pauper, orphano tu eris On vous laiffe la conduite du pauvre, vous
adjutor. Pſalm. 1 o. ferez le fecours de l'orphelin.
Mulieris bona beatus est vir. Ecclif. 26. L'Epoux de la femme vertueuſe eſt heureux.
Obediente Deo voci hominis. Joſue. 1o. Dicu obéïffant à la voix d'un homme.
Mulier bona dabitur viro pro faciis fuis. Dieu donne une Epouſe vertueuſe à un hom
• Eccleſ. 2. 3. - - - me de bien, pour récompenſe de fes bonnes æu
VrcS.
Mulier diligens corona est viro fuo. Une femme appliquée à ſes devoirs est la
Proverb. 1 o. gloire de ſon mari.
Nemo natus in terrá ficat foſeph. Il n'est né perſonne ſur la terre femblable à
Ecclif. 49. Joſeph. r*
Ite ad foſeph , & facite quidquid dixe Allez à Joſeph , & faites tout ce qu'il vous
rit vobis. Geneſ. 41. dira. .*
Fidelis fervus, é prudens quem consti Qui est à vôtte avis ce ferviteur fidele , &
tuit Dominus fuper familiam fuam? Prudent, que fon maître a établi fur toute fa fa
Matth. 24. mille ? !»
facob genuit Toſeph virum Maria de Jacob engendra Joſeph l'Epcux de Marie, de
qua natus est feſus. Matth. 1. . . laquelle Jesus eſt né. -
Cum effet deſponfata Mater ejus Maria Marie ſa Mere ayant épouſé Joſeph.
foſeph. Ibidem.
d foſeph vir ejus cum effet justus. Ibi Joſeph fon mariérant juste.
cm.
foſeph fili David, noli timere ascipere Joſeph fils de David ne craignez de prendre
Mariam conjugem tuam , quod enim in eá Marie vôtre femme: car ce qui ett né dans elle
natum est de Spiritu fanito est. Ibidem. a été formé par le Saint-Eſprir. ;
Fecit foſeph ſicut precepit ei Angelus, ér Joſeph fir ce que l'Ange lui avoit ordon
accepit conjugem fuam. Ibidem. né, & prit fa femme avec lui. . ,,
Angelus Domini apparuit in fomnis Un Ange du . Seigneur apparut en fonge à
fof ph , dicens, furge & accipe puerum , Joſeph, & lui dir, prenez l'Enfant, & fa mere,
* **
marrem ejus, é fuge in Ægyptum. Idem. & fuyez en Egypte. ' ' , ,
C. 4.
Miffus est Gabriel Angelus à Deo ad L'Ange Gabriel fut envoyé de la part de
Virginem deſponſatam viro cui nomen erat de Dieu à une Vierge , qu'un homme de la
foſeph , de domo David, & nomen Virginis maiſon de David nommé Joſeph avoit épouſée,
Marie. Luc. 1. |
' Nonne hic est fabri filius. Matth. 13. N'eſt ce pas là le fils d'un artiſant.
Erant Pater ejus & Mater mirantes fu Son Pere, & ſa Mere , c'eſt-à-dire , Joſeph &
per iis qua dicabantur. Luc. 2. Marie admiroient ce qu'on diſoit de lui.
* * * * * * * * -:*
-*
v
•
216 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. J o SEP H.
Tantò melior Ange is effectus , quanto E ant auſſi élevé au-deſſus des Anges, que le
pra illis diferentius nomen hareditavit. Ad nom qu'il a reçû est plus excellent que le
Hebr. 1. leur.
Ego ero illi in Patrem, & ipſe erit mihi Je ferai fon Pere , & il fera mon Fils.
in Filium.Ibidem.
Nonne cor nostrum ardens erat in nobis, . . N'eſt-il pas vrai que nôtre coeur étoit tout
cum loqueretur nobis in viá. Luc. 14. brulant dans nous, lorſqu'il nous parloit durant
- le chemin.
Deus ex quo omnis paternitas in Cælo, Dieu, dont vient toute paternité dans le
ér in terrá. Ad Epheſ. 3. Ciel , & ſur la terre.
Caput mulieris vir. Ad Corinth. 6. Le mari eſt le Chef de la femme.
Constituit eum Dominum domus fue , ở Il l'établit maître de toute fa maiſon , &
principem omnis poffeſionis fua. Pſalm. 1ο4. feigneur abſolu fur tous fes biens.
Qui custos est Domini fui glorificabitur. Celui qui est gardien de fon Seigneur ſera
Proverb. 27. honoré.
. Quis putas,est fidelis fervus, ó prudens, Qui est à vôtre avis ce ſervireur fidele, &
quem constituit Dominus ſuper familiam prudent que ſon maître a établi fur toute fa
fuam. Matt. 24. famille.
comme le Dieu, dit le Doćteur Angelique , partage avec faint Joſeph l'autorité qu'il
pe Eternei a fur fon Fils, comme il partagea avec Adam , l'autorité qu'il avoir ſur les
partage a créatures. Après que Dieu eût tiré toutes les créatures du néant, il laffſa à
l'autorité. Adam le pouvoir de leur donner des noms convenables, pour les obliger par
qu'il avoit là
P A RA GR A P HE T RO I S I E’M E 2 17
là à le reconnoître pour leur maître. De même, après avoir formé J E s u s- le Verb:
C H R 1 s r , dans le ſein de la très-fainte Vierge, par la vertu du Saint-Eſprit ,
il partage fa puiſſance avec ſaint Joſeph, pour lui donner un nom , lui appre-" "*"
nant par là, que quoiqu'il n'ait point contribué à la Conception de J E s u s
C H R i s T , il faut néanmoins qu’il ait autant de foin de lui après fa naiſ
fance, que s'il en étoit le véritable pere : Et vocabis nomen ejus J e s u M.
L'on s'est ſouvent donné de la peine, pour développer le myſtere renfermé . La pysté
dans la viſion qu'eut Jacob de cette grande échelle, qui touchoit de fes deux
extrémitez le ciel, & la terre, & ſur le dernier degré de laquelle le Seigneur
étoit appuyé ; mais je m'apperçois aujourd'hui, dit l'Abbé Rupert, que c'eſt un g: , expli
myſtéreestqui
rieuſe la ſegénéalogie
dévéloppe de
dans
J Elas perſonne
u s-C H Rde1 faint Joſeph.
s r. Tous les Cette
dégrezéchelle
qui lamysté-
com- qués en faint
fa
poſent font toutes les générations particulieres, qui entrent dans cette généalo- Joſeph.
gie, & le dernier dégré ſur lequel le Seigneur eſt appuyé, c'eſt faint Joſeph,
Epoux de Marie, de laquelle eſt né J e s u s. Il eſt la derniére tête de la généa
loge de J E s u s-C H R r s r, & celui par conſéquent, ſur lequel le Sauveur s’eſt
appuyé durant le cours de ſa vie mortelle. Or quand J E s u s-C H R 1 s T s'eſt
il appuyé ſur faint Joſeph ? fi ce n'est quand ce faint homme l'a emporté entre
fes bras, pour le dérober à la cruauté d'Hérode; fi ce n'est quand il l'a cou
vert de ſon ombre, & lui a rendu tous les bons offices que les tuteurs ont coû
tume de rendre à leurs pu pilles : Huic Dominus innixus est, utique tanquam tutori
pupillus, dit ce faint Abbé. La foy de 7
Pour dire quelque choſe en particulier des vertus de ſaint Joſeph; quelle
foy penſez-vous que fût la fienne, de croire fans héſiter que la perſonne qu'il yant ſur la
avoit priſe pour | femme, fe trouvant groſſe, c'éroit l'ouvrage du Saint-Eſprit, tévélation
fur tout, n'en ayant eu qu'une ſimple révélation pendant le ſommeil, laquelle " ",,^ **
tout autre, moins fidele que lui , eût priſe pour une illuſion ? Si la foy d'Abra
ham est tant loüée par l’Apôtre, pour avoir crû que Sara fon épouſe, qui étoit
ftérile,& âgée de quatre-vingt dix ans, accoucheroit au bout de l’an,& fi ce faint csinte par la
Patriarche mérita par fa foy, le beau titre de pere des Croyans, & que le Meſfie veru du .
deſcendît
! de lui ; que dirons-nous de la foy de faint Joſeph, qui
» y•
excella d'au
: L -: :...,
* plus excel
tant plus par deſſus celle d'Abraham, qu'il est beaucoup plus difficile de croire
qu'une Vierge conçoive & enfante, que de croire cela d'une femme ſtérile ? celle d'Abra
Nous
donne pouvons donc avec
à ce Patriarche, justiceque
& dire, luifadonner
foy luiles
fûtmêmes
imputéeéloges que faint
à justice: Paul han
Reputata ": qui Sa=
* - , * * 2 * |- * ra la tcull ilìC
est ei fides ad justitiam ; & que ce n'eſt pas ſans raiſon que l'Evangile le qualifie
du nom de Juste ; Joſeph autem cùm e/Setjustus. Nous le pouvons auſſi appeller le roit un fils,
Pere des Croyans de la loi nouvelle, c'est-à-dire, des Chrêticns qui ont ſuivi les no obstant
veſtiges de ſă foy. Ce qui est d'autant plus véritable, qu'étant le Pere du Sau- “
veur, il l'eſt auſſi de tous les Elûs. On le peut encore loüer avec juſtice, de ce “.
qu'il a glorifié Dieu, déférant plus à ſa parole & à ſon autorité, qu'à toutes les
raiſons humaines, & à toutes les lumiéres de fon propre eſprit, qui ſembloient
lui perſuader tout le contraire. -
Les paroles
AMagnus qui fûrent
erit coram dites, àpeuvent
Domino la gloireêtre
du Précurfeur
juſtement de J E s u s-CauH glorieux
appliquées R i s T : On peut dire
Jo
Epoux de fa très-ſainte Mere. En effet, quelques rapports qu’ait eủs faint Jean |
avec le Sauveur , faint Joſeph en a eû encore de plus intimes & particuliers. laint
Paneg. des Saints. Tome I. Ee
:r 218 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. Jo S E P H.
- - - - *• A
!
U c » Al Al c A • 1 /*'* * •
-
- 4
-
'cſt Pour cet effet , dit ſaint Thomas, que Joſeph a été choifi comme un voile
P A R A G R A P H E T R O I S I E’M E. 2I9
facré qui devoit couvrir ce ſacré myſtére. Tout le monde voit que la fainte
Vierge eſt mere : mais Joſeph feul de tous les hommes eſt informé de ſa virgi
Il1 TC.
On donna autrefois à David jeune berger , pour avoir ôté l'opprobre La Mere de
d'Iſraël, & vangé le peuple de Dieu des inſultes continuelles qu'il recevoit :
de fes ennemis: on lui donna , dis-je, pour recompenſe la fille du Roy pour
épouſe ; le Roy ne pouvoit l'enrichir davantage, ni l'élever à un plus haut ës .
degré d'honneur, que de le faire comme une même perſonne avec ſa fille, en pour femme
le prenant pour ſon gendre. Mais fi un Roy de la terre a comblé de tant de Joſeph,
faveurs un pauvre berger fon fujet ; que fera Dieu même à celui qu’il voudra
honorer le plus ? Joſeph le Juſte a en dépôt celui qui doit ôter l'opprobre non |
d'un feul peuple, mais de tout l'univers, il en eſt le gardien ; il efface ainſi comme la
l'opprobre de toute la nature ; auffi Dieu pour le récompenſer, lui donne, fills dº Roy
non fa fiile, mais fa propre Mere en mariage. On peut donc dire de ce faint fut
homme, qu'ayant épouſé la mere de fon Dieu , la Reine des Anges & des 4
hommes, il entre comme en poſſeſſion des titres glorieux de fon Epouſe, & fe *
peut dire avec quelque justice, le Roy de l’univers , & le Pere de Dicu même.
Quelle fortune plus relevée , quelle plus haute récompenſe pouvoit-il at
tendre ! -
Ce fût unàmvstérieux
il témoigna Abimelech menfonge
, que Saraque
avecfitlaquelle
Abraham, dit faint
il étoit mariéAugustin,
, étoit fa quand
fæur. Joſeph vi
Îa
Mais c'est une vérité pleine de myſtéres de dire que Marie, quoiqu'Epouſe de -
Joſeph, étoit cependant plůtôt fa fæur, que fa femme. Abraham, par fa répon- avec f fæur,
fe équivoque trompa ce Prince : mais le demon le fût beaucoup davantage par Pouvoir avec
la conduite que tint Joſeph. Il demeure avec la Vicrge toute ſainte comme I ll •
avec fa fæur, & avec autant d'infenſibilité qu’un pur eſprit ; & comme ſelon
la Loy de Moyſe, quand un homme venoit à mourir fans enfans , fa veuve nom -
pouvoit fe remarier avec ſon frere : la virginité de Joſeph l'ayant en quelque braham ne
maniére, fait mourir au monde : la très-ſainte Vierge conçoit par la ſeule opéra- le fit prendre
tion du Saint-Eſprit, un Dieu-homme, qui devant donner la vie au monde, femnie
n'ignore que le Fils de Dieu choiſiſſant faint Pierre pour fon Le Saint
Vicaire, a fait rejaillir avec éclat ſur ce Chef des Apôtres un rayon de ſon Eſpit a fait
autorité abſolúe, afin qu'il gouvernât ſagement l'Egliſe ſon épouſe. On doit "
croire auſſi, que le Saint-Eſprit metrant Joſeph en fa place, il lui a fait part :
du pouvoir qu’il avoit ſur la fainte Vierge , & fur fon Fils , & que ne vou- lui a donë
lant, ny ne pouvant prendre lui-même le nom de pere de Jesus-CHR i sr, toute l'an:
quoiqu'il fût l'auteur, & le principe de ſon humanité ſacrée, donne pour- torité qu'il
c 1)
22o POUR LE PANEGYRIQUE DE S. J o SE PH.
ºit fir la tant ce beau titre à nôtre Saint, comme une récompenſe magnifique de la
; peine qu’il prénoit, en fuppléant pour lui au gouvernement exterieur du Sau
f veur, & de ſa Mere. Il a donc un droit nouveau ſur la Vierge toute fainte ,
& ſur le Meſfie ; droit fi bien établi, que, comme faint Pierre, en qualité de
Vicaire de J E s u s-C H R i s T , peut en quelque maniere , appcller l'Egliſe
| fon épouſe: Joſeph auſſi, étant le Vicaire du Saint-Eſprit , fe glorifie auſſi
| avec raiſon , d'avoir la Reine du Ciel, & de la terre pour Epouſe. Saint Pierre
regarde tous les ſujets de l'Egliſe comme ſes chers enfans : de même Joſeph
confidére le prémier né de la Vierge comme ſon très-cher Fils , parce que le
Saint-Eſprit le ſubſtitüant en fa place, ſupplée par fa propre vertu, qui forme
le corps de Jesus-CHR ist , tout ce qui pouvoit manquer à la paternité de
- Joſeph. Saint Auguſtin s'explique clairement fur ce ſujet , lorſqu'il foûtient
* que le Saint-Eſprit ayant donné faint Joſeph pour Epoux viſible à la fainte
Vierge , il organiſe pour tous les deux, l'humanité fainte du Fils de Dieu,
afin que l'un fût le digne Pere, & l'autre la digne Mere du Sauveur. Il eſt
| vrai , dit-il, qu'il n'a formé le corps du Sauveur que de la fubſtance de la
Vierge : mais il a prétendu qu'il fût Fils de Joſeph auſſi-bien que de la
Vierge.
“ ceQui peut douter
Ministre prudentque l'Evangile
& fidele, à quinele nous enſeigne
Seigneur que faint
a donné toute Joſeph a été
la conduite
charge de de fa famille. Il entre à la vérité, dans l'exercice de fa charge d'une maniere
Ministre de bien différente de celle dont l'ancien Joſeph fût mis en polleſſion de la fien
la famille ne ; car celui-cy étant Miniſtre d'un Roi de la terre, il fût revêtu de pour
”pre, il reçût un collier d'or, & l’anneau de fon Prince. Mais nôtre Joſeph,
que l'ancien q" devoit porter les livrées du Souverain qu'il fervoit , ne quitte point les
i f h ne le précieuſes parures de la pauvreté, lorſqu'il ſe voit élevé à la dignité de prémier
fut dans la Ministre du plus grand de tous les Rois, & du plus pauvre de tous les hom
mes. Il n'eſt pas maintenant difficile de montrer par le témoignage même
fi des faintes Lettres , que ç’a été de tout temps une coûtume univerſellement
reçûc parmi preſque toutes les nations de la terre , que ceux qui avoient cet
te charge auprès des Souverains, étoient appellez leurs peres. Ainſi les Doc
teurs, & les Peres ont eû raiſon de traiter faint Joſeph de Pere de Jesus
CHRIST. Je n'infiſterai pas fur ce que faint Augustin a remarqué, & prouvé
aflez aulong , que l’Ecriture fainte appelle dans l'ancien & le nouveau
Teſtament, nos peres, ceux dont nous imitons les aćtions. C'eſt pour ce fujet
ue le Prophete Ezéchiel fait ce reproche aux habitans de Jéruſalem, qu'ils
de la race des Amorrhéens , & des Cethéens, parce qu'ils imitoient
les aćtions de ces peuples Idolâtres ; & que le Fils de Dieu même reprocha
aux Pharifiens, & aux Juifs, que le démon devenoit leur pere, à même temps
u'ils affe ćtoient de l’imiter.
Le bonheur Quelques faints Peres croient ne pouvoir jamais aſſez féliciter fainte Elizabeth,
i a qui eût autrefois l'honneur d'être fervie trois mois entiers par la Rcine des
Anges. Mais quelle doit être nôtre eſtime , & nôtre amour pour faint Joſeph ,
à celui de à qui le Créateur même de cette tres fainte Vierge, veut rendre des fervices ,
fait Eliza non l'eſpace de trois mois , mais de trente ans : & des fervices teis, que le plus
c şu i 1
vénérable,
le , & du &plus
le plus aimable
affićtueux dedetous
tousleslesenfans?
peres Tobie
pouvoittomba
attendre
parduterre
plusravi
humen
-
* * * , ,
:
PARAGR APHE T R O IS I E’M E. 22 1
extafe, lorſque l'Archange faint Raphaël, qui l'avoit conduit dans ſon voyage, fainte vier
fe fit connoître. Ce faint jeune homme feroit peut-être mort dans fon raviſ ge dans fa
fement, s'il eût crú que le prémier des Seraphins étoit deſcendu des cieux,
pour ſe faire ſon condućteur. Mais comment auroit-il pủ foûtenir le poids de eu ro e
fa gloire, fi le Créateur & le Seigneur des eût voulu lui-même l'ac- qui cut pour
compagner fenſiblement, & ſubvenir à tous fes beſoins ? Il auroit fans doute ºnducteur
faccombé ſous l'éclat de cet honneur ſurprenant , & fa vie mortelle n'auroit aphaël.
-- 4 - 2 x 1° 4 » * x / • -
été à l'épreuve d'un fi grand bonheur. Saint Joſeph n'étoit pas moins hum
le que Tobie : & il n'avoit pas une moindre idée des perfećtions du Sauveur,
que Tobie en avoit des qualitez éminentes de ſon Archange. Il eſt donc croya
ble que faint Joſeph ſe voyant aſſisté par un ſujet de fi grand merite, il feroit
mille fois mort par des mouvemens extraordinaires d'amour, de joye, de
reconnoiſſance, fi le Fils de Dieu même qui le combloit de tant de faveurs, &
qui lui rendoit tant de ſervices en des choſes infiniment au-deſious de ſa
Majeſté, ne l'eut conſervé miraculeuſement , lorſqu'il étoit comme accablé
fous fa propre grandeur.
Lorſque Dieu éleva Salomon ſur le trône , il lui donna un coeur d’une Comparai
grandeur ſurprenante,
grand Royaume. parce en
Ainſi Dieu, qu'il falloir un
déclarant grand
Joſeph perecoeur pour gouverner
du Sauveur, devoit un
le de- - Ul
pourvoir d'un grand coeur, ou pour mieux dire , lui donner une fi vaste étenduëf Joſeph
de coeur, qu’il pût aimer en pere , & en pere du Fils de Dien. Et c’eſt dans le avec celui
fentiment d'un fçavant Dočteur, ce que le Pere Eternel a fait en aſſociant di Salomon
Joſeph , non-feulement à fa dignité, mais auſſi à ſon affećtion de pere ; ſoit
qu'il formât en lui un coeur tout nouveau ; ſoit qu'il rendit plus tendre celui ist e.
-
que ce grand Saint avoit déja ; il eſt du moins certain qu'il l'a rempli de l'amour
; le plus pur, & le plus fort, qu'un pere puiſſe avoir ; & s'il n'en avoit pas uſé
de la , il auroit renverſé l'ordre qu'il a établi lui-même. La nature fai
fant un homme pere, l'embraſe d'un fi grand amour, que mille foins, mille fa
tigues, & fur tout, mille ingratitudes ne peuvent l'éteindre. Ne faut-il pas
auſſi que Dieu, voulant qu'un homme ſoit p:re, il lui inſpire un amour d'au
tant plus ardent , & plus agillant, que les ouvrages de Dieu font plus excel
lens , que ceux des créatures, & que la grace opére plus efficacement que la
nature. Si vous ajoûtez que Dieu, par ſon propre choix, a deſtiné un homme,
non ſeulement à être pere de la maniere que nous avons dit ; mais auſſi le pere
d'un Fils le plus parfait , & le plus aimable qui fût jamais , & que
l'on puiſſe imaginer : vous conclurez all rément qu'il étoit de la fageſſe
de Dieu , & de ſa bonté, d'allumer dans le coeur de cet heureux pére, des
brafiers d'amour proportionnez en quelque maniere aux perfećtions de cet ado
rable Fils , & que Dieu donna plus d'amour à Joſeph pour fon Fils, que jamais
pere n'en eût pour fes enfans.
Tertullien admiroit l'honneur , & le bonheur de ce prémier morceau de si la terre
terre qui fut touché des mains de Dieu , quand il en voulut compoſer le formé
A / -
-
* |- r* * -
ont fi:le
corps de nôtre prémier pere : Limus in manu Dei fatis beatus , fi folum modo premier
contačtur. Trop heureuſe terre , d'avoir été ſeulement touchée par la main de homme par1
| Dieu ! carces mains adorables fanótifient , & quaſi diviniſent tout ce qu'elles l'attouch:
touchent ; Itaque toties honoratur, quoties manus Dei patitur; & par conſequent de
autant de fois qu'elle est touchée , autant de fois elle reçoit un furcroît“”“”“”
; E e iij
222 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. JO SE P H.
bien plus le d'honneur. Il feroit impoſſible de compter combien de fois faint Joſeph a
f","!", été touché des mains de Dieu. Quel bonheur pour ce faint homme d'avoir
lo h - rnonneur
voir porté
!, de toucher tant de fois l dorable du Fils de Dieu, de l’
de toucher tant de fois le corps adorable au riis ae Dieu, de ra;
& catesté le voir porté dans fes bras, de l'avoir conduit par la main, d'avoir eû la liberté
Hiis de Dieu de le careffer comme fon enfant. Mais il eſt infiniment plus heureux d'avoir été
lib. touché tant de fois par les mains du Fils de Dieu ; car ces mains fanćtifient
. tout ce qu'elles touchent, elles font des fources abondantes de graces, de
bénédićtions & de vie. Peut-on douter qu'il l'ait jamais touché , qu'il ne
lui ait à même temps laiffé de nouvelles impreſſions divines , & toûjours de
plus abondantes graces ?
Sain; 'oſeph Les anciens Patriarches foậpiroient avec ardeur après le jour auquel le
Fils de Dieu devoit naître dans leur famille , & Abraham l'ayant vû ce bien
: heureux jour, non en effet, mais en eſprit feulement, il fut pénétré de la plus
ss. P.triai- douce, & de la plus folide de toutes les joyes, dit le Sauveur dans l'Evan
ches qui . , gile : Abraham exultavit ut videret diem meum : vidit, & gaviſus est. Saint
fouhaité Epiphane regardoit Joſeph d'Arimathie comme un homme infiniment heu
reux , d'avoir eû entre fes mains le Corps de J E s u s; C H R i s T ,
que les au- quand on le détacha de la croix : Verè dives Joſeph , f quidem margaritam
tres qui ont illam, que omnem estimationem ſuperat , fecum aſportavit. Et faint Paulin fou
fu lº haitoit d'avoir les lévres affez pures pour pouvoir baifer les pieds de l'adorable
Enfant Jesus: Quis mihi os cælesti carbone purget, ut calcaneum Christi merear
i contingere. Ah ! grand Saint, vôtre bonheur a été bien plus loin que tout cela ;
quelque
vice.
fer- vous
Homme,avez vû
cetnon-ſeulement
objet qui étoiten leeſprit,
termemais en effet,
de toutes cet Emmanüel
les Propheties , & ,des
ce Dieu
væux
les plus ardens de toute la fainte antiquité. Vous avez eû entre les mains ce
Sauveur, non pas défiguré par mille cruelles playes, & plongé dans les ombres
d'une mort ignominieuſe : mais plein de tous les charmes que pouvoit avoir
le plus beau des enfans des hommes. Vous avez eû l'avantage de baifer non
feulement fes pieds, mais fa bouche même. Il me femble que je le vois entre
vos bras, ce divin tréfor , comme un bien qui vous appartient. Avec quel amour
fe donne-t-il à vous, & avec quelle complaifance ne le polfedezvous pas ?
Qui pourroit concevoir la tendreſſe des regards que vous jettez l’un fur l'autre,
expliquer l'aimable commerce d’innocentes careffes qui eſt entre vous deux ,
& comprendre la gloire que le foleil naiſſant entre vos bras, fait rejaillir fur
vous ? A quoi m'arrêtai-je icy? Joſeph a été établi par le Pere Eternel pour
tenir fa place à l'égard de l'Enfant Dieu ; c'eſt-à-dire, qu'il a dû avoir foin de
fon éducation, ſoit naturelle , ſoit morale. Le Fils de Dieu, devenu enfanr ,
pour vivre parmi les hommes, dont il devoit opérer le falut, a voulu éprou
ver les foibleſſes attachées à l'enfance, & tirer d'un fond étranger les ſecours
qu'il ſe pouvoit donner à lui-même : ce fond où le Fils de Dieu, devenu Fils
de l'homme a trouvé ces ſecours, ç’a été faint Joſeph. Quel comble de gloire
pour ce faint homme. - -
moditez, & preſque inſupportable à des perſonnes, qui pour tout équipage
n'avoient que leur pauvreté. Il est facile de comprendre qu'ils ſouffîrent éga
lement le chaud & le froid , la faim & la ſoif les preſſerent, & la longueur
des journées épuiſa fouvent leurs forces. -
celui de Joſeph en Egypte, tour le monde fera obligé d'avolier que jamais lant en
homme n'a porté l'obeïtlance plus loin que faint Joſeph : car Abraham ne Egypte avec
eraint que la perte d'Iſaac;mais l'on commande à Joſeph de conduire en Egypte, nie
& fon adorable Fils , & fon Epouſe ; c'eſt-à-dire , d'expoſer en quelque manie- -
re à toutes fortes de dangers, non-feulement fa propre perſonne, mais celle han te
du Fils de Dieu même , & de ſa tres-ſainte Mere, qu'il conſidéroit plus que tranſportant
fa vie propre. Abraham a cette conſolation que ſon fils fera immolé au vrai lieu, où
:
:
Dieu; mais Joſeph eſt dans l'apprehenſion de voir ſacrifier fon Fils par les
Idolâtres, à leurs fauſſes divinitez. Abraham aimoit uniquement Iſaac, parce fier fon fiis
qu'il étoit fon fils, & l'eſpérance de fa maiſon : mais Joſeph chériſſoit Iſaac.
J E s us incomparablement davantage , parce qu'il étoit fon Fils , fon
Dieu , l'unique eſpérance de fa maiſon , & celle même des Anges & des
hommes.
S'il fallur fanćtifier d’une maniere extraordinaire Eleazar fils d'Aminadab, Elérz:r
afin qu'il gardâr avec bienſeance l'Arche du Seigneur, comme l'Ecriture l'en- fana hế
feigne : il est facile de juger avec quelle abondance de dons furnaturels il fut pour garder
néceſſaire de préparer faint Joſeph, avant que de lui confier l'Arche de la nou d'Alliance ,
224 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. JOSEPH.
est la figure velle alliance, où étoit renfermé, non le Décalogue , mais Dieu même auteur
, du Décalogue. Le Cardinal Pierre Damien ébloüi de l'auguste qualité de frére
de Jesus, que faint Jean reçût au pied de la croix du Fils de Dieu mourant ,
nemment s'écrioit autrefois : perſonne n’égale en merites celui qui a la gloire d'être frere
Saint pour du Sauveur: mais je croi que fi ce fçavant homme eût eû alors quelque fouve
nir des graces , & des privileges de l'Epoux de la Mere de Dieu ; il auroir
i donné quelque tempérament à ſes paroles ; & jugé que l'incomparable dignité
véritable de Pere du Verbe Incarné avoir attiré plus de bénédićtions céleſtes fur la perſon
Arche du ne de Joſeph, que la qualité de frere du Sauveur n'en avoit mérité à faint Jean
Seigneur. Le même.
Comme le Lorſque J E s u s-C H R 1 s r du haut de la croix dit à la très-ſainte Vierge,
en lui montrant faint Jean ; Femme, voilà vôtre fils , les Docteurs affûrent
que ce Dieu mourant nous donna tous à ſa Mere en la perſonne du faint Evan
vierge peur geliſte , qui repréſentoit chaque Chrêtien. Je crois auſſi que quand l’Ambaſſa
Mere à faint deur céleste vint de la part du Pere Eternel, donner ordre à faint Joſeph de
jean , Dicu prendre la défenſe du Sauveur , & de ſa tres-fainte Mere, & de les fervir dans
un voyage, où ils couroient mille dangers , il avoit deſſein de mettre tous
& à fa Mere les hommes fous la protećtion de ce grand Saint; parce que le Verbe Incarné
pour défen renfermant tous les hommes dans ſon coeur adorable, & la Vierge toute- fainte
étant la nouvelle Eve , qui n'a pas conçû deux peuples ſeulement dans fon
po chaſte fein auffi-bien que Rebecca : mais qui y porte tous les Chrêtiens
å unis, comme des grains de froment dans un même monceau ; il ſemble
tous les impoſſible que faint Joſeph foit le défenſeur de J e su s - C H R i s T ,
Chrétiens. & de ſa tres - fainte Mere, fans qu'il le devienne de tous les hommes. Le
même.
Saint Joſeph L'Echanfon du Roi Pharaon oublia quelque temps Joſeph, qui avoit fi fage
ment , & ſi heureuſement expliqué fes fonges ; mais en récompenſe, auſſi-tôt
i lans qu'il s'en reſfouvint , il le fit connoître au Roi, & il en parla fi avantageu
les prémiers qu'il fût appellé à la Cour, & peu de temps après déclaré Miniſtre
d'Etat, ayant un pouvoir preſque abſolu toutes les Provinces foumiſes à
re la Couronne d'Egypte. C'est-là une figure bien naturelle de ce qui arrive de
nos jours au ſujet du Saint homme Joſeph, pere nourricier de Jesus-CHRist.
pharaon Le Sauveur du monde,qui n'oublie , & ne peut même rien oublier,non plus qu'il
oublia l'an ne peut tomber dans l'ignorance, ou dans le peché, a cependant permis du
rant quelques fiécles de l'Egliſe , que le nom de faint Joſeph ait été comme
& oublié, qu'il n'ait point été auſſi célébre qu'on auroit pâ le fouhaiter. Mais
ere en est il ſemble maintenant que la divine providence ait entrepris de le dedomma
devenu plus ger , mettant dans un plus grand jour les vertus heroïques , faiſant publier
hautement ſes privileges par tout le monde, invitant par des graces parti
" culieres , tous les Chrêtiens à lui donner de nouvelles marques de leur véne
ration. Le même. *
on peut . Lorſqu'il fut question de récompenſer les mérites de faint Joſeph dans le
croirs que Ciel, je m'imagine que le Fils de Dieu fit la même demande que fit autre
I
Marie firent fois le jeune Tobie racontant à ſon pere les fervices que l'Ange Raphaël lui
- e r* * * » ; * 1•
avoit rendus. Que donnerons-nous à cet homme, diſoit-il, lequel m'a déli;
V Tc
P A R A G R A PH E T R O ISI EM E. 225
vré de tant de perils , qui m'a accompagné par tout, & à qui je ſuis redevable mande au
de ma vie, & de tout ce que j’ay ? Non, quand nous lui offririons la moitié de " terns
nôtre bien, je ne crois pas que nous puiſſions affez reconnoître la grandeur de
fes ſervices. C'eſt ce que le Sauveur du monde, & ſa Mere tres-ſainte , dirent rob
au Pere Eternel. Que donnerons-nous à cet homme qui a nourri vôtre Fils Pere , pour
unique à la ,fueur
perſecution & dede
la fon front,
fureur de fesl'eſpace de trente
ennemis, qui a ans ; quide l'al'honneur
eû foin fauvé dede la
la fécºmps
. fer
Mere, & de tous les beſoins du Fils ? Il faut que vous vous acquitiez en
vers lui des obligations que nous lui avons. Quand nous partagerions avec Raphaël.
lui tout nôtre bien, nous ne férions que lui rendre ce que nous lui devons.
Et là-deſſus, il me femble qu'ils partagent avec Joſeph leur pouvoir, leur
gloire, & tout leur bien, ou plûtôt qu'ils le lui mettent tout entier entre les
mains, pour en uſer envers les hommes comme il lui plaira. D'où l'on peut
inférer que ceux à qui il en fait le plus de part, font ceux qui font les plus
affećtionnez à ſon fervice, & qui lui portent une plus particuliere devotion;
juſques-là que fainte Thereſe, & pluſieurs grands Saints, nous affûrent que
;amais ils n'ont rien demandé à Dieu en conſidération des mérites de faint
} , , qu'ils ne l'ayent obtenu. L'Autheur des Sermons fur tous les
fujets , &c. -
Ciel, & le faiſant deſcendre au prémier ordre qu’il lui en donnoit ? Mais que
n’auroient-ils pas dit , s'ils euflent connu un Saint qui a gouverné pendant
luſieurs années celui qui a apporté du Ciel un feu ſacré, dont il prétend em
f toute la terre ? Joſué commandant au foleil de s'arrêter , le rendit im
mobile au milieu de fa courſe ; mais Joſeph n'a pas déréglé une fois le foleil
comme ce Général : il a reglé au contraire pendant une longue fuite d'années,
toutes les aćtions du foleil de la grace. Saint Pierre a été élevé au-deſſus de
»
toute l'Egliſe, mais faint Joſeph au-deſſus du Sauveur de l'Egliſe. C'eſt beau
coup d'avoir ſous fa conduite les brebris du Sauveur ; mais c'eſt beaucoup plus
: de repaître le Souverain Pasteur de ces brebris ; & ſi faint Pierre a fait
|
entrer quelques fois le Sauveur dans ſa barque , Joſeph a eû l'honneur de le
loger pluſieurs années dans fa maiſon de Nazareth. Le Pere Werthamont. Panegy
rique de faint Joſeph. -
devoit être exempte de tout ſoupçon, choiſit entre les hommes , un Epoux affori :
digne de cette Vierge incomparable. Ce fut Joſeph qui avoit une juſtice & fur jamais,
une fainteté en quelque maniére proportionnée à celle de Marie ; une pureté ,
une humilité, une grandeur d'ame, une charité conforme à la fienne : car enfin
vous fçavez qu'il doit y avoir dans les mariages de la reſſemblance de moeurs,
de condition , d'inclinations, & de défirs entre les deux parties ; il faur , com
me l'on dit , qu'elles foient faites l'une pour l'autre ; & de-là jugez du mérite
& de la grandeur de faint Joſeph ; car , après avoir meſuré en quelque forte,
l'abîme des graces de Marie , & la hauteur de fa divine maternité, dites har
diment, s'il lui faut un Epoux, il lui en faut un qui foit parfait comme Elle ,
rempli de graces comme Elle,comblé comme Elle de dons & de faveurs du Ciel,
parce qu'il faut de la reſſemblance dans les mariages : Faciamus ei adjutorium
fimile fibi; donnons un Epoux à cette Vierge ; mais qu'il lui ſoit ſemblable , &
qu'il y ait entre eux quelque rapport. Et c'est une belle remarque des faints
Peres, que Dieu n'alla point chercher une femme étrangere pour donner à
Adam; mais qu'il prît une partie d'Adam même, qu'il ſepara de ſon tout, pour
la réunir enfuite par le næud ſacré du mariage ; Non alienigenas Deus affumpſit ,
| ex toto fejunxit, ut rurſum confociaret ; il ſépara ce tout, pour le rallier
enſuite; tant il voulût que l'égalité fût parfaite pour être le lien de les affections.
Or, comme le mariage de Joſeph & de Marie est l'idée & le modele de tous les
faints mariages, & qu'il s'eſt fait par un ordre particulier de Dicu,il faut inférer
qu'il l'a alforti de toutes ſes conditions, & que s'il ſe fût trouvé un homme fur
la terre plus ſaint, on ne peut douter que Dicu, ne l'eût choifi pour être l'Epoux
de la plus fainte & de la plus parfaite de toutes les créatures. Tirons donc har
diment cette conſéquence: Marie est la plus fainte & la plus accomplie de
toutes les femmes : donc Joſeph eſt le plus faint & le plus parfait de tous les
hommes : Marie eſt la plus agréable à Dieu, la plus relevée en mérite, la plus
conſidérable aux yeux de cette divine Majeſté : donc Joſeph, après Elle , eſt le
plus chéri de Dieu, le plus grand, & le plus accompli. Cherchez par tout le
monde l'homme le plus vertueux & le plus juste, & dites : il ne faut pas un
homme de moindre mérite poùr être l'Epoux de Marie, parce qu'il doit lui être
femblable pour lier une ſociété parfaite, & entretenir une parfaite amitié.
AMulier dabitur viro profattis bonis. Eccliſ 28. Quoique vous ne deviez | a cu
-
rien, ô mon Dieu ! aux plus faintes de vos créatures , puiſque tout ce qu'il y a
de bien en elles vient de vous, vous avez cependant dit que vous donnericz Epot:
à un homme juste une bonne & vertueuſe femme, en récompenſe de fes bon- comme la
nes oeuvres ; auſſi pour récompenſer celles de Joſeph le plus juſte de tous les "Penſº
hommes, vous lui avez donné la meilleure & la plus fainte de toutes les fem- . :
F f ij -
228 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. J O SE P H.
mes. A ce ſeul Obédédom vous avez permis d'avoir dans ſa maiſon l’Arche de
la nouvelle Alliance ; à ce ſeul homme que vous avez cherché ſelon vôtre coeur,
vous avez accordé le droit de converſer avec Elle, de demeurer avec Elle , de
travailler, & de veiller avec Elie, à de mêmes interêts de famille. Vôtre Ange
ne lui avoit dit qu'une parole , & la voyant extraordinairement émůë, il s'étoit
retiré ; mais Joſeph plus heureux, a une entiére liberté de lui parler ſeul à
feul, de demeurer toûjours avec Elle , d'avoir avec Elle ces doux & ces faints
entretiens, qui fans lui laiſſer aucun trouble dans l'ame, l'édifient & le con
folent.
a Joſeph , cum effet Justus. Matth. 1. L'Evangeliste pouvoit-il donner à faint
Joſeph une qualité qui lui fût plus propre que celle de Juste ; & pouvoit-il
fai aint dans la fuite, mieux expliquer cette juſtice , que par la foûmiſſion & la dépen
Joſeph en dance où ce Saint demeure à l'égard de Dieu, dans les principales aćtions de
lui donnant fa vie ? Il ne choifit rien de lui-même, & il s'abandonne à tous les choix que
* Dieu fait de lui, quoique ce ſoit dans des rencontres délicates, & difficiles. Au
- prémier ordre qu'il reçoit d'un Ange, il ſe leve ; il va fans affoiblir ſon obéiſlan
ce par des retardemens affećtez, & fans la faire valoir, par les dangers, ou
par les peines qu'il y prévoit. Il n'examine jamais le commandement qu'on lui
fait ; c'eſt affez pour lui qu'on lui diſe que Dieu l'ordonne. Il ne répond que
par un reſpećtueux filence, & par une exécution prompte & fidele. Il ne s'in
forme ni des cauſes,ni des deſfeins,ni des ſuccès: & jamais une indiícrete curioſi
té, ni une vaine inquiétude ne troublent la ſimplicité de ſon coeur, ni la tran
quillité,de fon ame:Il ne fe fait pas honneur devant les hommes des commiſſions
qu'il avoit reçuës,il renferme fon fecret en lui-même,& ne veut avoir que le mé
rite de la foy, & la gloire de l’obéiſſance. Aufſi ne s'ingere-t'il en aucun emploi
fans un ordre du Ciel qui le détermine. Il ne regarde ni les hommes, ni les mo
yens humains pour fortir des difficultez où il trouve. Pour chaque aćtion
qu'on fçait de lui, il lui a fallu une révélation , une vocation , une miſſion par
ticuliére. Voilà quel eſt le caraćtere & la vertu de faint Joſeph.
ce qui a Erat in Deum dives. Luc. I 2. C'est fans doute de faint Joſeph que l’on peut
rendu faint dire avec vérité, qu'il étoit riche de Dieu, felon le langage de l'Evangile, puiſ
Joſeph, top: que Dieu étoit toute fa poſſeſſion ; mais il en étoit d'autant plus riche , qu'il ne
poſledoit que lui. Car il y a cette différence entre être riche des biens de la ter
re, & l'être des biens du ciel: que pour s'enrichir des prémiers, il en faut poſſe-,
les hommes, der beaucoup, les accuinuler les uns fur les autres, en avoir de toutes les
c'est qu'il des terres, des maiſons, des revenus,des meubles, de l'or, de l'argent ; mais pour
« être riche de Dicu, il ne faut poſſéder que lui ſeul , puiſque poſſeder quelque
nc autre choſe avec lui , c'eſt être moins riche, que de ne poſleder uniquement
que lui ſeul. que lui ſeul. Voilà l'heureux fort, & la fortune avantageufe de faint Joſeph:
Érat in Deum dives. Il ne poſſede que Dieu , il ne penſe qu'à lui , il ne tra
vaille que pour lui , il n’a rien que pour lui, comme étant uniquement deſtiné
à le ſecourir dans l'état d'indigence & de delaiſſement.
siia: 19. *" custos est Domini fui glorificabitur. Prove. 17. Ces paroles du Saint-Eſprit
feph a été le prononcecs Par la bouche du Sage , nous obligent à glorifier hautement faint
gardien de Joſeph , à qui ce titre de gardien du Seigneur convient uniquement, & fingu
j = s u s- liérement, puiſqu'il a été choiſi pour être le pere nourricier , le tuteur & le con
K CO ili Di
dućteur de l'enfance du Sauveur du monde. Et l'on peut dire que J E s u s
-
PAR AG R A PHE T RoIsIEME. : 229
ahumain
été donné à Joſeph
conçoit je ne pour le conduire
fçai quelle fainte&horreur
pour ,l'élever.
quand ilJ'avouë quela Sageſſe
penſe que l'eſprit ce titre lui
honora
infinie de Dieu s'est foûmiſe à l'ignorance humaine ; que le Fils unique du Pere C. .
Eternel , en qui font renfermez tous les tréſors de la ſcience & de la fageſſe ,
s'est mis dans la dépendance d'un fimple homme, & qu’encore qu'il poſſedât
parfaitement toute la ſcience divine , comme Verbe Eternel, & la béatifi-
que, comme le prémier des Bienheureux, & l'infuſe , comme le Chef de ſon
Egliſe ; néanmoins s'étant bien voulu aſſujettir à toutes les foibleſſes de l'en
fance, il ſe foit réduit volontairement comme les enfans à marcher, à par
ler , à nommer les choſes par leur nom , à former peu à peu des raiſonnemens
comme eux, de même que s'il n'avoit rien fçû, afin de joindre à toutes ſes au
tres connoiſſances, une ſcience expérimentale. Il ſemble à la vérité bien étran--
ge , que pour lui apprendre cette fcience, au lieu de choiſir un Ange, ou quel
que grand Docteur du monde, on l'ait mis ſous la tutelle de faint Joſeph , à
qui ſeul ce glorieux emploi étoit réſervé. Molinier, fermon de faint Joſeph.
Unigenitus qui est in finu Patris. Joan. 1. Quand l'Ecriture parle du Fils uni- La inye & le
que qui eſt dans le fein de fon Pere, de quel Pere parle-t'elle? Eſt-ce defon Pere ,
Eternel ? Oüi , ſans doute ; car il repoſe avant tous les fiécles dans le ſein de
ce divin Pere, comme dans le centre de fes délices éternelles. Mais n’eſt-ce fedé le fils
pas auſſi de fon pere temporel , faint Joſeph ? fans doute qu'on le peut auſſi de Dieu , de
entendre de lui: Car combien de fois s'eſt-il repoſé fur fon fein, comme dans "a" fit
le centre de fes délices temporelles ? quelle joye à ce Pere de poſleder Dieu
dans fon enfance, de le porter'entre fes bras, de le faire repoſer fur ſa poitri
ne, de l'embraſfer, d'en avoir la garde, & d'être pour ainſi dire, comme ſon
Ange tutelaire. On vante certaines faveurs paſſageres dont la fainte Vierge a
gratifié quelques Saints, leur mettant J e su s dans fon enfance, entre les
bras ; mais quelle différence ; ils le poſledoient quelques momens : Joſeph
le poſſede tous les jours, le porte entre ſes bras tant qu'il veut , & durant
une longue fuite d'années. Combien de fois a: t-il été tranſporté de joye , &
ravi hors de lui-même au milieu des délices qui l'environnoient ; des grandeurs;
du Pere Eternel, dont il étoit le Substitut; de la très-ſainte Vierge, dont il
avoit l’honneur d'être l'Epoux, & de J E s u s dont il étoit le nourricier ? Quoy,
diſoit-il en lui-même , vous m’avez destiné , Seigneur , pour nourrir du travail
de mes mains, le Créateur de l'univers, & celui qui nourrit toutes les créatu
res ! Verbe adorable, je ne ſuis qu'un pauvre Artiſan, & vous voulez que je
prenne ſoin de vôtre conduite, que je vous donne du pain , vous qui en don
nez à tout le monde ! Combien de fois , le faiſant aſléoir à table, lui a-t-il re
peté ces paroles, que le Pere Eternel lui dit dans fa gloire ; fede à dextris meis :
Venez , mon Fils , afleyez-vous à ma droite. Quand vous entendez ces paroles,
qui penſez-vous qui parle ? est-ce le Pere Eternel ? eſt-ce faint Joſeph : c'est l’un
& l'autre ; c'est le Substitut du Pere qui parle comme le Pere même. Quel
fujet d'admiration pour les Anges de voir celui qu'ils adorent dans la gloire,
regnant avec le Pere & le Saint-Eſprit, mangeant à une table en terre, entre un
auvre ouvrier, & ſon épouſe !
Joſephayant
Joſeph vir ejus, erat justus.
été deſtiné Matt.fpéciale
par une 1. Ditesvocation
tant qu'il
au vous
plus plaira que faint nous devons
noble ministere que
i fût i is, il r •• • f fo ue l s Sai » concevoir
qui tüt jamais, il a reuni en la Perionne ce que les D Ont cu du merite
11]
23o poUR LE PANEGYRIQUE DE S. J o SE P H.
de fant lo- qu'en partie; qu'il a eû les lumieres des Prophetes pour connoître le ſecret de
l'Incarnation du Fils de Dieu ; les foins amoureux des Patriarches, pour élever
& nourrir un Homme-Dieu ; la pureté des Vierges , pour vivre avec une
l'Evange- Vierge, Mere d'un Dieu ; la foy des Apôtres, pour voir au travers les humi
liste lui liations
donne.
extérieures
des Confeſſeurs , & d'un homme
le courage des, Martyrs,
les grandeurs
pour cachées
défendred'un Dieu :aule peril
& fauver zele
de fa vie celle du Fils de Dieu. Dites tout cela, & je vous répondrai par une
feule parole: foſeph vir ejus erat juflus. Ne vous en étonnez pas, Joſeph étoit
un homme juste. Une juſtice fi éclairée, fi prudente , fi diſcrete, fi humble, fi
charitable, fi conſtante, fi fidele, fi parfaite luy a été néceſſaire pour foûtenir
avec honneur tout le poids d'un fi glorieux ministere.
La reffem- Faciamus illi adjutorium fimile fibi. Gen. 1. Dieu donna à Adam une aide &
"a. unartageât
1Il Crul IS »
fecoursavec
quiluv
luyles
étoit ſemblable,
foins de la vie.que
Ce l'Ecriture appelle
n’étoit que une de
la figure compagne,
Marie &qui
de
vertus , & 8 y q 3
de nobies Joſeph. Dieu vouloit, comme l'aſſûre faint Ignace le Martyr , cacher au de
qualitez qui mon le myſtére de l'Incarnation de fon Fils, & mettre à couvert l'honneur de
faint Joſeph la
& tres-fainte Vierge, qui eût paſſe pour une infâme , fi Elle eût été mere
- |- - - * * - - • * -
& la fainte Stant feule. Fecit Marie adjutorium fimile fibi, dit faint Bernardin : il luy vou
vierge. lut donner un Epoux digne de fa haute qualité , qui lui fût ſemblable, & qui
eût voüé à Dieu, comme Elle fa virginité. Ce fût le tres-heureux, & tres
faint Joſeph, qui felon ſaint Bernard, eût l'honneur d'être le Ministre du
conſeil de Dieu, fon fidele Coadjuteur en terre, & l'aſſocié de la tres- fainte
Vierge au gouvernement du Verbe Incarné, avec tout le pouvoir que peut
avoir un pere fur ſon fils , & commet la tres-ſainte Vierge à la fidélité de
Joſeph. C'eſt ce qui fait conclure à ces deux Saints, qu'il faut indubitablement
croire que le Saint-Eſprit qui étoit l'auteur de leur mariage , n'eût pas moins
de zele à donner à la tres ſainte Vierge un Epoux fortable à ſes mérites,
qu'en auroit eû un homme du monde. Il falloit bien que la relation de Jo
feph à Marie eût toute la convenance que l'on peut défirer dans les alliances.
Car fi faint Auguſtin croit avoir prononcé en peu de mots le Panégyrique de
la fainte Vierge, lorſqu'il dit en honneur ? Si formam Dei te appellem, digna
existis : Heureuſe Mere de mon Dieu ! quand je vous appelle l’image de la Di
vinité, en qui éclatent les traits de fes adorables perfećtions : vous êtes digne
de cet éloge ; On peut dire auſſi que fi Marie étoit l'image de Dieu, Joſeph
étoit un miroir qui repréſentoit Marie avec beaucoup de fidelité , en forte
qu’en regardant cette Vierge incomparable, on pouvoit juger des perfećtions
de Joſeph , & en voyant Joſeph, on concevoit une tres haute idée des per
fećtions de la tres-ſainte Vierge. Marie étoit le miracle de la nature , le chef
d'oeuvre de la grace , l’honneur des fiécles , la magnificence de Dieu; Ele étoit
choiſie pour être la Mere defon Fils, l'Epouſe & le Temple du Saint-Eſprit;
on peut donc affúrer que fon Epoux étoit austi ſingulier dans fes mérites, & in
comparable entre les hommes, pour l'aimer comme Elle l'aima fingulieremcnt
La grande º" les Saints: - * - - *
e Nemo novit Filium , nist Pater. Matt. I 1. Nous liſons dans l'Evangile que nul
ce que faint ne connoit J E s u s que fon Pere. Je ſça bien que le Sauveur pailc dans cet
l« û du ºFils endroit du Pere Eternel: mais je n’ignore pas auſſi ce que pluſieurs fçavans
* / |- - - - :- T) -----1- . -
u,” hommes ont enſeigné, que jamais Docteur de la Loy , jamais Prophéte , ja
* P A R A G R A P H E T R O I S I E’M E. 231
mais Patriarche n’a eû des connoiſſances ſi diſtinćtes du Veibe fait chair, que
faint Joſeph. Comme il est donc certain qu'il a pénétré ce qu'il y a de plus
impénétrable dans les perfećtions de Jesus: il est auffi croyable qu'il l'a aimé
d'un amour plus grand , que nous ne ſçaurions comprendre. Les aćtious de
faint Joſeph prouvent cette vérité plus ſolidement quc ne peuvent faire nos
raiſonnemens. Le Saint-Eſprit a prononcé ſur ce ſujet une excellente parole
dans le livre des Proverbes ; Se peut-il faire qu'un homme cache du feu dans fon Proverb. c.
fein, fans que fes vêtemens fe brûlent ? C'eſt-à-dire, qu'il eſt impoſſible qu'une
erſonne ait beaucoup d'amour, fans qu'elle en donne au dehors des marques
éclatantes. Ainſi les véritables amis du Sauveur ne fe font pas contentez de fai
re paroître foiblement cette flamme, ils ont encore tout pour le Sauveur;
ils ont beaucoup ſouffert afin de luy plaire ; ils ſe font toûjours efforcez de
luy être tres étroitement unis. Ce font-là les mêmes effets qu'a produit dans
le coeur de Joſeph l'ardeur ſacrée qui le conſumoit.
P A R A G R A P H E QUA T R I E ME.
Paffages & Penfees des faints Peres fur ce fujet.
H cum Maria conjuge com A virginité de Joſeph lui eſt commune avec
munem virginitatem.Sanctus Auguſti fon Epouſe.
nus ferm. z 5. de diverf.
Locupletior testis pudoris Maria maritus On donnoit un mari à la fainte Vierge, pour
adhibeatur, qui poffet će delere injuriam,ớ être le fidele témoin de fa pureté, afin qu'il pûc
vindicare opprobrium , ſi non agnoſceret fa étoufer la honte & l'opprobre qu'elle n'eût pû
cramentum S. Ambroſius 1. 2. in c. 2. éviter,ſi elle eût eû un fils ſans étre mariée.
Luc.
Honoravit eum Deus Patris vocabule. Le Saint-Eſprit a honoré faint Joſeph d'un
Origenes. Homil. 17. in c. 1. Luc. glorieux nom de Pere du Sauveur.
Tanto fanttius, ćr verius quod folo chari Le mariage de Joſeph & de Marie est d'autant
tatis vinculo fundatum efi. Hugo à ſancto plus véritable & plus faint , qu'il n'eſt point
Vićtore. fondé ſur la concupiſcence, mais ſur les ſeuls
liens de la chariré divine.
Nomine Patris neque Angelus neque fanātus Les Anges & les Bienheureux n'ont porté que
in cælo , brevi licet ſpatio , meruit appella le nom de ferviteurs , Joſeph ſeul a la gloire
ri, hoc unus foſeph potuit noncupari. S. d'avoir porté le nom & la qualité de Pere.
Bafilius.
Eccleſia fides in eo est , ut non modo dei La créance de l'Egliſe eſt que non ſeulement
para , fed etiam putativus Pater , atque la Mere du Sauveur, mais encore celuy qui Paſ
nutritius, virgo habeatur. Petrus Damiani. foit pour être fon Pere, & qui l'a nourri & éle
Epist. 2. ad Nicol. Papam. vé en cette qualité , ont été vierges.
Virum Maria. Hoc est prorſus ineffabile, Etre l'Epoux de Marie, c'est un] bonheur inef
cr nihil preterea, dici potest.Joan. Damaſc. fable , & il ne fe peut rien dire de plus glo
T1Cux.
orat. de Nativit. Virginis.
Spiritus Sanctus de carne Virginis hominem Dans le moment que le Saint-Eſprit travailloie
formans, paternum viro huic fcilicet foſe à la formation du corps de Jesus-CHR 1sr dans
pho, qui naſcebatur infantis amorem infu le ſein de Marie , il répandit un ardent amour
dit. Rubertus Abbas. dans le coeur de Joſeph, pour cet enfant qui de
voient naître d'elle.
Ad omnes labores quos Deus ferre non po Dieu ſubstituë Joſeph pour faire à l'égard de
terat , foſephum pignorat. Idem. Jesus CHR1st les fonctions qu'il ne convenoit
Pas de faire à la divinité.
2. 2. poUR LE PANEGYRIQUE DE S. JOSEPH.
, foſeph mundiffimum fuiſſe in virgi Je crois fincerement que la virginité dans faint
mitate , profundiſſimum in humilitate , ar Joſeph a été tres-pure & tres-excellente, que
dentiffimum in charitate, altiſſimum in con fon humilité a été tres profonde, fa charité tre s
templatione, ćr effe adjutorium ſimile fibi. ardente, fa contemplation tres-ſub lime, en quoy
S. Bernard. il a éré parfaitement femblable à la fainte Vierge.
Quia omnia que funt uxoris , funt etiam Puiſqu'il eſt juſte que tout ce qui appartient à
viri , credo quod beatiffima Virgº totum la femme appartienne auſſi au mari, je crois que
theſaurum cordis fui , quem foſeph recipere la fainte Vierge donne à fon Epoux S. Joſeph
poterat, illi liberatiffimè exhibeat. Sanctus toute la poſſeſſion du prétieux tréfor de fon coeur
Bernardinus fexcent. Serm. de Joſepho. qu'il étoit capable de recevoir.
Maluit Dominus de fu» ortu , quam de Le Fils de Dieu a mieux aimê qu'on doutât de
matris pudore dubitari ; Ideò datus illi est fon origine, que de la pureté & de l'honneur
fponfus. S. Ambroſ. in cap. 1. Lucæ. de fa Mere ; & c'est pour cela qu'il a voulu qu'el
le eût un Epoux.
Erat ſubditus illis. Dua ſubjectio, ficut jefus leur étoit foámis. Comme cette foûmiſ
inestimabili er notat humilitatem in Christo fion marque une humilité admirable dans Jesus,
ita d gnitatem incomparabilem ſignat in fo elle fait voir une dignité incomparable dans Jo
fepho , & in Maria. Gerſon, ferm de Na feph & dans Marie. -
tiv. Virginis.
Quid fublimius quam imperare ei, qui Qui a-t-il de plus glorieux que de commander
in femore habet fcriptum , Rex Regum , C3’ à celui qui a écrit ſur la cuiſſe, le Roy des Rois,
Dominus dominantium. Idem. & le fouverain Seigneur.
Maria gratiam Joſepho , vultu, voce, Maric a communiqué & inſpiré la grace à Jo
vitá é continuá converſatione , per tot an feph pendant tant d'années par l'air de fon vifa
nos afflavit. Idem. ge , par le ton de fa voix , par le reglement de
fa vie , & par fa converſation.
foſeph Pater vocatur, non quod genuerit, Saint Joſeph eſt appellé Pere de Jeſus , non
fed cum educavit. S. Hicronymus. parce qu'il l'a engendré , mais parce qu'il l'a
IlOuIT1.
Quanta fiducia foſephi , quanta vis in Quelle confiance est celle de Joſeph , & quelle
in eo impetrandi ? quia dum vir uxorem , force fa priere n'a-t-elle point pour impetrer ce
dum pater filium orat , velut imperium re qu'elle demande ? Quand un mari prie fa femme,
putatur. J. Gerſon. & un pere fon fils , cette priere eſt une eſpece
d'empire.
Decuit ut tanta prarogativa foſeph pol Il étoit à propos que Joſeph eût une telle pré
leret , qua fimilitudinem & conſcientiam rogative au-deſſus des autres Saints , qu'elle
exprimaret talis ſponſ ad talem ſponſam , pût faire voir la reffemblance entre un tel Epoux,
de quá natus est feſus. Idem. & l'Epouſe dont JEsus est né.
O conjugium cæleste , non terrenum , quia Ce mariage vient du Ciel , & n'a rien qui tien
conjugium, five conjunttio tota fuit cælestis, ne de la terre ; parce que l'union qui eſt entre
Cr Spiritus Sanftus conjugalis amor. Ru les parties, est toute céleste, & que le Saint-Eſ
pertus in c. 2. Matt. prit même eſt le lien de leur amour conjugal.
Conjice ex hac appellatione , quá meruit Jugez de la fainteté de faint Joſeph par la qua
honorari à Deo , ut Pater Dei , Cr diétus lité dont il a merité d'être honoré d'avoir porté
cr creditus fit, quis cr qualis homo fuerit le nom de Pere de Jesus, & d'avoir été crú l'être
ille Toſeph. S. Bernardus. Serm. 2. ſuper en effet.
miffus eſt.
cum virgo tot & tanta impetraret peccato Si Marie a été fi bienfaiſante envers des per
ribus, quanta putas impetravit charifmata fonnes criminelles, qu'elle regardoit avec indif
anime fof phi fponſi. S. Bernardinus Sen. férence,quelle tendreſſe n'aura-t'elle foint eû pour
ferm. 3. de fanéto Joſepho. fon Epoux ?
Christi familia fideliſſimus Procurator. Al Le Procureur & l'adminiſtrateur fidele de la
bertus Magnus in cap. 2. Luc. famille de Jesus CHR isr.
Fidelis fervus é prudens, quem consti Le ferviteur fidele & prudent que le Seigneur
ruit Dominus fue matris folatium , fue a établi, pour foulager fa fainte Mere , pour
carnts nutritium, & ſolum in terris magni étre ſon pere nourricier , & pour travailler fur
confilii coadjutorem fideliffimum. S. Bernard. la terre à l'éxécution de ce qui a été arrêté dans
Homil. z. ſupermiffus eſt. le conſeil éternel touchant l'Incarnation.
foſeph pater Domini meruit apellari. Joſeph a mérité l'honneur de porter le nom
S. Hieronymus
N
Ad famam Maria conſervandam , Pater Jo'eph a paſſé dans l'eſptit des hommes Pour
fefu ab omnibus est estimatus. S. Hierony Pere de J E s u s , Pour l'interêt & l'honneur de
mus contra Helvidium. Marie fa véritable mere.
Non est in calestibus agminibus, qui Domi Parmi les troupes des eſprits célestes, il n'y
num fefum audeat filium nominare. S. Cy en a aucun qui oſe prendre le nom de Pere du
Prianus vel alius author. lib. de Baptiſm. Seigneur , cer honneur eſt refervé au feui
Chriſti. Joſeph.
Non folum debuit effe foſeph Pater christi, Non-ſeulement Joſeph a dû être pere de Je
fed maxime debuit. S. Auguſtin. ferm. 63. sus-CHR ist, mais encore il a été très-raiſonna
de diverſis. ble qu'il le fût. -
foſeph filius David non folum carnis pro Joſeph a été Fils de David aon Par le
pagine, fed fidei ac virtutum imitatione, S. titre de la génération ſelon la chair » mais
Bernardinus in vigil. Nativit. Par l'imitation de fa foy & de toutes fes
Vertus.
foſephum Parentis honore coluit Christus ; Jesus Christ a honoré Joſeph comme fon
omnibus filiis exemplum prabens,ut fubjician Pere , montrant en cela l'exemple à tous les en
tur parentibus. Origines homil. 2. in fans, d'être foûmis à leurs Parens.
Luc.
Nemo ambigat Dominum feſum, cum ad Perſonne ne doit revoquer en doute que
huc in puerili effet atate , obſequio prastitiffe J R $ u s-C H R r s r, le souverain Seigneur'de
ipſique fof pho. S. Laurentius Juſtinianus l'univers , lorſqu'il étoit dans ſon bás âge »
l. de obedient. c. 8. n'ait rendu tous les ſervices à ſa mere & à fainc
Joſeph.
Magis credebat foſephus castitati Virginis Joſeph voyant fon Epouſe enceinte , ſe con
quàm utero ejus, & plus gratia quàm natu fioit plútôt en la vertu , & en la pureté de la
ra ; poſſibilius effe credebat mulierem fine fainte Vierge , qu'à ſes yeux qui s'apperce
viro poffe concipere, quam Mariam poſſe pec voient de fa groſſeſſe ; il croyoit que c'étoit
care. S. Chryſoſtomus homil. 1. in Matth. Plütôt un , ouvrage de la grace que de la
nature, & Plus facile à croire qu'une Vierge
enfantât , que de ſe perſuader que Marie fût
coupable.
foſeph vocari justum, attendite, propter Prenez garde que dans l'Evangile, Joſeph
omnium virtutum perfectam poff jionem. eſt appellé juste, à cauſe de l'entiére & parfaite ,
S. Chryſologus. Poffeſſion de toutes les vertus.
si Dominus Matrem Virginem noluit niß Si le Sauveur étant ſur la croix près d'expirer
virgini commendare , quomodo fustinuiffet n'a voulu recommander ſa Mere Vierge qu'à un
fpomfum ejus, virginem non fuiſſe. S. Tho diſciple Pareillement Vierge , comment eût il
mas in cap. 1. Epiſt. ad Galat. Pû ſouffrir que ſon Epoux ne l'eût pas été.
P A R A G R A P H E CINQUI EM E.
:::::: ” quel a été l'éclat de ſes vertus, qu'elle a été la multiplicité de ſes dons fur
fion f - naturels, leur ſublimité , leur excellence. Saint Joſeph étoit arrivé à ce
permiſſus est. comble de perfećtion , que l'Evangile exprime par un ſeul mot, quand il l'ap
pelle , l'homme juſte, c'est à-dire , l’homme qui poſlede toutes les vertus
dans un degré éminent; lorſque le Verbe voulant ſe faire chair dans le fein.
d'une Vierge , Marie fût choiſie de Dieu pour en étre la Mere, & faint
Joſeph pour être ſon Epoux.
Jamais ' . Si jamais un mariage fut heureux , il faut avoüer que ç'a été celuy de
mạriage a Joſeph & de Marie ; car comme le Perc Eternell'avoit ordonné , qu'il y avoir
inviſiblement aſſisté, & qu'il le destinoit à ſervir de préparation au plus
j j
grand & au plus faint de tous nos mystéres : il ne fe trouva jamais deux per
feſh & de fomnes plus conformes en inclinations, en graces , & en vertus que Joſeph &
Marie, & Marie. Le Ciel qui les avoit créé l'un pour l’autre, s’étudia à les rendre fem
Pº"Tºº)? blables en toutes choſes, afin que leur reſſemblance fit naître leur amour,
leur amour produiſit leur bonne intelligence , & que de là vint leur félici
té. Puiſque Dieu avoit choiſi ſaint Joſeph pour en faite l'Epoux de Marie ;
il faut inférer que Dieu , qui ne fe méprend jamais dans ſes deſfeins, lui
donna toutes les qualitez qui le pouvoient rendre le digne Epoux d’une fi
fainte Vierge ; & l'on peut même croire que la grace lui inſpira la pensée de
fe conſacrer à Dieu par le voeu de virginité ; ſi ce n'eſt que l'on croye plûtôt
qu’il s’engagea par ce voeu à la perfuaſion de la tres-ſainte Vierge, & qu'il
n’apprit ce nouveau moyen de s’unir à Dieu, que de celle qui fe peut juſte
ment glorifier de l'avoir enſeigné la prémiere à toute l'Egliſe.
PA R AGR APHE C IN QUI EME. 235
Comme dans l'Evangile, faint Joſeph porte la qualité & le nom de Pere du Par quels
Sauveur, & que c'eſt la fource de ſon mérite & de ſa grandeur : il ne faut pas titres le ị
nom de Pere
penſer qu'il ait porté ce nom de Pere de J E s u s-C H R 1 s T , comme un vain du Sauveur
titre d’honneur ſeulement, & comme un nom en l'air, qui n’eſt foûtenu de eſt dû à faint
rien : car quoiqu’il n'ait pas contribué à la produćtion de cette humanité fainte , Joſeph.
qui eſt uniquement l'ouvrage du Saint-Eſprit : il a porté néanmoins cette au
guste qualité, par tant d'autres titres, que les Théologiens les plus féveres
n'oſent ſeulement la lui diſputer, après que la très-fainte Vierge l'a qualifié de
ce nom , en parlant à ſon Fils ; Ego & pater tuus dolentes querebamus te ; & que Ltur. 2.
le Saint-Eſprit même lui a cedé fa place , en la lui accordant fi autentiquement
par la plume des Evangélistes : Erant pater & mater ejus mirantes ſuper iis Ibider«
que dicebantur de illo. En effet, le titre de pere est dû à faint Joſeph par
une infinité d’endroits ; dont chacun pris à part » étant inconteſtable ,
tous enſemble , & pris tout à la fois , doivent pleinement convaincre . -
les plus pointilleux fur ce ſujet. Il lui eſt dû , parce qu'il lui a ſauvé la
vie ; & par conſequent fi le Sauveur ne lui doit pas le prémier être, comme
tous les autres enfans le doivent à leurs peres, il lui eſt redevable du ſecond ,
qui en est la conſervation. Il lui appartient encore , parce qu'il l'a nourri & en
tretenu, comme un orphelin abandonné, à qui il a gagné le pain à la fueur de
fon front ; de forte que cette humanité fainte n'eſt proprement qu'un compoſé
du Sang de Marie , & des fueurs de Joſeph. Il le doit porter en troifiéme lieu,
parce qu'il l'a adopté pour fon Fils, & que ſelon la loy de l'adoption, celui qui
étoit adopté portoit le nom de Fils de celui qui l'avoit choiſi , & reciproque
ment le nom de pere étoit dû à celui qui l'adoptoit. De plus, il a été fon tuteur,
fon gouverneur & fon maître ; & comme tous les offices ſont fubordonnez à
celui de pere , ce n'est pas fans raiſon qu'il porte ce nom, & que le Sauveur
même à voulu être appellé fon fils ; Nonne hic est filius Joſeph ? Lur. 4- :- -
saint Joſeph . Nous ne lifons nulle part que le Fils de Dieu ait jamais mandié fon pain
a nourri le lorſqu'il étoit enfant, ni durant ſa vie cachée. Qui l'a nourri en ce temps-là ?
s c'est Joſeph; car il ſe contentoit de l'entretien qu'il avoit dans la maiſon d'un
pauvre artiſan. Le Pere Erernel n'a pas voulu taire nourrir fon Fils d'une ma
ans, & pat niére miraculeuſe, auſſi bien que pluſieurs grands Saints de l'unc & de
là , il mérite l'autre alliance : & il n'a pas jugé à propos de lui conſerver immédiatement par
lui-même , une vie temporelle a comme il lui en avoit communiqué une éter
PAR A G R A PHE CIN QUIEME. , 237
nelle dans ſon propre ſein , ſouhaitant que Joſeph eủt la gloire d'être le poú le nem de
voyeur de celui qui pourvoit au beſoin de toutes les créatures. On a toấjours pere de cet
jugé que ceux qui nous nourriffent long-temps , principalement fi c'est à la -
fueur de leur front, doivent paſſer pour nos peres ; puiſqu'ils ne nous don- -
nent pas une fois ſeulement , mais mille fois la vie ; c'eſt-à-dire, auſſi fouvent,
u'ils nous empêchent de mourir de faim, en nous fourniſſant des vivres néceſ
à l’entretien de nos corps. Jamais perſonne ne s’eſt aviſé de blâmer le
faint homme Job, de ce qu'il prénoit la qualité de pere des pauvres ; Parce que
tout le monde fçavoit bien, qu'en les nourriſſant il portoit légitimement ce
beau nom. Le fentiment de faint Jerôme appuyé de la Sainte Ecriture, nous
doit ſuffire pour conclure avec Origene , & pluſieurs Doćteurs des plus habiles
Interpretes, que nôtre Saint eſt pere de J E s u s-C H R 1 s T , Parce qu'il eſt fon
InOu1T1C1cr • -
Un autre emploi que les Docteurs reconnoiſſent en faint Joſeph à l'égard de saint Joſeph
Jesus-ChR1st, a été en quelque maniere ; celui de précepteur & de maître. ºre ap
Le Sauveur du monde par un excès d'humilité infinie , a voulu , les prémieres :
années de fa vie temporelle, paroître au dehors, avec toutes les foibletſes & les c, ,:
infirmitez des enfans. D'où vient qu’etant la Parole éterneile, il begayoit avant pour avoir”
que de parler
en diſant, qu'ildistinctement, comme
y a câ un temps où lece Prophete Iſaye ſembloit
divin Enfant nous le fait
ne concevoir, été, ſon
fçavoir pas IIìa1tIC,
encore prononcer le nom de ſon pere, & de fa mere. Il falloit alors que Joſeph
inſtruifit celui qui ſçait tout: & que fi les autres Docteurs expliquent la vérité
à leurs Diſciples , faint Joſeph apprit à la Vérité même à s’expliquer. En ce
temps-là cet adorable Enfant Dieu recherchoit les lumieres des hommes, lors
qu'il vouloit déliberer ſur quelque choſe, comme fi elles lui euffent été néceſſai
res, lui qui est la Sage ffe incréée : & il ne croyoit pas faire tort à fa perſonne
adorable, en prenant les marques de l'ignorance, puiſqu'il s'étoit déja revêtu de
toutes les apparences du peché. C'est ce qui le , fi nous en croyons plu
fieurs fçavans perſonnages , à demander conſeil à Joſeph, à ſuivre ſes avis,
& à en recevoir des inſtrućtions, qui auroient été fort utiles à un autre ; & il le
faiſoit avec tant de docilité, qu'il paſſoit dans l’eſprit des Juifs pour l'apprentif
d'un pauvre Artifan. Le Sauveur n'a fait qu'une fois l'honneur aux Scribes &
aux Doćteurs de la Loy, de paroître devant eux en qualité de Diſciple: mais il
a ordinairement écouté Joſeph comme fon Maître , lorſqu'il l'obligeoir de lui
apprendre les précéptes qu'on repete aux enfans, pour leur donner les premieres
impreſſions de la fageſſe & de la vertu.
Nous pouvons dire avec Gerſon, Chancelier de l'Univerſité de Paris, . En quer
** - - ens
qu'il y a quelque choſe dans la perſonne de J es u s-C-H a i s r , qui appar- dire #:
tient à faint Joſeph ; puiſqu'il est né d'une perſonne; ſur laquelle faint Jófeph appar
a un véritable pouvoir, par le droit du mariage qu'il a contraćté avec Elle. tent
Ainfi Marie est Mere de Jesus, & Joſeph en eſt le pere: car quoiqu'il n’y Joſeph.
air que Marie qui ait contribué fon fang pour le former, & ſon fein pour le
porter, Joſeph ne laiſſe pas d'y prendre part, puiſque le ſang qui le forme, &
Îes entrailles qui le portent lui appartiennent légitimement. Confeſſons donc
que comme Marie demeurant Vierge , est Epouſe de faint Joſeph, & Mere
G g iij
238 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. J o S E P H.
de J E s u s, Joſeph austi fans intereſler la pureté, & fans bleſſer l'honneur de
Jesus ni de Marie, est l'Epoux de l'une, & le pere l'autre.
comme Les peres font les fouverains de leurs enfans, la nature & la loy autoriſent
faint Joſeph également cet empire, & parmi toutes les nations de la terre, les enfans ont
a "_" été les ſujets de leurs peres. Saint Joſeph uſant de ce droit, a commandé à
º- Jesus-CHR ist , & l'Ecriture, pour rendre un témoignage éternel à cet ado
j - rable pouvoir, a conſigné ces paroles à tous les fiecles : Et erat fubditus illis : il
ca s ist en étoit ſujet à Joſeph , & à Marie. L'on admire & avec raiſon, que le foleil ait
qualité de obéi à Joſué , & que pour ne pas contrevenir aux ordres de ce Conquerant, il
pcrc. fe foit arrêté au milieu de fa carriere. L'Ecriture pour faire valoir ce miracle,
femble nous vouloir perfuader que quand cet astre obéit à Joſué, Dieu obéit
à un homme, & que celui-cy renverſant les loix de la nature, devint en quel
fºsté º que façon, le fouverain de fon Créateur : Obediente Deo voci hominis. Il n'y a
perſonne pourtant qui ne voye que quand l'Ecritute uſe de cette hyperbole,
elle veut ſeulement nous apprendre que Dieu, pour accomplir les ſouhaits de
Joſué, ou plůtôt pour exaucer fes prieres, arrêta le ſoleil , lorſque tournant
- vers fon couchant, ſa courſe ſembloit être plus précipitée. Mais quand l'Evan
gile nous apprend que Jesus-CHR ist obéiſſoit à faint Joſeph , elle n'uſe d'au
cunc figure, elle parle ſimplement, & fans exagerer la vérité ; & elle a deſ
*
fein feuleinent de nous repréſenter l'obéiſſance de Jesus-CHR 1st , & l’auto
rité de faint Joſeph.
Joſeph a été On demande en Théologie fi le Sauveur a eû un Ange gardien comme les
vif- autres homines ? on répond que non : parce qu'étant la Sageffe de Dieu, il
: - n'avoit pas beſoin de lumieres étrangeres ; il étoit lui-même l'Ange du grand
doit le šau- Conſeil. Que fi ces Intelligences Bienheureuſes l'ont accompagné pendant fa vie,
veur du ç'a été pour le fervir , & non pas pour le conduire. Mais il renonce entiere
monde. ment aux privileges de ſa ſageſſe en faveur de faint Joſeph ; il veut qu'il ſoit
fon tuteur , & fon Ange viſible: il veut qu'il prenne le foin de le conſerver,
& de le conduire ; il veut croître en vertu & en fagelſe, & fuivre les enſeigne
mens, & les conſeils de Joſeph. Anges bienheureux, qui conduiſez le mon
de , & qui remüez les cieux, & vous qui gardez les hommes, les villes , les
Empites, que vos emplois font illustres ! Et vous, Ange Gardien de Joſeph ,
il faut avoüer que vôtre emploi & vôtre miniſtére eſt relevé, puiſque VOllS COIl
duiſez Joſeph, qui eſt Gardien de Jesus ; mais que Joſeph eſt bien plus glo
rieux que vous, il n'a pas beſoin de vos mains, ni de vôtre charité ; Jesus
étant confié à ſes foins, on peut dire qu'il gouverne tout le monde , il conduit
Jesus, & le nourrit. . . . * -
""
Chaill P.
du mystére de l'Incarnation du Fils de Dieu : outre que par les foins , & les
P AR A G R A P H E C IN QUI E M E. 239
peines qu'il a priſes pour conſerver l'humanité du Sauveur des hommes , il
peut être appellé, comme dit faint Bernard, ſon Coadjuteur dans l'ouvrage
de la Rédemption ; ne feroit-ce pas d'ailleurs accufer d'ingratitude celui qui
fait gloire de récompenſer avec uſure les fervices que nous lui rendons , que
de douter qu'il ait verſé dans le coeur de fon Pere , les plus douces, & les
plus vićtorienfes de fes graces ? - -
Nous avons juſte ſujet de croire qu'après Jesus, Joſeph a eủ la meilleure Saint Joſeph
part dans les affećtions de la très fainte Vierge : Car fi une ſeule viſite de l'alité
Marie enceinte du Saint des Saints, remplît autrefois la maiſon de Zacharie de :
bénédictions : ſi les ſeuls regards de cette Reine des vertus avoient tant d'effi- i e
cace au rapport de faint Denys , qu'ils jettoient dans l'ame des plus grands par à ſon
pecheurs, l'amour du bien , & la haine du mal ; fi le mari infidele , dir faint i etio", &
Paul, eſt ſanctifié par la femme fidele ; quels effets admirables de ſanctifica
tion, quelle conſommation en toutes fortes de vertus devòient produire dans .
une ame parfaitement diſpoſée, comme étoit celle de faint Joſeph, non-feu- qui font les
lement une viſite,
converſations ou les®ards
intimes, de Marie,
les facrez colloques les entretiens
mais de familiers,
cette tres-ſainte les "iesaffec
Epouſe
avec ce faint Epoux, pendant l'eſpace de trente années ? L’amour de Marie, e
Ce qui releve davantage la gloire de faint Joſeph, c'est qu'encore qu’il Joſeph en
rende ſes hommages à la grandeur de Jesus, & qu'il reconnoille la très-ſainte
Vierge comme la fource de fon bonheur, néanmoins enſuite de ce mariage,
il est par office le Chef de cette auguste Famille ; puiſque ſelon les paroles de la Mere de
faint Paul, c'est une Loy inviolable que le mari doit être le Chef de fa fem- le a été
me: caput mulieris, vir. C'est auffi å faint Joſeph que s'addreſſent les Ambaſ
fadeurs du Ciel : c'est à lui que les Anges portent les ordres du Ciel : c'eſt à È 4
lui que Dieu ſe communique dans le ſommeil; pour l'avertir de fauver ſon
Fils de la crüauté d'Hérode, & de le ramener de l'Egypte : c'est à lui qu'on
déclare le nom que l'on doit impoſer à cet Enfant adorable. En un mot, Dieu
: le traire en toutes choſes comme le Chef de la Famille, & le maître de la
maiſon. La Vierge toute fainte lui rendoit en toutes choſes ſes reſpects & fes.
foumiſſions, & reconnoiſſoit en lui l'autorité de Dieu qui la gouvernoit; de
forte que celle qui voit toutes les célestes hiérarchies abbatuës devant fon
| trône en qualité de Mere de Dieu ; celle que tout l'Enfer redoute, que tout
l’univers reſpećłe , à qui les Rois font gloire de conſacrer leurs Etats, celle-là
24o POUR LE PANEGYRIQUE DE S. JO SE P H.
même faiſoit profeſſion publique de rendre à Joſeph tout l'honneur, & l’obéiſ.
fance qu’une femme doit à fon mari.
ogel a été . L'objet du ministére de faint Joſeph a été Jesus & Marie : ſes devoirs ont
1e ministére, été de les fervir : Fidelis fervus & prudens quem constituit Dominus fuperfamiliam
& la fonc- fuam ; il y a donc eû entr'eux une mutuelle , & une union tres-étroite de
* charité & d'amour. Jesus & Marie ont aimé Joſeph uniquement : Joſeph a aimé
. 24 • fouverainement Jesus & Marie; il n'en faut pas davantage pour prouver fa préé
minence , & ſon élevation par deſſus tous les Saints ; car qu'eſt-ce qui fait un
Saint : l'amitié du Fils de Dicu, & la bienveillance de la très-ſainte Vierge.
u’eſt ce qui fait qu’un Saint eſt plus grand qu'un autre à une plus grande
amitié du Fils de Dieu, & une plus grande bienveillance de la très-ſainte Vierge;
f pourquoi ? parce que cette amitié & cette bienveillance n'eſt jamais infrućtueu
fe , mais effećtive.
La faint: La qualité de Mere de Dieu dans la très-ſainte Vierge , ne la diſpenſoit
vietge a été point de la foûmiſſion qu'Elle devoit à faint Joſeph comme à fon Epoux :
auſſi s'y foûmît-elle en tout. Si faint Joſeph veut aller en Jéruſalem, V cut
faint Joſeph. s'enfuir en Egypte, s'il veut ſe retirer en Galilée , Marie le fuit , & non-ſeule
ment Elle ne contredit pas, mais Elle juge que ce que ce faint Epoux ordonne,
est le plus expédient ; Elle regarde fa volonté comme la régle de la fienne ;
Elle prend ſa parole comme un commandement du Ciel ; Joſeph eſt ſa Loy
extérieure & viſible, c'eſt un oracle vivant, pour qui Elle a le même reſpect,
& la même déférence que pour Dieu dont il tient la place.
comme . On ne peut douter de la fainteté de ſaint Joſeph, après avoir demeuré fi
faint Joſeph long-temps avec le Sauveur : Car fi un moment de fa compagnie a fanćtifié
Zachée qui étoit un Publicain, ſi trois ans de fa converſation ont changé ſi
du heureuſement les Apôtres, qu'étant des gens de la lie du peuple, groſſiers ,
fils de Dieu & ignorans, ils font devenus les maîtres de la terre: fi une ſeule viſite de ce Sau
& par la lő- veur étant encore dans le ventre de ſa Mere, fanćtifia Jean-Baptiſte qui n'étoit
pas encore né ; ne faut-il pas dire qu'un fejour fi long de faint Joſeph avec le
Fils unique du Pere Eternel, l'a rempli des richeſſes du Ciel ? Et fi le Sauveur a
lui. répandu ſes bien-faits dans tous les endroits qui ont eû le bonheur de le
Aã. ro. poſſéder : Pertranfit benefaciendo : que devons-nous penſer de fa libéralité envers
nôtre Saint, qui a été honoré de fa préſence durant l'eſpace de trente ans ?
C'est pourquoi un ſçavant Théologien a eû raiſon d'avancer que c'eſt une
opinion tres-probable que faint Joſeph a futpaſſé en grace tous les autres
Saints.
Le mariage Ce mariage entre faint Joſeph & la fainte Vierge étant infiniment chafte,
Ole P
e n'en
*
étoit pas moins un véritable mariage , puiſque faint Augustin l'a foûtenu
/ | * * A ɔ
** contre les Pélagiens ; car, felon les Juriſconſultes mêmes, c'est le conſente
vietge est ment des parties qui fait le mariage , & non ce qu'on en appelle la conſomma
un véritable tion. L'on trouve en effet dans cette union toute pure de faint Joſeph , & de
" la tres-ſainte Vierge, tous les biens qui doivent fe rencontrer dans le mariage;
F 3• la foy y a été inviolablement gardée de part & d'autre ; le ſacrement s'y eft
2.s trouvé, parce que leur union a été indiſſoluble : la liaiſon des coeurs l'a rendu
Juli n. l. 5. plus ferme, que l'union des corps n'a rendu ies autres mariages ; il a été même
E. I 2 . avantagé de la fécondité , & nous a donné non un enfant ordinaire, mais un
Enfant qui étoit Dieu ; auſſi l'Evangile appelle-t-il Joſeph pere de Jesus,
- - ce qu’il
p A R A G R A P H E C I N Q U I E’M E. 24 f
ce qu'il ne feroit pas s'il ne l'eût été dans un fens tres-véritable, comme étant
le véritable mari de celle de laquelle ſeule Jesus-CHR1st avoit tiré ſa naiſſance,
mais pour appartenir à tous les deux.
Pluſieurs ſçavans Doćteurs attribuent à faint Joſeph des privileges finguliers; Trois pri
d'avoir été fanćtifié dès le ventre de ſa mere, comme Jean-Baptiste, & Jeremie; vileges at
d'avoir été confirmé en grace & préſervé du pcché ; d'avoir été exempt des ou à
mouvemens de la concupiſcence. Y eût-il jamais d'avantages comparables ? faint Joſeph.
dit le Cardinal Tolet ; c'eſt auſſi le fentiment de Gerſon, & celui de Suarès : &
néanmoins ces grands privileges ne font que les diſpoſitions & les préludes d'un
plus grand mérite.
C'est un malheur inſéparablement attaché au mariage, que tout pur, & tout Le cæut
faint qu'il est , il partage le coeur des hommes , & que par une fâcheuſe né- de Joſeph
ceſſité , il oblige le mari à pourvoir aux beſoins de fa famille, à chercher d'in- n'étoir par
nocens artificesdepour
velles preuves ſon plaire & à fe ,diviſer
à fa femme
affećtion, à lui donner tous les jours de
ainfi malheureuſement nou.le
entre Ề, Q Il
Ciel, & la terre: Qui cum uxore est , dit l’Apôtre des Gentils, follicitus est que conme il
funt mundi , quomodo placeat uxori , & divitus est. Mais faint Joſeph plus heu- arrive dans
reux que tous les hommes, s'unilloit à Dieu par la Vierge ; & il avoir cet avan- | matiages
tage , qu'en ainant ſon Epouſe, il aimoit la Mere de fon Dieu. Il ne voyoit rien *
en El e qui ne lui inſpirât des ſentimens de piété ; ſes paroles l'élevoient à Dieu, T.corinib.7
fes regards ſanćtifioient ſon coeur, ſa modestie régloit toutes ſes actions, & ſa
beauté , par un miracle auſſi grand comme il eſt rare , ne faiſoit naître
ue de ſaintes penfees dans fon eſprit , fi bien que ſon cher Epoux ſe
élevé à Dieu quand il la regardoit , fe trouvoit enflammé de sharité
quand il l'écoutoit , & ſe yoyoit transformé infenſiblement en un Ange,
quand il converſoit avec la Mere de Dieu , & la Souveraine des An
ges. Que de faints entretiens il eût avec fon Epouſe ! que de progrès
il fit dans la vertu pendant une fi longue & fi ſainte converſation ! que d’ora
cles il entendit de fa bouche ! que de véritez fublimes il apprit de la Maîtreffe
de l'Egliſe ! que de merveilles voyoit-il en regardant la ſeule perſonne de la
Mere de fon Dieu , qui étoit elle-même une ſource féconde de mer
veilles !
La Providence qui avoit destiné faint Joſeph pour être l'Epoux de Marie, Pourquoy
le tuteur, & le pere nourricier du Sauveur, voulut qu'il fût du fang Royal. Dieu a vou.
Deux Evangelistes ont fait ſa généalogie , & tous deux démontrent viſiblement, º que jo
quoique par deux branches différentes, qu'il étoit Fils de David: parce que cette
circonstance étoit néceſſaire pour faire connoître le Meſſie dans la perſonue du !
Sauveur. Ainfi il étoit de la Tribu de Juda, & de la famille Royale qui avoit -
regné depuis David, juſqu'à la captivité de Babylone. Il est vrai que l'éclat de
cette auguſte maiſon étoir tombé, mais la noblefle perſévéroit dans fes deſ
cendans, quoiqu'ils n'euſſent ni biens, ni emplois qui les distinguaffent ; c'étoit
une nobleſſe obſcure, & enſevelie dans l'humiliation , & dans la pauvreté,
parce que le Fils de Dieu ayant réſolu de naître dans l'obſcurité d’une étable,
& de paſſer ſa vie dans la pauvreté, avoit conſéquemment réſolu que celui qui
devoit lui tenir lieu de pere , fût pauvre , & vécût fans éclat, afin que la
naiſſance du Meſfie fût cachée juſqu'à ce qu'il la fit connoitre en ſon
temps.
Paneg. des Saints. Tome I. *. H h
* 242 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. JO SE P H.
Ioſeph ? . Il ne fant pas s'étonner qu'on attribué à faint Joſeph une puidance pater
table pui(-" nelle fur J E s u s - C H R I S T , il ne l'a pas de lui-même, il l'a reçúë certe
* f * - 2 4- - IT : * f
fanse a:sr- autorie • de Dieu, quand il eſt devenu ſon pere. Il n'eſt pas néceſſaire de ré
neile ' peter icy que faint Joſeph n'a pas été pere du Sauveur de la même maniere que
J : s u s- les autres hommes font peres de leurs enfans: on peut dire néanmoins qu'avec le
|- titre de pere; il a reçû la même puistance ſur le Sauveur que les autres peres
venoirs, nt comunement fur leurs enfans , & que ce nom de pere, que lui donne
de luy. l'Evangile, renferme cette autorité ; car toute paternité en quelque ſens qu'on
la prenne, vient de Dieu, dit l’Apôtre , il en cſt le principe & l’exemplaire :
Ad Eph.f3. Ex quo omnis paternitas. Et c'eſt ce droit joint à ce titre , qui a fait Joſeph
pere de fon Fils , qui lui a communiqué cette autorité ſur ce Fils, Dieu
fuppléant par ſa pailiance, ce qui manque du côté de Joſeph pour en être vé
ritablement le pere.
Le nom de Si le raiſonnement de faint Paul eſt juste, comme nous n’en doutons pas,
pere d. S nu - lorſqu'il prouve l'excellence de Jesus-CHk 1st par deflus tous les Anges ,
i, par la nobleſſe de fon nom : 7antò melior Angelis effectus, quanto pre illius dif
ferentius nomen hereditavit; quelle estime ne doit-on pas faire de faint Joſeph,
ce q'ii ya q9 porte avec justice le nom de pere d’un Dieu : & qui après avoir été allo
de plus cié par le Pere Eternel, a pů dire,parlant à un même fils : Ego ero illi in patrem,
# "a" & ipſe mihi erit in filium:Je luy ſervirai de pere, & il m'obeira,comme un fils, s'il
. eſt vray felon ſaint Thomas, que les Apôtres ont reçû des graces plus avantageu
Il idem. fes, parce qu'ils étoient plus proches & plus immédiatement unis à celui, de la
plénitude duquel nous avons tout reçû ; quelle doit être l'abondance des gra
ces de faint Joſeph : qui est-ce qui après la tres-fainte Vierge , a eủ plus de
proximité , & plus d'union avec Jesus-CHR 1st que Joſeph ? Si , comme dit
ce même Doćteur, il arrive aux fideles auprès de Dieu , ce qui arrive aux
Officiers des Princes de la terre, que ceux qui font élevez aux prémieres
charges, ont de plus riches penſions, & des appointernens conſidéra
bles , qui jamais entre les créatures, après la Vierge toute fainte , a eû des
cornmiſions fi nobles , & des charges fi relevées, que celuy qui a été le dé
fenfeur, & pour ainſi dire, l'Ange gardien viſible de Jesus?
Les rares Si Dieu, comme dit encore faint Paul , donnant les charges, fournit en mê
qualict de me temps les qualitez néceſſaires pour s'en bien acquiter : qui facit nos idoneos.
fait Joſeph ministros ; quelle maturité de jugement , quelle rare prudence aura-t'il don
"":""
doient digne
- née à cet homme choifi par ſa Sageſſe, pour l'adminiſtration des plus grandes
- » • • • * - - - * * -
affaires qu'il ait jamais euës hors de foi, qui eſt de vacquer à la conſervation
nift:re. & au falut temporel de tous les hommes ? Quelle haute élevation d’eſprit au
z. Cºrinth, ra-t'il donnée à Joſeph, qui devoit l'eſpace de trente ans , étudier à l'écolc de
3. la Sageffe Incarnée ? Mais ſur tout, quelle capacité de coeur, quelle étenduë
de volonté , quelle fécondité d'amour n'aura-t'il pas donnée à celui qui
devoir être l'autel vivant fur lequel devoit repoſer tout le feu de l’amour
de Dieu , renfermé dans la perſonne de Jesus-CHR 1st ? Mais fi nous ne pou-*
vons comprendre les ſeules a euës pour cette haute paterni
té, comment comprendrons-nous le cornble des graces que ce faint homme
aura acquiſes dans l'exercice de cette ſublime paternité ? Tous les Peres de
l'Egliſe ne parlent qu'avec raviſſement du bonheur qu'eut faint Jean l'Evan
geliſte de repoſer dans le temps de la derniere Céne , fur le coeur de Jesus :
P A R A GR A P H E C IN QUI EM E. 243
Hé! combien de fois Joſeph a-t'il tenu ce faint & adorable Enfant endormi
entre fes bras ? combien de fois cet Enfant s'est-il jetté dans ſon fein, pour
y prendre fon repos ? * -
Joſeph a été deſtiné par la providence pour gouverner Jesus-CHR i sr dans La miren
la conduite de l'Incarnation. Car c'eſt, felon les ordres de cette adorable pro- de 'oſeph a
vidence, dont il étoit comme le dépoſitaire, qu'il a gardé le fecret du mystére été de cacher
fi religieuſement. C'est ce Sacrement éternel, conclu dans le filence de l'éter- * :
nité, qui devoit être conduit par le filence de Joſeph dans le temps. Il y a :
une vocation à ſe taire, & une vocation à parler , un don de ſecret , & un i a
don de publication de l'Evangile. La miſſion des Apôtres a été de faire connoi- tion, au lieu
tre Jesus-CHR i sr au monde comme Fils de Dieu, & la miſſion de faint lºs celle
Joſeph a été de le cacher au monde, & de le faire paſſer pour ſon Fils. Les
uns ont levé le voile qui couvroit la Divinité ; l'autre l'a tenu tiré , pour
ne laiffer voir quc l'humanité. C'eſt ainſi qu'il a exercé cette providence
filentieuſe & müette , qui par des précautions néceſſaires, devoit cacher les
deffeins de Dieu ; juſqu'à ce que le temps de la révélation fut arrivé.
Saint Joſeph fut élû pere du Sauveur par la volonté de Dieu , qui le conſ- c’est par
titua chef de cette fainte Famille , & voulut qu'il exerçât l’office de pere él aici di
envers cc Fils bien-aimé, & qu'il lui rendît rous les devoirs qu'un pere eft vine que lo
obligé de rendre à fon fils. Il fut donc pere par élećtion divine, & il s'acqui- cte
nul fidele qui n'ait en ce grand Saint une affećtueuſe confiance. Les miracíes
que Dieu fait dans tout le monde chrétien par fon interceſſion , & les faveurs
fingulieres que reçoivent tous ceux qui invoquent , font voir fenſiblement
que le Sauveur ne refuſe rien à celuy qu'il a toûjours cheri, & reſpecté com
me fon pere , & qu'il veut que nous honorions comme tel. |
H h ij
244 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. J O S E P H.
Le reſp & & . Marie devenant l'E nouſe de Joſeph, palla fous ſa puiſſance , & entra en fo 1
: cieté avec lui pourleurs jours enſemble. Telle eſt la loy que ſubiſſent les
ſaint h femmes , en même temps qu'elles engagent leur foy à des époux. Il fe
a.oi, pour forme dans ceux-cy un melange d'autorité & d'égalité envers elles ; d'autorité,
Marie, non- qui leur donne droit de les conduire ; d'égalité, qui les oblige à leur donner
o le toute la conſolation , & tous les ſecours dont elles peuvent avoir beſoin, Ce
, Principe fuppoſé , qu'elles ont dû être les
vertus de nôtre Saint ? Quelle glo
i en ricuſe image ne vous formez-vous pas de lui ? Sans doute vous vous repréſen
qualité de tez en lui une parfaite droiture de raiſon, pour entrer dans tous les deſleins de
ſon Froux, la providence fur fon Epouſe ; une chariré ſinguliere , également tendre &
agistante, pour pourvoir à tous les beſoins de ſon Epouſe ; une humilité pro
fonde , pour reconnoître en Elle la Souveraine de l'Univers , malgré ſon autori
té d'Epoux : une pureté angelique pour cn maniere à l’in
comparable pureté de la Vierge toute fainte , fon Epouſe ?
1. de pæni- Tertullien dit en parlant de Dieu, qu'il n'y a point de créature qui porte
tentia. à fi juſte titre le nom de pere que luy. En effet, comme Dieu est l'idée & le
modele de toute forte de grandeur , & la fource même de toute paternité, pour
Ad Ethef. parler avec faint Paul ; il est viſible qu'à proportion que quelqu'un poſlede la
'perſonne qualité de pere, d'une maniere qui approche le plus de celle du Pere Eternel:
n'a porté la il est plus en droit d'être appellé pere. Or jamais Ange ni homme n'ayant été
qualit de que
Pere d'une
honoré d'une
faint paternité
Joſeph qui portât
, puiſqu'ils n'ont mieux le caraćtere
tous deux de celle
effectivement de Dieu
qu'un mêmele Fils
Pere;
maniere - * * * - - A • • 1 »
plus appro- il faut dire par une ſuite néceſſaire, qu'il n'y eût jamais d'homme fur la ter
$hante du , re , ni d'Ange dans le ciel, à qui on ait donné plus juſtement le nom de pere,
Pere Eternel, qu'à l'incomparable Joſeph.
que Le Sauveur appartenoit à faint Joſeph , & Dieu ne voulut pas qu'on lui of
Joſeph. frît ce divin Enfant comme vićtime des pechez des hommes , avant que nô
Dieu ne tre Saint eût paru devant les autels, & qu'il eût cedé en quelque maniere
" fes droits en faveur du genre humain , conſentant que fon Fils fût immolé
. dans quelque temps pour expier nos crimes. Les Docteurs nous apprennent
C r que Dieu n'accepta l'offre que le Verbe Incarné lui faiſoit publiquement de
comme une fon ſang & de ſa mort , qu'après que la tres fainte Vierge , qui le poſledoit
vićtim: pour en qualité de Mere , l’eût mis entre les mains des Prêtres, déclarant tacite
ment qu'Elle approuvoit le ſacrifice fanglant qu'il devoit faire de luy-même
& pour le falut de tous les hommes. C'eſt donc pour la même raiſon qu'il a
Matie n'euf fallu que faint Joſeph allât à Jéruſalem, le dévouer à la croix & à la mort ;
c'est afin que le Pere Eternel en agréât l'oblation enſuite de cette ceſſion au
tentique ; c'eſt ainſi qu'il poſlede l'enfant Dieu , & qu'il le poſlede fi parfai
oits tement, que non-feulement Hérode, ni quelque autre tyran ne lui fçauroit
en faveur enlever , ſans violer fes droits , & bleſſer la juſtice ; & le Pere Eternel même
des hommes. ne le veut pas recevoir pour être un jour ſacrifié à ſa justice irritée contre les
hommes, fi Joſeph n'y conſent , & n'en fait un préſent volontaire.
L'avantage . Il n'eſt pas néceſſaire de s'étendre ſur l'avantage qui revient à faint Joſeph -
de Joſeph ni même du degré de nobleſſe qu'il acquiert en poſledant Jesus comme fon
'r Fils ; Car s'il luy eſt tres glorieux d’être defendu derant de Rois , il le lui
n est beaucoup d'avantage d'avoir eu le Sauveur pour ſon Fils. Les peres ſeuls
que se Fils annobliilent leurs enfans, & nul fils ne fait, pour ainfi dire, rejaillir l'é
P A R A GR A P HE C IN QUI EM E ?
clat de ſa nobleſſe fur ſon pere, puiſque c'eſt le propre en matiere de l'annoblit,
de deſcendre du pere au fils , & non pas de remonter du fils au pere. Mais la :
nobleſſe de faint Joſeph en ce point, est toute contraire à celle des Grands du peres
monde ; il reçoit un caraćtere de nobleſſe tout divin par la poſſeſſion de Jesus qui anobliſ.
fon Fils,
ont qui met
quelque liaiſondans
avecune
lui.élevation extraordinaire
Quand nous préndrions toutes les d'avancer
la liberté perſonnes que
qui fut leurs
enfans.
Joſeph a été affez noble de luy-même pour annoblir le Sauveur, ce Fils pour
tant luy a donné un rang de nobleſſe beaucoup plus élevé que celui qu'il en
a reçû. Joſeph étoit Fils de David, parce que le ang de ce grand Roy avoit
paſſé dans fes veines , ou plutôt, parce qu'il avoit été héritier de ſes vertus ;
rſonne néanmoins ne peut nier que le Sauveur du monde n'ait communiqué
à faint Joſeph une nobleſſe infiniment plus excellente, que n'eſt celle qu'il ti
roit de la plus noble famille de l'ancien Testament. -
Dieu employe tous les Saints à tel miniſtére qu'il lui plaît : les uns à instruire Le ministére
les peuples, comme les Docteurs ; les autres à les gouverner, comme les Paſauquel lain:
teurs ; les autres à combattre pour lui , comme les Martyrs ; les autres - * sti º é.
à remplir le monde de la bonne odeur des exemples de leur fainte vie, comme
les Confeſſeurs : & tous, à faire éclater ſa gloire, chacun en ſa maniere. Mais ii f.
Joſeph est un Saint tout fingulier, qui femble prédeſtiné pour un ministére tout frent de
contraire
manifeſter: c'est pour cacher
au monde. fa gloire,
Et parce que c'estquand il n'a
un plus pas prodige
grand encore deétévoir
temps de la tres Saints.
la gloire les au
tenoit à faint Joſeph, par le droit de mariage : il eſt donc ſon Enfant. Et quand monde.
on diroit que faint j n'a pas contraćté une avec l'Enfant
Jesus, parce qu'il ne l'a pas produit de fa ſubstance perſonnelle ; du moins il
est vrai en toute rigueur , qu'il a contraćté une véritable affinité au prémier
degré, puiſqu'il est le vrai : & légitime Epoux de fa très-ſainte Mere : Af
nem Deo Maria reddidit ſponſum. Marie a donc la prémiére parenté, & Joſeph a
la prémiére affinité avec le propre Fils de Dieu ; & l’affinité & la parenté ailant
d’un même pas , la fainte Vierge a un plein droit d'être appellée la Mere du
Sauveur du monde , & faint Joſeph d'en être appellé le pere ; l'une à cauſe de
la parenté, l'autre à cauſe de l'affinité. * A* *
Quoique Dieu nous dife dans l'Ecriture : Voyez que je ſuis ſeul, & qu'il ") a c'est au
point d'autre Dieu que moy ; néanmoins il n'eſt pas fi jaloux du nom de Dieu, foi i
ne permette bien à fes ferviteurs de le prendre, quand il les a Joſeph que
es enfans par la grace ſanctifiante, & lui-même les appelle
H hdesiijDieux: Ego nel commu
*
|?
246 , POUR LE PANEGYRIQUE DE S. JOSEPH.
nique le dixi, Dii estis vos, & filii Excelst omnes. Mais pour le nom de pere de fon Fils
unique, c'eſt le titre d'honneur qu'il ſe réſerve à lui ſeul : c'eſt la gloire de ſa
dignité perſonnelle qu'il ne communique ni à ſon propre Fils ni au Saint Eſprit,
; n. 1d. ni à tous les Anges, ni à pas une des créatures, excepté au ſeul faint Joſeph.
C'eſt avec lui ſeul qu'il veut bien partager la gloire de ce grand nom de pere de
fon Fils unique. Tous les Anges & les plus hauts Seraphins ne portent que le
nom de Serviteurs de Dieu : le feul faint Joſeph a la gloire par deſſus toute
l'Egliſe militante & triomphante de porter le nom de ſon Pere: Nomine paterni
tatis neque Angelus, licet brevi temporis fpatio potuit nuncupari : hoc unus Joſeph
inſignitur , dit avec admiration faint Baſile.
Saint Joſeph Quoique le Pere Eternel ait toûjours aimé ſon Fils, & qu'étant l'objet de
fes complaiſances dans l’éternité, il n'ait pas cellé de l'être dans la plénitude des
temps ; il eſt vrai pourtant qu'il l'aime dans le ciel d'une maniére fortable à
je sauveur,a ſon état glorieux. Mais dans le cours de la vie mortelle de J E s u s-C H R 1 s T ,
dû avoir il faut un homme mortel, qui ſoit chargé de tous les offices de pere, qui air
pour | pour un Dieu infirme & fouffrant, un amour compatiflant & fenſible , & qui
fente des affećtions
proportionnées à ſes beſoins ; & c'eſt la fonćtion, & le mi
pat fant, niſtére de faint Joſeph. r /** • * - * *
afin de pour- La fidélité & la prudence étoient deux vertus néceſſaires à celui qui avoit en
Yº ""° garde deux perſonnes auſſi précieuſes qu'étoient J e su s & Marie. Les paroles
f; de faint Bernard, quoique communes & inferées dans l'Office de l'Egliſe, vien
f nent à propos à ce fujet ; Fidelis fervus & prudens, quem constituit Dominus fue
leſquelles , matris folatium , fue carnis nutritium , folum denique in terris magni confilii coad
faint Joſeph jutorem fideliffimum. Cette fidélité parut particuliérement en ce qu'il garda le ſe
: . cret à ſon Epouſe, la voyant groſſe fans fçavoir comment. Elle paturencore &
fa prudence, a Vºyage d'Egypte, & durant tout le fejour qu'il y fallut faire, où il n'épargna
ni foin, ni travail pour le foulagement de l'Enfant ; & de la Mere. Mais fa pru
dence fut admirable en toute rencontre ; parce qu'il n’y eût jamais d'affaires fi
importantes & fi difficiles à déméler, que fûrent les fiennes, lorſqu'il ſe vit
obligé de fauver de la cruauté d’Hérode le Sauveur du monde. Il le tira néan
moins de ce danger avec une addreſſe merveilleufe , l'emportant de nuit en
Egypte, & le cachant fi bien, qu'il n'y eût point d'eſpions allez vigilans pour le
découvrir. Pendant cet exil , qui dura ſept ans, dans un pais barbare & idolâtre,
quelle prudence ne falloit-il pas pour pourvoir à mille neceſſitez, qui ne font
que trop fréquentes à ceux qui habitent par contrainte en des terres étran
geres ?
E | Un des principaux foins de la providence des peres pour leurs enfans, c'est
de pourvoir à leur nourriture , afin de conſerver par ce moyen, la vie qu’ils leur
vidence ont donnée ; & c'eſt auſſi une des commiſſions que la providence de Dieu a
pourvoit de donnée à faint Joſeph , comme le nourricier de lon Fils. Comme le Sauveur
nourritur avoit une humanité & un corps comme les autres hommes, il avoit beſoin de
nourriture comme eux, pour lui donner cet accroiſlement que la nature de
décharge fu mande. C'étoit principalement au Pere Eternel à pourvoir à la nourriture de
faint foſeph fon Fils, puiſqu'il pourvoit à celles des hommes, des animaux & des autres créa
de celle de corbean
fon Fils,
pouvoit
tures. Il leà Elie faire parfedes
; il pouvoit voyes miraculeuſes, comme lorſqu'il envoya un
fevrir du miniſtére des Anges pour cette fonćtion,
comme après le jeûne de quarante jours » il ſe ſervir d'eux pour lc nourrir au
P A R A GRAP H E C IN QUI E M E. 247
defert. Mais que fait-il ? renonçant à ces moyens miraculeux, c'est à Joſeph leu
lement qu’il recommande la vie de fon Fils , & c'eſt ſur fa fidélité qu’il ſe répoſe
de ce ſoin : Tibi dereličius est pauper : orphano tu eris adjutor. Le Prophete pour Pſalm: to.
loüer la providence de Dieu fur toute la nature, dit que les yeux de toutes les
créatures font toûjours attachez fur lui : Oculi omnium in te ſperant, Domine, &c. Pſal. 183.
C'eſt en faveur de Joſeph que Dieu change cet ordre de fa providence, & pen
dant que toutes ſes créatures tournent les yeux fur fa bonté, dont elles attendent
leur nourriture , Dieu les tourne lui-même ſur Joſeph ; c'est à ce faint homme
que Dieu demande du pain ; c'eſt lui qui nourrit fon Seigneur, non feulement,
mais qui le conſerve & le défend.
C'est la conduite ordinaire de Dieu, quand il éleve une perſonne à quelque Le Tere Eter
haute dignité, de lui donner des fentimens & des affećtions conformes à ce faitnel choix
yạntde
nouvel état ; comme quand il choiſit Saül pour le faire Roy de ſon peuple, il Joſeph pour
lui donna un coeur magnanime & tout royal, avec tant de grandeur d'ame , & , pla
tant de nobleſſe dans ſes fentimens, qu'il devint en un inſtant capable de foû- ce, lui den
tenir le poids de cette nouvelle dignité. Ainſi le Pere Eternel ayant fait choix tez
na les quali
néceſſai
de faint Joſeph pour tenir ſa place ſur la terre , & fervir de pere au Verbe In Ies pour fou
- y • J • A - r *
carné : qui peut douter qu'il ne l'ait pourvû des qualitez néceſſaires pour rem tenir cette
plir la dignité de ſon miniſtére. C'eſt pourquoi n'ayant pủ le faire véritablement di iề.
fon pere par une réelle participation de ſa fécondité, il le fait par la participa
tion de ſon amour, en lui donnant un véritable coeur le pere envers ce divin /
Enfant , pour accomplir tous les devoirs de cette charge.
Il eſt de foy, dans le fentiment des Théologiens , que Joſeph & Marie ont On ne peut
été unis par les liens d'un véritable mariage , quoiqu'ils ayent toûjours conſervé douter que
une pureté auſſi excellente, que celle des Anges même. On n'a preſque jamais ale mariage
vů que l'on s'intereſſàt à faire rompre un mariage, lorſque ceux qui y etoient de
» 3 • - * - • • Joſeph &
Joſeph &
e la fainte
légitimement engagez, en défendoient la validité, & en pourſuivoient la rati vi e
fication. Seroit-il donc poſſible, qu'il fe trouvât un eſprit aſſez pointilleux, pour été auſfi vé
conteſter l'alliance de Joſeph & de Marie, après que ces deux ſacrées perfon- ria été faint.. il
nes ont toûjours vécu dans une très-parfaite intelligence, & qu'ils ont obtenu
en faveur de la vérité de leur mariage, pluſieurs arrêts, s'il m’est permis de
parler de la forte, prononcez par la bouche de Dieu même , & publiez dans le
faint Evangile ? Jacob a engendré Joſeph Epoux de Fils de David, ne
craignez point de prendre avec vous Marie vôtre femme ; ce font les paroles de
l'Evangeliste faint Matthieu. Jamais mariage n'a été fi folemnellement déclaré
régulier & valable, en aucune cour ecclefiaſtique ou feculiére, ni par des ora
cles auffi infaillibles, que le font ceux qui viennent d'autoriſer celui-cy. Les
Peres , & les Doćteurs de l'Egliſe traitent ordinairement faint Joſeph d'Epoux
de Marie ; & il n'y a point de fidéle qui lui refuſe cette qualité fi relevée. S'il
ne la poſledoit pas en effet , jamais Dieu n'auroit permis que l'Egliſe , qui ne
eut errer, lui eût donné ce glorieux titre d'Epoux de la Reine des Anges. La.
Taiſon qui rend cette doćtrine indubitable, eſt fondée fur l'autorité du Concile
général de Florence , & de celui de Trente, qui ont décidé que tout ce que le
Inariage a d'effentiel, ſe trouve dans le conſentement mutüel des deux perſon
nes qui le contraćtent publiquement ; & que les fuites de ce confentement
znutuel, ne font nullement néceſſaires pour faire ſubſister ce ſacrement.
Dans l'o
Je ne ſuis point ſurpris que faint Augustin ait préferé les mariages où la
„. virginité
2 POR
ſaint A 1-
PANEG,
ne ſe perd point, QUE
à ceux où elle reçoitDE S. atteinte
quelque Jos Mais je: m'é
gustin , le tonne que le même ſaint Doćteur enſeigne, que le lien du mariage bien loin de
inariag- de ſe rompre, devient encore plus étroit & plus fort par l'obſervation de la plus
ces P ſon parfaite continence. Le fçavant Hugues de faint Victor, qu'on appelloit autre
fois l'Auguſtin de fon temps, & qui a traité à fond cette matiére , aflůre avec
des termes plus forts , que le mariage , où il ne ſe trouve qu'une parfaite union
teël demeu d’eſprit & de coeur, & où l'on diſpoſe de fon corps, comme l'on fait fouvent
rent vier, des biens extérieurs, dont on donne le domaine en fe reſervant l'uſage : que ce
mariage eſt non ſeulement plus avantageux & plus faint : mais auſsi plus véri
plus table que les autres. |- * « /**/ -
étroit que . L'amour qu'on porte au prochain a des qualitez fort différentes , felon
les maria-, la diverſité des ſujets. L'amour du ferviteur est plus bas que celui de
Fe ºrdinai l'ami ; celui de l'ami que celui des enfans; mais l'amour du pere & de l'Epoux
del fu l'emporte encore par deſſus. Quel est l'amour des Saints envers le Fils de Dieu ?
l'amour de 'amour de ſerviteurs, amour d'amis, amour d'enfans, & de freres adoptifs tout
faint Joſeph au plus. Mais faint Joſeph a reçû un coeur de pere envers Jesus-Chrisr , &
su slefiis d'Epoux à l'égard de ſa Mere. Le Saint-Eſprit formant l'humanité fainte du
*P*" Fils de Dieu de la chair de la tres-ſainte Vierge , mit dans le coeur de Joſeph
un amour de pere pour l'Enfant qui devoit naître d'Elle. Il le falloit
parce qu'il devoit lui rendre tous les devoirs de pere , l'élever, & prendre foin
de fon enfance, comme pere. Il devoit donc auſſi avoir pour lui un amour de
ere. Appellerai-je cet amour, naturel ? l'appellerai je furnaturel. Je ne puis
naturel ; car l'amour de Dieu eſt au-deſſus de la nature. Je ne puis
non plus le nommer furnaturel, car l'amout d'un pere envers ſon fils eſt na
turel. C’eſt donc naturel , & furnaturel que je dois le nommer naturel, à
l'égard de l'office ; furnaturel, à l'égard de la perſonne : amour fingulier de
Joſeph , qui l'approche fort près de l'amour maternel que les faints Peres re
commandent , relevent avec des éloges fi magnifiques dans la Vicrge tres
fainte.
La fainte Comme l'alliance qui ſe contraćte entre les Epoux rend communs entre les
Viergº º parties tous les biens qui leur arrivent dans le mariage ; il s'enfuit que la
tres-fainte Vierge communiqua à ſaint Joſeph , l'autorité qu'Elle avoit ſur
en qualitë J E s u s-C H R i s T en qualité de ſa Mere. Comme Elle avoit produit toute
de ſon feule fon Fils, elle reüniſſoit en ſa perſonne ces deux fortes de puiſſances que
Fpoux : le la nature partage entre les peres & les meres à l'égard de leurs enfans. Elle eſt
pere & mere ; Elle a la puiſſance de l'un , & de l'autre. Que fait-elle ? Elle
avoit communique à ſon Epoux cette furabondance de droit. Elle partage ces deux
fur fon ve noms , & retenant pour elle la qualité de Mere de Jesus, elle veut bien
ritable Fils accorder à faint Joſeph le nom de Pere du Sauveur ; e le croit même le de
Bºº" lº voir faire avec d'autant plus d’équité, qu'elle avoit mis fon Enfant au monde
fe?" " " à l'ombre
roit point ombre dde ce mariage,
iage, & qu'elle l'avoit formé d’une ſubsta
& qu'elle tavoit forme d'une iubitance, quii par
par l
le
eû d'aill urs droit de mariage , appartient communément aux Epoux.
eu
Joſeph“ a l'Incarnation,
Comme faintayant
Joſeph
été,a ainſi
eû plus
quededitpart queBernard
faint nul autre
, le homme
tres-fideleau Coadjuteur
myſtére de
i du grand deffein de Dieu : il a eû auſſi une tres-ſpéciale communication des
aux dou- douceurs & des richeſſes cachées dans cet ineffable mystére ; il a reçû le pou
ceurs , & voir d'introduire les ames dans la joüiflance de ces richestes. Il fût élevé au
plus
P AR A G R A P H E CINQU I E'ME. 249
plus haut degré de la foy où l'on puiſſe monter, puiſquil eût une connoit- aux rich-ť.
fance preſque expérimentale des plus profonds ſecrets de Dieu , converſant (° de l'Ia
familierement avec Jesus
temporel, en qualité & ſa
de pere, leurtres-fainte Mereles, fervices
rendant tous ayant foin
qued'eux pour le
demandoient is de a
ces deux titres de pere & d’Epoux , & profitant de l'avantage qu'il avoit d'être part au fe
à la ſource des grâces. On peut dire qu’il en fit un grand amas où les ames e ei, de ce
intérieures trouvent dequoy s'enrichir, & où ſainte Thereſe a puiſé tant de "7"**.
graces dont elle fit fi bien ſon profit.
J E s u s veut bien unir ſa volonté à celle du Fils de Dieu , & de ſa Mere: Le sau
il ſe donne lui-même à Joſeph ; il le reconnoît comme fon pere, & contribuë veur s'est
à lui donner cette qualité ; c'est lui qui l'éleve fur fa famille : Constituit ſuper
familiam ſuam. Il n'en eſt pas de même des autres enfans : comme ils n'ont pas h
la raiſon avant que d'être, & que lors même qu'ils naiſſent, ils n'ont pas l'u- & i’,
fage de la liberté : ils ne peuvent fe donner eux-mêmes , ni faire, ni choiſir pour ſon
les peres, que la nature leur donne fans leur conſentement. Mais, vous Sau- P :
veur de tous les hommes, qui avant que d’être fils de l'homme , étiez Fils de Matth. 14.
Dieu, & qui dès le moment même de vôtre conception temporelle, aviez un
plein uſage de vôtre liberté : vous avez pů choiſir vôtre mere, & vous avez
pů vous nommer un pere, & le faire vous-même. Vous vous êtes donné aux
Anges comme leur Chef, aux hommes comme leur Rédempteur, & à Joſeph
comme fils. Mais ce que le Sauveur a fait à l'égard de Joſeph dès fa conception,
il le confirma dans tout le reſte de ſa vie , quand il regarda toûjours, & reſpecta
Joſeph comme ſon pere, & qu'il obéît à ſes ordres : Et erat fubditus illis ; c'est
à-dire , que quand il n'auroit pas eû d'ailleurs d'autorité ſur lui, il l'acquiert
de nouveau par cette volontaire obéiſſance. Que fi les aćtes de la volonté du
Sauveur ſont efficaces, fi ſes paroles mêmes font ce qu'elles diſent, fi lorſqu'il
: parle, il opére; Si en diſant : Cecy est mon corps ; il produit effectivement fon
corps ſous des eſpeces viſibles, nous pouvons dire que ſa volonté pour Joſeph
a été effective, qu'en l'appellant ſon pere, il l'a fait ſon pere, qu'il l'a adopté ,
pour ainfi dire , en cette qualité. Il eſt vrai que les Loix ne regardent pas ce
| genre d'adoption qu'il fait : c'eſt aux peres d'adopter leurs enfans, & non pas
aux enfans d'adopter leurs peres; mais dans la famille du Sauveur on n’eſt
point obligé aux loix humaines , c'eſt Jesus qui adopte Joſeph , c'eſt un fils
qui adopte fon pere.
: Le Sage dit que le Fils est la couronne du pere ; mais fi la gloire des autros ta gloire
peres est d'avoir des enfans, la gloire de faint Joſeph est d'avoir un fils qui eſt de
Dieu : c'est ſon ornement & fa couronne, qui a comme trois rayons, qui font Ioſeph est
trois effets de la puiſſance paternelle, que Dieu accorde avec proportion à a
faint Joſeph, & qui font les effers de la puiſſance des peres ſur leurs enfans. Les
peres poſledent leurs enfans , ils leur commandent, ils en diſpoſent. Les enfans i des
font la poſſeſſion la plus naturelle de leurs peres , ils font leurs tréſors, & leur peres ſur
richeſſes. Joſeph est pere de Jesus, il peut dire que ſon Fils est tous ſes biens, leurs enfans
:
& qu'il a un même droit ſur lui qu'ont tons les autres hommes fur leurs en
fans. Les peres peuvent commander à leurs enfans, c’eſt un empire naturel ; Joſeph à
ils font comme des Monarques dans leurs familles. Joſeph eſt pere de Jesus, l'egard de
|
il lui a donc pû donner des ordres , & le Sauveur a bien voulu lui obéir. ce Fils de
C'est une humilité fans exemple, dit ſaint Bernard , que Dieu obéiſſe à un hom- P*"
Paneg. des Saints. Tanus I. I i
25o POUR LE PANEGYRIQUE DE S. JOSEPH.
me ; mais de voir qu'un homme commande à Dieu, c'est une élévation fans
pareille. Enfin les peres peuvent diſpoſer de leurs enfans : Joſeph est pere de
Jesus, il peut donc diſpoſer de lui. Que peut-on dire de plus grand ? Joſeph
eſt élevé au-deſſus de tous les hommes par cette gloire, il poſlede le Sauveur »
il peut diſpoſer de fon humanité, il lui commande, & Jesus obéit ; il l'offre
pour le falut des hommes , & c'eſt ainſi qu'il ufe de la puiſſance paternelle
Joſeph eſt qu'il a fur Jesus; rapport des pcres avec leurs enfans, eſt un rapport de foin
" & de providence. C'est ainſi que Dieu a ſoin des créatures ; mais le grand em
de la provi. Ploy de fa providence a été de veiller ſur la perſonne du Sauveur , & d'en
dence divi- avoir un foin particulier. Et comme dans la providence naturelle qui gouverne
le monde, Dieu ſe ſert des Anges pour en être les ministres communs : il ſe
Fils de Diº" fett auſſi des hommes pour être comme les lieutenans de la providence parti
culiere qu'il a cůë pour le Sauveur. Il ſe fert de Joſeph pour être fon Miniſtre;
il le met en ſa place, afin qu'il ait les mêmes foins de fon Fils à proportion ,
comme les peres ont pour leurs enfans. La providence des peres pour leurs
enfans comprend trois foins principaux. 1 º. De les conduire & de les élever.
2 º.De les nourrir & de les entretenir. 3 º. De les conferver & de les défendre.
Ce font auſſi les trois emplois particuliers de la providence paternelle de faint
Joſeph ſur le Sauveur en qualité de pere ; il le conduit , il le nourrit , & il le
défend.
Le pouvoir Quelques Saints , dit le Doćteur Angelique, ont reçû de Dieu un pouvoir
que faint de nõus aider en quelques beſoins particuliers. Mais le credit de faint Joſeph
Joſeph a re- n'est point linité : ſon pouvoir eſt univerſel, il s'étend fur toutes fortes de
û de fecou- - y - * -
beſoins, & fur toutes fortes d'affaires, & tous ceux qui ont recours à lui avec
mes, est , é- un fentiment de piété, peuvent s'affûrer qu'il les aſſiſtera, & les protegera
néral & faas avec une affećtion paternelle. Tous les hommes du monde, de quelque état,
limites. ou condition qu'ils , trouvent en lui le ſujet & le motif d’une confiance
particuliere; les Nobles , parce qu'il est petit-fils des Patriarches & des Rois:
les Artiſans, & les Pauvres , parce qu'il n'a pas dédaigné leur condition, & qu'il
a travaillé toute ſa vie comme Artiſan ; les Vierges , parce qu'il a été établi
comme le gardien , & le défenſeur de la tres-ſainte Vierge : les perſonnes ma
riées, parce qu'il a été le chef de la plus fainte famille qui ait jamais été , &
qui puiſſe être jamais : les enfans, parce qu'il a été le nourricier, le confer
vateur & le gouverneur de l'enfance du Sauveur de tous les hommes :
Quibuſdam fintiis datum est in aliquibus causts præcipuè patrocinari : at
fanttiffimo Joſepho in omni neceſſitate, & negotio conceſſum est opitulari , & om
nes ad fe piè confugientes defendere , fovere, & afečiu paterno profequi, dit ſaint
Bernard.
La fainte La Sainte Vierge inſtruite de fes devoirs, étoit perſuadée qu’en penant un
vierge ni Epoux, elle fe foumetroit à un ſupérieur. Sçavante dans la Loy , elle avoit
º lů ces paroles dans la Geneſe: Vous vivrez dans la foumiſſion à votre mari. Elle
n’ignoroit pas dès lors, ce que le grand Apôtre a écrit depuis : Le mari est le
pour epoux, Chef de la femme; & Dieu qui avoit délivré cette Vierge fainte du pouvoir du
elle devoit peché, l’ayant exempté de celui que contraćke tous les enfans d'Adam dès le
|loix"du ma-
, i,moment
i ,.. de leur conception , ne voulut pas en la mariant la ſoustraire à
ɔ * *- - 3 - A
riage lui l'obéiſſance d'un mari. Elle voyoit donc bien qu'en fe donnant à un Epoux, elle
choiſilloit un ſupérieur , un confident de ſes penſées , un dépoſitaire de fa
PAR A G R A PH E C IN QUI EM E. . . 251
pureté, un témoin de ſes aćtions. Pour cela elle concluoit dans fon eſprit, que
ce mari devoit être en même temps tres-ſage , tres-fidele, tres-chafte, & en un Gen. 3.
mot , tres-ſaint. Eph. 5. . .
Si faint Joſeph n'avoir été pere de Jesus-Christ que dans l'estime des il
hommes , ce lui feroit pourtant un honneur extraordinaire. Les Doćteurs ti-
rent une conſéquence infiniment gloricuſe à faint Jean-Baptiste , de ce qu'il a Joſeph d'a
été tenu pour le Meffie ; la même raiſon nous perſuade que faint Joſeph ayant voir paſſé
cü un extérieur, des manieres, des maximes, des moeurs fi femblables à celles
de Jesus-Christ, il a paſſé dans l'eſprit des Juifs pour ſon pere, & cette er-
reur innocente nous a fait découvrir fes véritables grandeurs. Si faint Joſeph „sri
n'avoit été appellé pere de Jesus-CHRısr, que pour juſtifier l'ordre & la ſuite tabl: pere
de la généalogie du Meſſie, tracée par les Evangelistes, & pour faire voir que du sauveur.
le Sauveur étoit vrai Fils de David , il n'en faudroit pas davantage, dans le
fentiment d'Origene, pour lui faire porter avec raiſon le nom de pere du Sau
veur. Mais les Peres de l'Egliſe, & les Théologiens enſeignent qu'il eſt pere du -
Sauveur à tant l'autres titres plus aſſurez, qu'excepté la génération , il n'en cſt
point qui puiſſent faire mériter le nom de pere à un homme que Joſeph n'ait
Poſlede avec avantage. La gloire
Si nous en croions le devot Chancelier de l’Univerſité de Paris, c’eſt une hu- d f i jo
milité fans exemple, que Dieu obéiſſe à un homme , & une élevation finguliere, ſeph d'avoir
qu'un homme preſide à la conduite de Dieu, & qu'il reçoive toutes les marques ! ºnusu
de fon obeïſſance. Ces paroles ne contiennent pas une exagération outrée,mais :
la fage deciſion d'un grand Théologien, qui ſemble reconnoître, que l'autorité
de Joſeph lui est fi particuliere, que jamais homme n'y a eû de part, & qu'elle toute fingu
eſt en effet tres-grande en elle-même. Le pouvoir de faire des miracles est fort liere.
rare : néanmoins il n'a pas été uniquement affećté à faint Gregoire de Néoce
farĉe; mais Joſeph ſeul a commandé à Jesus-CHR1 st. La grace de l'Apostolat
eft fans doute des plus excellentes dont Dieu puiſſe favoriſer un homme ſur la
terre. Saint Pierre cependant, & faint Paul ne font pas les ſeuls qui l'ont reçûë
du Ciel ; l’eſprit de Prophétie cſt une faveur tres-grande : Iſaye cependant &
Jérémie ne ſont pas ſeuls Prophétes. Mais où trouverons-nous un homme qui
commande à Jesus-CHR 1st , comme Joſeph l'a fait ? Si Dieu n'a fait cet hon
neur à nul des Anges, nous pouvons bien aflůrer qu’il n'y aura auſſi jamais per
fonne à qui le Fils de Dieu rende obéiſſance dans la ſuite des ſiécles , puiſqu’il
feroit inutile d'eſpérer que le Sauveur étant une fois monté ſur le trône de fa
gloire , il ne deſcendra jamais pour mener avec nous encore une vie humble &
obéiſſante. Il faut donc dire que n'y ayant ni Ange, ni créature aucune qui ſoit
destinée dans la fuite des temps pour commander à Jesus-CHRIST : la gloire
d'avoir eû fous fon obeiſſance le Souverain du ciel & de la terre , eſt particu
liere à ce faint homme.
Dicu a donné à faint Joſeph une foi la plus vive, qu'on ait jamais loüée dans combien la
aucun des Saints de l'ancienne & de la nouvelle Alliance, & qui lui a mérité, foy de faint
fi nous nous en raportons à un grand Doćteur, le nom de juſte. En effet , quelles loſ h a été
lumieres ne devoit-il pas avoir , pour croire, für trois , ou quatre paroles de ***"*
l'Ange , plus de mystéres, qu'on n'en a prononcez pendant pluſieurs fiecles, à
tous les anciens Patriarches de l'ancien Teſtament ? Joſeph ne craigne\ p.ti de Matt. 1.
prendre avec vous Marie , vôtre femme : car ce qui est né en est. l'ouvrage du
1 1]
|
Le pouvoir que Joſeph a ců ſur le Sauveur, & fui la fainte Vierge, a été |
joint à un fond proportionné de ſagede & de droiture, afin qu’il le foûtint, & ,
qu'il l'exerçât avec toute la bienſeance & la perfećtion convenable. Jamais grand fond
Saül, David & Salomon, que Dieu a mis ſur le trône pour gouverner fon peu- : ſagelſe &
ple, n’ont eû une autorité ſemblable à celle de faint Joſeph ; il a donc fallu d'équité ,
que fa ſageſſe ne cedât en rien à celle de ces illustres Monarques. Mais fur tout
la droiture de fa volonté est a admirer, puiſqu’elle a été fi exaćte, qu'un Dieu voir
en a voulu faire la régie de ſes aćtions extérieures. L'Ecriture fainte, toute la Dieu lai
Théologie, & la raiſon naturelle nous apprennent, que la volonté ſouveraine "º donné
de Dieu doit être la régle de tous les mouvemens de la nôtre. Cependant le
Sauveur, qui portoit la loy de fon Pere gravée au milieu de fon coeur, & qui la fainte
étoit lui-même la loy vivante & animée, a donné tant d'équité, & de droiture Vierge.
à la volonté de Joſeph, qu'il lui a foûmis la fienne.
C'est une doćtrine reçûë généralement de tout le monde, qu'il eſt des graces S'il y a une
particulieres pour les états où Dieu nous engage. Cela eſt constant au regard grace parti
d’un Eccleſiaſtique qui ſe conſacre aux autels ; d'un Magistrat, qui gouverne culiere pour
les peuples ; d'une ame généreuſe, qui renonce au monde , pour ſe renfermer
dans le cloître : d’un jeune homme , qui entre dans le mariage avec des fenti- ch, |
mens chrêtiens.Nous devons donc dire auſſi qu'il y a ců une grace tres-particu- embraſſé,
liere pour l'Epoux de la tres-ſainte Vierge ; & cette grace a été auſfi excellente, quille a été
ue l'alliance qu'il contraćtoit étoit ſublime & élevée au-deſſus de toute autre. selle qui a
y a eû une grace de pere du Sauveur : & cette grace a dû être auſſi abondante, ,
que la dignité étoit auguſte. Tout le monde reconnoît une grace d'adoption pour l'état
filiale, que
fes enfans nous recevons,
adoptifs; lorſque
nous devons donc Dicu nous faitune
auſſi admettre l'honneur de nous établir
grace d'adoption pater- du mariage
COIN
nelle, pour ainfi dire, que le Sauveur répandit dans le coeur de Joſeph en l'a- “
doptant pour ſon pere ; & certe grace a été d'autant plus confidérable, qu’il eſt vierge.
incomparablement plus glorieux à un homme vertueux d'être pere d’un Dieu,
}ueéciale
de lui appartenir ſimplement en qualité de fils adoptif. Il y a eû une grace
pour le prémier Confeſſeur du Fils de Dieu, qui a fouffert pour la défen
e de la foy, les perſécutions des plus cruels tyrans, & les exils les plus rudes.
Il y a eû auſſi une grace affećtée au tuteur du Sauveur, à ſon pere nourricier &
à ſon gardien ; une grace enfin tres-extraordinaire pour le gouverner, pour l'ac
compagner par tout , pour fubvenir à tous fes beſoins temporels, en tous lieux,
en tout temps, & à ceux de fa tres-ſainte Mere, non pendant peu de temps ,
mais pendant une fi longue fuite d'années, que le Sauveur & ſa Mere ont mené
une vie cachée, & hors de la vůë des hommes. Il n'eſt pas néceffaire d'entrer
- Li iij
254 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. J O SE P H.
maintenant dans un plus long détail des graces que faint Joſeph a reçủës à cauſe
de ſes emplois : il n'eſt pas beſoin dc dire avec pluſieurs Docteurs , qu'il a été
fanćtifié dans le ventre de fa mere, que l'inclination au mal fut changée en lui
dès fa plus tendre jeuneſſe, & que le feu de la corruption commune fut alors en
lui entierement éteint : qu'il a été confirmé en grace , qu'il a ců en ce monde,
felon quelques-uns , le bonheur de voir pour quelques momens , la divinité. Il
faut laiſſer à ces ſçavans le foin & la gloire de defendre leurs ſentimens.
La conduite Saint Joſeph s'étant apperçû de la grotſelle de la fainte Vierge , & ayant la
pi iue d- ta conſcience fi tendre , il craignit de la retenir plus long-temps auprès de foi, de
peur que s'il y aýoit quelque déréglement dans ſa groſſelle,Dicu ne lui reprochât
faint Joſeph de n'avoir pas abandonné une épouſe D'ailleurs il ne pouvoit ni l'ac
garda quand cufer, ni la répudier, ni faire paroître fon déplaiſir , fans détruire fon Epouſe
fide s'ape çit couvert,
dans l'eſprit de tout le monde. Ce faint homnie, pour mettre ſa conſcience à
& pour ne donner aucune atteinte à la réputation de la Vierge toute
Oil fainte , voulut garder à ſes propres dépens, une conduite pleine de douceur,
& il s’aviſa d'un expédient qu'Albert le Grand appelle le plus ſage , & le Plus
sûr qu'il pouvoit choiſir dans une conjonćture # délicate , quand il auroit con
fulté tout ce qu'il y avoit de gens ſçavans & vertueux ſur la terre. Il prit le parti
de quitter en ſecret ſon épouſe, & de fe bannir , pour ainſi dire , lui-même ,
lûtôt que de renoncer à ſon équité ordinaire.
plus faint ll est bon de fe ſouvenir du beau principe de l'Ange de l'Ecole, qui eſt qu’à
Joſeph a été meſure qu'un effet eſt plus uni à fa cauſe, plus auſſi participe-t-il à fa vertu,
i. & à ſon efficace. C'eſt pour cela, continue le même DCćteur , que faint Denis
remarque fagement, que les Anges doivent avoir plus de part aux graces , &
qui eſt la aux libéralitez de Dieu , que les hommes : parce qu'ils font plus pres de certe
Iource de fource de tout bien. Or il cſt certain que tous les emplois que faint Joſeph a
eû ſur la terre l'unilloient très-étroitement au Sauveur, de qui viennent toutes
les graces que le Ciel fait couler fur nous. Il faut donc néceſſairement que ces
emplois ayent attiré fur fon ame les faveurs du Ciel les plus précieuſes , non
feulement lorſqu'il étoit dans un âge fort avancé , & à la fin de ſes jours: mais
aufli dès le commencement de ſon élevation , comme l'Evangile nous l'en
feigne. -
Les fervi. Faites un peu d'attention aux bons offices que faint Joſeph a eû l'honneur de
ces quefaint rendre à Dieu fur la terre. Il a travaillé avec ſuccès dans la plus importante né
tia gociation que l’on y ait jamais entrepriſe ; il a élevé , nourri , & défendu
fur la terre » J E s u s - C H R 1 s T , il a ců bonne part à tous les myſteres de fa vie ; enfin
el - il a gouverné fa fainte Famille avec tant de prudence & de fidelité, qu’il n’a
férent de jamais manqué en rien à fon miniſtere. Il a eû cet avantage , conme quelques
ceux "e " Doćteurs le remarquent, que ſes foins & ſes travaux ſe terminoient immédiate
ment à la perſonne adorable du Sauveur. Ceux qui nourriflent J E s u s
C H R 1 s T dans la perſonne des pauvres , méritent une grande recompenſe ;
lui cy fe font & le Saint Eſprit leur promet l'abondance des biens temporels & éternels.Mais
il n'y a rien de comparable all bonheur & à la gloire de celui qui a lui-même
a nourri eff ctivement le Fils de Dicu , & à qui le Sauveur a pů dire, fans avoir
sau recours à la métaphore, mais dans la rigueur de la vérité la plus exaćte : J’a
V cu I» ei faim , & vous m'avez donné à manger : j’ay eu ſoif, G vous m'avez donné à
boire. Et comme nous ne pouvons douter que le Peché des Juifs qui crucifierent
P A R A G R A P H E C IN QUI E'ME. 2 55
le Sauveur, n'ait eû un excès tout particulier , remarque fort bien Suarès :
Peccatum peccavit Hieruſalem : nous devons croire austi, que les fervices que Thren. 1.
faint Joſeph a rendus au Sauveur du monde, ont été d'un mérite extraordinai
re, & qu'il étoit pourvû d'une grande abondance de graces , puiſqu'il en portoit
la fource entre fes bras.
S'il eſt vrai que faint Joſeph ait reçû du Cic! une plénitude furabondante de abon'ance
graces proportionnée aux emplois que Dieu lui a confitz , aux e preuves où il
l'a mis , & aux ſervices qu'il en a tirez , & qu'il ait de ſa part coopéré à la gra- a re
ce aurant qu'il étoit en ſon pouvoir ; je conclus que ce grand Saint a acquis des çu ſu la ter
tréfors de mérites fi fublimes, que Dieu ſeul en a une parfaite connoillance, & re , fait la
que par conſéquent,ſon ame poſſede dans le ciel un degré de gloire très-excellent #
& tres-fingulier. Il faut l'avoüer avec Suarès,parlant ſur ce ſujet:Bien loin, dit-il, i,
que le fentiment de ceux qui affûrent que faint Joſeph forpaſſe las autres Saints gloire qu'il
en grace
pieté, & ,qu'il
& ennegloire , ſoitpas
s'éloigne téméraire, ou mal
de la vérité. Je nefondé : je pas
prétens croiappuyer
qu’il eſtl'opinion
plein de dans
postede .
le ciel.
de ce Theologien , qui conſidéroit, fans doute faint Joſeph comme engagé dans |
le myſtére de l'Incarnation, & ayant un rapport très-particulier à l'union hy- . "
poſtatique du Verbe avec la ſacrée humanité du Sauveur , & qui par confé
quent étoit dans un ordre ſupérieur, & ne doit pas être comparé aux a ll T TCS
Saints, parce qu'ils poſlédent un genre de fainteté fort different. Ainſi la grace
de faint Joſeph n'ayant pas tout a fait le caraćtere de celle de l'ancien , ni du
nouveau Teſtament , & fes emplois n’ayant nulle reſſemblance à ceux des fide
les de l'ancienne ni de la nouvelle Alliance ; ce grand Saint ſe trouve comme
l'heureux terme où la loi finit, & où l'Evangile commence ; & il n’entre en con
currence de mérite, ni avec les Patriarches, ni avec les Apôtres , parce qu'il eſt
dans un rang qui le met hors de toute comparaiſon.Cette doctrine n'est pas nou
velle dans l'Egliſe.
Il n'est point de Chrêtien ſur la terre qui ne doive embraſſer une dévotion sur quoy est
dans ces trois circonstances. 1º. Lorſque le défir de J E s u s-C H R 1 s T & de |
fa très-fainte Mere nous y engage : parce que ces deux aimables perſonnes, que de
Dieu a unies étroitement, mérirent d'avoir un fi grand aſcendant fur nôtre 'ons avoir
coeur, & fur tous ſes mouvemens, qu'il ne peut fans crime refuſer de chercher envers faint
avec toute l'ardeur poſſible, ce que demandent de lui le Sauveur, & fa très- lof Ph.
fainte Mere. 2º. Lorſque l'exemple de l'Egliſe nous y attire ; parce que c'eſt la
marque d'un fils, privé de toutes fortes de bons fentimens , de n'avoir nulle
complaifance pour cette mere charitable, de ne point ſuivre les bons exemples
qu'elle nous donne , de négliger fes uſages , & en un mot , de n'avoir nulle
déférence pour elle: quoiqu'elle tâche de nous gagner également & par ſes fa
lutaires avis, & par la fainteté de fes aćtions. 3°. Lorſque nos propres interêts.
nous preffent d'en faire profeſſion ; parce qu'il faut être bien aveugle, & bien
ennemi de foi-même, pour ne vouloir pas entrer dans la pratique d'une choſe
très-facile à exécuter ; ſur tout fi nous en pouvons eſpérer de très-grands
avantages & des biens très-confidérables & dans ce monde, & dans l'éternité.
Or le défir & la volonté du Sauveur, & de ſa très-fainte Mere nous porte à:
avoir une dévotion très-particuliére à faint Joſeph ; l'exemple de toute l'Egliſe
nous y invite ; & nos propres interêts nous le
Si faint Joſeph est véritablement pere de tous les Chrêtiens , & fi Dieu en le Saint Jºffri
256 P o UR LE PANEGYRIQUE DE S. JOSEPH.
a des ſºti- faiſant époux de la très-ſainte Vierge, & pere du Sauveur, lui a foumis tous les
. hommes comme des enfans à leur pere : il lui a fans doute donné pour nous
gard de tous ""° inclination & un coeur de pere. Lorſque
Dieu deſtinc un Souverain à gou
ies Chrê- verner les peuples, il le pourvoit de toute l'autorité & de toute la majeſté d’un
tiens,&*'in Roi ; quand il choifit un Paſteur, quand il nous ordonne d’écouter un Doćteur,
*** il le remplit de toutes les lumiéres néceſſaires pour regler fagement nôtre con
duire ; quand il veut que nous reconnoiſſions un Saint pour nôtre pere, il lui
i fire de donne auſſi des fentimens & des empreſſemens de pere. Comme Dieu a voulu
leur falut, que faint Joſeph tint lieu de pere à ſon Fils unique, il lui a donné auſſi en même
temps, felon le fentiment de pluſieurs Doćteurs, une grace de paternité à l'é
gard de tous les hommes ; c'eſt-à-dire , une grace ſpéciale, qui lui fait tourner
toutes ſes penſées & ſes affećtions vers les hommes , & qui l'engage à leur pro
curer autant de bien, que le meilleur de tous les peres en ſouhaite à ſes
Si donc faint Joſeph eſt le pere de tous les hommes, & s'il a pour eux des en
trailles de pere, pouvons-nous douter de fa tendreſſe ? Il ſemble qu'après avoir
dit que quelqu'un nous cherit , comme les peres aiment leurs » OIl Ilc
peut rien ajoûter pour faire connoître ſon ardeur. C'est pourquoi nous pou
vons croira, que la paix des familles particuliéres, & l'union de tous les mem
bres du Sauveur feroit aujourd'hui beaucoup plus parfaite, fi chacun redou
bloit ſon zele pour l'honneur & la gloire de ce faint Patriarche.
ce (eroit un Ce feroit une eſpece d'outrage que nous ferions à faint Joſeph, fi nous nous
fentiment contentions de l'appeller l'époux de la Reine des Anges, & fi nous n'étions pas
perſuadez qu'à la faveur, & ſous le bon plaiſir de fon Epouſe, il a l'avantage
. d'ouvrir les tréſors du Ciel, pour en faire avec elle la distribution à ceux qui
l'invoquent. Nous pouvons croire que le Pere Eternel traite dans le ciel l'E
qui ne con poux de la Vierge toute fainte auſſi favorablement que le Roy d'Egypte traita
tribu Pas autrefois Joſeph ſon Ministre d'Etat, & qu'il lui donne un pouvoir fi grand ;
& que chacun des Fideles ſe peut promettre qu'en l'invoquant , il obtiendra
graces quiinfailliblement l'effet de ſes demandes, qu'il n'auroit pas aſſez de confiance
nous font pour ſe le promettre par lui-même , fans un Avocat fi puiſſant auprès de Dieu.
dºnnées du De qui un pauvre pecheur auroit-il pů implorer la médiation auprès de Jesus
CHR 1st & de ſa très-fainte Mere s'il eût eû beſoin de ces deux factées perſonnes,
avec la tandis qu'elles vivoient ſur la terre ? il eût fans doute crů ne pouvoir folliciter
fainte vier- perſonne , qui eût ců tant d'accès auprès d'elles , qu'en avoit faint Joſeph.
ge. Eſt-il croyable que ce faint homme ait aujourd'hui moins de crédit dans le
ciel , qu'il n'en avoit étant encore fur la terre , & que pour être dans la gloire ,
il en ait moins de faveur auprès du Fils de Dieu, & de fa très-ſainte Mere ?
Le Pere Eternel ne peut rien refuſer au Sauveur , lorſqu'il lui montre ſes playes
adorables ; Jesus-CHR1 sr ne peut auſſi rien refuſer à ſa Mere, lorſqu'elle lui
montre ſes très-ſacrées mammelles ; & ny l'un, ny l'autre ne peut rien refuſer
aux priéres de ſaint Joſeph, lorſqu'il leur montre fes bras & fes mains, qui
ont eû l'honneur de les fervir pendant une fi longue fuite d'années.
Comme Les perſonnes qui ont l'honneur d'être engagez dans le Sacerdoce, les diſpen
toutes fortes fateurs du fang du Sauveur, devroient prendre pour modele de leur vie le
nes ,Pfen-
dans ſaint Patriarche Joſeph. Ne ſemble-t'il pas effećtivement que Dieu ordonne à
* - * -*
chaque fidele de recourir aux Ministres de fes autels, lorſque par la bouche du
d'états, Roy d'Egypte, il dit au peuple de cet Erat : Recourez à Joſeph, & faites exacte
7/3c/1f
P A R A G R A P H E C I N Q U IE’M E. 2 57
ment ce qu'il vous dira? puiſqu'un illuſtre Docteur aſsûre que faint Joſeph doit doiventre
être regardé comme l'exemplaire de tous ceux qui tiennent quelque rang dans ourir à
l'Egliſe. Les Ministres du Sauveur peuvent avec très-juste raiſon, le choifir Ioſeph
pour objet de leur dévotion particuliére, Les Prêtres touchent fi fouvent le
Corps du Sauveur, & Joſeph, eſt le prémier de tous les hommes qui a eủ -
l'honneur de le recevoir entre ſes bras ; les Prêtres facrifient tous les jours lur vie.
Jesus-CHR ist fur les autels, & Joſeph fe peut glorifier d'avoir offert au Pere Gen. 4r.
Eternel les prémices du Sang de Jesus-CHRist dans ſa Circonciſion ; & fi les
Ministres de Dieu diſtribuent aux Fideles ſon très-ſaint Corps, Joſeph ne le
préſenta-t'il pas auffi aux Pasteurs qui vinrent pour l'adorer? Les perſonnes
Religieuſes ne peuvent-elles pas auffi imiter faint Joſeph, & ſanctifier leur fo
litude par la fuite da monde , & les converſations fréquentes avec J E s u s
C H R i s T & fa très-fainte Mere, comme Joſeph ſanctifioit ſa demeure de
Nazareth, converſant uniquement avec Jesus & Marie ? Les ames dévotes peu
vent auſſi éprouver les effets de la puiſſante protection de ce ſaint Patriarche,
& le prendre pour leur fingulier Avocat auprès de J E s u s-C H R i s T &
de ſa très-ſainte Mere. Si elles l'aiment avec tendreſſe, elles peuvent s'aſsûrer
de faire de grands progrès dans la vertu ; & fainte Théreſe aſsûre qu'elle n'a ja
mais vû perſonne véritablement dévore à faint Joſeph, qui ne ſe ſoit fort avan
cée dans le chemin de la perfećtion.
P A R A G R A P H E SI X I E’ M E.
Les endroits choifis des livres fpirituels, & des Prédicateurs modernes
fur ce fujet.
L faveurs que faint Joſeph a reçûës de Dieu » ſont fi rares & fi particulié- Dieu a com
res à ce grand Saint, qu'on peut dire qu'il eſt unique, & qu'il n'a point de muniqué à
femblable:
à qui le PereNon est inventus
Eternel ſimilis illi laingloire
a communiqué glorià.deCar prémiérement
ſa paternité, qui ileſtestlele plus
ſeul fain "loſeſt leh
riche ornement de fa couronne, parce qu'en qualité de pere, il est le principe
& la fource de la divinité : Fontane divinitatis origo , comme diſent les Théo- fonne, fa
logiens. N’eſt-ce donc pas une gloire incomparable à faint Joſeph, d'être pere gir a qua
d'un fils, qui eſt le Fils unique de Dieu même ? pere, dit faint Chryſoſtome, de pere
non-feulement par réputation , mais encore par députation, & par une autori- V -
té déléguée, qui lui donne fur le Verbe Incarné, tout le droit qu'un pere peut né , ce qui
avoir ſur ſon fils. Si bien qu'il peut dire, comme le Pere Eternel, Gloriam meam fait la plus
alteri non dabo ; je ne donnerai point ma gloire à un autre, car elle eſt incom- gloi
municable. Quelle est la gloire du Pere Eternel ? c’est le Verbe Incréé, parce #:
que c'est l'image parfaire de fa ſubſtance, & la parole qui publie tous ſes divins fai.
attributs : gloire qu'il ne donne à perſonne, parce qu’il est l'unique principe
de la génération éternelle. Quelle eſt la gloire de faint Joſeph : c'est le Verbe
Incarné, parce que, comme dit le Sage , la gloire du fils rejaillit fur le pere.
Gloire qu'il ne donne à perſonne, parce que c'est lui ſeul que le Pere Eternel a
choiſi pour Ministre de fon Confeil, & ſon fidele Coadjuteur en terre, qu'il a
Paneg, des Saints. Tome I. K K
|
que vous, pour luy donner un époux fortable à ſes mérites , ou qu’il ait eû
moins de ſageſſe pour le choiſir # Mais quand il n'auroit pas été tel lorſqu'il
P A R A G R A P H E S I X I E’M E. 259
entra dans une fi ſainte alliance, certainement il le fût devenu par la faveur de
fon épouſe : Car c'eſt l'oracle des ſaintes Ecritures ', confirmé par l'expérience
de tous les fiécles, que les maris ont coûtume de devenir vertueux par la pieté
de leurs femmes. Bona mulier facit bonum virum. Le même.
Si la vertu fait toute la gloire des Saints, celle de faint Joſeph eſt incompa- e Eloge de
rable : car vous ne trouverez point de vertu dans ſa vie qui n'ait quelque cho- aint Joſeph,
fe de rare , qui ne fe rencontre pas dans les autres , & qui n'appartient qu'à
lui.Repréſentez-vous la fainteté de tous les anciens Patriarches, dont la longue pafé celies
fuite entretenuë par la ſucceſſion de tant de générations, fait l'échelle myſté- des saints de
rieuſe de Jacob, qui aboutit à la perſonne du Fils de Dieu. Voyez quelle fût la ansienue
foy d'Abraham
mon; , l’obéiſſance
& après que d'Iſaac,
vous en aurez le lacourage
conçû de David,
plus excellente idéela que
ſageſſe
vousde pour-
Salo- y»
*
rez, fouvenez-vous que Joſeph est au haut de l'échelle,à la tête de tant de Rois,
de Prophétes, de Patriarches , de Saints ; qu'il est plus fidéle qu'Abraham, plus
obéiſſant qu'Iſaac , plus généreux que David, plus lage que Salomon, & pour
dire tout en un mot, d'autant plus élevé en grace • qu'il eſt plus proche de
JEsus, qui en est la fource, & qui repoſe entre ſes bras. De l'ancien Teſtament
paſſez au nouveau , & faites attention aux plus éclatantes vertus des Saints, il
les furpaſſe tous, dit faint Bernardin de Sienne. Il a donné la forme & le mo
dele de la prédication aux Doćteurs, dit faint Hilaire. Il a ſouffert la prémiere
perſécution excitée contre les Martyrs ; il a été fanćtifié dès le ventre de fa mere
avant faint Jean-Baptiſte ; Il a furpaſſe la pureté des Vierges ; Il a ouvert les dé
ferts d'Egypte aux Anachoretes ; Il eſt entré dans le monde tout brillant d'inno
cence, comme l'aurore, & il en eſt forti comme un foleil ; montant au ciel
en corps & en ame, pour accompagner JEsus.CHR. 1 sr dans fon triomphe , &
devancer celui de la Vierge toute fainte. Le même.
Pour joindre à l'ardeur de l'amour de faint Joſeph, les lumieres de fa fa- La ſagest
geffe,
me faintil Pierre,
ſuffit de mais
dire qu'il a gouverné,
le Chef de l'Egliſe;non
nonleles
corps myſtique
Cieux, commede l'Egliſe,com-
ces ſages In- e faint Jola
telligences, mais le Dieu du ciel & de la terre. Il a pris avec le Saint-Eſprit la
conduite du Verbe Incarné. Le Saint-Eſprit avoit la conduite intérieure, & Jo- verbe Incar
feph étoit chargé de la conduite extérieure. Sa conduite devoit donc être parfai-né.
te, réglée, & remplie d'une ſageſſe finguliere & convenable à un office fi ex
traordinaire. On ne peut douter que Dieu n’eût un foin nompareil de fon Fils,
& qu'il ne veillât à fa conduite par un ordre de providence infiniment élevé
au-deſſus de l'ordinaire ; Et cependant ce Pere fi jaloux de fon Fils, croit
avoir ſuffiſamment pourvû à fa conſervation en le confiant à faint Joſeph. Il
s'en repoſe fur fes foins ; & lui, qui commet des Anges à la garde des hom
mes, veut qu'un homme ſoit, pour ainfi dire, l’Ange tutelaire du Verbe In
carné. Faut-il porter ce divin Enfant dans l'Egypte : c'eſt entre les bras de
Joſeph; faut-il le ramener de ſon exil, c'eſt fous la conduite de Joſeph; faut
ii qu'il aille au Temple de Jéruſalem, c'est dans la compagnie de Joſeph ;
Faut-il qu'il demeure à Nazareth, c’eſt dans la maiſon , & ſous le gouverne
ment de Joſeph; faut-il le vêtir , le nourrir, & pourvoir à fes beſoins, c'eſt
Par l'entremiſe de Joſeph. Nous admirons la fageffe du Créateur, qui pour
voit à la nourriture des plus petires créatures; & quand nous voyons les cam
pagnes couvertes de moiſſons, & arroſées des caux qui ſortent de la terre, nous
K k ij
26o POUR LE PANEGYRIQUE DE S. JO S E P H.
ne pouvons aſſez bénir la providence de ce bon Pere de famille , qui nourrir fi
délicieuſement fes enfans, pourquoi donc n'admirerons-nous pas faint Joſeph ,
qui nourrit celui qui a créé les hommes & les Anges ? Eſt-ce moins de nourrir
le Fils de Dieu, que les enfans des hommes , & de gouverner le Créateur, que
les créatures ? Il paroît bien , Seigneur, que vous prencz plaifir à vous laiffer
vaincre par vos amis, & à faire par eux, plus que vous ne faites par vous mê
me. Le même.
La patience . Si la fageffe de faint Joſeph a eu un fi noble employ dans la conduite du Ver
de faint Jo be Incarně, fa patience dans les travaux qu'il a ſoufferts , ne lui a pas été moins
glorieuſe: Car tous les pas qu'il faiſoit , tous les foins qu'il prenoit, toutes
"les fueurs qu'il verſoir, tous les travaux qu'il enduroit, ne regardoient pure
pour le Fils ment que la vie de Jesus, d'où dépendoit le falut général de tous les hommes.
de Dieu. De forte que s'il s'est trouvé des Saints qui fouffert que lui, certaine
ment il n'y en a point qui ait fouffert pour un fi digne ſujet. Les Anachorettes
ont fait de grandes abstinences pour conferver la vie de leur ame ; mais faint
Joſeph s’est ôté le pain de la bouche pour le donner à Jesus & à Marie. Les
Martyrs ont enduré des tourmens extraordinaires pour le nom de Jesus
CHR ist ; mais nôtre faint Patriarche a expoſé ſa vie pour fauver la vie même
de Jesus-CHR 1st. Et l’on peut dire avec vérité qu'il eſt le prémier de tous les
Saints qui ait fouffert pour Jesus-CHRIST. Donner la vie à quelqu'un , c'est le
prémier de tous les biens, puiſque fans être vivans ; nous ne pouvons joüir
d'aucun bien ; fauver la vie, c'eſt le ſecond. Qui a donné la vie à Jesus ? c’eſt
Marie ; qui la lui a fauvé? c’est Joſeph.Cet honneur lui appartient uniquement;
il eſt feul le Sauveur de fon Sauveur , & du Sauveur de tout le monde.
Le même.
Le zele que Si faint Joſeph a eû un tres-grand ſoin de la conſervation de la vie du Sau
faint Joſeph veur, il n'avoit pas moins de zele pour l'accroiſſement de ſa gloire : car pour
Pº " ne rien dire de tout ce qui lui est commun avec les autres , c'est lui qui a eû
# ...“. Í honneur de faire connoitre le nom de JEsus, & de le manifeſter aux hom IllcS»
Sauveur , & - 2
le foin de fe Le Pere Eternel l'avoit nommé de toute éternité, l'Ange l'avoit révélé à la tres
faire connoî- prononce
grc.
fainte Vierge: mais c'est
le prémier Joſephdequi
en qualité en donne
pere, le nomla adorable
connoiſſance le prémier.
de Jesus, ce nomIl
que le Fils de Dieu a priſé plus que ſa vie, qu'il a acheté au prix de ſon fang,
qu'il a rendu redoutable aux demons, adorable aux Anges, aimable & falutaire
à tous les mortels. Grand Saint ! quelque honneur que nous puiſſions rendre
à cet auguſte nom, nous ne fommes que l'écho de vôtre voix ; c'est de vous que
nous l'avons appris; & ſi les Apôtres l'ont porté dans l'univers, vous leur en
avez tracé le modéle. Joſeph, dit faint Hilaire , portant JEsus-CHRısT tantôt
dans l'Egypte , & tantôt dans la Judée , nous marque les traces de la prédica
tion des Apôtres , qui l'ont prêché aux Juifs & aux Gentils. Autheur mo
derne.
Le bonheur Saint Paulin fe fût eſtimé heureux, de pouvoir ſeulement baifer la pouſſiere
de faint jo des pieds de Jesus-CHR ist ; mais combien plus heureux fût faint Joſeph, qui
feph d'avoir eût fe bonheur de le porter fur ſes bras , & de le ferrer fur fon coeur ! Quelle
º'u plus excellente oraiſon ſe peut-on figurer , que celle de ce grand Saint , qui
joj de la
éſ ncc , &
. toûjours aux pieds de l'Arche-d’alliance, & devant l'image ſubstantielle
- 1 • 3 |- A *
de la du Pere Eternel ? Quelle viſion plus ſublime , que d'avoir toûjours le Fils de
PA RAGR APHE S I X I E’ M E. 26 I
Dieu
leux, devant les yeux ? plus
quels entretiens quelles extales
divins, plusfamiliarité
quelle rares, quelsplus
tranſports
étroiteplus merveil-
, que d'être "*º fon fDicu.º
toûjours avec Dieu , de ne parler qu'avec Dieu, de converfer , de travailler ,
de repoſer en la compagnie, & en la préſence de Dieu. Hé ! qui n'admirera le
bonheur de ce grand Saint ? qui n'avouëra qu'il est incomparable en toutes ſes
vertus , & qu'il n'a point de femblable. Non est inventus ſimilis illi in gloria. S'il Eeeli 9.
fouffre, c'eſt pour ſauver la vie de Jesus ; s'il travaille, c'est pour entretenir la
vie du même Sauveur ; s'il a quelque converſation, c'est avec lui , ou avec ſa
très-fainte Mere. Moyſe, pour avoir traité avec un Ange, avoit le front fi lu
mineux, qu'il ebloüiffoit les yeux de ceux qui le regardoient : une ſeule vifion
éleva ſaint Paul à l'Apostolat : une ſeule parole de l'Evangile a porté les Hila
rions, & les Antoines au faîte de la perfećtion ; Que fera-ce donc de faint Jo
feph, qui a paſie ſa vie avec Jesus-Christ , & qui à fa mort, a mérité de re
mettre foname entre les mains de fon Sauveur, & d'être mis au tombeau par
celui dont il avoit fait le berceau ?
Un des principaux foins des parens est de conferver & de défendre leurs en- saint Jo
fans. Mais qui
eû luy-même eût jamais
beſoin penſe que
de défenſeur Dieu, quicomme
? cependant est le maître des aſſujetti
il s'étoit créatures, eût ſephle aFils
à cette défen
de
conduite ordinaire de la nature, il s’étoit expoſé à tous les dangers & à tous
les accidens qui menacent la vie des autres hommes. D'ailleurs l'impie Héro- d'Héro , &
de le perſécuta, & chercha à le faire mourir dès ſon berceau. Cependant ce luy a ſauvé la
n'étoit pas ſa volonté de mourir fi-tôr, comme remarque faint Pierre Chryſolo- vie.
gue ; parce qu'il vouloit nous donner pendant fa vie des exemples de vertus.
De plus , il vouloit mourir étant homme parfait, afin que ce fut avec plus
d'éclat , ſur le Calvaire. Où êtes-vous donc, providence de Dieu ? où est le
foin que vous devez avoir de la vie que vous venez de lui donner ? Il est vray
que Dieu ne garde pas ſon Fils immédiatement par luy-même ; il ne veut pas
faire des miracles pour le fauver , ni employer des legions d'Anges pour le
défendre. Que fait-il donc º il donne à Joſeph certe commiſſion. Auffi les In
terpretes remarquent que lorſque l'Angeluy fut envoyé pour l'avertir en ſonge
de fauver cet Enfant de la puiſſance d’Hérode, il ne prit pas luy-même ce foin,
il ne s'offrit pas pour l'aider, il ne s'adreſſa pas même à fa tres-ſainte Mere,qui
étoit plus interestée dans la conſervation de ſon Fils : il s'adreſſe ſeulement à
Joſeph,il lui dit : Surge, accipe puerum, & Matrem ejus. Joſeph , levez-vous, watt. z.
prenez l'Enfant & fa Mere, fuyez du côté de l'Egypte pour ſauver vôtre Sau
veur de la fureur d'Hérode. C’eſt donc le feul Jo qui est député de la pro
vidence pour être le tuteur , le gardien , le défenſeur de Jesus-CHR 1sr , qui
doit le défendre contre fes ennemis qui lui veulent ôter la vie ; c'est lui feul
entre les mains de qui la vie du Sauveur du monde eft miſe en dépôr.
incomparable d’un homme, qui est pour ainfi dire, le diſpenſateur du tréſor de
Dieu, & le maître de la vie de fon Sauveur, & du Sauveur de tous les hommes.
AMonsteur Biroat. |
Joſeph est destiné pour nourrir le Fils de Dieu, que ne fait-il point pour avoir Joſeph a
dequoi entretenir la vie de la Mere , &. par elle , celle de fon Fils ? Il n'a pas pourri le
de grandes commodirez : mais il ſuppléera par fon travail à ce qui manque à Diku
fon indigence , gagnant fa vie de fon métier à la fueur de fon front. Précieuſe ,
fueur; puiſqu'elle fert à nourrir & entretenir la vie d’un Dieu : ce Pain qu'il fi on
K x iij front.
242 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. J O SE PH.
lui donne fe change en la ſubstance de la Mere , pour faire ſubſister le Fils. Si
l'ancien Joſeph a été appellé le Sauveur de l'Egypte, pour avoir pourvû à la
nourriture de ce peuple, que dirons-nous de ce ſecond Joſeph , qui a été le
Sauveur du Sauveur même , & qui a préparé ce pain des Anges ? Ne devons
nous pas croire qu'il contribuë excellemment à la Rédemption du monde,
comme pere du Sauveur ? & pourquoy ne dirons-nous pas qu'ayant participé
à la puiſſance paternelle que Dicu a ſur ſon Fils , & à fa providence fur lui, il
participe encore excellemment à ſon amour pour luy. Le même.
Le saint- Le Saint-Eſprit ayant produit Jesus-CHRIST & n'ayant pas prisla qualité de
Eſprit ayant Pere, il a donné ce nom & cet office à ſaint Joſeph. Or la principale condition
é la lua- de la paternité, c'est cette tendre affection que l'on a pour les enfans ; Dieu
même imprime ce ſentiment naturel dans ceux qu'il fait peres : & il faudroit
f , qu'un homme renonçât à ce ſentiment & à la raiſon, pour n'aimer pas les en
donné con- fans qu'il met au monde, & qui font une partie de lui-même. Le Saint-Eſprit
féquément a donné cette qualité de pere à Joſeph , il luy a donné conſéquemment un ten
dre amour pour Jesus ; & répondant à cette affection naturelle que les peres
|J E s ont pour leurs enfans, il a aimé le Fils de Dieu comme fon propre Fils, non
ca s i s r, ſeulement d'un amour naturel tel que celuy des autres hommes , mais d'un
qui a bien amour furnaturel excité par un feu divin , qui allume & entretient ce ſenti
ment dans fon coeur. Le même.
C'est peu de choſe que de porter un grand nom, & d'avoir un titre fort
Saint Jo- fpécieux : mais le principal eſt d'en faire les fonćtions, & de s'en acquiter avec
feph remplit honneur. Saint Joſeph ne porte pas feulement le nom de pere du Sauveur du
monde ; mais il en fait véritablement l'office, lorſqu'il nourrit & qu'il éleve
le Fils de Dieu. La prudence humaine auroit jugé qu'il falloit donner cette
enver; j - charge à quelque Prince puiſſant & riche , qui auroit eû moyen de faire une
s u s, & en belle dépenſe , pour élever dignement le Roy des Rois. Vous vous trompez »
: prudence humaine ; il falloit que faint Joſeph, qui avoit cette commiſſion,fût un
- pauvre artiſan, qui épuiſật fes forces dans le travail & qui à force de fatigues
ɔ
& de fueurs, tirât de lui-même le pain qui étoit néceſſaire pour fournir à une
nourriture de telle importance ; afin qu'il fût vrai, qu’il nourriſſoit de ſa
fubſtance en quelque façon, celui qui nourrit toute la matuie par la main li
bérale de fa divine providence. Qu'eſt-ce icy, mon Dieu ! à quelle gloire éle
vez-vous le grand faint Joſeph ? L'aſſociez-vous ainfi avec vous-même, avec
vôtre Fils unique , & avec la Vierge très-ſainte, pour coopérer fi noblement tous -
les frais à la redemption du monde, en nous élevant un Sauveur qui fût la vic
time de nôtre falut ? Dieu le Pere a donné la Divinité à ſon Fils unique ; la
fainte Vierge lui a fourni fa très fainte humanité ; mais elle n'a fait que la
former dans ſon chaſte fein, & puis la nourrir du lait de fes mammelles durant
fon enfance ; mais cette fainte humanité attendoit fon accroiſſement, & ſa
perfećtion entiére avant que le Fils de Dieu fût immolé ſur le Calvaire pour
le rédemption du monde. Qui lui donnera cet accroiſſement & cette perfec
tion ? qui lui fournira les forces de l'àge parfait ? qui remplira fes veines de
ce précieux fang qui doit être verſé ſur la croix pour nôtre falut, finon le tra |
vail du juſte Joſeph ? Sein virginal de la Vierge très-ſainte ; ſacrées mammelles
de la Mere Vierge , je vous regarde comme le ſecond principe de ma rédem
Prion , & vous rends graces de ce que vous m'avez donné le même Fils unique
P A R A G R A P H E S I XI E M E. 263
du Pere Eternel, felon fa fainte humanité. Bienheureuſes mains de Joſeph, je
vous conſidére comme la troifiéme fource de mon ſalut, & vous remercie de
de tout mon coeur, de ce que vous avez nourri, fortifié, perfećtionné cette
humanité fainte par vôtre travail. Quel admirable concours : quelle heureuſe
rencontre du ſein du Pere, des mammelles de la Mere ,& des mains de faint
Joſeph, pour contribuer chacun de ſa propre ſubstance à nourrir & élever l'hu
manité fainte du Fils de Dieu, qui par un excès d'amour pour tout le monde
devoit répandre juſqu'à la derniére goute de ſon fang fur l'autel de la croix,
non pour le falut de pluſieurs, mais pour le falut de tous les hommes, & même
de ceux qui le faiſoient mourir. Le même.
de On ne peut comprendre
gouverneur toutes; mais
du Tout-Puiſſant les excellences que juger
c'eſt aſſez pour renferme en excellence,
de ſon foi le titre Diu ayant
(aint
que l'on voye pour quel emploi la divine fageſſe l'a choifi. Si un Empereur dé
clara autrefois, (l'Empereur Valentinien ) que c'eſt une eſpece de ſacrilége de verneur”, le
mettre ſeulement en doute la capacité de celui dont le Prince a fait choix pour tuteur, & le
quelque emploi confidérable; parce que ce feroit ou blâmer le Monarque de peu pe o
de lumiére, ou le condamner de peu de juſtice ; ne feroit-ce pas une eſpéce de :
facrilêge de douter que Joſeph ne fut le plus digne de toutes les créatures après i es
la fainte
tous Vierge, après
les emplois, quandcelui
on voit qu'il
d'être la eſt choiſiMere
propre de Dieu pourFils
de fon le plus digne
unique de ceffaires
? Les qualitez né
Princes du mondecomme
il est impoſſible, ſe peuveut bienfaint
enſeigne quelquefois
Thomas, tromper
que Dieudans leur choix
choifitſe : mais
jamais un S
Ploys
fujet indigne ; parce que l'élećtion de Dieu étant un aćte de fa volonté toute
puiſſante, qui opére tout ce qui lui plaît ; quand elle ne ſuppoferoit pas le
mérite en celui qu'elle choifit, elle le lui donne en le choifiſſant : Quando p. rh. s. p.
Deus ad aliquid eligit, ita preparat & diſponit : ut ad id , ad quod eliguntur, q. 27. Ar 4.
inveniantur idonei. Il est donc vrai que Dieu a donné à faint Joſeph des qualitez -
Joſeph fans , ſans être effećtivement pere de J es u s-C H R 1 s r., a eû pour lui
avºir "º"- toute l'affećtion & toute la tendreſſe d'un vrai pere. Sans fe faire honneur de
cette qualité de pere du Sauveur, il en a laiſfé gloire , pour n’en prendre
Me. que la peine & les charges ; & ſans ſe fervir du droit, de diſpoſer de J E s u s
fie, en a tou- C H R i s T , qui lui étoit foûmis, il n'a vécu que fous lui, & n'a agi que dépen
les les cha - damment
M
de ſes
de la cruauté de ordres.
certainsLorſque l'Ecriture
peres qui oublientSainte
leursnous parle&dequi
enfans, l'indifférence, ou
leur refuſant
a telldre 11c r * • rr •
auſſi parfait, que l'a été celui de nôtre Saint pour le Sauveur. Rien de charnel
dans cet amour, tout y eſt ſpiritüel ; rien de mediocre , tout y est grand : la
nature & la grace l'ont formé dans fon coeur, & ces deux cauſes conſpirant à
une même fin , & ne regardant qu'un même objet , quel a été l'amour de cet
homme fouverainement juste ? Eloges historiques.
Joſeph ne . Quel attachement faint Joſeph n'a-t'il pas eû à la perſonne du Sauveur ? quel
s'eſt P .. les aſſistances ne lui a-t'il pas données dans fes beſoins ? Ne croyez pas qu’il fe
. * ſoit arrêté à ces vaines tendreſſes, & à ces frivoles admirations, dont les peres
fe font des amuſemens dans les prémieres eſperances qu'ils conçoivent de leurs
Fils de Dieu, enfans. Ne vous le repréſentez pas dans l'exercice d'une tranquille éducation ,
il lui a don- ce
Inc
obſervant
Fils desles progrès d'une
conjećtures raiſonpour
favorables naiſſante, & tirant
l'avenir. Il donnededes
toutes les aćtions
preuves de
bien plus
- ſolides & plus efficaces de fon amour, en des temps : & en des occaſions diffi
fon affraion ciles, dans l'exil, dans les perſecutions & dans les fouffrances. Il ne s'est pas
paternelle , preſſé d'accompagner le Fils de Dieu dans le triomphe de ſa vie publique. Il n'a
par les pas voulu profiter de fa réputation quand par des miracles éclatans il étonnoit
vaux qu 11 a p / • • • • - - *
entrepiis 91° les peuples. Il n'eſt pas allé recueillir les acclamations de ceux qui le beniſ
pour'iui. ſoient, & qui couroient en foule fur ſon paſſage , & n'a pas crû devoir fe faire
honneur de ces proſpéritez, ni détourner ſur le pere une partie de la gloire du
Fils. Il a laiſſé au Pere Eternel cette providence glorieuſe, & il s'est acquité
- de toutes
P AR AGRA PHE S I X I E’M E. 26 5
de toutes les fonctions de la providence laborieuſe à l'égard de J E s u s
C H R 1 s T. Il le ſuit dans ſes travaux, il porte avec lui ſes prémieres croix, il
part à ſes humiliations & à ſes ſouffrances. C’eſt-là qu’il lui rend tous
es devoirs d'un pere généreux, affećtionné, fidéle, & paſſionné d'un amour
extrême pour fon fils. Son amour fût extrême, mais non pas aveugle, com
me font la plûpart des affections des peres envers leurs enfans, eſpèce d'ido
lâtrie qui ſe pratique impunément dans le Christianiſme. On les abandonne à
leurs humeurs & à leurs caprices ; on flatte leurs paſſions naiſſantes qu'on
laiſſe croître à la faveur d'une prétenduë innocence. Une fauffe tendreſſe em
pêche de corriger , & de diſcerner même leurs défauts ; on rapporte à leur
agrandiſſement & à leur fortune tout ce qu'on fait, & tour ce qu'on penſe.
AMonsteur Flechier.
C’est icy une des principales prérogatives de faint Joſeph ; il ne ſçauroit y Dans l'a
avoir ni de l'excès, ni de l'abus dans fon amour pour Jesus-CHRust. Quelque
étenduë qu'il lui donne , il trouve heureuſement dans une même perſonne &
fon Fils , & fon Dieu. La nature & la grace , la raiſon & la Religion ſe trou- sauveur, il
vent confonduës enſemble. L'empreſſement est pour Joſeph une ferveur de ne pouvoir
pieté. Toutes les puiſſances de fon ame ſe rapportent à Jesus-CHR I ST. Il n’eſt
pas ſujet à cette fatale diviſion de coeur qui eſt inévitable en ce monde, parce
qu'il n'a qu'un ſeul objet, & que routes fes paſſions font faintes. S'il craint , dans l'amour
c'est pour la perſonne de Jesus-CHR ist ; s'il defire, c'est pour ſes beſoins ; qu'ont les
s'il ſouffre, c'est de douleur de le voir fouffrir. Toutes les demandes qu’il lui es peres
fair font des oraiſons & des prieres,& tous les devoirs paternels qu'il lui rend, "
font autant de ſacrifices & d’aćtes d'adoration qu'il fait à ce Fils , qui , tout *
caché qu'il est ſous la forme de ſerviteur, eſt pourtant égal à ſon Pere Eternel,
& qui tout égal qu'il est à ſon Pere , ne laifle pas de fe foûmettre, & d'obéir
à faint Joſeph. Le même. -
L'amour de faint Joſeph est vigilant & laborieux ; il prévient & pour- L'amour que
voit à tous les beſoins de J E s u s-C H R 1 s T. S'il travaille , c'eſt pour le faint Joſeph
nourrir ; s'il s'occupe de fa profestion dans une boutique, c'est pour donner Pour le
à ſon cher Enfant tous les foulagemens qu'il peut lui procurer. Amour in
quiet & tendre. Ce cher Enfant n'eſt-il plus en fa compagnie, il s'afflige ex
traordinairement de fon abſence ; il le cherche par tout , il va de maiſon ce ſont les
en maiſon , s'informant de fes parens, s'ils ne l'ont pas vů : & du moment qualirez de
qu'il a le bonheur de le voir dans le Temple au milieu des Doćteurs , la pa
tres-ſainte Vierge triſte témoin de ſon infortune , lui dit : D'où vient que
vous vous êtes ſeparé de nous ? vôtre pere & moi vous cherchions affligez de vous
avoir perdu. Amour parfaitement jufte en toutes choſes. Sans crainte de parta
ger fon coeur, & de pecher en aimant moins le Créateur que la créature , il le
reüniſſoit dans un feul objet, aimant J E s u s C H R 1 s T comme s'il avoit
été fon enfant, & l'adorant, comme étant véritablement fon Dieu. Amour
bien différent de celui des peres & des meres, qui fouvent n'est qu'un amour
injuste , & déreglé, lorſqu’ils refuſent au Fils de Dieu ce qu'ils lui doivent ,
ur le donner à leurs enfans,qui occupent toutes leurs tendreſles & leurs af
fećtions,&qui,à leur égard font comme de ſecondes divinitez. Eloges historiques.
Saint Joſeph aimoit en la perſonne de J E s u s-C H R I T ce qu'il ne pars ra
pouvoit fans peché ne pas aimer : & exempt de chercher de " "
ſi diffi- noui que jo
Paneg. des Saints. Tome I.
266 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. JOSEPH.
frph portoit cile, de donner au Créateur, & à la créature un coeur qui ne devoit être que
pour celui qui l'a formé ; il trouvoit dans le feul objet de fon amour , de
quoi ſatisfaire la nature & la grace, fes plus douces & fes plus faintes inclina
tisfaire ia tions. Il ſe réjoüistoit du bonheur de le voir , il s'affligeoit du malheur de ne
grace & la le voir pas; il l’aimoit préſent, fes tendreſſes & fes ſervices empreſlez nous
Pa ºut le témoignenr. Il l'aimot abſent , fa douleur & ſon inquiétude nous en ré
à la fois. pondent ; tendreſſes & ſervices, douleur & inquiétude, marques indubita
bles de ſa justice. Vous me direz peut être , qu’un pere ayant chez foi le Roi
des Rois , le Souverain & le Dieu de tout le monde , il lui étoit bien doux
de répondre par ſon amour à une fi glorieuſe adoption. Oui, s'il n'étoit
question que d'en recüeillir la gloire, & d'en recevoir les avantages. Mais ce
qui doit nous faire admiret l'éminente justice de faint Joſeph , eſt d'appren
dre que pouvant fe faire honneur de la qualité de pere de Jesus-CHRIST ,
il en a laillé tout l'eclat pour n’en prendre que la peine & les charges. Eloges
- historiques. -
reux d'avoir été jugé digne de foulager par ſon travail la pauvreté d'un une vie obf
Dieu, dont l'abondance enrichir celle de tous les hommes , de gagner à la cure & tran
fücur de ſon front , du pain à celuy à qui nous demandons tous les jours le : :
nôtre, d'être par ſa protection & fes foins, le Sauveur de ſon Sauveur mê
me. Eloges historiques. fan.
Comme faint Joſeph devoit contribuer à la naiſſance de l'Evangile , il de- Il étoit né
voit s'y préparer par la pratique anticipée des vertus & des conſeils Evange
liques. Il étoit convenable qu'il portât la reffemblance d'un Dieu infirme & fain, joſeph
humilié, dont il devoit être regardé comme le Gouverneur & le pere. Com- menât une
me il ladevoit
fallût ſervir àaucacher
manifester monde,le ilmystére
falloit de
qu'ill'Incarnation juſqu'au
fût caché dans tempsdequ'il
l'obſcurité fa &irobſcure. •
condition , & qu’il devint lui même comme un myſtére de la providence.
Que j'aime à me le repréſenter ſous un toît ruſtique , & dans une étroite &
pauvre maiſon , lcin du bruit & du tumulte du monde , fe fanćtifiant par le
travail, par la retraite , & par la pricre ! Quel palais renferma jamais une fi
auguste famille ? Que dans ce fombre & petit licu il ſe paſſa de grandes cho
fes ! C’eſt-là que ſe traçoit le plan d'un monde nouveau, créé dans la justice
& dans la fainteté de la vérité. C'est-là que commençoient à s’exécuter dans le
temps, les projets éternels de la miféricorde de Dieu fur les hommes ingrats
& coupables. C'eſt là que ſe formoient les prémiers modéles du culte ſpiri
tuel & intérieur qui s'alloit établir , & que ſe jettoient les fondemens d'un
Evangile inconnů, qui devoit être porté dans toutes les parties de la terre.
C'est-là enfin que Jesus-CHRIST , tout Enfant qu'il étoit, faiſoit déja l'office
de Médiateur & de Pontife , comme dans un Sanćtuaire dedié particuliere
ment à Dieu. Monsteur Flechier.
Une des principales raiſons qui a obligé la providence de donner Joſeph saint fo
pourl'Incarnation.
époux à Marie, fût pour
un cacher
hommeaucapable
démon dela feconder
connoiſſance
les du myſtére ſeph a partc
de Il falloit deſfeins de faitement
Dicu, par le filence le plus exaćt & le plus fidele ; un homme qui non-ſeule
ment ne trahît pas indiſcrettement le grand ſecret qui lui avoit été donné en
dépôt : mais qui par une conduite pleine de précaution & de fageffe, en tion. Ç'étoit
derobât les plus imperceptibles conjećtures à l’ennemi de nôtre falut : car le Implºy
demon
C H R 1reconnoiſſant à pluſieurs
s T approchoit, ſignes,pour
étoit attentif que letraverſer
temps del'ouvrage
la venue de
de Jnôtre
E s uré-
s- --
!: l DC,
demption dès fon commencement, & comme un dragon veillant & furieux
éroit prêt à devorer dès fa naiſſance, cet Enfant adorable qui devoit détruire
fon empire. L'Abbé du Jarry.
L l ij
- 248 poUR LE PANEGYRIQUE DE S. Josep H.
Il y a ſujet . Quand je confidere que cette auguſte Reine, devant qui toutes les puiſ
ſanès de la terre fléchillent les genoux, étoit l'Epouſe de Joſeph, obligée
de l'aimer, de l'honorer, & de le fervir comme ſon cher Epoux : & que le
feph puiſ- Fils unique de Dieu a bien voulu le reconnoître pour fon pere fur la terre,
qu'elles cnt & fe foûmettre à fa conduite: que ſes connoistances, ſa ſageſſe , ſes vertus , ſa
été propor- perfećtion , & ſes graces ont été proportionnées à ces grands titres, à ces
divines alliances, mon eſprit cſt ravi d'étonnement, & ſe perd dans ces ſubli
de la mes idées. Le Pere Surin.
Reine du Saint Joſeph n'entra qu’en tremblant dans le ministére de la Famille de
Ciel & de Jquelle
la teirc.
E s u s-C H R 1 s T , &, avec
circonſpećtion il s'enquelle
acquita avec une de
dépendance fidélité
Dicuinviolable.
regarda-t-ilAvec
le
comme Jo- myſtére que le Saint-Eſprit venoit d’accomplir en Marie , avant même
feph ſe ſom: qu'il en fût instruit ? Voyez comme il fe comporte dans une affaire auſſi
" délicate. Il ne s'abandonne pas à ſes ſoupçons ; il ne s'arrête pas aux appa
rences , de peur de blefler la vérité ; il fait ſes réfléxions à loiſir , & le trou
ero - ble où il est ne lui fait rien perdre de ſa patience. Il ne conſulte perſonne dans
fe. la crainte qu’il a que la charité n’y foit offenſée ; il n'accuſe pas ſon Epouſe ;
il ne convenoit ni à fa bonté, ni à ſa juſtice d'en uſer ainſi. Il ne lui découvre
pas à elle-même le fujet de fon inquiétude , de peur que cet éclairciſſement
ne fit quelque peine à fa pudeur. Il lui femble qu'il lit dans fes yeux, &
fur ſon viſage des preuves convaincantes de fon innocence. Il fçavoit qu'une
Vierge devoit enfanter, & il croit que cette Vierge devoit être Marie :
aimant mieux préfumer en elle un miracle , que de la ſoupçonner d'une
faute, & croire qu'une Vierge fût Mere , que non pas que Marie fût cou
pable. Mais au milieu des difficultez que lui oppoſe la raiſon & la nature,
il en laiffe le jugement à Dieu , & ſouhaite que dans les ſecrets de fa provi
dence il ſe trouve quelque voye pour justifier une créature qu'il ne peut
regarder que comme innocente. Elle la justifie , cette providence ; le nuage
fe distipe, l'Ange paroît , Joſeph eſt confirmé dans la vérité, & recompenſé
de fa foy par la révélation, & par la connoiſſance du myſtére où il devoit avoir
tant de part. Monſieur Flechier.
comme fo- . Avec quelle, PromPtitude Joſeph n'execute-t'il pas l'ordonnance du Ciel,
( b lorſque l'Angelui commanda de fuir en Egypte. Il ne s'informe pas du temps
avec prem- de ſon exil, il fuit aveuglément les ordres dont il eſt chargé , & fans vouloir
ptitude aux pénétrer dans l'avenir, fans craindre la longueur de fon exil, il ne veut ni
fatisfaire fa curiofité, ni donner des bornes à fa patience. Figurez-vous cet
homme de la providence, fuyant devant la face du tyran , qui avoit occupé.
de chercher le trône de ſes peres, chargé de J E s u s-C H R 1 s T & du Chriſtianiſme ;
TË y portant les mystéres de la Religion & de l'Egliſe errante dans fon origine,
: fur la tête duquel roule le ſalut général du genre-humain & la vie du Sauveur
f cur du monde ; marchant à la faveur de la nuit , fans fecours, fans guide, fans
de. aſſistance, cherchant comme un criminel , dans une terre étrangere, la fureté
uc fon innocence ne lui donnoit pas dans la fienne : & portant le Dieu
d'Iſraël, pour aller éprouver dans la cruelle & barbare Egypte, l'ancienne
captivité de fon Feuple. C'est là que dans une ſolitude, qui n’étoit interrom
Buc que par les foins qu'il prenoit pour J E s u s-C H R 1 s T , & Four ſa
PA RA GRAPH E S I X I E’ M E. 26 9
Mere , il poſſedoit un tréfor encore fermé pour tout le reste du monde. C’eſt
là que conduifant le Fils de Dieu de défert en deſert , comme pour lui faire
conſacrer par ſa préſence ces lieux profanes , habitez alors par les demons ,
& qui devoient être un jour peuplcz par tant d'excellens Solitaires & de
faints Pénitens , il devint comme leur Chef fous l'autorité de Jesus. CHR I sr,
& traçoit à ces Anges revêtus d'un corps mortel, ces fameux afiles contre la
corruption du monde & l’envie de Sathan , qui n'étoient pas moins irritez
contre la vertu , que l'étoit le cruel Hérode. Monſieur Flechier.
Le mariage de Joſeph & de Marie a été l'ouvrage du Ciel même. Ils combien
ont été par
l'autre choiſis l'unde& Dieu
l'ordre l'autre par l'un
, unis la ſageſſe de par
à l'autre Dieu, formez
l'eſprit l'un: pour
de Dieu le mariage
mê- de
mes conſeils , mêmes deſfeins , même élećtion de genre de vie , mê- :::: : a1Il
ce grand PaT des voyes divines , il n'est pas digne d'elle. Si dans cette groſſeffe il y a
nystére. quelque choſe de naturel, Joſeph doit quitter ſon épouſe par justice : s'il
y a du furnaturel, il la doit quitter par reſpećt. Dans le combat de ces deux
opinions qui le ſuſpendoient également, il choifit celle qui luy paroît plus
piobable. Il vaut mieux ſe réſoudre à quitter une perſonne innocente , que de
bi s'expoſer à retenir une coupable. L'Abbé de Maruc.
„ : * u’un mariage eſt heureux quand i’époux & l'épouſe s’animent à fervir
»
- Dieu, à le loüer, à l'aimer par les mêmes fentimens de pieté & de vertu ;
feeh fit quand un énoux cherit fon épouſe d'un amour auſſi pur que faint Joſeph
h ureux, & aimoit la fainte Vierge, pour ſa modeſtie, pour ſon innocence, poúr fa pu '.
Pº"T"ºy" reté ; quand l’un & l'autre eſfayent , comme Joſeph & fa fainte épouſe , de
marcher dans les voyes du Seigneur d’une maniere irréprehenſible; qu’ils ſe
confolent dans leurs afilićtions ; qu'ils ont une même cfpérance, une même
foy , les mêmes déſirs , une même régle ; lorſqu'ils confpirent enſemble pour ';
les mêmes aćtions de pieté. Faut il prier , ils s'enferment dans le ſecret, pour *,
attirer la protection de celui qui a promis ſon ſecours lorſque deux, ou trois l
P A RA G RA PHE S I X I E’M E. 271
feroient aſſemblez en ſon nom ? Faut-il jeûner , ou pratiquer enſemble les
devoirs de la Religion ? on les voit , comme Joſeph & fa tres-fainte Epouſe,
aller au Temple de Jeruſalem, ſolemnifer enſemble les fêtes de la Religion,
& n'avoir qu'un même eſprit , un même coeur, dans une même chair. Sermon
manuſcrit.
Icy l'ordre naturel est renverſé ; car c’est Marie qui perfećtionne Joſeph Jo«
par l'abondance des graces dont elle eſt remplie ; c'eſt elle qui communique aT
la nobleſſe à faint Joſeph. N’eſt-ce pas d'elle en effet qu'il reçoit la fécondité, j'aifiance
puiſque c'eſt
l'homme qui d'elle
trouvequ'il
une reçoit
épouſeJesus-Christ
qui le porte aupour
bien.ſon Fils. Qu'heureux
Combien est qu'il, a con
d'épouſes fer- ay CC
vent de tentation à leurs maris , leur inſpirant leurs reffentimens, leurs van
geances , leurs vanitez , & portent leurs époux par des foilicitations intereſ- ges
fées à ſuivre leurs paſſions, les déſirs qu'elles ont de s'élever : Icy, dans cette
alliance toute fainte , tout eſt uniforme, mêmes penſées, mêmes affećtions,
mêmes defirs. Afonsteur Flechier. * e
Fils par la fuite. Choſe étrange, dit faint Pierre Chryfologue, la perſécution
de, a voulu eſt fi violente, & ſi échauffee contre le Sauveur, que toute la Judée ne peut
que fint lui fournir un afile. Elle n'a ců beſoin que du fecours d'une pauvre veuve,
} pour ſe défendre contre un Roy tres-abſolu : & le Sauveur ne trouve pas
dans une grande Province aflez de protećtion contre un Roy dominé par fa
vie au sau. paſſion. En vain cet adorable perſécuté s'enfonceroit-il dans les cavernes ; la
veur du cruauté d'Hérode, qui l'a cherché même dans une étab e , l'iroit découvrir
monde. juſques dans le creux des rochers ; en vain ſe refugicroit-il dans le Temple ,
& auprès des autels ; ce Roy impie qui en a fi fouvent profané la fainteté,
l'en feroit arracher. Mais il ne l'enlévera jainais d'entre les bras de l'Epoux de
Marie : & ce que le foin des amis , ce que l'empreſſement des parens, ce que
les palais des Grands,ce que la majeste même des faints lieux n'a pû faire,Jo
feph l'exécute , & ſouſtrait cet aimable Enfant à la fureur d'Hérode. Le
Verbe Incarné a voulu devoir aux foins de Joſeph la conſervation de ſa vie,
afin que tout le monde fçût, que fi le Pere Eternel fait deſcendre fon Fils
fur la terre pour nôtre bonheur : il ſemble y avoir envoyé Joſeph, pour con
ferver celui qui en est la fource. Tous les hommes ont contribué à la mort
du Sauveur ; & il n'y a qu'un homme qui l'ait empêché de mourir dans fon
enfance ; & fi la fainte Vierge eſt la feuie entre les femmes de qui J E s u s
ait reçû la vie, Joſeph est le ſeul parmi les hommes qui la lui ait conſervée.
Il eſt vrai que Dieu deſtine les Anges à porter d'un lieu à un autre les Prophe
tes & les Prédicateurs de l'Evangile ; mais il ne confie qu'à Joſeph ſeul la
vie du Sauveur , & le foin de le tranſporter en un lieu de ſûreté. Ce faint
homme ne fait pas le voyage de Bethléem en Egypte auſſi promptement &
auſſi facilement que l’Ange, qui fît paſſer Habacuc de Judée à Babylone,
ni que le Diacre faint Philippe de la ville de Gaza, juſque dans celle d'Azot ;
mais cela même releve fa gloire, puiſque ce voyage lui a coûté fi cher , qu'il
lui a fallu employer travaux , veilles , fatigues, juſqu'à riſquer fouvent ſa
liberté & ſa vie pour d’élivrer fon Fils de la mort. Autheur moderne.
Le ful titre Le Prophéte Royal après avoir épuiſé fon eſprit dans les loüanges qu’il a
de lºrs du données à Dieu, revient enfin, & avoűë , qu'il n'en faut publier autre chofe,
r finon qu'il est Dieu. Je crois que nous en pouvons uſer de la forte , lorſque
mieux que nous parlons du pere de l'Homme Dieu , & qu apres en avoir dit toutes les
lcüanges
P A R A GR A P H E S I X I E’M E. 273
loüanges poſſibles, ces deux mots font le plus excellent panégyrique : Joſeph tous les élo
est pere du Verbe Incarné. Quelques Dočteurs font ſurpris que le Sauveur ges qu'o' .
n'ait jamais proferé une parole pour loüer la très-ſainte Vierge , ni faint -
Joſeph , quoiqu'il ait fait l'éloge de ſon Précurfeur, de faint Pierre, & même Joſeph.
de quelques pecheurs auſſi tôt qu'ils ont mérité fon approbation , & qu'il
s'est expliqué avec des ſentimens d'eſtime en faveur des ſoldats convertis, &
des femmes que leur debauche & leur infidélité avoient autrefois renduës
très-mépriſables. Pourquoi donc n'a-t-on jamais entendu de lui une parele à
la gloire des deux perſonnes du monde les plus conſidérables, & qu'il aimoit
le plus tendrement ? C'eſt fans doute , parce qu'en s'avoüant leur fils , leur
rendant toute l'obéiſſance que les peres & meres peuvent attendre de leurs en
fans, & donnant à connoître par tout , que Marie étoit ſa mere, & Joſeph
fon pere, il ne pouvoit faire pour eux rien deplus obligeant,& de plus hono
rable. Le même.
Revenons à ces deux mots, Joſeph vir Marie. Par une diſpoſition toute saint Jo
particuliere de la providence d'un Dicu infiniment fage , Joſeph a été choiſi ſeph a eu
pour époux de la très-ſainte Vierge. Que ne devons-nous point conclure de là u Parfaire
à l'avantage de ce grand Saint ? N’attendez pas que je vous faffe icy valoir
l'honneur qu'il eût auff-bien qu'elle, d'être de la race de David. Il est vrai que *
l'Ange ne l'oublia pas dans les paroles qu'il lui dit en ce sőge mystérieux qu'il fainte vier
eût. S'il n'avoit reſſemblé à la ſainte Vierge que par cet endroit, ce feroit pour ge.
lui une loüange bien foible ; car , comme d'une même tige il peut fortir des
rejettons bien différens ; de même auſſi dans une même famille , il peut y
avoir des perſonnes infiniment diſſemblables, les unes mépriſables par leurs
mauvaiſes, les autres eſtimables par leurs bonnes qualitez. C'eſt pourquoi à
ce rapport de parenté , Dieu ajoûta un rapport de vertus bien plus excellent
que le prémier, qui n'eſt qu'un ouvrage de la nature.Le Pere AMartineau. Ser
mon manuſcrit.
Après que vous avez vů le choix Dieu a fait de Joſeph pour époux de Dece que
la tres-ſainte Vierge; quelle glorieuſe image ne vous formez-vous pas des ver- Joſeph a étě
tus de ce grand Saint ? Sans doute vous vous repréſentez en lui une parfaite çhoist pour
droiture de raiſon, pour entrer dans tous les deſfeins de la providence fur fon Pºur la
Epouſe; vous vous repréſentez en lui une charité également tendre & agiſſan
te pour pourvoir à tous fes beſoins ; vous vous repréſentez en lui une humilité
profonde
que lapour reconnoître
d'Epouxenſembloit
elle la Souveraine
lui donner de
furl'univers, malgré
rité qualité fa perſonne. Vousl'auto-
vous voir une
idée
repréſentez en lui une pureté angelique, pour partager avec elle la gloire de “ (a vertu.
la virginité. C'est une doćtrine conſtamment & univerſellement reçûë par les -
Peres, que fi Dieu devoit ſe faire homme, ce devoit être dans le fein d'une
Vierge ; que ſa naiſſance temporelle devoit reſſembler à fa naiſſance éternelle ;
& que comme dans l'éternité il eſt né d'un pere fans mere, il devoit naître
dans le temps d'une mere fans pere ; & moy je dis que la Vierge qui devoit
être la Mere du Fils de Dieu devoit avoir un époux austi veritablement vierge
qu'elle. Elle devoir avoir un époux , afin que la naiſſance du Sauveur parût
légitime aux yeux des peuples de fa nation,que le myſtére de la virginité & de
de la fécondité, réünis dans une même perſonne eût revolté. Le Pere Marti
776 sMM. - -
glore à l'eſpace de trente ans ? il accomplit dans le temps, ce que Dieu a projetté
- Î. dans l’éternité, & fait de cet emploi l'unique affaire de fa vie. Mais encore ,
de que fait-il ? Il montre, il cache , il met au jour, il tient dans les ténébres ,
selle de nô la vie & les actions du Sauveur du monde ; il leur preſcrit leur temps, & leur
tre Saint est affigne leur place ; il leur marque leur durée, il les affortit de toutes les autres
que
a obéi , &
" circonstances. Il est comme l'organe du Pere Eternel pour intimer fes volon
- s• / |- / • /
lui a été *** à cet Homme-Dieu, l'interprete fidéle de ſes deſfeins, le prémier dépost
foumis. taire de fon pouvoir. Il dit au Sauveur ; mon Fils, vôtre Pere me commande
de vous mener en Egypte : & le Sauveur obéit, & fuit aveuglement où on
le mene ; il faut retourner à Nazareth, Dieu me l’ordonne, & il s'y foûmet.
Joſeph expoſe à ce Verbe Incarné les ordres du Ciel, & le Fils de Dieu n'agir,
& ne ſe remuë qu'à la voix, & aux ordres de Joſeph. C’est un aſtre qui don
ne le mouvement à ſon ciel, un rayon qui conduit ſon ſoleil, une créature qui
diſpoſe de fon Créateur à ſon plaiſir. Qu'on n'admire donc plus que Dieu ait
obéi à la voix d'un homme dans l'ancienne loy, lorſque Joſué fit arrêter le
foleil ſur le penchant de fa courſe ; puiſque voilà le ſoleil de justice, qui trente
ans entiers, obéit à un homme , & à un pauvre artiſan, lequel , en apparen
ce , n'a rien au-deſſus des hommes du commun , & cela dans une vie ca
chée , & dans un métier bas, & pénible. Il obéit à la voix de ce Capitaine
du peuple d'Iſraël, mais ce ne fut qu'une fois, afin d'éclairer les vićtoires de
fsfué le. celui qui combattoit pour ſes interêts : Obediente Deo voci hominis. Mais icy
il le fait , non pas une fois, ou deux ; mais tous les jours, à toute heure, &
à tous momens ; non pas pour un peu de temps, comme à Joſué, en comman *.
*4||
dant à l'intelligence qui remüoit cet astre de ſuſpendre ſon cours precipité; r
mais durant trente ànnées, non-feulement dans les choſes éclatantes, com -,
la force : & c'est de cette vertu dont fût encore éminemment partagé nôtre
Saint, puiſque ſon amour pour le Sauveur n'a été moins généreux, º
qu'il a été tendre, pour s'appliquer au foin de fa conſervation , & entre- sauveur a
prendre mille fatigues & mille travaux pour ce ſujet; comme quand il fût été joint à
question de fuir en Egypte afin d'éviter la perſecution d'Hérode. De quelle " "*""·
réſolution & de quelle force n'eut-il pas beſoin , pour entreprendre un fi
long voyage, dans une fi grande pauvreté ? Quelles traverſes & quelles pei
nes pour conſerver une vie qui devoit être employée pour le falut de tout
le monde ? Et lorſque cet Enfant s'éloigna pour un temps, afin de ſe retirer
dans le Temple à l'âge de douze ans, quelle diligence ne fît-il pas, & quelles
inquiétudes ne témoigna-t-il pas avec la Vierge très-ſainte , ſon Epouſe, pour
le chercher ? Ego, & pater tuus, dolentes querebamus te. De forte que faint Lue, z.
Joſeph avec la qualité de pere de J E s u s-C H R 1 s T , réüniſſoit dans
fon coeur, cet amour fort & généreux avec cet amour tendre & ardent plein
de compaſſion ; & ces deux amours réunis enſemble s'enflammoient mutüel
lement ; la tendreſſe lui faiſoit ſouhaiter d'employer mille vies pour ſon Sau
veur, & réciproquement les peines & les fatigues qu'il prenoit, contribuoient
à augmenter cette tendreſſe; parce que nous aimons d'ordinaire plus tendre
ment les choſes qui nous ont le plus coûté. Or, que de peines, que de
voyages, que de perſécutions pour élever cet Enfant ! pour le mettre à cou
vert des pourſuites de fes ennemis , pour conferver ce tréſor du monde , &
ce dépôt que le Ciel lui avoit confié. O mon Fils, lui pouvoit-il dire , que
vous m'étes précieux, puiſque vous me coûtez fi cher ! fi vous ne m’apparte
nez pas pour vous avoir donné la vie, vous ne laiffez pas d'être à moi par
un autre titre ; puiſque j'employe continuellement la mienne pour fauver
la vôtre ; je donne à vôtre conſervation ce que je n'ay pas donné à vôtre naiſ
M m iij
278 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. JO SE P H.
fance , & je conſacre à vôtre entretien ce que je n'ai pů contribuer à la for
mation de vôtre être. Mais réciproquement , quels ſentimens d'amour, de
reſpect, & de reconnoiſſance ce divin Enfant ne témoignoit-il point à celui
qui lui tenoit lieu de pere, de tuteur , de maître , & de tout le reste ? Il veut
dépendre de lui par autant de titres, pour l'élever d'autant plus haut, que
plus il lui rend de déférence & de foumiſſion. L'Auteur des fermons fur tous les
fujets.
saint Joſeph C'eſt avec raiſon que faint Joſeph peut dire, auſſi-bien que l'ancien Joſeph :
peut dire Vidi quaſi folem adorare me : J’ay vů, non pas en ſonge , & en viſion, mais en
a Plu: “ effet, & en vérité, que ce Soleil du monde, ce Fils unique du Pere Eternel,
ancien Jo- ce Roi & ce Monarque fouverain de tous les hommes, devant qui les plus
reſpećt, & les plus hautes puistances de la
r * -
connoiſſoit pas encore le mystere ? Quels nüages de ſoupçons & de défiance , | "
de dépits, de chagrins ne devoient pas fe former naturellement dans fon .
eſprit ! Il auroit pris fans doute le parti de pouſſer les choſes aux dernieres ſe,dont,i ne
extrémitez, s'il avoit conſulté les reffentimens , aufquels les gens du mon- concevoit
de s'abandonnent à préſent avec tant de facilité , & fi peu de diſcretion. Car ***'* myf
28o POUR LE PANEGYRIQUE DE S. JOSEPH.
tére, con- ſi nous remontons à la fource de ces funeſtes éclats que les gens du monde
damps les font avec tant de ſcandale: dans le fond que trouve-t’on ? une bagatelle rele
vée mal à propos, une jaloufie outrée , une ridicule délicateſſe, un reproche
f on précipité,ou fait à contre-temps, un mal-entendu de nulle conſéquence. De là
d'éclat pour les aigreurs & les mépris, fàcheuſes diſpoſitions tout déplait,où tout choque, où
de legers ſles jours
tout paroît affreux,aitou,bien
que l'autre loindedeſeſejustificr
tort, afin faire grace mutuellement,l'un
à foy-même veut toû
fa propre conduite.
Il vient enſuite un temps où la haine grofie par mille retours qu'on fait fur
le ſujet de ſes prétendus mécontentemens , ne peut plus être refferrée dans
les bornes du domeſtique. L'on va chercher ailleurs des confidens & des con
fidentes à fon gré ; l'on porte ſes plaintes de Tribunaux en Tribunaux ; l'on
fatigue les Juges du recit de fes démêlez ; on informe le public de mille avan
tures qu'il faudroit étouffer dans un éternel oubli , & par tout l'un fait le
portrait de l'autre avec les traits les plus malins, & les plus noirs de la fa
tyre. Que ces excès font hautement condamnez par la modération du faint
époux Joſeph ! Il n’a pas affez de lumiere pour juſtifier ſon épouſe : mais il
a trop de bonté pour la condamner; & s'il ne peut ſe réſoudre à demeurer
avec elle, il peut encore moins la livrer à la honte publique , en la ren
voyant dans les formes, & par une ruptute éclatante ; Cùm effet justus, có
Matth. 1. nollet eam traducere : voluit occultè dimittere eam. Le Pere Martineau.
comme Jesus-CHR ist devoit dans ſon enfance même condamner nos attachemens
profanes aux biens viſibles, en embraſſant les maux qui leur font oppoſez.
u Il falloit pour cela , qu'il nâquit dans le ſein de la pauvreté, pour ainſi
sauveur , a dire ; qu'il fût perſécuté preſque auſſi-tôt qu'il auroit vû le jour ; qu’il allât
dû avoir dans un fâcheux exil , pour ſe mettre à couvert des artifices, & de la violen
. qu'une ambition auſſi cruelle, que bizarre , portoit à ſacri
ce d’un Prince ,
' fier tout à une jaloutie d'Etat, & à une envie infatiable de regner; qu'il vê
fécutions de cut dans un état obſcur, inconnû & mépriſe de ceux qui devoient le connoî
ce fils. tre. Or Joſeph devoit avoir part à toutes ces peines : Ad hæc omnia Spiritus
Sančius Joſephum pignoravit. Deſtiné de toute éternité à être en quelque forte
le pere d'un Dieu devenu pauvre, il a fallu qu'il fût pauvre auſſi toute ſa vie,
& qu'il vécût juſqu'à la mort dans l'obſcurité d'une boutique, & d’un mé
tier également vil , & pénible. Puis-je le dire, tout aimable Sauveur , les ti
tres que les Prophetes vous ont donné , & que vous avez porté ſur la terre ';
i
pour nôtre ſalut:les titres, dis-je, d'opprobre du peuple,de ver de terre, de fils
d'un artiſan, vous les avez achetez ſans doute à vos propres dépens ? mais
auſſi ils ont couté beaucoup à Joſeph , vous les avez trouvez dans fa pau |
vreté, dans fes humiliations, dans fes travaux : il vous y a conduit IC
buter jamais. C'eſt à ce prix qu'il a cû la gloire de paſſer pour vôtre pere.
Quelle plus grande preuve pouvons-nous avoir de fa fidélité à remplir les de
voirs attachez au miniſtére dont vôtre providence l'avoit chargé. Fidelis fer
Matt. 24., vus quem constituit Dominus fuperfamiliam filam. Le même.
Si la dignité & la grandeur de faint Joſeph font inacceſſibles à cauſe de
l'employ auquel la providence l'avoit destiné; en recompenſe, fa fainteté qui
éminente les a foûtenuës , & qui y a eû du rapport , est peut-être celle de tous les
quele air Saints la plus facile à imiter; puiſque Dieu ſemble l'avoir donné aux hom
**"Pº" - mes comme un parfait modele, qui a fait voir que dans une vie commune,
l’on
P A R A G R A P H E S IX I EPM E. 28 I
l'on peut acquerir & pratiquer les plus hautes & les plus excellentes vertus. tant facile à
Car ce n'est point une vie de miracles, ny des aćtions fort éclatantes qu'il imiter.
nous met devant les yeux ; ſa fainteté ne confiſte pas en de grandes austéritez,
en une vie Apoſtolique , ny en de grandes ſouffrances : c'eſt une fainteté de
commerce , qui peut ſe trouver dans tous les états, & dans toutes les condi
tions; fainteté qui s'accommode à la foibleſſe des hommes, & dont toute la
perfećtion ſe renferme dans le foin d'une famille , & dans les occupations
d'un ménage. C'eſt un homme qui vit du travail de fes mains, qui exerce
un métier pénible : qui vend, qui achete, qui débite ſon ouvrage , qui eſt à
gages à ceux qui l'employent, & qui entretient ſa maiſon de ce qu'il peut ga
gner à la fiieur de fon front. Voilà le dehors de fa fainteté ; une vie commune
telle que mille & mille perſonnes menent tous les jours. Ce ne font donc
point ny les charges , ny les emplois, ny les actions d'éclat , ny les grandes
occupations qui font les plus grands Saints, puiſqu'on le peut devenir par les
aćtions les plus communes & les plus ordinaires. Mais fi vous paſſez de ce
dehors fi peu confidérable, & fi vous entrez dans le fond & dans l'intérieur
de la fainteté de Joſeph, vous y verrez un homme juſte , attaché à tous fes
devoirs , content dans la condition où la providence l'a placé, foûmis à tous
fes ordres comme un ſerviteur fidele , détaché des choſes de la terre , toů
jours uni de coeur à Dieu , qui ménage toutes les occaſions , & tout ce que le
monde appelle des accidens & des diſgraces , pour fe ſanétifier. Or, comme
c'eſt par cet endroit que ce faint homme eſt le plus grand devant Dieu, c’eſt
auſſi par là où il est le plus imitable, & qu'il nous fon exemple,
qu'il n'y a ny état, ny employ, ny condition où l'on ne puiſſe mener une vie
réguliere, juſte & fainte, demeurer fidele à Dieu , & pratiquer toutes les
vertus, en fe conformant toûjours felon ſon bon plaiſir ; en un mot, deve
nir un grand faint, à qui Dieu ne peut demander autre choſe , finon qu'il
rempliffe, comme faint Joſeph , tous les devoirs de la condition où il luy a
plû de le mettre. Le bonheur même que ce Saint a eu de nourrir la propre
perſonne du Sauveur, & les occaſions qui ſe font préſentées de luy rendre
mille bons offices, ne luy donnent pas un tel avantage ſur les autres , qu'il ne
puiſſe être ſupplée ; puiſque le même Fils de Dieu nous tient compte de tout
ce que nous ferons à nos freres pour ſon amour, comme fi nous l'aviòns fait
à luy-même. Ainſi il ne tiendra qu'à nous d'imiter ce grand Saint, ayant tou
tes les mêmes vůes dans nos aćtions , & les mêmes motifs qui l'ont élevé à
un fi haut degré de gloire. L'Auteur des Sermons fur tous les fujets, &c.
Le Serviteur fidele & prudent , que l'Evangile nous repréſente en même Eloge de
temps comme le Chef & le Maître de la plus illuſtre famille qui fût jamais : faint Joſephi
Fidelis fervus, & prudens , &c. Cet homme choiſi pour être le Miniſtre du abregé de
Dieu du Ciel, & pour commander à un Dieu fait homme fur la terre ; cet (sº gran- I
artiſan fi pauvre des biens de fortune , & fi peu confidérable pour le rang
qu'il a tenu parmi les hommes , mais fi élevé par ſon mérite 2 & Par fon ſa
employ auprès du Roy de l'univers; cet homme enfin compoſé d'abbaiſſe
Perſonne»
mens & de grandeurs, c'est l'incomparable faint Joſeph, établi pour gouver
ner une famille, qui étoit proprement la famille de Dieu , & qui a mérité par
fa fidélité , & par fa prudence , d'être aſſocié en quelque maniere à ce
grand deſfein de l'Incarnation du Verbe , comme parle faint Bernard ;
Paneg. des Saints. Tome I. N n
|
282 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. JOS E P H.
Solum in terris magni conſilij coadjutorem fideliffimum. Certes, comme ce Dieu
Homme qui a bien daigné paſſer pour le fils de Joſeph, a été au rapport de
faint Epiphane, un affemblage de choſes ſurprenantes qui femblent inallia
bles à l’elprit humain: pour avoir joint la qualité de Souverain avec l'anéan
tiffement d'un eſclave, la foibleſſe d’un homme avec le Tout-puiſſant, &
toutes les oppoſitions les plus contraires qui ſe font accordées par le myſtére
de l'Incarnation ; de même il femble que depuis que faint Joſeph a été choiſi
pour cacher ce myſtére, & pour y coopérer en le cachant , il a auſſi réüni les
extrémitez les plus éloignées ; puiſqu’enſuite ç'a été un homme qui a obei
à Dieu , & qui lui a commandé : qui a rempli les devoirs d'un ferviteur fidé
le, & foûtenu avec prudence le nom & l'autorité de pere d'un Dieu : qui a été
l'Epoux d'une Mere Vierge, le Sauveur de fon Sauveur même : qui a nourri
celuy qui fournit d'alimens à toutes les créatures, & conduit celuy dont la
providence gouverne tout le monde. Voilà quel a été le faint homme Joſeph.
L’Auteur des Sermons fur tous les fujets.
jof ph dhus Dieu ayant choiſi une vie obſcure , une condition baffe, & un état pauvre
la pauvreté ,
& dans un:
& inconnû pour ſon Fils , c'étoit enfuite une obligation indiſpenſable à celuy
qui étoit chargé de fon entretien , de mener une vie pauvre » dans l'obſcurité,
condition
obſcure eſt & dans la néceſiité d'exercer un métier pénible. De quelle fidelité donc n'eut
content de il pas beſoin pour fe foûmettre à une conduite de Dieu fi étrange à ſon
fon état , & égard , qui le charge de la nourriture de ce Fils fans lui donner de quoy l'en
fe confor
me à la vo
tretenir ; qui le fait naître d'une extraction illuſtre, afin qu'elle rejailliſſe fur
lonté de ce Fils même, mais qui veut qu’il l’enſeveliſſe dans l'obſcurité d’une vie ca
Dieu. chée, & qui ne lui laille que la miſére & l'indigence pour partage : avec le
foin de pourvoir aux néceſſitez de cet enfant, qui naît à l'ombre de ſon ma
riage, pour cacher cette grandeur qu'il ſembloit plutôt lui devoir procurer
lui-même. Cette conformité aux ordres de Dieu n’est pas fans doute l’effet
d'une vertu commune , & il falloit une fidélité héroïque pour accepter fans
plainte , fans murmure, fans ennui, & fans dégoût toutes les peines que la
pauvreté attire dans une famille auſſi illustre, & auſſi peu accommodée que
l'étoic celle de Joſeph. C'étoit la voye que la providence luy avoit marquée ».
dont il ne s'eſt jamais écarté, content de l'état où elle l'avoit mis , & s'eſti
mant heureux d'être femblable à celuy qui de riche & de fouverain qu'il
étoit, avoit voulu naître, & vivre pauvre pour ſon amour. Que cette fidélité
eſt admirable ! qu'elle eſt rare ! & que c'étoit un ſpećtacle digne des yeux
des Anges & de Dieu même ! Mais quel plus beau modele pouvons-nous
avoir devant les yeux, pour arrêter ces défirs ambitieux dont on ſe fait même
un mérite dans le monde, de ne point déchoir du rang de fes ancêtres, de
foûtenir l'éclat de fa famille : & fi l'on n'a pas du bien pour cela, de tenter
toutes les voyes imaginables pour en avoir, afin de ſe roidir contre toutes les
diſgraces de la fortune ? comme fi on vouloit faire voir qu'on est toûjours
élevé au-deſſus des autres, par cette prétenduë grandeur d'ame, que rien ne
peut ni abbatre, ni obſcurcir. Saint Joſeph n'entre point dans ces fentimens.
humains : il trouve ſon bonheur dans la mifere de fa condition , & met tou
te ſa grandeur à en ſouffrir patiemment la baffelſe, & les incommoditez.
Le même.
La fidelité Saint Joſeph a marqué fa fidelité , non-ſculement en fe foûmettant aux
P AR A GRA P H E S I X I E’ M E. 283
ordres de Dieu, mais en les exécutant par une obéiſſance prompte, aveugle, de faint
entiere & conſtante. Il falloit en effet un homme de ce caraćtere, fur la fidé-
* , m. A - * * *
loſeph dans
, l'execution
lité duquel Dieu ſe pût repoſer pour faire réüſſir ce grand deſfein , où il
s'agiſſoit d'abord de fauver la vie à ce Verbe Incarné, & de le ſouſtraire à la qu'il avoir
haine & à la fureur d'un tyran animé à ſa perte par un interêt d'état le plus gus de
capable de lui faire tout ſacrifier à ſon ambition ; & qui, de crainte qu'il ne P*"
lui échapât, avoit déja réſolu de l'enveloper dans le maſſacre de tous les
enfans du pays. D'où il est facile de concevoir que jamais il n'eut beſoin d'une
foûmiſſion plus parfaite & plus fidele, que dans ce danger fi preſſant, &
dans une occaſion fi imprevůë. Examinez en bien , je vous prie , toutes les
circonſtances, & jugez de fa fidélité, non-feulement par le prix, & l'impor
tance de ce ſervice : mais par l'affećtion de fon coeur, par la générofité de ſa
réſolution, & par les difficultez que ſon eſprit lui repréſenta d'abord, & qui
s'accrurent dans l'exécution. L'Ange lui intime les ordres du Pere
Eternel , de s’enfuir promptement en Egypte, de prendre cet enfant , & d'y
conduire auſſi la mere. Il faut partir dès ce moment , car il n'y a point de
temps à perdre : il faut partir de nuit , & entreprendre un long voyage,
fans commodité, ſans fecours, dans l'indigence, & dans la néceſſité de tout.
Cela demandoit fans doute, un courage intrépide, & une fidélité à l'épreuve,
pour obéir fans replique & fans instance. Joſeph ne s'informe ni du terme de
ce voyage , ni de la route qu'il doit tenir ; il ne délibere point
fur un ordre fi précis, de crainte de ſurpriſe , ou d'illuſion dans l'apparition
d'un Ange, qui lui avoit parlé dans ſon ſommeil ; il ne s'arrête pas , par une
précaution trop pointilleuſe , à raiſonner fur la contradićtion apparente des
différens meſſages que cet Angelui avoit fait , dans l’un deſquels il l'avoit
affûré que cet enfant fauveroit ſon peuple, & dans l'autre, il lui ordonnoit
de fauver cet enfant lui-même. Enſuite , ſur le point de quitter ſon logis,
combien de difficultez capables d'arrêter un ſerviteur moins fidéle, s'il eût
. conſulté ſur l'ordre, & ſur les moyens de ce voyage ? où loger ? où trouver
de quoi vivre. Comment pourvoir aux beſoins de la mere & de l'enfant, ſans
avoir le temps d'y penſer ? Tout cela cependant ne peut faire différer
d'un moment ce coeur parfaitement foûmis à Dieu. Durant le voyage,
quoiqu'il ſe réposât ſur la protećtion & ſous la conduite du Ciel : ce
pendant , comme il ſembloit que Dieu fe confiât de tout à fa fidé
lité ; quelles allartnes , & quelle crainte, que la vigilance de fes ennemis
ne prévint la fienne ? quelle inquiétude ne pouvoit pas naître ſur l'incertitude
du temps qu'il devoit demeurer en Egypte , & qu'on ne lui avoit point mar
qué ? Et esto ibi , uſque dum dicam tibi : Quelle conduite devoit-il tenir dans Matt. z.
un pays étranger, idolâtre, & fi zelé pour le culte de ſes fauſſes divinitez ?
Quel accuëil pouvoit-il eſpérer de ce peuple, dont il ne fuivoit point la
religion ? Quel moyen même de fauver cet enfant dans un lieu, où pour un
perſécuteur qu'il fuyoit, il devoit craindre d'en trouver autant que de per
fonnes avec leſquelles il avoit à traiter ? A tout cela joignez les fatigues de ce
voyage fans nulle commodité pour les adoucir : la peine de porter cet enfant,
de trouver dequoi ſubſiſter. Je veux que fon amour lui faſſe compter pour
tien tout ce qui regarde ſon propre foulagement, mais de voir ſouffrir CC llX
N n ij
284 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. J o SE P H.
qui lui font plus chers que ſa propre vie, & qu'il engage à le ſuivre ſur l'aſsú
rance qu'il leur donne que c'eſt l'ordre de Dieu;vous m'avouërez que jamais
fidélité ne fût miſe à une plus rude épreuve : que jamais il n'y eût obéiſſance
plus foûmife , ni exercée par de plus fâcheux commandement : & cnfin que
jamais perſonne n'a donne aux hommes un plus rare , ni un plus parfait CXCIIl
ple de la foûmiſſion que l'on doit à Dieu. Le même.
Mais ce qui rend aujourd'hui fi recommandable la fidélité de faint Joſeph,
f. gloire eſt d'avoir ſacrifié fa gloire même pour le fervice de fon Dieu ; d'avoir eû
pour le fer- pour principal emploi de cacher tout le temps de ſa vie l'éclat de ce Meſlie ,
. & de n'y avoir eû nulle part. Quand le Sauveur commença à inſtruire les
peuples, & à leur enſeigner fa doćtrine toute céleste , on demandoit fi ce
n'étoit pas le fils de Joſeph , & où le fils d'un artiſan pouvoit avoir puiſé
tant de ſciences & de lumieres. Quand fes miracles commencerent à le faire
connoître, & qu’on le ſoupçonna d'être le Meffie qu’on attendoit , on crut
en être ſuffiſamment deſabuſe, en difant qu'on fçavoit d'où il étoit , & que
l'on connoiſſoit ſa famille & ſon pere ; pendant trente ans qu'il demeura dans
la maiſon de Joſeph, il y étoit plus caché & plus inconnu par la baſſeſſe de
l’employ, & par l'obſcurité de celui dont il paſſoit pour être le fils, que s'il
eût été dans le fond d’un déſert. Bien loin donc que Joſeph fe faſſe honneur
de ce Meſſie, il ne fert qu'à tenir les eſprits en fufpend ſur la qualité de celui
qu'on fçavoit lui appartenir , & nous ne voyons pas dans l'Evangile qu'il ait
củ pattà ſes miracles, ni que les applaudiſlemens qu'on a fouvent donné au
fils, ayent rendu plus conſidérable celui de qui on croyoit qu'il eût reçû la
vie. C’eſt même le fentiment commun des Doćteurs, qu'il est mort fi tôt
que le Sauveur a commencé à faire bruit dans le monde ; comme fi Joſeph
n'y eût été que pour le cacher par ſa propre baſſeſſe ; que fon ministére
achevé fi tôt que ce Dieu-homme commença à paroître, & qu'il n'eût dû
avoir nulle part à la gloire de fes aćtions, mais ſeulement à l’obſcurité de
<
fa vie cachée, & à ſes profonds anéantiſſemens. C'est là le comble, & com *a
Comme S. Bernard enſeigne que l'humilité de la très-ſainte Vierge l'a éle- combien
vée à la dignité de Mere de Dieu: on peut dire auffi avec un fçavant Doćteur, fut grande
ue cette même vertu a élevé faint Joſeph à la dignité d'Epoux de cette e
ViergesVierge
avec le; parce qu'il étoit
plus humble des raiſonnable de marier
hommes. Pour la plus humble
vous perſuader des
que faint Pn.
Joſeph a fait profeſſion toute fa vie d'une profonde humilité, peſez je vous
prie, que ce faint homme découvroit parfaitement les graces dont Dieu l'a
voit comblé, & qu'il ne pouvoit ignorer le haut degré où il fe voyoit élevé,
ni s'empêcher de dire avec des ſentimens pleins de reconnoiſſance, les paroles
de ſa chere épouſe : Le Tout-puistant a fait en moi de grandes choſes. Quoi qu'il Luc. z.
ne regardât l’avantage d’avoir tant d'illuſtres ayeux , que comme un enga
gement, où la nature nous met , d'augmenter l'éclat de leur nom par un
mérite perſonnel : il ne laiſſoit pas d'être fort perſuadé de fon droit, par
lequel il fe trouvoit légitime ſucceſſeur de David ; Il ſe reconnoiſſoit l'hom
me du monde le plus heureuſement marié : il recevoit les fervices du Verbe
Incarné, devant qui les Séraphins s’humilient juſqu'au néant. Il étoit le
chef d’une famille la plus conſidérable & la plus auguſte qui fût jamais. Il
s'étoit déja acquité très-dignement de pluſieurs emplois beaucoup plus im
portans que ceux que Dieu avoit confiez aux anciens Patriarches & aux,
Prophetes. D'ailleurs les Peres nous enſeignent, & l’expérience nous fait
voir, qu'il n'est rien de fi rare ni de fi extraordinaire , que de voir qu’une
perſonne placée dans une haute élévation, ſoit au-deſſus des ſurpriſes pref
que inévitables de l'orgueil , conſervant toûjours des fentimens très-bas
d'elle-même , & recherchant autant qu'il lui eſt poſſible, la pratique des,
N n iij
286 p OUR LE PANEGYRIQUE DE S. J O SE PH.
aćtions les plus humiliantes. Et parce qu'il est impoſſible de trouver un hom
me ſur la terre qui ait reçû des honneurs plus ſolides, ni plus grands que
faint Joſeph, il faut auſſi avoüer que l'amour extrême, qu'il a ců toute ſa
vie pour l'humilité, l'a rendu digne de l'admiration des hommes & des Anges.
Car être humble ſans mérite, c'eſt une néceſſité : être hum ble avec quelque
mérite, c'eſt une vertu : mais étre humble avec les prérogatives & la gloire
de faint Joſeph, c’est un prodige, qui l'éleve au-deſſus de fa propre élévation.
Le même.
Les gan Pour juger de la grandeur & de l'élévation de faint Joſeph , portez
VOS fur les prémiers rangs du Royaume ſpiritüel da Sauveur ,
pour compter combien il y a ců de perſonnes plus avantagées que faint
Joſeph. Conſidérez d'abord les Saints , dont les emplois ont eû plus de
rapport que ceux de faint Joſeph , aux occupations de la très-fainte
Vierge. Jettez les yeux encore ſur les commiſſions les plus éclatantes ,
dont Dieu ait honoré les Saints de l'ancienne & de la nouvelle Alliance ,
pour découvrir s'il y en a eû de comparables à celles dont le Ciel char
gea faint Joſeph, que faint Bernard appelle le feul Agent de Dieu, dans
le mystére de l'Incarnation , c'eſt-à-dire , dans la plus grande affaire que
Dieu entreprendra jamais. Il a été le chef de la plus noble famille du
monde. On lui a confié la conduite du Sauveur , & de fa très-ſainte
Mere : & l’on a vů ces deux ſacrées perſonnes lui obéir parfaitement en
toutes choſes, tandis qu'il a été en leur compagnie ſur la terre. Il n'a pas
déſiré, durant pluſieurs fiécles, la venue du Meſſie avec les Patriarches :
mais il l'a poſledé pendant une longue fuite d'années. Il n'a pas prédit
fa venuë avec les Prophétes : mais il l'a tenu entre ſes bras, & l'a logé
dans ſa maiſon de Nazareth. Il n'a pas eû la qualité de Précurfeur, &
n'a pas preparé par ſes prédications les coeurs des Juifs à recevoir le
Meſfie: mais il a été le prémier qui par ſes exemples , les a follicitez à
reconnoître cet Homme-Dieu pour leur Souverain. Il n'a pas couru par
tout le monde à l'imitation des Apôtres , pour travailler comme eux , à
la ſanćtification des membres mystiques du Sauveur : mais il a employé
fes veilles & fes ſueurs à la conſervation & à l'accroiſſement de ſon cor
naturel. Dieu ne lui a pas mis entre les mains les clefs du ciel: mais il lui
a donné en garde celui qui en eſt non-ſeulement le chemin aſsûré, & l'u
nique porte, mais encore celui qui en est le maître , & en fait toute la
beauté. Ainſi n'y ayant point de charge , ni de dignité , excepté la ma
ternité de la ſainte Vierge , qui puiſſe plus élever une pure créature, que
celle de faint Joſeph : il eſt sûr que nous ne trouverons ni dans l'ancien ,
ni dans le nouveau Teſtament , aucun homme à qui Dieu ait donné un
plus grand fond de graces que celui que ce faint-Homme a reçû.
Le même. -
r y Il n'y a aucun lieu de douter que l'humilité de faint Joſeph n'ait eû quel
jo. que chofe de fingulier , ſi on en juge ſelon ce que faint Matthieu nous ra
é porte de ce ſaint homme. Quoy ? compter des Rois pour fes ancêtres: def
toute fingu- cendre de ces Souverains que Dieu avoit mis ſur le trône d'Iſrael : être d'une
licrc. famille où le Sacerdoce & la Royauté avoient été réunis; & s'eſtimer heu
P A R A GRA PHE SI X I EM E. 287
reux d’être réduit à une condition baſle & obſcure : accepter fans peine &
fans murmure une pauvreté extrême, fe contenter de gagner ſa vie à la
füeur de fon front dans une boutique ; en un mot , vivre en ſimple artiſan
par cet eſprit de religion qui fait que nous aimons à nous anéantir aux yeux
des hommes ; c'est-là ce qu'on peut appeller un prodige en fait d'humilité.
Qu'il en coûte pour étouffer certains fentimens que la naiſlance inſpire,& que
l'eſprit du monde fomente & fortifie. Malgré la vertu, le ſang nous rappelle
à nôtre origine. De là, quelque pauvre que foit une perſonne de qualité,
elle fe fent toujours de ce qu'elle eſt; la fortune la maltraite, mais elle ne
l'abbat pas par fes diſgraces. Pour mourir à foy-même dans ces conjonétures
extraordinaires & humiliantes, nous avons beſoin que l'humilité nous ait pu
rifiez de tout. Joſeph pénétré de toutes les véritez de la Religion Chrêtienne,
avant même qu'elle fût établie, met tout ſon bonheur à foûmettre fa volon
té à celle de Dieu, il fait tous fes délices de ſe conformer à ſon bon plaifir,
& de luy ſacrifier entierement toute la gloire & l'honneur qu'il pouvoit natu
rellement tirer de la hauteur & de l'excellence de fes ancêtres. Sermon manuf:
crit du Pere Etienne Chamillard.
Toute la vie
Je ne fçai fi vous avez fait réflexion que la vie de faint Joſeph n'a été de faint Jo
u’un enchaînement d'humiliation, de perſecutions, de travaux & de ſouffran ſeph n'a été
ces. Il paſla toute ſa jeuneſſe dans une grande retraite , preſque inconnu à qu'humilia
tout le monde. Dès qu’il eût la conduite de la très-Sainte Vierge & de ſon ion,que tra
adorable Fils, la pauvreté, dont il avoit fait profeſſion toute fa vie , com vaux, & que
mença à luy être d'autant plus rude, qu'elle ne le faiſoit pas ſouffrir ſeul, Pºrts"tiº"
mais toute fa famille facrée. Peu de temps après il eſt obligé de s'enfuir en,
Egypte, où il fejourna pluſieurs années dans des peines & des travaux qui ne
font connus qu'à Dieu ſeul , & aux Saints, mais qui feront un jour le fu
jet de nos admirations, & de nos loüanges éternelles. Il est obligé d'entre
prendre de longs voyages, que la crainte, les travaux, les périls ; les fatigues
auroient rendus intolérables à une ame moins généreuſe que la fienne. Enfin
il luy a fallu achever le reſte de fes jours , non pas dans la douceur d’une
vieilleſſe tranquille,paifible,& honorée : mais dans l'obſcurité d'une boutique,
dans le travail, dans un métier pénible , qu'il étoit obligé d’exercer pour
fubvenir à la nourriture , à l'entretien & aux néceſſitez de fa chere famille.
Les perſonnes qui ſe trouvent dans des afflićtions continüelles, dans des pei
nes , des chagrins, des travaux, & qui confiderent la conduite de la provi
dence de Dieu ſur ce faint Patriarche , bien loin de s'abandonner à la méfian
ce, & au chagrin , doivent ſe raffûrer ſur l'exemple de faint Joſeph, & croire
ue fi Dieu ſemble les oublier, ils font d'autant plus dans fes bonnes graces,
que plus ils font éprouvez par les afflićtions de cette vie. Le Pere Vertamon,
ÖHave de faint Joſeph.
Si nous ne connoiſſons pas bien faint Joſeph, nous n'avons qu'à étudier la Pour bien
perſonne de la fainte Vierge, parce qu'en decouvrant fes vertus admirables, juger du
mérite de
nous pouvons juger au vray de celles de fon ſaint Epoux. Dieu dans le pré faint Jo
mier mariage du monde, destine le mari à être le modele de fa femme : ſeph, il faut
mais dans le plus faint de tous les mariages, il prend l'épouſe pour le mode penſer quel
le de l'Epoux, & il éleve Joſeph à proportion de l'élevation de ſa ſainte a été celui
288 pOUR LE PANEGYRIQUE DE S. JOSEPH.
de la fainte épouſe. Nous ne nous formerons donc jamais une idée affez juſte du mérite
Vierge fon fingulier & des privileges incomparables de faint Joſeph, fi nous ne méditons
Epouſe.
ce que le Saint-Eſprit nous enſeigne des ſublimes qualitez de la très-ſainte
Vierge dans les livres des Prophètes, ce que les Apôtres ont prêché, ce que
les Evangeliſtes en ont écrit, ce que les faints Peres en ont publié dans
tous les fiécles, ce que les Doćteurs de Théologie en ont expliqué dans les
Ecoles, & généralement tout ce que la ſainte Egliſe nous en a appris. Car
faint Joſeph étant tres-ſemblable à la fainte Vierge, il a quelque part à tou
tes les loüanges qu'on donne à ſon épouſe,& l'on ne peut porter un jugement
aſſez équitable de ce qu'il a été, qu'en recueillant tout ce qu'on a jamais pro
noncé de plus avantageux à la gloire de la Vierge toute fainte. Le même.
P OUR
289
POU R
LE P A N E G Y R I Q U E
D E
SAINT JEAN-BAPTIST E.
A V E R T I S S E M E N T.
* - P A RAGRA P M E P R E M I E R.
Quis putas puer ilie erit? Luc. 1. Ne feroit ce point aſſez pour fatisfaire à la 1 I I.
demande de nôtre Evangile ſur la grandeur de cet enfant , dont nous célébrons
aujourd'hui la naiſſance, de répondre avec l'Ange qui en la nouvelle,
qu'il fera grand, non-feulement devant les hommes, qui ſe trompent le plus
ordinairement, lorſqu'ils peſent le mérite avec les fauffes balances de leur
jugement ; mais qu'il fera grand devant Dieu même, dont l'eſtime est la juste
regle de tout ce qui eſt véritablement grand : Erit magnus coram Domino: Luc. z.
Car fi tout ce qu'il y a dans le monde ne tient aucun rang devant lui , & fi
tout ce qui fait l’objet de nos admirations , diſparoît , & s'efface fitôt qu'on
en fait quelque comparaiſon ; ne faut-il pas être quelque choſe de bien
O o ij
292 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. JEAN-BAPTISTE.
élevé pour conferver ce titre de grand devant Dieu , auprès de qui toutes les
Ifay. 4o. nations de la terre font comme fi elles n’étoient point? Omnes gentes , quast
non fînt , fie ſunt coram Domino. Pour moy je crois que pour vous en donner
une juſte idée, je ne puis mieux faire, que de m'arrêter à l'ordre que la fa
geffe de Dieu garde en toutes choſes, mais particuliérément dans l'éleva
tion des hommes, qui eſt de proportionner fes graces & fes faveurs à la gran
deur des charges aufquelles il les destine. D'où il s'enfuit qu’une perſonne eſt
grande , dès que Dieu la deſtine à quelque chofe de grand ; de forte que fi
je vous fais voir que faint Jean s'est parfaitement acquité du plus noble, & du
plus glorieux emploi qui fût jamais, fçavoir, d'être le Précurſeur du Fils de
Dieu : ce fera, je m'aſsûre, le plus grand de tous les éloges , & la plus juſte
méſure de fa grandeur, auſſi-bien que le caraćtere le plus parfait, qui le diſtin
gue des autres Saints.
Pour le faire donc avec quelque méthode, je remarque qu’on peut faire
connoître une choſe par avance , & en ce fens lui ſervir de Précurfeur, en
trois maniéres ; la prémiére , en l’ébauchant, comme un eſſai , ou comme
un crayon, qui repréſente celui qui eſt la fainteté même ; & de cette maniére ,
faint Jean a dû avoir une éminente fainteté, qui le distinguât du reſte des
hommes; prémiére fource de grandeur , qui releve ce glorieux miniſtere de
Précurſeur ; en ſecond lieu , comme ce miniſtere confiſtoit à annoncer le
Meſſie, & à lui préparer les voyes, il falloit que faint Jean eût une autorité
tout-à-fait ſurprenante ſur les eſprits, pour leur faire connoître en cette
qualité, celui qui paroiſſoit dans le dernier abbaiſſement ; autre fource de
grandeur, d'être dans une tclle eſtime , & d'avoir un tel crédit, que ſon
témoignage ait fait une preuve inconteſtable de la divinité de ce Meſſie,
& de la vérité de fa miſſion. Comme Précurſeur enfin, de celui que le peuple
Juif attendoit depuis tant de fiécles , il l'a montré, déclaré, & en quelque :
maniére proclamé, comme feroit un Héraut qui marche devant lui , & qui
crie à haute voix que c'eſt celui-là, & non tout autre qui auroit voulu ufur
Marti. 1. per cette qualité de Meſſie, & de Liberateur de fon peuple : Vox clamantis
in deferto ; troifiéme & derniére fource de grandeur : parce que pour cela, ili
falloit qu'il eût une fidélité merveilleuſe, afin de ne ſe rien réſerver de la.
gloire qu'il procuroit à fon maître. Ainſi faint Jean est grand devant Dieu,
par rapport à la dignité & à l'emploi de Précurfeur du Sauveur du monde :
parce que, pour s'acquiter dignement de cette éclatante fonction , Dieu lui as
communiqué les trois choſes qui y étoient néceſſaires, & qui en même temps,
font les plus capables de rendre un homme véritablement grand. -
2°. De tous les enfans des femmes, nul ne s’eſt élevé au-deſſus des
épreuves , & de fon miniſtere , par de plus grandes vertus, que
Mał f. 1 I, Jean-Baptiste. Diſons-le donc hardiment après le Sauveur : Inter natos mu
lierum non furrexit major 7oanne Baptista. En effet, où trouverons-nous parmi
les enfans des femmes, un homme qui avec une plus grande innocence, fe
foit condamné à de plus grandes mortifications ? Où trouverons-nous parmi
les enfans des femmes , un homme qui dans de plus delicates tentations, ait
eû plus d'humilité & de zele ? Eloges historiques.
V I I I. Preibit enim ante faciem Domini parare vias ejus. Luc. 1. Toutes les voyes
du ſalut ſe peuvent reduire à deux ; l'innocence, & la penitence. Le Sauveur
du monde les a embraſſées toutes deux ; puiſqu'il a été fans peché, & qu'il
a néanmoins porté la peine de tous les pechez. J’ay donc à montrer que la
vie de faint Jean a été auſſi une vie penitente & innocente. Toutes les voyes
de la fainteté ſe rapportent pareillement à deux, qui font l'action, & la con
templation. Le Sauveur a très-bien uni ces deux choſes, toute fa vie ayant
été partagée à la prédication & à la retraite. La vie de faint Jean a été auſſi
en cela, femblable à celle du Sauveur. On peut donc dire avec vérité, que le
faint Précurfeur a uni enſemble ,
1°. Un mépris extrême de toutes les choſes même permiſes, avec un éloi
gnement entier de tout ce qui eſt défendu par la Loy de Dieu.
2°. Un zele ardent , & infatigable, à un amour extrême pour le repos de
la ſolitude. Le Pere de la Colombiere. -
2°. Qu'elle a produit des vertus très rigoureuſes fur ſon corps, qu'il mor
tifioit
point ;juſqu'à donnerneque
Venit Joannes lieu manducans
de croire qu'il
, nequenebibens.
mangeoit, & qu'il ne bûvoit Matt. II
3°. Qu'elle a produit des vertus tres-humiliantes dans ſon eſprit, qui
ayant commencé même avant ſa naiſſance, fe font répanduës avec éclat ſur
tout le reſte de fa vie , pendant laquelle il n'a point eû d'autre objet que de
s'éteindre , & d’élever J E s u s-C H R 1 s T ; Oportet illum crefcere , me autem foan. 3.
7/21/7/// •
2°. Sur les rivages du Jourdain il l'annonce aux Juifs de vive voix, en
diſant que Jesus-CHR ist eſt l'Agneau qui eſt venu , pour effacer les pechez
du monde. Ecce Agnus Dei: ecce qui tollit peccata mundi. foan. 1.
3°. Dans la Cour d'Hérode, où il i’a annoncé par la voix de fon Sang, qui
crie auſſi puiſſamment, que celui d'Abel.
Tu es qui venturus es , an alium expectamus ? Matt. 1 1. Il ſemble que l'on X I.
eut enchérir fur les expreſſions divines de J E s u s-C H R 1 s T qui éleve
Jean au-deſſus des enfans des hommes, puiſque d'un côté, il eſt ap
pellé un Ange par un Prophere, & d'autre côté , que l'on l'a pris pour le
Meſfie , & en effet, ſi l'on conſidére faint Jean,
1º. Dans ſa naiſſance miraculeuſe. -
2°. Ses progrès en la vertu, & en la fainteté, ont tenu quelque choſe du
prodige ; puiſqu'il a joint l'innocence & la pénitence dans un tel degré ,
que cela a paſſé pour miracle ; & de plus il a toûjours crû en exerçant les plus
nobles vertus.
3°. La fin & la conſommation de fa vertu a été glorieuſe, & fa mort pré
cieuſe devant Dieu, puiſqu'il a fouffert le martyre pour la querelle du Sau
veur, & verſé ſon fang pour la juſtice, & pour la chafteté.
X I V. O N peut prendre pour texte ces paroles, que les Seraphins chantent
continüellement en l'honneur de Dieu : Santius , Sanitus , Santius : en fai
fant voir,
1º. Que faint eſt ſaint dans ſa naiſſance, puiſqu'il est venu
au monde avec la grace ſanćtifiante.
zº. Qu'il est faint dans tout le cours de fa vie, par l'exercice des plus
nobles vertus; par les emplois les plus glorieux, & par les actions les plus
héroïques. -
zº. Qu'il est faint dans fa mort, puiſqu'il a fouffert le martyre, qui est
l'aćtion de la plus grande charité, & du plus grand amour qu'on puiſſe té
foan. 15. moigner à Dieu : Majorem charitatem nemo habet, quàm ut animam ſuam ponat
quis pro amicis fuis.
X V. N o u s pouvons conſidérer le grand ſaint Jean tel qu’il parût aux Juifs,
lorſque fortant du fond des déſerts , où il avoit été caché juſqu'à l'âge de
trente ans, il commença à baptiſer, & à prêcher. Ainſi nous pourrons admi
rer en ſa perſonne.
1°. Le plus grand Prédicateur , & le plus digne d'être écouté, qui ait
jamais parlé avant le Sauveur du monde , puiſqu'il étoit envoyé du Ciel
tel qu'il falloit qu'il fût, pour annoncer la venuë du Meſſie , & l'autoriſer
par ſon témoignage ; ce qu'il n'eût pû faire fans une vertu toute particuliére ,
& un mérite qui le diſtinguât de tous les Prophetes qui avoient parû juſ
qu'alors.
zº. L'on peut conſidérer, & faire voir en détail quelle a été la doćtrine
qu'il a prêchée, pour diſpoſer les peuples à recevoir ce Meſſie, auquel il a
réparé les voyes par la pénitence. Ainſi , voilà tout le plan d'un diſcours.
L'Excellence du Prédicateur , l'importance de ſa doćtrine ; ce qui en fera le
partage.
X V I. EN prenant pour théme: Et erit magnus coram Domino : Nous pouvons con
fidérer faint Jean , comme grand en trois maniéres.
iº. Grang par la grace d'une ſanctification anticipée, & par la plénitu
de du Saint-Eſprit , qu'il reçût dès le ventre de fa mere.
- 2°. Grand
P AR A G R A P H E P R E M I E R. 297
2°. Grand par ſon humilité profonde, qui égaloit , ou plûtôt , qui ſurpaſ
foit fa plus haute élevation. -
3°. Grand par fon zele ardent , & par fon courage héroïque , que rien n’a
jamais pû abbatre ; parce qu'il étoit, comme celui du Prophete Elie, au deſ
fus de toutes menaces, des ſupplíces, & de la mort même.
s
P A R A G R A P H E S E C O N D.
Les fources où l'on peut trouver dequoy remplir ces deffei ns, ó les
Auteurs qui en traitent.
S Auguſtin a quatre fermons fur ce ſujet. Le prémier est ſur la Nativité Les Saints
de faint Jean, & rend raiſon pourquoy l'on en célébre la Fête, ce que l’E Peres &
quelques au
glife ne fait d'aucun autre Saint. Le ſecond contient un paralele de fa naiſſan tres Saints.
ce avec celle de Jesus-CHR1 st. Le troifiéme eſt un éloge de ce grand Saint,
où il s'étend ſur ſes ancêtres, fur fes vertus, & fur ſes mérites. Dans le qua
triéme, il repete ce qu'il a dit dans les trois autres.
Le même, Sermon 21. & 23. de Sanctis. & Sermons 4o. 75. de Diverfir.
, Le même,de la Decollation de faint Jean, ſermon 84. & fermons 1 o. 1 1.
17. ex Additis.
Saint Ambroiſe en a pareillement trois. Dans le prémier il compare ſa
naiſlance merveilleuſe avec fa mort. Dans le deuxiéme , il traite des préro
gatives de ce grand Saint. Et dans le troifiéme il parle de fes vertus, & mon
tre comme il prépare les voyes du Seigneur.
Saint Jerôme Adverſus luciferianos, fait une peinture de la mortification
furprenante de faint Jean.
Le même, Epist. 4. Ad Rusticum. en donne la même idée.
Saint Chryſoſtome a fait quatre fermons. Dans le prémier qu’on croit
n’être pas de luy, il parle de la vie que mena faint Jean dans le défert, & de
fon affreuſe pénitence. Dans le fecond, il montre que ç'a été une gloire fin
guliere pour ce grand Saint, d'avoir baptiſé ſon Sauveur. Dans le troifiéme ,
il parle de l'Oracle de Zacharie , & compare en toutes choſes faint Jean à
Elie. Dans le quatriéme, il parle de fa conception miraculeuſe, & de la joye
qu'il témoigna étant encore dans le ventre de fa mere en la préſence de Jesus
CHR I st, dans le fein de Marie.
Le même,dans l'homel. dixiéme ſur le troifiéme chapitre de faint Mathieu,
rle de ſon auſtérité, en ſon vivre, & en fon vêtement.
Le même, ou plûtôt l'Auteur de l'ouvrage imparfait fur faint Mathieu, ho
mel. 27. expliquant ces paroles : Quæ cum audiffet Joannes in vinculis, fait
voir avec quelle joye ſaint Jean ſouffrit la mort , & la reçû comme un bien
fait fingulier. -
CaIl. M
P p ij
3oo POUR LE PANEGYRIQUE DE S. JEAN-BAPTISTE.
P AR AGRAPHE T R O I S I E’M E.
Dicebat foannes Herodi ; non licet tibi Jean diſoit à Hérode,il ne vous est pas per
habere uxorem fratris tui. Ibidem. mis d'avoir pour femme la femme de vỏ:re
frere.
Herodes metuebat Toannem, & audito eo , Herode craignoit Jean , & le reſpećtoit ,
multa faciebat , & libenter eum audiebat. & faiſoit beaucoup de choſes par ſon avis , &
Ibidem. - - -
l'écoutoit volontiers.
cum introiſet Herodias ad regem, petivit La fille d'Herodias étant entrée , fit la
dicens, volo ut protinus des mihi in diſco ca demande au Roy, en lui difant : je veux que
put foannis Baptista. Ibidem. me donniez tout préſentement dans un plat
la tête de Jean-Baptiste.
Rex mifo fpiculatore , precepit Afri CA Le Roy ayant envoyé un de ſes gardes , il
put ejus in difeo,ć decollavit eum în carcere. lui commanda d'apporter la tête de Jean dans
Idem, Ibidem. un plat , lequel lui coupa la tête dans la
prifon.
Ait autem Angelus ad Zachariam , quº L'Ange du Seigneur dit à Zacharie , vôtre
niam exaudita est deprecatio tua , & uxºr priere a été exaucée, Eliſabeth vôtre femme
tua pariet tibi filium, & vocabis nomen ejus vous enfentera un fils, auquel vous donnerez
foannem. Lucæ 1. -
le nom de Jean.
-
Erit gaudium tibi ér exultatio , & multi Il fera pour vous un ſujet de joye, & plu
in nativitate ejus gaudebunt. Idem Ibidem. fieurs ſe réjoüiront de ſa naiffance.
spiritu sanão replebitur adhuc ex uterº ma Il fera grand devant le Seigneur , & il
tris fua. lbide m. fera rempli du Saint-Eſprit dès le ventre de ſa
Incrc.
Illum oportet crefcere, me autem minui. Il faut qu'il croiſſe , & il faut que je dimi
Joannis 3. Ilulc.
Ille erat lucerna ardens & lucens. Joan. 5. Il étoit uue lampe ardente & luiſante.
Lex & Propheta ufque ad foannem ex eo La loy & les Prophetes ont duré juſqu'à
regnum Dei evangelizatur , & omnis in illud Jean ; ce temps-là , le Royaume de
vim facit. Luc. 16. Dieu eſt annoncé aux hommes , & chacun
fait effort pour y entrer.
P A R A G R APH E T R O IS I E’M E. 3O3
toient point qu'il ne fût le CHR 1st , promis à leurs peres , juſqu'à lui envo
yer une ambaſſade pour le ſalüer en cette qualité. Peut-on rien dire de plus
glorieux& de plus magnifique à l'avantage de ce grand Saintimais fa gloire est
encore d'autant plus éclatante', qu'étant pris pour le Christ, & pastant pour
l'être, il déclara hautement qu'il ne l'étoit pas, & refuſa fans balancer, l'hon
neur qu’on lui vouloit faire, pour avoir celui d'être fidele à fon Dieu. On peut
ajoûter à cela ce que dit le même faint Jean Chryſoſtome, que comme Jesus
CHR. 1 sr dès le premier moment de ſon être créé,fut fait par la troifiéme per
fonne de la très ſainte Trinité, l'Ange du grand conſeil , par la pleine con
noiſſance qu'il eût de tous les deſfeins de Dicu: auſſi le faint Precurfeur de
J E s u s-C H R 1 s T , au prémier moment de la fanćtification, reçût du mê
me Fils de Dieu par révelation une parfaite connoillance de tous les mystéres
qui fe devoient accomplir par l'Incarnation du Sauveur : Deus foanni » qui in
ventre erat,revelavit A4)sterium, & fuſcepte carnis æconomiam.
t
3o4 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. JEAN-BAPTISTE. “
C'est un pri- C'eſt un privilege fingulier accorde à faint Jean par Jesus.CHR i sr , que
vilegier "" de le faire naître avec les ornemens & la lumiere d’une grace extraordinaire.
de
" )
Il ne traite pas ainſi les autres enfans des hommes, qui ayant été
,
|-
r * *
-
* 3.
|-
*
*
dans
i le péché originel, naiſſent avec cette tache ; c'eſt ce qui rend le mo
fanaifié dès ment de cette naiſſance fi malheureux ; c'eſt ce qui leur fait verſer des
le ventre larmes , & ce qui a obligé le plus patient de tous les hommes à ſe plain
: dre de ce qu'il étoit né, à blâmer le jour de fa naiſſance , & de fouhai
ter qu'il fût effacé du nombre de ſes jours. Mais la gloire de faint Jean est
hommes d'autant plus excellente en ce point, que la honte des autres eſt plus grande,
naillent puiſqu'il fût délivré du peché originel étant encore dans le ſein de fa mere,
ché origi- & que tous les enfans des hommes dès leur entrée dans ce monde,ne font que
- » - *
nel. ë"
des eſclaves & des fujets de l'ennemi commun du genre-humain.- - -
La fanétifi La naiſſance de faint Jean , & fa fanćtification dans le fein de ſa mere eſt
préférable à celle de Jérémie, qui ne paroît avoir été qu'une figure de celle
faint Jean du faint Précurfeur. En effet, le Prophéte parle en termes fi magnifiques, &
eſt très sûre: promet de fi grandes choſes, qu'il eſt viſible qu'elles ne s'entendent pas de
lui-même, mais d'un autre que de lui. C'est plus à la nation Juive à qui il
doute. faut parler ; Jean-Baptiſte ferme l'ancien Testament, & il ouvre le nouveau
dans lequel les deux peuples doivent être réünis ; c'eſt-à-dire, les Juifs & les
Gentils. C'eſt donc lui qui les appelle tous ; le Seigneur l'a destiné pour cet
effet, avant que d'être né, dès le ſein de ſa mere , & même de toute éternité.
Jean-Baptiſte n'a pas été ſeulement connû de Dieu, mais encore des hommes.
N'a-t'il pas été promis par les oracles des Prophétes , puiſque le Prophéte
Iſaye n'a été que fa figure, & que Malachie l'a appellé un Ange. C’est auſſi
par la conſidération de ces avantages , que faint Auguſtin aſſûre que faint
Jean a été plus que Prophéte, & parce que les Prophétes l'avoient predit, &
parce qu'il montroit préſent celui que les Prophétes avoient promis.
a
Saint Jean
Čul c paſſéLe leur
plusvie
ardent
avecfouhait
regret des
ſur Prophétes a été parce
la terre, que de voirqu'ils
le Sauveur,
n'avoient& pas
ils n'ont
vécu
dans un fiecle, où ils půſſent entendre les oracles qui fortoient de fa bouche,
ni voir les miracles qu'il operoit de fes mains, & jouïr de fon adorable
cienne loy préſence. Aufſì eſt-ce un des plus grands avantages de faint Jean d'avoir vû
d'avoir và , le Fils de Dieu , de l'avoir baptiſé dans le Jourdain , de l'avoir montré au
peuple , & d’avoir joint ſa voix à celle du Pere Eternel , pour apprendre aux
Juifs que J E s u s-C H R i s T étoit le Meſſie promis de Dieu, & annoncé
ment ſou- par les Prophétes. Quand le Sauveur voulut faire comprendre à ſes Diſciples
haité de repréſenter
V O1T,
l'avantage qu’ils avoient
les défirs des dePatriarches,
le voir & de
& l'entendre,
de leur direil qu'ils
ne manqua pas ce
voyoient de leur
que :
pluſieurs justes avoient fouhaité de voir, & n'avoient pas vů. Et quand il
voulut relever le bonheur d'Abraham , il n'oublia pas de leur dire qu'il avoit
déſiré de les voir, & que quoiqu'il ne l'eût vû qu'en énigme & en figure , il
avoit reçû cette grace avec beaucoup de joye. Abraham exultavit ut videret
Matt. 1;. diem meum : vidit, & gavistis est. En effet , le plus grand bonheur dont les
Apôtres ayent joui fur la terre, c'eſt d'avoir connû le Sauveur, de l'avoir ac
compagné dans fes voyages , de l'avoir écouté dans fes prédications, d'avoir
profité des converſations toutes divines qu'il avoit avec eux, & d’avoir été les
fideles témoins des merveilles qu'il a faites & qu'il a dites.
- Application
P A R A G R A P H E T R O IS I E’M E. 305
” Quis putas, &c. Que penſez-vous que ſera un jour cet enfant ? Comme s'ils
* diloient , voicy un enfant, en qui la nature & la grace ont déployé tous leurs
tréſors : un enfant de bénédićtion , un enfant de prodiges & de miracles.
Déja , tout enfant qu’il eſt, la main du Seigneur , c'eſt-à-dire , la puiſſance
& la force de Dicu , eſt avec luy. Déja il a délié la langue de ſon pere Zacha
rie , déja il a rendu féconde la ſterilité de ſa mere Elizabeth. Mais s'il fait en
naiſſant tant de merveilles , que fera t’il dans le progrez de ſa vie ? S'il est ſi
grand dès fon berceau, que ſera-ce quand avec l'âge, il aura atteint la per
fećtion d'une vertu conſommée ? C'eſt un ſecret, ajoûtent-ils, que nous nous
Ilid. contentons de réverer, & qu'il ne nous eſt pas poſſible de penétrer : Et poſue
runt omnes qui audierunt, in corde fuo, dicentes : Quis putas, &c. Après avoir
entendu toutes ces merveilles , ils les conſervent dans leur coeur, & ils de
meurent dans le filence, parce qu'ils ne croyent pas pouvoir s'en expliquer
allez dignement ; & je vois bien que le Fils de Dieu, qui a des vůës ſur cet
enfant , fera obligé de leur envoyer un Ange, pour leur expliquer ſa bonne
fortune. - *
Puer autem creſcebat ; & confortabatur ſpiritu : & erat in deferto uſque in Le progrès
diem ostenfonis fue ad Iſrael. Luc. 1. Ce qui paroît plus miraculeux dans la u C 1g
| - * - - /
conduite que Jesus-CHR ist a obſervée pour la ſanćtification de fon Précur Jean fit dans
feur, c'est de lui avoir inſpiré de ſe retirer dans le defert dès ſon enfance. ,
C'eſt pourquoy faint Luc, après avoir rapporté les merveilles de fa naiſſance, aWant que
& le cantique de ſon pere Zacharie, ajoûte immédiatement ces paroles; Cet e paroitre
ans le mon
enfant croiſſoit & fe fortifioit en eſprit, & il demeuroit dans le déſert juſ- dC •
qu'au jour qu'il devoit paroître devant le peuple d'Iſraël. Voilà un abregé
admirable de fa vie : c'eſt un enfant folitaire, qui croît , & fe fortifie en ef
prit. Que dirons-nous de cette vie ſecrette ? que ç'a été un jeûne perpetuel ;
Jesus CHR1 sr l'a dit devant nous : Venit Joannes neque manducans neque bi
bens. Dirons-nous que ç'a été ườ'entretien perpctuel avec Dieu & avec les
Anges ? N'est-ce pas une vie angelique de vivre comme fi on n'avoit point de .
corps, & d'être élevé au-deſſus de la terre, que tous les objets ſenſibles ne
font point capables de l'arrêter , ne voulant rien voir en ce monde, que
Jesus-CHR 1st.Quel progrès ſaint Jean n'a-t'il point fait pendant tant d'an
nées qu'il n’a point eủ d'autres occupations qu'à méditer les véritez qu'il
avoit appriſes du Verbe Incarné?
Ego vox clamantis in deferto. Marc. 1. Le zele de ſaint Jean a été foûtenu & Ce que faint
can cntcn
accompagné d'une parfaite fidelité, qui le rend ſenfible & circonſpećt en tout |oit en
Q q ij
308 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. JEAN-BAPTISTE.
déclarant , ce qui pourroit intereſſer la gloire ae ſon Maître. Il ne peut ſouffrir qu'on le
conſidére autrement, que dans le rapport & la dépendance qu'il a avec Jesus
CHR I ST. Je ne ſuis que la voix de celui qui crie au déſert ; voila toutes mes
de qualitez, toutes mes fonćtions. Ne me conſidérez point comme Prophéte, ne
vous perſuadez pas que je ſuis Elie; je fuis une voix, & ritn plus. Je ſuis la
voix qui prépare les oreilles des hommes: mais le Verbe vient après moy pour
leur parler, & pour leur enſeigner la ſcience du falut. Je ſuis la voix, c'eſt
à-dire , je fuis un fimple ſon qui ne peut découvrir les fecrets du coeur : mais
la Parcle perſonnelle de Dieu vient après moy , pour vous expliquer tous les
myſtéres du Pere. Je ne ſuis que la voix, je ne ſubſiſte point de moy-même ;
je n'ay rien de conſidérable , que le fervice que je rends au Verbe , que je fais
entendre.
On peut Quis putas puer iste erit ? Luc. 1. Il n'y a que Dieu qui puiſſe répondre à
jºg“, º cette question, parce qu'il n'y a que lui qui voye à la naiſſance d'un enfant ,
: quelle fera la fuite de fa vie ; car de croire que les deſtinées des hommes foient
f écrites dans les astres, c'est une erreur dont l'expérience de tous les ſiécles, &
par
commence- preſque de tous les hommes, nous doit avoir ſuffiſamment déſabufez. Mais
men ſi dans la nature on peut tirer quelque conjećture & quelque préſage du pro
miraculeux. grès & de la fin d'une choſe, par la grandeur de ſes commencemens; c’est une
regle encore plus infaillible dans la grace, où la ſagelle divine ne fait d'ordi
naire de grandes avances, que pour de grands delleins ; & quand elle jette les
fondemens d'un édifice ſur les plus hautes montagnes, comme parle l’Ecritu
re , oh ne peut douter que ce ne foit pour l'élever encore infiniment plus haut.
C'eſt ce que nous pouvons dire aujourd'hui du plus juſte de tous les hommes,
& du plus grand de tous les Saints, l'incomparable Jean-Baptiste ; puiſque la
grace prend tant de part à ſa naiſſance, qu'elle lui donne ſon nom , & le fait
paller par deſſus toutes les loix de la nature. Car que dites-vous de cet enfant
qui eſt déja fi grand , que tout ce qui paroît en lui , peut paſſer pour prodige?
c'eſt un Prophéte avant que de pouvoir parler ; il naît d’une mere ſtérile, &
dans le plein jour de la grace , avant que d'avoir vû la lumiere du Soleil ; &
ce qui n'eſt pas un moindre prognoſtique de fa grandeur, le Sauveur & fa
très-ſainte Mere ſe trouvent à ſa naiſſance, comme les deux astres qui y préfi
dent. Quis putas puer iste erit ? Quel fera donc cet enfant qui commence là
où les autres ne peuvent parvenir dans le plus haut point de leur perfećtion ?
Vous attendez doute beaucoup de cet enfant : mais on peut dire qu'il
furpaſſera encore vôtre attente, quand vous aurez vůle haut employ auquel il
eſt destiné , & dont il s'eſt acquité fi parfaitement. -
s. Jean au . Ille erat lucerna ardens & lucens. Joan. 2. Vous l'avez vů, diſoit aux Juifs
témoignage le Sauveur, & vous avez admiré Jean. C'étoit un flambeau qui éclairoit toute
sa "" la Judée : mais c'étoit un flambeau ardent & luifant, pour diſſiper toutes les
tenebres de l'infidélité du fiécle, & ardent pour embraſer tous les coeurs du
te lui divin amour. Il a prêché parmi vous avec toute la vertu & l'eſprit d'Elie : In
-
tefel; s.en quel Spiritu & virtute
roient pas ſuffi : Elie. L'eſprit
mais ayant fans laéminemment
poſledé vertu , ou l'un
la vertu ſans l'eſprit
& l'autre, n'au
ç'a été un
*“ “ prédicateur parfait. Que restoit il après des témoignages fi illustres ?
vinni: Fox clamantis in deferto:Joan. I . Faiſons un peu d'attention à la profonde
a humilité de Jean-Baptiste. Je ſuis, dit-il aux envoyez des Juifs, une voix qui
PAR A GRAPHE T R O I S I E’ M E. 3O9
crie au déſert. De tous les titres qu'on lui a donnez, de tous les éloges qu’on a parcît en ce
faits voix.
une de lui,
LeilFls
choiſit le plus
de Dicu vil & Elie
l'appelle celui; Malachie
qui a moins
dit de
queſubſistance , fçavoir,
c'est un Ange: Za- que titres
de tou“
charie fon pere, dit que c'eſt un Prophéte du Très Haut ; il aime mieux pren
dre le titre de voix qu'Iſaïe lui a donné. La voix n'est preſque rien ; ce n’est donne il ne
qu’un ſon, qu'un air battu, qui paſſe, qui s'échape en un inſtant, & ne laiſſe prend que
aucun vestige d'avoir
de de faintJean été. contenté
de s'être C'eſt doncdeune grande
ce titre de marque de l'humilité
Voix plûtôt profon- un C VO1x."º
que de Prophéte,
& d'Ange: mais fi nous voulons travailler ſerieuſement à nôtre falut, nous
devons regarder cette voix autrement qu'un ſon, qu'un fimple écho qui frap
pe nos oreilles, & qui ſe diſlipe à l'inſtant. Nous devons écouter attentive
ment cette voix ; nous devons l'entendre comme la parole de l'eſprit qui nous
preſſe de nous convertir, comme un avertiſſement de la venue du Sauveur,
de la colere de ſon Pere, fi nous ne changeons de vie, fi nous ne renonçons aux
affećtions de la terre, pour pouvoir un jour parvenir à la terre des Vivans, &
à la béatitude céleſte.
Le parallele de faint Jean avec le Sauveur eſt aiſé à faire, fi nous voulons Reſſemblan
nous en donner le loiſir ; car avant que de naître, il eſt annoncé par un Ange, e de $ Jean
comme
étant le Sauveur ; de
l'avant-couriere ſa celle
naiſſance
du Filsapporte la ,joye
de Dieu qui ànous
toutdevoit
le monde, comme
délivrer de la "Ptits -
le Sau
fervitude du peché, & des miferes, où les hommes gémiſſoient depuis tant
de fiécles. Si le Sauveur est l'auteur de la grace , celui cy en porte IìOII) ,
comme en ayant reçû les prémices ; l'un eſt conçû du Saint-Eſprit, & l’autre
en est rempli étant encore dans le ſein de fa mere : Replebatur Spiritu Sanéto
adhuc in utero matris fue. Ce qui a fait dire à S. Auguſtin, qu'il avoit reçû le
Saint-Eſprit en un temps où il n'avoir pas encore l'uſage du fien : Ante recepit
divinum, quàm humanum. L'un est né d’une Vierge , & l’autre d’une mere dou
blement ſterile ; l’un eſt la Sageffe Incarnée, & éclairé d'une lumiere infinie ,
dès le premier moment qu'il a reçû l'être , & l'autre reçoit la lumiere de la
raiſon avec celle de la grace; l'un eſt incapable de peché, étant la fainteté mê
me , & l'autre est fanćtifié avant que de naître ; parce qu'il falloit que celui
ui étoit choiſi pour faire connoître l'Agneau fans tache, fût lui-même un
miracle d'innocence : l'un a eû pour appanage dès ſa naiſſance & temporelle ,
& éternelle, d'être engendré dans les ſplendeurs des Saints, & l'autre fem
ble avoir participé à ce privilége ; puiſqu'il est forti du ſein de fa mere, pour
être reçû dans celui de la Mere du Sauveur, & s'approcher fi près de lui, qui
étoit renfermé, que ſon éclat l'a comme inveſti & pénétré de tous côtez:
comme fi le Saint-Éſprit nous vouloit dire par cette conformité, qu'il l'a fal
lu faire grand, pour faire juger de la grandeur de celui qui le devoit ſuivre,
& qu'il falloit qu'il fût Saint pour annoncer , & repréſenter tout à la fois ce
lui qui étoit la fainteté par effence.
Hic venit in testimonium, ut testimonium perhiberet de lumine. Joan. 1. Ter- Le témoi
tullien avoit raiſon de ſe mocquer de cet ancien Arrêt du Senat Romain , qui :Ệ
avoit défendu que l’on adorât aucun Dieu, qui n'eût l’approbation de cette
prémiere compagnie de l'univers. Ce Doćteur dit ſur ce ſujet ces belles paro- e croire
les : Si humano arbitrio Divinitas penſtatur : nist homini Deus placuerit , Deus aux Juifs
non erit. On juge donc de la Divinité par le ſuffrage des hommes
Q q iij: & s'il ne C!"H R '1 s r -
31o POUR LE PANEGYRIQUE DE S. JEAN-BAPTISTE.
étoit vérita
blemếťDieu,
plaît à l'homme, Dieu ne fera pas reconnu pour Dieu. Tertullien a raiſon de
fe mocquer des Payens : mais nous pouvons dire dans un bon ſens: Humano
arbitrio Divinitas penſitatur. La providence Divine a ordonné que la créance &
la connoiſſance de la Divinité du Sauveur dépendît du témoignage de ſon
Précurſeur, c'est-à-dire, de la déclaration que ſaint Jean en devoit faire. Le
Pere Texier.
Hic erit magnus coram Domino. Luc. 2.Afin que Zacharie ne ſe formât point
une fauſſe idée de ce que devoit être un jour fon fils , l'Ange qui lui apparut,
lui en voulut faire une déclaration. Le fils que je vous annonce, lui dit-il,
portera le nom de Jean ; il fera honoré du titre glorieux de Précurſeur du Fils
de Dieu: il recevra la grace dès le ſein de ſa mere : fa naiſſance fera la joye de
tout l’univers : il fera innocent, & menera toûjours une vie pénitente : il con
vertira des millions de peuples par ſes prédications : il marchera en eſprit , &
en verité dans les voyes d'Elie ; il en pratiquera les vertus ; Hic venit in ſpiritu
& virtute Elie. Le Sauveur a confirmé dans la fuite des temps cette glorieuſe
prédićtion, en diſant que Jean-Baptiste n’étoit point un roſeau agité du vent ;
c'eſt-à-dire , un homme foible & inconstant, tournant de tous côtez augré
de fes pastions, & qu'entre tous les enfans des hommes , il n'en étoit point
né de plus grand; mais grandcur qui ne ſe prend pas de ces honneurs frivoles,
que le monde préſente tous les jours à nos yeux, pour nous tenter , & qui en
chantent les coeurs ſuperbes & ambitieux ; ce ne ſont que fes vertus qui le
rendent grand devant le Seigneur; ce font fes profondes humiliations devant
la Majesté de Dieu, qui lui procurent devant lui toutes les grandeurs les plus
relevées ; c'eſt fa pénitence & fon innocence, c'eſt ſa conſtance & fa fermeté
à prêcher la verité fans crainte des maux qui lui en peuvent arriver, & ſans
déſir aucun des biens qu'on pourroit lui préſenter pour qu'il ſupprimât, qu'il
déguisâr, ou qu’il cachât entiérement la vérité. Ce ſont les vertus qui le firent
grand & très grand aux yeux de Dieu : Erit magnus coram Domino. C’eſt de ce
beau nom qui renfermoit & qui ſignifioit merveilles ; c'eſt de cette
joye que fa naiſſance a donnée au monde ; c'eſt de fa fermeté à refuſer les
loüanges & les titres glorieux qu’on lui vouloit donner ; c'eſt de fon zele à pu
blier la gloire de celui dont il étoit le précurſeur ; c'eſt du ſuccès avec lequel
il annonçoit la préſence du Meſfie : c’est ſur ces fondemens que fa grandeur
eſt établie, & ce qui a fait dire au Fils de Dieu:Inter natos mulierum non furre
wit major. Serm. manufc.
Nous ne Cum audi/Set Joannes in vinculis, &c. Matth. 1 1. Providence divine, qu’eſt
devős point ce que je vois : la fainteté dans les fers, & le crime ſur le trône ; le plus grand
TIM U TIIMU I < r.
contre la de tous les Prophétes dans une obſcure priſon , & le plus fcélerat de tous les
Providence , hommes dans une cour floriſſante;Jean-Baptiſte dans l'opprobre & l'afilićtion,
en voyant & Hérode dans l’honneur & dans les délices ! N'eſt-il pas vray , Chrétiens,
S. I can dans
les fel s , & ue vous avez bien de la peine à vous empêcher de murmurer à la vůë de ce
Herode dans fpećtacle , & que vous demanderiez volontiers à Dieu, qu'il vous fit raiſon
les déliccs. d'un procedé ſi étonnant ? Mais tout beau, gardons-nous bien de cenſurer la
fouveraine Sagefle, ſi nous ne voulons nous condamner nous mêmes de folie; |
reſpectons fes ordres & fa conduite, fans en vouloir pénétrer les ſecrets ; ado ::
rons avec foûmiſſion la main qui ne frappe les gens de bien en cette vie , que
Pour les couronner en l'autre, felon la penſée de ſaint Pierre Chryſologue :
's
P A R A GRAPH E T R o I SI E M E. 311
Etfî patiuntur mala : non patiuntur ad pænam, fed fubeunt ad gloriam. Mais ſur
tout, apprenons aujourd'hui du glorieux Précurſeur de J E s u s-C H R I S T ,
que c'eſt dans la patience & le bon uſage das tribulations qu'eſt renfermée la
fémence de l'immortalité bienheureuſe.
Quis putas puer iste erit ? Luc. 1. Je puis hardiment répondre à ceux qui , Le détail
demandent, que deviendra cet enfant : imaginez-vous tout ce qu'il peut y :
avoir de plus grand , de plus illustre, de plus admirable dans une perſonne, " : 3
foitQuid
granddicis de au
bruit te ipſo
delà? Joan. 1. Déja déja
du Jourdain, la fainteté de Jean-Baptiste
les peuples fai- La S.réponſe
d'alentour ſe ren-
doient auprés de lui pour recevoir le Baptême , déja on étoit charmé
de fes diſcours, & déja chacun ſe preparoit à voir celui dont il publioit den qui il
la venuë fur la terre : quand les Scribes & les Pharifiens ſurpris des étoit & quel
prodiges qu'on leur racontoit de ce grand homme, envoyerent de Jeru- (nimen: il
falem des Prêtres & des Levites pour lui demander qui il étoit : tu qui
es ? Ennemi declaré d’un honneur qui ne lui étoit pas dû, il confeſſe inge- ir
nuement qu'il n'eſt point le Chriſt, qu'ils ſemblent chercher, qu'il n'eſt penſer à ce
312 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. JEAN-BAPTISTE.
que nous
Íomme point Elie , & qu'il n'eſt point Prophete. Declarez-vous donc, reprenent
les Pretres, dites-nous qui etes-vous : Quis es : Afin que nous puistions
rendre réponſe à ceux qui nous ont envoyez : Ut reſponſum demus his qui
dignité de miferunt nos. Que dites-vous de vous-même ? je fuis repondit-il la voix
chrétiens.
Ibidem.
de celui qui crie dans le defert, rendez droites les voyes du Scigneur :
Ego vox clamantis in deferto ; dirigite viam Domini. Que repondrions-nous
fi aujourd'hui on nous faiſoit une ſemblable demande ? Dans l’étroite
obligation où nous ſommes de remplir les devoirs du Chriſtianiſ
me , comment nous en acquittons - nous ? nous contentant de porter
le nom de Chrétien , penſons-nous à en mener la vie ? en foûtenons-nous
le caraćtere ? en avons-nous l'eſprit & les moeurs ? en faiſons-nous les aćtions ?
Quid dicis de te ipſo ? Degenerant de la vertu de ceux qui nous ont pre
cedé, n'en effaçons-nous pas la gloire ? & oubliant les fentimens de zele
& de ferveur qu'ils ont eu pour le ſervice d'un auffi grand Maître que
| Dieu , ne ſommes-nous pas dans un relâchement de vie qui deshonore la
Religion que nous profeſſons. -
Comme s Wox clamantis in deferto : Parate viam Domini , rečias facite femitas ejus.
lea prehe Luc. 3. Saint Jean-Baptiste fort encore une fois du déſert pour faire fa charge
| s. de Précurfeur du Meffie. C’eſt la voix qui précede la Parole Incarnée du Pere
ons Eternel, afin de diſpoſer les hommes à l'écouter ; mais une voix de tonnerre ,
écouter cette qui abat les cédres, qui brife les rochers, qui ébranle les montagnes, qui fait
º qui a trembler toute la terre. Ames préſomptueuſes, coeurs enflez d'orguëil, eſprits
altiers & ſuperbes, c'est à vous que cette voix tonnante parle ; c'eſt contre
-
| if, vous qu'elle éclatte & qu'elle foudroye ; & : fi vous n'étes plus fourds que les
arbres, plus durs que les rochers, plus infenſibles que les montagnes , vous
devez répondre à cette voix, & lui répondre comme un écho, par vôtre foû
miſſion, par vos abaiſſemens, par vôtre humilité : Omnis vallis implebitur , &
omnis mons & collis humiliabitur. Que toute perſonne donc vuide de l'eſprit du
monde & de ſes paſſions, fe rempliſſe de confiance ; que les humbles s'éle
vent par l'eſperance que leur donne ce nouveau, ce premier Prédicateur de
l'humilité : que les eſprits hautains, préſomptueux, ſuperbes, remplis de leur
prétendue excellence, s'abaiſlent, , ſe confondent dans leur pro
-
*
pre néant, s'ils veulent profitet des enſeignemens de l'humble Précurſeur du
:| Meſſie. -
;
P A R A G R A P H E Q U AT R I E ME.
|
--
#
2|
:|
|
Paffages & Penfees des faints Peres fur ce fujet.
vast ex aliquo fimilis Domini pramittitur S Aint "ean-Baptiste est
filius sterilis ante Filium Virginis, neſcio
en quelque chofe
ſemblable à Jesus CHR1st ; le Fils de la
quo 77majus miraculum ipſi Nativitate de mere ſtérile marche devant le Fils de la Vier
tlarans. S. Auguſtinus ferm. 1. de ſancto ge, afin que par fa naiſſance merveilleuſe, il
Joanne Baptiſta.
Nondum natus jam prophatat , 6 quod
voce non potest , gaudio confitetur. Idem.
nous prépare à en croire une encore plus ad
mirable. -
GRuandoquidem nihil majus extitit , in ge Comme entre tous les hommes qui font
nere humano, quam foannes Baptista ; nec nez d'une femme, il n'en a point paru de
in natis mulierum exurrexit, ſi quaris excel Plus grand que Jean-Baptiste ; ſi vous vou
lentiam hominis, foannes Baptista est. 1dem iez en un mot , exprimer le mérite & l'ex
in præfat. in Pſalm. 29. cellence d'un fi grand homme , il faut dire
c'eſt Jean-Baptiſte.
Magnus foannes , precellit catros , eminee Saint Jean eſt véritablement grand,& laiffe
univerfis ; antecedit Prophatas , futergredi bien après foy tous les autres hommes qui
tur Patriarchas ; & quiſquis de multere na l'ont précedé, il eſt ſupérieur univerſellement
tus est , inferior est joanne. S. Ambroſ, ferm. à tous , & furpaffe les Prophétes , il eſt au
2. de Nativit. Joannis. deſius des Patriarches , & quiconque a pris
naiſſance d'une femme eſt au deſſous de faint
Jean.
Tempus filetur infantie, quia infantia impe On ne dit rien du temps de l'enfance de
dimenta neſcivit. Idem. ce grand Saint, parce qu'il n'a point connu
les foibleſſes & les obſtacles qu'à cet âge a
la vertu.
Habebat intelligendi fenſum, qui exultan Il falloit qu'il eût la faculté d'entendre &
di habebat affectum. Idem. de concevoir, puiſqu'il marquoit un fenti
ment de joye dans le fein de fa mere.
Prius fentit initia gratia quam natura. Il a reffenti les préniers effets de la grace
Idem de vocat. Gent. iib. z. avant ceux de la nature.
9luia tardabat corpus , folo ſpiritu imple Comme le corps étoit lent dans ſes ope
bat Evangelifantis efficium. S. Auguſtinus rations, il foûtenoi! & templiffoit par la ſeule
ferm. 3. de Joanne. - vivacité de fon eſprit l'office de Prédicateur.
Prophetia fpiritu intra matris uterum reple Rempli qu'il étoit de l'eſprit de Prophetie
tus , atque ut ita dixerim , priuſquam naſce dans le ventre de fa mere , & pour ainſi dire,
retur, renatus. S. Gregorius l. 3. Moral. ayant eû une nouvelle naiſſance ſpirituelle
c. 5. - - - avant que de naître au monde.
- -
foannes par Angelis , major homine , legis Saint Jean eſt au-deſſus de l'homme, égal
fumma, vox Apostolorum , filentium Pro aux Anges, l'abregé de la loy , la voix des
phetarum. S. Chryſolog, ferm. I 27. Apôtres, & le filence des Prophéres.
Fervens nuncius : qui ante cæpit nwnttare O le fervent témoin , qui eût l'avantage
Christum quam vivere. Idem. d'annoncer JEsus-CHR ist avant que de vi
V1 C.
| Cath. 3.
Initium Evangelij feſu Christi erat foannes
baptifans. Idem Ibidem.
foannis Baptista vira quid aliud erat quam
unicum ac perpetuum jejunium ? S. Baſilius.
DO u Veau.
Jean-Baptiste par fon Baptºme donna com
mencement à l'Evangile de Jesus-CHRısr.
Qu'étoit ce autre choſe toure la vie de
Jean Baptiſte , qu'un ſeul & continuel jeûne.
foannes quaſi limes constitutus inter nova Saint Jean étoit comme la limite marquée
ac vetera ad quem defineret fudaiſmus,ớ in entre l'ancienne & la nouvelle loy , limite
ciperet Christianiſmus. Tertullianus contra où finifloit le Judaïſme , & par où le Chrif
Marcionem. tianiſme a commencé.
foannes viếtu, vestitu , cubitu , loco , pæ S. Jean étoit pénitent par ſon habit , par le
nitens. Petrus Chryſol. lit où il répoſoit , & par le lieu où il ha
bitoit.
foannes feveritate verborum , & Publica C'est par la féverité de ſes paroles qu'il a
nos terruit , & multorum corda tremere fecit, effrayé les Publicains, & qu'il en a fait trem
non in difperſionem. Chryſoſtom.Homil. II . bler pluſieurs, fans les porter au deſeſpoir.
| in c. 3. Matth.
Quast etiam intra matris vifcera clamat :
Ecce Agnus Dei S. Leo.
foannem prafentia Christi conſecrat. Petrus
Dauniani.
Quoiqu'il fût encore dans le fein de fa me
re, il s'écrie déja : Voilà l'Agneau de Dieu.
La préſence de J E s u s-C H R 1 s T en vi
fitant S. Jean , conſacra celui qui devoit être
fon Précurſeur.
foannis nativitatem gratia operatur, na La grace opére la naiſſance de S. Jean ; la
turs miratur. Abbas Gu rricus. nature ſe contente de l'admirer.
| 1
Sluis in joanne Baptista peccato poterat effe , Quelle part le peché pouvoit-il avoir en la
locus, quem & ante nativitatem Spiritus San naiſlance de S. Jean, que le S. Eſprit avoit
cii constcravit adventus. Beda Homil. de fanctifié & conſacré avant qu'il fût né.
decoll. Joan. Bapt.
Major omnibus, quia omnes virtutis fubli
mitate ſuperahat. Clemens Alexand. l. 2:
-
P A R A GR A P H E C I N Q U I E’M E.
C'e qu'on peut tirer de la Théologie par rapport à ce fujet.
L’AngedeGrabriël parlant à Zacharie pere de faint Jean, fit un magnifique Saint Jean a
ce faint Précurfeur , lorſqu'il lui dit : Erit magnus coram Domino. été grand de vant Dicu
Il est vrai que l'on peut dire de pluſieurs Saints , tant de l'ancien, que du preferable
nouveau Testament, qu'ils ont été grands devant le Seigneur : mais de pas
un d'eux on n'a dit, & on ne peut dire , ce que le Sauveur même a dit de ſon ment à plu
fieurs autres
Précurſeur : Inter natos mulierum non furrexit major ; d'où on peut raiſon Saints à qui
nablement inferer que ſa ſainteté a été très-grande prenant le nom de major l'Ecriture
R r ij
|
|
| 316 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. JEAN-BAPTISTE.
donne le pour fànctior, felon le fentiment de l'Egliſe même dans une hymme à l'hon
nëne é e- neur de ce grand Saint : Non fuit vasti ſpatium per orbis fantior quiſquam geni
BC. tus Joanne. -
Ltur, I. * / * * / *
|
| -
de peché, ce peché, fa naifiance a été toute pure , puiſque fix mois après avoir été con
comme celle çû , il fut finćtifié par la favorable viſite de la très-fainte Vierge enceinte du
“ l'ancien
Sauveur,, qui
V * * & dueſtnouveau Testamentdesontancs.
la fanćtification Si donc
eủ cette tous delesfaire
diſgrace autresleur
Saints de
entrée
dans le monde comme des criminels, portant ſur le front l'arrêt de leur con
damnation écrit avec des caraćteres qui ne pouvoicnt s’effacer que par le
|
- *
fang de l'Agneau fans tache ; s'ils ont paru devant Dieu, en naillant, comme
des objets digncs de fon courroux, Fili ire ; faint Jean , par cette fanćtifica
tion avancée , n'a point eû de part à ce malheur , & il eſt né avec une grace »
ui le rendoit agréable aux yeux de Dieu.
La ſanétifi C'eſt une belie remarque des Théologiens, que les ouvrages que J e s u s
cation de C H R i s r a faits immédiatement de fa main, ont eû une excellence par
( "; } ticuliére. Il n'étoit rien de plus brillant que les yeux qu'il donnoit aux aveu
gies, rien de plus délicieux que le pain qu'il multiplia au déſert. Il en est de
: un ca. même des miracles de la grace ; & puiſque c'eſt le Sauveur même qui a opéré
ractere d'ex. la ſanćtification de ſaint Jean , difons qu'elle doit avoir reçû un caraćtere par
* -
-
; ºs } *" ticulier: Dieu avoit anciennement ordonné la circonciſion pour effacer le peché
- * * * » * * A »• » -
affez admirer les effets fi prompts de la grace dans l'eſprit & le coeur de faint -
Jean : Ante cæpit vivere Deo , quam fibi : ut vinceret mundum , vincit ante natu- tification de
ram : antequam Christum præcederet, fe preceſſit. Il a commencé de vivre à Dieu, faint Jean.
plútôt qu'a foi même : il a furpaſſé la nature , avant que de vaincre le monde,
& il s'eſt précedé avant que de préceder Jesus-CHR i sr. C'eſt le Sauveur qui
eſt la cauſe principale & agiſlante qui le fanćtifie : c'est la très-ſainte Vierge
qui eſt la cauſe inſtrumentelle de cette fanćtification. Et s'il eſt vrai , ſuivant
les Théologiens, que les ouvrages que le Sauveur a faits de ſa propre main ,
ont eû pour cette raiſon une particuliére excellence : faint Jean a fans doute
été marqué d’un caraćtere particulier,qui porte l'impreſſion de l'excellence de
fa cauſe ; & cela d'autant plus abondamment que c'est le prémier ouvrage de
I e s u s-C H R 1 s T ſur la terre, la prémiére effuſion de cette divine fource
de graces, & le prémier chef-d’oeuvre du fouverain Sanćtificateur des ames.
C'eſt le commun fentiment des Doćteurs que l'ame de faint Jean ne fût saint Jean
point ſujette à aucun peché mortel, ayant été confirmé en grace avant la Baptiste a
naiſſance du faint Précurfeur ; & c'eſt auffi ce qu'enſeigne le Docteur Angeli- Pt
que, que le don de confirmation en grace eſt annexé à celui de fanćtification
avant la naiſſance. Quel bonheur d'entrerau monde , plus aſsûré de fon falut, 3. p. i 27.
que les Anges n'entrerent au Ciel, lors qu'ils furent créez, & que nos pre- ár s.
miers parens n'entrerent dans le Paradis Terreſtre ! Ni les uns, ni les autres
ne furent point confirmez en grace , comme l’évenement le montra; mais faint
Jean entra en ce monde, qui eſt un lieu de miſére, avec aſsûrance de n'y être
jamais malheureux. Il y entra comme en triomphe, ayant terraſſé ſes ennemis
à ſes pieds; auſſi étoit-il cer heureux courrier qui apportoit des nouvelles de la
- R r iij,
| *
| Pere pour annoncer celui qui étoit la voye , la vérité, & la vie ? Il est vray
que des témoignages favoriſent ceux qui tiennent que le faint Précurſeur a été
exempt de tout peché véniel ; mais la Sainte Egliſe nous donne lieu de croire
3. ce n'eſt pas de toutes fortes de pechez véniels qu'il le faut entendre, mais
* : čulement de ceux qui ſe commettent par la langue. Et faint Auguſtin même ,
*
écrivant contre les Pélagiens , n'exempre perſonne de ceux qui ont vécu quel
que temps avec l'exercice de la raiſon, de tout peché, que la ſeule très-ſainte
: Vierge, comme il le montre en termes formels , en ſon livre , De natura cá
:
* 7"Atla.
|
, Nous pouvons dire qu'afin que Jean prévînt le Fils de Dieu dans l'ordre du
| : miniſtére, il falloit que le même Fils de Dieu prévînt faint Jean dans l'ordre
dans fördre de la grace, & qu'il la répandît ſur lui, lors que l'un & l'autre étoient enco
de la grace, re renfermez dans le fein de leurs meres. D'où il s'enfuit que ce grand Saint
reçût après la très-ſainte Vierge, les prémiéres graces operees par l'Incarna
! ;: tion du Fils de Dieu; parce que toutes celles qui avoient été données aupara
veur das vant, avoient bien été données en vůë de l'Incarnation , & par les mérites de
| l'ordre du celui qui devoit venir pour racheter tout le monde : mais elles n'avoient pas
*
min"*** été données immédiatement par lui-même ; de maniére que la prémiére aćtion
du Sauveur a été de fanćtifier ſon Précurfeur, de le prévenir lui-même par fa
viſite , & de lui fervir en quelque façon de Précurſeur à lui-même, en lui
- donnant l'investiture de la charge qu'il devoit exercer, & en le rendant Saint,
C’est pour être digne d'annoncer le Saint des Saints.
el " . Il faut convenir que c'est quelque choſe de bien fingulier dans la destinée de
| !
i
*
:
|
-
.
finguliére ,
.
Jean-Baptiſte, qu'il ait été choiſi de Dieu pour fervir de témoin au Sauveur
le Meſ- du monde : mais c'est encore quelque choſc de plus ſurprenant, que le Sau
veur; tou: Dieu qu'il étoit, ait eû beſoin du témoignage de faint Jean: &
que dans l'ordre, ou du moins dans l'execution des divins décrets, le témoi
e. gnage de ce glorieux Précurfeur ait été néceſſaire pour l'établiſſement de nô
moignage de tre Foy. Or l'un & l'autre est néanmoins vrai , & l'Evangile qui est nôtre ré
*: /san, afin gle, ne nous permet pas d'en douter. Oủy , le Sauveur , tout Dieu qu'il étoit,
a eû beſoin du témoignage de Jean-Baptiste. Ainſi cet Homme-Dieu le recon
If noiſſoit-il lui-même, lors qu'il diſoit aux Juifs : Si testimonium perhibeo de me
fean. 5. ipſo, testimonium meum non est verum: alius est qui testimonium perhibet de me.
|
P A R A G R A P H E C I N Q U I E’M E. 3I9
Si je rendois ſeul témoignage de moi même, vous diriez, quoiqu'injuſtement,
que mon témoignage n'eſt pas recevable : mais en voicy un autre qui rend té
moignage de moi. Car felon la penſée de faint Chryſostome, expliquant à la
lettre ce paſſage , cet autre dont parloit J E s u s-C H R 1 s T, étoit Jean
fon Précurfeur.
Dans l'ordre des divins décrets le témoignage de faint Jean étoit néceſſaire Le témoi
pour l’établiſſement de nôtre Foy i car le meme Evangeliſte qui nous apprend # g d s.
que Jean est venu pour rendre témoignage à la lumiére : Ut testimonium perhi- ailc
beret de lumine , en apporte austi tôt la raiſon : ut omnes crederent per illum ; l'éta
afin que tous crûffent par lui. D'où il s'enfuit que nôtre Foy , je dis nôtre Foy bliſſement de
en J e s u s-C H R 1 s r., est donc originairement fondée ſur le témoignage la Foy,
de ce grand Saint, puiſqu'en effet c'eſt par lui que nous avons crů, par lui """"
que la voye du ſalut nous a été Prémierement révelée, en un mot, par lui
que nous ſommes Chrétiens.
Tout ce que nous fçavons de J e su s C H R 1 s T , & tout ce que nous C'est Jean
en devons
ceſſaire ſçavoir,
au ſalut tout
; c'est ce que
Jean la Foyquinous
Baptiste nousenl'arévele
enſeigné le prémier,& par
d'important, les Baptiste
de né- qui
nous a enfei
les Les Juifs reconnoillent faint Jean pour un Prophéte, & ils en jugeoient
o de bien , car il l'étoit ; mais ils le croyoient ſimplement Prophète , & en cela ils
faint Jan,& fe trompoient : car il étoit quelque choſe de plus. Etiam dico vobis, & pluſ
pourquoy il quam Prophetam. Oüy, leur diſoit le Fils de Dieu, il est Prophéte ? & plus
que Prophête. Pourquoi, demande faint Jerôme, plus que Prophète ? parce
que les Prophêtes n'avoient annoncé le Meſfie que dans l'avenir ; au lieu que
Jean-Baptiſte annonçoit qu'il étoit venu. Sans autre raiſon que celle-là, on
avoit droit de le mettre au-deſſus de tous les Prophêtes , & de l'appeller plus
que Prophête. Mais la prééminence de fon miniſtere étoit fondée ſur un titre
niuem, encore plus digne de nos réflexions : Hic est enim de quo ſcriptum est; ecce ego
mitto Angelum meum, qui preparabit viam tuam ante te. Il eſt plus que Pro
phête, ajoûroit le Sauveur du monde, parce que c'est celui dont le Pere Eter
nel a dit à ſon Fils: voicy mon Ange, que j'envoieray devant vous, pour vous
préparer la voye. En effet, préparer la voye à un Dieu , & être le Précurſeur
d'un Dieu, c'eſt faire l'office d'un Ange , & les Anges du prémier ordre ſe
feroient tenus honorez de cette commiſſion. Mais cette commiſſion étoit ré
#
| fervée à Jean , & il étoit proprement l'Ange du Sauveur. Or être l'Ange de
Jesus-CHR 1st , c'étoit quelque choſe fans doute de plus honorable, que
d'être un Ange du commun. Car les Anges du commun, quoiqu'Ambaſſa
deurs de Dieu , n'ont point d'autre miniſtére, que de veiller à la conduite
des hommes ; mais le miniſtére de Jean-Baptiſte regardoit immédiatement la
perſonne de Jesus-CHR1 st. Eſt-il rien de plus fublime , & qui nous doive
inſpirer plus de vénération pour ce grand Saint ? Il a fait dans le mystére de
* , !
l'Incarnation le même office, que l’Ange envoyé à la très-ſainte Vierge, de la
part de Dieu ; & en vertu de miſſion , il a rendu au Sauveur du monde,
comme Précurſeur, des ſervices plus importans , & plus néceſſaires, que
| ! jamais les Anges de tous les ordres n’en ont pû rendre à cet homme-Dieu.
| | Encore une fois, miniſtére tout angelique , ou plûtôt ministére tout divin ,
puiſque le Sauveur du monde, a bien voulu l'honnorer de fon témoignage.
:
L'autorité Le faint Précurfeur étoit fi autoriſé, & ſa vie extraordinaire paroiſſoit fi
* us ! , admirable à ceux qui le voyoient, que les Juifs crûrent qu'il pourroit bien
; être le Meſfie qui leur avoit été promis de Dieu. Tu es qui venturus es , an
- alium expettamus ? Ce faint homme a cet avantage fur tous les Ambaſſa
re qu'il deurs de la terre, & même fur tous les autres Saints qui reçoivent quelque
| pouvoit être mistion de Jesus. CHRIST , que non-feulement il eſt autoriſc : mais il autori
-
| *
#
:
f"*" '
M" ſe ſon Maître. Non erat ille lux : ſed ut testimonium perhiberet de lumine. Lorſ
que faint Jean montrant Jesus-Christ au doigt, dit : Ecce Agnus Dei &c.
Voilà l'Agneau de Dieu ; lorſqu'il dit clairement que pour luy il ne baptiſe
qu'avec de l'eau , mais qu'il en vient un autre qui baptiſera dans le Saint-Eſ
prit , & dans le feu : il autoriſe fon Maître , il le fait connoître pour ce
qu'il eſt s ce témoignage qu'il luy rend , eſt le prémier fondement de toute
la gloire du Sauveur , & de toute la créance qu'on doit avoir en luy: ve
omnes crederent per illum.
. Les Saints Peres difent que faint Jean-Baptiste ſe tint caché dans le deſert
C3 t ! Il t º » A : »A -
juſqu'à l'âge de trente ans, fans vouloir converſer avec les hommes, de peur
que
P A R A G R A P H E C I N Q U I EM E. 32 i
que les hommes déja trop prévenus en fa faveur , ne s'attachailent à luy , au le deſ iaf.
préjudice du ſouverain attachement qu'ils devoient avoir , & qu'il vouloit qu : l'âge
Îeur inſpirer pour le Sauveur du monde. C'est pour cela que quoyque la “
main du Seigneur fût avec luy, par une diſpoſition particuliere de la pro
vidence, il ne fit jamais de miracles, de peur d'autorifer l'erreur où étoient [ To y
les Juifs , qui le regardoient comme le Meſfie promis de Dieu ; car s'ils
étoient prêts, fans luy avoir vû faire aucun miracle , à le reconnoître pour ft point de
le Meſſie, qu'auroient-ils fait, s'ils l'avoient vû reſſuſciter les morts , & miracles.
commander à la mer, & aux vents ? C'est pour cela qu'il ne parloit jamais
du Sauveur, que dans les termes les plus magnifiques & les plus ſublimes, &
de foi-même au contraire , qu'avec les fentimens de la plus profonde & de
la plus parfaite humilité; prenant plaifir à s'abbaiſler, pour exalter J E s u s
CHR 1st , difant du Sauveur, il faut qu'il croiſſe ; & de foi-même, il faut
que je diminue ; témoignant que le comble de ſa joye , & l'accompliſſement
de fes défirs, étoit de voir Jesus-CHR 1st , connû & adoré dans le monde.
Ceux qui êcourent la parole de Dieu avec fimplicité, peuvent bien compren
dre ces choſes, & voir quelle est la hauteur de cette ſublime vertu d'humili
té. Mais fi faint Jean fidele à ſon Dieu , refuſa, comme il étoit juſte, les hon
neurs dûs au feul Meſſie, que n’acceptoit-il ceux au moins qui luy conve
noient à raiſon de ſon miniſtére, & que les Juifs fans le flatter, ni fe trom
per, luy déféroient ? Que n'avoüoit-il qu'il étoit Prophête, puiſqu'il l'étoit
en effet ? que ne confeſioit-il qu'il étoit Elie, puiſqu'il en avoit l'eſprit, &
que c'étoit perſonnellement de luy que Jesus CHR 1st avoit dit , Elias venit : Mare. ».
Elie eſt venu , c'est-à-dire, Jean-Baptiste, en qui Dieu a fait revivre l'eſprit
d'Elie ? Non, il ne confent à rien de tout cela. Il ſe contente d'être la voix
de celui qui crie: préparez les voyes du Seigneur : Ego vox. Pourquoy ?
parce qu'il veut être tout au Seigneur , & rien à luy-même ; parce que com
me la voix ne fert qu'à exprimer la penſée : austi Jean-Baptiſte n'a point d'au
tre vûe, ni d'autre fin, que de faire connoître le Verbe de Dieu.
P A RA G RAPHE S I X I E’M E.
L marchera devant le Seigneur, dans l'eſprit , & dans la vertu d'Elie. Luc. 1. Eloge de
L'Ecriture nous donne une fi haute idée du faint Précurfeur du Fils de faint Jean
Dieu, qu'il est impoſſible de comprendre dans un ſeul éloge tout ce qu'elle Baptiſte.
nous en dir. Comment pourroit-on loüer en ſi petit eſpace un homme dont
la naiſſance est prédite par deux ou trois Prophétes, qui a été conçâ parmira
cle, dont la conception a été prédite & annoncée par le même Ange qui a
prédit & annoncé celle du Fils de Dieu ? Qui pourroit dignement loüer en
f'eſpace d'une heure, un Saint qui a merité d'être déclaré par la bouche même
du Saint des Saints, Prophète , & plus que Prophète è un nouvel Elie, & le
lus grand des hommes ? qui a été Ange & Apôtre du Pere Eternel , le Pré
curfeur, le Baptiste du Fils de Dieu ; le prémier témoin de la plénitude du
Paneg. des Saints. Tome I. S ſ
|
322 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. JEAN-BAPTISTE.
Saint-Eſprit en Jesus-CHR i sr , le Prédicateur intrépide de la vérité, le Mar
| tyr de la Loy de Dieu ; une vićtime de la chafteté, une lampe ardente & lui
fante par la charité ; un homme que le Ciel a choiſi pour annoncer la Prédi
cation du Sauveur, non comme une choſe éloignée à la maniere des anciens
Prophètes : mais comme une choſe préſente, qu'il montroit, & qu'il faiſoit
entendre ; un homme que l'Ecritute & les Peres ont appellé le Héraut du
Roy des Rois, l'Aurore du Soleil de Justice, l'Ami de l'Epoux, & le Guide fi
dele de tous ceux qui veulent aller à Jesus-CHRIST. Ces grandes qualitez
demanderoient pluſieurs diſcours pour être traitées ſéparément, chacune fe
lon leur dignité. e Auteur moderne.
saiht Jean , Toures les grandes choſes, vous le fçavez, ont leurs eſfais & leurs ébau
a été ches qui les précedent, & qui préparent infenſiblement les eſprits à les re
cevoir, en accoûtumant les yeux à leur éclat. Tous les grands hommes ont
i eû leurs ſignes & leurs préſages, qui les ont annoncez : & qui en ont été
fait du sau, comme les Précurſeurs, & tous les myſtéres de l'Evangile ont eû leurs om
veur, du bres & leurs figures, qui ont fervi de diſpoſitions & de préparatifs à la vérité.
"* Mais s'il y a cử choſe au monde qui ait été figurée , tracểe & ébauchée en
mille manieres differentes, ç'a été le Verbe Incarné ; puiſqu'au ſentiment de
faint Paul, toutes les créatures n'étant faites que pour luy, toutes les grandes
choſes qui l’ont précedé, ſemblent en avoir été autant d'ébauches & de
crayons; de maniere que depuis le prémier homme que Dieu confideroit en
le formant, comme l'image de fon Fils, au fentiment de Tertulien , Jam tùm
cogitabatur Christus homo futurus; depuis, dis-je, ie prémier homme, tous
les Prophêtes & les Patriarches qui ont été dans la fuire des fiécles, en ont
été austi les Précurſeurs, qui ne le pouvant répréſenter tout entier, tout à la
fois, & dans toute fa perfection, ont tâché de le faire par parties, fucceſſive
ment , & de temps en temps, éloignez les uns des autres; pour diſpoſer le
monde par tant d'eſſais à voir un jour l’ouvrage le plus achevé, ou plûtôt le
chef-d’oeuvre de la ſageſſe & de la puiſſance d'un Dieu. Mais voicy la pré
rogative du grand faint Jean, qui eſt le dernier crayon qui l'a repreſenté.
Les autres Saints qui l'ont précedé ont bien été des Précurfeurs du Fils de
Dieu, mais faint Jean porte ce nom par excellence ; non-feulement parce
qu'il l'a fait voir de près, & les autres de loin : mais parce qu'il l'a repréſen
té plus parfaitement , comme celuy qui le devoit faire connoître , & en don
ner la plus parfaite idée. L'Auteur des Sermons fur tous les fujets.
T Cet enfant fera grand devant le Seigneur. Luc. 1. Le Ciel & la terre , les
en Anges & les hommes, conſiderent avec étonnement les merveilles de la nati
pris & ten- vité de faint Jean Baptiste. Les Anges admirent cet enfant , qu'ils voyent orné
felmé dans de graces, & rempli du Saint-Eſprit, dans un temps où les autres enfans pa
il ſera grand roiffent
d’ criminels
ftérile &
, d’ennemis déia
de Dieu.
bi Les hommes confidérant
/ A& qu'il fe qu'il
fait naît
plu
devant dieu, d'une mere iterile , d'un pere deja bien avance en age , & qu'il 1e fait plu
ieurs miracles à fa naiſſance, s'écrient que la main du Seigneur eſt avec
lui , & demandent avec admiration, qui penſez-vous que fera un jour cet
enfant ? Nous n'avons qu'à écouter ; le panégyrique de faint Jean eſt déja fait,
toutes les loüanges qu’on lui peut donner font renfermées dans ces paroles , 8
Cet enfant fera grand devant le Seigneur.La Rhétorique humaine feroit témerai
re » fi elle vouloit ajoûter quelque choſe à cet éloge. Comme la main du
P AR AGRA PHE S I X I E’M E. 323
Seigneur, c'eſt-à-dire, la vertu infinie de fa providence, eſt occupée d’une
façon toute particuliére à faire des merveilles pour la perfećtion de cer
enfant : auſſi ſa bouche adorable employe ſa divine éloquence pour nous
les expliquer. Tous les jugemens des hommes font incertains & trompeurs ;
ce qui paroît grand ſeulement à leur eſprit, n'a qu'un faux éclat, & ſouvent .
ce qui eſt relevé & ſublime à leurs yeux n’eſt qu’abomination devant Dieu :
Quod hominibus altum est, abominatio est ante Deum. L'Evangile ne Pouvoit zurts,
pas mieux relever le mérite de faint Jean, ni appuyer plus folidement les
fondemens de fa gloire, qu'en nous difant qu'il est grand devant Dieu ;
c'eſt-à-dire, qu'il eſt grand au Jugement de celui devant qui tout le mon
de n’eſt qu'un atôme , & tous les hommes des néants animez. Le Pere
Texier.
A peine ſaint Jean est-il né dans le monde, que la perſécution d'Herode le L'admirable
contraint d'en fortir , & de ſe ſauver dans les folitudes: mais ce qu'il com- Penitence de
mença par neceſſité , il le continua après par penitence. Il condamna les plus faint lean
beaux de ſes joursneaux
continüellement, ténébres
mangeant quedesduantres & des rochers.
miel fauvage C'eſt làfauterelles
, & quelques où il jeûna, , c
autant qu'il en falloit pour s'empêcher de mourir, plutôt que pour conti
nüer à vivre; fon corps n'étoit couvert que d'une peau de chameau, pour
faire en même temps fon vétement, & ſon ſupplice : juſques-là que faint
Bernard le repréſente comme un homme nouveau, comme un homme cou
pable qui fait des pénitences étranges, quoiqu'il n'eût jamais commis de
peché. Quel étrange alliance qui joint ainſi dans un même corps les austé
ritez d'un pénitent, avec l'innocence d'un Ange, qui n'avoit pas beſoin de
ces rigueurs. Voyez cependant comme il traite fon corps ; il le traire com
me s'il étoit le plus grand pécheur du monde , & comme s’il avoit com
mis les plus grands de tous les crimes ; ce qui fait dire à S. Bernard ces pa
roles: Novum in novo homine pænitentie mirare fervorem : Admirez donc dans
cet homme nouveau , & tel, qu'il n'y en a point eû dans les anciens temps,
une pénitence toute nouvelle & toute extraordinaire, ce faint Précurfeur ne
croit point faire ſouffrir aſſez de rigueurs à fon corps innocent , dans la con
noiſſance qu'il avoit des rigueurs que le Rédempteur du monde devoit
fouffrir pour le rachat des hommes. Il croyoit devoir ſe conformer & ſe ren
dre ſemblable autant qu'il le pourroit à ce divin exemplaire, à cette vićtime
fainte qui devoit être immolée ſur la montagne ſainte pour tout le genre-hu
main. Biroat.
Saint Jean étoit à peine forti du berceau, qu'il quitta toutes les dou- La rigoureu
ceurs de la maiſon de fon pere, pour s'addonner à la plus rigoureuſe péniten- ſe penitence
ce qui ait jamais été pratiquée. Ši nous en croyons quelques historiens Eccle- ,
fiaſtiques, durant l'eſpace d'environ trente ans, il n'eût point d'autre retraite, le
qu'une grotte obſcure, & faint Grégoire de Nazianze aſsûre qu'il paſſa tout d:ſeit.
ce temps-là expoſé aux injures des faiſons, fans avoir d'autre couvert, que le
ciel, ni d'autre lit que la terre. Son habit étoit un tiſſu de poil, c'eſt-à-dire,
un long & rude cilice ; car l'Evangile, qui remarque qu'il avoit une ceinture
de peau , dit poſitivement en deux endroits, que fon vétement étoit, non pas
de peau: mais de poil de chameau : Habebat vestimentum de pilis camelorum, Matth. 3 •
dit faint Matthieu ; & ſaint Luc : Vestiebatur pilis camelorum, pelliceá.
S ſ ij
|
324 poUR LE PANEGYRIQUE DE S. JEAN-BAPTISTE.
De forte que l'on peut dire, qu'il s'habilloit bien moins pour fe garentir des
| injures des faifons , que pour ajoûter un continuel ſupplice à celui qu'il en
duroit tantôt du froid , & tantôt du chaud. Enfin il ne mangeoit que du miel
fauvage, & d'une eſpece de fauterelles , que faint Jerôme dit être une viande
affez ordinaire dans l'Orient ? Un peu d'eau jointe à ces mets aſſez legers ,
faiſoit toutes fes délices, & encore en prenoit-il fi peu chaque jour, que l'on
peut dire que fa vie a été un jeûne perpetuel ; & pourquoi ne le diroit-on
pas ? puiſque J e su s C H R 1 s T même a dit, qu'il ne mangeoit, ni ne
Matth. 11. bůvoit : Venit Joannes non manducans, neque bibens. Mais pourquoi une vie
fi auſtere, en un âge où les enfans d'Adam n’éprouvent point encore la re
bellion de la chair , & dans une chair, qui dans un âge plus avancé , fût toû
jours foûmiſe à la raiſon ? pourquoi traiter fi durement un corps qui n'avoit
jamais peché è un corps qui ne devoit jamais pécher , & duquel ce faint hom
| me n'avoit à craindre ni violence, ni ſurpriſe ? C'eſt que ce faint homme
vouloit fervir d'exemple au monde , & montrer aux pécheurs la néceſſité
qu'ils ont de faire pénitence, s'ils veulent être fauvez , & pour faire con
noître aux juſtes qu'il faut ſe rendre parfaits de plus en plus fans ſe trop con
fier à la bonne vie qu'ils ont menée par le pafle ; Qui fanttificatus est, fantti
ficatur adhuc. Le Pere de la Colombiere.
Le Fils de . Jamais le Sauveur ne nous rendra le témoignage qu'il rendit de faint Jean,
Dieu ne fi nous ne ſommes fermes comme lui dans l'obſervation de la Loy de Dieu,
nous rendra & fi nous n'entrons dans cette fainte voye de la pénitence & de la mortifi
ja “ cation où a marché ſon faint Précurſeur. Pourquoi cela ? parce que J e su s
aCH R 1 s T ne rendra témoignage qu'en faveur de ceux qui auront eû ſoin
de ſe conformer à fon exemple. Or nous ne pouvons nous conformer au
*
fi nous n'i. Sauveur que par cet eſprit de pénitence,accompagné & foûtenu d'une constan
vy
| | nous l'obtenions à des conditions plus douces, ni qu'il y ait pour nous des
loix de providence moins ſeveres & plus commodes. Ce que nous avons donc
à craindre, fi nous ne fuivons pas l'exemple de faint Jean, eſt qu'au derniers
»
*
P AR A G R A P H E SI X I E’ M E. 325
C H R 1 s T, dans le prémier avénement de ce Dieu Sauveur, il viendra en
core dans le ſecond , & ſera appellé en témoignage contre les lâches Chrê
tiens. Hic venit in testimonium. Oüy , il viendra , non plus pour ſervir de té- fean. r.
moin à la lumiere, mais pour ſervir de témoin contre l'iniquité, mais pour
nous reprocher nos déſordres, mais pour éclairer nos ténébres quoy qu'à nô
tre condamnation. Le même.
Qu'une perſonne innocente, mais fragile, expoſée à mille tentations, & L'amour
dans un danger continuel de tomber, s'arme de cilices & de diſcipline pour que faint
éloigner ſes ennemis, pour aller au-devant des tentations, & pour conſerver | În
à ſon ame cette beauté que le Sauveur nous a acquiſe par ſon Sang , & qui
charme les yeux de Dieu : il n'y a rien en cela de furprenant, quand on con- mortific:
noît quel tréfor c'est que la grace, & la néceſſité que nous avons de la con- tion avant
ferver. Mais qu’un Saint auſſi pur qu'un Ange, paſſe fes jours dans une mor- në "e que
tification continuelle , que dès le berceau il ſe couvre d'une haire, qu'il s'en- :
terre dans le profond d'un antre, qu'il mene une vie auſſi pure que s'il n'a- précepte,
voit point de corps, ou que ſon corps, en le traitant fi durement, fût infen- & donné
fible ; c'est ce que l'on peut appeller un véritable amour de la mortification, l'exemple.
amour fans doute, très rare, & comme inconnû même aux plus grands pé
cheurs, qui en ont le plus de beſoin. Cet amour de la croix eſt très-rare, mê
me depuis la mort du Sauveur qui nous en a donné un exemple fi parfait.
Quelle gloire donc pour le faint Précurſeur d'avoir tenu une voye fi dure
avant même que le Sauveur nous eût montré ce chemin,avant qu'il nous l'eût
rendu praticable, & qu'il nous eût decouvert les tréſors qui y font cachez.
Si les Apôtres ont mérité de fi grandes loüanges pour avoir ſuivi leur Maître
par une voye fi épineuſe, mais après avoir vů les grands exemples qu'il leur
en avoit donnez ; fi les Saints Martyrs ont ſuivi cette route, mais ayant eû
les mêmes avantages que les Apôtres ; quels éloges ne mérite point le ſaint
Précurſeur de Jesus-CHR1 sr , qui a marché à pas de geant dans cette voye ,
alors impraticable, puiſqu'il n'avoit point vú devant luy qu'aucune perſonne
y eût marché ; d'y avoir ainfi marché fans aucun guide qui luy eût montré
ce chemin : & d’y être entré plus hardiment, & plus avant qu'aucun de tous
ceux qui y ayant marché ſur les pas adorables du Sauveur , ont dû par là
avoir beaucoup plus de courage que luy » ayant ců devant eux un fi grand
chef. Le Pere de la Colombiere.
uelle fut l'occupation de faint Jean durant un fi grand nombre d'années Quelle fut
tout ce s'occupa à prier, Ori- l'occupa-.
dit com-
qu’il habita
gene le deſertavec
, & s'entretint ? pendant
les Anges. Il eſt certainil qu'il eût de
temps-là grandes de :
munications avec Dieu, puiſqu'étant entré encore enfant dans le défert, en
un âge où il ne fçavoit pas encore parler, il en fortit le plus éclairé de tous demeua
les Prophêtes, le plus éloquent des Prédicateurs, & le Maître des Doćteurs dans le dé
mêmes de la Loy. Il faut neceſſairement que toutes ces connoiſſances luy (*"
ayent été inſpirées, qu'il les ait puiſées dans le fein de Dieu , & qu'elles
foient le fruit de la haute contemplation où il a été élevé. Mais il faut enfin
renoncer à ce repos, à cette paix interieure dont le faint homme joüiſſoir,pour
entrer dans une voye plus pénible. Il eſt temps commence une vie d’A
pôtre, & qu'il devance le Fils de Dieu qui ſe diſpoſe à fortir de fa retraite de comme
Nazareth, pour annoncer aux Juifs le Royaume de fon Saint Jean faint Jean
- 11)
fortit de ſon
326 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. JEAN-BAPTISTE.
n'eût pas plûtôt connû qu'il étoit appellé à cet employ, que fortant du fond
defert pour de ſa ſolitude, il parut tout d'un coup fur les rivages du Jourdain, & les
prêcher la
pénitence. fit retentir de ces paroles qui faiſoient le ſujet de tous fes diſcours : Pæniten
Matth. 3. tiam agite : appropinquavit enim regnum Dei: Hâtez-vous de faire pénitence,
car voicy le temps que Dieu doit regner parmi les hommes. Ce fut fans doute
une grande ſurpriſe pour tous ces peuples, de voir ce Prophête dont on n'a
voit jamais entendu parler, de le voir tout extenué de jeûnes , revétu de ci
lice, prêcher à haute voix, ce qu'il pratiquoit luy-même avec tant de rigueur.
Au reſte on ne vit jamais un zele plus ardent, ni plus defintereſſé que le fien.
Il parcourut en peu de temps toutes les contrées arroſées par le Jourdain: &
il n'y eût perſonne en une fi grande étenduë de pays, qu'il n'inſtruifit de ſes
devoirs, & qu'il ne baptiſât de ſa main. Le Pere de la Colombiere.
Comme Ce ne fût point pour fe faire connoitre, que faint Jean vint prêcher aux
faint lean
Cornment c
Juifs, ce ne fût que pour faire connoître le Sauveur du monde. Dès que le
par rendre Sauveur commence à ſe faire voir, Jean déclare franchement qu'il n'est que
témoignage fon Précurfeur, qu'il appartient ſeulement à Jesus-CHRist de donner le
au Fils de Saint-Eſprit, & d'effacer les pechez par un baptême bien plus excellent que
Dieu, & le fien. De plus, il invite tous fes diſciples à écouter ce nouveau Maître: il les
l'excellence
de ce témoi
porte, il les engage à s'attacher à lui, comme à la fource de toute ſcience, &
gnage. de toute fainteté. Enfin il publie hautement que ce nouveau Prédicateur eft
véritablement le Fils de Dieu: Testimonium perhibuit quia est Filius Dei. Saint
Pierre lui rendit depuis un ſemblable témoignage, & il en fût recompenſé ſur
l'heure par la puiſſance Souveraine qui luy fut donnée ſur toute l'Egliſe. Mais
outre que faint Jean l'avoit prévenu, outre que la confeſſion du Précurſeur
avoit été publique, & que l'autre ne ſe fit qu'en préſence de quelques Apô
tres: ſaint Jean reconnut Jesus-CHR1st pour le Fils de Dieu, lorſqu'on luy
offroit de le reconnoître lui-même pour le Meffie, lorſque tout le monde
étoit perſuadé qu'il l'étoit effećtivement, & qu'on le preſſoit de ne pas refu
fer cet honneur. On peut dire que jamais homme ne fit tant d'honneur à
: Jesus-CHR1sr , que faint Jean luy en fit en cette rencontre. Car ce ſaint
homme ayant des qualitez qui faiſoient croire au monde qu'il étoit le Meſſie
| tant attendu, des qualitez toutes conformes à l'idée que l'on s'étoit formée de
» l'Homme-Dieu. De combien fa propre gloire fût-elle relevée par cette humi
lité, lorſqu'il fit entendre aux peuples que tout grand qu'il leur avoit paru,
- cependant il n’étoit que la voix de celui qu'ils attendoient , & qu'il n’étoit
pas même digne de délier fes fouliers. C'eſt-là la maniere dont il travailloit
uniquement pour la gloire du Sauveur ; & comme il faiſoit ſervir ſa propre
loire pour élever d'autant plus celle de ſon cher Maîrre. Le méme.
Le glorieux
-
témoignage Entre tous les hommes , il n'en est point né de plus grand que Jean-Baptiste.
que le Sau AMatt. 1 i.C'eſt une belle loüange que d'être loüé par une perſonne qui mérite
||| V eur a ren de l'être ; que fera-ce donc d'ètre loüé par la bouche de celui qui eſt au-deſſus
-
du à faint
Jcan.
de toutes les loüanges ? Les Prophétes, les Apôtres, les Evangeliſtes, les SS
Peres, les Doćteurs de l'Egliſe, les Prédicateurs ont publié durant tant de
fiécles, les grandeurs de faint Jean ; mais tout ce qu'ils en ont dit, est peu
en comparaiſon de ce que le Fils de Dieu même en a dit de ſa propre bouche,
qu'entre les hommes il n'en est point né de plus grand que Jean-Baptiste Quelle
goire à ce ſaint homme d'avoireû le Sauveur même pour Panégyriste : Apci
i,
P A R A G R A P H E S I X I E’M E. 327
ne en trouverez-vous entre ceux qui font des éloges, de qui la flatterie, ou
l'interêt » ou l'affećtion ne tire quelques paroles contraires à la vérité : mais
il n’y a point de loüange plus véritable, & plus fincére, que celle qui eſt don
née par la verité même ; ni d'éloge plus , que d'être préferé à tous
les hommes par un Homme-Dieu. Enfin , c'est Dien même qui fait l’éloge de
faint Jean ; c'est le Verbe éternel qui louë ſa voix : c'est J E s u s-C H R i s r
qui fait le panégyrique de fon Précurfeur, l'Epoux de ſon ami. C'eſt donc
en vain que nous chercherions d’autres loüanges après celle que J E s u s
C H R 1 s T a bien voulu donner lui-même à faint Jean, ayant témoigné de
fa propre bouche qu'il n'y en avoit point de plus grand entre les hommes. Le
P. Duneau.
Il falloit aſsûrément que Jean fût Saint, pour annoncer, & repréſenter tout , Commes,
à la fois celui qui étoit la fainteté même. C'eſt pour cela que le Fils de Dieu 2
vient en propre erſonne pour le diſpoſer à cet honorable employ, & le con-
facrer par ſa ; & fitôt qu'il est né, la très-ſainte Vierge le prenant fur veur en fin
fon fein, où étoit encore renfermé le Sauveur : ces deux coeurs s'approchent teté, pour
& s’uniſſent, & dans cette communication fi intime , le Verbe Incarné impri- none; le
me à Jean les plus beaux traits de fa reſſemblance, par la ſainteté qu'il lui des
Saints.
communique. Diſons en un mot, qu'afin que faint Jean prévînt le Fils de
Dieu dans l'ordre du ministére , il falloit que le même Fils de Dieu prévînt
faint Jean dans l'ordre de la grace, & qu'il la répandit ſur lui , lorſque l'un
& l'autre étoient encore renfermez dans le fein de leurs meres. L'Auteur des
Sermons fur tous les fujets. -
dultére. Daniel ne s’eſt-il pas rendu illuſtre en défendant Suſanne ? & Suſanne
n'est-elle pas devenuële modéle de la chafteté, par ſa constance à la défendre?
Saint Jean-Baptiſte, prémier Prédicateur de l'Evangile , n'eſt-il pas tout à la
fois & le prémier défenſeur, & le prémier Martyr de la pureté ? Il n'encou
Fru F diſgrace d'Hérode, que parce qu'il ne pût ſouffrir que la chasteté conju
gale fût bleflée. C'eſt ce qui releve ſa gloire, & le rend illustre entre les Pro
phétes & les Martyrs. Hic est Joannes , qui impietatem Regis Herodis , qui uxo- s. Ang serm
rem fratris fui invaſerat , publicà authoritate condemnans, propter justitiam per-36. de sanc.
didit vitam , ſed lucratus est gloriam. C'est en effet le comble de fa gloire : car fit
lorſque nous difons, pour relever le mérite de faint Jean , qu’il a été fanćti
fié dès le ſein de fa mere, qu'il a fait la fonétion de Précurſeur avant que d'ê
tre né, qu'il a uni en fa perſonne & la pénitence & l'innocence, qu'il a vécu
comme un Ange dans le défert, qu’il a montré J E s u s-C H R 1 s T au peu- :
Ple, comme l'Agneau qui effaçoit les pechez du monde ; à tous ces titres glo
rieux du faint Précurfeur de J É s u s-C H R 1 s T , l'on doit encore ajoûter ,
que ce Saint homme eſt mort pour la défenſe de la chafteté : car la perfećtion
de ſa gloire, eſt toute ſemblable à celle des deux prémiers Apôtres ; ils furent
condamnez à mort pour avoir répris l'Empereur Néron de fes débordemens :
& le faint Précurfeur , pour avoir répris Hérode de l'enlevement de la fem
me de fon frere. Biroat.
Saint Jean rendit folemnellement témoignage au Sauveur, quand par une
Ambaſſade expreſſe les Scribes , & les Pharifiens lui envoyerent demander
qui il étoit, & s'il n'étoit pas le Meſfie : Tu quis es ? C'eſt pour lors que fon
zéje, fa ferveur, ſon humilité lui firent déclarer onvertement : Non fum. Je
ne ſuis pas le Meſſie. Au reste, tout l'éclairciſſement qu'il leur donna ſur ce
qu'il n'étoit pas digne de délier les fouliers de ſon Maître, & qu'il n'étoit que
la voix de ce Prophéte qui devoit venir. C'eſt avec juſtice qu'il prend ce nom
de voix, parce qu'il en fait l'office. La voix découvre les penſées de l'eſprit,
en ſe perdant, & s'évanoüiffant elle-même. Voilà ce que fait faint Jean en cet
te occaſion ; il fait connoître le Sauveur en s’évanoüiſlant lui-même, il étale
la gloire & le nom de J E s u s-C H R 1 s T aux dépens du fien. Mais après -
Prophéte dit: Cæli enarrant gloriam Dei ; Les Cieux racontent la gloire de Pſalm. 18.
Dieu. Jean est un ciel vivant & mobile , qui annonce austi la gloire du Sau
veur, non-feulement ſur les rivages du Jourdain, mais juſques dans la Cour
du Tyran Hérode. Biroat.
Il est néceſſaire de connoître en quoy confistoit l'office de Précurſeur, & con bien
tâcher de s’en former une juste idée ; car il ne faut pas s'imaginer que tout grande étoit
Paneg, des Saints. Tome I. T t
* :: : ,!
' ' ,
, ! 33o POUR LE PANEGYRIQUE DE S. JEAN-BAPTISTE.
|
:
l'autoritéPºde l'annoncer
S.
homme qui, &eût connuconnoître;
le faire le Sauveurcomme,
le prémier, pût auroit
quiconque auffi-bien queunS.tréfor
trouvé Jean
. . ' " caché, feroit capable de le découvrir , & de faire fçavoir le lieu où il eſt. Il
s'agiſſoit de faire croire la choſe du monde la plus difficile , & la plus ſurpre
. . . . . étoit le Mef nante qui fût jamais: fçavoir qu’un Dieu fait homme , demeuroit parmi les
. . . . . . fi | at- hommes, & que le Monarque fouverain du Ciel étoit deſcendu fur la terre.
e : """"""" il falloit, avant que cet Homme-Dieu eût rien fait qui put convaincre les
. hommes de ſa grandeur, & de la Divinité de ſa Perſonne, avant qu'il eût
rempli la terre de prodiges, & attiré les yeux de tous les hommes par l'éclat
de fes aćtions : il falloit, dis-je , qu'il perſuadât que c'éroit ce Meffie, que
tant de fiécles avoient attendu , & que tant de Prophétes avoient annoncé ;
* que celui qu'on avoit vû naître dans une crêche, étoit celui même qui étoit
affis ſur le trône de l'Empyrée ; que cet homme enfin, qui n'avoit encore me
| né qu'une vie commune, & qui ne paſſoit que pour le fils d'un artifan, dans
cette vie fi pauvre, fous ces dehors fi peu conſidérables, dans cet état fi peu
| fortable à fa qualité, étoit ce Sauveur qu'ils attendoient. Quel devoit être cet
|
homme , je vous prie, pour s'acquiter de cet employ, de faire recevoir le
4 Meſfie fur ſon témoignage , & pour ainſi dire , l'installer par ſon autorité ?
| Ne falloit-il pas que ſes paroles fuſient autant d'oracles , afin de perſuader le
* monde fur fon ſeul témoignage & en un mot; qu'il fût tel, qu'il pût paſſer
* | pour le Meſfie lui-même, afin d'être digne de déclarer celui qui l'étoit en effer.
. L’Auteur des Serm. fur tous les ſujets , &c.
| | Comme on ne perd jamais rien pour donner quelque choſe à Dieu, qui
* # "::: nous rend au centuple l'honneur & la gloire à laquelle on a renoncé pour ſon
. .. . .. amour: le Sauveur du monde a eủ foin de celle de fon Précurfeur, & a rendu
- rendu à faint reciproquement témoignage de lui , puiſqu'il n'y a perſonne dont il ait fait
: Jea?fon Pré- fi avantageuſement l'éloge dans l'Evangile , en l'appellant tantôt un flambeau
: *" plein de İumiére & d'arieur, tantôt un Prophéte & plus que Prophéte, &
* - tantôt le plüs grand de tous les hommes. Mais tous ces éloges font ramaſſez
& compris dans celui que l'Ange annonça à ſon pere Zacharie, qu’il feroit
- -
| - .
. . .
" -
...
*
Pép
i mii leur recommander fur tout l'humilité, parce que c'est l'humilité qui nous
leur moyen rend capables de participer à la Rédemption du Sauveur : Parate viam Domi
ni,mes freres, leur répetoit-il fans ceſſe, préparez les voyes du Seigneur.Voicy
| -- " vôtre Dieu, qui vient à vous dans l'état d'une humilité profonde ; ne paroiſſez
. | ia. pas devant lui comme des collines & des montagnes , c’est-à-dire , comme
· - des hommes ſuperbes & orguëilleux ; il vient pour rendre les voyes du Sei
gneur droites & unies : ſoyez petits à vos yeux ; foyez humbles, & défaites
* vous de cette propre estime & de cet amour propre qui vous enflent. Ainſi
' , * leur parloir ce faint homme,faifant l'office de témoin, mais le faiſant en Apô
· · - tre. Voilà pourquoi ce grand Saint n’eût point de défir plus ardent que de ga
gner des diſciples à J e su s C H R i s t ; voila pourquoi, non content de
*
P AR A GRA P H E S I XI E M E. 33 I
lui en former de nouveaux, il lui donnoit même les fiens. Le P. Bourdalonë.
Le témoignage de faint Jean a été conſtant, puiſque depuis fa conception, Saint Jean
juſqu'à ſa mort, il n'a point ceflé de remplir fon miniſtere. Car ne penſez pas a été conſ
ta nt , & a
qu'il ait attendu juſqu’au temps de fa prédication, pour rendre témoignage perféveré à
du Sauveur du monde ; dès le fein de fa mere il avoit déja commence. Ce rendre té
treſſailliſſement qu'elle reflentir avant la naiſſance de ce cher Fils, & cette moignage
joye dont il fut , & qu'il fit fenſiblement paroître , furent les prémiers au Fils de
Dieu , & à
témoignages qu'il rendit à Dieu ; Fervens nuntius, dit ſaint Pierre Chryſologue, remplir ſon
qui ante cæpit nuntiare Christum, quam vivere ? Le fervent témoin qui eût l'a miniſtere.
vantage d'annoncer Jesus-CHR 1st avant que de voir la lumiere du jour. Ce
qu'il avoit miraculeuſement commencé avant fa naiſſance , il le continüa
Pendant tout le cours de fa vie, & comme il avoit vécu en témoin de Jesus
CHRIST , il voulut mourir de même ; car mourir pour la justice & pour la
vérité , mourir en reprochant aux Grands du monde leur iniquité ; mourir
en inſtruiſant un tyran de ſes devoirs, mouriren faiſant reſpećter juſque dans
la Cour la fainte liberté d'un Prophéte , qui parle pour la cauſe de Dieu :
n'est-ce pas mourir en véritable témoin de Jesus-CHR 1 sr. Ainſi le faint Pré
curfeur a-t'il été constant dans ſon témoignage , puiſqu'il l'a rendu dès ſon
entrée au monde, puiſqu'il l'a rendu juſqu'au dernier moment de ſa vie, par
fon martyre, par ſa mort , comme il étoit écrit de luy : Hic venit in testimo foan. 1.
nium, ut testimonium perhiberet de lumine. Le même.
Quoyque la grandeur n'ait pû s’accorder avec l'humilité , ni dans les An La gran
ges, ni dans les hommes, & que les uns & les autres ſoient devenus ſuperbes deur jointe
avec l’hu
auſſi- tôt qu'ils ont été grands , le Verbe Incarné les a néanmoins reconci milité dans
liez en ſa perſonne , & joignant la qualité d'eſclave avec celle de fils, il nous faint Jean
a appris qu'elles n’étoient plus incompatibles. Après luy, faint Jean-Baptiste Baptiste.
nous a confirmé cette vérité, puiſqu'il eſt vray qu'il n'y a jamais eû de faint
ni plus grand , ni plus humble que luy. Sa grandeur eſt fi connuë, qu'el
le n'a pas beſoin de preuve, & il pour la comprendre, de fe fouvenir
des paroles du Fils de Dieu , qui compoſent fon Panégyrique : Inter natos Matth. 11,
mulierum non furrexit major Joanne Baptistà. Entre tous les enfans des femmes
il n'y en a point de plus grand que Jean-Baptiſte. Auffi ſemble-t'il que les
Peres fe fondant ſur ce témoignage du Sauveur, ayent déployé toute leur élo
quence pour élever les mérites de ce ſaint homme , & qu'ils ayent crû qu'ils
avoient la liberté de lui donner toutes fortes de loüanges, puiſqu'ils ne
voyoient que le Fils de Dieu & fa Mere au-deſſus de luy. Quoiquele faint Pré
curfeur fut très-grand comme il est clair, fon humilité ne pût fouffrir qu'a
vec mépris les loüanges que luy donnoient les Scribes & les Pharifiens dans
cette célebre Ambaſlade qu'ils luy envoyerent, & il ne reçût qu'avec indigna
tion les qualitez qu'ils luy vouloient attribuer, qui ne lui fervirent au contrai
re, que pour s'anéantir davantage. Le Pere Senault de l'Oratoire.
Il faut qu'un témoin ait de l'ardeur & du zele pour la vérité dont il rend la Lefidelité
zele 8e
de
témoignage. Ce zéle n'a point manqué à faint Jean, tout le monde en a con faint Jean.
noiſſance , & en vain on voudroit s'étendre ſur ce point, puiſqu'il eſt évident
que tout le ſoin du divin Précurfeur a été de faire connoitre le Fils de Dieu ,
& de le faire adorer ; de le faire aimer, de luy procurer dans le monde l'hon
neur & le culte qui luy est dû , & d'apprendre aux hommes à le recevoir
T t ij
* |
z Saint Jean eſt grand en tout, mais ſur tout par ſon zéle incomparable.
J ao pour la Allez ſur les bords du Jourdain, écoutez cette voix du Seigneur qui tonne &
converſion qui éclate ſur la tête des pécheurs. On voit qu'à ſa parole les gens du monde,
Pé-
Cins U IS.
les avares, les libertins touchez de la crainte de Dieu, tremblent , & s'ab
- * * - - - - * A
Luc. 3. baiſſent à ſes pieds, luy difant avec larmes, Magister, quid faciemus ? Maître
que faut il que nous faſſions ? Cet homme qui eſt plus que Prophète, & qui
eſt venu dans l'eſprit & la vertu d'Elie, n'a point de reſpect pour les couron
nes , ni pour les trônes, lorſqu’il s'agit des interêts de ſon Maître. Il entre
Matth. 6. cet tibi habere
hardiment uxorem
dans fratrisdestui.
les palais C'eſt& avec
Rois, cetteton
dit d'un ſainte liberté,
ferme avec : ces
à Herode Nonpa
li- .
roles menaçantes, avec cette chaleur prophetique , que Jean-Baptiſte éton
ne , effraye , & convertit les pécheurs. Sa fidélité n’eſt pas moins admirable
que ſon zéle ; il renvoye les Diſciples à Jesus-CHR. I st. Il declare hautement
qu'il faut que ſon Maître croiſſe en honneur, & que pour luy il faut qu'il di
minuë devant les hommes. C'eſt par là qu’il devenoit grand devant Dieu:
puiſque plus il s’humilioit, plus il étoit élevé : plus il ſe dépouilloit de toute
gloire, plus il la méritoit. Nous ne pouvons aſpirer à une perfećtion fi émi
nente, puiſque le Fils de Dieu même faiſant ſon éloge, a déclaré qu'il n'y en
avoit point de plus grand entre les hommes;mais nous pouvons ſuivre l’exem
Ple de cette humilité ſincere, & ce profond abbaiſlement devant les hommes
qui l'a élevé au comble de la gloire. Le Pere Texier.
pourquoy .. Les autres Prophétes n’ont annoncé le Sauveur qu'abſent , & encore fort
fint Jean éloigné
eft par toute: les Apôtres
la terre : Inenomnem
ont été les trompertes,
terram exivit fonus qui ont; mais
eorum fait retentir ſon est
faint Jean nomla
. voix de ce Verbe même, comme la parole eſt la voix de nôtre penſée, & ſe
phée & fait entendre aux autres. De là vient qu'au même temps que le peuple com
plus que mença à ſuivre le Sauveur, faint Jean ceſſa de prêcher, comme ayant achevé
de remplir fon miniſtere & fa fonćtion , ainſi que les diſciples même de ce
*/"":"* grand Šaint s'en plaignîrent, par le zéle qu'ils avoient pour la gloire de leur
jºan. 3. Maître. Magister , cui fic testimonium perhibuisti , nunc baptizat , & plures
eum ſequuntur. C'eſt donc à juste titre qu'il est appelé Prophéte par le Fils de
Dieu même , & plus que Prophéte ; parce que les autres n’ont averti de ſa vc
nué que de loin , mais celui-cy le deſigne , & dit le voicy , & par ce moyen
il eſt l’Apôtre des Apôtres mêmes, puiſque c'eſt à ſa voix, & fur fa parole »
que les principaux d’entre les Apôtres le reconnoiffent & le fuivent; ou plu
-- - - tôt difons avec un ſaint Pere, qu'il est le filence des Prophétes, & la voix des
Apôtres: Silentium Prophetarum • vox Apostolorum. Parce que les Prophétes
n'ont plus rien à dire, après que faint Jean a déclaré que Jesus-CHR 1sr étoit
Fils de Dieu & le Meſſie tant attendu : & ſaint Jean eſt la voix des Apôtres,
Parce qu'il le leur montre , & leur decouvre. L'Auteur des Sermons fur tous les
fajets,ớc.
P A R A G R A P H E S I X I EM E. 333
On peut juger de la fidélité, & de l'humilité de faint Jean , parce que non- IlOth
modéle fur lequel nous pouvons former la nôtre, & la voix de tant de vertus
qu'il a pratiquées, nous prêche encore fortement le jeûne, l'humilité, la péni- & anii
T t iij
334 poUR LE PANEGYRIQUE DE S. JEAN-BAPTISTE.
peut-être un tence, l'auſtérité. Mais ce que nous devons le plus craindre en même temps,
ju º fºst est que ce faint homme qui a porté le prémier témoignage du Fils de Dieu :
. ne le porte un jour le prémier contre nous : que ce cilice qui lui a ſervi de
tion. vêtement, ne condamne nôtre luxe, & ces habits fi fomptueux dont nous
nous faiſons gloire d'être revêtus pour plaire uniquement aux yeux du mon
de ; que ce miel fauvage , qui étoit fa nourriture ordinaire, n'accuſe devant
Dieu ces feſtins, ces grands repas & ces excès de bouche, où les Chrêtiens
s'emportent fi fréquemment ; que toute fa vie paſſée dans une auſtére péni
tence, ne ſoit une juste condamnation de la molleſſe d'une vie fi ſenſüelle que
la nôtre, qui ne cherche en tout que fes aiſes & fes commoditez ; que cette
humilité avec laquelle il a toûjours refuſé tous les honneurs qu'on lui vouloit
rendre, ne confonde nôtre orgueil , & nôtre vanité ; que fa constance enfin
à défendre la justice & la vérité, ne foit un reproche éternel à nôtre lâcheté
fi ordinaire, lorſqu'il s'agit de foûtenir les interets de Dieu. Ah! la voix de ce
grand Saint s'élevera un jour contre nous, comme elle s'éleva autrefois contre
| ces ſuperbes Scribes, Pharifiens & Docteurs de la Synagogue, & contre les
débordemens du crücl Herode, fur tout , fi nous y faiſons toûjours la fourde
oreille, comme nous avons fait juſqu'icy, maintenant qu'elle nous instruit
| Du credit
encore, & nous prépare auſſi le chemin de la félicité éternelle. Le même.
Dans un Royaume, la prémiere dignité eſt fans doute la fouveraine, qui
& de l'auto preſcrit des Loix, & à laquelle tout le monde est foûmis ; mais quel rang don
rité que de neriez-vous à celui qui auroit la puiſſance de faire reconnoître pour Souverain
j celui qu’il lui plairoit ? On ne pût trouver plus de mille ans après , un nom
it o aſſez illustre, pour honorer un Saint dont la vertu fut fi grande, que durant
re croire aux un ſchiſme où toute l'Egliſe ſembloit bouleverſée, & dans une horrible confu
Juifs que le fion, le Concile aſſemblé ſe rapporta à ſon choix, & à ſa ſeule parole, pour
déclarer qui en étoit le Chef. Hé! quel doit être celui qui dans le trouble, &
dans l'incertitude où étoit toute la terre, dans un temps auquel l'on fçavoit |
que ce Meſfie devoit venir au monde, mais avec fi peu de marques, & enco
re fi incertaines, quel étoit ce maître & ce Chef de tous les hommes; quel
devoit être, dis-je, celui, qui a eü le credit de le faire reconnoître ? & pour
faire que tous les hommes l'ayent reçû , pour ainſi dire, de ſa main, & s'en
foient rapportez à ſon jugement ? quel poids & quelle autorité ne devoit point
avoir ſa parole ? & quel devoit être enfin le mérite & la vertu de cet homme ?
Je dis que ce devoit être une vertu de fi grand éclat, & une fainteté fi recon
nuë , que rien ne fût capable d'affoiblir le témoignage qu’il en rendoit ; qu'il
falloit que cet homme capable de faire reconnoître un Homme-Dieu, de dé
clarer le Meſſie, & d'ôter tout ſoupçon de ſurpriſe, ou d'illufion dans une af
faire de cette conſéquence , fût un homme grand devant Dieu, & grand dans
l'opinion de tous les hommes ; autrement le Fils de Dieu ne ſe feroit pas ap
puyé de fon témoignage pour justifier ſa Miſſion , & les hommes n'y auroient
nullement déferé, quelque proteſtation qu'il en eût faite, & quelque aſsû
rance qu'il en eût pů donner. Auteur moderne.
sur quoy Pour cet effet , Dieu voulut que faint Jean commençât à être connû dès ſa
se credit &, naiſſance , par les prodiges qui l'accompagnerent. Les habitans des monta
gnes circonvoiſines y accoururent : les Grands de Jeruſalem s'y intereſſerent
fitôt qu'ils en apprirent la nouvelle ; on demandoit quel feroit cet enfant,
dez.
P A R A G R A P H E SI X I E’M E. 335
dont la naiſſance faiſoit tant de bruit; enſuite , quelque foin qu'il eût pris
lui-même de ſe cacher dans un déſert , & ſe dérober aux yeux des hommesi’é
clat d'une vertu fi éminente, elle ne püt ſe contenir dans le fond d'une caver
ne , elle perce les ténebres, & ſe répand par toute la Judée ; tout le monde
ouvre les yeux aux prémiers rayons de cette éclatante vertu, toutes fortes de
perſonnes, de tout âge & de toute condition viennent pour écourer fa pa
role, & pour recevoir fes instrućtions; & comme fi une vie fi innocente, une
fi rare vertu eût été au deſſus des forces d'un ſimple homme , on lui donne le
nom d'Ange ; car c'est ainſi que les Prophétes en avoient parlé : Ecce mitto Mare, 1.
Angelum meum ante te. Parce que ç'a toûjours été la coûtume de Dieu de ſe
fervir des Anges, pour annoncer aux hommes les grandes nouvelles. Voicy
donc que pour la plus grande, & la plus ſurprenante de toutes, il leur dépu
te un Ange , un Ange mortel, & un homme qui mene fur la terre la vie que
les Anges menent dans le Ciel , pour annoncer la plus grande & la plus im
portante nouvelle, qui eſt que ce Meſſie eſt enfin venu, & cet homme en
voyé pour annoncer cette, nouvelle, est le grand S. Jean : Fuit homo mijus à fean. 1.
Deo , ut testimonium perhiberet de lumine. Le même.
Un Direćteur, un Prédicateur défintereſſë n'épargne perſonne. La rigueur Le zele &
fainte dont faint Jean a usé, ne vaut-elle pas mieux qu’une fauſſe douceur ? la constance
Celle-cyendort le pécheur,
veille, lui fait ſentir ſon mal&; remuë
le laiſſeſa croupir dansparſesune
conſcience vices: celle-là
crainte le ré:
ſalutaire les
Race de vipéres, diſoit ce faint homme aux Pharifiens, qui vous a averti de plainens.
fuir la colere qui devoit tomber stir vous ? Ce n'étoit point-là ménager les per- lur. 3.
fonnes par un reſpećt humain. Saint Jean ne prétendoit pas auffi inſulter Hé- -
rode, en le reprenant de fon adultere public, en le traitant avec dureté ; il ef
fayoit d'abaiſler & l’orguëil de ce tyran, & celui des Pharifiens par ſon arden
te charité. Il faiſoit ſentir aux Juifs qu'en vain ils ſe paroient des mérites d’A
braham, & que la vertu des pºres ne profitoit de rien aux enfans, s'ils n'i
mitoient en tout la fainteré de leur vie ; que Dieu n'a nul beſoin de nous pour
être fervi; puiſqu'il peut fe faire des adorateurs des pecheurs les plus endur
cis, changer des coeurs de pierres en des zélez imitateurs de fes perfećtions,
fe former des enfans des eſclaves , & des mercenaires : Potens est Deus de la- Matth. z.
pidibus istis fuſcitare filios Abrahe. Auteur moderne.
Faires un peu d'attention à la Prophétie de Zacharie, pere de faint Jean : „ , Jean ne
Et vous, mon enfant, vous ferez appellé le Prophéte du Très-Haut. Rien de plus !
relevé, que de préparer dans les ames les voyes au Seigneur; puiſque c'est
ce qui fait toute la grandeur de faint Jean. Ses fonctions, & celle de tous les Dieu.
Direćteurs, font d'enſeigner J e su s-C H R 1 s r aux hommes, & de les pré- Luc. 1.
parer à recevoir de lui la fcience du falut, & la rémiſſion de leurs pechez. Tels
ont été les deſfeins de Dieu fur faint Jean, de diſſiper par la parole du faint
Précurfeur, les ténebres de l'ignorance , du peché & de la mort : de tourner
nos coeurs & nos inclinations vers le Ciel; de nous annoncer la paix avec
Dieu, avec nôtre prochain, avec nous mêmes. C'est-là le devoir d’un Prédi
cateur Evangeħque ; il est peu d'autres qui l'ayent auſſi pleinement exécuté
que faint Jean ? cela n’est pas fort étonnant, puiſque tout étoit miraculeux en
ce ſaint homme : & néanmoins il a conſervé en lui-même les graces que Dieu
lui avoit faites, pour ne les produire qu'avec aſsûrance dans les temps que la
*
336 poUR LE PANEGYRIQUE DE S. JEAN-BAPTISTE.
Luc. 1. providence luy avoit marqué : Uſque in diem offenſionis fue in Iſraël. On ſe
trompe donc beaucoup , quand on s'imagine que l'on doit produire & em
ployer ſes talens fans délay, & que l'on ne peut les cacher fans violer les or
dres de Dieu. C'eſt au contraire, les violer, que de n'attendre pas le temps
déſigné de Dieu , & de fe faire une vocation des ſeuls beſoins du prochain ,
fans prendre garde aux nôtres. Sermon manuferit.
Saint Jean Saint Jean ayant repris Hérode le Tetrarque, au ſujet de la femme de ſon
ant frere, & de tous fes autres crimes, montra en cet endroit la fermeté que
. doit avoir un Prédicateur de l'Evangile à reprendre les crimes publics. Ce
p cateurs faint homme n’en pardonna aucun à Hérode , parce qu’il n'étoit fuſceptible
l'exemple de d'aucunes vûës d'interêt. On n'auroit pas manqué de prétextes pour
la met à faint Jean de diſſimuler; il n'étoit point chargé de fa conduite : il falloit mé
, nager fa bonne volonté, pour être autoriſé dans ſon ministere ; il ſe metroit
i en danger de ruïner tous ſes travaux, & le fruit de fes Prédications, en fe le
vices pu- rendant contraire , il expoſoit fes diſciples. Saint Jean n’a point ainſi raiſon
blics. né: il a fait ce que Dieu demandoit alors de lui , & il a abandonné l'avenir
à celui qui en étoit le maître. Le même.
Les titres . La vérité même a fait l'éloge de faint Jean-Baptiste, en nous aſſûrant qu'il
glorieux de étoit une lampe ardente & luiſante : que ce n’étoit pas un roſeau, que le vent
fit pancher de côté, & d'autre : que c'étoit un Prophéte, en qui finiſſoit la
Loy & les Prophétes: qu'il étoit même plus que Prophéte : que c'étoit l'Ange
haut , que quelques-uns ont crû que le faint Précurfeur étoit au-deſſus de
tous les Saints de l'ancien Teſtament ; mais les Peres n'y ont fait aucune ex
se, m. , s.s. ception. Saint Auguſtin , & faint Paulin fon diſciple y comprennent généra
s. Paalin. lement tous les Saints qui l'ont précedé,& ceux qui l'ont ſuivi ; & quelqu'uns
Cor. 5. ont avancé qu'il n'égaloit pas ſeulement, mais qu'il ſurpaſſoit même tout ce
qu'il y a eû de plus grand parmi les hommes avant, & après luy , excepté le
Sauveur & ſa très-fainte Mere. Si vous cherchez, dit le plus ſage , & le plus
8*r".*9° éclairé des Peres, en qui la nature humaine paroît dans fon éminence, c'eſt en
Jean Baptiſte ; & puiſque Jean déclare que Jesus CHRIST est plus grand que
lui , il faut que Jesus-CHRIST ne ſoit pas ſeulement homme , mais il faut
carm. 5, qu'il foit Dieu ; il étoit austi grand,dit faint Paulin , que celui qui peut tout
le pouvoir faire. Auteur moderne. r -
Pourquoy Confortabatur Spiritu. Luc. I. La main du Seigneur eroit avec faint Jean en
faint Jean core enfant, & en même temps que ſon corps croiſſoit , fon eſprit ſe forti
seſt ité fioit en grace. L'eſprit de Dieu, qui étoit en luy, fe faiſant paroître tous les
au deſert. jours, par des effets plus ſenſibles & plus merveilleux, dit Théophylaćte, s’il
demeura dans le défert juſqu'au jour qu'il devoit paroître : s'il y fût élevé dès
fon enfance, c'étoit pour accomplir à la lettre ce que dit le Prophéte Ifaye :
que les enfans les plus petits jouëroient avec les ferpens. Il fe retira pour fuïr
le rumulte des villes, & l'embarras de la multitude. Ses yeux deſtinez à voir
le Sauveur du monde , crûrent tout le reſte indigne d’eux. Il alla chercher
dans le déſert un air Plus pur , & plus exempt de la corruption du ſiecle , une
- demeure
P AR AGR A PH E SI X I E’M E. 337
demeure où il pût contempler le Ciel avec plus de liberté, ſe familiarife ravec
Dieu, s'occuper à la priére, en attendant que le jour de fa fonćtion fût arri
vé; s'entretenir avec les Anges, parler au Seigneur, & l'entendre , lorſqu'il
lui diroit, comme autrefois à Moyſe : Me voicy ; & rendre ſa voix digne d'ê
tre l'organe du Verbe en la ſanćtifiant fans celle par ſes paroles divines. C'eſt
ainſi, dit faint Jérôme, que méritoit d'être élevé le Précurfeur du Sauveur.
Comme il devoit reprendre les vices des hommes, il ne falloit point qu'il fût
lié avec perſonne, dont l'amitié ou le reſpećt pût le retenir & foüiller, pour
ainſi dire, la liberté de ſes réprehenſions , & leur force. Auteur mo
derne.
Admirez dans une ſuprême élevation, une humilité très-profonde : tout le profonde
peuple, & la Synagogue avec lui, font perſuadez que Jean-Baptiſte est un humilité de
Prophéte, & qu'il pouvoit bien être le CHR. 1 st. On l'interroge , & par fa ré- S. Jean. C'eſt
ponſe il fait bien voir qu'il eſt le plus humble de tous les hommes, comme il
il eſt le plus grand : car ayant une grace fi extraordinaire, & un mérite fi émi-fiu conciu
nent, qu'il pouvoit paſſer pour le Meffie : non-ſeulement il déclara qu'il ne re qu'il est le
l'étoit point, & qu'il ne venoit que pour lui préparer la voye ; mais il fe ra- Plus grand.
baiſſe au deflous de lui, juſqu'à dire qu'il n'étoit pas digne de ſe prosterner
devant lui, pour dénoüer les cordons de ſes fouliers. Il étoit jaloux, non de
fa propre gloire , dit faint Auguſtin, mais de celle de l'Epoux, dont il étoit
d'autant plus l'ami, qu'il étoit plus humble. Il prêchoit le Meſſic, & le pu- t
blioit par tout, fans marquer ntanmoins qui il étoit ; parce qu'il étoit à pro
pos que faint Jean ne connût J E s u s C H R i s T qu'en géneral : afin, dit
faint Chryſostome , que l'on ne dit pas que le témoignage qu'il lui rendoit,
n'étoit fi avantageux que parce que c'étoit ſon parent, & ſon ami. Sermon ma
f21! } C7 1 f.
Lorſque nôtre fort est entre nos mains, manquons-nous jamais de décider s. Jean s'a
élogesfaveur,
en nôtre
des puiſque
ou injustes, ounous allons même
témeraires, ou prématurez en nous élevant
au devant,? L'humilité avec |Baile laau-de
de S. Jean vé
lui fournit de pieuſes induſtries pour taire ce qu'il étoit, & pour le dire d’u- UC,
ne maniére fi confuſe, qu'il diſoit la vérité, fans porter préjudice à ſon humi
lité. Sa prédication avoit fait un fi grand éclat, que chacun penſoit qu'il pou
voit bien être le Meſſie. La demande que lui en firent les Lévites, pouvoit
bien flatter fa vanité, s'il en eût eû, mais elle ne fervit qu’à faire éclater fon
humilité. Il confeſſa qu'il n’étoit point le C H R 1 s T , aimant mieux, dit S.
Grégoire, conſerver la folidité de fa vertu, en ſe renfermant dans l'état hum
ble qui lui étoit propre, que de fe fervir de l'erreur des autres, que de s’éle
ver au-deſſus de ce qu'il étoit, que de tomber par cette vanité dans le précipi
ce, & laiffer éteindre fa lampe par le vent, & par le ſouffle de la vaine gloite.
Ne pouvoit-il pas dire avec vérité, qu'il étoit Elie, puiſqu'il en faiſoit la
fonćtion, qu'il en avoit l'eſprit & le zéle ? Mais il aima mieux dire qu'il ne
l'étoit pas , prenant de deux fens véritables, celui qui favoriſoit davantage
fon humilité. Preſſé par les députez, Jean-Baptiſte fe rabaiſſe autant qu'il le
pouvoit faire , fans bleffer la vérité ; car il leur dit ſeulement qu'il étoit une
voix qui crie dans le déſert ; rapportant ainſi à Dieu la gloire de tout ce qu'il
faiſoir, marquant que c'étoit Dieu qui agilloit , & qui parloit en lui. Mais
Paneg, des Saints. Tome I. V V
338 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. JEAN-BAPTISTE.
ces Pharifiens fi ſages, & fi éclairez, ne comprirent pas, ou ils feignirent de
ne pas comprendre ce que faint Jean leur diſoit : parce qu'ils avoient moins
de zéle pour connoître la vérité, que de jaloufie contre celui qui la leur an
nonçoit, & dont la gloire fembloit diminủer la leur. C'est ainſi que Dieu
-
Les paroles Saint Auguſtin nous apprend que les paroles des Prédicateurs ſont des dards
| : qui percent:
: tion
conſommer
dcs
mais que les actions jointes aux paroles brûlent; & achevent de
de faintentierement
Jean-Baptiſtece;que
il prêchoit la pénitence
les fléches , &Telle
ont entamé. il laétoit
pratiquoit ; ſa
la prédica
- Pourquoy º voix touchoit les cæurs, & l'exemple de # vie les enlevoit. C’eſt une fléche
' , bien aiguë, & lancée par un bras puiſſant, que la parole de Dieu dans la bou
| che d'un Miniſtre qui la pratique depuis long-temps. Si Herode même, tout
, · impie qu'il étoit, reſpectoit faint Jean, rendons-lui donc auffi nos hommages
avec toute l'Egliſe ; mais ſouvenons-nous que l'honneur dû à ce ſaint Prophe
te, est de pratiquer la verité qu'il enſeigne, & d'imiter la fainteté de ſavie.
Percez-nous donc, Seigneur, de ces fléches falutaires qui portent avec elles
dans les ames, & la lumiere, & la vie. Que vôtre parole pénetre nos cæurs,
& que ce glaive tranchant y faſſe toutes les ſéparations dont dépend nôtre fa
- lut. Renverfez en nous tout ce qui vous réſiſte ; ne ſouffrez pas que, comme
les Juifs, nous nous réjouiſſions des grandeurs de Jean-Baptiste pour en tirer
vanité, fans profiter de fes lumieres, & fans être échauffez des ardeurs de
cette lampe ardente. Faires-nous trembler par ces paroles terribles qui doi
vent encore effrayer tous les ſuperbes, & les impénitens. La cognée eſt déja.
" . - à la raine de l'arbre ; retranchez tout ce qui vous déplaît : conſommez tout ce
- - u'il y a d'impur, Faites-nous tomber à vos pieds, & que les veritez faintes,
--*
de la bouche de vôtre faint Précurſeur,remportent une entiere vićtoire
. | furnous,puiſque nous ne ferons vrayment les enfans d'Abraham,que lorſque de
* - nos coeurs de pierre, vous en aurez fait des coeurs fenfibles à vôtre grace. Ser
- mon manuſcrit.
* * -
- Priére à s. Grand Saint ! qui avez mérité d'être déclaré par la bouche même de la vé
- - Jean, rité , Prophéte, & plus que Prophéte , un nouvel Elie, & le plus faint des
- hommes, Ange & Apôtre du Pere Eternel, Précurſeur & Baptiſte du Fils
-
|| | | |
-
|
Unique de Dieu, prémier témoin de la plenitude du Saint-Eſprit en J e s u s
C H R 1 s T , Prédicateur intrépide de la vérité, Martyr de la Loy de Dieu,
vićtime de la chasteté, lampe ardente & luiſante par la charité. f. vous ho
nore dans tous ces titres: je révere les liens qui vous ont uni à J E s u s
C H R 1 s r., pour vous donner part à ſes oeuvres, & pour vous faire entrer
dans ſes deſfeins. Je contemple avec joye la ſainteté, & les vertus éclatantes
·} dont le Saint-Eſprit vous a orné dès le ventre de vôtre mere , pour faire de
|
".
• i
| vous un chef-d’oeuvre de grace, un interpréte fidéle de fes volontez, & felon
qu'il l'avoit prédit, un homme vrayment grand devant le Seigneur. Souve
nez-vous grand Saint , qu'en quittant la terre, vous avez un nouvel empire
* * . ., . fur les coeurs; employez-le fur les nôtres ; exercez ſur nous, du haut du Ciel,
- ' } - - a . " vôtre miniſtére, pour nous convertir véritablement à Dieu, pour éclairer nos
& - , -" - táncbres par la ſcience du ſalut, pour nous faire marcher toůjours avec fidé
-
", "
i- *
P A R A G R A P H E S I X I E’ M E. 339
lité dans les voyes de la fainteté. Illuminare his qui in tenebris & in umbra mor
tis fedent , &c. Sermon manuſcrit,
Tout ce que les hommes & les Anges ont pû dire à la gloire de Jean-Bapti- Témoigna
fte, n'est rien en comparaiſon du témoignage que le Fils de Dieu a rendu à 3 Şus le Fils
l'innocence de ſes moeurs, à la fainteté de fa vie , & à la rigueur de fon auſté- -
rité. Quel homme avez-vous été voir dans le déſert ? dit-il au peuple que faint
Jean avoit attiré par le bruit de ſes vertus, & de ſes prédications. Quid existis te.
in defertum videre ? Est-ce un foible roſeau, un eſprit léger, le joüet des paſ Matri, it:
fions humaines , que le moindre ſouffle des tentations, & des perſecutions
abarte ? Non, Jean-Baptiſte n'est pas de ce caraćtere : c'est un coeur ferme ,
qui n’est capable d'aucun défaut de l'eſprit humain. Quid existis in defertum
videre ? arundinem vento agitatam ? Mais encore qu'étes-vous allé voir ? un .
homme fenfuël, plongé dans la molleſſe, & les plaiſirs ? Hominem mollibus
vestitum ? Au contraire, vous avez vů un homme de pénitence & de mortifi
cation , & l’image de la pénitence qu'il prêche. Après ces grands éloges, que
pouvons-nous dire qui ajoûte quelque choſe à la gloire de ce grand Saint ?
L'Abbé du Parry.
Que penſez-vous que fera cet enfant ? A peine a-t-il paru au monde, qu'il
s'enfonce dans un defert : il en fort portant ſur ſon vétement & dans ſa nourri
ture , l'image la plus affreufe de la pénitence , à laquelle il vient exhorter les
Juifs, & enfin joignant fa voix à celle du Pere Eternel, qui ferd les airs, &
fait entendre ces paroles : Voilà mon Fils bien-aimé. Jean le montre du doigt, Matt. 3.
& dit de la part de Dieu aux hommes : Voilà l'Agneau de Dieu : Ecce Agnus
Dei. Voilà fur quels fondemens la grandeur de Jean-Baptiſte, & en même
temps , la
ſolidité de nôtre Foy eſt appuyée. Le même.
Rien ne fait plus d’honneur à faint Jean , que d'avoir été néceſſaire au Fils c'est un
de Dieu, pour lui rendre témoignage , afin que tout le monde crút en lui : honneur in
Ut omnes crederent per illum. Il falloit que la créance d'un Dieu fait Homme, º Parable
qui est le fondement de tout le Christianiſme, fût établie ſur la prédication 9
de faint Jean ; & le Sauveur du monde en avoit beſoin en quelque forte,pour chois. |
exiger des hommes qu'ils crûffent en lui , comme il le reconnoît lui-même, stiné pour
lorſque parlant aux Pharifiens, il leur dit : Si je portois témoignage de moi-mê- endre ré
me, vous ne me croirie pas ; puiſque l'on n'est pas crů en parlant de foi: mais de
vous connoiſsez tous celui qui vous a dit ce que jefuis ; & vous ne pouvez revoquer j . .
en doute le témoignage qu'il m'a rendu. Est alius qui testimonium perhibet de me. La C i R 1 s r.
fonétion principale de cet homme extraordinaire n’est pas de prêcher au mon- fean. f.
de le Baptême de pénitence,qui doit préparer le Baptême de Jesus-CHRist; il
eſt choiſi de toute éternité pour rendre témoignage au Fils de Dieu: Hic venit
in testimonium.C’eſt pour remplir cette auguſte fonćtion qu’il naît,qu’il meurt,
qu'il parle, qu'il agit, qu'il ſe cache, qu'il fe montre, qu'il exhorte, qu'il me
nace, & qu'en un mot, il n'est, comme il dit lui-même, qu'une voix, qui an
nonce aux hommes le Verbe fait chair: Ego fum vox clamantis. D'où vient que
la Providence voulut que ſa naiſſance fût marquée par des prodiges éclatans,
& que ſa vie fût comme un continuël miracle, afin de donner plus de poids
& de force à fon témoignage. Il n'étoit pas la lumiere: mais il étoit venu pour
rendre témoignage à la lumiere. Il parût avec des marques, & des qualitez fi
V v ij
34o POUR LE PANEGYRIQUE DE S. JEAN-BAPTISTE.
éclatantes, que le rayon du Soleil de justice fut pris pour l'Aſtre même qu'il
venoit annoncer. Cet eloge eſt peut-être le plus grand qu'il ait jamais reçů.
Il faut bien que la copie ſoit excellente , lorſqu'on eſt obligé de dire qu'elle
n’est pas l'original. Que Jean-Baptiſte ait été Prophete, qu'il ait été Elie ,
qu'il ait été plus grand qu'Eiic, & que tous les Prophetes : il n’eſt pas fi bien
foan. r. loüé par tous ces titres, que par ces paroles: Non erat ille lux : fed ut testimo
nium perhiberet de lumine. Le même.
luºy . C'étoit pour élever faint Jean à ce haut degré de perfećtion, que l'eſprit
j de Dieu le conduiſit dès ſon enfance dans le défert , & le rendit fi different du
reste des hommes par le genre extraordinaire de vie que ce grand Saint mena.
faveur du , dans la ſolitude; afin que tout ce qu'il y avoit de fingulier dans fa naiſſance ,
$ veu froit dans fa retraite, dans fon vétement, & dans toute fa perſonne, donnât plus
ir de force & d'autorité à ſes paroles. En effet, lorſque cette voix étonnante qui
u. s. crioit: Faites pénitence, parce que le Royaume des Cieux approche ; lors, dis je ,
que le ſon de cette voix vint à retentir fur les rivages du Jourdain, tout Jé
ruſalem fe reveilla au bruit de cette trompette Evangelique ; & quand on
vint à ſçavoir que cet homme fi retiré, fi auſtére, fi fauvage, étoit le même
dont la naiſſance avoit été fi ſurprenante ; à ces marques ſeules les Prêtres &
les Levites lui vont rendre hommage de la part de la Synagogue ; tous cou
rent en foule à ce Baptême de pénitence qu'il leur prêche: & le témoignage
qu'il rend aux Juifs du Meſfie, est fi irréprochable, qu'ils n'ont pů, & qu’ils
* ne pourront jamais s'en défendre. Car qu'avoient-ils à répondre, lorſque le
Fils de Dieu leur diſoit: Jean est venu, & vous l'avez conſideré comme un Pro
phéte, & comme un homme envoyé de Dieu : & cependant quand il vous a rendu.
témoignage de moi , vous ne l'avez pas écouté ; vous étiez tout diſpoſez à le re
cevoir pour le Meffie, s'il eût voulu s'attribüer ce titre, & quand il le rejetta
pour m'en ceder la gloire , vous ne l'avez pas crů. Quel bizarre aveuglement
y a-t-il dans vôtre conduite ? S'il eût rendu témoignage en fa faveur, en pre
nant une qualité qu'il n'avoit pas, vous étiez prêts à le croire : & cependant
vous n'avez pas ajoûté foy à ſes paroles, lorſqu'il a rendu témoignage à la vé
rité, en vous difant qui j’etois. Les Juifs demeurerent fans réponſe, & ils ne
pouvoient pas diſconvenir que Jean-Baptiſte ne fût un témoin irréprochable.
| du Meſſie, puiſqu'ils avoient été prêts à le reconnoître pour le Meſſie même,
ar la déclaration publique qu'ils lui en avoient faite. Le même.
Tout Chré- , Apprenons par le grand exemple que nous en donne Jean-Baptiste, que nous.
tiendoi devons être autant de témoins de Jésus-CHR 1st , & que le nom de Chrêtien.
a. renferme avec lui, l'obligation de confeſſer
nôtre foy ; auffi publiquement
par nosoeuvres, & par nos paroles, que nous le profeſſons par ce nom glo
| c H R 1 s r rieux. Ce qui a fait dire à Tertullien, que cette Loy portoit avec elle un en--
par ſa foy & gagement indiſpenſable à fouffrir le martyre, quand il étoit néceſſaire pour
. la défendre. Un Chrêtien est un homme qui a reçû de Dieu un caraćtere par--
fija ticulier, pour rendre témoignage à Jesus-CHR1sT. Les Apôtres luy ont ren--
| du le témoignage de leur zéle & de leurs travaux ; les Martyrs lui ont rendu.
le témoignage de leur fang, & de leurs fupplices ; les Confeſſeurs lui ont
rendu le témoignage de leur bonne vie, & de leurs mortifications ; & il eft
-
impoſſible d'être du nombre des Elûs, fi l'on ne ſe trouve dans l'un de ces,
|
|
P A'R A G R A P H E SI X I E’M E. 341
trois états. Vous n'êtes pas appellez aux fonćtions de l'Apostolat : l'heureuſe
tranquillité de l'Egliſe vous ôte les occaſions du martyre , il n'y a point de
perſecution à craindre : & il reſte ſeulement à confeſſer Jesus CHR ist par
l'intégrité de vos moeurs, & par la fainceté de vôtre vie. Le même.
La prémiere choſe que Jesus-CHR1st a faite en venant au monde, a été , Saint Jan
dit ſaint Paul , de s'anéantir : Exinanivit femetipſim, &c. Jean-Baptiſte s'a
néantit à ſon exemple , lorſque pour toute réponſe aux diverſes interroga
tions des Juifs, il leur dit ſeulement, Non fum : je ne fuis rien de ce que vous témoignage
dites. Il pouvoit prendre quelque qualité, il pouvoit dire qu'il étoit le plus de Je su s
grand de tous les hommes, le lien de l'ancienne & de la nouvelle Loy: mais ? " * i * r.
pour rendie témoignage à la Divinité de celuy qui eſt, il répond ſeulement "***"
qu'il n'eſt pas ; & lorſque pour céder aux preſſantes ſollicitations des Juifs,
il est forcé de prendre enfin quelque nom ; il ſe donne celui de voix, qui est
la choſe la plus approchante de rien. Ego fum vox. Quel témoin plus croya
ble & plus digne de foy, que celui qui toute fa gloire pour rendre té
moignage à la vérité ; Il n'y a que la grace de Jesus-CHR 1st , qui étouffe
dans le coeur de faint Jean ce défir d’être honoré & estimé fi naturel aux hom
mes, il n'y a, dis-je , que cette grace qui le dévoué tout entier à l’employ de
Précurfeur du Meffie, & qui lui fait connoître que comme la voix n’est rien
pour elle-même,mais tout pour ceux qui l'entendent, ainſi il n'est rien par rap
port à lui , & que tout ce qu'il est, regarde la perſonne du Fils de Dieu qu'il
vient annoncer aux hommes, pour les inciter à ſuivre le Sauveur. Le même.
Combien y a-t'il de Chrétiens qui au lieu de s’humilier comme faint Jean, Peu de Çhré
& de rapporter à Dieu toute la gloire de ce qu'ils font, fe regardent comme
des artilans de leur grandeur, attribüent à leur habileté les honneurs où ils
font parvenus, les richeſies qu'ils ont acquiſes , & difent : c'est moy qui me à Dieu tout
fuis fait moi même : c'est ma main, & non celle du Seigneur, qui a fait ces e qu'ils
choſes. Bien-loin
honorer Dieu ; ilsdevoudroient
ſe ſervir deêtreleurfervis,
grandeur & de leur
regardez, puiſſancecomme
honnorez pour faire
s'ils "" Jean. °
étoient les Dieux de la terre. Ils ſe font de leur elevation une idole, qu'ils en
cenſent les prémiers, & devant laquelle ils voudroient qúe tout s'humiliât.
L'Abbé du Jarry.
Ce zelé Précurfeur de Jesus-CHR1 sr n'attendit pas le temps de fa prédica- e Saint Jean
tion publique pour rendre témoignage à ſa Divinité : mais il le reconnût étant
encore dans le ſein de fa mere, par ce treſſailliſſement miraculeux qu'elle ſen- ur
tit aux approches du Verbe Incarné, que la Vierge très-ſainte portoit dans que de naî.
fon fein. Ut fatta est vox tua in auribus meis, exultavit infans in utero meo. tre:
Ce qui a fait dire à faint Ambroiſe, que la grace avoit prévenu la nature dans *****
cet admirable Enfant, pour luy faire faire la fonćtion de Précurſeur du Sau
veur, avant qu'il eût reçû l'uſage de la lumiere. C'eſt ce qui a fait dire à faint
Chryſostome: Ante cepit nuntiare Christum , quàm naſci : & quia tardabat cor
pus maternis incluſum viſceribus : folo fecit evangelifantis oficium. Il
ajoûte, qu'il avoit conſacré le premier uſage de fa vie à la gloire de Dieu,
lorſqu'à peine l'avoit-il reçû pour luy-même. Le même.
Quel fond de morale ne pourroit-on point tirer du grand exemple de Jean- Nous de
Baptiste que nous avons devant les yeux ? Que nous fert deV fai
- -
u
» - VOms inous
ou d'en confondre
342 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. JEAN-BAPTISTE.
* * ** tendre l'éloge des Saints, fi nous ne faiſons une comparaiſon de nôtre vie
. avec la leur, pour nous confondre de voir en nous le contraire de ce que
fant nous loüons en eux ? Que ne puis-je au lieu de ce portrait ébauché, que je
Jean, en les viens de vous tracer, le faire paroître en ma place , avec cet affreux appareil
Pcu.
ºut fi dont
que leilRoyaume
foutenoitdesfesCieux
paroles de feu?
approche: Peuple
Le fer d'Iſraël
est déja mis à; lafaites
racinepénitence,
de l'arbre,parce
qui
occupe inutilement la terre. Hélas! Dieu nous prelle depuis tant d'années de
nous convertir, & peut-être que nous rendons inuriles les ſemences de ſa
parole & de ſa grace par nôtre réſistance. Combien d'avertiff mens ſalutaires
negligez! combien de momens décififs de nôtre éternité perdus! La grace
nous pourfuit de tous côtez ; quoy que nous fastions pour nous dérober à ſes
inſpirations , elle ſe préſente à toute heure pour arrêter nos paſſions, & nous
nous rendons fourds à ſes reproches. Le même.
Il est aiſé Je conçois ce que le Fils de Dieu nous veut faire entendre , quand il dit,
de º ºit que ſon Bien heureux Précurſeur n'est point ſemblable à un roſeau battu des
# vents. Comment en effet, feroit-il postible qu'un homme qui n'entretient au
cun commerce avec le monde; & qui, par conſéquent , n'ambitionne point
femblable à les honneurs, ne defire point les richeſſes , & ne fait point ſa paſſion domi
un roſeau , nante des plaifirs, qui font les trois divinitez adorées dans le monde, & qui
de y cauſent ces mouvemens, ces agitations ; cestumultes & ces troubles dont
die a il est toûjours agité ; comment : dis-je , ſe pourroit-il faire, qu'un homme
lant de luy, tellement ſéparé du fiecle ; & ſi éloigné de fa conduite & de ſes crimes, fût
un fragile roſeau, qui pliat à la diſcretion des vents & des orages qui regnent
-
dans ce monde ? Il n'en eſt pas ainſi des mondains figurez par ces hommes fu
perbement vétus, qui vivent avec délices , dans les palais des Rois ; étant
| certain qu'ils ne font jamais dans un état de confistance. Et certes on ne les
voit jamais fans agitation ; les paſſions les emportent les unes les au
tres, & fouvent même les jettent dans la confuſion & dans le défordre. L'a
! mour les trouble, la haine les agite , l'envie les ronge, la jaloufie les dévore,
la joye les diffipe, la tristeſſe les abbat, la proſpérité les éleve i, l'infortu
ne les accable, la ſocieté les fatigue , la folitude les attriſte : le préſent les
dégoûte, le futur les inquiete. Enfin la mer n’éprouve point tant de flux, &
de reflux, que leur eſprit & leur coeur experimente preſque à toute heure,
d'altérations, & de changemens. Livre intitulé, Entretiens de l'Abbé fean, er
cớ du Prêtre Eufebe.
Abregé de la . A peine faint Jean-Baptiſte eût-il vû le jour, qu'il paſſa dans le deſert ; il y
* fut dans une pénitence, dans une mortification qui juſqu'alors, n'avoir été
# . connuë, ni pratiquée. Il y mena une vie fi pure, qu'avec raiſon on pouvoit
dire que c'étoit un Ange plûtôt qu'un homme : & il est certain qu'il falloir
| qu'il eût une vertu & une fainteté éminente pour donner le poids & l'autorité
néceſſaire au témoignage qu'il devoit rendre en faveur du Meſſie, lorſqu'il
dit, voyant que le peuple s'imaginoit qu'il pouvoit être Jesus-CHRIST :
Pour moy , je vous baptist dans l'eau: mais il en vient un autre plus pui Sant que
moy , des fouliers duquel je ne fuis pas digne de délier les cordons : ce fra luy qui
vous baptifera dans le Saint-Eſprit , & dans le feu. Celui qui étoit destiné
pour un ſi relevé miniſtére, ne pouvoit être trop diſtingué des autres hommes. .
P A R A G R A P H E S I X I E M E. 343
Sa naiſſance est prédite par un Ange, il ne reçoit la vie de ſon pere & de fa
mere, que par un miracle ; & par une conduite toute extraordinaire de la di
vine providence, fon nom lui eſt donné par ordre de Dieu, ou plûtôt par inf
piration du Saint Eſprit. Son pere est privé de la parole en punition de ce
qu'il n'avoit pas ajoûté foy aux paroles que l'Angeluy avoit dites, & l’uſage
ne lui en fût rendu , que lorſque voyant l'accompliſſement de la promeſſe
que l'Angelui avoit faite, il en fût rempli de joye, & on attribuë même à la
vertu de ſon Fils,quoique nouveau né, ce miracle furprenant fait fur fon pro
pre Pere. L'Abbé de la Trappe, dans fes réflexions morales fur faint Jean,
Tom. 3.
344
PoUR
LE P A N E G Y RIO U E
DE L APóTRE
SA I N T P I E R R E.
A V E R T I S S E M E N T.
| Uoyque l'Egliſe celebre en même jour la fête des Apôtres S. Pierre & S. Paul,
& que la plupart des SS. Peres & des anciens Prédicateurs n'ayent fait
qu'un éloge commun de ces deux grands Saints, nous ne ſuivrons pas pourtant cet
te méthode , puiſque ce n'est ni la coûtume , ni la maniére d'aujourd'hui; & nous
donnerons ſeparément des materiaux pour fournir à l'un & à l'autre de ces deux
Panégyriques.
Pour ce qui est de S. Pierre, dont il est icy question, il ne faut pas craindre de
manquer de matiére. Sa vocation à l'Apostolat, la dignité où le Fils de Dieul'a
élevé de fon Vicaire en terre, c” de Chef viſible de fon Egliſe, le pouvoir qu'il
lui a donné fur la terre & dans le Ciel ; la primauté fur les autres Apôtres, le
foin qu'il lui a commis de fontroupeau , qui est l'Egliſe univerſelle, & en un mot,
toutes les prérogatives dont il l'a honoré : ajoûtez les vertus néarffaires pour s'ac
quiter dignement d'un amploy ft illustre & f étendu, fa foy, fa charité, fon zéle ,
fon courage, fa chủte même & fa pénitence , fes grandes actions, fes grands tra
vaux, fon martyre , & le genre de fa mort : tout cela donne un beau champ pour
faire un excellent diſcours, pour peu d'art qu'on apporte de foi à bien choiſir fon
deffein, ó d'éloquence à le bien traiter.
Il faut meanmoins avertir que les avantages qui ont distingué faint Pierre entre
les autres Apôtres , n'ont pas été accordez à fa feule perſonne, mais encore à tous
fesſucceſſeurs quiferont juſqu'à la fin des fiécles , les Chef viſibles de l'Egliſefon
dée fur faint Pierre, aufquels tous les membres doivent être foumis & unis par la
profeſſion d'une même Foy, d'une même doctrine, & de toutes les véritez qui re
gardent la Religion é les mæurs: ce qui s'appelle Communion avec le S. Siége, dont
on ne peut guére ſe diſpenſer de parler en faiſant l'éloge de cet Apotre, & fans qzzo è
l'on ne peut être dans la véritable Egliſe , que le Fils de Dieu a fondée fur faint
Pierre.
v
PA R A
345
*
P A RAGR A PH E P R E M I E R.
*
=
le mérite , & n'en pas faire l'office ; c'est ne foûtenir qu'imparfaitement l'hon
ncur de fa charge. Étre élevé à une haute dignité, en avoir le mérite, en
remplir les devoirs & les fonćtions : c'eſt le comble de la gloire. C'est un
grand honneur à faint Pierre d'avoir été élevé à la prémiere dignité de l'E
gliſe : il luy est encore plus glorieux d'avoir eû tout le mérite néceſſaire à
cette dignité ; mais la conſommation de ſa gloire, c'eſt d'en avoir exercé &
rempli tous les devoirs & les fonćtions. Nous avons dans ces trois avantages,
la véritable idée de fa grandeur.
1 º. Saint Pierre élevé à la prémiere dignité de l'Eglife.
zº. Saint Pierre ajoûtant à cette élevation, des mérites proportionnez à ſa
dignité.
3 °. Saint Pierre rempliſſant parfaitement tous les devoirs & les fonćtions
de ſa dignité. Ces trois points feront tout le partage de ce diſcours.
Les conditions nécellaires à un fondement, capable de foûtenir un grand V I.
|
édifice, ſe peuvent réduire à trois. La prémiere, qu’il foir ferme & ſolide.
La feconde, qu'il ſoit profond à proportion de la hauteur du bâtiment. La
troifiéme, qu'il foit ample & large, embraffant toutes les parties de l'édifice.
Si le fondement n'est ſolide, il arrivera ce qui eſt dir dans l'Evangile , d'une
maiſon bâtie ſur le ſable: la pluye & les vents la feront tomber ; Deſcendit Matth. 7.
luvia, & venerunt flumina & flaverunt venti , Ğ irruerunt in domum illam :
& facta est ruina illius magna. Si le fondement n'eſt profond, il y a danger
que s'abbaiſſant par ſa propre péſanteur, & par celle du bâtiment, tout ne
s’en aille en ruïne. Enfin s'il n'eſt ample, & fpatieux , il n'en foûtiendra
pas toutes les parties, leſquelles tombant , entraîneront le reste avec elle:
Mais s'il y a de la ſolidité, de la profondeur, & de la largeur ſuffiſamment , il
n'y a plus rien à défirer.Voyons maintenant fi ces trois conditions fe font TCI)
contrées dans le Prince des Apôtres. Je trouve ſa fermeté & fa ſolidité dans
fa foy: Sa profondeur, dans ſon humilité: ſon étenduë, dans fa charité ; trois
vertús entierement néceſſaires aux perſonnes deſtinées à gouverner les ames ,
fpécialement aux Prélats, & au premier d'entr'eux plus qu'à tous les autres.
S’il n'a point de foy, ou qu'elle foit foible & languiſſante , comment confir
mera t’il fes-fretes : & comment nourrira-t'il fon troupeau du pain de la pa
role ? S'il manque d'humilité, la tête luy tournera, & en ſe perdant , il ſera
- X x ij
348 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. PIERRE.
cauſe de la perte de pluſieurs , & fi la charité luy manque , il n'aura foin que
de ſes propres interêts , & négligera ceux des autres. Mais le faint Apôtre
Pierre eſt bien éloigné d'avoir tous ces défauts : au contraire , il a les trois
conditions néceſſaires à un fondement.
1°. Nous en trouvons la ſolidité & la fermeté dans fa foy.
2°. Nous en trouvons la profondeur dans fon humilité.
3 °. Et l'étenduë de ſon amour.
V I I. Tu es Petrus , & fuper hanc petram edificabo Ecclestam meam. Matth. 16.
Les rares prérogatives de l'élećtion de faint Pierre à la dignité de Chef de
l'Egliſe univerſelle, méritent que nous y faifions un peu d'attention.
Matth. I 6. Iº. Le Pere Eternel l'a choiſi, en luy révélant la divinité de fon Fils : Bea
tus es , Simon Barjona, quia caro Ġ”fanguis non revelavit tibi, fed Pater meus
qui in cælis est. Vous êtes bien-heureux , Simon Fils de Jean , parce que ce
n'est point la chair, ni le fang qui vous ont révelé cecy, mais mon Pere qui
eſt dans les Cieux.
zº. Le Fils de Dieu l'a éprouvé, en fondant fa foy & fon amour. Il fonda
Ibidem. fa foy avant que de luy promettre les clefs de fon Royaume : Vos autem,quem
me effe dicitis? Et vous autres, qui dires-vous que je ſuis ? Il fonda fon amour
foann. 11. avant que de les lui donner ; Simon Joannis, diligis me plus his ? Pierre, m'ai
} mez-vous plus que ceux-cy ?
zº. Le Saint-Éſprit l'a confirmé au jour de la Pentecôte, en répandant ſur
Pfalm, 74. luy avec une riche effuſion, la plenitude de ſes dons ; Ego confirmavi columnas
ejus. J’ay affermi les colomnes de ſon état, & j’ay rendu ſa foy inébranlable.
Et toute la Sainte Trinité, ne lui a-t'elle pas donné un pouvoir admirable fur
| Matth. 16.
Ibid.m.
l'enfer ? Porte inferi non prævalebunt adverstes eam. Sur la terre ? Quodcumque
ligaveris ſuper terram , erit ligatum & in cælis. Sur le Royaume des Cicux.
Erit folutum & in cælis. -
| V I I I. Tu es Petrus, & ſuper hanc petram edificabo Eccleſiam meam. Matth. 16.
Le Sauveur du monde nous apprend dans l'Evangile, que celuy qui veut bâ
tir une maiſon, la doit appuyer ſur une pierre ferme & ſolide , afin qu’elle
puiſſe réſiſter aux débordemens des fleuves, & à la violence des tempêtes.
Ainſi quand il a voulu établir fon Egliſe, il a fondé cet édifice ſpirituel fur
une pierre inébranlable, afin qu'il pût réſister aux tempêtes des perſécutions ,
aux débordemens de l'impiété ; aux attaques de l'héréfie, & ſubfister juſqu'à
la fin des fiécles. Cette pierre n'eſt autre que ce Saint même ; de forte qu'il
faut diſtinguer dans ces paroles qu'il adreſſa à faint Pierre , ce qui regarde la
fainteté de cet Apôtre , qu'il veut récompenſer, & la dignité dont il veur
l’honorer.
1°. Les caraćteres de la fainteté de Pierre font foûtenus , 1º. d'une foy iné
branlable, 2 º. d'une humilité ſans fond » 3º. & d'une charité fans méſure.
Fu es Petrus , & c.
2°. Les privileges de fa dignité. Le Fils de Dieu l’a fait, 1 º. Prince des
Apôtres , 2 º. Chef de l'Egliſe univerſelle, duquel le pouvoir s’étend & fur la
Suprà. terre & dans les Cieux. Quodcumque ligaveris fuper terram , erit ligatum & in
cælis.
Ł X. O N peut prendre pour deffein , cet éloge que faint Bernard donne à un des
Succelleurs de faint Pierre. Tu es lapis ad fundamentum ; columna adfustenta
P A R A G R A P H E P R E M I E R. 349
tionem ; clavis ad regnum. Et montrer 19. qu’il eſt le fondement ſur lequel
l'Egliſe a été établie. 29. Une colomne inébranlable , qui foûtient tout l'édifi
ce de l'Egliſe. 3o. La clef, qui marque la puiſſance qu'il a dans le ciel & fur
la terre, pour ouvrir l'un, & gouverner l'autre. Les preuves de ces trois
avantages ſe trouveront dans les Paragraphes ſuivans. *
P A R A G R A P H E S E C O N D.
*
Saint Jérôme, in Epistola de vera Circumciſione, fait une juste & une longue
comparaiſon de faint Pierre avec Abraham.
Le même, Epist. 58. ad Damafum. déclare qu'il ne veut avoir de commu
-- - a
PAR A G R A P H E S E co N.D. : : 351
nion qu'avec la Chaire de ſaint Pierre, parce que c'est ſur cette pierre que
J E s u s-C H R i s T a établi ſon Eglife. - -
Saint Ambroiſe a fait trois Sermons ſur la fête des Apôtres S. Pierre & S.
Paul. Dans le prémier il parle de pluſieurs choſes qui regardent S. Pierre en
particulier ; dans le ſecond, il parle du ministére & des emplois propres de
l'un & de l'autre; dans le troifiéme, il parle de leurs ſouffrances, de leur mort,
de leurs avantages ſur les autres Apôtres. - - ' .'
Le même , dans le prémier Sermon fur la fête des deux Apôtres, rapporte
les travaux & les voyages de S. Pierre, & les converſions qu'il a faites.
Le Cardinal Pierre Damien a deux Sermons, l'un fur S. Pierre en particu
lier, & l'autre dans lequel il le compare avec S. Paul, & fait un agréable pa
ralele.
Le Pape Innocent III. auſſi deux fur la fête des deux Apôtres, où il ne par
le preſque que du bonheur de S. Pierre, de fa dignité, de ſa foy, de fa chari
té , & de fon pouvoir. *
S. Bernard a un Sermon pour la Vigile des deux Apôtres, & un autre pour
352 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. PIERRE.
|
|
le jour de leur fête, & deux autres où il traire de cette folemnité.
S. Bonaventure, dans un Sermon de la fête de S. Pierre & de S. Paul,
prend pour théme ces paroles de S. Matthieu : Vos qui fecuti estis me, fedebitis
füper fedes duodecim, &c.
S. Thomas a auſſi un Sermon fur la fete de ces faints Apôtres, où il compa
re S. Pierre au Soleil, & S. Paul à la lune, en prenant pour théme: Fecit Deus
| duo luminaria magna.
L'Abbé Guerric en a trois fur la fête de ces mêmes Apôtres ; mais le troifié
me paroît n'être qu'une continüation du ſecond.
| L’Abbé Odilon, Sermon de la Vigile de ces deux mêmes Apôtres.
Guillaume de Paris, un Sermon fur cette folemnité.
Hugues de S. Vićtor, tom. 2. Instit. Monastic. Serm. 68.
Gerſon a un Sermon fur S. Pierre & fur S. Paul, & fait leur éloge tantôt
en géneral, & tantôt en particulier.
Denys le Chartreux a trois Sermons: le prémier ſur les prérogatives de l'A
pôtre S. Pierre, le fecond ſur les deux Apôtres enſemble, le troifiéme ſur leur .
fếparation & leur martyre.
Les Livres . Le Pere Noüet a trois méditations fur S. Pierre , chacune diviſée en plu
ſpiritüels & ſieurs points,qui comprennent tout ce qui peut être mis dans un éloge.
3 Ulu TCS, Le Pere de la Porte Religieux Carme, troifiéme partie de la conduite de
la Grace, où il montre que la foy nous doit foûmettre à l'Egliſe & à la Chai
re de S. Pierre.
Le Pere Haineuve, vers la fin de la troifiéme partie de fes méditations, en
a une ſur la fête de Š. Pierre & de S. Paul. -
Du Pont & tous ceux qui ont fait des méditations fur la Paffion du Sau
veur, en ont fait une particuliére ſur le reniement de S. Pierre & fur fa péni
TCI)CC.
L'Auteur des Sermons fur tous les ſujets de la Morale Chrêtienne, dans la
troifiéme partie des Mystéres où il y a pluſieurs entretiens ſur la Paſſion,le qua
triéme entretien est ſur la chủte de S. Pierre & fur ſa pénitence. Le même en
parle encore fort au long dans le prémier tome des Myſtéres, qui eſt le neu
viéme tome de la Bibliothéque des Prédicateurs.
Je laiſſe les Théologiens ; les Interprétes, les Controverfistes qui ont parlé
du Chef viſible de l'Egliſe , le Souverain Pontife, ſucceſſeur de S. Pierre.
Les prédi- . Preſque tous les Prédicateurs anciens, comme Grénade, & les autres ont
cateurs mo- fait le Panégyrique de S. Pierre & de S. Paul dans un même diſcours. Les
*** Sermons
V. J » nouveauximprimez.
qui les ont ſéparez, ou ont parlé ſéparément de S. Pierre dans des
Molinier, quoiqu'un peu ancien, tome 2. de fes Panégyriques.
- Biroat, dans fes Panégyriques tome fecond.
Le Pere Texier
Senault,Prêtre de l'Oratoire,
tome tome prémier de la troifiéme édition.
| Le Pere Panégyriques prémier.
Le Pere Duneau, Panégyriques tome prémier.
Monſieur Fromentier, dans fes Panégyriques.
ir •
-
f. Monfieur l'Abbé du Jarry. -
P AR AGRAPH E T R O IS I E’ M E.
Ait illi Petrus ; etiamſi oportuerit me meri Pierre lui dit : Quand il me faudroit mou
Paneg. des Saints. Tome I. Yy
i
|
* 354 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. PIERRE.
rir avec vous , je ne vous renoncerai point.
tecum , non te negabo. Ibidem.
fefas dixit Petro : Sic non potuisti uná ho- Jeſus dit à Pierre : Quoy, vous n'avez pů
rá vigilare mecum ? Ibidem. veiller une heure avec moy ?
Recordatus est Petrus verbi jefu quod dixe- Alors Pierre ſe refouvint de la parole que
rat : priuſquam gallus ter m e negabis ; & Jeſus lui avoir dite : Avant que le coq chan
egreffus foras f'evit amarè. Ibidem. te , vous me renoncerez trois fois , & étant
forti déhors il pleura amérement.
Petrus fervabatur in carcere ; oratio autem Pendant que Pierre étoit gardé dans la pri
febat fine intermistone ab Eccleſia ad Deum fon , l'Egliſe faiſoit fans ceſſe des priéres à
pro eo. Aċt. I 1. Dieu pour lui.
Dicit Simoni Petro fefus: Simon Joannis Jelus dit à Simon Pierre: M'aimez vous
diligis me plus his ? dicit : Etiam Domine, tu plus que ne font ceux-cy 2 il lui répondit :
fris quia amo te. Dicit ei : Paſce agnos meos. Oüy » Seigneur , vous fçavez que je vous ai
Joan. 21. me , & Jeſus lui dit : Paiſſez mes agneaux.
Dicit ei tertiò ffus, Simon foannis amas Jeſus lui demande pour la troifiéme fois :
me ? Ibidem. Simon fils de Jean , m'aimez-vous ?
Dixit ei Petrus : Domine, tu omnia nosti ; Pierre lui dir : Seigneur, vous connoiſfez
tu fais quia amo te. Ibidem. toutes choſes, vous fçavez que je vous aime.
Cum effes junior, cingebas te, Cr ambula- Lorſque vous étiez plus jeune, vous vous
bas uti volebas : Cùm autem fenueris , ex- ceigniez vous-même , & vous alliez où vous
fendes manus tuas , ở alius te cinget, će vouliez ; mais lorſque vous ferez vieux, vous
ducet quò tu non vis. Hoc autem dicebat , étendrez vos mains, & un autre vous cein
fignificans quá morte clarificaturus effet Deum. dra & vous menera où vous ne voulez pas.
Ibidem. Il dit ces mots pour marquer de quelle mort
il devoit glorifier Dieu.
Rogavi pro te, Petre, ut non deficiat fides J'ay prié pour vous , Pierre, afin que vô
tua. Luc. 22. tre foy ne défaille point.
il commanda à tous les peuples de l'Egypte, de fléchir le genoux devant qu'il étoit
luy; que Jesus-CHR ist, Souverain Monarque du ciel & de la terre, hono- ſon favori,
ra faint Pierre, lorſqu'il luy mît les clefs de fon Royaume entre les mains ; qu'on
, lºy
Tibi dabo claves Regni cælorum. Puiſqu'en même temps, ſuivant l'interpréra doit à ren
Jo
tion de faint Leon , il lui fit part de ce fouverain empire qui lui appartient, f:ph par
par les droits de ſon éternelle naiſſance: Que mihi potestate fint propria, funt l'ordre de
tibi mecum participatione communia. C'eſt donc du Prince des Apôtres que fe l'haraon ,
peuvent vérifier , dans un ſens tout particulier , ces paroles : Dabo ei federe n'eſt que la
figure de ce
mecum in throno meo : Je luy accorderai cet avantage que de le faire f1eoir iuy quc lc
fur mon trône. Mais quel eſt ce trône ? c’eſt l'Egliſe de Jesus-CHR1 sr q
qu’il Fiís de Dieu
a confié à la conduite de faint Pierre. a fait à S.
Pierre, en lui
Ce fut un prodige qui étonna tout l'univers , quand David fans armes donnant les
terraſſà Goliath , ce geant effroyable , qui étoit tout couvert de fer. Mais clefs de fon
Dieu n'a pas coûtume de donner la vićtoire aux fiens avec le fer. David prend Royaume.
un bâton à fa main , il choiſit quelques pierres, & ce font là toutes ſes armes. Matth. 16.
Il marche réſolument au combat , & ne ſe fert que d’une P qu’il enfon Apocal. 3.
pierre, q
ce dans le front du Geant. Ce Colloſſe de chair tombe aux pieds de David, Alluston
il luy coupe la tête, & l'emporte. Les Saints Peres n'ont pas dédaignez de que quel
fe ſervir de certe hiſtoire, pour en faire une alluſion à la grande vićtoire que ques Saints
Peres font à
le petit fils de David , je veux dire, le Sauveur du monde a remporté, quand la pierre
il ſe rendit maître du monde. L’Univers étoit ce Colloffe , tout couvert de avec laquel
fer, par la multitude de ſes crimes & de ſes abominations, qui le rendoient leraffat
DavidGo
ter
impénétrable à la lumiere de l'Evangile. Rome étoit la tête de ce Colloſſe. liat
* r A *
|il, , . . *. *
.
- t.
' . ::
ulti-i-i-i-i-zii ––
|
|
34o , POUR LE PANEGYRIQUE DE S. PIERRE.
fe qu'il en a rem, benedicentur infemine tuo omnes gentes terre. Quy » Pour m'avoir rendue
reçủe , eſt, fidéle témoignage de ta foy, je multiplieray ta postérité au-delà des étoiles du
plus Ciel; je l'établiray fi bien, qu'elle ſubſistera dans tous les ſiécles , & je l'éten
, dray en forte qu'elle remplira toute la terre. C'est la plus magnifique promeſſe
& la posteri- que Dieu ait faite dans l'ancienne Loy, & la plus haute récompenſe que ce
té nombreu- Patriarche pouvoit eſperer. Mais cette promeſſe & cette récompenſe ap
| proche-t-elle ſeulement de celle qu'on donne à faint Pierre ? On le fait com
me ce faint Patriarche, le Pere des Fideles, & le Chef non pas d'une Nation
ſeulement, mais de toute l'Egliſe, qui comprend tous les peuples & toutes
les Nations ; on multiplie fes ſujets au-delà des étoiles du Ciel, puiſque cette
multitude de Saints qui doivent entrer dans cet heureux féjour, feront foû
mis à fa juriſdiction. Il étendra fon domaine de l'un à l'autre Pole, pour ne
faire qu'une Egliſe de tout le monde,dont ce faint Apôtre est déclaré le Chef,
& il ſemble que ce ſoit en ſa faveur qu'il la fera ſubſister juſqu'à la fin des fié
cles, & qu'il l'affermira de telle forte, que toutes les fecouſſes & tous les ef
Matth. 14. forts des Plus violentes perſecutions ne la pourront jamais renverfer ; & ſuper
hanc petram edificabo Eccleſiam meam ; G porta inferi non prevalebunt adver
JMJ 641772,
|
362 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. PIERRE.
Augustin, & fur vous, je fonderay tout l'édifice de mon Eglife.
f. . Tu , aliquandò converſus, confirma fratres tuos. Joan. 21. Quand vous ferez
converti, & vous ferez revenu de vôtre égarement, travaillez à rappeller
de vos freres diſperfez, à les raſſembler , & à les confirmer. Or n'est-ce pas ce
plus propre que faint Pierre a fait ? & n'eût-il pas une grace particuliere pour gagner les
er coeurs les plus endurcis, pour convaincre les eſprits les plus opiniâtres, &
, pour leur inſpirer le don de la foy ? Dès les prémieres prédications qu'il fit
” aux Juifs , ne ſoumit-il pas à l'Evangile, tantôt juſqu'à trois milles ames,
vaincre les & tantôt juſqu'à cinq mille ? Et dans le cours de fon Apoſtolat , combien de
e is opi- Provinces a-t'il éclairées, combien d'Egliſes a-t'il fondées ? Il parloit à des
"*"*" Juifs ennemis déclarez de la loy qu'il leur annonçoit ; il parloit à des payens,
élevez dans les ſuperstitions & les ténébres de la plus groffiere idolatrie : &
cependant il les perſuadoit, il les fanćtifioit, il en faiſoit de parfaits Chrê
tiens. Nous vous préchons la même loy que lui , nous vous annonçons les
mêmes véritez: par quel monstrueux renverſement ne font-elles pas auffi effi
caces dans le centre du Christianiſme, qu'elles l'ont été au milieu du Judaïſ
* me & du Paganiſme ?
Reſpondit Simon Petrus : t34 ef Christus Filius TDei vivi , Matth. 1 6. La belle
confeſſion de Saint Pierre : c'est un témoignage autentique de ſa foy & de
de s. Pierre, fon zéle pour Jesus-CHR1sT. C'eſt une excellente inſtrućtion, qui nous ap
elle nous ap- prend ce que nous devons croire: qui nous fournit des armes puistantes pour
P combatre tous ceux qui ofent attaquer nôtre foy. C'eſt un parfait modéle que
nous devons ſuivre. Pour donner à Jesus-Christ des preuves de nôtre fidé
re de la pel- lité, nous ne pouvons employer des termes qui marquent mieux ce que nous
fonne de devons penſer, que ceux dont faint Pierre s'eſt fervi. Répétons fouvent avec
! " " : cet Apôtre : Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant. Il confeſſe que Jesus
°****** Christ est le Christ ; c'est à-dire , le Meſfie, prédit par les Prophétes,de
firé par les Patriarches, attendu depuis long temps. Il n’en demeure pas là : il
reconnoît que Jesus-CHR 1st eſt le Fils du Dieu vivant. Saint Pierre, par ces
paroles, déclare non-feulement que Jesus-CHR 1st eſt le Fils de Dieu : mais
il foûtient, comme porte le texte Grec, qu'il est le Fils unique de Dieu , le
Rom. f4. Fils par excellence. Il foûtient felon faint Chryſostome, qu'il est ce Fils qui eſt
in Martkº né de la propre ſubstance du Pere : qu'il eſt Fils d'une maniere unique, & in
communicable à tout autre. Ce qui précede la réponſe de faint Pierre nous
fait affez voir, que ſon destein eſt d'élever Jesus-CHR 1st au-deſſus des Pro
phétes, car les Prophétes étoient enfans de Dieu par adoption ; quand donc il
affâre que Jesus-CHR 1sr eſt le Fils de Dieu,il veut dire qu'il est le Fis de Dieu.
par nature. Pluſieurs ont confeſſé que Jesus-CHR 1st étoit Fils de Dieu :
ils n'ont pas pour cela mérité le même honneur que faint Pierre reçoit
en ce jour ; c'est qu’ils n’ont pas reconnû que Jesus-CHR 1st êtoit le Fils de
Dieu en la maniere que faint Pierre l'avouë.
Comme la Beatus es Simon Barjona , quia caro & fanguis non revelavit tibi: fed Patex
. meus qui in cælis est. Matth. I 6. Rien n'est plus propre à nous inſpirer une
: * haute idée de la confeſſion de faint Pierre, que la réponſe de Jesus CHR i sr.
inſpirée par Kous êtes heureux, Simon , Fils de Jean , parce que ce n'est point la chair cr le
tev:lation fang qui vous ont révélé cecy : mais mon Pere qui est dans le ciel. Saint Pierre
""° aimoitardemment Jesus-Christ : néanmoins ilne doit point être ſoupçonné
*
Tu es Petus, & ſuper hanc petram edificabo Ecclestam meam. Saint Pierre , Saint Pierre
comparé aux autres Apôtres, eſt le principal fondement fur lequel le Sau- a été décla
veur du monde a bâti l'Egliſe ; il eſt la prémiere rene, le Chef de tou-
}
| l'Evangile , & qu'il dit être au dedans, des loups raviſſans ; il étoit néceſſaire
qu'il y eut un Chef dans l'Egliſe, pour y conſerver l'unité pour y juger défi
nitivement les cauſes de la foy. Il a été néceſſaire que l'Egliſe de J es u s
CHR 1st eût un Chef, pour qu'elle pût être diſcernée des Sectes inventées
| par les hommes, qui font gouvernées par la multitude & la confuſion. C’est
cette ſeule Egliſe que le Sauveur a fondée ſur ſaint Pierre ; & fes Succeſſeurs
de fuite en ſuite, en feront toujours les Chefs juſqu'à la fin des fiecles.
Le tang, le Tibi dabo claves regni cælorum. AMatth. 6. Ces paroles ſont le fondement de
pºuvoir : l'autorité de faint Pierre fur toute l'Egliſe, comme il eſt dit de J E s u s
l , C H R 1 sr dans l'Apocalypſe : habet clavem David, pour marquer ſon auto
que donne a „: , - 3* (T) • . . _ , * - * 3 – – –"
fanititatis. Idem ferm. 66. de Natali Apoſt. la ſuperſtion, fe trouvât auſſi le principe de
Petri & Pauli. toute fainteté.
Tantam ei gloriam dedit Deus , ut inverſis Dieu accorda cette gloire à faint Pierre
christum honoraret ; metuens nest d'imiter le Sauveur en croix : mais dans une
in eå ſpecie crucifixus effet quá Dominus, af poſture renverſée, ayant les pieds en haut ,
festaffe Domini gloriam videretur, Idem in de peur que s'il eût été crucifié de la même
Expofir. in Pſalm, 118. ferm. 2.I. maniere, il ne ſemblât avoir affecté la gloire
de mourir comme luy.
||
;
+ ' "
facratus cælorum magister, arcanorum in autres Apôtres , le maître des cieux , l'inter
terpres, mutantium confirmator, lapfos eri prete des divins ſecrets , il foûtient ceux qui
gens, Fænitentia dux ardentiffimus , deniquefont ébranlez , releve ceux qui font tombeż ;
magnum illud terrarum orbis miraculum , c'eſt le guide des pénitens,le miracle de l'uni
Christi os, mens cælestis, omni pradicationevers; Il eſt la bouche de Jesus CHR 1st même,
digniffimus. Sanctus Chryſoſtomus homil. c'eſt un eſprit tout céleſte , un Saint , en un
de vinculis Petri. mot qui mérite toute 1orte de loüange.
Petrus omnium erat os, fed astabant illi Saint Pierre étoit l'oracle , par la bouche
undecim testimonio fuo comprobantes qua ab duquel parloient les Apôtres , tous les on
illo dicebantur. Idem in act. Apoſtol. étant préfens , approuvoient ce qu'il di
Ol T.
Quamvis, Petrus homofit mortalis, cælesti Quoyque Pierre fût un homme mortel, il
| tamen pollet potestate. Idem de funn. Trinit avoit cependant un Pouvoir plus qu'humain,
l. 1.
Hic est vertex omnium Apostelorum , huic
& tout divin.
C'eſt le Chef de tous les Apôtres, on lui
primus thronus , hute fumma potestas , Ó promet le prémier trône, on lui donne une
magnitudo ineffabilis promittitur , dum illi fouveraine authorité, & une grandeur qui
dicitur tibi dabo claves regni cælorum. Idem ne ſe peut exprimer ni comprendre, quand
homil. 3 5. in Matth. on lui dit , je te donneray les clefs de mon
Royaume.
Non aliunde oborta funt hareſes , aut na Toutes les héréſies n'ont point eû d'autre
ta funt fchifmata , quam inde , quod Sacer fource, ni les ſchiſmes d'autre cauſe, que de
doti Dei , id est Petro, cr ejus ſucceſſori non ce qu'on n'obéit pas au fouverain Prêtre du
obtemperatur. S. Cyprianus. Epiſt. ad An Seigneur ; c'eſt-à-dire , à Pierre & à ſes ſuc
nenſe. - -
In cunftorum Apostolorum flentio, Dei Fi Lorſque tous les Apôtres garderent le filen
lium, revelatione Patris , Petrus intelligens ce, quand le Fils de Dieu les interrogea,
locutus est quod vex humana nondum protu quelle opinion les hommes avoient de Tuy s
lerat. S. Hilarius l. 6. de Trinit. Pierre inſtruit par révélation du Pere céleſte,
- -
répondit ce qu'aucune voix d'homme n’ayoit
encore prononcé. - - i
vi Princeps caputque caterorum , Petrus Pierre, comme le premier- & le Chef des
exclamat, tu es Christus Filius Dei vivi. autres Apôtres, s'écria: Vous étes le CHRIsr
S. Cyrillus in Joan. Fils du Dieu vivant.
-
Prius Agnos deinde oves, Christus Petro Jesus-Christ donna à faint Pierre pré
commiſit ; quia non folum Pastorum Qvium, mierement le foin de ſes agneaux, & en -
|
fed Pastorem Pastorum constituit.Euleb.Emiſ. fuite le foin & la conduite de ſes brebis, par2
vel potius Sanctus Eucharius , vcl Cæſa ce qu'il n'eſt pas ſeulement le Paſteur de fod
rius. -
- -
, troupeau, mais encore le Paſteur des Pasteurs
mêmes. - -
cæli fudex Petrus. s. Hilarius in Pſalm. . Saint Pierre est le Juge du .ciel.
-
.."
I 1 I.
's beatus Cæli jamiter, cujus arbitrio cla Bien-heureux portier du ciel , à qui fon
ves aterni aditus traduntur ; cujus terrestre donne la clef de cette celeste: demeure, &
judicium prajudicata authoritas fit in cæle, dont le jugement porté ſur la terre fait un
Idem. -
préjugé de celui qui fera porté dans le ciel."
|
Bono anitatis, Petrus ó preferri omnibus Pour conſerver le bien de l'unité , făint
Apostolis meruit ; ó claves cælorum cºmmu Pierre a mérité d'être préferé à tous les au
nicandas cateris folus accepit. Optatus Mi tres Apôtres, & a reçû ſeul les clefs du ciel
levit. contra Parmenianum. pour les communiquer à tous les autres.
Magnum Eccleſia fundamentum Petrus, 6°
davit Eccleſiam. Origenes.
vt per faeram Beati Petri fedem , Roma
Saint Pierre eſt le grand fondement de
petra Érmiſſima , ſuper quam Christus fun l'Egliſe, & la pierre ferme & iu branlable ,
fur laquelle
Egliſe.
j &
Afin que Rome êtant le Siege de cet Apô
caput orbis effetta, latius preſideret, religiºne tre, & la Capitale de l'univers , étendit les
diviná, quàm dominatione terrená. S. Leo bornes de fon Empire beaucoup plus lo n par
a: établi cette
|
ferm. in Natali Apoſtol. la religion de faint Pierre que par les armes
de ſes conquérans. 2 - - - - -
De toto mando unus Petrus eligitur , qui Saint Pierre eſt choiſi entre tous les hom
univerſarum gentium vocatieni, cr ºmni mes, pour préſider à la vocation de toutes
, cunäiſque
bus ApostolisIdem Feeleste,
ferm. 3. de Patribus les nations , à tous les Apôtres, & à tous les
preponitur. Elect. fua. Peres de l'Eglife. - - -- . .
vidit Petrus mentis oculis filinm Dei vivi » Pierre a vů des yeux de l'eſprit le Fils du
c5; confeffus est gloriam Deitatis. Idem ferm. Dieu vivant, & a confesté la gloire de ta Di
vinité, -
de Transfigurat. -
' . . .
|
yo , poUR LE PANEGYAIQUE DE S. PIERRE.
* «
– –– - –––
–
–
-
* "' io - |- : . . º , ', : t. t. y. , -
en i NL dance fur tous ceux qui compoſent l’Egliſe: De roto mundo unus Petrus
rain Paſteur eligitur , qui univerſarum gentium vocationi , c omnibus Apostolis , cunctiſque
qui a inten- Patribus Eccleste preponitur. Les ſucceſſeurs des autres Apôtres, dit ſaint Ber
nard, ont des Egiles & des troupeaux particuliers qui leur font aſſignez::
mais tous en general font comunis au ſuccesteur de faint Pierre : Tibi universt.
compoſ ne fant crediti, ani unus: nec modò ovium, fed Pastorum. En voicy la preuve, dit
l'Egliſe. . ce Saint; c'est fếulement à faint Pierre que J E s u s-C H R 1 s r a dit ces
z e CT.
3. de paroles: Paſce agnos meos , paſse oves meas ; paiſſez & gouvernez mes agneaux,
.. i, c'est-à-dire; les peuples & les ſujets de l'Egliſe : paillez & gouvernez austi les
c ... brebis, c'eſt-à-dire; les peres & les meres des peuples, qui ſont les Evêques.
Quand il a dit mes brebis, il ne les a point diſtinguées : il n'ena excepté au
cànés ; il les a donc toutes données : Nihil excipitur, ubi nihil distinguitur.
Jacques s'est contenté du troupeau de Jéruſalem, iaitlant l'univerſalité à fainc
Pierre : Jacobus una contentus est Hieroſolyma, Petro univerſalitatem cedens.
Dans cette univerſalité fi bien décrite , forrement prouvée par faint Ber
nard, font compris non-ſeulement tous les Princes Spiritüels de l'Egliſe: mais
encore les Einpereurs, les Rois, les Souverains temporels, qui doivent une
obéiſſance filiale à faint Pierre & à ſes fucceſſeurs, pour ce qui touche le regne
fpiritüel, & qui reçoivent les Loix & les Ordonnances Eccléſiastiques qui éma
nent de ce Trône. Nous pouvons donc appliquer à ce Souverain Paſteur de
ifai. 49
l'Egliſe ces paroles d'Iſaïe : Les Rois verront la gloire dont Dieu t'a couronné :
ils conſidérerant en ta perſonne la Majesté de celui qui diſpoſe de leurs cauronnes ;
ils fe leveront en ta preſence , & s'humilieront devant toy, reconnoiſſant que tu
a été choifi de Dicii comme fon Vicaire & fon Lieutenant fur terre.
| comme cet- , L'univerſalité de la Juriſdiction de faint Pierre est exprimée par l'uſage des
te juriſdic- Clefs du Royaume des Cieux que le Fils de Dieu lui a confiécs, & encore
tion du plus clairement par ces paroles: Quodcumque ligaveris ſuper terram, erit liga
tum & in cælis : & quodcumque ſolveris ſuper terram , erit ſolutum & in calis.
verfelle. Cela est admirable, dit faint Leon ; voyez comment J e sus-C H R r s t ap
Matth. 16. pelle cet homme dans la participation de tout le pouvoir qu'il a reçû de fon
Pere pour le bien & lá ſanctification des armės: Magnum & mirabile i huic vi
ro potentia ſua confortium tribuit divina dignatia.Le Siége de ſaint Pierre,fiémi
nent en fainteté est univerſel dans ſon autorité, il eſt d’une ſolidité inébran
lable. L'Empire des Romains étoit le plus Horiſſant qu'il y eût eû juſqu'alors,
il s'étendoit par tout le monde conhů; mais Pierre ayant établi ſon Siege dans
la Capitale du monde Payen, ce ſuperbe Empire a commencé à s'ébranler »
& est enfin difparu à la lumiere qui fortoit du Siége de faint Pierre. Ce faint
homme a établi fon Palais ſur les ruines des temples des faux Dieux, & les
habitans de cette orgueilleuſe ville instruits par ce Souverain Pasteur, lui ont
fcrvi eux. mêmes à rendre ſon édifice inébranlable. Le P, Texier.
--- « '. , -, ) »
»
P A RA GRAPH E CINQUIEM E. 37t
On demande pourquoy le Fils de Dieu ayant protnis les clefs de ſon Rºyau- n-.-.-;
me à faint Pierre pendant ſavie mortelle, il ne les lui a données qu'après fa :
glorieuſe Réſurrection. Une raiſon de cela est qu'il n'était pas juſte que faint ‘;
Pierre ouvrit le Ciel avant ſon cher Maître qui ne le devoir ouvrir qe par ſa ſaint, Pierre
mort ; car le pouvoir des clefs dépendoit de la Pastion & de la mort di Sau les clefs du
veur, d'où tous les Sacremens tirent leur origine & leur vertu. C'eſtà ſa mort qu'aprés
qu'on en attribue la force, parce que c'eſt à elle que toutes les parties de ſa
vie ſe terminent. Une autre raiſon est que le Sauveur du monde prévoyoit la qu'il i
châte de ſon Apôtre , & dans certe vűë il ne vouloir pas lui donner le fouve ců: promiſes
rain pouvoir
vrerfa ſur ſonpénitence
grace parla Egliſe , iqu'après lui avoir
afin qu'on ne patfait
paspleurer
dire niſaſoupçonner
faute & reco
qu'il- Pvic mortelle.
eût jamais perdu les clefs du Ciel. Et de plus, il eroit à propos de les mettre
entre les mains d'un homme qui n'eût pas l'eſprit d'Elie, pour fermer le Ciel, * * * *
ou pour en faire deſcendre le feu furles pécheurs : unais un eſprit de douceur, s * ** . .
pour compatir à leur miſere, & les porter dans ſes entrailles, comme Moyſe
qui ſouhaitoir d'être effacé du Livre de vie, ſi Dieu ne détournoit ſa colere &
ne pardonnoit à ſon people. C'est pourquoy il nous a donné pour Chef un
homme pécheur comine nous, mais Pénitent , , afin que de fa part il eût de la
tendreſſe pour nous, ſefouvenant de fa fragilité, & que de la nôtre nous euf
fions plus de confiance en Dieu, & plus de courage & de ferveur, pout faire
ſon exemple: On peur encore ajoûter que le pouvoir de remettre
es pechez & d'ouvrir le Ciel aux pécheurs par le moyen des Sacremens, eft
un privilege non de la Synagogue, mais de l'Egliſe,qui est fortie du ſacré Cộ.
té de J es u s-C H R i s r crucifié. . :,: -
t
" " - '. . . . . . .
-
ti C "- o
* : *
-
nier, je vous donneraile filet de l'Evangile, dans lequel vous prendtez tou
tes les nations & rous les peuples de l'univers ; vous n’aviez que des flots &
des vents à combattre, vous aurez ſur les bras toures les Puitlances du mon
de & de l’enfer : mais vous en ferez vićtorieux ; enfin vous ne Preniezaupara
vant que des poilſons, & je vous ferai Peſcheur des hommes, & je vous'don.
nerai pour employ la conquête des ames & l'empire de tous les coeurs : Fa
ciam vos pifcatores hominum. Ce n'est pas ſeulement pour marquer le change
ment d'état, qu'il change le nom de cet Apôtre : c’est encore pour marquer i
le changement de ſes moeurs; & c'eſt par cette raiſon que les Souverains l’on ' '
tifes qui font les ſucceſſeurs de faint Pierre, changent de nom à ſon exemple, , , -
pour fe fouvcnir du changement de leur vie , qu'ils font obligez par la di : – !
de cur Charge de porter a vertu au plus haut point de la perfection.
ɔ - - - - * a) - *
... . .
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|
4
|
je bâtirai mon Egliſe s je ne m'en étonne pas : ce font des Acéphales ſucceſ i F
| | || * *
feurs des anciens Héretiques de ce même nom, qui ne veulent point avoir de - , ,
- |
Chef, & qui par conſéquent veulent vivre dans le tumulte & la confuſion. |- | 1.
i ,
Y
Nous avons bien d'autres confeillers à ſuivre, que ces nouveaux venus, & de i { : - • |
| | | * ,
lus sûrs interprétes des paroles du Fils de Dieu, que ces étrangers. Ce ſont ' '* . ' |
'
-
-
SS. Peres qui nous instruiſent, que Dieu a mis dans fon Egliſe comme des , ,
ni , dit S. Ambroiſe; Pierre cſt appellé le Roc ſur lequel est appuyé tout l’ou | -
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,
vrage de la Religion Chrêtienne. His verbis Petro totius Eccleſia cura commista -
*
est, dit faint Grégoire ; par ces paroles, la charge de toute l'Egliſe a été ccm }
, * | *
miſe à faint Pierre. Paſcit Petrus agnos , pafcit & oves ; pafcit filios, paſcit & 4 |
matřes ; regit & ſubditos & prelatos. Omnium igitur ‘Pastor est, quia preter , '
. . "
| :
i.
|
agnos & over, in Eccleſia nihil est. Pierre paît les agneaux, il paît auffi les bre *
:
|
bis ; il nourrit les enfans , il nourrit auffi les meres ; il gouverne les ſujets &
les Prélats. Il est donc le Paſteur géneralement de tous, parce qu'il n'y a que *
*
*
.*
l'Egliſe, ſucceſſeur du prémier Chef de l'Egliſe S. Pierre, que nous ſommesin- foûm fien à :
: : : :
corporez dans l'Egliſe , & regardez comme membres de ce grand corps. Sans l'Eglife & au . ; : •
cette foûmiſſion génerale à l'Egliſe , & particuliére au Chef & à toutes les * |r -
. .. la
véritez propoſées par l'Egliſe comme articles de Foy , nous ne ſommes plns , - *
puiſſe nousvivans
membres fervirdeà lal'Egliſe , & nousAinſi
vie éternelle. n'avons plus dene rapport
quiconque croit pasà l'Egliſe,
un articlequi
de mes de
meml'E
|* .
:
Foy propoſé par l'Egliſe, ne peut être cenſé enfant de l'Egliſe, & ne doit être gilles *
hanc petram. Et ce n'est pas encore à la ſeule perſonne de faint Pierre que cette ::::::e |
| |
promelle a été faire, comme l'ont prétendu les Novateurs, exclüant tous les - i
Souverains Pontifes qui lui ont ſuccedé , & qui lui ſuccederont juſqu'à la fin feabo Eccle
des fiécles: mais c'est auſſi à tous fes ſucceſſeurs que le Sauveur du monde a fam meam: , - :
fait cette promeſſe en la perſonne de faint Pierre, qui dans cette occaſion ré | --
a uj || *'
***
: ,
, ,
. ; -
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|
perpetüelle de ſon divin Eſprit dans les questions douteuſes de la Foy. Dans
les : Rogavi ces paroles du Sauveur il y a trois choſes à remarquer. Premierement, il pré
prº toPetre, dit à ſaint Pierre que l'état perperüel de fon Egliſe fur la terte, fera un etat de
": "!”
eiat fides“f
tentations & de combats. C’est ce que ſignifient ces paroles qui précedent im
/ 1 • * * / *
| Il est certain que le fecours que le Fils de Dieu promet à ſon Egliſe en la
perſonne de faint Pierre & de ſes ſucceſſeurs les Souverains Pontifes, c'est l’aſ.
mer à fon ſiſtante de ſon Saint-Eſprit , qui la doit éclairer dans ſes ambiguitez & dans
Eeli » eſt ſes doutes, lui réveler toutes les vérirez, lui découvrir les ſens les plus cachez
de l'Ecriture Sainte , former fes déciſions, régler fes jugemens, & la rendre
"" 'infaillible dans fa doctrine & dans la foy. Mais en qui s'accomplira cette pro
i -
P A R A G R A P H E C IN QUI EM E. 375
|
meſſe ? Est-ce dans la multitude des fideles, comme l'ont prétendu les Here e lui rega:
tiques de nos jours, avec autant de frénefie, que de témerité ? * -
On peut remarquer deux avantages & deux prérogatives que le Sauveur du piere qui
monde promet au Prince des Apôtres par ces paroles : J'ay prié pour vous , parlent au .
afin que vôtre foy ne défaille point. L'une de ces prérogatives regarde S. Pierre d , "E
|
|
en ſa propre perſonne, & s'arrête à lui ; l'autre e regarde en qualité de Chiff
de l'Egliſe, & elle paſſera de lui à tous fes ſucceſſeurs. Prémierement, le Fils - , O
de Dieu promit à faint Pierre une aſſiſtance individüelle & attachée à ſa per- Comm: il
fonne, en vertu de laquelle il conſerva la foy juſqu'à la fin , & ſe rendit vi- faut enten
ćtorieux de la puiſſance de Satan: Quando rogavit ut non deficeret fides ejus, o:
dit faint Augustin, rogavit ut haberet in fide liberrimam, fortiffimam, invittif: , , :
fimam & perſeverantiffimam voluntatem. Il ne lui promit pas qu'il ne feroit u ist."
point tenté ſur ce point, & que la crainte de la mort ne feroit pas plus forte fiat f es :
pour un temps dans fon coeur, que l'amour qu'il avoit pour ſon Maître: mais “: r
il lui dit que fa foy qui feroit combattuë par la malice de Satan , ne ſe per- i.
droit pas entiérement dans le combat ; comme s'il lui diſoit, ajoûte un Inter- lib. i. e.
préte : Quamvis brevi tempore concutiendus fis : habes recondita femina fidei. rep. & gra
Quoique ta foy foit ébranlée pour un temps, en réniant ton Maître à la paro- “ “ “ .
le d'une femme, tu conſerveras toûjours dans le fond de ton coeur les femen- * -
* - *
ces de la foy. C'est là le prémier de ces paroles : J'ay prié pour vous,
Pierre, afin que vôtre foy ne défaille point. Secondement, il eſt aifé de voir
que le Fils de Dieu étend plus loin cette affistance , & que comme il regar
doit faint Pierre en qualité de Chef de ſon Egliſe, & qu'il vouloit l'établir
Prince fur toute ſa maiſon , il lui promet une affistance infaillible & perpe- -
tüelle de ſon divin Eſprit, qui doit paſſer de ſa perſonne à tous ſes ſucceſfeurs. , ,
C'est dans ce ſens que tous les Peres ont entendu cette parole du Sauveur : .. . .
J'ay prié pour vous , Pierre, afin que vôtre foy ne défaille point ; non com
me dite à la ſeule perſonne de S. Pierre , mais comme dite à tous les Souve
rains Pontifes qui lui ont ſuccedé, & qui lui ſuccederont juſqu'à la fin des
fiécles. - . . . -
ra lié dans le ciel : & tout ce que tu délieras fur la terre, fera délié dans le ciel.
Et cette promeſſe, qui ne pouvoit manquer d’être accomplie, le fut, lorſque
le Fils de Dieu, après ſa Réſurrećtion , lui dit trois fois conſécutivement,
Pais mes agneaux. , foam, ao, º
Il est vray que , felon le fentiment des Peres , & principalement de faint Difference
ri,
| Ep. f ; cr
7;.
Jesas-Christ; qu'il avoit appriſe par révélation, & que les autres ne la
fçûrent que par lui, qu'ils ne répondirent que par ſon organe , en lui adhé
H erºs ad rant en cette grande occaſion : auſfi Jesus Ceir 1st, en faveur de cette pri
yerffºvi" mauté de confělſion , lui a donné la primauré fur tous les autres, en le conſ
b.ar. tiruant leur Chef,& cet Un, cette origine,ce fondement, & ce principe d'uni
F n i... té ſur lequel il a établi l'Egliſe à l'égard de ſon miniſtere. De forte qu'encore
De la pri que tous les autres ayent reçû immédiatement de Jesus CHR1st le pouvoir
de lier & de délier & de gouverner leurs Egliſes, ils ne le peuvent exercer,
on. qu'en vertu de l'union qu'ils ont avec faint Pierre, fans laquelle ils ne feroient
plus dans l'unité, ny conſéquemment dans l'Egliſe. Et c'est ſur cela que la
pierre en Primauté de ſaint Pierre est fondée, & qu'il est après Jesus-ChR 1st , & non
vůë de ſa pas comme lui, par fa propre puiſſance & vertu , mais commiſſion , le
y.
fondement & le Chef
nité, ſur lequel elle eſtdeétablie
l'Egliſe,
& l'origine
fondée. , le principe, & le centre de l'u
La haire Certe Chaire est une , diſoit faint Optat Evêque de Miléve, à l'hérétique
. Parmenien : & quelque choſe que vous faffiez, vous ne ſçauriez nier, que
rÙ Pierre, le Prince des Apôtres, n'ait établi fon Siége à Rome: In quo unº
& de la Cathedre unitas ab omnibus fervatur. Afin qu'étant le Chef de tous les autres,
Çoniunion il établît ſur lui l'unité de l'Egliſe ; que chacun des Apôtres n'eût point ſa
des Egliſes. Chaire, ſon Egliſe , ſa Religion particuliere : mais qu'on regardât comme un
pécheur & comme un ſchiſmatique, celuy qui s'éléveroit contre la fingularité
de cette Chaire. Ergo Cathedra una est, conclud ce faint Evêque ; donc il n'y
a qu'une Chaire dans laquelle Pierre s'eſt aſſis le prémier, après Pierre » Lin ,
après Lin, Clement, &c. ou, comme dit faint Cyprien, il n'y a qu'un Dieu,
ib. de Uni u'un Christ , & qu'une Chaire, & felon qu'il dit auſſi ailleurs ; Dieu eſt
un, Christ est un , l'Egliſe est une. La Chaire est une , fondée fur faint
Pierre, par la parole du Seigneur, & quiconque veut établir un autre Autel,
une autre Chaire, un autre Sacerdoce, eſt un adultére , un profane, un Sa
crilege. - *- ,
L'attache- , La certitude que nous avons de vivre dans la foy & dans la communion
In S a
3 $ des Saints, c'est l'adhérence & l'attachement que nous avons à l'Eglife Ro
|- - - * - -
maine, qui eſt la mcre de toutes les Egliſes, le centre & le lien qui les unit
* toutts
P A R A G R A PH E C IN QUIEM E. |
toutes enſemble, & qui par conſequent, est la dépoſitaire de leur foy. Č'eſt Rºmainº est
que nous profeſſons la même foy & la même doćtrine que le Sauveur du
monde a révélé à faint Pierre, & que faint Pierre a tranſmiſe à tous ſes Suc- que no
ceſſeurs. C'eſt le grand argument que les Saints Peres ont employé contre les ſommes dans
Hérétiques, pour les convaincre qu'ils étoient dans l'erreur , & pour les ra- la vrays foy. |
mener dans le fein de l'Egliſe , dont ils avoient quitté l'obéïfiance. Ouvrez
les yeux, diſoit faint Augustin aux Donatiſtes , & regardez cette longue fuite
de Papes & de Martyrs, qui depuis quatre fiécies ont occupé la Chaire de
faint Pierre, & qui ont profeſſé la même foy, & la même doćtrine, juſqu'au
Pontife Anaſtaſe ; ( car c'étoit luy qui rempliſſoit alors la Chaire de faint |
Pierre.) Ofez-vous préférer vos fentimens particuliers à tant de Saints Mar *
tyrs, qui ſe ſont ſuccédez les uns aux autres, & qui , pour la plúpart, ont
répandu leur ſang pour la défenſe de la foy. Et fi vous ajoûtez aux quatre fié
cles dont faint Auguſtin parle , douze, ou treize cents ans de cette heureuſe
fucceſſion , où l'on peut dire que l'Egliſe Romaine ſubſiste malgré les artifices
|
& les perſécutions des Arriens, malgré l'inondation des Goths & des Vanda
les, qui l'ont tant de fois ſaccagée, enfin la châte & le renverſement
de l'Empire Romain, & que cette même Egliſe a toûjours conſervé la foy de
Jesus-CHR 1st pure & immaculée, fans que les artifices & les embûches de
Sathan en ayent fouillé la pureté. Quelle force n'a point cet argument contre
les Hérétiques de nos jours ? Ne pourroit-on pas leur dire ce que faint Au
guſtin diſoit aux Donatistes: Regardez cette longue fuite de Pontifes Ro
mains, qui ont ſuccédé à faint Pierre, depuis feize, ou dix-ſept cents ans, qui
tous ont profeſſé la même foy & la même doćtrine ; & fi cette foy & cette
doćtrine est la même que faint Pierre a profeſſée & reçûë du Sauveur : par
quelle effronterie avancent-ils, que tous ces Succeſſeurs de faint Pierre ont
été dans l’erreur, & qu'eux feuls ont conſervé la foy & la véritable doćtrine ?
Les Proteſtans, qui, par un déplorable ſchiſme joint à l'herefie, font fortis tant
. En remon
de l'unité, en ſe ſéparant de la Chaire de ſaint Pierre, qui en est le principe , juf.
p – 2 _ • -- « » - u'aux pré
& l'origine, & le centre, ont combatu en vain juſqu'à maintenant de toute .
, leur force , cette doćtrine. Je n'entreprendrai pas icy de réfuter leurs objec- de l'Egliſe ,
tions, pardans
foibleſſe leſquelles ils ontdeprétendu
une infinité grandesla& détruire, & dontqu'on
doćtes réponſes on aleur
fait avoir la on
faites. : trouve
TOUS
|
Mais pour éviter la diſpute, qui eſt inſeparable des raiſonnemens qu'on oppo- .
fe à ceux des adverſaires que l'on veut combattre , & pour ne me ſervir que faint Pietre {
|
du grand principe : je diray ſeulement en un mot, que ſi l'on conſulte l'Anti- ſolidement r
quité, on trouvera qu'en remontant juſqu'aux prémiers fiécles de l'Egliſe, elle # , &
a toûjours crû conſtamment cette primauté de faint Pierre. ?
La preuve en est évidente par le témoignage de preſque tous les Saints Pe-
res, qui difent en une infinité d’endroits de leurs ouvrages , qu'il est la pierre faut que
il |
& le fondement de l'Egliſe ; que ſa Chaire eſt la Chaire principale, à la- tºurs les |
quelle il faut que toutes les autres s'unistent ; qu'il a la ſupreme puiſſance , ir |
ur avoir ſoin des Agneaux du Fils de Dieu ; qu’il a reçû la Primauté, afin la
que l'Egliſe fût une ; qu'il eſt le prémier, le Prince ; le Chef, & le coriphée foy.
des Apôtres ; qu'il eſt te Surintendant de tout l’Univers , celui à qui Jesus- ... Hipoli;
Christ a commis la diſpoſition de toutes choſes , auquel il a donné la pré- “
fećture de ſes Freres , qui eſt préféré à tous les Apótres , & qui regit tous
Paneg. des Saints. Tone I.
al
| Tertul. de
378 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. PIERRE.
les Pasteurs ; avec cent autres éloges de cette nature , qui expriment tous
preſtrip. c.
| 2. ... I, e neus.
Orig. in Ep
ad Rom. e. 6.
magnifiquement ſa Primauté ; ce qu'on a fouvent approuvé dans les Conciles
généraux. Puis donc que toute la vénérable antiquité a crû la Primauté de
faint Pierre, que les Protestans combattent par la nouveauté de leur doćtri
| Cypr i. l. de
ten it. E c cl.
, Epiph. in
A lach.
ne, nous avons ſujet de leur dire : Definat ince/Sere novitas vetustatem.
* Il est fi évident que Jesus-Christ, qui veut que ſon Egliſe dure juſqu'à
la conſommation des fiecles, a donné à faint Pierre la primauté & la fupreme
Amb r. in dignité de Chef viſible de l'Egliſe Univerſelle , pour lui, & pour fes Suc
Lu/. c. 1 o. celieurs en cette Chaire principale , que ce grand Apôtre a fixé à Rome :
Greg. Naz.
O r. 1 6,
qu'il feroit ſuperstu d'entreprendre de le prouver, Car fi elle étoit tellement
Hil. in Mat.
attachée à fa perſonne, qu'elle ne paſsât point à ſes Succeſſeurs, il s'enfui
t. I 6 . vroit qu'après la mort de faint Pierre l'Egliſe fût tombée, qu’elle n’eût plus
Hiero. adv. eu ce principe d'unité qui la rend une , & qu'elle n'eût été qu'un corps fans
fovi. l. z. tête, & un édifice ruïneux fans fondement. Et puis, ne ſçait-on pas que
optat. Mi
le v. rom ra ç'eſt un ordre naturellement établi dans les ſucceſſions légitimes, que les
P.: rmen. l. 1 Rois & les autres Princes, & leurs Officiers, en l'état ſeculier ; les Evêques,
Cyril. Alex. les Métropolitains, les Primats & les Patriarches en l'état Eccleſiastique ; les
in foam. c. Miniſtres même parmi les Proteſtans, fuccédent aux droits & aux pouvoirs.
J 2.,
Aug. in
de leurs Prćdeceſſeurs ? Mais quand nous n'aurions pas ces raiſons tout-à-fait
foan.Trast. convaincantes, il fustiroit de dire , que tous les mêmes témoins de l'Antiqui
1 1 . 36. Ep . té, qui ont rendu témoignage à la Primauté de faint Pierre, & à ſa puiſſance
1 61.
fuprême dans l'Egliſe Univerſelle, l'ont auſſi d'un commun conſentement at
Chryf. Hom. tribuée, ſur les mêmes paroles de Jesus-CHRIST , aux Eveques de Rome,qui
13. in A1. f
in foan. Ho. font les Succeſſeurs du Prince des Apôtres en cette Chaire. Il n'y a rien de
87. de heat o fi commun dans les Conciles, & dans les Peres, où les mêmes choſes que,
Ignatio. l'on a dites de la primauté de faint Pierre, & des prérogatives de la Chaire à
S Leo. Ser. in
Anniverſ.
Rome, on les trouve en termes formels très fouvent répétées pour exprimer
fua Aſſumpt. la primauté des Pontifes Romains, leur Surintendance en l'Egliſe Univerſel
le , & la fupériorité de leur Chaire , & de l’Egliſe de Rome.
*La primau
té dans l'E
Ill faut fuppoſer ce grand principe eſſentiel à la Religion Chrêtienne & Ca
tholique , fans lequel, & ſi l'on ne s'y tient bien attaché, il faut néceſſaire
glife n'a pas
feulement ment que l'on tombe dans le ſchiſme & dans l'héreſie. C'eſt la primauté de.
été attachée l’Evêque de Rome, comme Succeſſeur de faint Pierre, ſur qui Jesus-CHR i sr
à la peifon a bâti fon Egliſe , de laquelle il l'a établi le Chef viſible , le faiſant en cette
ne de faint
Pierre, mais
qualité, ſon Vicaire fur terre. Cette primauté paroît fi clairement dans l'hiſ:
a paſſé à toire Eccleſiaſtique, qu'il faut s'aveugler volontairement pour ne la pas voir,
tous ſes Suc & pour n'être pas convaincu que l'Egliſe a reconnû de tout temps l'Evêque
ccffeurs , & de Rome pour fon Chef viſible, qui avoit juriſdićtion fans contredit, fur
les preuves les Patriarches même de l'Orient , deſquels on pouvoit appeller à fon Tribu
de cette vé
rité. nal. Ça toûjours été là , & ce fera juſqu'à la fin des temps , le centre de l'Uni»
té Catholique, & ce qui fait que nous la difons, One , Onam Santiam Catho
4 c'est de licam & Apoštolicam Ecclestam ; & cette proprieté, d'être Une , ne convient.
| tout temps
que l'Eglife qu’à elle ſeule. Car comment toutes les
a recoln nul
particulieres , qui font répan
duës par toute la terre, en Orient, en Occident , au Midy , au Septentrion ,
l'Evéque de où la Chrêtienté s’eſt répanduë, feront-elles un ſcul corps myſtique, & viſi
Rcme pour ble de Jesus-CHR1 st., & une ſeule Egliſe Catholique & Univerſelle, fi elles
succeſfeur
de faint fe font chacune un corps ſéparé de créance & de culte , & indépendant l'un.
* * - - v - *
*
PARAGRA PHE C I N Q U I E M E.
de l'autre, fans avoir cette ſubordination de l'ordre Hiérarchique qui les ré- , & |
duit à l'Unité ? Comment auront-elles cette Unité fi effentielle à l'Egl fe , ſi f
elles n'ont toutes un ſeul Chef viſible qui les gouverne de la maniere que le l'Eglif. ni
Saint-Eſprit l'a ordonné dans les Conciles, & qui enſuite foit le centre, & velfelle.
le noeud de cette Union, qui de toutes enſemble, ne doit faire qu’une Egli
fe, Sainte, Catholique , ou Univerſelle & Apostolique ? C'eſt celle que les
Saints Apôtres ont établie dahs tout le monde, où ils ont enſeigné, comme
a fait faint Paul , qu'il faut que nous foyons tous les membres d'un ſeul
corps, n'ayant qu'une Foy , qu'un Baptême , qu'un Eſprit & qu'une Com
munion. C'eſt pourquoy toutes les Egliſes particulieres , qui reconnoiſſent
un feul Chef viſible en la perſonne de tous les Succeſſeurs de faint Pierre de
fuite en fuite, auquel ſaint Pierre Jesus-CHR 1st a dit Tu es Cephas , c'eſt-à
dire une pierre, & fur cette pierre je bâtirai mon Egliſe , font toutes enſemble
unies à ce Chef viſible ; la vraye Egliſe Catholique, qui n'est qu'une , par
cette union de toutes ſous un ſeul Chef viſible , & toutes celles qui font fé
parées de cette unité, toutes differentes les unes des autres, austi bien que
de l'Egliſe Catholique, font tout autant d'Egliſes ſchiſmatiques, par cette
féparation, qui les retranche du feul corps mystique & viſible de Jesus
C H R 1 s T. Et c'eſt là le grand principe, de l'unité qui fait que l'Egliſe est
|
une & indiviſible.
Saint Pierre est appellé par J e su s C H R i s r le fondement de l'Egliſe : Por main
Tu es Petrus, Ở fi per hanc petram edificabo Eccleſiam meam. Or le fondement | Egli
de l'Egliſe doitavoir autant de durée que l'Egliſe, & par conſéquent, com: , j
me l'Egliſe durera juſqu'à la confomination des fiecles, le fondement auſſi ċha isr l'a
de l'Egliſe
faint Pierredo, n'étant
t être ferme & stable
plus ſur juſqu'à
la tetre, & nela fin du monde;
pouvant être &cepar conſéquent
fondement de établie, il
nectſ
B B b ij
38o POUR LE PANEGYRIQUE DE S. PIERRE.
rit Eccleſiam, fit tibi fcut ethnicus, &c.
Comme Dieu a voulu ranger tous les fideles dans l'unité d'un même corps
qui fût celui de J E s u s-C H R 1 s T & de l'Egliſe, il est bon de ſçavoir que
quoique dans un corps tous les membres n’ayent pas le même honneur & les
mêmes offices, ils ne laiſſent pas de concourir unanimement & tous enſemble
par leurs offices différens à l'avantage de leur Chef; ainſi dans le college des
Apôtres, quoique la vocation fût égale entre toas, la puiſſance ne leur fut
pas également donnée : car J E s u s-C H R 1 s T en choifit un qu'il établit le
Prince de fes freres, & qu'il fit après lui, le Chef viſible de l'Egliſe. C'est fur
cet exemplaire que s'est formée la diſtinction des Evêques, des Archevêques,
des Patriarches; car la Providence qui avoit mis la ſubordination dans le col
lege des Apôtres, a établi certains dégrez dans fon Egliſe, par leſquels on ar
rive à l'unité du Chef, & ces dégrez font les Evêques, les Archevêques , les
Métropolitains, les Primats, les Patriarches; & toutes ces dignitez qui ont
chacune leur pouvoir particulier , fe doivent toutes rapporter au Siége Ro
main , comme les lignes à leur centre, afin que tous arrivent à l’unité du Sié
ge de faint Pierre, à qui l'Egliſe univerſelle a été confiée, & qu'aucun d’eux ne
s'éloignât jamais du Chef, s'il ne fortoit en même temps de l'unité. C’eſt
pour cela que le Saint-Eſprit qui préſide toûjours à la conduite de l'Egli
fe, voulut que dès le commencement les Apôtres s'affemblaffent en forme de
Concile, pour choifir entre tous les Diſciples celui que Dieu avoit élû à la place
de Judas , & pour régler l’uſage que les fidéles devoient faire des obſervances
Judaïques. Les Apôtres n'avoient pas beſoin alors de s'aſſembler pour éclair-,
cir les fens des Écritures, pour conférer leurs Traditions les unes aux autres,
& en former un article de foy,de laquelle chacun d’eux pouvoit être informé
en toute certitude ; ils n'avoient pas beſoin des effets de la fouveraine puiſ
fance de faint Pierre pour les conſerver en unité, puiſqu'ils n'avoient qu’un
coeur & qu'un eſprit. Mais le Saint-Eſprit voulut propoſer dèslors à l'Egliſe
naiſſante la conduite qu'elle devoit garder juſqu'à la fin des temps. C'est pour
quoi faint Pierre comme Chef, aſſemble ſes freres, il leur propoſe la question,
il conclut, il décide, il prononce fans que perſonne y contrediſe : Viſum est
Spiritui Sančio & nobis. Célébre document de la conduite que l'Egliſe devoit
garder dans la fuite des temps, dans la convocation des Conciles oecumeni
ques par les Pontifes Romains qui y ont toûjours préſidé par eux-mêmes, ou
par leurs Légats, & confirmé les Actes qui y ont été statuez.
Les vices Je ne diſconviens pas, diſoit faint Auguſtin aux Donatistes, qu’on n'ait vů
ni les erreurs quelque traître entrer furtivement dans la Chaire de Pierre, comme on a vů
Judas entrer dans le College des Apôtres : & converſer avec le Fils de Dieu :
mais c'est ce qui réleve la gloire du faint Siége , au lieu de la ternir. Et la rai
pait ſon qu'en donnent les faints Peres & les Théologiens, c'est que le vice, ou
qu'au faint l'héréfie des perſonnes n'a jamais paſſé juſqu'au Siége. Que des Papes ayent
Ima 1 ! !9|1
enſeigné des hérefies, ou non ; ce font des questions épineuſes, traitées bien
- -
* au long chez les Controverfistes , & des faits contestez parmi les Doćtes ;
bée mais ce que l'on peut dire avec vérité, c'eſt qu'on n'a jamais vû que l'Eglife
dans l'etreur. Romaine ait contraćté le vice, ou l'hérefie des Pontifes Romains qui en font
accuſez, & qui l'ont gouvernée, non plus que les Apôtres la perfidie de Ju
das. Et la raiſon qu'en donnent les SS. Peres, c'eſt qu'elle eſt établie ſur la
P A R A G R A PHE C I N Q U I E M E. 381
foy de faint Pierre , qui ne fçauroit faillir , & la foy de faint Pierre ſur la pa
role du Sauveur qui lui proinet ſon aſliſtance par ces paroles: Oravi pro te , Luc. ...
Petre, ut fides tua non deficiat. Il n'en est pas ainſi des plus grandes Egliſes de
la terre. N’a-t on pas vů celle de Conſtantinople, qui avoit obtenu le ſecond
rang parmi les Patriarches, occupée deux fois par des Héreſiarques , par les
Neſtoriens, & par les Macedoniens ? N’a-t-on pas vů celle d'Alexandrie fon
dée par ſaint Marc, très-fouvent occupée par des Arriens, & par des Euti
chiens, comme étoient Dioſcore & Lucius ? N’a-t-on pas vû l'Egliſe d'Antio
che fondée par faint Pierre, être le fiége de Paul de Samoſate, qui répandit
fon hérefie preſque par tout l'Orient ? Enfin n’a-t-on pas vû l'Egliſe de Jéruſa
lem, fondée par faint Jacques, & conſacrée par le Sang du Sauveur, infećtée
par les Monothélites, les Arriens & les Origeniſtes? & ne font-elles pas enco
re maintenant dans un entier aveuglement des choſes de nôtre Religion ? La
Íeule Chaire de ſaint Pierre, fondée depuis feize cens ans, au milieu des tu
multes & des révolutions du fiécle, a toûjours conſervé fa foy pure & imma
culée, fans que les artifices & la puiſſance de Satan ait pủ donner atteinte à
fon intégrité. -
On demande comment s’accordent ces deux propoſitions , que faint Pierre Comment
est le fondement de l'Egliſe Catholique; & que nul ne peut mettre d'autre ºn doit ac
fondement que celui qui eſt déja mis , qui eſt J es u s-C H R 1 s T ?. Nous
apprenons la ſolution de cette difficulté d'un paſſage de faint Paul qui parle “.
ainſi aux Epheſiens : Jam non estis hoſpites & advene : ſed estis domestici Dei fu- Fierre est le
peredificati ſupra fundamentum
lari lapide Christo Apostolorum
feſu. Vous voyez qu'il y a&divers
Prophetarum , ipſoles
fondemens fummo angu-
uns ſur les fondement
de 2
autres, comme il arrive dans les édifices materiels où l'on met pluſieurs pier-
res fondamentales, entre leſquelles il y en a une qui eſt à l'angle de deux mu- ''au .
railles , & qui foûtient toutes les autres. Jesus-CHR ist eſt la pierre angulai- dement que
re qui foûtient tout ; les Apôtres font des fondemens établis fur cette pierre, qui est
& le principal de ces fondemens est faint Pierre, lequel eſt fondé ſur Jesus- ºi:
Christ , appellé par faint Auguſtin; fundamentum primum & maximum, & c , r.
fundamentum fundamentorum. Tout ainſi , dit-il, qu'on appelle Jesus-CHRIsr Aa e, h, ..
le Saint des Saints, & le Paſteur des Paſteurs, ce qui marque qu'il y a d'au- In Pfal. 86.
tres Saints, & d'autres Paſteurs que lui, & qu'il eſt le principal de tous : de
même on le peut appeller le fondement des fondemens.
On peut dire que l'Egliſe Catholique est bâtie fur trois fondemens fubor-, L'Egliſe est
donnez. Le prémier,qui foûtient tout l'édifice,eſt le Sauveur ; le fecond, faint bâie für
Pierre & ſes ſucceſſeurs les Souverains Pontifes, de ſuite en ſuite juſqu'à la fin "dº
du monde ; le troifiéme, les Evéques, qui font les ſucceſſeurs des Apôtres."
C'est ainſi que faint Athanaſe écrivit au Pape Felix : Tu es Petrus, & ſuper
fundamentum tuum Ecclefie columne, id est Epiſcopi , funt confirmati. Signifiant
que comme il y a des édifices qui ſont appuyez ſur des colomnes , & celles-ci
fur des baſes & fousbaſes: de même les Évêques, qui ont ſuccedé aux Apôtres,
font les colomnes de l'Egliſe ; & le Souverain Pontife qui a ſuccedé à faint
Pierre, est comme la : mais certe baſe avec tout ce qui eſt deſſus, eſt ap
puyée ſur un fondement inébranlable qui est J e su s-C H R i s t, Çela pour
roit ſuffire pour convaincre les plus opiniâtres ; cependant pour éclaircir da
vantage cette mariére , on Peut dire que l'Egliſe étant un viſible com
B B b iij
382 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. PIERRE.
poſe de membres viſibles qui font les fidéles, doit avoir un Chef viſible ſur la
terre, pour en être gouvernée viſiblement. Le Sauveur donc ayant réſolu de
monter au Ciel, & pour cela de retirer de la vůë des hommes fa préſence :
corporelle , choiſit entre les Apôtres faint Pierre pour ſon ſubſtitut, afin qu'il
fût en fa place pour le gouvernement de fon Egliſe viſible qu'il avoit fondée
& établiefur la terre. Il lui en fit la promeſſe, lorſqu'il lui dit ces paroles :
Matth. 16. Tu es Petrus, & ſuper hanc petram edificabo Eccleſiam meam. Le même Sau
veur après ſa Réſurrećtion glorieuſe, réſolu d'accomplir cette promelle, com
manda à faint Pierre de paître ſes agneaux & fes brebis, par ces autres paro
Ibidem les : Paſce agnos meos , pafce oves meas ; pais mes agneaux , pais mes brebis.
Par les brebis qui font les meres des agneaux, on peut entendre les Evêques,
les autres Prélats & Supérieurs dans l’Egliſe, qui ont la charge de nourrir les
,-
ames par leurs paroles, & encore plus par leurs bons exemples; & par les
agneaux s'entendent les ſimples peuples. Ce fut donc alors que la Principau
té de toute l'Egliſe fut donnée à faint Pierre, & qu'il fut déclaré le Chef & le
Paſteur univerſel de tous les fidéles, & par conſéquent, le fondement de l'é
difice myſtique & viſible de l'Egliſe: Quod enim caput est in corpore, hoc est
fundamentum in edificio. Le Sauveur étant monté au Ciel & retourné à fon Pe
re, ne pouvoir plus gouverner viſiblement ſon Egliſe. Il lui falloit donc un
Vicaire en terre, qui fût chargé de fes interêts, & qui eût par comumiffion le
même pouvoir que J E s u s-C H R i s T avcit par proprieté. Ce n’est pas
que le Sauveur ne la gouverne encore à préſent , mais inviſiblement ; niais
il en a commis la police extérieure à ſes ſucceſſeurs les Souverains Pontifes
de ſuite en fuite la fin du monde, entre lcfquels faint Pierre a été le
modele de tous , comme ayant été le prémier Vicaire du Sauveur, que les
fuivans doivent imiter. *
Signa apostolatůs mei fatta funt ſuper vos in fignis, & prodigiis, & virtutibus.
2. ad Cor. i 2. Saint Paul pouvoit bien dire que ce n’étoit pas ſeulement la
force de ſon diſcours , ni les tonnerres de ſon éloquence qui donnoient ce ſuc
cès & cette efficace à fon Evangile , mais l’eſprit & la force du Fils de Dieu
qu'il repréſentoit. Le caraćtére de fon Apoſtolat ne pouvoit être plus illustre,
& il n'en pouvoit faire paroître des marques plus infaillibles, que les mira
cles & les prodiges qui accompagnoient toutes fes prédications. Son autorité
ne pouvoit être mieux établie & mieux réconnuë, que par cette facilité qu'il
avoit à produire tant de choſes impoſſibles à toutes les forces de la nature,
par cet empire abſolu qu'il exerçoit au nom de fon Maître ſur toutes les créa
tures, par cette liberté avec laquelle il employoit le pouvoir de Dieu, & par
cette vertu du Saint Eſprit qui étoit en lui fi admirable, qu’il ſembloit que ce
même Eſprit fût à ſa diſpoſition, juſqu'à pouvoir le donner à qui il voudroit,
& de quelle maniere il lui plairoir. Nôtre ſaint Apôtre exerce l’autorité de fon
Seigneur ſur les élemens, les bêtes farouches, ſur les hommes, ſur les dé
mons, & ſur les puiſſances des ténebres. Il commande abſolument à toutes
les maladies de ſe retirer : à la mort, de quittter la proye dont elle étoit en
poſſeſſion ; à la vie , de retourner dans une demeure qui ne lui ſembloit plus
habitable, de ranimer pleinement des membres tout froiſſez & des cadavres à
demi-pourris ; aux ténébres , de ſe répandre ſur les yeux des pécheurs pour
éclairer leurs ames ; aux eſprits de menfonge, de rcnoncer à l'honneur que
- *
P AR A G R A P H E C IN QUI E M E. 383
leur attiroient leurs faux oracles , de quitter des corps qu'ils poſſedoient , de
erdre le culte qu’on leur rendoit dans les Pythoniffes. Il parle en maître à ces
eſprits orgućilleux, parce qu'il tient la place de leur Maître : Tibi precipio Aőł. i 6.
exire ; & il ne lui en faut pas davantage pour ruiner l’empire de Satan dans
les corps & dans les ames qui lui font dévouées. Ne ſemble-t-il pas que c'eſt
le Maître de la nature qui parle , que c’eſt Dieu méme qui commande ?
Defunctus adhuc loquitur. Saint Paul a été le Prédicateur par excellence ;
fon diſcours étoit ſimple : il ne corrompoit point la parole de Dieu par les or
nemens de la fagelle humaine : mais ſes raiſonnemens étoient fi puiilans, que
fi les plus doćtes n'étoient perſuadez, ils étoient toûjours confondus. Ses Epi
tres font des abîmes de la ſcience divine. On y voit briller les lumieres de
eſprit, & le feu de fa charité en chaque ligne. Les orguëilleux y font ébloüis:
mais les humbles y trouvent des inſtructions ſalutaires.On n'y voit pas le faste
de l'éloquence humaine : mais toutes les bcautez de la Rhétorique céleste
y éclatent. Le ſtile n’en est pas toûjours élegant: mais l'art de traiter les ma
tiéres , & de manier pour ainſi dire les eſprits, y eſt admirable. La prudence
y réluit dans tous les préceptes , & les profanes politiques n’ont rien de fem
blable. La morale Chretienne s’y trouve en fa pureté, & chacun y peut appren
dre les devoirs de ſa condition , fans fard , fans ſubtilité, & ſans ces perni
cieux accommodemens qui ont corrompu les bonnes moeurs dans ces derniers
fiécles. Enfin on pouvoit nommer ce grand Apôtre , Magiſter orbis, comme
l'appellent ſaint Chryſoſtome & faint Auguſtin, le Maître qui doit instruire
toute la terre : Os toti orbifufficiens, ajoûte faint Jerôme, une bouche qui fuf
fit pour enſeigner tous les peuples, pour les convaincre des véritez de l'Evan
gile qu'il anńonce. Ah ! grand Apôtre, que vous vous étes dignement acquité
de votre miniſtére ! Vous avez fidellement accompli ce que vous avicz pro
mis dans vôtre converſion , & je ne puis mieux vous féliciter de tant de vic
toires & de conquêtes, que par vos propres paroles : Bonum certamen certavi,
curſum conſummavi, fidem fervavi. -
384 PoUR LE PANEGYRIQUE DE S. PIERRE.
PARAGRAPH E S I X I E’M E.
que les extrémitez de la terre : Dabo tibi gentes hereditatem tuam, & poßeffio- Pſalm. 71.
nem tuam terminos terre. Il est par les ordres de J e su s C H R i s T : le Mo- *f 77.
narque ſpiritüel de cette Egliſe, laquelle felon la : de David , doit
comme un arbre miraculeux, remplir toute la terre de ſes racines, couvrir de
fon ombre toutes les montagnes, & étendre fes branches juſqu'à la mer.Tous
les Héros du Christianiſme, c'est-à-dite, tous ces hommes Apoſtoliques que
J = s u s-C H R 1 s r a choifis pour être les Conquérans du monde, & qui
fuivant ſa parole, ont fait entendre la parole de vie par toute la terre : In Pſalm. 13.
omnem terram exivit fonus eorum; ont travaillé pour lui acquérir des ſujets par
mi toutes les nations. Il est certain que dans les quatre parties du monde on
célébre aujourd'hui la fête de faint Pierre, comme du Souverain Paſteur de
tout le troupeau de J E s u s-C H R i s t , & que tous ceux qui réconnoiſſcnt
le Sauveur , tiennent auſſi faint Pierre pour le Chef viſible de l'Egliſe : tant
il eſt vray ce que dit faint Leon , que la ville de Rome étant le Siége du faint
Apôtre , eſt devenue la Metropolitaine de l'univers, & qu'elle a étendu les
bornes de fon empire beaucoup plus loin par la Religion de faint Pierre, que
par les armes de ſes Céſars. Toutes les batailles qu'elle a gagnées, toutes les
vićtoires qu'elle a remportées, ne lui ont point foûmis tant de peuples, que
la prédication de l'Evangile, & la paix Chrêtienne. Le P. Texier. -
Nous pourrions dire aujourd'hui au ſujet de la ville de Rome, Chef de l'u- _Suite du
nivers, la Reine des Nations, & la mere des peuples, où faint Pierre a établi même ſujet.
fon Siége, ce que faint Leon lui diſoit aurrefois dans la folemnité de cette ,
fête ; il y a douze cens ans que cette Capitale du monde doit plus à S. Pierre
qui a fondé dans fes murailles le Siége de l'Egliſe, & à fon Coadjuteur faint
Éaul , qu'aux deux freres jumeaux qui ont jette les prémiers fondemens de
Baneg, des Saints. Tome I. C Cc
386 P o UR LE PANEGYRIQUE DE S. PIERRE.
fon Empire ; & qu'elle étend plus loin les heureuſes limites de ſa domination
fpiritu:lle , que n’ont été les bornes de fon empire politique. Quoique tu
aye orné tes temples & tes palais de la dépoüille de toutes les provinces, &
que tu aye vaincu tous les peuples du monde par la puillance de tes armes ,
pourſuit ce Pere ; on peut dire cependant que le fang des Apôtres , & la foy
des Chrétiens a plus foûmis de peuples à ton obéïllance , que la valeur de tous
ces Conquerans. Tu n'en montre aujourd'hui que de pitoyables ruinestau lieu
que ton empire pacifique s'etend depuis ſeize cents ans dans tous les lieux que
le ſoleil éclaire, & que le regne que tu exerce ſur les ames n'aura jamais de
fin. Autheur moderne.
r . Nous voyons dans l'Evangile, que Jesus-CHR1sr ayant interrogé les Apô
tres pour fçavoir quel fentiment ils avoient de ſa perſonne adorable : Vos au
destus de la tem quem me eſse dicitis ? Saint Pierre répond pour tous, comme étant le plus
raiſon » d éclairé en qualité de Chef, ou bien, felon la penſée de faint Chryſoſtôme,
comme étant la bouche de tous: Tu es Christus, Filius Dei vivi. Sans adhérer
, à la chair, ni au fang, qui lui faifoient paroître Jesus-Ciin 1st comme un
luuieres des homme pastible & mortel de même que les autres : il s'éleve à la faveur de
Prophétes la révélation du Pere céleſte, au-dellus de tout ce qui est viſible & ſenſible ,
de tout ce qui a jamais été pénétré par la ſubtilité des Philoſophes , au-deſſus
- de la toy meme , & des Prophétes, pour diſcerner par une vive foy, les myſ
Fiis unique teres les plus profonds de nôtre Religion. Il connoît déja avant la deſcente du
de Disu. Saint-Eſprit , le myſtére de la Trinité, puiſqu'il reconnoît la génération éter
nelle du Pere, & qu’il entre dans ce fein glorieux , où il vot un Dieu vivant ,
qui communique ſa vie & fa ſubſtance à ſon Fils. Il diſtingue la difference
qu'il y a entre le Fils unique & naturel, & les autres enfans adoptifs. Ceux
cy font les enfans d'un Dieu mourant , & celui-là eſt engendré d'un Dieu vi
vant, comme principe fécond d'une vie divine. Il témoigne encore par ces
paroles, qu'il conçoit parfaitement le myſtére de l'Incarnation , appellant
Jesus-CHR st , c'est-à-dire , l'oingt du Seigneur, le Dicu fait homme pour
le ſalut des hommes. Le Pere Texier. -
saint Pierre Il ne faut pas s'étonner fi , après la defcente du Saint Eprit , faint Pierre
est le prs- ayant en qualité de Chef, une participation plus abondante de ſes lumiéres,
il eſt le prémier qui ſe produit en public pour publier l'Evangile : Stans Pe
trus cum undecim , levavit vocem ſuam, G locutus est eis. C'est lui qui par les
publier l'E- faintes Ecritures & les Prophétes, établit la Divinité de Jesus-CHR i sr, ſa
vangile. -- Miſſion, ſa Réſurreċtion, ſon Aſcenſion, fa ſceance à la droite de Dieu fon
A#, 3. Pere, & la nécestité abſoluë de croire en lui, & d’ajoûter foy à tous ſes myf
téres , fi on veut fe fauver. Le faint Apôtre prouve toutes ces choſes avec
tant d'efficace & de clarté, que dès ſon prémier diſcours, il acquiert à Jesus
CHR. 1 sr trois mille ames. C’eſt lui austi qui parle pour tous & au nom de
tous , quand il s'agit de paroître en la préſence du grand Prêtre & des Doc
teurs de la Synagogue. Il foûtient avec une force incomparable & fans crain
te, en cette aſſemblée, qu'ayant reçû leur Miſſion du Ciel même pour faire re
connoitre Jesus Christ pour Meſlie & Sauveur, & pour annoncer la Loy
nouvelle aux hommes ; ils étoient , lui , & ſes collegues plus obligez d'o
Ag. t, béir aux ordres de Dieu, qu'à ceux des hommes : Obedire opartet Deo, magis.
quàm hominibus. Le même.
/
P A R A GR A P H E S I X I E’M E. 387
La foy de faint Pierre, accompagnée de tant de lumiéres, a été formée & L'amour que
perfećtionnée par une ardente charité, c'eſt le fentiment de faint Auguſtin , aint Pierre
que fi faint Jean a été le diſciple bien-aimé , faint Pierre a été l'Apôtre bien portoit à
J E s u s
aimant. C’eſt cet amour pretlant d'aller trouver fon Maître, qui l'obligea de C H R 1 s r.
fe jetter de ſa barque dans la mer, & de marcher ſur les eaux : Defcendens
Petrus de navicula , ambulabat ſuper aquas, ut veniret ad Jefum. Il falloit bien
que Jesus-CHR1st fut allûré de l'amour de cet Apôtre, puiſqu'il lui en fit
faire profeſſion publique lorſque par trois fois il luy demanda : Pierre, m’ai
ɔ
mez-vous plus que les autres ? Petre, amas me plus his ? à quoy répondit in
continent Pierre: Etiam , Domine, tufcis quia amo te. Je fçay bien que les Pe
res de l'Egliſe apportent diverſes raiſons, pour leſquelles JEsus-CHR 1st fit
cette demande à faint Pierre. Saint Augustin dit qu'il voulut que par les trois
proteſtations, il effaçât la faute qu'il avoit commiſe par les trois reniemens.
Saint Grégoire le Grand dit que Jesus-CHR ist l'interrogea par deux fois fur
fon amour, afin de lui apprendre , & à tous ceux qui participent à fon auto
rité , qu’un bon Paſteur doit témoigner fon amour à ſon troupeau, en le nour
riflant en trois manieres ; 1 °. d'eſprit , par ſes prieres : 2 º. de bouche, par
fes paroles: 3°. d'action par ſon exemple; Pafce mente, pafce ore , pafce exem
plo. Mais je m'arrête au ſentiment de faint Leon, qui dit que le Fils de Dieu
voulut par cette triple interrogation, augmenter & embraſſer l'amour de cet
Apôtre: Profeſio tui amoris in Dominum trina interrogationis est folidata myšferio.
Le Pere Texier.
La foy de ce même Apôtre a été constante , & vićtorieuſe de tout ce quia Les vićRoi
voulu s'oppoſer à ſes defleins. Après avoir comme dit faint Leon, rempli de res & les
fes illustres trophées, la Judée, le Pont, la Galatie , la Cappadoce, l’Aſie,la triomphes
Bythinie, il est allé attaquer l'ennemi dans fon fort; & celui qui autrefois de la foy de
avoit tremblé à la voix d'une ſervante, n'apprehende nullement les forces or faint Pierre.
gueilleuſes de Rome, la Capitale de l'Univers. Nec mundi Dominam timet
Romam, qui in Cayphe domo expaverat Sacerdotis aneillam. C'est-là que ce Pê
cheur , ignorant & rimide de lui-même , éclairé & fortifié par la foy, foule
aux pieds les opinions ſubtiles des Philoſophes, détruit les faux principes de
la ſageſſe du fiecle , abolit le culte des démons : & qu'après avoir vaincu par
fes diſputes & par ſes prieres Simon le Magicien , il ſurmonte la cruauté de
Neron par la constance de fa mort. Oủy, cette croix où il veut être crucifié,
la tête en bas, par le reſpećt qu'il porte à fon Maître, n'eſt pas tant l'instru
ment de fon ſupplice, que le char glorieux de ſon triomphe. Tali curru trium
hamus, dit Tertullien. Le même. - -
La Foy de faint Pierre étoit grande fans doute, & très-grande, quand Combien
Jesus-CHR ist lui dit, Beatus es, vous étes bien-heureux, Simon , fils de la foy de
Jean. Car en vertu de cette foy faint Pierre avoit tout quitté pour ſuivre cet Apôtre
Jesus Christ : en vertu de cette foy, il avoit marché fur les eaux pour aller a&été grande,
les occa
à Jesus-CHR i sr : en verru de cette foy, pluſieurs d'entre les diſciples s'étant fions où il
retirez du troupeau de JEsus CH R 1 sr , parce qu'ils fe ſcandaliſoient de fa l'a fait pa
doćtrine ſur le ſujet de l'Euchariſtie, & Jesus-CHR ist ayant demandé aux rcître.
Apôtres, s'ils vouloient auſſi fe ſéparer de lui: faint Pierre lui avoit dit : Hé !
Seigneur à qui irions nous? car vous avez les paroles de la vie éternelle. Tout
cela, marques évidentes de la grandeur de ſa foy, qui ne fut pas , dit faint
CCc ij
388 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. PIERRE.
Augustin, une foy de ſpéculation & en idee, mais une foy réelle & de pra
tique ; qui ne fut pas une foy morte , mais une foy vive & animée , qui ne
fut pas une foy stérile & înfrućtueuſe , mais une foy, pour ainſi dire, riche &
féconde, puiſqu'elle produifit en lui de fi ſurprenans & de fi merveilleux ef
fets. Tout cela preuves inconteſtables que dès ſon prémier engagement avec
Jesus-CHR 1st , il l'avoit reconnû pour Fils du Dieu vivant. Car , comme
raiſonne faint Augustin, s'il l'avoit crů ſeulement homme, il n'auroit pas
renoncé pour lui à tout ce qu'il poſlédoit dans le monde. S'il l'avoit crû feu
Matth. 14. lement homme, il ne lui auroit pas dit : Domine, fî tu es, jube me venire ad te
fuper aquas ; Si c'eſt volis, Seigneur , commandez, & dès l'inſtant je marche
rai fans crainte ſur l'eau , pour aller à vous. S'il l'avoit crů ſeulement homme,
il fe feroit ſcandaliſé auſſi bien que les autres, du commandement que lui fir
Jesus-CHR i sr , de manger fa chair, & de boire ſon fang; S'il l'avoit crû
feulement homme, il n'auroit pas pris ce que Jesus-ChR1st leur annonçoir
de ce myſtére , pour des paroles de vie , & d'une vie immortelle: Verba vite
foan 6. eterna habes. Il eſt donc vray , que ce n'étoit dèslors ni la chair, ni le ſang ,
mais l'eſprit même de Dieu qui lui avoit donné les hautes & ſublimes connoiſ
A
fances dont il fe trouvoit rempli. Le Pere Bourdalouë.
Comme nö
Voilà les qualitez de la foy de faint Pierre, & c'est en quoy elle doit être le
tre foy doit modéle de la nôtre. Ce fût une foy de pratique, une foy efficace & agitlante
reſſembler à
celle de S. que celle de ce faint Apôtre , & telle doit être la nôtre. Car une foy qui s'en
Pierre. tient à des paroles, qui ſe borne à des ſentimens fans aller juſques aux ceu
vres , ne peut fervir qu'à nôtre condamnation ; c'est la foy des démons, qui
croyent, qui tremblent & en demeurent là. Ce fût une foy généreuſe qui le
fit abandonner & tout ce qu'il poſledoit, & tout ce qu'il étoit capable de poſ
feder, tout ce qu'il pouvoit ou eſperer, ou défirer ; c'eſt pourquoy il eut rai
Matth. 19. fon de dire : Ecce nos reliquimus omnia ; voicy que nous avons tout quitté. Et
c'eſt ainſi que nôtre foy nous doit détacher de tout, c’eſt-à-dire, que nous
foyons diſpoſez à quitter tout, que nous foutenions avec patience la perte de
nos biens, quand il plaît à Dieu de nous les enlever , quand la providence
permet qu'ils diminuent ; que nous nous en privions avec joye, pour en af
fifter les membres du Sauveur, qui ſont les pauvres. Car une foy en confé
quence de laquelle on ne renonce à rien, on ne quitte rien,on ne ſe refuſe rien,
est une foy chimerique, qui ne peut être de nul mérite devant Dieu, & que
Dieu même réprouve. La foy de faint Pierre fut une foy remplie de confiance,
uile fit marcher ſur les eaux, fans crainte du peril où il s’engageoit ; ainfi
nôtre foy doit fe foûtenir au milieu des périls du monde , des diſgraces, des
perſécutions, des révolutions, des changemens inévitables dans le cours du
monde. Car une foy qui doute, qui héſite , n'a plus ce caraćtere de fermeté :
eſſentiel à la vraye foy. La foy de faint Pierre fut à l'épreuve du ſcandale, &
en cela fort contraire à celle de ces diſciples incredules, qui ne pouvant com
prendre le mystére de l'Euchariſtie , en prirent occafion d'abandonner le Sau
Matth. 16. veur. Et fi omnes ſcandalizati fuerint in te : fed non ego. Le même.
L'obliga Si nous voulons ſolidement établir nôtre falut, il ne ſuffit pas, ſelon faint
tion qu'ont Paul, que nous croyons de coeur ? mais il faut encore que nous confeſſions
tous les
Chrètiens de bouche. Il ne ſuffit pas qu’intérieurement & dans l'ame nous adorions JE
de profeſler sus-CHRIST comme nôtre Dieu : mais il faut qu'au dćhors, & devant les
P A R A G R A P H E S I X I E’M E. 389
hommes, nous lui rendions le témoignage qui lui eſt dû. Et comme toute leur foy non
l'Egliſe est fondée ſur la confeſſion que fit faint Pierre de la Divinité du Fils de ſeulement de
Dieu , j'ajoûte que le falut de chaque fidele doit être fondé ſur la confeſſion
qu'il fera de fa foy; confeſſion de foy, dont l’obligation rigoureuſe eſt éga-bouche,com
lement & de droit naturel, & de droit divin ; confeſſion qui renferme deux me a fait s.
préceptes, l'un négatif, ( permettez-moy de m'expliquer de la forte après les Pierre.
Théologiens) l'autre poſitif; l'un qui nous défend de rien faire, de rien dire,
ui ſoit ſeulement même en apparence, contraire à la foy que nous profeſ
; l'autre qui nous oblige à donner des marques publiques de cette foy,
felon que les ſujets & les occaſions le demandent pour l'honneur de Dieu , &
ur l'édification de l'Egliſe ; deux devoirs abſolument indiſpenſables, s'agit
t-il de tous les biens du monde , & de facrifier juſqu'à nôtre vie ; Confeſſion
felon laquelle, au jugement de Dieu, nous ferons ou reconnus ou réprouvez
au jugement de Jesus. CHR1 sT : Car quiconque me reconnoîtra devant les
hommes, diſoit cet adorable Sauveur , je le reconnoîtrai devant mon Pere:
Qui confitebitur me coram hominibus confitebor G ego eum coram Patre meo. Er Marth. 1o.
par une régle toute contraire, quiconque devant les hommes m’aura ré
noncé, je le rénoncerai en préſence de mon Pere: Qui negaverit me coram ho- ibid.
minibus, negabo & ego eum coram Patre meo. Le P. Bourdaloue. -
O profondeur ! ô abîme des conſeils de Dieu ! Pierre tout éclairé qu'il Dans la chů.
étoit d'enhaut, n'étoit pas encore inébranlable. Il étoit la pierre ſur laquelle te de faint
l'Egliſe devoit être bâtie: mais cette pierre n'avoit pas encore toute la stabilité Pierre nous
néceſſaire pour l'affermiſſement de l’Egliſe. En un mot, ſaint Pierre après avoir nous
confeſſé j , le rénonça, après avoir dit à cet Homme-Dieu, .
vous étes le Christ Fils du Dieu vivant ; il fut affez foible & affez lâche pour & ce qui
dire,
ainſi, parlant de ce même
& la Providence Sauveur,
eût en cela ſes jedefleins
ne le connois point.
particuliers queDieu
nousle devons
permit fouvent.
pous arrive
adorer. Mais dans cet exemple réconnoiſſons-nous nous-mêmes: car voilà ce
que nous faiſons en mille rencontres. Nous confeſſons Jesus-CHRist de bou
che; mais combien de fois dans la pratique l'avons-nous rénoncé plus indigne
ment que faint Pierre ? Combien de fois n'avons-nous pas rougi d'étre Chrê
tiens ? combien de fois avons-nous paru devant les autels du Seigneur, com
me fi nous ne l'avions jamais connû ? & cela tantôt par un reſpect humain ,
tantôt par une fauffe politique, tantôt par un libertinage affecté , tantôt par
un ſcandale qui nous a entraînez » auquel nous n'avons pas eû la force de ré
fister ; en cela plus coupables que faint Pierre , en ce qu'il ne s'agiſſoit pas
de nôtre vie. Chûte de faint Pierre qui doit toûjours nous faire trembler,
quelques fermes que nous ayons été juſqu'à préſent. Car fi faint Pierre est
tombé, que ne devons-nous pas craindre nous qui ſommes la foibleste même ?
& avec quelle défiance de nous-mêmes, & quelle frayeur des jugemens de
Dieu ne devons-nous pas nous conduire ? Le même.
A peine Jesus-Christ eût-il donné les clefs de fon Royaume à faint Pierre, c'est en
que les Hérefiarques des prémiers fiécles les lui voulurent ravir. Et depuis les vain que
Âriens, les Neſtoriens, les Pélagiens, les Donatiſtes, les Luthériens, les Cal- tous les Hé
vinistes, & mille fećtes différentes ont attaqué le pouvoir que le Fils de Dieu :
lui avoir accordé : mais ils n'ont remporté que de la honte & de la confufion
devant les hommes, & une éternelle damnation devant Dieu. Saint Pierre Pierrele peu
t ----- C C c iij
* 39o POUR LE PANEGYRIQUE DE S. PIERRE.
regne depuis plus de ſeize fiécles par la ſuite continủelle & conſtante des
i o Souverains Pontifes ſes légitimes ſucceſſeurs. Il regne encore dans le Ciel -
& les clefs dit ſaint Leon , & il exerce ſa charge de Pasteur Souverain par les foins ten
lui a dres & affećtueux qu'il prend de l'Egliſe, & par l'affistance de fes prieres -
Nunc mandatum Domini pius ‘Pastor exequitur, confirmans exhortationibus
770 f 3
„... c pro nobis orare non cejans. Tandis que l'univers ſubſistera; il y aura une
2. i. Natal, Egliſe : & auſſi long témps que ſubſistera cette Egliſe , les fidéles drelleront
Af ofł. des autels à la mémoire de ce Prince des Apôtres ; ils s'aſſembleront tous les
ans pour célebrer la fête de celui qu'ils invoquent comme leur perc , leur
Paſteur, & le prémier Chef viſible que Jesus-CHRIsr leur a donné ſur la ter
re. Le P. 7 exier.
De ramour Selon l'ordre que nous a marqué faint Paul, le fondement de toutes les
de s. ri re vertus, c'eſt la foy ; mais la charité en est le comble & la perfećtion : Major
"" fils autem horum est charitas. Austi le Sauveur ne donna t-il à ſaint Pierre prefera
blement à tous les autres Apôtres, le gouvernement de fon Egliſe , que parce
’’” qu'entre tous les autres, ce fut faint Pierre qui lui témoigna plus d'amour.
En conſéquence de ſa foy, ou plutôt de fa confestion de foy, Jesus Cak sr
lui avoit promis les clefs du Ciel, la puiſſance de lier & de délier, la juriſdic
tion ſpiritüelle & univerſelle fur tout le monde Chrêtien. Mais comment fur
il mis en poſſeſſion de ces clefs, de cette puiſſance , & de cette autorité lou
veraine ? par ſon amour, & à cauſe de fon amour. L'amour donc, dit faint
Auguſtin , acheva ce que la foy avoit commencé. Saint Pierre en confetlant la
Divinité de Jesus-CHR 1st, avoit mérité que Jesus-CHRIST lui fit cette pro
meſſe folemnelle & autentique:C'eſt fur vous que je bâtirai mon Egliſe, & par
vous que je la gouvernerai,& S.Pierre par ſon amour pour Jesus-Christ mé
rita que Jesus-C H R 1 s r ratifiât dans la fuite,& accomplit cétte promeſſe.
Appliquons-nous cecy à nous-mêmes,& tirons-en une inſtrućtion.Le Sauveur
du monde comme il s'y étoit engagé,veut établir S Pierre Paſteur de ſon trou
peau, & Chef de fon Egliſe ; mais pour cela que fait-il? ll ne demande plus
à cet Apôtre, que difent de moy les hommes ? mais il lui demande, m'aimez
foan. 1 r. vous : Simon Joannis, amas me ? Et fans ſe contenter d'un amour ordinaire, -
il ajoûte, avez-vous plus d'amour pour moy , que tous ceux-cy? c’étoit des
Ibid. a tltl CS Apôtres qu'il parloit : Simon Joannis, diligis me plus his ? Non pas,
Le prémier de tous les Apôtres qui a fait profeſſion de la pauvreté , ç’a été De l'amour
faint Pierre. Car outre qu'il eſt le prémier qui a prononcé ces paroles géne- que s. vi
reuſes: Ecce nos reliquimus omnia, ci ſequuti fumus te. Il eſt le prémier avec avoir pour la
fon frere, qui laiſla ſa barque, qui quitta fes filets, & qui rénonça même à Pauvreré.
toutes les eſpérances qu'il pouvoit avoir, pour ſuivre le Fils de Dieu avec plus *"*"
de liberté. Si nous cherchons fa diſpoſition dans fon coeur, nous trouverons
qu'il eût laiſſé un palais auffi génereuſement que fa cabane ; qu'il eût quitté
une flotte auſſi franchement que fa barque , & qu'il cút abandonné anffi
promptement le plus glorieux exercice, que la pêche; de forte que fa pauvre
té n’ayant point de bornes , il a autant de mérite , que s'il avoit laifié un Em
pire. Car comme le Fils de Dieu lit dans les ames , & qu'il ne s'arrête pas aux
actions ni aux paroles, mais qu’il va chercher les intentions dans le fond des
volontez, il eſt auſſi fatisfait de faint Pierre qui n'a quitté que ſes filts, que
de ſaint Paulin, quand il eût quitté ſes richelles, & qu'il ſe fût réduit à la con
dition des pauvres ; puiſque fi ſaint Paủlin a plus quitté en effet, il n'a pas
plus quitté en diſpoſition , & que dans le fond de leur ame, leur pauvreté
étoit égale. Mais S. Pierre a l'avantage, qu'il eſt le prémier qui a frayé le che
min , & qui par ſon exemple a porté les autres à tout laiſler pour ſuivre le
Fils de Dieu. Ajoûtez à toutes ces confidérations que comme la pauvreté paſ
foit dans l'eſprit des Juifs pour une peine, & l'abondance pour une faveur,
il falloit beaucoup de graces à faint Pierre, pour ſe défaire d'une vieille er
reur, & pour embraſſer une vérité fi nouvelle & fi difficile. Mais quelque foin
que nous prenions de relever la pauvreté de faint Pierre, il faut avoüer que la
récompenſe qu'il en a reçûë, la ſurpaſſe de beaucoup, car je trouve que le Fils.
de Dieu, pour animer les Chrêriens à tout quitter , a honoré cette vertu dans
la perſonne de faint Pierre de deux rares priviléges : l'un regarde le préſent;
l'autre regarde l'avenir. Le prémier, eſt de tout donner à celui qui avoit tour
quitté : & le ſecond, est de le mettre en Pollestion de ce qu'il n'avoit aban
39, po UR LE PANEGYRIQUE DE S. PIERRE.
donné qu'en defir. Le Pere Senault de l'Oratoire.
La récom- Si c'étoit une choſe merveilleuſe de voir faint Pierre commander à toute la
Pen Bº nature, chaffer les infirmitez , & uſer d'une puiſſance abſoluë dans l'Etat de
, fon Souverain : que ce fera une choſe raviſſante de voir ce pauvre aſſis fur un
eề trône avec ſon Maître, prononcer l'arrêt à tous les Rois de la terre, & juger
qu'il avoit en
embraſlér.
dernier
Qu'il reffort,
fait bon nonquitter
de tout de lapour
fortune,
J e sumais du falut de tous les hommes !
s-C H R 1 s T , puiſqu'on en eſt ſi
avantageuſement récompenſé, & qu'il y a de gloire à être pauvre pour fon
fervice, puiſque la miſére & la douleur ſont les dégrez qui élevent fes diſci
ples fur le trône. Le même.
De la foy de Si jamais la foy a produit d'admirables effets dans un homme, il faut
faint Pierre avoüer que ç'a été particulierement en faint Pierre ; car il découvre la Divi
nité de Jesus-CHRist fous le voile de fon Humanité ; il pénetre les ſecrets de
fa naiſſance éternelle, les proprietez de ſa perſonne, & il voit ſur la terre
ce que les Bienheureux voyent dans le Ciel. Il entre dans le fein du Pere com
me faint Jean , & avant que faint Jean eût dit : In principio erat Verbum ; il
prononce en termes auſſi forts & auffi clairs : Tu es Christus Filius Dei vivi. Il
découvre ce que les autres Apôtres n'avoient pas encore décoüvert: Apostolica
fides, dit ſaint Hilaire , nunc primùm in Christo naturam divinitatis agnovit ; &
leur faiſant part de ſes lumieres, il les fait parler par ſa bouche, & il leur
fert d'interpréte: Petrus os Apostolorum , dit faint Jean Chryſostome. Auffi
J e s u s-C H R r s T ne fe peut-il empêcher de publier les loüanges de faint
Pierre, & de faire ſon éloge, le faint Apôtre venant de faire celuide ſon Maî
tre ; car il le déclare bienheureux dans une terre où les autres ſe contentent
d'être fidéles : il témoigne que la chair & le ſang ne lui ont pas révelé ces vé
ritez, & qu'il faut que fon Pere les lui ait découvertes: Sed Pater meus qui in
cælis eft. Le même.
L'état pi- , Rappellez en vôtre mémoire ce qu'étoit Rome payenne, avant qu'elle fût
toyable de la Rome Chrétienne. Toutes les legions infernales ſembloient être forties de l'a
ville de Rº bîme, pour fondre dans cette autre Babylone ; tous les Dieux des nations,
r. que le Prophéte nomme des démons, y recevoient un culte & un encens ſa
: i crilége; toutes les ſuperſtitions des peuples qu'elle avoit vaincus, y formoient,
fon siége, & dit faint Leon, une religion monſtrueuſe, compoſée de toutes les eſpeces d'i
le chang dolatries qui étoient répanduës dans l'ủnivers. Voilà ce qu'étoit Rome,quand
" ! faint Pierre y vint poſer le fondement de l'Egliſe. Mais admirez le change
Puis, ment qu'y a produit le zéle de cet : & de fes ſucceſſeurs. Rome
tre détruite, a fait place à Rome la fainte ; la croix est arborée ſur le Capito
le , comme l'étendart triomphant de la religion, ſous lequel combattent tou
tes les nations de la terre ; la Chaire de faint Pierre s'est élevée ſur le débris
d'une multitude infinie d’Idoles, & érige un trophé immortel à la religion
de Jesus-CHR i sr. Il a commandé à l'eſprit immonde de ſe taire en
de ceux qui font les ſacrez oracles de la vérité. Il a impoſé un filence éternel à
tous ces oracles trompeurs ; & ceux qu'il prononce par la bouchc de ſes Vi
caires, ſont entendus & reſpectez par toute la terre. L'Abbé du Jarry.
combien la Apôtre vrayement digne , dit faint Auguſtin , d'être dans l'édifice chrétien,
de truâioa le fondement pour l'appuyer, la colomne pour le foûtenir, & la clef pour en
de l'idolatris ouvrir l'entrée. Bienheureux portier du Royaume de Dieu ! s'écrie ſint Hi
laire
/
P A R A GR A P H E S I X I E’M E. 393
laire, à qui les clefs du ſéjour éternel de la gloire font confiées , dont les dé- dans Rome
un ordreſont
ciſions des préjugez
fingulier infaillibles,qu'après
de la providence, qui régient lesprêché
avoir arrêts Jesus-CHRIST
du Ciel. Ce futdans
par " " illuſ:
Jéruſalem, vous fûtes conduit à Rome , que Dieu avoit choifi de toute éter
nité pour être la Capitale du monde chrétien , après l'avoir rendue la maî
treffe de l'univers. Car d'où vient que cette cité myſtérieuſe marquée par
les Prophétes, où nous voyons la montagne élevée avec tant de gloire ſur le
fommet des montagnes ; d'où vient , dis-je, qu'elle a été, comme le dit faint
Leon, le Siege dominant de l'idolatrie, avant qu'elle devint le fiége princi
pal de l'Egliſe , & que par une pieté fuperſtitieuſe , elle embraſſoit ardem
ment toutes les impietez & toutes les ſuperstitions de la terre, fi ce n'eſt afin
que la croix du Sauveur s'élevât avec plus de gloire fur le débris de tout cet
amas d'idoles ? que le démon fut vaincu dans toutes les figures monſtrueuſes,
fous leſquelles il étoit adoré, & que tant de cérémonies payennes abbatuës
par lavraye religion, y ſerviſſent comme d'ornemeut à triomphe ? Le.
7/7e777ê. -
Saint Augustin dit que les péchez même des Elûs entre dans l'ordre de la , Tourquoy
prédestination, & que Dieu ne permet le mal des fautes qu'ils commettent,
que pour en tirer le bien de leur pénitence. Car comme les grandes vertus i
doivent être appuyées fur une humilité profonde : il eſt fouvent néceſſaire que re avant que
la confuſion qui naît du péché, nous faiſe entrer dans les fentimens d'humili- de l'établir
té que nous n’avions pas, fi nous avions toûjours conſervé nôtre innocence.
Mais fi cela est vrai des péchez de tous les élus,il l'est particulierement de ce-"***"*
lui de faint Pierre; car cet Apôtre étant destiné pour être le Chef de l'Egliſe &
our être en cette qualité le Juge Souverain des pécheurs : il avoit beſoin d’un
rand fond d'humilité, non-ſeulement pour lui-même , mais par rapport aux
fideles foûmis à fa juriſdićtion. C'eſt pour cela que Dieu permit qu'il tombât
dans une faute conſidérable, afin que le fouvenir de fon infidélité , toûjours
préſente à ſon eſprit, dans les fonćtions de la juſtice fouveraine qu'il devoit
exercer fur ſes freres, le fit toûjours pancher du côté de la douceur & de la
clémence, lorſque la ſévérité & la rigueur ne feroient pas abſolument néceſ
faires. Le même. -
Comme la foy a particulierement deux effets , dont le prémier est de foû- . Le rapport
mettre & d'abbaiffer l'entendement de l'homme, qui tout rempli de lui-mê- ºff
me tranche ordinairement du ſouverain , & veut orgueilleuſement fe rendre i
l'arbître de tout ; & le ſecond : d'être l'appuy & le foûtient de tout l'être fur- a fai
naturel, qui ne peut ſubſiſter fans cette foy; auffi y a-t'il ce rapport entre la te , & la re
confeſſion
me de foy
la foy fert de faint l'orgueil
à abbailler Pierre, &delal'homme,
récompenſeenqu'il en reçoitrenoncer
lui faiſant : que, com-
à ſes cº Psuſe
3A
propres lumieres, par un aćte héroïque d'obéiſſance qui le ſoumet, & qui le :Quic
captive, ainſi que parle faint Paul ; Dieu ſemble auffi avoir toûjours pris à
tâche de relever ceux qui ont ſignalé leur foy, comme un Abraham, un
Moyſe , & quelques autres , dont parle le Texte ſacré. Mais s'il y jamais eû
occaſion , où il ait fallu fe foûmettre, & captiver fa raiſon, ç'a été dans la
confeſſion que ce Diſciple a fait de fon Maître, & de la Divinité du Sauveur.
Car enfin juſqu'alors, perſonne ne l'avoit encore reconnû ouvertement ; il
falloit ſe déclarer le prémier , & en faire un aveu public ; d'ailleurs il le
Paneg. des Saints. Tome I. DDd
394 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. PIERRE.
voyoit homine ſujet aux neceſſitez & aux miferes communes à tous les autres
hommes. Il n'y avoit ni richeſſes, ni honneurs, ni plaiſirs à eſperer à ſa ſuite ;
de plus , on avoit déja dit qu'il paſſoit pour un autre Jean-Baptiste , à cauſe
de l'austérité de fa vie ; d'autres avoient avancé que c'étoit Elie , à cauſe des
miracles qui faifoient éclater fa puiſſance ; la plus commune opinion étoit
qu'il étoit un grand Prophéte; mais on en demeuroit là. Vous donc, Pierre,
qui avez été un des préiniers de fa fuite, qu'en penſez-vous ? Cet Apôtre ne
chancelle point : Tu es Christus , Filius Dei vivi, dit-il ; vous êtes le CHR1 sr,
le Mestie que nous attendons, & le Fils du Dieu vivant ; voilà ce que j’en
penſe, & ce que j'en croy. Illuſtre témoignage , grand Saint ! aveu glorieux à
celui à qui vous le rendez & à celui qui le rend ! parce qu'il en attire un autre
de la vérité même en vôtre faveur. Glorieuſe confeſſion ! qui va faire le com
ble de vôtre gloire. Foy admirable ! pleine de déference & de foumiſſion, qui
doit commencer vôtre prééminence & vôtre élévation au-deſſus de tous les
hommes. L'Autheur des Sermons fur tous les fijets.
saint pietre . C'eſt faint Pierre qui a allumé le prémier dans le monde le flambeau de
a été le pré- la foy touchant la Divinité du Sauveur ; c'eſt donc lui que les autres doivent
mier qui a ſuivre, & qu'ils doivent avoir pour guide. Car qui peut mieux conduire les
autres dans un pays inconnû, que celui qui en a fait la découverte le pré
È mier ? qui aura à plus juſte titre le gouvernement d'un Etat en l'abſence d'un
J E s u s- Prince , que celui qui a les plus particulieres connoiſſances de fes affaires, &
C H R i s I, de fa perſonne ? Auffi en même temps que ce diſciple confeſſe que ſon Maître
& le témoi- eſt le Meſſie , & le Fils du Dieu vivant: ce Meſlie , & ce Fils du Dieu vivant,
lui rend un autre témoignage de bonheur, que lui a procuré cette vive foy :
| Beatus es , Simon Barjona , quia caro Ğ fanguis non revelavit tibi. Vous êtes
lui a rendu, heureux, Simon , vous êtes heureux : parce que ce n'eſt ni la chair, ni le fang
Alatt. 16. qui vous ont appris ce haut mystére, mais la foy, & la révélation de mon
Pere. Et pourquoy : c'eſt qu’autant que cette foy a foûmis fon entendement,
qui eſt comme la tête de l'homme, ainſi que l'appelle le ſçavant Evêque de
Paris, à cauſe que c'en eſt la plus noble partie : Caput mentis, autant eſt-il éle
vé, d'être fait le Chef de l'Egliſe ; qualité qui a paſſé à tous fes Succeſſeurs ;
puiſque l'Egliſe eſt toûjours gouvernée par le même eſprit , & a toujours la
même aſſiſtance du Ciel, comme tout Chrétien le doit croire , puiſque le Fils
de Dieu l'a promis. Mais ce que nous devons bien remarquer préſentement ,
est que cette dignité fût la récompenſe de fa foy, par laquelle ce grand Apôtre
confeſſa ſi hautement la Divinité du Sauveur. Et comme c’eſt la vérité fon
damentale de nôtre religion : on peur dire avec faint Hilaire , qu'il fut dès
lors établi l'Apôtre des Apôtres même ; en leur enfeignant cette grande vérité;
puiſque ce fut par l'aveu, & la confeſſion qu'il en fit, que les autres com
mencerent à le reconnoître en cette qualité. L'Auteur des Sermons fur tous les
fijets, Čc.
la primauté Apôtres & diſciples ne diſputez plus entre vous, quel est le prémier. Voilà
de ſaint Pjer- vôtre contestation terminée ; & décidée en faveur de faint Pierre, par la bou
che de la vérité même, qui l'a établi vôtre Chef. Cette querelle étoit par
p & donnable avant que la primauté lui củt été ajugée par vôtre commun Maître,
recourüs
par ;:
& avant
vous la venuë
que alors
étoient communs tous củt
avecEſprit
du Saint éteint ces Mais
les hommes. fentimens d'ambition
après une qui
déclaration
ties Àgüttes.
P A R A G R A P H E S I X I E’ M E. 395
fi nette & fi autentique du Fils de Dieu même, qui le fait fon Substitut & fon
prémiers à le reconnoirre. Les Evangeliſtes lui donnent le
Vicaire , ils font les
prémier rang, dans la liste des Apôtres : e Apostolorum nomina funt : primus Si Matth. 1o.
mon, qui dicitur Petrus. Il n'étoit pas le premier dans l’ordre des temps , car
fon frere faint André, avoit été appellé à l'Apostolat avant lui : il faut donc
que ce ſoit par la prééminence de la dignité. C'eſt lui qui paye le tribut pour
les autres , felon la coûtume des Juifs ; c'eſt lui qui prćfide au prémier Con Ačt. 2.
cile des Apôtres : Petrus cum undecim. C'eſt lui qui prononce l'Arrêt, & qui
prend la parole, comme étant à la tête des autres , Vifum est Spiritui Sančio, & Ačt. 1 j.
nobis. C'eſt pour lui , comme pour le Chef de toute l'Egliſe , qu'on fait des
prieres publiques , pendant qu'il eſt en prifon. C’eſt à lui que le Sauveur don
ne prémierement les clefs du Ciel, comme à fon Vicaire, comme pour diſpo
fer des biens de fa maiſon , & quoique fa primauté ſoit encore la pierre de
ſcandale de tous nos hérétiques , fi faut-il qu'ils avouënt qu'elle a paſſé dans
tous les fiecles, & qu'elle eſt reconnuë de tous les Saints Peres. Le même.
Nous de
On peut dire plus particulierement de faint Pierre, qu'en qualité de Chef, vons irmiter
il doit fervir de modele à tous les autres Paſteurs comme il parle lui-même : toutes les
Forma faċli gregis ex animo. Il faut qu'un Paſteur ferve d'exemple à ſon trou v citus de
peau, & le Chef à tous ſes membres. Or quoique tout ſoit grand dans cet faint Pierre,
mais parti
Apôtre, & digne de nôtre imitation , ce qui fait que l'Egliſe chante , que culierement
Dieu est admirable dans faint Pierre: In Petro te mirabilem prædicamus : L'u fa foy.
nique chofe que je vous convie d'imiter, c'eſt celle qui a fait la ſource & le 1. Pet. y.
principe de fes autres prérogatives , fçavoir fa foy. C'eſt ce qui l'a élevé à
cette qualité de Chef, & c'eſt cette même foy qui nous fait membre de l'Egli
fe , & du corps myſtique du Fils de Dieu ; mais il faut que ce ſoit une foy vi
ve & animée de la charité, comme celle de ce grand Apôtre; nous fouvenant
de cette parole de faint Paul, qui vient fort à propos à mon ſujet , qu'il faut
que nous foyons établis fur la foy des Apôtres , c'est-à-dire , fur la foy qu'ils
ont établie : Superedificati ſuper fundamentum Apostolorum : mais particulie Ad Eph. 2.
rement fur celle de faint Pierre. Car vous ſçavez qu'il doit y avoir du rap
port entre le fondement d'un édifice, & ce qu'on ajoûte pour l'élever; car que
diriez-vous fi ſur le fondement d'un ſuperbe palais on vouloit bâtir des chau
miéres ou des cabanes de paſteurs ? ce feroit là un grand trait de folie, & la
plus grande irrégularité qui ſe pût imaginer. C'eſt cependant ce qui nous
arrive , lorſque nos actions & nôtre vie ne répondent pas à la foy que nous
avons reçûë. Nous ſommes élevez & établis ſur ce fondement de la foy de
faint Pierre: nous devons tenir nôtre place dans la strućture de l'Egliſe , qui
est l'édifice du Fils de Dieu : mais helas ! ne nous arrive-t'il pas ce que faint
Paul nous fait tant apprehender, & ce qu’on doit fi foigneuſement examiner
au jour du Jugement. Si quis ſuperædificat ſuper fundamentum hoc , ligna , fæ 1.Corinth. 3.
num , stipulam, uniuſcujuſque opus manifestum erit. Si quelqu'un ajoûte du bois,
de la paille , ou de l'étoupe , fi fur cette foy que nous avons reçûe de faint
Pierre, nous ajoûtons des aćtions de Payens , une vie molle, fenfuelle & vo
luptueuſe ; on verra alors la difformité de cet ouvrage , & on l'examinera
avec toute la fevérité imaginable. Quelle fera nôtre confufion, lorſque Pierre
aſſis ſur l’un des douze trônes, viendra juger ceux qui auront été prévarica
teurs des regles faintes, qu'il nous a prêchées & par fes paroles , & par ſes
- D D d ij
396 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. PIERRE.
exemples : Qaand il viendra juger les anciens d'Iſraël ? quand il nous dira
qu'il a tout quitté, qu'il a tout fait , qu'il a tout entrepris, qu'il a tout exe
cuté pour l'amour du Sauveur ? Qu'aurons-nous alors à répondre à fes repro
ches ? Pourrons-nous iustifier un ſeul jour, un inſtant même employé avec fin
cérité au fervice de Dieu ? pourrons-nous repréſenter la moindre attache aux
regles faintes de l'Evangile , nous qui travaillons fi peu à nous vaincre, &
qui ſommes fi lâches quand il s'agit de remplir les plus menus devoirs du
Chriſtianiſme ? nous , dont toute la vie n’eſt qu’un vain amuſement, qu'une
oifivcté continüelle , qu'un perpetuel dévouement aux choſes du monde, dont
nous faiſons toute nôtre attention , & qui occupent tous nos deſirs ? Le faint
Paſteur Pierre n'aura garde de nous reconnoître pour des brebis de ſon trou
peau, fi nous étant ſeulement contentez d'entendre ſa voix, nous ne nous
fommes mis nullement en peine de le ſuivre, fi nous paroistons les mains
vuides en la préſence de Dieu, il ne pourra nous avoüer pour être das fiens ;
fi nous n'avons mis en pratique tant de faintes inſtrućtions qu'il a pris la peine
de nous donner & par fes paroles , & par fes exemples.
Comme
faint
aint ll i1erre Comme faint Pierre avoit confeſſé le prémier la divinité du Sauveur : ce
après la def- futausti lui qui l annonça & qui le prêcha au peuple tout le premier ; car il
- - 1x - A * * -
cente du n’eût pas plûtôt reçû le Saint-Eſprit avec les autres Apôtres , qu'il fortit du
Saint-Eſprit Cénacle à la tête des autres, parla pour tous, & tout rempli de foy , tout pé
Préchº le nétré de certe charité divine qui le preſſoit , tout embrazé de zéle pour la
gloire de fon Maître, il parût fans crainte au même lieu, où il avoit tremblé
i de ji- à la voix d'une fimple ſervante, & publia que ce Jesus crucifié étoit le Fils du
su -CHR ist , Dieu vivant, en préſence de ceux qui l'avoient fait mourir : mais avec tant
de ſuccès, que dès le premier fermon, il convertit trois mille perſonnes , &
º cinq mille dans une autre rencontre. De là il porta cette même foy , & ces
pas fins, mêmes lumiéres aux villes les plus voifines : & comme un chef, il répandit ſes
influences fur toutes les parties de ce grand corps. Il commença par la Judée,
comme ayant ſuccédé aux travaux & à l'employ de ſon Maître , pour achever
ce qu'il avoit commencé , juſques à ce que Dieu lui eût fait connoître par ce
mystérieux linceul rempli d'animaux immondes , que le temps étoit venu au
quel il ne falloit plus mettre de distinćtion entre les peuples, que Dieu vou
loit réünir enſemble dans une même Religion. Ce fut alors que, comme Chef
de l'Egliſe Univerſelle, il répandit ſes inflüences juſqu'aux extrémitez de la
terre, par la diſperſion qu’il fit des autres Apôtres , pendant que lui-même
parcourt en perſonne les Royaumes de Pont , de Galatie, de Capadoce, & de
Bythinie : & pendant ſept ans , qu’il rint fon Siége à Antioche, il anima tou
re l'Egliſe naiffante, & établir la foy par toutes les nations. Mais le Fils de
Dieu qui l'avoit fait le Chef de fon Egliſe Univerfelle, voulut auſſi qu'il eût
pour Siége la Capitale du monde : afin que pendant qu'il envoyeroit les autres
étendre la foy par leurs courſes Apostoliques , il demeurât à Rome, pour de
là répandre fes lumieres par tout, parce que , comme dit faint Leon , cette
ville maîtreffe du monde entier, ayant commerce avec toutes les autres Na
tions , il y devoit établir le Siege de la Religion , pour de là porter & ćren
dre la créance de la Divinité du Sauveur à tous les peuples, ce qui ne s'est
point fait fans une fage conduite de la providence : afin que cette ville qui
avoit été juſqu'alors comme le centre de l'idolatrie , & qui n'avoit vaincu
P A R A G R A P H E SI X I E’M E. 397
tous les peuples de la terre, que pour prendre toutes leurs ſuperſtitions, ainſi
que leur reproche le même faint Leon, devint le Siege de cet Apôtre, pour
commencer par elle, à renverfer l'empire du demon , & y établir la foy du
vray Dieu. L'Auteur des Sermons fur tous les ſujets , &c.
C'est à Rome que ce chef de l'Egliſe , après l'avoir long-temps conduite &
gouvernée , a donné enfin fa vie pour elle, à l'exemple de ſon Maître, & par
le même genre de mort que lui ; car ce fut, comme vous fçavcz , par le fup
plice de la croix. La croix du Sauveur lui a donné la vie , il faut, grand Saint !
que la vôtre la conſerve, & que vôtre fang ſerve à la cimenter , comme le
fien a fervi à la faire naître & à l'établir. Mais ce fera, grand Apôtre, dans
cette Capitale du monde , que vôtre tombeau fera glorieux, comme le fien
l'a été dans Jéruſalem. Ce fera là que les Empereurs & les Rois de la terre
viendront rendre leurs hommages à vos cendres,comme dit S.Auguſtin,parlant
du grand Constantin: Ad pedes Piſcatoris acccdit Imperator. Un Charlemagne
prosterné baifera toutes lcs marches qui conduiſent à vôtre Temple : un Henry
mettra fon diadême à vos pieds: un Eſtienne ne voudra regner que par vous, &
les autres s'engageront ſolemnellement à foûtenir & à défendre la même Egliſe
- que leSauveur a commiſe à vos foins. Or quelle conſolation & quelle aſsûrance
ne devons-nous point tirer de là,parmi cette multitude de fećtes, d'hérefies &
de nouvelles Religions qui ſe font élevées de temps en temps, & qui infećtent
encore aujourd'hui tant de royaumes de la Chrétienté : de ſçavoir que nous
fommes dans une Egliſe dont le Chef a été établi par le Fils de Dieu, & dans
la foy de celui qui pour récompenſe de fa foy en a été la pierre fondamentale.
Si je me tiens fortement attaché à cette pierre , je ne puis être ébranlé, par
ce que je fuis appuyé ſur la fermeté même, qui est la parole de Dieu. Je ſuis
hors des atteintes de l'erreur, puiſque Routes les portes de l'enfer ne pourront
jamais prévaloir contre elle. Je ſuis aſsûré d'être dans la véritable Réligion,
puiſque je fuis foûmis à celui que Dieu même en a fait le Chef viſible. C'est
pourquoy l'unique moyen de ne s'égarer jamais dans les choſes de la foy, eſt
de s'attacher inébranlablement à cette pierre ferme , & de ne ſe féparer jamais
de ce Chef: au lieu que fi cet appuy eſt une fois détruit & renverſé, il n'y a
plus rien qui puiſſe empêcher que l'erreur ne fe glifie par tout, & que l'Egliſe
ne ſoit détruite & renverſée en même temps. Car d'où vient , je vous prie,
que nos héretiques font toûjours flottans , & difent aujourd'hui d'une façon,
& demain d’une autre ; qu'ils croyent tantôt un article , & qu'ils le changent
au bout de quelque temps, comme on leur a fi fouvent réproché : c'est que
leur foy n'est point appuyée ſur la folidité de cette pierre ; mais fur le ſable
mouvant de leur ſentiment propre, & de leur eſprit particulier. Le même.
Comme faint Pierre en qualité de Chef de l'Egliſe , a ců une plénitude de
puiſſance & d'autorité dans le Ciel, & fur la terre: il a eû auſſi une inflüence
fur tous les membres de ce grand corps , puiſque ce pouvoir & cette autorité
ne lui ont été donnez que pour les exercer le prémier , & les communiquer
aux autres Souverains Pontifes, les perpetüant ainfi juſqu’à la fin des fiécles,
de maniere que toute l'autorité qui eſt dans l'Egliſe n'est que par l'union avec
la fienne. Je ne parle point de cette puistance fur le monde materiel, fur
les élemens , & ſur la mort même, qui ſemble avoir été foûmife à la foy de
faint Pierre entant que perſonne particuliére ; c'eſt pourquoy il n'a pas tranſ
- D D d iij
|
398 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. PIERRE.
mis ce pouvoir à ſes ſucceſſeurs les Souverains Pontifes ; auſſi n’étoit-il pas
néceſſaire : mais je parle de la puiſſance qu'il a reçûë en qualité de Chef de l'E
gliſe , de cette autorité ſpiritüelle attachée à la fonction de fa charge , de cet
te puiſlance abſoluë & fouveraine d'un côté, & de l'autre , immenſe pour l'é
Marth. I 6. tenduë de fa juriſdićtion ; j’ay dit, abſoluë & fouveraine, & je ne l'ay dit
qu'après le Fils de Dieu même, qui la lui a communiquée : Quodcumque liga
veris füper terram , erit ligatum & in calis: & quodcumque folveris ſuper terram,
erit ſolutum & in cælis. Ce pouvoir de lier, & de délier, de remettre & de re
tenir les pechez , & cela en dernier reſfort , puiſque la fentence qu'il porte,
cit en même temps ratifiée dans le Ciel. C'eſt un pouvoir plein & entier , fans
reſtriction & ſans réſerve, pouvoir qui n'appartient proprement qu'à Dieu
Luc. 5. ſtul: Quis potest dimittere peccata , mist folus Deus ? Il étoit vray, juſqu'alors
ce pouvoir étoit réſervé à Dieu ſeul : mais maintenant le Fils de Dieu l'a
communiqué à celui qu'il a établi Chef viſible de fon Egliſe après lui, parce
*
que comme il tient ſa place , il faut qu'il ſuccede à fon autorité. Les Rois
pirre " uvent bien faire grace aux criminels,mais non les rendre innocens. Le même.
te Quand la vie de quelques autres Saints vous paroîtroit inimitable par de
qu'il est en certains endroits, qui les élevent fi haut, que vous les perdez preſque de vůë:
néri e , en en voicy un , qui tout élevé qu’il eſt par fà primauté dans l'Egliſe , par l'éten
dignit: ' en duë de ſon pouvoir, & l’éminence de fon caraćtere, n'a reçû ce femble de
a J E s u s-C H R i s T ſon maître ces marques de diftinćtion & d'honneur ,
qu'afin qu'il raſsûrât vos eſprits dans vos doutes, qu'il reformàt vos moeurs
que tout le dans vos défordres, qu'il vous conduisit, & vous fervit de rég'e dans la pra
monde peut poſtolat
lIlll I < T.
tique de comme
vos plusſesimportans devoirs.: ilPierre
autres confrêres eſt misn’eſt pastête,
à leur ſeulement
& c'eſtappellé à l'A
à lui qu’ont
été confiées non ſeulement les brebis, nais les Paſteurs mêmes , dit faint Ber
tard. Il n'a pas ſeulement comme les autres Apôtres, foin de quelques Egli
fes : il eſt, dit faint Cyrille, le Prince de toute l'Egliſe ; il ne conduit pas
comme eux, quelque barque ſur la mer orageuſe du fiec'e : il eſt, dit faint
Chryſoſtome , un pilote univerſel, qui préſide à nôtre navigation, & qui tient
Par tout le gouvernail. A quelle fin ? pour vous applanir les voyes du falut,
pour vous conduire au Ciel par la fainteté de fes exemples, pour vous raſsú
*"***" rer lui-même , le dirai-je ? par ſes propres chủtes: Et tu aliquando converſus ,
confirma fratres tuos. Il eſt tombé, je l'avouë, mais fa chủte a été plus heu
reuſe que la perſévérance de pluſieurs autres, dit faint Ambroiſe : Fæliciùs
cecidit, quàm alii steterunt. Il a renoncé lâchement fon Maître : mais ce Maître
lui a inſpiré des fentimens dignes de fa Divinité, & a prié pour l’affermiſſe
ment de fa foy. Il s'étoit fermé à lui-même le Ciel par fon peché : mais Je
sus-CHR i st non-content de le lui ouvrir , lui en a confié les clefs, afin qu’il
l’ouvrit à ceux qui l'auroient ſuivi dans la pratique de fes vertus. N’est-ce Pas
là dequoi vous raſsúrer, & vous encourager ? Eloges historiques des Saints.
Il est abo Il eſt certain qu'il doit y avoir dans l'Egliſe quelque puiſſance viſible, fous
laquelle les fidéles ſe rangent , pour ſçavoir ce qui eſt vray , ou ce qui eſt
y ait . faux ; puiſſance éclairée des lumieres d'enhaut , qui leur explique les divines
i'Egliſe une Ecritures , & leur en découvre le véritable fens ; puistance établie de Dieu
pifance vi- pour terminer les controverſes qui regardent la foy, & à laquelle il faut s’at,
"*"*" tacher cominc au centre de toute vérité & de toute unité. Car fi dans l'an:
P A R A G R A P H E S I XI E M E. 399
cienne Loy il y avoit outre les Prêtres, un Souverain Juge auquel on rappor- quell- tou,
toit toutes les grandes cauſes , & de la bouche duquel on attendoit les der-les fidée,
niers Arrêts ; l'Egliſe qui eſt un Etat encore mieux policé que la Synagogue, foiết réünis.
n'auroit-elle point de Chef ? & chaque particulier feroit-il en droit de s’éta
blir juge en fa propre cauſe, avoüant & niant, croyant & rejettant ce qu'il
voudroit ? Or cette puiſſance viſible a été prémierement & principalement ac
cordée à Pierre, & à ſes ſucceſſeurs les Souverains Pontifes : à Pierre, dis-je,
établi par Jesus-CHR1st , Paſteur de l'Egliſe univerſelle , & chargé du foin
de paître les brebis & les agneaux ; à Pierre choiſi pour l'immüable fonde
ment ſur lequel la vérité ſe foutient, & qui venant à chanceler & à tomber,
donneroit à l'enfer ſur l'Egliſe des avantages qu'il n'aura jamais , ſelon la pa
role de Jesus-CHR ist meme à Pierre, dont les Souverains Pontifes repréfen
tent la perſonne , & qui a reçû de fon Maître tant de pouvoir, que ce qu'ils
jugent & ce qu'ils décident, n’eſt qu’un écoulement & une continüelle ſucceſ
fion des avantages finguliers accordez à celui à qui le Sauveur a dit: Quand
vous ferez converti , rajsürez G- affermiſsez vos freres. Les mêmes.
Il y a eû des temps où Arius, Neſtorius, Pélage n’étoient pas encore. On On fait le
marque les fiécles & les années où les Wiclefs, les Jean Hus, les Jerômes de
Prague , les Calvins, & les Luthers ont femé leurs erreurs. Vos peres avant onto -
ces malheureux temps, étoient en poſleflion de la vraye doćtrine , & attachez cé na ia
à la communion de faint Pierre ; Pourquoi donc auriez-vous une autre foy foy de faint
que la leur, & vous feroit-on parler un nouveau langage que vous avicz
pas auparavant? Rendez ſeulement graces à Dieu de vous avoir élevé dans le
fein d'une Egliſe, hors de laquelle on ne peut fe fauver. Conſervez précieuſe- puis la naiſ
ment la foy de nôtre Apôtre , & comme elle ne vous juſtifieroit pas , fi elle de l'E
n'operoit par la dileči ion , prenez pour modéle de la vôtre celle de ce faint .
Apôtre , dont le grand amour qu’il a ců pour Jesus-CHR 1 sr , doit vous affer. y
mir & vous encourager dans le vôtre : Et tu aliquando converfis, confirma fra fo .
tres tuos. Eloges historiques des Saints. -
Oüy, faint Pierre aime Jesus-Christ : Tu fcis Domine 2 quia amo te ; & Les mar
c'est parce qu'il l'aime, qu'il renonce à ſes biens & à ſes eſpérances , aux dou- S
ceurs , & autres petites commoditez de la vie. C'eſt parce qu'il l'aime, qu’il fa
embraſſe avec joye les fatigues & les contradictions d'un pénib'e miniſtére , d. s pire
fans que ni la fureur des Juifs, ni la cruauté des Gentils , ni les fers, ni les envers le
priſons, ni les perſécutions , ni les menaces, ni la terre, ni l'enfer puiſſent Sauveur.
arrêter un ſeul moment l'impetuoſité de fon zéle dans la manifeſtation de la
Divinité de Jesus-CHRIST, & la prédication de l'Evangile. C'eſt parce qu'il
aime Jesus-CHRIsr qu'il entre le prémier dans fon tombeau , qu'il parle le
prémier de ſa Réſurrection & de fa gloire à une nation incrédule & à des cſ
prits aveuglez, dont cepenant trois millc fe convertiſſent dans un ſeul de ſes
diſcours. C'eſt parce qu'il l'aime, que dès qu'il entend parler de lui, il est
le plus ardent & le plus empreſſé de tous. Saint Jean , lui dit-il : Voilà mộtre
Maitre ; à cette parole il fe jette dans la mer, fans prende garde au danger ali;
quel il s'expoſe, fans attendre que fa barque arrive à bord. Çest aiz qu il
fache que c'est ſon Maitre, pour ſe jetter à corps perdu dans l'eau. L'ardeur
de fa foy, & l'impatience de fon amour lui fonroublie, le péril, dit faint Am
broiſe ; ſa foy lui fait reconnoitre la Divinité de fon Maître , & ſon amour le
4oo poUR LE PANEGYRIQUE DE S. PIERRE.
preſſe d'aller à lui par un plus court , quoique plus : chemin. Sa
foy agit par fon amour, & ſon amour fe foûtient par fa foy : foy & amour,
deux excellentes vertus de nôtre faint Apôtre, qui nous font connoître que ce
n'est pas ſon corps, dont la péſanteur naturelle l'eût entraîné dans le fond de
la mer: mais leûr agilité & leur empreſlement, qui le font marcher ſur les
eaux. Que vous dirai-je des autres dangers aufquels ce même amour l'a expo
fé ? de fes courſes, de fes fatigues, de ſes travaux continüels, de ſes prédica
tions affiduës, de fes veilles, de fa priſon & de fes chaînes, de la crüauté avec
laquelle Hérode le traita pour tâcher de s'attirer par là la faveur de la nation
Juive, en le faiſant jetter pieds & mains liez dans un obſcur cachot, & de la
tranquillité avec laquelle il prenoit ſon repos dans ce lieu ténebreux & obſcur?
toutes ſes peines extérieures ne lui faiſant point perdre la paix de l'ame: tant
il s’estimoit heureux de trouver ce qu'il défiroit par-deſſus toutes choſes, c'eſt
à-dire, l'occaſion d'expoſer fa vie en mourant pour un Dieu qu'il aimoit plus
que foi-même, qui l'avoit comblé d'honneurs & de bienfairs, & qui enfin
avoit expoſe & livré ſa vie non-feulement pour lui & fes confreres les autres
Apôtres, mais pour tout l'univers. Le; mêmes. * -
Pourquo Auſſitôt que les Apôtres eûrent reçi la plénitude de la grace ; & qu'ils ſe
la p én- fûrent partagez à toutes les nations de l'univers, le Saint-Eſprit, dit S. Leon,
ce divine a envoya ſaint Pierre le Prince des Apôtres, & le flambeau des Juifs à la Capi
: 8. tale du monde ; parce que l'Egliſe devoit être fondée dans l'Empire, & non
à l'Empire dans l'Egliſe ; il lui fit affronter toute la fureur de l'enfer 5 il lui fit
Rome. quitter les Egliſes d'Aſie, de Pont, de Bythinie, d'Alexandrie, d'Antioche,
pour établir ſon Siége au même endroit où les Romains avoient planté le fiége
de l'Empire, Dieu voulant ſuivre dans l'établiſſement de fon Royaume ſur
terre l'état des choſes politiques, afin que l'Evangile qui devoit être publié à
toutes les nations de l’univers, ſe répandît plus efficacement dans toutes les
Provinces qui compoſoient le corps de fon Empire. Tellement qu'on peut dire
que cette grande ville, qui ſe difoit la Reine des nations, & la mere des peu
ples, n'est pas ſeulement la mere de toutes les Egliſes par fa grandeur & fon
ancienneté, comme l’ont prétendu les Héretiques, mais par l'inſtitution de
J E s u s-C H R 1 s r., lorſqu'il dit à faint Pierre : Tu es pierre, cý fur cette
pierre je bâtirai mon Egliſe. La raiſon de cette vérité ſe tire encore de deux pré
rogatives que le Sauveur du monde a conferées au Prince des Apôtres, que
cet Apôtre a tranſmiſes à ſon Siége, & que fon Siége a conſervées juſqu'à nous
par une heureuſe tradition. La prémiere, c'eſt que le Fils de Dieu ayant ren
du le Siége Romain le centre de l'unité & de la communion de toutes les
Egliſes : il a fallu qu'il lui communiquât l'infaillibilité de la doćtrine & de la
foy, qui les unit enſemble, & qui les unit toutes à J E s u s-C H R r s T. La
feconde, c'eſt que le Siége de faint Pierre étant la régle de la foy qui fait la
Religion de toutes les Egliſes, il a fallu qu'il conſervât juſqu'à la fin cette
même doćtrine & cette même foy, que le Sauveur du monde a promiſe à S.
Pierre, que faint Pierre a tranſmiſe à tous fes ſucceſſeurs, & qui par les Sou
verains Pontifes de fuite en ſuite, eſt parvenue juſqu'à nous par une heureuſe
fucceſſion. Auteur moderne.
Le zéle fer- , Quel fut le zéle de faint Pierre pour le Sauveur, lorſque le voyant aban
vent de ſaint donne de pluſieurs de fes Diſciples qui s'étoient ſcandaliſez de ſes paroles,
lorſqu'il
P ARAGRAPHE S I X I E’M E. 4 of
lorſqu'il leur avoit dit que s'ils ne mangeoient la Chair, & s'ils ne bůvoient piert. pour
le Sang du Fils de l'Homme,ils n'auroient pas la vie en eux?quel fut, dis-je, le le fervice de
zéle
voit de ce faint
encore Apôtre, lorſqu'adorant
comprendre, la hauteur
il s'attacha plus d'unque
fortement myſtére
jamaisqu'il
à J ne
E spou-
u s- on Mire O C•
C H R i s T , pendant que tant d'autres s'en ſéparoient, & répara glorieuſe- e
ment leur défertion par cette réponſe fi pleine de foy & de charité : où irois
je , Seigneur, vous avez les paroles de la vie ? verba vite haber, Quand le
Sauveur aſsûre fes Apôtres qu'ils ſouffriroient tous ſcandale à ſon ſujet dans la
nuit qui préceda ſa Paſſion , & que le Pasteur étant frappé, toutes les brebis
fe faint Pierre proteſte hautement que s'il le voyoit trahi &
abandonné de tous , il lui demeureroit toûjours fidéle. A la vérité, ſon cou
rage ſe démentit par une foiblolle humiliante ; mais outre que la confuſion
qu'il eût de fa faute , redoubla ſon attachement pour la perſonne de J E s u s
C H R 1 s T , il répara ſa faute par tous les endroits poſſibles , & la protesta
rion folemnelle de fidélité qu'il lui avoit faite , venoit plûtôt d'un zéle ardent
& génereux, que d'une confiance préſomptueuſe qu'il eût en fes propres for
ces. Auffi attira-t-elle un ſecond regard du Sauveur fur ſaint Pierre, qui en
fit le plus contrit & le plus affligé des pénitens. Effais des Panégyriques.
L'on vit alors dans ſaint Pierre ce que peut une abondante effuſion de la Change
grace du Saint-Eſprit. Elle embrafa ce coeur auparavant fi froid , juſqu'à lui ment de s.
faire rendre publiquement témoignage à celui qu'il venoit de renoncer ; elle décrit
ouvrit cette que la crainte avoit fermée à la vérité, & l’ouvrit avec
un avantage tout particulier; car tous ceux ſur qui le Saint-Eſprit étoit deſ
cendu , reçûrent le don de parler toutes fortes de langues; mais faint Pierre faint Jean.
fut le ſeul, ou le prémier de tous , folus præ cæteris promptiùs emicaret, à prê
cher hautement Jesus-CHR I ST à cette foule de Juifs qui l'environnoient, &
à confondre par la gloire de ſa Réſurrećtion, ceux qui l'avoient fait mourir.
Si quelqu'un, dit faint Auguſtin, veut joüir avec plaiſir d'un ſpećtacle fi faint
& ſi agréable, qu'il life le livre des Aćtes ; il y verra avec admiration prêcher
Jesus-CHR ist par celui dont il lit avec douleur le renoncement dans l'Evan-
gile ; il y verra ce coeur fi lâche rempli de courage , cette langue eſclave de la
crainte, pleine de liberté & de confiance ; faire confeſſer J E s u s-C H R 1 s t
par trois mille langues ennemies, elle qui l'avoit renoncé trois fois, pour ne
pouvoir réſister à la parole d’une ſervante. En un mot , la grace brilloit en
lui avec tant de plénitude , les paroles de la vérité avoient tant de poids &
d'autorité dans fa bouche, que cet homme qui trembloit auparavant dans la
crainte que les Juifs ne le fiflent mourir avec J E s u s-C H R i s r., fait à
preſent trembler les Juifs ennemis de J E s u s-C H R i s t , en convertit un
très grand nombre, & rend ceux qui avoient ôté la vie au Sauveur, prêts à
perdie la leur pour l'amour de lui. Auteur moderne.
Vous voyez que l'humilité de faint Pierre ne paroît avec guéres moins d'é- Humilité de
clat que fon grand courage; ce feu , certe aćtivité, cette hardieſſe à parler & faint Pierre.
à agir, que l’on a vû juſqu'icy dans lui, diſparoiſſent preſque tout-à-fait dans
la fuite, dit Origéne, où nous voyons par tout un eſprit fi humble, & fi mo
deré, fi prêt à ceder aux autres, & à s'humilier devant tout le monde, qu'on
a peine à y reconnoître le naturel de faint Pierre , & le rang qu'il tenoit dans
l'Égliſe au-deflus de tous les autres. Il paroit toûjours le premier quand il s'a
Paneg. des Saints. Tome I. E Ee
*, .*
de au Fils de Dieu d'aller à lui fur les eaux , en leur commandant de s'affer
mir fous fes
CHRIST, pieds.
pour Domine, ſon
récompenſer ſi tuardent
es, jube me venire
amour ad teluifiaccorda
& fa foy per aquas. Jesus-
cette gra- Matth. 14. N
niêm amo ir "º"° fois, ‘Paiffez mes brebis. Le Sauveur éxigea de ſaint Pierre un amour ten
qu'il a éxi dre, un amour ſage & éclairé, & un amour fort & courageux. Saint Pierre
gé de faint roit n'aimoit-il
fur unepas tendrement le Sauveur, quand
il nelui ayant
Pierre. croix, il le reprit, en difant, faut pas oüi
que dire
cela qu'il
loit ?mour
Mais
fon zele alors n'étoit pas encore reglé par la ſcience. C'eſt pourquoy le Fils de
Matth. 16. Dieu lui dit : Retirez-vous de moy : vous n'avez pas encore le goût des chofes ds
Dieu. Son amour étoit plus éclairé , quand il dit au Fils de Dieu, je mour
ray pour vous ; mais il n'avoit pas encore la force néceſſaire pour éxécuter ce
qu'il promettoit. Le Sauveur lui demande donc par trois fois, s'il l'aime ,
c'eſt-à-dire, s'il l'aime tendrement , afin d’avoir un foin affectueux pour ſes
brebis ; s'il l'aime fagement , afin de les conduire felon les régles du Souve
rain Paſteur ; s'il l'aime fortement, afin de donner ſa vie pour elles, s'il eft
néceſſaire. Voulez-vous , dit faint Augustin , aimer Jesus. CHR ist d'un
amour genereux, aimez-le plus que vos biens, plus que vos parens & amis:
aimez-le plus que vous même. Rompez à ceux qui dependent de vous le pain
de la parole, en la convertiflant en lait pour nourrir les foibles: donnez aux
forts une nourriture folide : foutenez vôtre doćtrine par la force de vôtre
exemple, & veillez ſur les beſoins de tous. Le Pere Chauchemer , Sermon ma
nuſcrit.
Abrege des . Je ne puis renfermer plus en abregé toutes les grandeurs & les privileges
grandeurs , du Prince des Apôtres, & vous en faire concevoir une plus haute idée , qu'en
& des P i vous le repréſentant comme la pierre fondamentale que le Fils de Dieu a choi
| fie pour bâtir fon Eglife. En effet , qu'eſt-ce que faint Pierie , ſi je Puis, com
plan qu'en a me je n'en doute pas , lui appliquer les parófes que faint Bernard écrivoit
fait faint autrefois à un de fes Succeſſeurs ; il eſt le Grand Prêtre de l’Egliſe , égal à
Beinard. Abel dans fa primatie , à Noé dans fou gouvernement , à Abraham dans fon
Patriarchat, à Melchiſedech dans fon Ordre , à Moyſe dans fon autorité, à
- Samüel dans ſa Judicature; que dis-je ? égal méme au Sauveur dans fon ca
raćtere : Etiam untiione Christus. Mais quelle eſt la fource de tous ces titres.
glorieux ; ou plûtôt, quel eſt le titre auguſte qui renferme en abrégé tous
ceux là ? fi ce n’eſt celui qui lui donne la gloire d'être la pierre fondamen
tale de l'Egliſe. Car s’il eſt de la prudence d’un homme , qui veut bâtir une
maiſon , d'élever fes une pierre ferme & folide, afin qu'elle ré
fiste à toutes les injures des temps , comme le Sauveur nous l'apprend dans
fon Evangile. Vous ne devez pas douter qu'il n'ait éxécuté lui-même ce con
fil, dans le deficin qu'il a est de bâtir ſon Egiſe ; puiſque cet édifice ſpiri
P A R A G R A P H E SI X I E’M E. 4o5
tüel ne pouvoit ſubfister juſqu'à la fin des fiecles, comme il nous a protnis,
fi les fondemens n’étoient fur une pierre inébranlable, & qui eût tou
tes les qualitez néceſſaires pour réſiſter à toutes les puiſſances , qui pourroient
l'attaquer. Sermon manuſcrit.
Si je regarde faint Pierre dans le travail de la pêche , je remarque dans luy La foy de
la foy d'un Abraham, puiſque la parole de Jesus-CHR1st le fit eſpérer con- l'Apôtre
tre toute eſpérance, de pouvoir prendre une infinité de poiſſons, après avoir fint Pierre
travaillé toute la nuit ſans rien prendre. Si je le conſidére en pleine mer, je le ,
vois marcher fur les caux, & triompher de l'inconſtance de cet élement par aảions &
la conſtance
fed fidem, ditde fa foy;
faint Audeo
Jerôme : cedicere , fuper
n'étoit pas aquas
tant lenon Petridecorpus
corps faint ambulaffe
Pierre qui, les
dans toutes-
marchoit ſur les eaux, que fa foy. Il eſt vray qu’au milieu de fa courſe, il de fa
commença à douter, & qu'il penſa être ſubmergé; mais c'est en cela que fa
foy éclata davantage , dit ſaint Maxime; car dans le péril , il s'écria : Sei
gneur,fauve moy,& il fit ainſi connoître qu'il fe défioit à la vérité de ſes forces:
mais qu'il ne doutoit point de la puiſſance de Jesus-CHR i ST, qui pouvoit par
fa parole , appaiſer les flots de la mer ; De fe diffus est, non de Deo dubitavit,
dit ce Pere. En ſuivant même cet Apôtre dans le Prétoire de Caiphe : j'ad
mire en ce lieu la fageſſe de Dieu, qui par des voyes inconnuës à la pruden
ce humaine, vient à l'éxécution de fes delleins. Je vois que Dieu permet que
cette colomne de la foy ſoit ébranlée , pour l'affermir davantage; parlons
fans figure: je vois que Dieu permet que Pierre foit infidele à ſon Maître,
& qu'il le renie, afin que fa foy fût plus constante après fa pénitence, & qu’il
devint plus fidele après les larmes qu’il verſa pour fon infidelité. Pour moy ,
qui ne regarde fon péché que dans les defleins de la providence de Dieu, j’ofe
dire de lui, ce que l'Evangile dit du péché d'Adam , que c'eſt une faute heu
reuſe , une faute nécestaire , une faute profitable ; puiſque Dieu ne l’a per
miſe , que pour affermir d'avantage fa foy, & que ce grand Apôtre l'a ré
arée avec uſure , ſelon faint Auguſtin. Il en eſt de faint Pierre , comme de
l’Arche d'alliance, qui étant tranſportée de la maiſon d'Aminadab , dans celle
d'Obededom, pencha, & fut ebranlée par un faux pas des animaux qui la
portoient ; mais, ſelon faint Grégoire, cet Arche ne penchoit que pour s'af
fermir davantage, & c'étoit une erreur de croire qu'elle allât tomber ; Incli
natio illa fortitudinis erat, & caſus videbatur imperitis. Le même.
Lorſque Dieu arme un homme de fa force, il peut génereuſement réſister La force &
à toutes les puiſſances de l'enfer. En effet, vit-on jamais un courage plus fer- le grand
me & un coeur plus intrepide, que celui de faint Pierre? On lui défend de
prêcher dans Jeruſalem le nom de Jesus-CHR 1st : il dit conſtamment qu'il *
obeït à Dieu , & qu’il mépriſe les commandemens des hommes contraires à
ceux de Dieu. On lui demande par quelle vertu il faiſoit tant de miracles : il
répond que Jesus-CHR 1st en eſt l'auteur. On lui commande de ne plus en
feigner fa doćtrine : il répond qu'il ne peut s’empêcher de publier la vérité
dont il est temoin. Hérode pour complaire aux Juifs, le fait mettre en prifon:
les chaînes dont il est chargé, lui cauſent fi peu de douleur, & abattent fi
peu fon courage, qu'il repoſe tranquillement dans ſon cachot, juſqu'à ce
qu'un Ange le vint mettre en liberté. Sermon manuſcrit.
Saint Pierre ſe montre fi rempli de courage pour les interêts de J E s u s
- - E E e iij
406 poUR LE PANEGYRIQUE DE S. PIERRE.
Č H R 1 s T dans Jeruſalem, qu'il y auroit mille fois enduré le martyre, fi
Dieu n'eût destiné fon fang pour être la gloire immortelle de Rome. Jéruſa
lem , s'écrie faint Ambroife, tu étois déja aflez illuſtre , ayant été le théatre
de la Paſſion du Sauveur du monde , & tout l'Orient étoit affez heureux d'a
voir été arrofe de fon Sang: il falloit que le Prince des Apôtres ſouffrît dans
l'Occident, afin qu'il ne pas moins glorieux par l’effuſion de ſon fang, que
l'Orient l'avoit été par l'effuſion du Sang de Jesus-CHR ist. C'est l'exprestion
de ce Pere de l'Eglife. Allez donc, faint Apôtre , allez à cette Capitale du
monde pour en faire la gloire, auffi-bien que celle de tout l'Occident. Ar
mez-vous de force, pour affronter les hazards, & ne craignez ni la barbarie
des Gentils, ni la crüauté de Neron. Ce faint homme y va , il y vole avec des
ailes de colombe; & après pluſieurs combats contre les puistances de l'enfer,
il y couronne ſes travaux comme un fidéle imitateur du Sauveur, en endu
rant comme lui le ſupplice de la croix. Je ne remarque dans fon martyre
qu'une ſeule choſe qui le distingue de Jesus-CHRIST : c'est la differente postu
re en laquelle il a été crucifié ; ce qui nous fait voir, dit Tertullien, que cet
humble & génereux Diſciple a bien voulu par fa génerofité endurer les tour
mens de fon Maître : mais que par humilité il n'a pas voulu s'égaler à ſon
triomphe : Voluit ferre pænam ; noluit equare triumphum. Le même.
La fermeté . La parole de Jesus-CHR 1st s’eſt clairement vérifiée par la fermeté inébran
inébranlable lable avec laquelle faint Pierre & fes ſucceſſeurs ont empêché que les portes
s de l'enfer n'ayent prévalu ſur l'Egliſe, & que l'herests, cette porte fatale par
où toute la rage des démons s’eſt déchaînée ſur l'Egliſe Romaine, ne l'ait in
les portes de fećtée. La Chaire de faint Pierre eſt cette fortereste invincible de la Religion,
l'enter & d'où ſortent lestonnerres & les foudres qui frappent ces monſtres renaiſſans de
pomiſ à ** l'erreur, que l'enfer vomit de ſes abîmes, pour attaquer l'Epouſe du Sauveur.
f i, C'est ce rocher inébranlable, contre lequel fe font brifez tant de fois les tor
vérité. rens débordez des perſecutions, des héreſies & des fchiſmes. C'est là cette
borne ſacrée où la main de Dieu a écrit des caractéres inviſibles , que la mer
en courroux, à qui il commande, reſpećte. Toute la rage des démons, toute
la fureur des tyrans, tous les efforts de l'héreſie n’ont pû renverfer cette di
gue ; & un enfant rebelle à l'Egliſe oſe la franchir; un eſprit d'indocilité ré
pandu parmi des Chrêtiens, fait qu'on regarde la foûmistion de l'eſprit com
mc une marque de foibleſſe. Mais il faut avoüer que dans ce qui regarde l’o
béiſſance au Chef de l'Egliſe, il est rare de pecher en la portant trop loin, &
on riſque beaucoup en lui donnant des bornes trop étroites. Une précaution
néceſſaire à la naiſſance des nouveautez, eſt d'en laiſler à l'Egliſe l'examen &
la cenſure, & d’attendre que l'oracle qui est la régle infaillib e de nôtre foy,
ait prononcé, afin de régler fur fes déciſions, le jugement que nous en devons
faire. L'Abbé duJarry.
407
POU R
LE P A N E G Y R I Q U E
DE
SA I NT P A U L:
A y E R T I S SEM EN T.
I L y a tant de choſes à dire du grand Apôtre faint Paul, qu'on pour
roit faire autant de Pan gyriques, qu'il a opere de merveilles, &
qu’il a eu de vertus. Dans une matiere fî ample, dont le choix est mal
aisé, j’ay fuivi la méthode de tous les Predicateurs, qui n’en ontparle
qu'en géneral, fans faire l'histoire de fa vie , mi un long detail defes
héroiques actions qui font rapportées aux Ačtes des Apôtres. Il n'y a
guere que fa converſion que lui-même raconte plus au long , für quoy il
faille s'étendre fans s'ar étar en particulier fur chaque voyage, ou fur
chaque entrepriſe ; mais f. ulement faire quelques réflexions moralesfür
fes travaux, fes perfecutions, fom zele , & fes principales vertus.
Ster quở il faut remarquer que l'Egliſe celebre troisfetes en l'honneur
de ce grand Apôtre. Car premierement, elle le joint avec faint Pierre
dans la folemnité qui porte le nom de tous les deux. Dans la feconde,
qui lui est toute particuliere, elle honore fa Converſion comme l'un des
plus grands fets de la mistricorde du Seigneur envers celui qu’elle a
choiſi pour la converſion des Gentils. Dans la troisteme,elle fait la com
mémoration de faint Paul apres la fête de faint Pierre. Or la plupart
des SS. P. res C des Predicateurs anciens dans leurs Sermons & dans
leurs Homelies, ont joint ces deux Apôtres enſemble, & m'en ont fait
qu'un ful Panegyrique. Mais les nouveaux Sermonnaires qui ſe picquent
d'être plus régulirs, & qui ont cherché l'unité dans leurs diftours,ont
foigneuf ment évité ce défaut , & affigné à chacun de ces deux Apôtres
leur éloge particulier. Ce qui n’empêche pas qu’on ne puiffe prêcherfpa
rement la Converston de faint Paul, pour s’accommoder à l'intention de
l'Eglif. Mais comme ceux qui le font , ne fe bornent pas tellement à
cette circonstance, qu'ils n'en faffent voir les fuites, les effets & les
futs; ce qui est proprement faire le caraćfére de faint Paul. Nous avons
recueilli & ramaße de tous côteK tout ce qui peut fervir à ce fajet,ſelon
l'ordre & la méthode que nous nous fomines preferite.
408 poUR LE PANEGYRIQUE DE S. PAUL.
PA RAGRAP HE P R E M I E R.
Was electionis est mihi iste. Att. 9. Rien ne ſurpaſſe cette loüange, ni ne mar I V.
que plus ſenſiblement le mérite de nôtre Apôtre. On peut donc dire que faint
Paul a été un vaſe d'élećtion en trois manieres.
1°. Par rapport à la grace.
2º. Par rapport à l'Apostolat.
3°. Par rapport à l'office de Doćteur des Nations.
En ces trois choſes il y a des particularitez fort remarquables qui feront les
trois parties de ce diſcóurs. Le P. Duneau.
Gratiâ Dei fum id quodfum:& gratia ejus in me vacua non fuit. 1. Ad Cor. 1 f.
Comme la converſion de faint Paul a deux termes, elle a auſſi deux parties
lui ſont effentielles, & qui jointes enſemble, font le plus beau & le plus
urprenant triomphe de la grace du Sauveur. La eſt, qu'elle arrête
les deſfeins criminels de Saul furieux, qui ne reſpiroit que le fang & le car
nage des prémiers Chrêtiens. La ſeconde, qu'elle en fait un faint Paul ; c'est
à-dire, un homme foûmis aux ordres de Dieu, prêt à tout faire pour ſon
amour, & réſolu de tout entreprendre pour ſa gloire. Changement ſurpre
nant, miraculeuſe converſion d'un homme qui change de parti, de ſentiment,
d'interêts, de projets & de volonté : Gratia Deifum id quod fum. Ce n'est pas
aſſez ; car pour rendre ce triomphe plus juſte & plus entier, ce Saul changé
& devenu tout autre par la grace, remplit enſuite les grands & admirables
deffeins de cette même grace, & répond parfaitement aux vůës que Dieu a
eûës ſur lui dans ſa converſion : Et gratia ejus in me vacua non fuit. Ce font les
deux choſes que comprend la converſion de ce grand pecheur, qui devient
le grand Apôtre par excellence. L'une nous fait voir ce que la grace a operé
Paneg. des Saints, Tome I. FF f
A
41o PoUR LE PANEGYRIQUE DE S. PAUL.
en lui, & l'autre , ce qu'elle a operé par lui.
La prémiere comprend le changement que la grace a fair dans ſa perſonne:
Gratiâ Dei fum id quod fum.
La ſeconde , le changement qu'il a fait lui-même dans le monde, qu’il a
enſuite converti par ſon fecours : Et gratia ejus in me vacua non fuit. En deux
mots, Saul converti par J e su s-C H R 1 s T , qui en fait un vaſe d'élećtion ;
& Paul, qui convertit le monde à J E s u s-C H R 1 s T : c'eſt en quoy con
fiſte le grand ouvrage, & le triomphe de la grace, & ce qui fera les deux par
ties de ce diſcours. L'Auteur des Sermons fur tous les fujets , &c.
V I. Signa Apostolatůs mei fatta funt ſuper vor, &c. Ad Cor. 2. c. 11. Dieu a vou
lu que l'Apostolat de faint Paul fût accompagné de merveilles; & que les pro
diges qu'il operoit, lui ferviſſent de témoignages irréprochables dans l’exer-
cice de ſon miniſtere. Toute la nature a obéi à ce grand Apôtre ; il a fait des
miracles dans tous les élemens ; & il a été lui-même un fi étrange prodige,
qu'on ne peut douter qu’il n'ait été choifi de Dieu pour être le Predicateur des
Gentils , & le Doćteur de l'univers. En effet, qu'y a-t-il de plus étrange, que
de voir qu’un homme qui vouloit détruire l'Egliſe , l'établitſe ? que celui qui
perſécutoit les fidéles, les enſeigne ? que celui qui faiſoit la guerre au Fils de
Dieu, marche à la tête de fes ferviteurs , attaque ſes ennemis, confonde les
Juifs, & triomphe des Gentils ? que celui enfin qui répandoit le ſang des
Martyrs , répande le fien, & devienne lui-même le Martyr du Fils de Dieu ?
C'eſt pourquoy il me femble que pour faire le Panégyrique de cet Apôtre, il
faut dire que tout a été miraculeux en ſa perſonne.
1°. Sa vocation à l'Eglife. -
4°. Ses travaux & ſa mort dans Rome. Ce ſont quatre miracles incompre
henſibles à l’eſprit humain , & qu'on ne peut aſſez admirer. Le Pere Senault
de l'Oratoire. .
V I I.
Gratia Dei in me vacua nonfuit. 1. Cor. I 5. La grace a fait trois impreſſions
fur les Apôtres, pour les faire vouloir, pour les faire operer , & pour les fa
re fouffrir pour la gloire du Fils de Dieu , & le falut des hommes. C'est austi
en trois façons que les Apôtres ont på correſpondre à cette grace ; par leurs
défirs, par leurs aćtions, & par leurs fouffrances. Austi S. Paul a-t il ſecondé.
toute l’étenduë de la grace de ſon ministere par trois différentes iminenſitez.
1 º. Par l’immenſité de fes déſirs.
2 º. Par l’immenfité de fes aćtions. *
Y I I I. Saule, Saule, cur me perſequeris ? Att. 9. Saint Bernard dit que le Fils de
Dięu a fait magnifiquement éclater la grandeur de fa miféricorde, & l’effica
ce de fa grace dans la converfion de faint Paul : Magnificè in hac una converfo
ne , Ğ nifericordiæ magnitudo , & efficacia gratie commendatur.
1". Dieu a fignalé ſa mifèricorde, en atter dant faint Paul avec Patience ».
& en le prévenant avec amour.
**. Il a fignalé la force de fa grace,en changeant tous les mouvemens de ſon
CATAf. -
P A R A G R A P H E P R E M I E R. 411
3°.Il a fignalé la gloire de ſon nom , en le destinant à la converſion des
Gentils. Le P. Nouet.
Il n'y a point eû dans l'Egliſe de converſion plus parfaite & plus accom
plie que celle du grand Apôtre Saint Paul, foit du côté de ſa vocation, ſoit
du côté de ſon obéiſſance, foit que l'on regarde la grace que Jesus-CHRIST
lui a faite,foit que nous regardions les fervices qu'il a rendus à Jesus-CHR i sr.
Vous voyez par là mon deſfein, & je n'ay qu'à vous montrer ſimplement, &
fans art. -
P A R A G R A P H E S E C O N D.
Le même , Serm. 26. de Santis, parle des fontaines de lait qui coulerent
du corps de faint Paul decolé.
Le même , parle encore de S. Paul en une infinité d'endroits ; mais comme
} il n'en parle que par occafion & en Pallant, je n'ay pas crû les devoir
marquer.
Saint Chryſoſtome est celui de tous les Peres qui a parlé le plus magnifi
quement de faint Paul dans les 8. Homelies qu'il a faites, qui ne contiennent
que les loüanges de ce grand Apôtre. C'eſt dans le Tome De diverſis.
Le même, en l'homelie 5 5. ſur les Actes des Apôtres en fait un excellent
éloge. -
P AR A G RA PHE S E CON D. 4I 5
Le même, homel. 19. ſur les Actes, s’étend ſur le reproche que le Sau
veur fit à Saul : Saule, Saule, quid me perfequeris ? -
Saint Athanafe, de fuga , montre que toutes les fois que S. Paul a cedé, ce
n'a point été par lâcheté, mais par ſageſſe.
Saint Grégoire -l- 29. fur Job, aſsûre que Jesus-Christ humilia S. Paul
après même fa converfion, pour apprendre aux hommes que tous ceux qui
ont été grands pecheurs » doivent toûjours ſe tenir dans l'humiliation.
· Le même, dans le même livre , dit que les écailles qui tomberent des yeux
de faint Paul, étoient des ſymboles de l'endurciflement de coeur où il étoit
avant ſa converfion.
Saint Aſtére , dâns le Panégyrique qu’il a fait de faint Pierre & de S. Paul,
dit beaucoup de choſes de ce dernier , & entre autres, montre qu'il a établi
la Religion Chrétienne avec le même zéle qu'il avoit témoigné à la com
battre. -
Origéne, ſur ces paroles de la Geneſe ch. 49. Benjamin lupus rapax , crc.
que ce Pere expoſe dans l'homelie 4°. ſur Ezechiel, foûtient qu'elles ne ſe
peuvent dire de Benjamin , mais qu'elles conviennent uniquement à
faint Paul. -
·
416 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. PAUL.
Monſieur Ogier, Tome prémier, de ſes actions publiques, un Panégyiri
que ſur cet Apôtre.
Molinier,quoiqu'un peu antique, dans le Tome prémier fur la fête des
Saints.
Le Pere Duneau, dans le Tome prémier des Panégyriques des Saints.
Le P. Senault Prêtre de l'Oratoire, dans le ſecond volume des Panégyri
ques des Saints.
Le P. Texier, Tome prémier des Panégyriques, un ſur la converſion de
faint Paul. -
Le Pere Bourdalouë, Tome prémier de ſes Sermons, pour les fêtes des
Saints. /
L'Auteur des Sermons ſur tous les fujets, Tome prémier de fes Pané
gyriques,
Dans les Eloges historiques des Saints, Tome ſecond, il y en a un de faint
Paul. -
PARA
4I7
P A R A G R A P H E T R O IS I E’M E.
omnibus omnia fastus, ut omnes facerem |- me ſuis fait tout à tous pour les fauver
tOuS,
falvos. Ibid. c. 9. -
Ego fum minimus Apostolorum, qui non Je ſuis le moindre des Apôtres , & je ne
Jum dignus vocari Apostolus, quoniam perfe fuis pas digne d'être appellé Apôtre, parce
quutus fum I ccleſiam Dei. 1. Corinth. c. 1 f. que j'ay perſécuté l'Egliſe de Diev. -
Mihi omnium Sanctorum minimo data est Moy qui fuis le plus petit d'entre les Saints,
gratia in Gentibus , evangeliVare investigabi j’ay reçû cette grace d'annoncer aux Gentils
les divitias , & illuminare omnes, qua fit les richeffes incomprehenſibles de J E s u s
diſpenſatio facramenti à faculis. Ad Epheſ 3. C H R I s r , & d’éclairer tous les hom mes ,
en leur découvrant l'oeconomie du myſtére
caché avant tous les fiécles.
Omnia arbitratus fum ut stercora , ut Chri Je regarde toutes choſes comme des ordu
stum lucrifaciam, Ad Philipp. 3. res, afin que je gagne Jesus-CHR Isr.
Secundùm amulationem perfequens Eccle Ayant eû du zéle pour le Judaïſme , juf
fiam. Ibidem. qu'à perſécuter l'Eglife.
Omnia poſſum in eo qui me confortat. Ad Je puis tout en celui qui me fortifie.
Philipp. 4.
Audivit arcana verba , que non licet ho Je ſçais que cet homme qui fut ravi dans le ·
mini loqui. 2. ad Corinth. 12. Paradis , entendit des paroles ineffables ,
qu'il n'eſt pas permis à un homme de rap
porter.
Adimpleo ea que defunt pastonum Christi J'accomplis dans ma chair ce qui reſte å
in carne mea, pro corpore ejus. Ad Coloſſ. 1. ſouffrir à Jesus-CHR1sr , en ſouffrant pour
le corps de l'Eglife.
Nemo mihi molestus fit, ego enim stigmata Du reſte, que perſonne ne me cauſe de
Domini nostri jefu Christi in corpore meo porto. nouvelles peines : car je porte imprimées fur
Ad Galat. c. 6. mon corps les marques de nôtre Seigneur Je
sus CHR 1st,
Vivo ego , jam non ego, vivit verò in me Je vis, ou plûtôt ce n'est plus moy qui vis;
Christus. Ibid. c. 2. mais c'eſt Jesus. CHRIST qui vit en moy.
Abundantiùs emulator existens paternarum J'avois un zéle démeſuré pour les tradi
mearum traditionum. Ibid. c. 1. tions de mes peres.
Abſit mihi gloriari nist in cruce Domini no Pour moy,à Dieu ne plaiſe que je me glorifie
stri fefu , per quem mihi mundus cru en autre choſe qu'en la croix de nôtre Sei
cifixus est , Ő ego mundo. Ibid. c. 6. gneur Jesus CHR isr , par qui le monde eſt
mort & crucifié pour moy , comme je fuis
mort & crucifié pour le monde.
Supra modum perfequebar Eccleſiam Dei. Je perſécutois avec excès & avec fureur
lbidem , c. 1. l'Egliſe de Dieu. -
Optabam anathema effe à Christo pro fra Je défirois de devenir anathême, & d'être
tribus meis. Ad Roman. 9. féparé de Jesus-CHR 1st pour mes freres.
Evangelium mostrum non fuit ad vos in La prédication que nous vous avons faite
fermone tantùm, ſed će in virtute er in spi de l'Evangile , n a pas été feulement en pa
ritu fancto. 1. ad Theffalon. c. 1. s roles ; mais a été accompagnée de la vertu
du Saint Eſprit. - A
Omnia fustineo propter Eleitos, 2, ad Ti J'endure tout pour l'amour des Elûs.
moth. c. 2.
P A R A G R A P H E T R O I S I E’M E. 19
Bonum certamen certavi, curfum confum: J'ay bien combattu , j'ay achevé r.
mavi, fidem fervavi. 2. ad Timoth. 4. fe, j’ay gardé ma foy.
Testis mihi est Deus ; quomodo cupiam vos Dieu m'eſt témoin avec quelle tendreſſe je
omnes in vifceribus feſu Christi. Ad Philipp. vous aime tous dans les entrailles de Jesus
C. I. CHRIST.
Tanquam purgamenta hujus mundi fasti Nous ſommes devenus comme les ordures
fumus , omnium peripſema uſque adhuc. 1. du monde, comme les balieures qui ſont re
ad Corinth. 4. jettées de tous. -
Spečiaculum fatti fumus mundo , 6. Ange Nous fervons de ſpectacle au monde, aux
lis , é hominibus. lbidem. Anges & aux hommes.
Pradicatio mea non in perfuabilibus huma Je n'ay point employé en vous prêchant ,
na fapientia verbis, fed in ostenſione virtutis les difcours de la fageffe humaine,
ac ſpiritus, ut fides vestra non fit in fapien mais les effets ſenſibles de l'Eſprit & de la
tia hominum , fed in virtute Dei. 1. ad Co vertu de Dieu ; afin que vôtre foy ne ſoit
rinth. 2. *
pas établie ſur la fageste des hommes , mais
fur la puiſſance de Dieu.
Paulus vinãus fefu Christi. Ad Ephef. 3. Paul Priſonnier & chargé de chaînes pour
Jesus-CHR ist.
rapuit predam , & veſpere dividit eſcas. On ne voit pas comme peut convenir de faint Paul
à Benjamin
tion d'aucunquiravage
étoit ,led'aucune
bien-aimé de ſon ,pere,
violence & dontmaſſacre;
ny d'aucun l'Ecriturecomme,
ne fait men-
dif: devantfa&con
jete ,lacediviſe
caractere odieux
au lieu de lad'un loup ravistant;
dévorer. Mais c'eſt qui
ce enléve ſa proye,parfaitement
qui convient & qui enſui-à J• 4
49,
faint Paul, qui étant de la Tribu de Benjamin, a été le matin , c’est à dire ,
d'abord , un loup vrayment raviſſant, comme ce qu'il ra porte lui-même de
fes violences contre les prémiers Chrétiens, le marque affez : & qui le fair ,
c'eſt-à-dire , après être converti , fait de ceux qu'il a pourſuivis & perſécutez,
une conquête , & une heureuſe proye pour le fervice du Seigneur. Cette fi
gure , ou interprétation de l'article du Teſtament de Jacob , dont faint Au
guſtin s'eſt ſeryi le prémier , a été enſuite reçủë de pluſieurs autres Saints
Peres.
L’exemple du Roy Antiochus, dont il eſt parlé au fecond livre des Macha- Saint Paul
bées, ſemble être une peinture de la perſécution que Saul fit d'abord aux f -
Chrétiens , & méritoit fans doute , un châtiment pareil à celui de ce Prince bord avoir
impie, fi Dieu n'eût fait de l’un , un exemple de la ſévérité de ſa justice, & ſuivi l'exem
de l'autre le ſujet de fes miféricordes. Voyez l'illuë de ces deux perſecuteurs. ? "
L'Histoire dită peu près
p la même choſe
O de ce Royy furieux qdue fint
1nt Luc
LuC chus dont il!
a dit de faint Paul. Il étoit ennemi de la Religion des Juifs , comme faint est parlé ag
Paul l’étoit de celle des Chrêtiens. Il ne menaçoit rien moins que de faire de z livre des
la ville de Jéruſalem un cimetiere de fes habitans. Saul alloit avec la même Machabées.
fureur à Damas, réſolu de perdre tous les Chrêtiens qu'il y trouveroit des deux
fexes. Il ſemble qu’un crime pareil méritoit une pareille punition. Antiochus,
fe preſſant d'aller à Jéruſalem ſaifi d'une douleur d'entrailles très aiguë, tom
G G g ij
4so poUR LE PANEGYRIQUE DE S. PAUL.
ba de ſon char, & ſe brifa preſque tous les membres. Il s'y forma des playes
& des ulceres d’où fortoient une fi grandc abondance de vers, que pour l’ex
trême puanteur , perſonne des fiens ne l'oſoit approcher , & à peine s’en trou
va t’il qui euffent aſſez de coeur pour le porter. Il s’humilia, & pria Dieu de
lui pardonner, forcé par la violence de la douleur ; mais tout cela ne lui fer
vit de rien. Saul portoit autant de haine aux Chrétiens que ce Roy en por
toit aux Juifs ; il alloit à Damas à deflein de les exterminer : il fut renverſé
par terre comme lui ; il fut frappé, non à la vérité d'une playe incurable,
mais d'un aveuglement qui lui dura quelque temps , & lui éblouït la vuë,en
fortequ'il ne voyoit Il oüit une voix du Ciel, qui lui dit , Saule Saule ,
quid me perfequeris. Il eût peine à fe rendre à la vérité, mais enfin il s'humilia,
il obéit à la voix, & fit tout ce qu'elle lui ordonna. Le voilà donc de perſécu
teur, devenu Chrêtien ; d’infidele , devenu fidele ; de loup , devenu agneau.
Ces deux perſécuteurs font également criminels ; cependant Antiochus prie, il
demande pardon , & est puni de mort. Saul réſiſte d'abord , il fait difficulté
de fe rendre, & il eſt laiſſé en vie. Celuy-là eſt réprouvé : celui-cy est élů. Si
vous demandez pourquoy un traitement fi diſſemblable à deux perſonnes éga
Ad Rºm. 9 lement coupables: la réponſe eſt facile ; O homo! tu quis es, qui reſpondeas
*/** 33' Deo ? & le Þſalmiste : Judicia Dei abyſsus multa.
La compa. C'est une choſe fort connuë de tout le monde, que la nuée est une ſimple
raiſon que vapeur que le foleil éléve de la terre par la chaleur de fes rayons. Rien n'est
s prit plus obſcur,rien de plus vil qu'une fimple vapeur. Cependant quand cette va
peur s'est élevée & condenfee; elle renferme en elle-même des éclairs, des
i , tonnerres & des pluyes. Eſt-elle agitée des vents, elle s’ouvre : il en fort des
convient orages, des tempêtes qui étonnent les hommes, & des pluyes qui fertiliſent
particuliere les campagnes. Č'est une figure bien naturelle de l'Apôtre faint Paul devenu
* "i" ville,&
e
comme deunepays
nuée
enféconde artirée
pays,pour par la les
y répandre grace du Sauveur
pluyes qui paſſe de du
& les benédićtions ville en
Ciel;
en effet, le vent impetueux du Saint-Eſprit , le tranſporte dans la Grece,dans
l'Achaïe, dans l'Italie. Là cette nuée s'ouvre avec grand fracas. Il porte dans *
La faveur Les trois Apôtres qui monterent fur le Thabor, virent par un privilege
que reçût s. particulier, la gloire du Sauveur, l'éclat & la fplendeur de fa Transfigura
M 1 a v li1c- tion : mais ils ne virent que fon humanité fainte ; & la gloire de fa Divinité
r - - *
i V, 7 leur fut cachée. Les avantages de faint Paul dans ſon raviſſement furent bien
préfiable plus gloricux: il pénetre juſques à la Divinité, pour en cornprendre tous les
à celle que fecrets que Dieu voulut bien lui réveler: Arcana verba, quæ non licet homini
loqui; comme il le témoigne lui-méme. Le diſciple bien-aimé repoſa, à la vé
. rité, fur la poitune du Sauveur : mais ce ne fut que fur le Sein de fa fainte
préfens Humanité,au lieu que faint Paul fe repoſe dans l'interieur de la Divinité mê
à la Trans-i me. Ceflez donc de vous étonner que ce vaſe d'élection communique en fi
PA RA GR APHE T R O I S I E’ M E. 41 I
grande abondance aux hommes, les celestes ſecrets qu'il avoit apris dans le figuration
Sein de Dieu.
L'Écriture nous propoſe Phinées & Mathatias comme deux héros en ma- ""
tiere de zele. Ils voyent violer la loy en un point capital : ils ne le peuvent Le zele de S.
fouffrir , il maſſacrent les tranſgreſſeurs. Moyſe même , qui conjure le Sei- Paul peur
gneur de pardonner aux Iſraëlites, & qui pour ce ſujet veut bien étre effacé i
du livre de vie, fait paſſer trois mille hommes au fil de l'épée pour expier l'1- de Dieu & le
dolatrie d'Iſraël ; ces zelez appaiſſent l'ardeur de leur zele par le fang d'au- falut de ſe
truy. Mais de combien le zele de ſaint Paul est-il ſupérieur à ces zelez de l'an
cien Teſtament : ſon zele agit ſeulement contre foy même; il le défeiche,il le
conſume, il le dévore ; & pour épargner les autres , il donne fon fang, ſon nées & des
ame , & fa propre vie. Combien nôtre zele est-il éloigné de celui de ce grand autres dans
Saint : je ne dis pas le zele du commun des Chrétiens: mais de ceux qui font **"*
plus particulierement obligez à l'imitation de faint Paul, par leur condition , "
& leur caraćtere à défendre la gloire de Dieu. Combien y en a-t'il qui renon
çant à l'interêt & à la gloire du monde, s'attachent uniquement à foûtenir
l'interêt de Dieu. -
. Lorſqu'il fut question de vaincre l'opiniâtreté de Pharaon , Dieu fe con- Dieu ne s'est
tenta d'envoyer Moyſe. Il destine Nathan pour la converſion de David; Jonas
pour celle des Ninivites; douze Apôtres pour la converſion du monde entier.
Mais quand il faur gagner Saul à la foy , ce ne font ny les Prophétes, ai les ges peur
Apôtres, non pas même les Anges qui reçoivent cette commiſſion. J E s u s- iompter ou
C H R 1 s T , tout glorieux qu'il est, veut être fon Prédicateur & ſon Apôtre i |
il s'employa tout entier, dit faint Chryſostome : Totus conſumptus in Paulo. “
Remarquez que c'eſt le Sauveur en perſonne, qui vient pour combattre ce re- i , mais il
belle, c'eſt-à-dire, pour le convertir. Il ſemble qu'il ramafle toutes ſes for- a voulu con
ces pour vaincre un fi terrible adverſaire. Les inſtrumens de ſon combat fónt, vettir faint
la lumiere de fes yeux adorables : ils ſe préſentent à luy avec cette Majesté
* - - - *
par
u l-IllCIIMČ«
qui fait le plaiſir des Bien-heureux ; ſes paroles & fa voix foudroyante furent
encore les armes dont il fe fervit pour renverſer ces ennemis ; il lui repro
che ſon crime; il lui met devant les yeux la honte de fa rebellion ; il y joint
la force de ſon bras ; il fait des miracles pour l'abbatre & pour l'aveugler. Il
n'en falloit pas moins, ce ſemble, pour remporter la victoire fur un ennemi
fi redoutable ; auffi le Sauveur en vint-il à bout, & acquit à ſon Egliſe , un
de ſes plus grands conquérans.
Jettons les yeux fur Moyſe, c'est le faint Paul de l'ancien Testament, com- Paralle de.
me ſaintenPaul
dreſſer bienestdes
le chofes,
Moyſe duentre
nouveau. O leexcellens
ces deux beau paralelle
hommes qu'on
! mais pourroit
leur zele avec: Moyte.
ne peut trouver d'exemple , ni de comparaiſon, qu'entre eux-mêmes. Que
leur zele est ſemblable ! qu'il est égal ! Optabam ego ipſe anathema effe: je dé
firois d'être anathême pour mes freres , dit l’un : Dimitte eis hanc noxam , dit Exod. 32.
l'autre, aut fi non facis , dele me de libro tuo : pardonnez-le ur Seigneur, ce pé
ché: ou , ſi vous ne voulez pas effacez moy de vôtre livre. Voila une charité
merveilleufe , & qui nous oblige de prendre au pied de la lettre ces paroles du .
Sauveur : Majarem hâc dilectionem nemo habet: quàm ut animam ſuam ponat foa», 13.
quis pro amicis ſuis, Le plus haut point de la dilection est de donner ſon ame
pour fon ami , non pas ſavic ſeulement, mais de riſquer ſon ame pour le fa
G G g iij
422 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. PAUL.
lut d'autrui. N'eſt ce pas ce que veut dire le même faint Paul ; reprochant
avec une confiance Apoſtolique , aux Corinthiens , leur ingratitude ? Après
avoir fait le dénombrement de fes travaux, & de ſes ſouffrances pour leur fa
lut ; après avoir fait gloire des perſécutions qu'il a ſouffertes , il paſle outre »
& conclud ainfi ſon diſcours : Ego autem libenter impendam , & ſuperimpendar
ipſe pro animabus vefiris. Comme s’il diſoit, non-ſeulement j’emploiray mon
fang & ma vie, ce que tout bon Pasteur eſt obligé de faire fon trou
peau : mais encore, ſuperimpendar : j’iray bien plus avant : je ſeray non-ſeule
ment libéral de mon corps, de mes biens & de mon ſang: mais je ferai pro
digue de mon ame, que j’expoſerois de bon coeur, s'il étoit permis , pour le
falut & la conſervation des vôtres. Ce font là des mouvemens d’un zele in
comparable dont peu de perſonnes ſont capables.
Applications de quelques Paffages de l'Ecriture à ce fujet.
Le fruit
qu'on peut
Defunctus adhuc loquitur ; ad Hebr. 1 1. Saint Chryſoſtome appelloit faint
retirer de la Paul , le grand livre des Chrétiens, & c'est pour cela qu'il exhortoit tant les
leéture des fidéles à la lećture des divines Epîtres de cet Apôtre. Il n'en fallut pas davan
Epitres de tage pour achever la converſion de faint Auguſtin. On fçait en quelle per
faint Paul,
plexité il ſe trouvoit : Dieu l'attiroit fortement , & le monde le retenoit ; la
grace le preſſoit, & ne lui donnoit aucun repos ; mais la paffion d'ailleurs li
vroit à ſon coeur les plus rudes affauts, & l'habitude faiſoit évanoüir ſes plus
belles réſolutions. Que falloit-il donc pour le faire triompher de l'habitude,
pour le fortifier contre la paſſion , pour l'arracher au monde , & à tous ſes
engagemens? Rien autre chofe que ce que lui marqua cette voix qu'il enten
dit ; c'étoit d'ouvrir & de lire les Epîtres de faint Paul, Tolle, lege ; prenez,
& lifez. Il obéit , & tout à coup ſes fers furent rompus; quelques paroles
de ces faintes Lettres diſſiperent tous les nủages de fon eſprit & de débordé
qu'il étoit, en firent un homme chaste & ſaint. A quoy tient-il que nous
n'en retirions le même fruit ? L'eſprit de Dieu, dont ces excellentes Epîtres
font remplies , n'est pas moins puiſſant pour nous, qu'il le fut pour ſaint Au
guſtin.
Sur le même
Omnia facio propter Evangelium. 1. Corinth. 9. Tout mort qu'est ſaint Paul ,
fuJet. il nous prêche encore: diſons mieux : il eſt encore vivant dans fes incompara
bles écrits. Voulez-vous réformer le Christianiſme, ou plûtôt, voulez-vous
vous réformer vous-mêmes? Tolle, lege: prenez, & lifez. Il ne vous faut point
d'autre Maître, point d'autre prédicateur, point d'autre guide , & d'autre
direćteur, que faint Paul, tel que l'Egliſe vous le préſente , & tel qu'elle vous
le fait entendre. Je dis plus: voulez-vous avoir part au ministere de ce grand
Apôtre ? voulez-vous, peres & meres , faire de vos familles des familles
chrêriennes ? fervez-vous de la morale de faint Paul. Ayez foin de vous en
inſtruire , & d'en inſtruire les autres. Au lieu de tant de livres ſcandaleux, de
tant de livres impies, de tant de livres remplis de médifances , d'infolences,
ou du moins, de choſes inutiles & vaines , attachez-vous à celui-là , & dans
peu , vous en connoîtrez le mérite, & en fentirez l'efficace. Ce livre fervira
à vôtre fanćtification particuliere, & à celle de vos familles.
Saint Paul Omia fustineo propter elečios. 2. Ad Tim. 2. C'eſt là le ſujet qui rendoit les .
P A R A G R A P H E T R O IS I E’ M E. 423
croix fi cheres à l'Apôtre des Nations ; c'eſt ce qui les luy rendoit fi précieu-dans ſes pei
fes, parce qa’elles luy gagnoient des ames , & des ames prédestinées, pour (
leſquelles il s'estimoit heureux de pouvoir tout endurer. Mais remarquez ces
mots, Propter electos: car pour luy-même, reprend admirablement faint Chry
foſtome, il auroit été cheri, honoré , reſpeċté de tout le monde : mais pour foeffie poer
les élûs, être
trement il devoit être hai , mépriſé,
le coopérateur calomnié,
de leur falut , & c'estpuiſqu'ii ne pouvoit
ce qui foûtenoit pas au-
l'ardeur de gagnetà fou
des
fon courage. Je m'en vais à Jéruſalem, diſoit-il, & je ne ſçay ce qui m'y doit ”“
arriver, finon que dans toutes les villes par où je paſle, l'eſprit de Dieu me
fait connoître, que des peines & des tribulations m'y ſont préparées ; mais je
ne crains rien de toutes ces choſes , & ma vie m’eſt peu conſidérable, pour
vû que j'acheve ma courſe, & que je m'acquite du miniſtere que j’ay reçû du
Seigneur Jesus. -
cutions; c'est pour cela qu'il raconte ſes voyages, ſes chaînes, ſes priſons, ſes de fe faire
naufrages ; c'est ;pour
nal, en tribunal c'est cela
pourqu'il
cela dit qu'il
enfin qu'ila été flagellé,
montre les lapidé,
marquestraîné
de de
festribu-
fouf- bºnneur.
Ad Gal. 6.
Vox Domini in virtute : vox Domini in magnificentiâ. Pſal. 28. Les différens Les différens
effets que David attribué à la voix de Dieu, parurent tous en la perſonne de effets de la
faint Paul. Si c'est une voix forte & éclatante : jamais la grace de Dieu n'a pa- ? ' de
ru plus forte, ni plus victorieuſe, qu'en cette rencontre : Vox Domini in vir
tute. Si c'est une voix qui brife les cedres du Liban : elle humilia la fierté de cet o fon
ennemi , & briſa fon ame de douleur : vox Domini confringentis cedros Libani. de S. Paul.
Si c'est une voix qui diviſe la flamme du feu : elle lui ôta ce qu'il y avoit de cri
minel & d'impétueux dans ſa fureur, pour ne lui laiffer qu'un zéle éclairé &
ardent. Si c’eſt une voix qui ébranle les folitudes, & qui fait trembler les de
ferts : jamais homme n'a été fi fortement ébranlé,& n'a cú tant de frayeur que
lui : Kox Domini concutientis defertum. Si c'est une voix qui prépare les cerfs,
& qui , comme dit faint Augustin donne aux miniſtres de Dieu une admira
ble agilité :jamais homme n'a été fi promptement préparé que lui, & ne s'eſt
acquité avec tant de rapidité de fon nouveau miniſtére: Vox Domini preparan
Jig.f Cc7 T/0J.
Caffigo corpus meum, & in fervitutem redigo. I. Corinth. 9. Une vie auſſi Pourquoy
perſécutée : & austi accablée de fatigues que celle de faint Paul, n'étoit-ce !
pas une aficz grande pénitence ? S'ii reſtoit des forces à cet Apôtre , devoit-il ::::"
les épuiſer par des mortifications volontaires ? Pouvoit-il conſpirer lui-même , n
à ruïner une fanté fi précieuſe à l'Evangile ? & quelque amour qu'il eût pour fryitude ;
les croix , ne devoit-il pas ſe contenter de celles que Dieu lui envoyoit, puiſ l'obligation
u’elles ſuffiſoient déja pour le faire vivre dans un état continüel de mort ? ri
Č'eſt ainſi que raiſonne l'eſprit du monde, & c'est ainfi que nous nous aveu- :
lons encore tous les jours. Mais faint Paul n'en jugeoit pas de la forte ; non point.
ce n'étoit pas aſſez pour lui d'être perſécuté, s'il ne ſe perſecutoit lui-même ;
ce n'étoit point allez d'être haï, s'il ne ſe haïſſoit lui-même ; ce n'étoit point
affez d'être mortifié, s'il ne ſe mortifioit lui-même. Que fait-il donc à à ce ſa
crifice héroïque de patience, il en joint un autre de pénitence : châtiant tous
les jours ſon corps , le réduiſant en ſervitude, lui faiſant porter continüelle
ment la mortification de Jesus-Chrisr , accompliſſant dans fa chair ce qui
manquoit aux fouffrances du Sauveur , & pourquoy ? ce faint Apôtre châtie
fon corps, parce qu'il craint qu'étant Apôtre, & prêchant aux autres, il ne
devienne un réprouvé, & il accomplit dans ſa chair ce qui manquoit aux ſouf
frances du Fils de Dieu, non pas ſeulement pour foy , mais pour tout le
corps de l'Egliſe : Pro corpore ejus, quod est Eccleſia , c'eſt-à-dire, pour fon Ad colof 1.
miniſtére, qui l'engage à procurer auprès de Dieu le falut de tous les hom
mes. Penſées terribles, & qui devroient être le ſujet éternel de nos confidé
rations. Saint Paul a fait de ſon corps
une victime de pénitence, de peur d'ê
tre reprouvé ; cet hcm me confirmé en grace , à qui la conſcience ne repro
choit rien ; & moy qui fuis un pecheur, ſujet à toutes fortes de paſſions, je
ménageray le mien, je le ferai vivre dans les délices , & lui accorderay tout ;
bien loin de le reduire en ſervitude, je me feray fon eſclave , & avec cela je
vivray ſans aucune crainte pour mon falut, fans remords & fans ſcrupule ?
C'est une erreur auſſi pernicieuſe , qu’injuſte. Je n'auray donc plus de con
fiance, qu'autant que je pratiquerai comme lui la pénitence,H H h
Paneg. des Saints. Tome I.
426 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. PAUL.
Suite du mê- Adimpleo ea que defunt paffionum Christi , in carne meâ , pro corpore ejus.
me ſujet. Ad Co of 1. Saint Paul a crû devoir accomplir ce qui manquoit aux ſouffrances
de Jesus-CHRIST, & qu’il étoit obligé d'endurer en fon propre corps, ce que
le Sauveur du monde n'avoit pas enduré dans le fien. Pour concevoir la gran
deur de cette obligation, il faut fçavoir que le Fils de Dieu a défiré de fatif
faire parfaitement à ſon Pere, & que n'étant pas content de tout ce qu'il
avoit fouffert en ſon corps naturel , il s’eſt uni un corps myſtique, dans les
membres duquel il ſouffre encore tous les jours. Suivant ce défir, il fût lapi
dé dans ſaint Etienne, expoſé aux bêtes en faint Ignace , & brûlé fur un gril
en faint Laurent. Mais de tous ceux qu'il s'eſt aflocié pour un fi pénible def
fein, il n'y en a point qui en ait reflenti plus vivement l'obligation, ni qui
s'en ſoit plus fidellement acquité, que faint Paul. C’est pourquoy preſſé de
ce défir , il cherche toutes les occaſions de ſouffrir ; il paſle de viile , en ville :
il court de province, en province, pour accomplir ce qui manque aux fouf
frances de fon Maître. Vous l'euffiez vů chargé de fers, meurtri de coups,
couvert de playes, fe glorifier de fes fouffrances, & s'estimer heureux, de ce
qu'il fatisfaifoft aux déſirs de Jesus-CHR i sr. Car , comme s'il vouloit éxage
rer la grandeur de l'amour que le Fils de Dieu porte aux hommes, illeur di
foit, felon le fentiment de faint Chryſoſtome ; re vous imaginez pas que fa
pastion ſoit accomplie, il ſoufre encore pour vous après ſa mort ; & fon
amour, plus ingenieux que la cruauté des bourreaux , lui a fourni le moyen
de prolonger fes fouffrances , & d'endurer en ſes membres, ce qu'il n’a pů
endurer en fa perſonne.
Courage & Dornine , quid me vis facere. Ačl. 9. Saint Paul est prêt à tout entreprendre,
genetofité à tout éxécuter, à tout ſouffrir ; il marque par ces paroles fa converſion en
: 'à tiere & parfaite. Paroles courtes , mais pleines , mais vives , & efficaces ,
: ajoûte faint Bernard. Que nous fommes cloignez de cette générofité chrétien
à tout fouf ne ! Qui nous préſenteroit à l'entrée de nos converſions, le tableau des dif
frir pour ficultez de la pénitence : qui nous marqueroit tous les tristes endroits d’une
: vie néceſſairement austére & laborieuſe : Icy tu paſieras pour hypocrite, là
Dicu. attaché ſur un lit comme fur une croix, tu ſouffriras une fievre ardente : icy
tu perdras cet enfant dont tu fais ton idole : là , par un complot ſecret, tu
verras renverfer ta fortune. Qu'il feroit à craindre qu'un proáipt & fatal dé
feſpoir ne nous rejettât dans le monde , & ne nous fit dire dans nôtre frayeur,
comme à ces pareſſeux, dont il cſt parlé dans l'Ecriture ; il y a des monstres
fur le chemin , & c'eſt une imprudence que de s'avancer dans une route fi pé
riileuſe! C’est un effet de la providence de Dicu,de nous avoir caché nos maux,
& de nous déveloper nôtre pénitence petit à petit , de peur que nous n'en
foyons rebutez , & que nous ne retournions du côté du monde. Dieu, par une
bonté paternelle , ménage nos craintes , & il épargne à nôtre foibleſſe la con
noistance d'un fâcheux avenir.
On fait voi; Perſequemini de civitate, in civitatem. Matth. 23. C'est ce que le fils de
*faint " " Dieu avóit dit à ſes Apôtres, qu'ils feroient , perſecutez
toutes les - - ,
de ville en ville , &
perſécutions qu’ils feroient en haine à tous les hommes. L Egliſe née ſur le Calvaire, & en
* - » A * -
ii aura à fantée fur la croix, ne pouvoit croître, & ſe fortifier que dans les fouffran
foufrir dans ces : & ce n'étoit qu'en verſant leur fang, que les Apôtres pouvoient élever
* i
l'édifice que le Sauveur avoit fondé par le ſien- Austi-tôt que ſaint Paul entra
PAR A GRAPHE T R o I SIEME. 427
dans les fonćtions de l'Apoſtolat, de perſecuteur qu'il étoit auparavant, il gloire
Dieu.
de
fe vit perſécuté de toutes parts. Le Fils de Dieu ne le traita pas comme ces
enfans foibles, qu'il accoûtume par le lait des conſolations & des douceurs
fpiritüelles, à porter peu à peu le joug de fa croix : il lui ouvre d'abord
une carriere de tribulations & de fouffrances : il lui montre combien il lui
faut ſouffrir pour ſa gloire & pour fon nom ; & levant tout d'un coup le voi
# une image affreufe de fes peines, & il lui fait fentir
le de l'avenir , il lui
tout à la fois, cequ'il ne doit endurer que féparément, fans que cet amas de
tribulations l’étonne ; au contraire , fon coeur eſt prêt à tout entreprendre
pour le Sauveur, & il lui demande d'abord ce qu'il veut qu'il faffe : Domine, Aéř. 9.
quid me vis facere ? En effet, eft-il converti à Damas, toute la ville fe foûle
ve , & s'obstine à demander fon fang ; entre-t'il dans Theſlalonique, il ſe
forme une conjuration contre lui par l'intrigue de quelques faux zélez , & par
le fecours de quelques femmes dévotes. Entre-t'il dans la Lycaonie, on lui jet
te des pierres comme à un ennemi de toute justice. Va t’il à Athenes, il y eft
la riſée de ces Philoſophes. Entre-t'il dans Jéruſalem, cette ville fameuſe par
le maſſacre de tant de Prophètes, elle veut encore y ajoûter la mort de cet
Apórre. Paſie-t'il juſqu'à Rome, c'eſt pour y couronner tant de travaux par
un glorieux martyre.
Optabam ego efe anathema pro fratribus meis. Ad Rom. 9. Cette parole il Comment faut en
étonne d'abord ceux qui l'écoutent : & peu s'en faut qu'on n'accuſe l'Apôtre tendre que
d'un zéle indiſcret, & comme lui-même parle , d'un zéle fans ſcience. Quoy faint Paul a
donc faint Paula-t'il conſenti d'être ſéparé de Jesus-CHRIST ; Göy , il y a con- ſouhaité
fenti pour la gloire de Dieu, & le falut du prochain ; mais il faut fçavoir d'étre ana
comment: Il n'eſt pas beſoin de recourir à des interprétations favorables : de theme pour
fes freres.
dire avec faint Jérôme, qu'il ne parle que d'une ſéparation corporelle , qui fe
fait par la mort , & qu'il fouhaite ſeulement de répandre fon fang pour fes
freres ; de dire avec quelques modernes , qu'il défire d'être anathême , entant
que ce mot fignifie une choſe ſéparée de l'uſage & du commerce des hommes:
c'eſt-à-dire,d'être privé de toute ſocieté humaine & civile. Il n'est pas beſoin
d'adoucir cette propoſition par ce correćtif, Je destrerois ; s'il étoit permis. A
la verité s'il n'eſt question que du fens naturel de ces paroles : il eſt aifé de le
donner, puiſque faint Paul , en témoignant le regret & la douleur qu'il avoit
d'avoir ſouhaité d'être anatheme pour fes freres , ne veut dire autre choſe, au
fentiment des meilleurs interpretes, finon que le faux zele pour fa loy, l'avoit
rendu ennemi de Jesus-CHR ist , & l'avoit fait mériter d'être ſéparé pour ja
mais de lui, felon la force du mot d'anatheme. Mais comme quelques Saints
Peres & pluſieurs Prédicateurs employent cette parole de faint Paul pour ex
primer la grandeur de fa charité , comme s'il eût fouhaité d'être ſéparé de
Jesus-CHR 1st, pourvû qu'il pût procurer le falut de fes freres , de même
que Moyſe demandoit à Dieu d'être effacé du livre de vie , pourvů qu’il par
donnât à ſes freres les Iſraëlites ; il faut interpreter les déſirs de l’un & de l’au
tre dans un ſens hyperbolique, en diſant qu'ils ont voulu feulement
la grandeur de leur zele. Et pour ce qui eſt des paroles de Moyſe, il est aifé de
répondre que ce grand Légiſlateur ne demandoit autre choſe que de mourir
pour fes freres, & d'être effacé du livre de vie, veut dire être effacé du nom
H H h ij
428 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. PAUL.
bre des vivans, non de la vie éternelle, mais de la perte de la vie dont Dieu
vouloit punir fon peuple rebelle. -
P A R A G R A P H E QUA T R I E M E.
Paffages ở Penfees des faints Peres für ce fujet.
ocatus est Paulus nullis precedentibus P a été appellé de Dieu par une voca
meritis , fed multis obstantibus demeri tion purement gratuite , puiſque loin d'a
tis. S. Auguſtinus lib. de Grat. & liber. ar voir aucun mérite de ſa part , pluſieurs dé
bitrio. mérites l'en rendoient indigne.
Si fanátus Stephanus non oraffet , Eccleſia Si faint Estienne n'avoit point prié, l'Egli
Paulum non haberet.Idem ferm.1.de Sanctis. fe n'auroit pas faint Paul qui en eſt un des
principaux ornemens.
Apostolus Paulus 'ex perfecutore Christiano L'Apôtre faint Paul de perſécuteur , des
rum, annunciator fatius est Christi. Idem Chrétiens qu'il étoit , eſt devenu le grand
ferm. I o de Sanćtis. prédicateur de l'Evangile de Jesus-CHR ist.
Ex perfecutore pradicator , ex lupo ovis , De perſécuteur il eſt devenu Prédicateur; de
ex hoste miles. Idem , Ibidem. loup raviffant, brebis ; & d'ennemi déclaré
fon plus zelé défenſeur & ſoldat.
Sustinuit Paulus multo plura mala quàm Saint Paul a plus enduré de peines & de
fecerat. Idem in Pſalm. 36. ferm. 2. maux pour Jesus-CHR 1st , qu'il n'en avoit
fait fouffrir auparavant aux Chrétiens.
Euod fecit Saulus patitur Paulus , quod fe Paul fouffre maintenant pour Dieu ce que
cit perſecutor patitur pradicator , quod fecit Saul a fait ſouffrir aux fideles. Le Prédica
lupus patitur agnus. Idem ferm. 1. de Sanc teur endure ce que le perſécuteur a fait en
ris. durer , & l'agneau ſouffre tout le mal que le
loup a fait.
Dum Saulus querit minuere numerum Lorſque Saul cherche à diminuer le nom
Christianorum , etiam ipſe acceſſit ad nume bre des Chrètiens par les perſécutions qu'il
rum Confefforum. Idem ferm. I o, de Sanćtis. leur fuſcite, il a lui-méme acru le nombre
des Confeffeurs de Jesus-CHR 1sT.
A que patiebatur Christus , patitur prº Paul ſouffre pour JEsus CaR1sr , ce que
P A R A G R A PH E QU A T R IEME. 429
Christo, fit Paulus ex Saulo , qui fpargebat Saul faiſoit fouffrir à JEsus CHR1 sr dans
colligit, qui oppugnabat defendit. Idem ho fes membres, qui font les fideles ; de Saul
mil. 4. cx jo. il eſt devenu Paul ; celui qui diffipoit re
cueille & ramaffe; & celui qui attaquoit l'E
gliſe , maintenant la deffend.
Paulus, vas eleếtionis, doőtor gentium , Paul ce vaſe d'élection , ce doćteur des na
tuba Christi. Idem Epiit. 89. ad Hilarium. tions, cette trompette de l'Evangile de JEsus
C H R I ST.
Occiſus est inimicus Christi , ut vivat dif Dans faint Paul converti,l'ennemi de Jesus
tipulus Christi. Idem. CHR ist eſt mort , afin que le plus fidele dif
ciple de JEsus-CHRIST reçût la vie.
Cacitate Paulus percutitur, ut intus illu Paul eſt frappé d'un aveuglement exterieur
minatur, Idem. afin d'être intérieurement éclairé.
Pauli vocatio Eccleſia firmitudo est. Ambro La vocation de l'Apôtre faint Paul eſt l'af
fius l. de Iſaac. c. 4. fermiſſement de l'Eglife.
Non folum hunc Deus magistrum dedit gen Non ſeulement Dieu a donné cet Apôtre
tibus, fed etiam Angelis. Idem in Paulum. pour être maître des nations , mais pour en
feigner les Anges mêmés.
Dicitur Paulus vas electionis , mempe quia Saint Paul eſt appellé un vaſe d'élection,
legis ó ſcripturarum erat armarium.S.Hiero parce qu'il renfermoit en lui toute l'intelli
nymus ad Paul. gence de la loy , & des Ecritures.
Cor Christi cor Pauli. S. Chryſoſt. homil. Le coeur de Jesus-CHR 1sr étoit le coeur de
32. in Epiſt. ad Roman. faint Paul ; c'eſt-à-dire, que le coeur de faint
Paul étoit entierement conforme à celui du
Sauveur.
Non peccaverit quis, fi cor Pauli mare ac Si quelqu'un foûtient que le coeur de faint
cælum dixerit tum ob puritatem tum ob pro Paul eſt une mer & un ciel pour ſa pureté &
funditatem. Idem,homil. 55. in Act. APoſt. fa profondeur , celui-là ne s'éloignera Point
de la vérité.
Cum vas electionis afectus est Paulus , lar Auffi-tôt que Paul fut devenu un vaſe d'é
giffime in eum saniti Spiritus munu: efufum lećtion , le Saint-Eſprit le remplit , & y ré
ji. Idem homil. : de laud. fanćti Pauli. pandir avec profufion fes dons.
Parumne hoc effe putas quando Paulum Comptez vous pour peu de choſe , que
Apostolum dixeris i siatim illum omnes cogi quand on nomme faint Paul , auffi tôt l'idée
tant, ſicut appellato Baptistá Joannen. Idem de ce grand Apôtre nous vient; de même que
homil. 55. in Act. quand on prononce le mot de Baptiſte, auffi
tôt la penſée nous vient de Jean.
* Si Pauli zelum inſpicias, tanto illum in Si vous conſiderez de près le zele de faint
venies celſiorem , quantò Elias ceteris Prophe Taul, vous trouverez qu'il eſt d'autant plus
tis eminebat. Idem , lbidem. élevé au-deſſus de celuy d'Elie , qu'Elie étoit
élevé au-deſſus des autres Propheres.
sustinuit naufragium , ut naufragium to Saint Paul échappa du naufrage, afin de
tius orbis auferret, noitem & diem in pro délivrer le monde du naufrage du peché. Il
fundo maris fuit ;, ut à profundo erroris ex demeura un jour & une nuit au fond de la
traheret. Idem , Ibidem. mer pour délivrer les hommes de leurs pro
fondes erreurs.
Laudarunt te , Domine, omnes Angeli cum Tous les Anges vous donnerent mille
astra crearet će folem , verumtamen non ita loüanges,Seigneur,lorſque vous créates le fo
quemadmodum cum Paulum nobis toto orbe leil & les aſtres qui éclairent le monde ; mais
conſpicuum faceres. Idem , ferm. 4. in Epiſt. ils le firent bien davantage quand vous fites
voir faint Paul à routes les nations de la terre.
ad Philipp.
feſus totus in Paulo conſumptus. Idem , Jesus-CHR1st s'eſt comme confumé &
Ibidem. |- -
épuiſé dans faint Paul.
Cælestis anima & lingua orbis. Idem ho Saint Paul eſt une ame toute celeſte , & la
mil. 3. in Genefim. langue du monde.
paulus charitate fuccenſus totus fatius est Saint Paul tout embrafé du feu divin de la
charitas. Idem homil. 3. de laudibus Pauli. charité, est devenu tout charité.
prostravit Christus perſecutorem, ut faceret en faire le docteurrenverſa
Jesus-CHR1st
de toute
ce perſécuteur pour
ſon Egliſe.
Eccleſia doćiorem. Idem. H H h iij
43o POUR LE PANEGYRIOUE DE S. PAUL.
- -
os illud, per quod Christus majora, quàm Saint Paul eſt cette bouche par laquelle
per fe ipſum locutus est. S. Chryſoſtomus. Jesus-CHR1st a prononcé de plus grandes
véritez que par la fienne propre.
Christus omnipotentiam fuam ostendit in Jesus CHR1sr a fait voir un effet de fa rou
Paulo , ut omnes nofrent eum fanare poffe, te puiſſance dans faint Paul , afin que tout le
omnes infirmitates confugientium ad fe. S. monde fçût qu'il peut guérir toutes les infir
Auguſtinus. mitez de ceux qui ont recours à fa miſéri
corde.
Epistola Pauli ubera funt omnium Eccleſia Les Epîtres de faint Paul font comme les
rum. Ideîm. mammelles de toutes les Egliſes. -
Non pro mora temporum , fed compendio La charité ne vient pas à fa perfection par
gratia maturatur charitas. S. Cyprianus. le long intervalle des temps ; mais par
la grace qui abrege la longueur du temps.
Paulus Kelo legis impugnabat legem & Dei Paul, par un zele indiſcret de fa loy com
amore in Deum peccabat. S. Chryſologus. batoit la loy même , & par un amour appa
rent du ſervice de Dieu, offençoit Dieu véri
tablement.
Paulus quem paradist compotem fecit Chriſ. Paul à qui Dieu donna pour un temps la
tus, ante martyrium. Tertullianus in Script. joüiſſance du paradis avant la mort , & avant
qu'il eût ſouffert le martyre.
Hac planè perfeife converſionis est forma , Voicy le modele d'une parfaite converſion.
quid me vis facere ? ó verbum breve i fed Seigneur que voulez vous que je faffe , pare
plenum , ſed verum, ſed efficax. S. Bernar le courte , mais pleine , mais vive , mais
dus ferm. 1. de converſ. Pauli. efficace.
Converfus Paulus converſionis minister fac Saint Paul converti eſt devenu le ministre
tus est univerfo mundo. Idem Ibidem. de la converſion de tout le monde , Dieu s'é
tant ſervi de luy pour cela.
Multos adhuc vivens convertit, fed nec Cet Apôtre a converti grand nombre de
adhuc ceffat ab hominum converſione, filicet perſonnes pendant ſa vie , & ne ceffe point
exemplo će doćiriná. Idem , Ibidem. encore d'en convertir par fon exemple & la
doćtrine qu'il nous enfeigne.
In memoria hujus converſionis peccator Par le fouvenir de la converſion de ce per
fpem venie constituit , & provocatur ad pæ ſécuteur, un pecheur établit l'eſpérance de
mitentiam , & qui jam pænitet , perfetta fa converſion , & eſt excité à la pénitence ; Et
converſionis accipit normam. Idem, Ibidem. celui qui est déja pénitent trouve la forme &
le modele d'une parfaite converſion.
Magnificè in hac una converstone & mife Dans cette ſeule converſion de faint Paul,
ricordia magnitudo , & efficacia gratie com on nous donne un magnifique exemple de la
mendatur. Idem , Ibidem. grandeur de la miféricorde divine, & de la
force & de l'efficace de la grace.
Quis deſperet ultra pro magnitudine cujuf Qui pourra maintenant deſeſperer pour le
libet criminis , cum Paulum audiat adhuc nombre & la grieveté de fes crimes , quand
fpirantem minorum in fubito factum vas il entend faint Paul qui ne reſpiroit que me
electionis. Idem , Ibidem. naces & que meurtre, eſt devenu en un mo
ment un vafe d'élećtion.
.Paulus vas electionis , tuba Evangelij, ru Paul vaſe d'élećtion , trompete de l'Evan
gitus leonis nostri, fiumen Eloquentia Christia gile, rugiffement du lion de Juda, le fleuve
na. Hieronimus Epiſt.6 1. ad Pammachium. de l'éloquence Chrêtienne.
43 I
reur ce que l'on cherchoit avec empreſlement, pour rompre des attachemens fubits & tout
dont le coeur étoit enchanté, pour fortir de la bouë où l’on étoit profondé- "º"
ment enſeveli, pour ſuivre des maximes toutes oppoſées à celles que l’on fui-"“
voit, cela ne peut venir de nous, la nature ne peut trouver dans fon propre
fonds dequoi combattre fes déréglemens. Et quand la Foy ne nous appren
droit pas que c’est la grace qui produit ces effets dans les ames, la raiſon fe
roit ſüffiſante pour nous en convaincre. Nous pouvons naturellement conce
voir quelque dégoir paſſager du monde; rougir en ſectet de certains défordres
honteux: car quoique la grace produiſe fouvent de pareils mouvemens, la
raiſon peut quelquefois les y former toute ſeule : mais afin qu'ils foient des
commencemens de converfion, il faut qu'ils viennent directement du Pere
43, POUR LE PANEGYRIQUE DE S. PAUL.
des lumiéres, & non de nos propres forces. Cela s'entend dans les converſions
communes, où la grace va par dégrez: mais cele de ce grand Apôtre des Na
tions ſaint Paul a été toute ſubite , toute extraordinaire , & miraculeuſe.
c'est une Quelques Théologiens demandent fi le Fils de Dicu a quitté la droite de fon
question, Pere , pour venir en perſonne faire converſion de Saul, ou bien s’il a
cette
favoir fi, par miracle multiplié ſa préſence , en telle forte qu'il ait été tout à la fois pré
| *** "* fent au Ciel & en terre ; là , à côté du Pere, ici, devant les yeux de ce pe
cheur qu'il vouloir gagner. Saint Thomas, & après lui, Cajetan croyent qu'il
pour appa- deſcendit corporellement du Ciel , & fût hors de ſon trône pendant cet eſpa
it î re à faint ce de temps que dura fon apparition & fon dialogue avec Saul. Mais d'autres
Paul & le penſent que fa préſence fût multipliée, & que fans quitter le Ciel, il apparut
'le fur terre teellement & en perſonne. En quelque façon ce foit, au moins
sa u eſt-il certain & hors de doute que faint Paul vit ſa préſence réelle , puiſque
tiplia fa pré- non-ſeulement celui qui s'apparoiſſoit à lui , lui répondit: Ego fum feſus quem
en- tu perſequeris, & qu'Ananias lui dit après: Jeſus qui apparuit tibi in via, &
on que lui-même dans la 1. Ep. aux Corint. c. 2. témoigne qu'il l'avoit vů de ſes
yeux: Noviffimè viſus est mihi. Ce qui ne ſe peut entendre d'une viſion imagi
pas l'instrui naire, comme le témoigne faint Thomas, mais réelle , & qui avoit l'objet
te par lui réellement préſent à ſes yeux. Néanmoins quoique nôtre Seigneur foit deſcen
l'adreſſa à"° du du Ciel, & lui ait apparu perſonnellement pour vaincre ſon obstination,
A & le convertir ; il ne l'a pas voulu instruire lui-même de fes volontez, ni ré
pour appren: pondre à ſa demande: Domine , quid me vis facere ? Mais il l'a envoyé à Ana
die ce qu'il nias, pour apprendre de la bouche d'un homme la volonté de Dieu. Ce qui
* :
Cs
nous montre qu'il n'appartient qu'à Dieu de convertir le pecheur, mais que fa
“ direction & fa conduite après qu'il eſt converti, eſt commiſe par l'ordre de la
divine providence aux Paſteurs & aux Prélats de l'Eglife. Car puiſque ce vaiſ
feau d'élećtion, choiſi de Dieu pour être le Doćteur des Gentils , & pour inf.
truire tous les peuples, a eû beſoin d'être inſtruit par un homme, comme Vi
caire de Dieu dans Damas , & ce par l'ordre du Sauveur même : il eſt viſible
qu’il est de l'institution de Dieu que les hommes ſoient dirigez & enſeignez
par les hommes dans les voyes du falut, comme les Anges inférieurs dans la
céleſte Hiérarchie font illuminez par les Anges ſupérieurs. Le Sauveur ne vou
lut donc pas instruire Saul par lui-même, mais par un autre, puiſqu'il lui dit:
Ati ». Surge , & ingredere civitatem ; & ibi dicetur tibi quid te oporteat facere. Levez
vous , entrez dans la ville, & là on vous déclarera quelle eſt ma volonté, &
ce qu'il faut que vous fastiez. Paroles qui condamnent viſiblement l'erreur
des héretiques qui refuſant de prendre le vray fens des Saintes Ecritures de la
bouche de l'Egliſe, n'ont point d'autres raiſons à nous produire de leur ſuper
be refus, finon que ce n'eſt pas tant par le commun conſentement de
que par une inſpiration particuliere du Saint-Eſprit, qu'ils connoiffent les vé
ritez des Saintes Lettres, & les ſçavent diſcerner des paroles des hommes,ſans
conſidérer que l'ordre que Dieu a établi dans fon Egliſe , n'eſt pas d'instruire
chaque particulier immédiatement par lui-même ; ce qui pourroit être un fu
jet de pluſieurs illuſions de la part de chaque perſonne: mais d'instruire les fi
déles par les Prélats & les autres Pasteurs qu'il a établis dans fon Egliſe, dans
laquelle il faut pour la sûreté de la Foy , qu'il y ait de la ſubordination.
Le Prilegº La miſſion & la vocation de faint Paul n'eſt pas du commun. Il n'a pas été
envoyé
P AR A G R A P H E CIN QUI EME. 433
envoyé par les hommes : il ne tient pas fa miſſion d'un homme mortel. C'eſt un de
& lala dignité
voca
cho
tres xApôtres,
tout particulier, & unedemiſſion
non pas même fans ist
Jesus-CHR exemple.
vivantIlparmi
ne lales
tient pas desdans
hommes, au- * faint -
la foibleſſe & dans les infirmitez de la nature: mais de Jeſus-Christ vivant & i gal. r.
regnant à la droite de fon Pere ; depuis qu'il eſt établi Juge des vivans & des
morts , & que toure puiſſance lui a été donnée & dans le Ciel , & ſur la ter
re, nous pouvons donc dire qu'il y a quelque choſe de plus glorieux & de
plus relevé dans la miſſion de faint Paul,& dans ſon Apoſtolat, qui eſt comme
une génération ſpiritüelle de Jesus-Christ,joüiſſant de ſon Royaume céleſte,
que dans la miſſion des autres Apôtres qu'il a appellez, & pour ainfi dire,
engendrez durant le cours de ſa vie mortelle. Ainſi, quoiqu'il ſe nomme lui
même, & qu'il ſoit en effet le dernier des Apôtres, felon l'ordre du temps de
fon élećtion; il ne laiſſe pas d'être dans la maniere de fa vocation le prémier
& le plus illuſtre en quelque ſens. Jesus-CHRIST a comme rencontré les au
tres ; mais il a choiſi celui-cy.
Pluſieurs
feul, ce qu'ildes SS. pour
a fait Perestous
s'étonnent que enſemble.
les autres Jesus-ChrMais
1st ait fait jepour
quand S. Paul
penſe que
- J F sIussr
ce grand homme n'eſt pas pour Jesus-CHR ist une conquête ordinaire, que s.
CC Apôtre doit être le Pere de tant de fidéles, qu'en lui étoit comme ren- ce qu'il a
fermée toute l'Egliſe des Gentils, dont il devoit être le Maître, & que la con fait pour
verſion du été
qu'elle ait monde devoit êtreilcomme
fi miraculeuſe; la ſuite
étoit juſte que de la fienneist
Jesus-CHR : je glorieux
ne m'étonne pas
s'appa- les
cil
Dans la justification du pecheur, il ne ſe trouve aucune diſpoſition que cel- „Dieu qui
le que Dieu y introduit : au contraire le pecheur s'oppoſe à ſon propre ſalut,
& ſa nature corrompuë l'emporte inceſſamment vers le mal. Cependant quoi- el
qu'il n'y ait rien eû dans ſaint Paul qui pût obliger Dieu à lui faire miféricor- ne diſpost
de que fa pure grace, on peut dire que ce Souverain Seigneur qui ſonde les ro
coeurs & les comme
pas encore, reins, quicelles
appclle, c'est-à-dire,
qui font, qui connoît
a reconnû les choſes
au travers qui nedefont
des défauts ce G
i
Paneg. des Saints. Tome 1. I I i
insi, iusti *** POUR LE PANEGYRIQUE DE S. PAUL.
fication qu'il grand pecheur 3 quelque femence de vertu, quelque étincelle de bonté quel 3
que grain d'or mêlé parmi beaucoup de fable, qu'il a démêlé & multiplié ad
a reconnû mirablement , pour en faire ce vaſe précieux, où il a renfermé fon nom pour
da $. Paul être porté parmi toutes les Nations de l'univers ; ou plútôt pour parler plus
***m*"***
de citu : & conformément
d h
aux opérations merveilleuſes de la grace , il a vů dans les dé
des inclinati ifes à la vérité f. • /
un bon natu- allt S dc Cct hOmnhe , deS 1nclinat 1OnS mauva! ÎeS a la Ver1te , inalS genereu CS»
rel dont il violentes , mais pleines de zéle ; zéle indiſcret à la vérité, mais zéle dont
poutroit f: Dieu a ſçủ tirer cette ardente paſſion que ſaint Paul a depuis employée à la
propagation de l'Evangile & de la Foy Chrêtienne. Comme les laboureurs
f grands voyant une terre inculte , qui produit de foi-même quantité d'herbes inutiles,
desteins. & même vénimeufes, ne laiſſent pas de juger qu’elle pourroit être de grand
rapport,ſi elle étoit cultivée, & ſi on y jettoit de bonnes feinences,& ils la cul
tivent en effet dans l'eſpérance du profit qu'elle pourra leur apporter : de mê
me, Dieu découvrant par les mouvemens & les produćtions violentes de l'ef
Prit de faint Paul , que le fond en pouvoit être bon, y a répandu ſa grace avec
abondance, à laquelle il a coopéré avec un tel ſuccès, qu'il a produit les fruits
les plus abondans & les plus falutaires que l'on ait jamais trouvez dans le
champ de l'Egliſe : & ce qui eſt de plus admirablé, ce n'a pas été par ſucceſ
fion de temps, mais dans le moment il a répondu à toute l'eſperance que l'on
pouvoit avoir conçûë de lui.
On voit La grace s'accommode à la nature, elle la combat d'un côté ; mais de l'au
" " " tre elle s'accommode aux inclinations, & elle ſe ſert des avantages que la na
ture a donnez. Les paſſions mêmes ont fervi au peché, fervent après à la
comme la grace , qui les change , & qui s'en fert pour le ſalut du pecheur même. E le
grace s'ac- óre au feu de nos paſſions ce qu’il y a de criminel, & de mauvais ; elle leur
" laille ce qu'il y peut avoir de bon & d’agiſſant pour la gloire de Dieu. S. Paul
eſt d'une humeur ardente, & d'un naturel de feu ; cette paſſion avoit fait fon
- crime, & l'avoit emporté avec violence à perſécuter les Chrétiens, & à les
rentes d:s exterminer: la grace ſe ſert de cette ardeur immoderée, elle lui ôte ce qu'il y
Perſonnes. a de violent, de fougueux , d'audacieux ; elle modére & change fa témerité
outrée ; & elle lui laiſſe ce qu’il y a de courageux, de fort , de droit , d'équi
table pour s'en ſervir à la converſion de cet homme de feu ; elle éteint en lui
cette ardente fureur qui l'entraînoit & le portoit à perſécuter & faire mourir
les adorateurs du Fils de Dieu : elle cc, ferve en lui ce qui peut ſervir au zéle
Apoſtolique, parce que Dieu le deſtinoit à l'état d’Apôtre ; & c'eſt de l'allian
ce de ces feux, de celui de la grace & de celui du naturel de Paul , que fe for
me ce zéle agiſſant & univerſel, qui par ſon ardeur a rempli toute la grace de
fon Apoſtolat , & toutes les parties de l’excellent miniſtére auquel le Sauveur
du monde avoit bien vou’u appeller Saul le pecheur, pour en faire un des
plus excellens Pasteurs de fon Egliſe. -
comme la Quoique toutes les converſions des pecheurs ſoient des triomphes de la
g ºgie - grace, elle n'agit pas néanmoins toûjours d’une même façon, & dans fes diffé
ur différens rens combats el e ne prend pas les mêmes armes.Il y a de certaines .*-graces dans
r 4* - * * r * -
” les tréfors de Dieu , que faint Augustin appelle des délećtations victorieuſes,
comme eil: Delečiatio viếtrix ; que Tertullien nomme des paroles triomphantes, Trium
a gi fur la phatorium verbum. Ce n’eſt pas qu’elles entraînent néceſſairement le conſente
si l a Ae ment de l'homme ; mais leur Puiliance victorieuſe conſiſte en ce qu'elles pro
-
I
PARAGRAPH E CINQUIEME. 43;
viennent de certaines inſpirations fi agistantes & fi vives, qu'après une douce
violence qui ne tient rien du tyran, elles obligent infailliblement la liberté
de ſe rendre. C'est ainſi que Dieu fe rend le maître abſolu de nos coeurs,aust
bien que des autres choſes ſur leſquelles il exerce cette volonté toute puiſſan
te qu'il a de les fléchir comme il veut: Habens humanorum cordium, quocumque
placeret inclinandorum potentiffimam voluntatem,dit ce Saint. Mais comme ce
font des coups extraordinaires de fa puiſſance,auſfi-bien que de fa bonté,il ne
les exerce pas dans la conduite ordinaire de fa providence. Il eſt croyable qu’il
ne les employe preſque jamais , que dans quelques importantes occaſions qui
regardent le bien de fon Egliſe ; comme quand il eſt question de faire des
Saints, qu'il a fingulierement deſtinez pour les emplois publics de ſa gloire ;
quand il faut par exemple appeller des Apôtres, c'eſt pour ces Saints privi
legiez qu'il referve fes faveurs extraordinaires; & comme il fait un miracle
de fa bonté quand il conçoit le deſfein de leur prédestination, il employe pour
les attirer, les miracles de fa puiſſance. C’eſt avec ce tendre & affećtueux
amour, & avec ces victorieuſes lumieres qu'il combat & attire aujourd'hui
l’Apôtre faint Paul ; & foit qu'il l'eût prédeſtiné de foi-même,foit que les prié
res que faint Etienne lui offrit pour lui avec ſon fang, euſſent mérité cette
élećtion ; nous pouvons aſsûrer que la grace du Sauveur n'a jamais paru plus
triomphante qu'en cette occafion, quand Dieu a fait d'un grand pécheur, un
grand Saint, & d'un perſecuteur, un prédicateur très-éclairé, & un Apôtre
très-zélé ; quoique ce triomphe du Sauveur foit très-peu commun, & d'un
ordre tout particulier. -
Le Fils de Dieu ayant jetté la vůë fur faint Paul , pour en faire un Ministre Dieu n'a est
de fon Eglife , ne lui conféra pas une fi haute dignité à cauſe des avantages nul égard
dont il éroit naturellement pourvů, comme des ſciences humaines, de la fa
geſſe dumoins
tout au ſiécle très-indifférentes
; qualitez plus déſavantageuſes
fur tout devantpour
Dieu.l'ordinaire
Non ce nequ'utiles, & is f
fut point de I
ces
fairequalitez
un vaſedont Dieu feC’est
d'élećtion. fervitpourquoi
; il falloitleque
Filscedevaſe fûtlui
Dieu vuide avant
donna uneque d'en digne de
ſcience Mifa
infuſe & toute céleſte , après avoir éteint en lui cet amas confus de lumieres gloirc.
trompeuſes & acquifes; dont il étoit orné. Le Fils de Dieu prend lui-même le
foin d'instruire Paul, il en fait par fa grace un homme tout nouveau, il lui
donne fes lettres de créance pour portcr fon nom non-feulement devant les
Juifs, mais chez tous les Gentils, pour leur apprendre & à tout l'univers l'oe
conomie des myſtéres cachez dans Dieu de toute éternité , touchant la ré
demption du monde. Il falloit que ce grand homme fût bien privilegié pour
que le Sauveur lui fit part à lui ſeul des mystéres cachez ce ſemble à toute
autre créature. -
Le Texte Sacré rapporte que faint Paul fût environné d'une abondante lu- „Cº me S.
miere: Circumfulfit eum lux de Cælo. Cette lumiere extérieure n’étoit qu’une
figure de la lumiere intérieure dont le Fils de Dieu ſe fervit alors pour diffiper
les ténebres de l'ignorance malicieuſe de ce pecheur, & pour le contraindre leste, qui
malgré le faux zéle qui lui fermoir les yeux , de connoître qui il étoit. Jesus- ues
CHRIST
La porta trois
prémiere,lui lumieres
découvrit endans cette les
un inſtant ame préoccupée
tréſors de ténebres
& les richeſſes épaiſſes.
ineſtimables Ci
du myſtere de l'Incarnation ; il lui fit en cet inſtant un abrégé de tout ce que Ati ».
* - - -
II i ij
436 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. PAUL.
les Prophétes avoient dit de lui, & un racourci de fa vie & de ſa mort. Il lui
donna en ſecond lieu une vive & forte penſée , qui lui repréſenta fa témeriré,
fon infolence , fa cruauté, en un mot , tous fes pechez. Troifiémement, il lui
exprima très-fenſiblement l'extrême bonté & la patience avec laquelle il avoit
fi long-temps ſouffert ſes perſecutions, & l'amour qu'il lui témoignoit lors
même qu’il faiſoit gloire d'étre ſon plus crüel perſecuteur.
Comme S. Si jamais il y a eu un coeur qui ait répondu fidellement aux impreſſions de
Paul a fiié la grace , & qui par l'étendue de fes défirs ait rempli en ce point la plénitude
lement ré de fes lumieres & de ſes mouvemens, c'est fans doute le coeur de faint Paul.
pondu à la Tout le monde admire ce grand Apôtre, quand il convertit les Nations,
grace ; &
rempli ſon quand il porte le nom du Sauveur devant les tribunaux des Juges, & à la face
miniſtére. des Rois. Je ne veux pas ici diſputer avec les Théologiens, ſi outre la grace
qui touche la volonté & qui forme ſes ſouhaits, il faut encore un ſecours
particulier qui préfide à l'exécution de ſes défirs. Quelques-uns ont crû que la
même impreſſion qui fait que nous voulons efficacement quelque chofe, est
la cauſe de l'action extérieure, fans qu'il foit beſoin d'une grace différente ;
parce que, diſent-ils, les autres puiſſances étant ſujettes à l'empire de la vo
lonté , elles fuivent fon application , lorſqu'elle est même efficacement dé
terminée. Mais j'eſtime avec la plus ſaine Théologie, qu’outre la prémiere
grace qui forme le déſir dans le coeur, & qui produit les fouhaits d’une vo
lonté naiſſante, nous avons beſoin d'une ſeconde grace, qui nous applique à
l'exécution de ces déſirs, principalement quand ils s'étendent à quelque bon
ne oeuvre extérieure. Saint Paul ſemble avoir voulu marquer la difference de
ces fecours , quand il dit que Dieu opére en nous & le vouloir , & le faire :
Ad Philipp. Operatur in nobis & velle, ở perficere. La raiſon eſt, que c'est autre choſe de
former des déſirs, & autre choſe de les mettre en exécution ; car dans la for
mation des bons propos il ne fe rencontre que peu de difficultez: mais quand
il s'agit de l'exécution, il naît des difficultez particuliéres, des contrarietez ,
des contradićtions, des oppoſitions de différentes fortes, & de la part des per
fonnes différentes ; il faut donc une nouvelle grace pour les vaincre, une gra
ce plus abondante, qui nous donne la force de les furmonter. Mais quoiqu'il
en ſoit de ces différentes graces, il eſt certain que faint Paul a parfaitement
correſpondu à la grace du Sauveur, & qu'il a employé avec fidélité le talent
u’il lui avoit confié.
Ce qui a Saint Paul étoit un eſprit naturellement fier , coupable de deux crimes,
rendu diffici
le la conver
d'infidélité à l'égard de Dieu , & de fureur contre fon Egliſe, qu'il vouloit
r
étouffer dans fon berceau. Mais ce qui rendoit fa converfion plus difficile,
Paul. c'est qu'il couvroit ſes pechez du prétexte de Religion , & qu'il exerçoit l'im
petüofité de fes paſſions ſous les apparences de zéle. Or il est évident qu'il
n'est point de mal plus difficile à guérir, qu'une fauſſe pieté, ou un zéle in
diſcret & témeraire. Les remedes qui guériffent les autres pechez, font inuti
les pour ceux-cy. On a beau alléguer pour les réduire , des raiſons qui ſe
prennent du côté de Dieu : c'est par là même qu'ils ſe défendent.lls employent
pour établir leurs pechez, ce qu'on employe pour les détruire. Il faut donc
pour convaincre l'eſprit opiniâtre de ce perſécuteur, & pour lui montrer
evidemment l'erreur indiſcrete de ſon zéle,que Jesus-CHR ist ſe préſente lui
même : Ego fum. Il n'avoit pas voulu croire ſa Divinité, ni par les miracles de
PAR A G R A PHE CIN QUIE’M E. 437
Ha vie qu'il avoit půvoir , ni par ſa Réſurrećtion dont il avoit pů entendre
parler comme d'une chofe publiquement fçûë : il faut que le Fils de Dieu l'a
veugle pour ainſi dire de fa gloire, pour la lui rendre indubitable. Et ce d'au
tant plus que Paul ayant été nourri dans la Loy de Moyſe , avoit un eſprit
accoûtumé à l'air de l'ancien Testament, où Dieu apparoiſſoit fenſiblement aux
hommes comme dans un buiſſon ardent, par des éclairs & par des tonnerres;
il faut que le Sauveur pour le convaincre, fe préſente à lui dans un ſenſible
appareil. Il tenoit de l'incredulité de ce peuple qui demandoit quelque figne
à Jesus-ChR 1st pour le croire: Volumus à te ſignum videre. Il n'a pas crû aux Matth. 25.
miracles que le Fils de Dieu a fait ſur les corps des malades, ou des morts, il
faut qu'il faste des miracles pour lui ſeul & en fa preſence. Et pour en rendre
la preuve plus ſenſible, il les fera en lui-même ; il domptera la fierté de fon
orguëil en l'abattant à ſes pieds ; il confondra les lumieres de fa raiſon opiniâ
tre en aveuglant ſes yeux, pour lui faire voir l'aveuglement de ſon faux zéle,
& la Divinité de celui qu'il ne vouloit pas reconnoître, afin de le perſécuter.
Saint Paul châtioit ſon corps , pour expier ſes pechez , & le réduiſoit en s. Paul châ
fervitude pour l'affujettir aux mouvemens de la grace. Mais il avoit peur d'ê- ioi ſon
tre réprouvé, parce qu’il avoit mérité de l'être. Ne feroit-ce point pour cette s.
raiſon que Dieu permit à un démon profane de le tenter ? Etrange conduire de . réprouvé
la Providence, de confondre ainſi dans un même ſujet & fes faveurs, & fes après avoir
peines, & de joindre dans la perſonne d'un Apôtre, un corps élevé juſqu'au Piëché les
troifiéme Ciel, & les ſentimens des feux de l’enfer ! C'eſt une invention de la leur
- * - * * e A *
""*** .*
avoir
grace, pour faire fouffrir faint Paul, afin qu'il ſe tourmentât volontairement
lui-même ; c'eſt pourquoi il humilie l'eſprit par le corps , & il châtie le corps chemin du
par l'eſprit. Que fait donc cet Apôtre ? il fouffre ces tentations, de peur que la Cici.
hauteur de ſes révelations, ou la fublimité de ſon ministére ne lui donne des
fentimens de vanité, ne lui faffe perdre ces graces fi excellentes du Sauveur,
qu’il accorde à fi peu de perſonnes, & afin de diſpoſer fon eſprit, & de l'ac
coûtumer à rendre fidélement à Dieu toute la gloire qui pouvoit lui revenir de
l'éminence de fes emplois.
Il y a de certaines maîtreffes graces dans la vie,de certaines inſpirations im- Il y a des
portantes, comme celles qui après une longue habitude de pechez , nous g º i
perſuadent une fincere converſion;pour celles-là, il est important d'en ména- -
ger fidellement les occaſions, & de coopérer à ces graces, parce que c'est or- le ſa
dinairement de ces momens d'où dépend nôtre falut; ce font des inſpirations iut, aufquel
, après leſquelles, peut-être, il n'y en aura plus d'autres. Comme les ſi nous ne
a mifericorde de Dieu fait, pour ainfi dire, des efforts pour nous les don
ner: fi nous les rejettons, elle ſe laſſe. Peut-être que fi ſaint Paul eût réfisté à i
Jesus-CHR 1st en ce moment, jamais il n’eût été Saint : peut-être qu'au lieu anta plus de
d'être une des plus grandes lumieres de l'Egliſe, il feroit maintenant réprou- retour.
vé. Et cependant combien de fois avons-nous fenti quelque choſe de ſembla
ble à ce qui a converti cet Apôtre ? que de lumieres qui nous montrent le
Sauveur ! que de voix ſecretres, qui nous appellent par nos noms ! Nous les
avons ouiës, & nous les avons mépriſées. N'est-il pas à craindre qu'enfin
Dieu ne ſe laste de nous appeller? Il y a un certain nombre de graces , après
leſquelles , fi on les mépriſe, fi on y réſiste , Dieu ſe retire, ou du moins, il
: ne frappe plus fi fort à la porte de nos coeurs.
II i iij
8 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. PAUL.
De tous les ” . tous les ouvrages de Dieu ſoient infiniment admirables, & qu'il
"° n'y ait point de créatures, quelque infenſibles qu'elles paroillent, qui ne pu
blient ſa gloire ; il faut pourtant avouer qu'il n'y a rien qui doive tant attirer
pi - nos admirations, que les ouvrages de la grace dans la converſion des pécheurs,
mirable que car cette grace n'eſt jamais plus admirable que dans ces occaſions. Et parmi
cºnver, ces pécheurs il n'en eſt point fans doute qu'elle ait tirez de l'abîme de l'iniqui
"*"* té avec des circonstances plus merveilleuſes, que faint Paul. Car s'il a été un
cheurs,& en- » / - - |- * -
yaſe d'election, dont Dieu s'eſt ſervi pour porter ſon nom devant les Rois &
cheurs ; que les Nations: ce n'a pas été ſeulement dans les fonćtions de fon ministére Apof
dell; de 5. ment
Paul.
tolique
la ;Divinité
mais dèsdelesJesus-CHR1
prémiers momens de fa converſion,
sr , puiſqu'il où ilqui
n'y a que Dieu publie
puiſſehaute
opé
rer de ſemblables prodiges. Quel ſpectacle pour le ciel! & quel exemple
pour la terre ! s'écrie faint Auguſtin ; n'eſt-ce pas un objet qui doit ravir les
hommes & les Anges, que de voir Saul , qui tombe pécheur, & qui ſe re
leve pénitent ? Cet homme aveugle devient un Apôtre, qui tire les autres
hommes de l'aveuglement. Il meurt au péché , & reffuſcite à la grace preſ
Aết. 9. que dans un inſtant ; Surrexit autem Saulus de terra. Ce changement ne peut
Rſah 74 étre que l'effet de la main toute-puiſſante de Dieu : Hæc mutatio dextere Ex
celfi. -
e " Venit Christus peccatores falvos facere, quorum primus ego fum, 1. Ad Tim. r.
fe Quand faint Paul ſe nomme le prémier des pécheurs , il ne faut pas s'imagi
a ile e ner qu'il diſe cela par une humilité outrée, ny par pure bienféance : mais un
piểmier des véritable jugement de la raiſon éclairée par une parfaite connoiſſance de foy
Pécheurs, même, qui lui faiſoit voir l'énormité de péchez, & combien il devoit à la
miſericorde & à la grace du Sauveur qui l'en avoit retiré. Saint Augustin ex
pliquant ces paroles de l'Apôtre,dit qu'il ne prétendoit pas ſe donner pour le
prémier des pécheurs, vû que les fiecles précedens en avoient été aſſez rem
plis : mais le prémier de tous, quant à la malice & à l'obſtination , en rejet
tant non-feulement la vérité, mais en la perſécutant. Saint Paul en faiſant
cet aveu n'avoit nullement en vûë les péchez des autres; mais il conſidéroit
les fiens propres ; il y voit des circonſtances aggravantes, qui les lui font
paroître beaucoup plus énormes que ceux d'autruy.
439
pour mieux dire, l'un des fondemens de nôtre religion ; un homme de mira
cles , & dont la perſonne fut le plus grand de tous les miracles : un autre
Moyſe par les viſions & les révélations divines ; un ſecond Elie par les tranſ
ports & les raviſlemens : un Ange de la terre , qui n'eût de converſation que
dans le ciel : un diſciple , non plus de Jesus-CHR 1st mortel, mais de Jesús
CH R 1 sr glorieux : un vaiſſeau d'élećtion, rempli, comme dit faint Chryſoſ
tôme, de toutes les richeffes de la grace : le dépoſitaire de l'Evangile , l'Am
baſſadeur de Dieu. Mais il ſuprime tout cela, en diſant ſeulement qu'il eſt le
ferviteur de Jesus-CHR ist : Paulus , fervus Jeſu-Christi. Le Pere Bourdalouë.
L'Apôtre des nations avouë lui-même qu'il étoit grand émulateur des tra- Ce qu'étoit
ditions de fes Peres, & qu'il étoit partiſan paſſionné de la Religion Judaïque; faint Paul
‘Proficiebam in Judaifino ſupra multos costaneos meos in genere meo, abundantius
emulator paternarum mearum traditionum. Enſuite de quoi il étoit devenu s '
comme le Chef des zelez , & le ministre de la rage & de la fureur des Pon- qu'ii ! :
tifes & des Pharifiens, Pharifien lui-même : Secundum legem , Pharistus : f - à la Reli
cundum emulationem, perfequens Ecclestam. Pharifien de Sečte,»Perſécuteur de giºn Chiê
profeſſion. Le voyez-vous qui ravage le troupeau du Seigneur comme un .I
loup raviſſant ? qui remplit les priſons d'innocens ? qui va piller les maiſons 22 . .
où les Chrêriens s'aſſemblent ? qui les va relancer hors de Jéruſalem , dans
des villes éloignées ? qui anime la fureur des Pontifes , ſe rend follicireur de
leur cruauté, & éxécuteur de leurs pernicieux deſfeins. Cependant cet hom
me , que les Aćtes des Apôtres nous dépeignent avec des couleurs ſi noires &
fi fanglantes, eſt ce grand faint Paul, dont le nom nous remplit incontinent
l'imagination de vénération & de reſpećt, dont la doćtrine eſt comme l'effen
ce de la Religion Chrétienne,& dont les aćtions font inimitables,les travaux,
les peines , les-ſueurs pour la publication de l'Evangile , incroyables; Mais
d'où vient un changement fi étrange & fi nouveau, fi prompt & fi ineſpéré ?.
C’eſt un coup de la main de Dieu : c’eſt un effet extraordinaire de fa miféri
corde ; c'eſt un trait inimitable de fa grace ; & de fon bon plaifir : Sic placuit Ad Galat.r.
ei qui me ſegregavit ex utero matris mee , & vocavit per gratiam filam. Et i |
P AR AG R A P HE S I X I E’M E. 441
querans n'ont jamais porté leurs armes. C'est pour ce ſujet que tous les Peres
de l'Egliſe l'appellent Magister orbis, le Maître de l'univers : & ils reconnoiſ
fent qu'il n'y a preſque point de peuple, qui ne doive fon falut à la prédica
tion de faint Paul. Ce Prédicateur a des qualitez qui l'élevent beaucoup au
deſſus des autres, & qui nous font avoüer que ſes plus excellens imitateurs
n'approchent ny de ſon zele, ny de fes lumieres, ny de ſon courage. C'eſt un
Prédicateur qui instruit les hommes, qui convertit les Gentils & les Juifs : qui
prêche dans tous les fiécles, & qui formant tous les jours des Prédicateurs, fe
peut vanter qu'il convertit encore des pécheurs après ſa mort. Le Pere Se
nault de l'Oratoire.
Chef dæuvre de la grace divine , vaſe merveilleux d'une élection ineffa-Autre Elegs
ble , gage de l’amour de Dieu pour les Gentils, Doćteur de l'Egliſe, Oracle du même s.
du Saint-Eſprit, regle de la vie Chrétienne , foutien de l'Empire du Fils de Paul
Dieu : Paul, dont le ſeul nom épouvante les démons, & confole les fideles :
quand je conſidére l'entrepriſe que je fais de préſenter vôtre Panégyrique aux
Fideles fi bien instruits d'ailleurs par vos inimitables exemples, & vos leçons
toutes divines : j'avouë par avance que je ſuis un téméraire ; que j'entreprens
un cuvrage au-deſſus de mes forces, & qu'il faut être pourvû d'une éloquence
furnaturelle pour pouvoir en venir à bout. Il n'appartient véritablement qu'à
ceux dont la doćtrine eſt conſommée, qui ont vieilli ſur vos écrits , & qui
ont encore plus de pieté, que de doćtrine , à repréſenter au naturel vôtre
perſonne , à peindre de couleurs vives & reſſemblantes vos divins exemples ,
la ſublimité de vos vertus,& à les annoncer en public. Monsteur Godeau.
L'Eloge de l’Apôtre faint Paul a toûjours paru aux faints Doćteurs infini- Autre Eloge
ment élevé au deffus des forces de l'eſprit humain. C’eſt la loüange d'un hom- de S. Paul.
me que ſaint Chyſostome regarde comme le prémier de tous les Saints, com
me ſe plus furprenant ouvrage de la miféricorde de Dieu, & le plus grand
Chef-d’oeuvre de fa grace ; d'un homme qui, felon faint Augustin est de tous
les Apôtres celui qui a établi les dogmes de la foy avec plus de folidité, écrit
des mystéres de nôtre religion avec plus de profondeur ; d'un homme qu'on
appelle par excellence , le Grand Apôtre, le Docteur des Nations, la lumiere
de l'Egliſe ; d'un homme qui ſeul, fans armes , fans protećtion, fans argent,
a plus déſarmé d'ennemis, ſurmonté d'obstacles, aſſujetti de Provinces, fait
de conquêtes, remporté de victoires, répandu de terreur, que les plus fa
meux conquérans du monde avec un million de bras. L'Auteur des Sermons
fur tous les fujets.
ce Figurez-vous d'abord
de la Loy , attaché auxunopinions
homme devif,fesaustere,
Peres,entreprenant,
& prévenu desenfiéfiennes
de la ſcien
pro- Alilt l’aul«
pres : qui veut ſe distinguer par des aćtions d'éclat, qui condamne ſans exa
miner, toute doćtrine oppoſée à ſes connoiſſances , & qui s'abandonnant à
l'ardeur de ſon naturel, & à l'impétuofité de ſon zele , ſe trompe lui-même
de crainte d'être trompé, & par un motif de religion , attaque la Religion
même. Tel étoit Saul, perſécuteur de l'Egliſe de Jesus-CHR I sr. La mort du
prémier Martyr , qu'il avoit lapidé par les mains de tous fes meurtriers, n'a
voit pas aſſouvi ſa haine : il en vouloit à tous les diſciples: corrompre les uns
par ſes diſcours , étonner les autres par ſes menaces, les uns par les pri
ions, perdre les autres parles ſupplices. Jéruſalem n'étoit pas un affez grand
Paneg: des Saints. Tome I. K Kk
442 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. PAUL.
theâtre pour lui: il veut porter fa fureur juſqu'aux villes les plus éloignées.
Il excite lui-même les Prêtres & les Pontifes, & ſe rend folliciteur, & i’éxé
cuteur de leur cruauté. Il obtient un ample pouvoir d'exercer ſes violences,
pour foûtenir fa paſſion par l'autorité, & pour la colorer du prétexte de cette
obéiſſance affećtée. Monfieur Fléchier.
peinture de Après que faint Eſtienne eût été lapidé par des bourreaux, dont Saul gar
la ciüauté doit les habits, pour avoir le plaiſir de le lapider par les mains de tous ; les
& fideles de Jéruſalem furent contraints de s'enfuir à cauſe de la grande perſecu
qu'il faitoit tºn qui s'éleva contre eux. Saul en particulier ravageoit l'Egliſe ; il entroit
dans le trou dans les maiſons, il en tiroit par force les hommes , & les femmes , il les me
peau de noit en prifon. Ajoûtant les menaces aux inſultes, il ne reſpiroit que la mort
des diſciples. Son zele emporté trouvant la Judée trop petite , lui fit deman
***** der au Grand Prêtre des Lettres fanguinaires pour les Synagogues de Damas,
afin que s'il y trouvoit des diſciples , il pût les amener priſonniers à Jéruſa
łem. Muni de ces pouvoirs, il ſe mit en cheinin. Il alloit , dit l'Ecriture: &
pendant qu'il alloit dans les voyes de la mort ; ( car où pouvoit-il marcher
avant que le Sauveur l'eût fait marcher dans les voyes du ſalut , ) quelle étoic
la diſpoſition d'un coeur fi barbare ; finon déteſtable & meurtriere ? & que
méritoit cet homme dans un état ſi funeſte, finon d’être rejetté de Dieu ? Il
n'avoit de mérites, que ceux qui arrirent le jugement de Dieu , & une effroya
ble condamnation. il alleit donc dans le deſſein de perſécuter les membres du
Sauveur, de verſer leur fang, & de ravager le troupeau du Fils de Dieu. Telle
Pfal: '3 étoit la fin de ſon voyage , étant de ceux dont le Prophéte a dit : Veloces pedes
eorum ad efundendum fanguinem. Cependant, qui le croira ? dans ce voyage
inſpiré par la haine, entreptis par cruauté , foûtenu par fureur : le Fils de
Dieu s'apparoit à ce lion : il le renverſe par terre, il l'éclaire en l'aveuglant :
Saul , Saul , lui dit-il, pourquoy me perfscutes tu injuſtement : En vain tu ré
Aĉł. 9. fifte ; car je t'ay deſtiné, je t'ay reſervé comme un vaſe d'élection , pour por
ter mon nom devant les Rois & les Princes de la terre. Afonsteur Treuvé.
Le faux zele Déja ſaint Paul s'avançoit vers Damas, reſpirant le fang & le carnage. Déja
dont ce Per- . - - * A* * * - "* *
fécuteur
** il abatoit dans fon coeur les premieres têtes du Chriſtianiſme. Il ſe faiſoit un
r - - /* *
ani. mérite d'étouffer dans leur naiſſance les véritez de la Loy de grace ,& croyoit
nié.
Ibii.
faire des feſacrifices
paſſions mêlent àdans
Dieuces
, des ſacrileges
ſentimens qu'il qu'on
du coeur alloit appelle
commettre. Quand de
Religion, les
'quoy ne font-elles pas capables ? On ſe permet tout contre le prochain,& l’on
fe justifie tout à ſoy-même. On ſe fait une eſpece de juſtice ſauvage, qui juge
de tour, qui condamne tout indifféremment. On médit fans ſcrupule : on ſe
vange dévotement : on perſécute l'innocence à bonne intention: on déſeſpere
le pécheur, fous prétexte de le corriger. Saul ſe trouve dans des pareils égare
mens. Qui n’eût dit qu'il devoit être l'ennemi perpetuel du Fils de Dieu , &
de fon Egliſe ? Quelle miſericorde eſpérer , pour celui qui n'en
faiſoit pas à ſes freres ? & qui pouvoit s’imaginer que ce loup , qui ravageoir
le troupeau, dût un jour en devenir le Paſteur ? Cependant Jesus CHR i sr
l'appelie, dit faint Augustin ; il le terraffe, & le reléve: il l’aveugle, & l’é
claire ; il le fait mourir , & le fair revivre : il le perd, & il le recouvre ; & ,
dire tout en un mot, de ſon Perſécuteur, il en fait ſon Apôtre. Monsteur
Fléchier.
P A R A G R A P H E S I X I E’M E. 443 - ..
Qu'un faux zele est ardent, qu'il eſt impetueux , & qu'il est à craindre :
Comme c'est toûjours la gloire de Dieu qui fert de prétexte à cette pastion fu;
rieuſe , rien n'est capable de la vaincre , ni même de la moderer. A la vérité , tel
l'ignorance n'est pas invincible; pour peu qu'on voulût raiſonner , on décou- qu'étoi ce
vriroit bien-tôt l’erreur. La paſſion y regne avec trop d'éclat, pour ſe rendre lui "l
inviſible. On n'auroit qu'à conſidérer le véritable motif de ces aigreurs » de
ces mépris, de ces averſions, de ces cruautez qui accompagnent toûjours le Chiê
faux zele, pour en découvrir le venin. Comme le faux zele n'eſt proprement tiens.
qu'une paſſion déguiſée : il eſt turbulent, inquiet , malin , plein de ficl. Son
ardeur ne purifie pas, mais elle brûle. Il eſt plein de ruſes, de calomnics &
de duretez; il met toute fa vertu dans fes artifices. Ce n'eſt pas proprement
un zele , mais un eſprit de cabale & de parti. Voyez le prétendu zele de Saul ;
il ne reſpire que menaces, & que maſlacres ; il veut tout renverſer, tout
perdre : & ne cherche jamais à vaincre , ni à convertir. Il demande des Let
tres pour Damas, addreflees aux Synagogues ; eſt-ce pour ramener fes freres
qu'il croyoit dans l'erreur ? Nullement : c'est pour les jetter dans des cachots;
c'est pour les charger de chaînes. Tout faux zele eſt dur , & amer. La Reli
gion lui ſert de prétexte : mais l'eſprit d'aigreur & de haine en eſt le principal
mobile , & le véritable motif. Mais qu'il est difficile de guérir une maladie,
qui est autant dans le coeur, que dans l'eſprit : Le Pere Croiſet, dans fes Exer
cices de Piété.
Nous ne fçaurions mieux apprendre l'êtat déplorable dn coeur de Saul, peintur, s.
aveuglé par toutes les paſſions, que de fa propre bouche. J'étois dit-il, le caractere que
plus zelé de tous ceux de mon âge pour la Religion de mes peres, & j'allois it, Paul,
tous les jours croiſſant dans l'eſtime & dans l'amour du Judaïſme: Proficiebam
in Żudaiſmo ſupra multos coetaneos meos. De cet amour naiſſoit la haine que e
j'avois pour l’Egliſe Chréticnne , que je perſécutois au delà de tout ce que je étoit animé
pourrois dire: Supra modum perfequebar Eccleſiam ; où, comme lit faint Jérô- contre la
me , devastabam Eccleſiam, quaſi graffator & prado. J'attaquois l'Egliſe Chrê-
àtienne, & je tâchois
main armée dans lede la décrier
Domaine dupar tous les
Sauveur ; j'ymoyens imaginables.
faifois tous J’entrois
les dégats poſſi- « K»
bles ; je metrois tout à feu, & à fang. J'étois, dit-il, je l'avouërai à ma con- Aä. 26.
fuſion, le prémier, & le plus fignalé boutefeu , pour exciter des ſéditions
parmi le peuple contre les Chrétiens ; c'étoit moy qui les accufois devant les
Pıêtres ; & en vertu de la commiſſion que j'avois priſe, je me rendois le per
fécuteur de tous les fideles qui étoient dans la Judée. Je parcourois toutes les
Synagogues : A Principibus Sacerdotum potestate acceptà per omnes Synagogas Aa. 2«.
frequenter puniens , eos compellebam blaſphemare. Ces paroles montrent claire
ment l'univerſalité de la perſecution, & l’étenduë du pouvoir qu'il avoit de
perſecuter, ce qu'il mettoit à honneur. Per omnes Synagogas. Frequenter pu
niens. Il étoit non-ſeulement perſecuteur univerſel, mais affidu & opiniâtre. •• A
Si faint Chryſostome nous aſsûre que quand Dieu a fait vo'r fur la terte un voir saul
faint Paul éclairant tout le monde des lumieres de la Foy , il a fait voir un converti ,
fpećtacle plus ſurprenant, que lorſqu'il a attaché le foleil & tous les astres ulil
dans le Ciel ; il me femble que je le puis dire avec autant de raiſon, lorſqu'il que
a converti & appellé ce méme Apôtre à la foy; puiſque ce ſpectacle ne mar- de voir pa i
force & letepouvoir la grandeur
, dit ce&faint Docteur,decùm astra prêcher l'E
la mifèri-
corde demoins
que pas Dieu : laLaudarunt de la grace,
omnes Angeli au X.
creares & folem ; verùm non ita, quàm cum Paulum toto orbe conſpicuum face- at1O17S,
res. En effet, quoi de plus admirable, que de voir le Fils de Dieu lui-même
produire une nouvelle lumiere dans l'eſprit de cet homme aveuglé par ſa paſ
fion , arrêter les mouvemens impetüeux de fon coeur tout bouillant de cole
re, changer un perſécuteur en Apôtre, & du plus grand ennemi du nom Chrê
tien, en faire le plus zélé défenſeur de la Foy qu'il s'efforçoit d'étouffer dans
le fang des prémiers Chrêriens:Les circonstances mêmes de cette miraculeuſe
converſion font autant de ſpećtacles, qui méritent de rendre tous les eſprits
artentifs ; car c'est le Fils de Dieu en propre perſonne, qui quitte en quelque
maniere le ſéjour de fa gloire, pour dompter & arrêter ce furieux : Saule , Aã. 9.
Saule, quid me perſequeris? Il lui ôte pour un temps l'uſage des yeux du corps,
afin de
enfin lui ouvrir
il l'abat & renverſe terre :comme
ceux deparl'eſprit Et fubitò circumfulfit
un ennemi eum lux
vaincu, PourdeleCælo ;&
relever
KK x iij
446 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. PAUL.
enſuite, & en faire le plus ferme appuy de fon Egliſe.Tout cela nous fait voir
que la converfion de Saul n'est pas une conquête ordinaire de ſa grace vićo
rieuſe, mais qu'il y enviſage la converſion des Gentils, qu'il appelle à la foy
|
-
celui qui doit porter la foy par tout , qu'il éclaire celui qui doit être le Doc
reur & le Prédicateur de toutes les Nations, & enfin qu'un faint Paul conver
ti doit être le moyen & l'instrument de la converſion de tout le monde. L'Au
teur des Sermons fur tous les fujets, &c. -
La cºnver Comme l'entiere & parfaite converſion d'un grand pecheur est un change
* mert par lequel il palle d'un état à un autre, du peché à la grace , & d'une
erës vie criminelle à une vie ſainte & réguliere : il ne faut pour fe former une par
m-ni celle de faite idée du grand faint Paul, & vous en repreſenter les merveilles que juſ
3. ? ! ;" tifier ce qu'il a dit lui-même; fçavoir, que tout ce qu'il eſt : il l'est par une
| : faveur finguliere de la miféricorde de fon Dieu, & par un effet miraculeux de
| torde de
me le recon
blis.
i ſa grace, qui l'a rappellé de ſon égarement, qui a diſſipé festénebres, qui a
-
touché & amolii ſon coeur , & qui a changé enfin la haine & la fureur que lui
Di u comm inſpiroit le faux zéle de ſa Loy , en un déſir infatiable de ſouffrir pour celui
qu'il avoit pe ſecuté, & d'étendre par tout le monde une Religion
ncit & le pu- sfforcé
- - - -1° ! - - * festion. qu'il
A * • C s'étoit |
Le grand exemple de la mifèricorde de Dieu fur faint Paul, doit relever L'exemple
d’un cổté l’eſpérance des pécheurs les plus abandonnez , & les empêcher de de S.
déſeſperer de leur falut : mais en même temps peut rabbatre leur préſomption,
korſque ſous ce prétexte , ils perſéverent dans leurs crimes, & dans leurs dé- en la
fordres.Car quel prodige , & quel excès de bonté,de voir que Dieu ait daigné miléticorde t
jetter les yeux fut cet ennemi déclaré de ſon nom ; & qu'il s'addreſſe encore de 5
tous les jours aux pécheurs qui ſont les plus éloignez de lui, & aux ames qui
font les plus indignes de ſes recherches & de ſes pourſuites , pour leur faire --
reflentir les effets de fa bonté! Ah ! miféricorde d'un Dieu, qui pourroit tenir cafio de à
contre
occafionundeprocedé fi obligeant
cette miſéricorde de? Mais
Dieu parce
enversque les pécheurs prennent fouvent de perfivé
quelques-un s, d'abuſer de fa pa- " le
tience : il faut toûjours avoir devant les yeux cette parole du même Apôtre prens.
que c'est une grace que Dieu ne fait pas à tout le monde, & qu'il n’a pas fai
te à des milliers d'autres, qui en étoient moins indignes que nous , & que
c'est par ſa pure volonté qu'il ajetté les yeux fur cet Apôtre ; Sic placuit ei, Ad Gal. f.
qui me vocavit per gratiam ſuam ; & qu'ainfi s'attendre à cette grace fans faire *
nul effort pour fortir de l'état où nous ſommes ; s’y confier ſans rien faire pour
attirer cette miféricorde, c'eſt en tarir la fource , & fe rendre indigne d'en
éprouver les effets. L'Auteur des Sermons fur tous lesfjets. * -
uand Dieu parle, il ſe fait rostjours entendre ; mais il faut avouer que combien
dans la converſion de Saul, il parla fi haut, d'un ton fi intelligible, & d'une furforte &
448 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. PAUL.
puiTante la voix fi ferme, qu'il fit bien connoitre qu'il vouloit être obéi ; & comme pour
qui toucher les autres, il faut qu'il leur éclaire l’eſprit , & leur touche le coeur
. par deux fortes de graces, qu'on appelle lumieres & mouvemens fccrets 3 qui
ef péja, le font ſentir dans les vocations communes: elles furent auffi extraordinaires
gez & fes dans la vocation de ce grand Apôtre, que l’étoit le deflein pour lequel Dieu
anciennes qui
traditions.
l'appelloit. Car
diſparoît enilun
l'éclaire
moment d'abord, nonune
: mais par parclarté
une petite
vive lüeur,
, & quini l'environe
par un éclair
de
Ačł. 9. tous côtez? Et ſubitò circumfulfit eum lux de cælo. Les rayons en fûrent fi péné
trans, qu'ils diſſiperent l'erreur & l'aveuglement, où le faux zele de ſa Loy
l'avoit précipité , & lui firent voir la vérité qu'il combatroit , dans un jour
tout autre, qu'il ne l'avoit apperçûë juſqu'alors. C'étoit en effet une lumiere
toute céleste, qui n'avoit rien de cette lüeur obſcure dont il étoit prévenu en
faveur de fa loy, & qui le retenoit opiniâtrément attaché à la loy de fes Peres ?
L'opinion qu'on avoit de fa ſuffiſance, jointe au grand zele qu'il témoignoit
pºur ſa loy , l’avoit fait le Chef des zélez, qui étoit un nom de faćtion dans
Jéruſalem , & outre cela , miniſtre de la paſſion des Pontifes , & tout dé
voüé aux interêts de fa fećte; de forte que, fans autre examen , & fans autre
connoiſſance de droit, ni de fait, il s'étoit déclaré ennemi de toute autre doc
trine, que de la fienne : Secundum legem , Pharifeus: Secundum amulationem
perfequens Eccleſiam. Voilà les traits dont il ſe dépeint. Quelle lumiere ne fal
lut-il point pour obliger à ſe rendre fans réſistance, un eſprit fi opiniâtre, toû
jours prêt d'en venir des raiſons, aux mains, & des argumens, aux armes, par
un entêtement qui tenoit plus de la fureur que du zéle? Quelle lumiere donc
forte & perçante, ne fallut-il pas pour diffiper d'un ſeul rayon ſes préjugez &
fes erreurs ? Le même.
L'effet des . Dieu parle à Saul, à ce coeur endurci , & à cette volonté rebelle au milieu
; : de la lumiere qui l'environne , & lui fait entendre ſa voix & fes paroles plus
8. r r fortes qu'un coup de tonnerre : Saule, Saule , quid me perfequeris ? Auff en
fir le coeur reſſent il l'effet : en rendant les armes , & tombant par terre tout tremblant
endurci de de crainte & tout hors de lui-même, il demande qui eſt celui qui lui parle.
" " Surquoy il entend un autre coup de foudre: Ego fim Jeſus, quem tù perjeque
ri; , je ſuis celui que tu perſecures. Il n'en fallut pas davantage pour l’obliger
à ſe rendre ; cette lumiere qui l'environne ne lui permet pas de voir autre cho
fe que fon vainqueur. Il écoute la voix qui lui parle avec tant d'autorité, &
n'a plus de paroles, que pour lui demander ce qu'il ſouhaite de lui. Voilà
donc ſes prémiers deſfeins renverſez; cette haine qui alloit juſqu'à la fureur,
changée en une parfaite ſoumistion à toutes les volontez de ce nouveau Maî
tre » qui l'appelle à ſon ſervice. Aufſi, bien loin d'éxécuter la commiſſion
qu'il avoit reçûë des Prêtres de la Synagogue, qui étoit de ſe faifir de tous
les Chrêtiens, & de les traîner en priſon : il devient lui-même captif de
Jesus CHR. 1 sr , & il fera gloire un jour d'être enchaîné pour fa querelle, &
Al philem, P9"E fon amour ; Paulus vinčius Jeſu-Christi, Quel miraclc de vocation! quelle
I• puiſſance de la grace ! & quel plus grand éxemple du pouvoir fouverain
exerce ſur les coeurs les plus endurcis ? N'eſt-ce donc pas avec grand
ujet que nous aſſurons avec faint Bernard, que jamais la multitude de la mi
fericorde de Dieu, ni la vertu du Sang du Sauveur, n'ont plus éclaté, que
dans la converſion de cet Apôtre ? mais d'où vient qu'elle n’a pas le même
effet
P A R A GR A P H E S IX I E’M E. 449
effet fur les autres pécheurs & fur nous-mêmes? L'Auteur des Sermons far tour
les fujets, &c.
Saint Paul converti, n'avoit qu'à ſe produire ; ſa perſonne ſeule prêchoit ; saint paul
il étoit pour tous ceux de fa nation, non pas un attrait , mais une détermina- a été le plus
tion invincible à embraſſer la foy. Et en effet, à bien méditer les circonstan-P é uté de
ces de cette converſion, à peine avons-nous un motif de créance en J e s u s- 3T
nous instruire, que Paul brûlanr de zéle & d'amour pour les interêts du Sei
gneur. Sermon manuſcrit.
Quoique faint Paul fût entierement converti, le Sauveur ne lui ôta pas ce- Le sauveur
pendant de
d'objet, ſoncette
humeur bouillante,
violence ſon ardeur
naturelle, il en fitnaturelle: il ne lui fit
un zéle d'Apôtre: &te quemême
changer
feu P
« en ſouffrant lui-même tout ce qu'il fit ſouffrir à ceux qui invoquoient le nom
i eu de Jesus-Christ. Il a perſécuté l'Egliſe de Dieu , il le confeſſe en pleurant,
tions qu'il & il s'estime indigne d'être Apôtre. Toutes les Synagogues ſe fouléveront con
?v i tre: lui, & cette perſécution
ſouffrir aux :
fera la pénitence de l'autre. Il a été le tyran des
prēmiers Prenter" Saints qu ila jettez dans les priſons, qu'i'il aa dééférez aux Pui
-
uiffances 3
chrétiers, qu'il a punis ; & qu'il a lui-même envoyex aux derniers ſupplices. Il fait cette
Ati. 16. triſte confeſſion devant des têtes couronnées ; mais en récompenſe, il fera
l'objet de la haine publique , & le Martyr de tout le monde, dès qu’il fera
Diſciple de Jesus-CHR1st. A peine est-il converti dans Damas, que toute la
ville s'émeut ; on demande ſon fang, on garde les porres pour le prendre. Est
A3, 13. il entré dans Antioche ? Il fe forme contre lui l'intrigue des zélez , une fattian de
femmes dévotes. Arrive-t-il en Lycaonie : le peuple en courroux lui jette des
pierres. Vient-il en Macedoine ? on le déchire à coups de foüets, & on l'en
PARAGRA PHE S I X I E’M E. 453
ferme. Paſſe-t-il à Athénes, il y est le ſujet de la riſée des Philoſophes. Habite
t-il à Corinthe ? il y eſt déferé comme un impoſteur, au Gouverneur de la
Province. Veut-il ſéjourner à Epheſe : le démon des Ephéſiens excite contre
lui la fureur du peuple. Rétourne-t-il en Jéruſalem ? c’est cette ville qui maſ
facre les Prophétes. S'embarque-t-il pour aller en Italie ? il n'y parvient que
par des naufrages. Arrive-t-il enfin à Rome ? il entrera dans la priſon , & n’en
fortira que pour le dernier ſupplice. Il n'y a point de condition qui ne contri
buë à fa pénitence : point d'eſpece de ſupplice, qu'on ne lui faffe ſentir; point
de pays où il ne ferve de ſpećtacle par quelque forte de martyre. Paul, dit
faint Auguſtin, porte des pechez de Saul. Comparez le mal & le bien,
& vous trouverez la méſure & les proportions de fa pénitence. Le même.
D'où vient cette fermeté inébranlable de l’Apôtre # Paul,qui lui fait mé- , La fermeté
priſer toutes les puiſſances de la terre, les Juifs & les Romains, les Grecs &
Îes Barbares qui ſont conjurez de toutes parts contre lui ; qui lui fait défier "*"
toutes les créatures, & braver tout ce qu’il y a de plus redoutable dans l’u
nivers? C'eſt qu'il fçait qu'il eſt ſous la protećtion du Souverain de toutes cho
fes, qu'il eſt ſon Lieutenant , fon Ambaſſadeur , & le dépoſitaire de toute fa
puiſſance. Avec cette confiance admirable que lui donne la grace de ſon mi
nistére, il foûtient la cauſe de ſon Maître contre la ſageſſe mondaine, contre
la ſuperstition des Prêtres des faux Dieux, contre l'orguëil des Philoſophes,
le faste & l'autorité des Princes & des Empereurs, contre la violence des ty
rans, contre la fureur & la rage des enfers. Le plus fameux Magicien du mon
de confondu, un Demetrius terraffé, avec toute la troupe des Prêtres & des
Officiers impies de la Diane d'Ephéſe, des gens farouches & barbares remplis
d’effroy & mis en déroute : le Proconful Gallien contraint de juger en fa fa
veur ; le Proconful Sergius Paulus engagé dans le parti du Fils de Dieu par
une converſion miraculeufe ; l'avare Préſident Felix effrayé de ce qu'il lui en
tend dire đe la rigueur des jugemens de Dieu;le Préſident Festus étonné du dif
cours qu'il lui tient fur la gloire des fouffáces du Sauveurile RoyAgrippa obli
gé de croire par la parole d'un captif qu'un homme crucifié est fon Dicu, tou
tes ces choſes font preſque les moindres merveilles de fon autorité. Mr.Verjus.
Quels yeux feront affez clairs pour fuivre Paul , cet aigle des Doćteurs, Les lumie
endant qu'il va juſqu'au trône du Sauveur, prendre fes ordres & fes instruc- i
tions ? Si Moyſe, pour avoir parlé à Dieu ſur le mont de Sinaï, parut fi écla- ::::
tant & fi rempli de lumieres lorſqu'il en deſcendit ; que dira-t'on de Paul , portées du
qui ne deſcend pas d’une montagne de la terre , mais des collines éternelles : troistéme .
ui ne vient pas de prendre une Loy de police, qui s'accommode à la foibleſ ' i1
e des hommes charnels, mais des ordres purement ſpirituels, pour l'établiſ- t
fement du Royaume éternel du Sauveur les ames ? On peut croire que fon
ame est remplie & pénetrée des clartez les plus fublimes de ſcience & de fa
effe ? Il en fortoit des rayons fi brillans que la Majeſté qui reluiſoit en luy
eût fait des idolâtres qui l'auroient adoré. Sa ſageſſe même, au rapport d'O
rigene, fit autrefois des héreriques , qui le prîrent la troifiéme perſon
ne de la Sainte Trinité, & crûrent qu'il étoir cet eſprit conſolateur & de ve
rité , que le Fils de Dieu avoit promis d'envoyer à ſes diſciples , qui devoir
leur apprendre tout ce qu'ils ignoroient, & achever de les inſtruire pleinement
de toutes les véritez du Cicl. Mais quel uſage fait-il de “: divine ?
u)
454 , POUR LE PANEGYRIQUE DE S. PAUL.
de quelle maniere ſe fert-il de ces maximes céleſtes, qu'il a appriſes tant de
fois de la propre bouche de fon Maître ? Il les publie par tout, il les enſeigne
à ſes diſciples, & les rend capables d'en inſtruire tous les autres. Il ſuffit
qu'il parle dans un lieu, pour y ravir les coeurs ; & y convaincre les eſprits,
pour y enlever les volontez de fes auditeurs. Il ſuffit qu'il paroiſſe une fois
dans la plus ſçavante & la plus ſage affemblée du monde, pour y faire con
noître le Dieu inconnů, pour en ébranler toutes les plus fortes têtes, pour ac
querir à Jesus-Christ le plus ſage Magistrat de l'aſſemblée, & le prémier
homme du Paganiſme. Il ſuffit qu'il faffe quelque ſéjour dans une ville, con
me l'Ecriture nous l'apprend, pour enſeigner par tout cette fçience admira
ble des véritez que fon Maître lui avoit donné ordre de publier : pour instrui
re des myſtéres de la croix tous les habitans de la plus grande des trois par
Aä. 19. ties du monde : Ita ut omnes qui habitabant in Aſià , audirent verbum Domini,
» / | _ • udci , & Gentiles. Le même.
t Cetoit un ſpećtacle raviliant de voir faint Paul prêcher & expliquer les fe
gne de l'ad. Grets ineffables cachez en Dieu de toute éternité. Que de rayons de Majesté ,
miration & que d'Oracles de ſcience & de ſagelle fortoient de ce Doćteur incomparable !
des ſouhaits & que la curiofité du grand faint Auguſtin étoit loüable & legitime , lorſqu'il
- diſoit, qu'une des trois choſes qu'il eût fouhaitées le plus paffionnément en
- cette vie, eût été de voir & d'entendre prêcher l'Apôtre des Nations ! Ju
tendre prể geons par les effets, de l'efficace de fes diſcours, de la force de ſes harangues,
ther
Paul.
faint & de la
d'une beautédede
infinité ſon éloquence.
Nations, Jugeons-en innombrables,
par des converſions par le renouvellement général
par les conquê
tes qu'il fit en Aſie, en Syrie, dans la Judée, dans la Grece, dans l’Archipel,
l'Achaie , la Macedoine & la Trace , dans l'Eſpagne même , & dans l'Italie.
Je n'aurois jamais fait, fi je voulois icy nombrer tous les lieux où ſa ſageſſe
divine a triomphé de toute la ſageſſe du monde. Les autres Apôtres bornoient
au commencement leurs conquêtes, & les fruits de leurs travaux, à la con
v verſion des ſeuls Juifs , qui avoient été témoins oculaires des merveilles fur
prenantes arrivées à la Paſſion du Sauveur, dont la foy étoit excitée par leurs
Prophétes, dont la créance devoit être de foy, une diſpoſition à l'Evangile,
Mais faint Paul fut le prémier qui fit triompher la Loy nouvelle des erreurs
des Gentils , du faſte des Romains, du regne de Sathan, établi depuis tant
de fiecles par toute la terre. Il fut le prémier qui entreprit 'de faire parmi les
Infidelles ces renverſemens prodigieux qui furent auffi-tôt du filence honteux
des Oracles trompeurs dont toute la terre étoit abuſée, des destrućtions des
autels & des temples, où tout l'Univers venoit faire des væux & préſenter
des ſacrifices à de fauffes divinitez. C’est ce que les Peres admirent avec rai
fon, qu'un homme de métier, fi peu eſtimable en apparence, ait fait tant de
conquêtes en moins de trente ans, & fait triompher la croix du Sauveur d'u
ne infinité de peuples & civiliſez, & barbares, préſomptueux , & tout-à-fait
roſſiers. Le méme. . . . . . . u : ’ . -
saint Paul Saint Paul pouſſé du zele qu'il a pour la gloire du Fils de Dieu, s'expoſe
s'est cent & cent fois aux dangers les plus viſibles de la mort; il les cherche par
tout , fur les mers, fur les fleuves; par toutes les contrées de la terre, dans
ginables , & les féditions des villes, dans l'horreur des ſolitudes, parmy les Nations étran
a riſqué fa geres & barbares , & parmy les trahiſons domeſtiques. On ne peut s'imaginer
--
p AR A G R A PHE SIXI EM E. 45;
un plus grand mépris de cette vie, qu'il ne croit avoir reçủë , que pour la fa- vie fon -
crifier à celui qui la luy a donnée. Mais il n'épargne pas plus fes autres biens pº fa ré
& ſes autres avantages , quand il s'agit de les employer au fervice du Sauveur. :
Il immole ſa réputation à la gloire de fon nom, ſon repos , à ſa ſatisfaction , nagé pour le
fa liberté, à l'augmentation de fon Royaume ſpirituel. Les chaînes , les pri- ſervice de
fons, les fauſſes accuſations, les calomnies, les inquietudes, les foins, l'ap- J E s u s
plication de pluſieurs années pour le falut des ames, les peines intérieures & C H R i s r.
extérieures fans relâche, font les fruits de ſon amour qui lui font les plus chers, ,
& qu'il croit les plus précieux. Mon corps & mon ame , dit-il, ne ſçavent ce
que c'est que de repos, depuis que je ſuis à Jesus-Christ ; il n’eſt point de
peine & de douleur que je n'aye ſouffert ; une infinité d'arraques furieuſes
n'environent au dehors: mille frayeurs mortelles me faiſiſſent au dedans ;
mais tout cela n'empéche pas ma joye & ma fatisfaćtion. Monsteur Verjus.
Le couronnement & la perfection du zele que l'on a pour la gloire de Dieu, Comme
est lorſqu'on ſouffre avec joye , & que l'on tient fes ſouffrances à honneur. faint Paul
c'est ainfi qu'au milieu de tous fes maux , qui accableroient la nature, fi la
grace & le courage héroïque ne la foûtenoient ; nôtre généreux Apôtre fait ſa
gloire de l'ignominie, trouve du plaiſir dans les douleurs les plus inſupporta- traverſes
bles & les plus crüelles, & triomphe de joye parmy tous les objets de la triſ- qu'il endu
teſſe la plus déſeſperée, & de la plus noire mélancolie. Il étoit fi glorieux des rolt pour
marques & des livrées de fa croix, qu'il croyoit que perſonne ne devoit dif- ! T
puter en cela , de rang & de dignité avec lui. La qualité qu'il prenoit volon- & ſe faitsi
tiers, étoit celle de priſonnier, de captif , & d'eſclave de Jesus-CHRısr, honneur de
C'étoit là le titre d'honneur dont il prétendoit ennoblir ſon ministére, & º s
qu'il employoit quand il vouloir s'acquerir de la confidération pour la gloire
de fon Maître : Ego vinctus in Domino. Y a-t'il au monde, dit faint Chryſoſto- ces.
me , qualité plus illustre que celle-là ? y a-t'il rien de fi noble que cette capti
vité ? y a-t-il rien de fi riche & de fi prérieux, que ces chaînes, qui attachent s
les mains ſacrées du Miniſtre du Dieu vivant ? C'eſt quelque choſe de grand,
que d'être Conſul, que d'être Roy, que d'être Empereur : mais être captif
de Jesus-CHR I st, eſt quelque chofe de plus que tout cela. C'est un bonheur
extrême que d'être diſciple du Sauveur du monde, fon Apôtre, & le Heraut
de fon Evangile par toute la terre ; mais il y a bien plus de gloire à être fon
priſonnier , & ſon eſclave : & c'eſt cet honneur que nôtre grand Apôtre ché
rit uniquement ; c'eſt cet honneur dont il ſe fait gloire. Il ne faut donc pas
s'étonner, fi un amour dont nous voyons tant de marques fi merveilleuſes,
transformoit faint Paul en Jesus-Christ, fi ſon ame étoit plus dans celuy
qu'elle aimoit,que dans celui qu'elle animoit, & s'il diſoit lui-même qu'il vi
voit en Jesus-CHR ist,& que Jesus-Christ vivoit en luy; que le Fils de Dieu
l'animoit & étoit fa vie,que toute autre choſe lui étoit une mort, & que la
mort de toutes les créatures en lui,étoit ſon bonheur & fes richeffes. Le même.
Qui pourra ſéparer faint Paul de fon Seigneur, puiſqu'il lui eſt uni fi inti- L'intime
mement, puiſqu'il ne fait par amour, qu'une même choſe avec lui ? Que c'est union que
une choſe admirable , que de lui voir défier toutes les créatures , de le ſéparer fain, Paül
de la charité de Jesus-CHRIST ; de lui faire perdre certe intime union qu’il j :
a à fon Sauveur ! Il ſent les liens qui l'engagent , il voit la force invincible C H R is r,
de ſon amour, il ſe tient alluré de celui de ſon Maître , il ne ſe conſidére que il
Proteſte que
456 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. PAUL.
rien ne fera
dans le coeur du Fils de Dieu, & ne peut douter qu'une union réciproque fi
jamais capa étroite , fondée ſur les grandes graces dont il a été prévenu , cimentée par
ble de l'en
féParer. tant de faveurs extraordinaires de la part de Dieu, & par tant de fervices de
la fienne, ne dure éternellement. Je ne crains , dit-il , aucune de toutes les
choſes qui peuvent ralentir mon zele ; & quand tout ce qu'il y a dans l'Uni
vers feroit conjuré pour en cauſer la moindre diminution : certus fum, je ſuis
certain , je ne puis douter en aucune façon, je vois, & je ſens que j'aimeray
fans relâche mon Dieu, autant que mon coeur eſt capable d'aimer, celui qui
m'a aimé le prémier, afin que je l'aimaſſe réciproquement: & lui-méme me
donnera toûjours affez de force pour ſurmonter tous les obſtacles qui pourront
s'oppoſer à mon amour. Le même.
O coeur ! ô eſprit tranſporté de folie ! s'écrie faint Jean Chryſoſtome: mais
de cette folie qui fait la fouveraine fageffe de l'Evangile. Paul s’élevant par
l'amour de Jesus-CHRIST , au-deſſus de toutes les créatures, regardoit d'un
oeil de mépris tout ce qui étoit ſur la terre, & au-deſſus de la terre , tout ce
qui étoit dans le ciel, & au-deſſus du ciel, toutes les choſes viſibles & inviſi
bles. Paul animé de cette charité divine , ne conſidére tous les bourreaux,
tous les tyrans, & Neron même, le plus cruel & le puiſſant Empereur du
monde, que comme ces viles infećtes , qui peuvent bien cauſer quelques le
geres importunitez, mais qui ne peuvent jamais faire beaucoup de mal aux
hommes. Paul embrazé de cet amour, ne prend mille tourmens, mille fup
plices, mille morts, que pour des jeux d'enfans, qui ne doivent pas coûter la
moindre plainte , ny le moindre foûpir à ceux qui aimoient Jesus-CHR i sr.
Son zele le rend plus glorieux au fond d'un cachot,qu'il ne le feroit ſur le trô
ne. Il demeure dans le vaſte & lumineux palais du ciel, pendant que fes bour
reaux ne lui donnent que fix ou ſept pieds d'une obſcure prifon. Le plus doux
repos lui plairoit moins que les plus rudes fatigues. La gloire des couronnes,
la pompe des triomphes, le faſte des trophées le touchent bien moins, que
le défir de ſouffrir pour ſon Maître. Je ſuis, dit-il, comme en bravant toutes
les paſſions déréglées, & tous les deſirs infenſez des hommes pour les faux
biens de la terre ; je ſuis fans ceſſe dans des peines & des travaux extrêmes :
fans ceſſe dans d'obſcurs cachots ; ſans ceſſe accablé ſous une grêle de pierres ;
fans ceſſe meurtri de coups de bâtons ; ſans ceſſe déchiré à grand coups de
foüets ; ſans ceſſe en danger d'être empoiſonné; fans ceſſe rrahi par de faux
amis , en danger de tomber dans les embûches des voleurs ; ſans ceſſe attaqué
par des ennemis déclarez; fans ceſſe en danger d'être devoré par les bêtes fa
rouches , & par les monſtres les plus cruels ; j’effuye les naufrages, les tem
pères, les orages, & tous les dangers d'une mort prochaine. Mais je fuis
tout ardent de l'amour de mon Seigneur; qui me ſéparera de ſon amour ?
Mon Seigneur renferme tout ce qu'on peut s'imaginer d'aimable, & tout ce
qui peut porter à faire de grandes aćtions, & à ſouffrir de grands maux avec
joye pour ſon amour. Le même.
Saint Paul
étant tout
L'Apôtre faint Paul étant tranſporté de zéle pour la gloire du Fils de Dieu,
il n'étoit pas furprenant qu'il eût tant d'attachement à fes volontez, tant de
tranſporté charité pour tous fes ſerviteurs, tant de paffion pour l'accroiſſement de l’E
de zéle pour
la g'oire de vangile. Il n'étoit pas étonnant qu'il fe fit tout à tous, en s'accommodant à
J Esus
tout le monde, comme dit ſaint Augustin, non pas par interet, maisvéritable
par un
P AR A G R A P H E S I X I E'ME. 457
véritable ſentiment de
par les mouvemens compaſſion
d'une ; non céleste,
charité toute pas par une
pourpolitique mondaine,mais
rendre tout le monde CHRIsr
le
,&
heureux, en gagnant tout le monde au fervice du Sauveur. Il n'y a pas lieu :
d'être ſurpris qu'il accomplît pour l'Egliſe,qui eſt le corps de Jesus-CHR1 sr , s'étonner
ce quià ſembloit
payer manquer laaux
ſa chair innocente fouffrances
peine dûe aux du Chef
pechez desdeautres
cette ;Egliſe
qu'il ;appliquât
qu'il fit qu'il ait tant
tailt
par ſes douleurs & par ſon fang, les douleurs & le Sang de Jesus-Christ aux pour
ames qu'il avoit converties. Il n’étoit pas étonnant qu'une ame ſi embraſée -
de l'amour de fon Dieu s'abandonnât enſuite au zéle pour ſa gloire, pour ſon
fervice, & pour le falut du prochain, & que celui qui fulminoit anathême
contre quiconque n'aimeroit pas le Sauveur, le prononçât contre foi-même,
s'il n'acqueroit
L’Abbé Verjus. à Jesus-Christ des ferviteurs , & des héritiers de fa gloire.
- x
Auſfi-tôt que faint Paul fut converti , Jesus-CHR 1st ne le ménagea plus, Comme
il l'expoſa aux plus rudes épreuves. Il l'aveugle, & il l'éclaire; il le , & après que S
le releve ; il le fait mourir & vivre. Il le fait conduire dans une ville , & pla
cer parmi les eſclaves : là il le laiſſe trois jours dans les ténebres, & dans l'a
veuglement ; & après l'avoir tenu trois jours dans cet état, il lui ouvre les par toutes
yeux par le ministére d'Ananie. Mais que lui fait-il voir ? une vaste carriere, les épreuves
qui a pour objet des peines & des travaux immenſes: pour théatre tout l'uni- “
vers , & pour durée toute fa vie. Je lui montrerai , dit le Seigneur, combien
de travaux il doit ſouffrir pour la gloire de mon nom. Si à l'entrée de vôtre mettant de
converſion, mes freres, on vous metroit devant les yeux de tels objets ; ſi on vant lesyeux
vous montroit qu'il faut foûtenir une injustice criante, ſouffrir avec patience º lº il
une violente maladie dont vous ferez attaquez, ou la mort d'une perſonne
chere qui vous doit être enlevée ; il y auroit à craindre que tous ces objets ne i nii.
fiffent bientôt évanoüir vos bonnes réſolutions de quitter le monde,& ne vous
y fiffent auſſi tôt retourner. A la vůë de toutes ces peines qu'on vous propoſe
roit, vous changeriez bientôt de deſfein & de réſolution, & retourneriez bien
tôt aux plaifirs, aux vanitez, à la molleſſe, & à tous les anciens agrémens
dont vous étiez auparavant fi charmez. Saul plus constant & plus ferme que
vous, ne fut point étonné , ni ébranlé de tout ce que le Sauveur lui montre.
Il vit fans fe décourager, la main de la justice divine qui lui montroit une car
riere capable de rebuter tout autre moins courageux que lui, & qui lui fit dès
lors ſouffrir en un moment tous les maux qu'il devoit ſouffrir dans la fuite de
fa vie, raſſemblant en une ſeule idée tous ces affreux objets qu'il fouffrit ſépa
rément dans le cours de ſa vie. Ainſi fortifié contre toutes les craintes , & les
diſgraces qui lui devoient arriver, il montre auſfi-tôt ſon courage & ſa géné
rofité contre les ennemis de Jesus-CHR I st , en reconnoistance de la grace
u’il en venoit de recevoir. A pcinc eſt-il relevé de fa chûte, qu'il entre dans
le champ de bataille. Sermon manuferit. -
Le ministére de faint Paul pour être complet, demandoit qu'il travaillât à Une partie
former les Chrêtiens; c'étoit fon principal & dernier ouvrage, & c'eſt ce qu'il du ministére
a fait on
tres, d'une maniere
peut qui par
l'appeller lui étoit fi propre
excellence , que fansderien
le Doćteur ôter aux
l'Egliſe. Enautres
effet , Apô
fans Ot«
parler du prémier Christianiſme qu'il a planté, qu'il a arroſé, qu'il a cultivé chrétiens,
par ſes foins, c'eſt lui qui nous a instruits à être ce que nous ſommes, ou ce ce qu'il a
Paneg. des Saints. Tome I. M M m
458 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. PAUL.
fait d'une , que nous devons être, c’eſt-à-dire, Chrêriens, par la doćtrine toute céleste
qu'il nous a enſeignée. Pourquoi penfez-vous qu'il ait été ravi au troifiéme
“ Čiel f & pourquoi Jesus-Christ dans l'état même de ſon immortalité, a t-il
Do de voulu fe faire le maître de cet Apôtre, finon afin de nous dire par ſa bouche
l'Egliſe. ce qu'il ne nous avoit pas dit lui-même : Ego enim accepi à Domino, quod ci
***
f» I K•
cºr hommesvobis.Il
tradidi y avoit
étant avec cent
eux, choſes
parce quenelepouvoient
qu'ils Fils de Dieu
pasn'avoit pas révelées
les porter, aux
& c'étoit
faint Paul qui devoit les en rendre capables. C'eſt lui qui nous a découvert les
tréfors cachez dans ce Myſtére incomprehenſible de l'Incarnation du Verbe,
qui nous a expliqué l'oeconomie de la grace , qui nous a fait concevoir la dé
pendance infinie que nous avons d'elle , jointe à l'obligation de travailler avec
elle, afin de ne la pas recevoir en vain ; qui nous a éclairci ce profond abîme
de la Prédeſtination de Dieu. C'eſt lui qui par les divins préceptes de ſa mo
rale , a ſanctifié tous les états, & qui en a reglé tous les devoirs ; lui qui ap
prend aux Evêques, à être parfaits ; aux Prêtres à être réguliers & fervens ;
aux Vicrges , à ètre modeſtes & humbles ; aux veuves, à être retirées & déta
chées du monde ; aux grands, à vivre fans faſte & fans orgueil ; aux riches , à
ne ſe point enfier de leurs richestes, & à n'y point mettre leur appuy ; aux
maîtres, à veiller ſur leurs domeſtiques; aux domeſtiques, à reſpećter leurs
maîtres ; aux peres & aux meres , à conduire leurs familles; aux enfans, à
honorer leurs peres & leurs meres : & enfin ce faint Apôtre a instrüit les per
fonnes de toutes les conditions & états de la vie, que le temps ne me permet
pas de parcourir. C'eſt pour cela que faint Chryſostome appelloit faint Paul, le
grand livre des Chrêtiens ; & c'eſt pour cela même qu'il exhortoir tous les
fidéles à la lećture des divines Epitres de ce faint Apôtre. Le P. Bourdalouë.
Lagrace a Il est constant que la grace fit une impreſſion toute femblable fur le coeur
opsie = de Paul Apôtre, que la paſſion & l'entêreinent avoient fait fur Saul perſécu
teur ; & que fi elle lui a laiſſé ſon inclination imperieuſe , & ſon naturel
a paglapö ardent, elle les a tournez vers un objet plus faint, en lui inſpirant ce zéle em
tre , que la braſe de porter le nom & la gloire de fon nouveau Maître, auquel il fut de
Paſ puis tout dévoué & attaché inviolablement. Il vouloit être auparavant anathê
me pour ſes freres qui ſuivoientſa même Loy ; c'eſt le dernier excès où l'aie
sa porté ſon faux zéle , que l'on pouvoir plůtôt appeller une fureur : Optabam.
perſécurrur. anathema effe à Christo pro fratribus meis. Mais maintenant l’ardeur qu'il a
Ad n. 4: pour leur falut, lui fait fouhaiter de s'employer corps & ame pour leur ouvrir
***ººr '*' je chemin du Ciel, & leur procurer les moyens d'y parvenir : Ego autem pro,
vobis libenter impendar & ſuperimpendar , leur dit-il en une de fes Epitres : je
ɔ
brûle du déſir de m’employer, & de me conſumer tout entier , pour vous pro
curer la poſſeſſion du fouverain bonheur. Auparavant il cherchoir les Chrê
tiens pour les mettre dans les fers: mais maintenant fon employ est de faire
des Chrêriens , & d’attirer les Juifs & les Gentils à la connoiſſance de celui
qu'il perſécutoit auparavant. C'eſt la même paſſion, la même ardeur, le mê
me zéle ; mais l'objet en est différent ; il met l'Evangile en la place de la Loy ;;
it. ad Cer 2. il prêche un Dieu crucifié, dont il s’étoit déclaré ennemi : Nos predicamus,
Christum , eý hunc crucifx um. C'eſt pourquoi il entre dans les Synagogues,
4ä 9. pour y annoncer la vérité qu'il y avoit cembattue : In Synagogis pradicabat Je
fam, quoniam hic est Fikus Dei. Er comme il s'étoit auparasant muni d'un pou
PARAGRAPH E S I X I E’M E. 459
voir autoriſé par des lettres patentes, pour détruire la nouvelle Secte qui s'é
levoit en Jéruſalem, maintenant il reçoit ſa miſſion , & le pouvoir du Fils de
Dieu même,pour porter fon nom par toutes les Nations, pour le confeſſer de
vant les Juges,& pour en rendre témoignage en preſence des Rois & des Gou
verneurs de Provinces. Austi-tôt Maître que Diſciple,parce qu'il eſt instruit de
Dieu même,qui l'a choiſi pour le Héraut de fa gloire, & auſſi-tôt Apôtre que
converti,parce qu'il employe le même courage pour la défenſe du nouveau par
. ti qu'il a embraſle, qu'il avoit pour foûtenir celui où l'erreur l'avoit engagé ;
toûjours ſemblable à lui-même,parce qu'il conſerva la même ardeur qu'il avoit
auparavant ; mais bien different de ce qu'il étoit, parce que depuis ſa conver
plus en vůë que les interêts de ſon Dieu, qu'il prêche, qu'il annon
fion il n'a
ce , & qu'il fait connoître à tout le monde fans diſtinction de perſonnes , ni de
condition , parce qu'il les regarde toutes comme rachetées du même Sang du
Sauveur, & qu'il ſouhaite les réunir toutes dans ſes playes: Testis est mihi Deus Aa Philipp,
ut cupiam vos omnes in vifceribus Christi. L'Auteur des Sermons fur tous les 1.
fujets, &c.
Nous devons juger de la converſion de faint Paul, par la grandeur de fa . '
douleur d’avoir été un perſécuteur du Fils de Dieu ; & elle ſe doit prendre de i.
la grandeur du zéle dont il s'eſt efforcé de le faire connoître & honorer par tê de la co
tout. Quelle part n’a-t-il point pris enfuite à tous fes interêts ? Quis infirma- verſion de S.
tur, & ego non infirmor ? quis fcandalizatur, G ego non uror, dit-il lui-même ; Taul, pat ſa
je ſouffre ſeul les maux de tous les autres ; je me ſens bleſſé de tous les coups
que l'on vous porte, & perſonne n'eſt ſcandaliſé , & ne quitte le ſervice de p fe u.
mon Dieu, que je n’en reflente toute la douleur. Dans quelles occaſions enſui- & par le zé
te n’a-t-il point fignalé ſon zéle, & l'ardeur qu’il avoit de mourir pour les in- le qu'il a té
terêts
tia , andufames
Sauveur
? Et ?le Quis
reſte,nosoùſeparabit
il défie leà Ciel,
charitatela Christi
terre, &i tribulatio
l'enfer, ,leanpreſent
angust O•
& l'avenir, les hommes , les démons, & toutes les créatures de lui ravir cette qu'il avoir
àcharité dont
bout de l'ardeur
tout par desa cauſé ce infinis.
travaux zéle quiLeluimême.
a fait tout entreprendre, & venir 2perſécuté.
ad Cor. II.
L'Evangile de rigueur & d'humilité ne paroît dans les paroles de l’Apôtre des f :
Nations, qu'après qu'il l'a pratiqué par ſes moeurs. Cela s'appelle au fcntiment tez & les ri
de faint Gregoire de Nazianze, remplir dignement l'Evangile. Et ce d'autant gueurs que
plus, qu’outre les rigueurs volontaires qu'il s'impoſe lui-même par ſes pro- 3
pres mains, il fouffre encore celles qui lui viennent d'ailleurs, afin qu'il n'y
ait rien de vuide dans cette grace rigoureuſe qui lui commande de ſouffrir, s les perfs
- -, * * r * • -
-Jamais Apôtre n'a plus été perſécuté ; car outre les incommoditez néceſlaire- cutions du
ses àà ſes
ment attachées ſes grands
g vovages
yages ,, &
& àà la
la ggrandeur de ſon employ,
ploy , il fem- débºis qu'il
a ſouffertes
ble qu’il ait eủ toutes les occaſions de ſouffrir, & que routes fortes de perſé- avec une pa
cutions lui foicnt arrivées. Lui-même en fait le dénombrement dans une Epi- tiene a ini.
rre, & c'est en ceia ſeulement, que fans choquer l'humilité, il ſe préfere aux rable.
autres Apôtres: In carceribus abundantius. Pour ce qui regarde les travaux, les 2 ad Cer. 11.
playes , les priſons, les ſupplices : c'eſt en ce point ſeulement que je Puis di:
re avec vérité que mon miniſtére est plus remarquable. Et fans doute , il n'est
point de ſujet qui puitſe tourmenter un Apôtre ; qui n'ait exercé la patience
de ce ſaint homme; les injures des élemcns,les rigueurs des ſaiſons,la rage des
démons, & la malice des hommes , & parmi les hommes, les Juifs & les Gen
tils, & les ennemis de la parole qu'il annonçoit, les Juges & les bourreaux-les
M M m ij
46o POUR LE PANEGYRIQUE DE S. PAUL.
Rois & les Empereurs ſe font accordez pour le perdre. Et lorſqu'il dit aux
1. Cer. 13. Chrêtiens, qu'il eſt tous les jours immolé pour leur falut: Quotidie morior
per vestram gloriam. Il peut dire que toutes fortes de Nations ont conſpiré con
tre ſa perſonne. Bien plus, il n'eſt point de genre de perſécutions & de fup
plices dans la nature , dont on n'ait affligé cet Apôtre. Le froid & la chaleur,
la faim & la ſoif, les bannillemens & les proſcriptions, les coups de foüers
& les coups de pierres, enfin la mer & la terre ont été armées contre fa vie, &
Thren. 3. il a pů dire avec le Prophéte : Pofuisti me quaſi fignum ad fagittam; mon Dieu,
/ 1 / - -
|
|
vous m’avez élevé à l’Apoſtolat, vous m'avez mis comme un but expo
é à tous les traits & à toutes les fléches du monde. Mr. Biroat.
continiia- Il n'est point de lieu où faint Paul ne ſoit allé exercer les fonctions de fon
tion du mê- Apostolat, où il n'ait trouvé des de ſouffrir, & qu'il n'ait conſacré
me ſujet. queoccaſions
par ſes actions.
par fes ſupplices, auſfi-bien S'il fait de grands voyages
pour porter l'Evangile , combien de dangers eſfuye-t-il par les chemins? S'il
traverſe les mers , il y trouve des tempêtes ; s’il va dans les villes, il y ren
contre des priſons ; s'il prêche aux Juifs , ils le lapident ; s'il instruit les Gen
tils , ils le déchirent à coups de fouets ; s'il porte le nom du Sauveur aux Em
pereurs, ils le font mourir. Si bien que nous pouvons dire pour faint Pauł
Ai eestis. tout le contraire de ce que faint Jérôme a dit des Chrêtiens : Credenti totus
mundus divitiarum est; pour un Saint , tout le monde eſt un monde de richeſ
fes: mais pour Paul, tout le monde est un monde de tourmens. N'en voila
t-il pas affez pour comprendre l'étenduë de fes fonctions, & pour dire qu’il a
fuivi fidélement la grace par tout où elle l'a conduit, qu'il a obéi à ſes ordres
rigoureux , & qu'il n'a rien laiſſé de vuide ? Peut-on ajoûter quelque choſe à
cette immenſité de tourmens, ou à la grandeur du courage avec lequel il les a
endurez? Le même.
La diffical- , Jugez de l'extrême difficulté qu'il y avoit à vaincre ce pécheur; il ne s'agiſ
té & les obf ſoit pas pour le convertir, de déraciner une erreur que le libertinage eût in
" troduite, d'abolir une ſuperstition payenne, dont le dêmon eût été l'auteur ;
il s'agiſſoit de lui ôter de l'eſprit un entêtement pour une Religion, qui, quoi
veifion is que bonne d'elle-même, étoit imparfaite, & qui avoit précedé une autre dont
faint Paul, elle n'étoit que l'ombre & la figure. Il falloit qu'il adorât Jesus-CHR i sr
pour ſon Legiſlateur & pour fon Dieu ? qu'il reconnút que Moyſe n'étoit
qu'un ſerviteur, que la providence avoit envoyé pour préparer les voyes du
Meſfie : & que la vérité étant fortie de la terre, il falloit que les ombres, qui
l'avoient précedé, diſparuffent ; il falloit en un mot , qu'il retraćtât ce qu'il
avoit dit, qu'il prêchât contre une Loy & des traditions, qui étoient venuës
de ſes peres juſqu'à luy ; & cependant c'étoit pour ces traditions, & pour
l'honneur de fa fećte qu’il avoit un zele qui le portoit aux dernieres extré
mitez. Monfieur Fromentieres.
saint Paul Après que le Fils de Dieu a employé de fi puiſſans moyens pour convertir
a vaincu en faint Paul, pouvons-nous douter que le fuccès n'en fût grand , le triomphe
: bien glorieux ? La plûpart des converſions font lentes ; que d'obstacles à vain
cre! que de reſpećts humains à ſurmonter ! que de paffions violentes à réduiref
foient à fa que de raiſons de politique, d'interêt , de bienſeance à combattre , avant
converfion. que de dire ce bon mot , & de le dire de tout ſon coeur ? Seigneur » que vou
lez-vous que jefaße. Mais pour faint Paul , quelque obstacle qu'il y ait à ſa
converſion, elle ſe fait en un moment. Le même- -
PA RA GRAPH E S I X I E’M E. 46 1
J'avouë bien que le Fils de Dieu prend une merveilleuſe précaution pour Le raviste
s'aſſurer la conquete de Paul, puiſqu’il l'enléve dans le ciel pour l'inſtruire, ment de ſaint
après avoir lui-même deſcenda du ciel en terre pour le deſabufer. Ce fut là ljuſ,
qu'il connût Dieu à peu près comme les bienheureux, & qu'il s'attacha fi for
tement à ce charmant objet , qu'il a depuis avoüé, que ni la mort, ni la vie , i.
ni les proſpéritez, ni les diſgraces, ne pourront jamais l'en féparer. Ne le dont Dieu
cherchons plus ſur le chemin de Damas ; il eſt changé, ce n'eſt plus lui-mê-s'est ſivi
me ; ce loup eſt devenu un agneau, & celui qui vouloit répandre le fang des
Chrétiens , doit bientôt verfer le fien. Le même.
A conſiderer ce que faint Paul a fait dans l'exercice de ſon miniſtere, on parablement
diroit qu'il a participé à l'immenfité de Dieu, que comme lui, il s'est trouvé, à ſonſervice;
& a été par tout par l'immenfité de ſon zéle, enforte que le ſoleil n'a pref,
que point éclairé de terre par fes lumieres, où il n'ait porté le flambeau de
l'Evangile. Il fait fon coup d'effay dans la Paleſtine: il paſſe dans la Gréce, il quoiii a fair
entre dans Athenes , & enleve à l'Aréopage le plus habile de ſes Philoſophes. Voir une
De là, il paſſe à Épheſe, où malgré les ſéditions, il confond les adorateurs l'immenfité
- - - » • - * * • *
des fauſles divinitez, & s'il quitte l'Afie, ce n'est que pour éclairer l'Europe
de la lumiere de l'Evangile , & en ajouter la conquête à celles qu'il avoit deja
faites pour le Sauveur , employant moins de jours à convertir le monde , que
Rome n'avoit employé d'années pour le réduire à ſon obéiſſance. Que diray-je
davantage ? Paul paſſa comme un éclair, d'Eſpagne en Italie ; il entre dans
Rome , il pénétre dans le Palais de Neron: il éclaire pluſieurs des courtiſans
de ce tyran , il lui enleve de fes favoris, & va même juſqu'à lui enlever de fes
concubines. Le même.
Saint Paul eſt le prémier des Prédicateurs, comme faint Eſtienne est le pré- comme
mier des Martyrs. Celui-cy fut le prémier qui répandit ſon fang pour la que- faint Paul
relle de Jesus-Chrisr , & qui mourut pour la gloire de celui qui étoit mort eſ le Pré
pour nôtre falut ; faint Paul eſt auffi le prémier qui a prêché l'Evangile aux -
Gentils, qui a formé des Prédicateurs dans l'Eglife, & qui leur a enſeigné cet *
art divin, qui enléve les pécheurs aux démons, & qui les acquiert à Jesus
CHR1 sr. C'eſt le prémier qui a parlé devant le Senat d'Athenes & de Rome,
ui a découvert aux Grecs & aux Romains les myſtéres ineffables du Chriſtia
niſme, & qui frappant de crainte & d'étonnement les Philoſophes & les Roys,
les a obligez ou de croire, ou d'admirer les véritez de l'Evangile. Je fçay
bien , que faint Pierre avoit prêché dans Jéruſalem , avant que le Fils de Dieu
eût donné ſaint Paul à l'Eglife; je ſçai bien qu'il toucha les Juifs en leur re
prochant la mort de fon Maître, & que les exhortant à la douleur d'un fi
grand péché, il convertit en pénitens les bourreaux du Sauveur; mais ce grand
Apôtre qui, tout éclairé qu'il étoit, ne ſçavoit pas que les Gentils fuffent ap
pellez à la connoiſſance de la vérité, n’oſa jamais la leur prêcher , qu'il n'y
eût été porté par l'exemple de faint Paul: Si bien que celui-cy demeura toû
jours le prémier Prédicateur des Gentils : & il a raiſon de dire en faiſant ſon
éloge: Poſitus fum Pradicator, & Apostolus, & Magister gentium. Le Pere Se
nault de l'Oratoire.
Nous ne ſommes que les interpretes de faint Paul : nous allons chercher „I autres
fes penſées dans fes écrits, nous puifons nos lumieres dans fes Épîtres ; nous :
nous rempliſſons de lui, pour en remplir les Fideles, & animez de fon eſprit, fai
M M m iij
462 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. PAUL.
* " nous ne faiſons rien, qu'il ne faste à meilleur titre que nous. Le plus faint &
P a. pour
le plusparler
ſçavant
plusPrédicateur, eſt celui
véritablement, quiparfait
le plus poſſédePrédicateur
le mieux faint Paul:quiou,
est celui eſt
le plus heureuſement transformé en faint Paul. Apprenez de là, que c'eſt en
vain que vous prétendez réüſſir en la prédication, fi vous n’étudiez faint
Paul , ſi par une lećture continüelle, vous ne le convertiſſez en vous , ou fi
vous ne vous convertiſſez en lui en imitant ſes aćtions autant qu’il vous fera
poſſible , & fi, renonçant à la doćtrine profane , vous n'apprenez de lui cette
doćtrine céleſte, qu'il apprit de la bouche même du Sauveur. Allez donc con
fulter ce divin Oracle ; allez voir en l'histoire des Apôtres, comme il confond
la Philoſophie dans Athenes; comme il détruit la vaine confiance des Juifs en
la Loy de Moyſe, dans Jéruſalem ; comme il dompte l'orguëil des Empereurs
dans Rome, & comme il renverſe l'empire du péché dans l'Univers. Appre
nez de cet Orateur à défaire tous les monſtres qui perſécutent encore l'Egliſe:
& fçachez que qui n'eſt point animé de l'eſprit de faint Paul, ne peut paster
pour Prédicateur Évangelique. Le même.
s. Paul fait Saint Paul ne ſe contente pas de ſouffrir, il fait encore pour l'Egliſe tout
Pour glite ce qu’il fit pour la Synagogue. Depuis que Dieu l'a touché, quels travaux
. n'entreprend-t'il pas, pour fatisfaire à fa charité,& pour remplir ſon ministére?
Il partage ſon zele entre les deux partis de Religion, qui partageoient alors le
pour la sy- monde ; tantôt il déſabuſe les Juifs ; tantôt il éclaire les Gentils; tantôt il con
nagogue , deſcend à la foibleſſe des uns; tantôt il réſiste à la malice des autres. Quels
“ obſtacles ne trouve-t-il pas, & quels obſtacles ne leve-t-il pas par ſa patien
sé ce, & par ſon courage ? Les premiers avoient reçû la Loy de Moyſe ; Dieu
moigne le leur avoit parlé par ſes Prophétes ; il s'étoit engagé à eux par ſes promeſſes.
même 1éle. Paul leur montre avec évidence, que tout enfans d'Abraham qu'ils étoient,
leur naiſſance étoit criminelle ; que la Loy fans la grace étoit inutile, qu’elle
défendoit le mal fans donner la force de l'éviter , qu’elle pouvoit faire des
prévaricateurs, mais qu'elle ne pouvoit faire des Juſtes. Il repréſentoit aux
Gentils, que tous leurs principes étoient faux, qu'ils croyoient être raiſonna
bles , mais que la raiſon fans la foy étoit aveugle. Il perſuadoit , il convain
quoit, il convertifſoit, & réparoit ainſi par les progrès qu'il faiſoit pour l'E-
gliſe , les bréches qu'il lui avoit faites. Mr. Fléchier.
L'amour Tous les diſcours, toutes les penſées, & toutes les aćtions de S. Paul,
que S. Paul n’ont été que pour la croix ; il a plus pratiqué les maximes de la croix, qu’il
voit pour ne les a prêchées. Que les autres ſe vantent de leurs g'orieux emplois ; que
les Princes ſe réjoüiffent ſur leurs trônes ; que les Rois ſe glorifient de leur
# * '*ë" puiſſance : pour moy , diſoit cet Apôtre, je n'ay pour tout fujet de gloire,que
Ad Galat. 6. | croix : Abfit mihi gloriari , nist in cruce Domini nostri Jeſu Christi. Il a porté
la gloire de la croix à un fi haut degré ; que les Empereurs & les Rois s'en ſont
fait honneur. Mais fi faint Paul a imité ſon Maître par l'amour de la croix, il
a austi parfaitement aimé l'Egliſe. C'eſt le Plus grand témoignage qu'on puiſ
fe donner de fon amour, que de mourir pour ce qu'on aime. Le Fils de Dieu
aima tant fon Egliſe , qu'il donna fon ame Four clle: les travaux, le zéle, les
fouffrances de ce faint homme pour l'Egliſe font à la vérité autant de marques
de fon amour ; mais fa mort &ſon martyre en font toute la conſommation.
Quoique l'exécuteur lui coupe la tête, & que le ſang coule de toutes parts,
P A R A G R A P H E S I XI E M E.
il me ſemble que ſa voix n'est pas encore étouffée dans ſon fang. Il exhorte en
core tous les Chrêtiens à aimer l'Egliſe à fon exemple ; il montre encoreaux
Prédicateurs de l'Evangile, qu'ils ne font les Ministres de la parole de Dieu,
que pour l'annoncet avec une fainte hardieſſe, que pour la prêcher ſans crainte,
fans complaifance , & fans aucun déguiſement. Effais de Panégyriques.
Saint Paul converti , est devenu l'instrument de fa converſion ſe l'univers ; saint paui
fa converſion a été celle de tout le monde. C'étoit là ſon employ pendant dans le ciel
qu'il étoit ſur la terre : c'est encore ſon grand ouvrage maintenant qu'il est semploye
dans le Ciel, d'entretenir toûjours cette chere conquête dans les mêmes ſenti
mens qu'il lui a inſpirez pendant qu'il y travailloit ici-bas: Ne adhuc quidem du mo
ceffat ab hominum converſione : dico autem exemple , oratione , & doćirinä. Il ne s. Berns
ceſſe point de s'employer à la converſion des hommes » & Parfon exemple, &
Par ſes Prieres, & Par ſa doctrine. Le ſeul fouvenir de facon fait une
'uiſſante imprestion ſur les coeurs des pecheurs, & c'est Par cette raiſon que
l'Egliſe en celebre la mémoire ; Parce que, comme dit faint Bernard, le pe
cheur conçoit par là l'eſpérance du pardon, qui excite à faire pénitence : &
celui qui en a déja pris le deſfein,y trouve le modéle d'une Parfaite converſion:
In hac enim memoria & peccatorfpem venie concipit, & provocatur ad pæniten
tiam : & qui jam pænitet, perfetia cºnverſionis accipitformam. Le Pere Noier.
Vie de Jeſus dans les Saints.
Saint Paul dit lui-même qu'il a été ſéparé dès le ventre de ſa mere pour , A peine s.
prêcher l'Evangile ; l'on diroit que du moment qu'il est converti, il a comme Paul il
atteint un âge parfait en Jesus Christ : tant il le hâte de répandre au-dehors .à
le nouvel eſprit qui l'anime , tant la grace qu'il a regűë, le preſſe d'amener au : fion
Maître qui l'a appellé de nombreuſes conquêtes, de Publier la gloire de ſon de fou is
nom : de confondre, ou de lui gagner fes Plus fiers ennemis, d'annoncer ar monde, & la
tout ſon Evangile. A peine est-il baptiſé, à peine a-t-il recouvert la vůë, à pei- ; | -
ne eſt-il revenu de fa frayeur, à peine a-t-il pris un peu de nourriture pour ſe
fortifier après un jeûne de trois jours,qu'il prêche dans les Synagogues de Da
ImaS Cn preſence d'un grand peuple , la Divinité & la Loy de JEsus-Chr Isr.
C'eſt donc le Sauveur qui a choiſi Saul,& c'est pour foûtenir la gloire de cette
élećtion, que Saul ſe hâte de lui acquerir des ſujets, & d’annoncer ſon Evan
ile. Semblable à une nuë qui élevée de la terre, va où un vent impetüeux la
ouffe , il fe tranſporte dans tous les lieux où l'eſprit du Seigneur l'envoye. Il
paſſe de Damas à Jéruſalem, de Jéruſalem à Tharſe, de TẾarſ à Antioche ,
d'Antioche à Seleucie , de Seleucie à Salamine, de Salamine à Paphos, de
Paphos à Icone, d'Icone à Antioche de Piſidie, d'Antioche à Lystre, de Lystre
à Derbe ; & de là, en Macedoine & à Theſſalonique. Il va à Athènes & à
Corinthe; il traverſe les hautes Provinces de l'Afie, & va à Ephéſe ; avec
quels ſuccès : écoutez ce qu'en dit ſaint Luc : Par tout où il paffe , la parole de
Dieu fait de grands progrès, & réund de plus en Pluſ. Les ennenis du Sauveur
font frappez d'aveuglement , les démons fortent des corps des poſſedez, les
Juifs reconnoiſſent leur entêtement & leur fureur, les 'Gentil; renoncent à
leurs ſuperstitions, & renverſent leurs Idoles. Les ſçavans reviennen leurs.
erreurs, & brûlent leurs livres; des peuples fans nombre ſe préſentent en fou
le pour recevoir le Baptême , & remercient Dieu de la grace qu'il leur a faire.
de leur avoir envoyé cet homme incomparable. On aPBelle cette ardeur d'a
464 p OUR LE PANEGYRIQUE DE S. PAUL.
1. ad Cºr. 9: gir, faire tout ce qu’on peut pour l'Evangile : Omnia facio propter Evange
lium. Eloges historiques.
Comme Saint Paul ne puiſe pas ſa ſcience comme ce Legiſlateur des Juifs, ſur la
; * montagne de Sinaï ; il n'est pas comme les autres Apôtres, inſtruit des véritez
ne de la Religion par ſes converſations avec le Sauveur ſur la terre ; Dieu le ravie
les véritez à foy juſqu'au troifiéme ciel, avec ſon corps, ou fans fon corps. Il n'en fçait rien
a en- lui-même ; mais ce qu'il fçait, c'eſt qu'il y entendit des paroles fếcretes, & qu'il
. n'est pas permis à aucun homme de rapporter. C'eſt pourquoi s'il a dit tant de vé
IIYCSs ritez ſurprenantes & nouvelles, fans que ni les plus habiles dans la Loy des
Juifs, ni les plus fçavans dans la ſuperſtition payenne ayent jamais pû lui ré
pondre ; s'il les a tous convertis, ou confondus ; s'il nous a découvert tant
de myſtéres ſur le Sacerdoce de Jesus-Chr Isr, fur le Sacrifice de rédemption
& de Religion de la Loy nouvelle, fur l'excellence & les admirables effets de
nos Sacremens, ſur l'Incarnation du Verbe, ſur l'abrogation de la Synago
gue, & l'établiſſement de la liberté Evangélique ; on ne peut trop remercier
l'extréme bonté de Dieu qui lui a révelé tous ces ſecrets. Mais ce n'étoit pas
l'eſprit de Paul qui s'expliquoit, qui raiſonnoit, qui décidoit : c'étoit l'eſprit
de Dieu même ; & comme rien ne réſiſte à cet eſprit divin, rien ne réſiste auſſi
à celui de Paul, par la bouche duquel il lui plaît de fe faire entendre. Les
mêmes.
La vaste
étendue du
Si l'eſprit de Paul étoit fi ſupérieur aux autres, fon coeur ne l'étoit pas
moins. Tout s'accordoit en lui pour la prédication de l'Evangile, & comme
faint paul dit faint Auguſtin, pour répandre fans ceſſe ſur les peuples la ſubstance de la
qui embiaff vie céleste qu'il avoit reçûë. Trouvez-moy, ( c'est le défi que fait faint Jean
le mon Chryſoſtome, ) trouvez-moy un coeur auſſi grand , auſſi vaste, auſſi géne
e , & forme r f \ *
reux, auſſi tendre, auſſi ardent, auſſi ferme, auſſi fidéle, attaché à Dieu , &
le converti à ſon Ministére par autant de liens, que l'a été le coeur de faint Paul. Coeur
i grand & fi vaſte , qu'on peut l'appeller le čoeur de tout le monde, dont il
a renfermé dans foy les villes, les provinces, les royaumes, & tous les peu
ples. Coeur fi génereux & fi tendre, qu'il n'épargne rien pour le falut de fes
freres, juſqu'à ſouhaiter d'être anathểme pour eux, juſqu'à craindre leur per
te & leur réprobation, quand ils tomboient en quelques défordres qui lui fai
foient apprehender qu'il ne leur eût prêché en vain. Coeur fi ardent & fi fer
me, que la hauteur des cieux, l'étenduë de la terre, l'ardeur du feu, la foli
dité du diamant n'ont rien qui puiſſe lui être comparé. Coeur fi fidéle, fi atta
ché à Dieu, & à ſon Ministére, qu'il est sûr que ni la mort, ni la vie, ni les An
ges, ni les PrincipauteV; ni les chofes préſentes , ni les futures , ni aucune autre
Paul f créature ne pourrajamais le f'parer de tamour de Dieu. Eloge: historiques. • •
. Il ſemble que faint Paul n’eſt a pellé que pour fouffrir, & que ce qu'il dit
pellé à l'A- " géneral de tous les fidéles, qu'ils font dévoüez à la mort,ſe trouve vérifié en
postolat que fa perſonne d'une maniere toute finguliere. Dès la prémiere fois que le Sei
ſouf- pour
Il I,
gneurporter
parle fon
de lui
nomà par
Ananie,
tout le ilmonde.
le regarde
Maiscomme un vaiſseau
de combien qu'il s'estſera-t-il
de tempêtes choist,
battu ? quels vents , & quels orages ne s'éleveront-ils pas contre lui ? Je l'a
choist, ce vaifeau, pour porter les richeſſes de mes graces , & les ſecrets de
mon Etat aux Rois & aux peuples de la terre : mais je lui montrerai combien it
faudra qu'il foufre pour mon nom. Nul intervalle entre la vocation de Paul à
l'Apoſtolat,
P A R A G R AP H E S IX I E'M E. 46 5
l'Apostolat, & fes ſouffrances. Le Fils de Dieu, qui ſemble ménager l'eſprit
& le coeur des autres Apôtres par les précautions qu'il prend de loin pour les
avertir de ce qui leur arrivera, tient une conduite toute oppoſée à l'égard de
ce Néophyte. N'appréhendez rien, Ananie ; c'eſt un homme qui eſt à moy ;
je lui ferai connoître ce qu'il faut qu'il ſouffre pour celui qu'il a perſécuté.
ALes mêmes.
De quelque côté que faint Paul regardât, dans quelque endroit de ville, de Peinture de
province, de Royaume qu'il jettât les yeux, il ne voyoit que peines, que con- º *
tradictions, qu'ignominies, que perſécutions, que tourmens. Étre par trois
fois battu de verges, & lapidé une fois, paſſer un jour & une nuit au fond .
de la mer, être expoſé à de fréquens dangers dans fes voyages, & en bute à de s. Paul
touteslesfortes
dans de perſécutions
campagnes; & dans; les
ne pas trouverque
temples, plusdans
de sûreté dans; les
les forêts villes,que
ſouffrir de la Pour la Pro
de
Part de ceux de ſa nation & de la part des étrangers, de la part des Gentils Yang Ic.
& de la part des faux freres, endurer la faim, la ſoif, le froid , la nudité ;
qu'appellez-vous tout cela, fi ce n'eſt être ceint & environné de toutes parts
des fleaux de Dieu ? Tel est cependant l'état de ce faint Apôtre : état par le
quel il fait d'autant plus de gloire à l'Evangile, qu'il ne lui eſt ni caché, ni
involontaire ; état auquel il s'eſt préparé dès les prémiers jours de ſa voca
tion , & qu'il a accepté de tout ſon coeur, pour s'acquitter felon les deſfeins
de Dieu, de ſon ministére. Eloges historiques.
Repréſentons-nous, s'il vous plaît, S. Paul tantôt au milieu d'une mer Peinture du
orageuſe, enſeveli fous les eaux, ou flottant au gré des vents à la faveur d’un courage de
mât rompu, auquel il s'est attaché au moment que le vaiſſeau qui le portoit :
fût ſubmergé ; tantôt dans une priſon obſcure, courbé fous le poids de fes :
chaînes, qui lui laiſſent à peine la liberté ; je ne dis pas de repoſer, mais mê- fagest d.
me de vivre & de reſpirer; tantôt en préſence de l'Aréopage, ce fameux Senar l'éloquence
d’Athénes, développant les grandes véritez de la Divinité de Jesus-CHR1 sr, * 5. Paul.
& de la réſurrećtion future de tous les hommes ; tantôt aux pieds du tribunal *
de Felix, ou aux pieds du trône d'Agrippa, montrant à l'un d’un côté, com
bien étoient vaines & frivoles les accuſations de Tertullus : d’un autre côté,
combien l'on éprouvoit de douceurs dans la pratique de la probité & de la
chafteté : & au contraire, combien de chagrins & de peines, lorſque l'on fe
plongeoit dans les crimes & les abominations, qu'un Dieu publiera un jour à
- la face de l'univers, & qui l’ont obligé d'allumer des feux éternels ; rendant
compte à l'autre, je veux dire à Agrippa, des motifs de fa converſion , de la
maniere dont elle s'est faite, des ſentimens qu'elle lui a inſpirez, du défir
qu'il a eủ depuis ce temps-là d'attirer toutes les Nations à la connoiſſance
d'un Dieu-Homme crucifié pour nôtre amour ; des vůës qu'il a de convaincre
les Idolâtres les plus attachez à leurs Idoles, & les Juifs les plus entêtez de leur
Loy, que quiconque eſt hors du Chriſtianiſme, ne ſuit que l'erreur & le men
fonge ; quelle grandeur d'ame ne découvrai-je pas par tout ? quelle ſolidité
d'efprit i quelle étenduë de capacité ! quelle éloquence dans fes diſcours !
quelle force de raiſonnement: quel prudence dans ſes entrepriſes: quelle pé
retration dans ſes projets ! quelle rapidité dans ſes courſes ! quelle intrépidi
té dans les dangers ! quel zéle pour la gloire de fon Dieu ! quelle ardeur pour
le ſalut de ſes freres ! quelle fermeté, quand il s'agit de fon miniſtére! & en
Paneg. des Saints. Tome I. NN n
466 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. PAUL.
mérne temps quelle douceur, quand il entreprend la converſion d’une ame !
Qualitez admirables , toutes divines, mais comme naturelles à ce grand hom
nie ! Le P. Eftienne Chamillart, Sermon manuſcrit.
comme l'A- Je pourrois vous repréſenter Paul comme une nue féconde , qui a paſſé
poſtolat de avec rapidité de l'Orient à l'Occident; comme un Soleil,qui a éclairé en moins
$. Paul de rien l'un & l’autre hémiſphere, comme parle faint Chryſostome : Qui ter
" ram videiicet, ac mare, Greciam , fimulque Barbariam , omnemque prorſus que
fub Cælo est, regionem, quaſi fol, circumivit. Il eſt autant de l'eſſence de la voca
tion de Paul d'etre le pere & l’Apôtre d'un nombre infini d'Egliſes, qu'il l'eſt
de la vocation de Pierre de l'être des Egliſes d’Antioche & de Rome ; & de
Jacques, de celle de Jéruſalem : Ut evangeliŘarem illum in Gentibus. Ce n'eſt
pas tout ; l'Apoſtolat de Paul eſt encore univerſel, ſi j'oſe m'exprimer de la
forte, dans un autre ſens qui ne lui eſt ni moins glorieux, ni moins particu
lier que le prémier. Je m'explique : c'est qu'il ſemble que Dieu ait choiſi ce
grand Apôtre pour êtrele Maître de la Morale Chrétienne, pour expliquer -
développer, interpreter à ce qu'il y aura jamais de fidéles, ces maximes im
portantes , qu’un Dieu a laifiées pour être la régle de nos moeurs. De là, dès
Îes prémiers fiécles, on a puiſé dans fes Epîtres, comme dans une fource pure
& divine, la déciſion des diſputes que l'ignorance, ou que les paſſions des
hommes ont fait naître dans l'Egliſe ſur ce ſujet. Conduite qu'on obſervera
tant que l'univers ſubſistera , & qui ſeule fustira pour diſſiper les erreurs que
l'hérefie , ou que le libertinage voudroient introduire , ou par trop de feveri
té, ou par trop d'indulgence. Les ennemis de l'Egliſe en font fi convaincus,
qu'il n'en eſt pas un qui ne s'efforce d'autoriſer ſes égaremens à la faveur de
quelques paflages des Epîtres de faint Paul, mal entendus, & expliquez à
leur mode. Quoy de plus glorieux pour faint Paul ? & n'eſt-ce pas là recon
noître que ce faint Apôtre a perpetüé même après ſa mort ſon Apostolat, &
qu'il ne ceſſera qu'à la fin des ſiécles de porter la Loy du Sauveur chez les Gen
tils. Le même.
C'est faint Nous fommes du nombre de ces nations dont faint Paul est l’Apôtre ; &
Fººl. 8" malheur à nous, fi, peu dociles à ſes inſtrućtions, nous ne reffentons pas les
effets de fon Apoſtolat; fi nous ne profitons pas des lumieres dont il a pris tant
des de peine de nous éclairer; fi il a femé en vain parmi nous la femence de l'E
Pasteurs & vangile. Nous avons ſes ouvrages entre les mains,qui nous empêchent de l'é
# couter, & de nous rendre à la force de ſon éloquence ? Qu'a-t-il dit aux Co
rinthiens, aux Galates, aux Ephefiens, qu’il ne nous dife chaque jour à tous
enf tant que nous ſommes ? car les Miniſtres de l'Evangile n'ont point d'autres
gner les vé- armes pour combattre cet excès monſtiüeux d'impureté, cet orgueil, cette in
his temperance qu'entraînent après foy des richeſles immenſes, & aufquels les
“”“” giands de la terre, les heureux du fiécle font fi ſujets ; les Ministres de Dieu,
dis je , n'ont point d'autres armes pour combattre ces vices, que celles dont
s'eſt fervi faint Paul , lorſqu'il instruiſoit les fidéles des Egliſes naiſſantes qu'il
avoit pris tant de peine à former. C'eſt donc en quelque façon ce faint homme
qui continué par la bouche de tant de Paſteurs,qui ont foin de nos ames,d'inſ
truire, d'enſeigner, d'éclairer des lumieres de la foy,ce qu’il y a de Chrétiens
fur la terre. Comme c'est une fuite des vűës que Dieu avoit eủës en deſtinant
Paulàêtre l'Apótre des Gentils:fa grace arrofe,& fait croître également ce bon
*
PARA G R A PHE S I XI E’M E. 467
grain dans les coeurs qui le reçoivent avec les mêmes diſpoſitions, & avec la
même docilité que les Corinthiens & les prémiers fidéles le recevoient de la
main de ce grand Apôtre, & qui ont foin de le faire profiter, gardant avec
circonſpećtion tous les enfeignemens de ce faint homme, fans le laiffer aller
à aucunes nouveautez. Le même.
Saint Paul ayant eû à combattre les Juifs & les Gentils , quelles peines n'a- Les travaux
t-il point eû pour obliger ceux-ci à fe foûmettre au joug de la Foy , & ceux- defaint Paul
là à abandonner, & à s'interdire une Religion qu'ils n'ignoroient pas avoir été -
reſpećtable, tant pour fa fainteté, que pour ſon antiquité ? Sans doute que .
fes courſes ont été infinies, que fes veilles ont été frequentes, que ſes inſtruc- les Ġentils
tions ont été preſque continüelles, que ſes exhortations ont été vives & ani- qu'il a sử ả
mées ; diſons mieux : fans doute qu'il lui a fallu aller tantôt à une Egliſe, & combattre ,
tantôt à une autre, diſputer avec ceux-ci, & converſer avec ceux-là ; là inf- p
truire des Néophytes, ici affermir des Chrêtiens chancelans, conſoler des af- ;s
fiigez,veiller à la ſubſiſtance des pauvres, répondre à mille queſtions qu’on lui l'égard des
propoſoit
foin , étoitde tous, côtez.
grand plus ce Et plus le
travail nombre
a été rude,des Egliſes dont
immenſe, faint Paul
& au-deſſus desavoit
for- 2 Ult ICS,: des
ces d’un homme ſeul. Auſſi en prend-t'il le Ciel à témoin;& il ne croit pas que
ce ſoit ſe glorifier mal à propos, que de rendre graces au Seigneur, de lui
avoir donné occaſion de travailler plus que tous les autres Apôtres : Sed abun- 1 ad Cor.rf.
dantiùs illis omnibus laboravi. Par conſéquent, S. Paul a rempli parfaitement ſa
vocation , & il n'a manqué à rien de tout ce qu’exigeoit de lui fon Apoſtolat.
Le même.
Jettez avec moy un moment les yeux fur l'humilité profonde de l’Apôtre . L'humilité
faint Paul. Ciel! quels bas ſentimens n'a-t-il pas de lui-même! Si on l'en croit, de S. Paul.
il ne mérite pas d'être appellé Apôtre ; il n'eſt qu'un pecheur abominable ; il
est le dernier de tous les hommes. Reconnoît-il en lui des qualitez extraordi
naires ; des dons du Ciel, ou de la nature ; loin de s'en glorifier, il s'en trou
ve indigne, & il les attribué aux miféricordes infinies de Dieu, qui ſe plaît à
marquer ſa Puiflance par le choix qu'il fait des instrumens les plus vils pour
parvenir à ſes fins. Il craint fi peu qu'on publie à jamais les égaremens de fa
jeuneſſe, qu'il n'eſt pas une de ſes lettres, où il ne peigne avec les couleurs
Îes plus vives, la perſecution qu'il a faire à l'Egliſe. Il n'oſe parler des faveurs
qu'il reçoit de Dieu ; & s'il est obligé d'en dire quelque choſe, il n'en parle
qu'avec précaution, & il ajoûte fur tout, que cela n’empêche pas que de fon
fond, il ne ſoit que foibleſſe, que corruption, qu'il n'ait un penchant vio
lent pour ce qui est le plus indigne d'une ame raiſonnable. Le même.
Joignez à l'humilité de coeur que faint Paul avoit ; cet eſprit de mortifica- De fa mor
tion qu'il a conſervé juſqu'au dernier moment de fa vic: Castigo corpus meum, tification
( ce font ſes propres paroles) & in fervitutem redigo. Quelles faintes crüaurez ſurprenante,
n'exerça-t-il donc point fur lui-même? lui qui gémiſſoit fans ceffe autriste fou
venir de fon infidélité, & de fon crime; lui qui croyoit ne pouvoir aſſez expier
le mal qu'il avoit fait à l'Egliſe ; lui qui n'entreprenoit pas moins que d'ailu
jettir fon corps, & de le réduire en fervitude ; lui qui étoit convaincu que la
vie d’un Chrêrien devoit être une vie crucifiée, & un tiſſu de rigueurs &
d'austéritez. Son coeur étoit fi pénetré de certe vérité, que la plûpart de ſes
inſtrućtions rouloient ſur ce point de morale. Auffi ſaint Jérôme voulant don
N N n ij
468 POUR LE PANEGYRIQUE DE S. PAUL.
ner à la fainte Vierge Eustochium un modéle parfait de cette pénitence rigou
reuſe , lui propoſe-t-il ſur tout nôtre faint Apôtre, dont il lui détaille les
auſtéritez par ces paroles : Post jejunia , nuditatem, famem , flagella : Apostolus
exclamat, c’c. Le même.
Pºl P - Quel amour ſaint Paul n'eût-il point pour la pauvreté Evangelique ? Man
- quer de tout, ſouffrir la faim & la ſoif, gagner ſa vie à la fueur de fon front,
# , de exercer un métier vil & bas , de peur d’être à charge aux fidéles qu'il avoit
fes autres régénerez en Jesus-CHR ist ; ne poſſeder rien, abandonner fes biens & fes ef
V CIIUS, pérances, méprifer les richeſſes , & les fouler aux pieds, ont été des pratiques
fi ordinaires à faint Paul, que Saint Chryſostome foûtient que cet Apôtre a
pouffé la pauvreté Evangelique auſſi loin qu'elle pouvoit aller. Mais où ce
détail de vertus ne m'entraîneroit-il pas? Je paſſe donc fous filence cette union
que S. Paul avoit avec Dieu, qui étoit fi intime, qu'il ne reconnoiſſoit plus
en lui que Jesus-CHR1st pour principe de toutes fes actions. Cette confiance
admirable qu'il avoit en Dieu , cet abandon abſolu à ſa divine providence,
faiſoit que rien ne l'arrêtoir, & qu'à la vůë des choſes les plus impoſſibles en
4° Rem: 8. apparences, il s'écrioit: Si Deus pro nobis, quis contra nos? Cet amour fincere
& ſolide qu'il avoit pour tous les hommes, l'engagea à conſentir d'être ana
thême, c'est-à-dire , ſéparé pour un temps de Jesus-CHR ist , pourvů qu’il
leur procurât le bonheur de poſſeder Dieu éternellement. Que dirai-je de ſa
patience admirable au milieu des perſécutions les plus crüelles ? de cette bon
té paternelle envers fes ennemis les plus déclarez, de cette charité à foulager
& à inſtruire les pauvres, les miferables, & ceux pour qui le monde n'a que
de l'horreur & du mépris ? Le Pere Estienne Chamillart.
des
La ſurpriſe Ce fut unà un
* répréſenter glorieux
nombreſpećłacle de peuples
infini de voir faint Paul remporter
endurcis tant de vićtoires,
leur aveuglement, paroî
si. tre au milieu de la Synagogue ſuperbe pour confondre fes Doćteurs, condam
s. paui de ner ſes maximes , & lui enlever fes plus chers enfans. Quelle consternation
perſécuteur pour les Juifs, & quelle confolation pour les fidéles ! Ceux-là furpris & éton
devenu 'º nez ſe demandoient les uns aux autres : N’est-ce pas cet homme
Prédicateur - - N • * e
qui nous
fpirer le f.
en
de revangi- ºrageoir à perſecuter les Chrétiens , & qui ne ſembloit reipirer que le lang
Ie, & les” & le carnage ? Et ceux-ci béniſſant la main du Très-Haut, regardoient ce
fentimens Néophyte comme le plus parfait de tous les Chrêtiens, le plus fçavant de
tous les Doćteurs , & le plus zélé de tous les Apôtres. Ceux-là ne pouvant ré
. fifter à ſa ſageſſe, & à ſes preſſantes exhortations , fe fentoient forcez de ce
men der à ſes paroles, & de ſuivre la Religion qu'il leur prêchoit ; & ceux-ci envi
ageant fes vertus, fes miracles, & fon grand courage , admiroient comment
il pouvoit imiter Jesus-CHR1sr fi parfaitement. Telle doit être la vie d'une
ame convertie, qui avant fa converfion a été un fujer de fcandale aux autres.:
Elle doit fervir de modéle à ceux qu'elle avoit ſcandaliſez; confondre par
fon changement les libertins qu'elle avoit fréquentez, deſquels elle avoit pris
tous les défauts, ou leur avoit communiqué les fiens. Elle fe doit enfin don
ner par l'édification de fa bonne vie , & la pureté de fa conduite & de fes
moeurs , pour un exemple à tous ceux qui l'avoient ſuivie dans fes crimes , &
dans fes égaremens. Il faut qu'elle jette la vůë fur Jesus-CHR ist crucifié , &
qu'elle ſe crucifie avec lui, fouhaitant de participer à la gloire de la Croix, &
en foûtenir le poids. C'est ce que doit pratiquer une ame véritablement chrê
P A R A G R A P H E SI XI EM E. ’ 469
tienne & convertie ; & c'eſt auſſi ce qu'a pratique dans un dégré éminent nô
tre faint Apôtre. Sermon manuſcrit. -
Que dirai je des divines Epîtres de faint Paul , la fource la plus pure & la Eloge des
plus profonde de la doćtrine celeſte, la plus pure portion des tréſors de la &
fcience de Dieu, le plus ſacré dépôt que le Sauveur ait laiſſé à ſon Egliſe aprés isen
le Teſtament de fa vie & de ſa mort, le voile, & tout enſemble l'explication nous en de
des Myſtéres les plus impénetrables de la Religion ? Qui n'admirera ces pro- vons faire.
fondes & magnifiques expreſſions, qui comme des nüages lumineux, nous -
font voir les véritez éternelles au travers d'une fainte obſcurité qui les couvre
en les développant, & qui en rempliſſant l'eſprit des plus vives lumieres de la
vérité, le pénetre des ſentimens les plus élevez de la Foy ? Avant fa conver
fion , il étoit, dit-il, Pharifien de fećte , & perſécuteur de profeſſion : Secun- Ad Philip.3.
diem legem Phariſeus ; fecundùm «mulationem perſequens Eccleſiam Dei. Mais
depuis que le Fils de Dieu l'a touché, il s'efforce de faire pour l'Egliſe, ce
qu'il faiſoit auparavant pour la Synagogue. Il partage fon zele pour détruire
lesdeux ſuperſtitions qui regnoient alors : tantôt il s'addreſle aux Juifs, tan
tôt il écrit aux Gentils ; il montre aux uns que que le vray Meſfie eft *
venu , les céremonies ont ceffé, & que le grand fecret eſt d'adorer en eſprit -
& en vérité le Dieu qu'ils ont attaché à la croix. Il 1épréſente aux autres, que
toutes les Divinitez qu’ils adorent, font fauſſes, & que leur aveuglement va
juſqu'à rendre leur culte à des démons, & aux plus méchans de tous les hom
mes. Ah! il fait bien plus pour l'Egliſe qu’il n'avoit fait autrefois contre elle;
& la grace a furabondé où le peché a regné en abondance. Effais de Panégyriques. *
Ce rebelle Saul, attaqué de tous côtez, ne trouvant d'appuy dans foy,ni de Réſignation
fecours hors de foy, est comme obligé de fe rendre à la voix du Fils de Dieu, &
lui dit : Domine, quid me vis facere ? Seigneur que voulez-vous que je fafle ? È u
Paroles courtes, mais vives & efficaces ; paroles que tout pénitent doit dire au frir,doit être
commencement de fa converſion ; mais qui montrent une entiere foûmiſſion le modéle de
aux volontez de Dieu , une réfignation parfaite , une obéïflance volontaire, é
une entiere abnégation de foi-même , un mépris de toute autre chofe ºf -
que du bon plaifir de Dieu ; parce que par ces paroles Saul ſe montroit prêt à
tout entreprendre, à tout faire , à tout fouffrir. Paroles qui marquent un
coeur plein de générofité dans Saul, & qui répondoient parfaitement à
l'extréme bonté du Sauveur. Mais que la conduire des Chrêtiens est oppoſée f
Il en est peu , qui pour répondre à la grace , fe donnent la peine de combat
tre leurs paſſions; peu qui ſe déterminent abſolument à embraſſer les rigueurs
& les mortifications de la pénitence ; très-peu qui veulent porter leur croix
avec le Sauveur. On voit au contraire des ames lâches, des hypocrites, qui
au lieu de rompre entierement avec leurs paſſions, ne cherchent qu'à compo
fer avec elles. On en voit ſe retrancher ſur la délicateste de leur tempera
ment, ſur ce qu'elles font néceſſaires à leurs familles, employer mille ſpé- *
SA I N T E M A D E LAIN E.
A V E R T I S S E M E N T.
voir plus d'eſpérance en la mifèricorde de Dieu, & nous exciter plus puiſſamment
en fon amour. -
des conſolations célestes, qu'elle goûtoit dans la contemplation qui avoit toùjours
été fon heureux partage. *)
472 POUR LE PANEGYR. DESAINTE MADELAINE:
v PA R A G R A P HE P R E M I E R.
De la
P A R A G R A P H E P R E M I E R, 473
Et enfin, dans les rigueurs qu'elle exerça fur elle-même , animée de ce di--
vin amour, qui lui inſpira une fainte haine de fon corps, pour expier ſes
péchez. Ainfi les larmes de douleur, qui ont été autant de fideles témoigna
ges de fon amour, fa converſion ſurprenante qui en a été l'effet, fes rigou
reuſes austéritez qui en ont été des marques ſenſibles , ont mérité cette fen
Ru42, 7a. *<nce favorable du Sauveur :: Remittuntur ei peccata malta, quoniam dilexia:
- :
- * -
|- P A R A G R A P H E P R E M I E R.
multùm. Et c'eſt ce qui fera le partage de ce diſcours. L'Auteur des f :
fur tous les fujets,&c.
Pour faire une véritable & fincere pénitence , il eſt néceſſaire de changer y 1:
d'eſprit, de cæur, de vie & de moeurs. Changer d'eſprit , c'eſt le principe de
la pénitence : changer de cæur, c'eſt l'eſſence de la pénitence : changer de vie
& de mæurs, c'eſt l’effet de la pénitence. Trois parties de la vie de Madelai
ne, qui feront auſſi les trois parties de ce diſcours. Mais pour les expliquer
lus clairement, voyons ce qui est renfermé dans ces trois paroles.
1º. Changer de vie, c'est mépriſer dans l'état de pénitence, tout ce qu'on
avoit eſtimé dans l'état du péché, & eſtimer tout ce qu'on avoit mépriſé.
2°. Changer de coeur , c'eſt haïr tout ce qu'on avoit aimé, & aimer tout ce
qu'on avoit haï.
3º. Changer de vie & de moeurs, c'est fuir ce qu'on pratiquoit, & prati
quer ce qu'on fuïoit.
Ecce mulier, que erat in civitate peccatrix. Luc.7. Cette femme que l'Evan VII.
gile nous repréſente aujourd'hui aux pieds du Fils de Dieu, eſt, ſelon les Pe
res, fainte Marie Madelaine, dont l'histoire eſt fi connuë : Mulier que erat
in civitate peccatrix ; femme à la vérité autrefois péchereffe, mais femme ce
pendant prédestinée pour être un vaiſſeau d'élection ; femme autrefois décriée
par les défordres de fa vie , mais depuis illuſtre par ſa pénitence: femme au
trefois le ſcandale de la ville, & le deshonneur de fa mais mainte
nant le modéle le plus achevé d'une véritable converſion. C'eſt ce modéle que
Dieu propoſe aujourd'hui à tous les pécheurs, & qu'il a voulu, par un ordre
& une bonté particuliere de fa providence , rendre public & éclatant , afin
que les grands pécheurs du monde euffent dans la perſonne de cette Sainte,
1 º. Un puiſſant motif de converſion.
2°. Un rare modéle de pénitence.
Un puiſſant motif de converſion, pour ne pas tomber dans le déſeſpoir,
quelque ennemis qu'ils s'imaginent être de Dieu ; & un rare modele de péni
tence, pour éviter la préſomption, dans la vůë d’une miféricorde imaginaire,
dont ils peuvent ſe flater, juſqu'à négliger les moyens néceſſaires & ellentiels
à leur falut. Si vous êtes affez malheureux pour avoir ſuivi la Madelainc dans
ſes égaremens, ne laiſſez pas de vous ; car , puiſqu'elle a trouvé gra
ce devant Dieu, quel est le ſujet de vôtre déſeſpoir ? Mais ne laiſfez pas de
trembler ; car fi , après avoir ſuivi Madelaine dans fes égaremens , vous ne la
fuivez pas dans fa pénitence : que ne devez-vous pas craindre , fi un exemple
auſſi grand que celui-là , & qui a converti tant d'ames, eſt fans effet dans vos
perſonnes ? *
So I T que nous foyons dans un état de grace, ou non : foit que nos pechez VIII.
nous ayent endurci le coeur: ſoit que nous ne foyons pas encore dans cet en
durciſſement : ſoit que nous commencions à marcher dans la voye de Dieu :
foit que nous en ſoyons égarez; dans tous ces différens états, il y a un cer
tain changement de vie , auquei Dieu nous appelle, & dans lequel nôtre con
verſion confiste. Il eſt donc important d'avoir devant nos yeux une idée, dans
laquelle nous reconnoiſſions les véritables caraćteres de cette converſion ; or
c'eft ce que l'Evangile nous propoſe aujourd'hui dans la perſonne de fainte
Madelaine: Car je trouve qu'une converſion doit avoir trois qualitcz i elle
O O o ij
476 POUR LE PANEGYR. DE SAINTE MADELAINE.
doit être prompte, généreuſe, & efficace. Elle doit être prompte, pour vain
cre le retardement & les délais que le pécheur a coûtume d'apporter ; elle
doit être généreuſe , pour triompher des obſtacles en général , & en particu
lier, des reſpećts humains, qui par un malheur déplorable arrêtent tout le
monde dans la voye du péché ; elle doit être efficace, pour ſacrifier librement
à Dieu ce qui a été l'inſtrument du péché. Or Madelaine, dans fa conver
fion, a fait paroître ces trois qualitez, & c'eſt ce que je trouve dans la fuite
de mon Evangile, car ,
1º. Elle a été prompte à ſe convertir , abandonnant tout d'un coup ce qui
l'avoit attachée au monde.
2°. Elle a été généreuſe, quand il s'est agi de ſe convertir.
3°. Elle a factifié ce qui fervoit d'empêchement à ſa converſion. Prompti
tude , généroſité, efficace de la converſion de Madelaine, voilà les trois
grandes véritez que j’ay à vous propoſer. Le Pere Bourdalouë.
1 x. MAR I E MADELAINE a obſervé une conduire fi prudente dans le commen
cement, & dans la fuite de fa converſion , qu'on peut dire qu'elle nous a
donné une parfaite idée de la pénitence , & un modele de cette vertu , pro
pre à être imité de tous les pécheurs, à qui Dicu accorde la néceſſaire
pour fe dégager des liens du péché. En effet, a-t'elle pủ choiſir un plus puiſ
fant motif de repentence qu'un Dieu offenſé par tant de crimes. Pouvoit-elle
produire des aćtes plus convenables aux pénitens, que la douleur & l'amour
qu'elle témoigne par ſes pleurs, & fes parfums ? Lachrymis rigabat pedes ejus.
Et pouvoit-elle faire paroître un repentir plus ſincere & plus libre, qu'en le
faiſant éclater aux yeux d'un Pharifien ? Nous pouvons donc clairement dé
couvrir dans la pénitence de Madelaine ,
1º. Quel est le véritable motif de la pénitence chrêtienne.
2o. Qu'elles en doivent être les aćtions.
3o. Enfin quels font les obstacles & les empêchemens les plus ordinaires,
qui ont coûtume de l’empêcher, ou de la retarder:
Dans ces trois parties nous verrons la maniere dont ſe doit fervir un vérita
ble pénitent, pour fe convertir parfaitement à Dieu. L'Abbé de BouŘgis dans le
Sermon de la Madelaine.
N E distimulons point le malheur de Madelaine , l'Evangile que nous li
fons aujourd'hui à ſa gloire, publie clairement fon péché, puiſqu'il lui ôte
tous fes autres noms, pour lui laiſler ſeulement la qualité de péchereſſe. Il
marque par là que fa vie a été ſcandaleufe, & qu'elle a été atteinte de cette
paffion, dont on couvre la honte par le nom d'amour. Avoüons qu'elle a
beaucoup aimé le monde, pour avoüer enfuite qu’elle a encore plus aimé
Dieu : & pour faire voir la grandeur de ce fecond amour dans ce prémier
aćte de fa converſion , où elle a quitté ſes péchez, & où elle a rompu fes
chaînes. Cette converſion a câ trois qualitez : elle a été courageuſe, prompte
& entiere.
1o. Elle a été courageuſe, contre les difficultez.
2o. Prompte, contre les réſistances.
3°. Entiere, contre les pastions que l'amour du monde pouvoit oppoſer à
ce changement. Et par ces trois vićtoires, elle a fait voir la grandeur de l'a
mour de Dieu, qui en étoit le principe. Biroat, dans fes Panegyriques.
: P A R A G R A P H E PREMI E R. 477
Comme les faints Peres, & l'Egliſe même appellent la pénitence un fécond X I.
Baptême, qui lave tous les pechez en quelque nombre qu'ils foient, & pour
énormes qu’ils puiſſent être ; il n'y a point de doute qu'on ne puiſſe donner ce
nom à la pénitence de Madelaine après S.Chryſostome: Lachrymis fuis baptiŘa
ta est; puiſqu'ayant été pechereſſe,dont l'Evangile même lui donne le nom;cile
a été lavée de tous ſes crimes, & a reçû une nouvelle vie par ce Baptême. Je
m'arréte donc à cette penſée dans l’éloge que j’ay à vous faire de Madelaine ;
& pour en faire le ſujet d'un juſte Panégyrique, je remarque que l'Egliſe re
connoît trois fortes de Baptêmes:le prémier, qui eſt l'ordinaire, eſt celui de
l'eau, laquelle jointe à l'Eſprit-Saint, qui l'éleve à la dignité de Sacrement ,
lave une ame de toutes festaches. Le fecond, est le Baptême du feu, c'est-à
dire, de l'amour de Dieu, qui joint à la douleur de nos crimes, fuffit pour
le falut, lorſque l'occaſion, & le moyen de recevoir le Sacrement, nous
manque. Le troifiéme , eſt le Baptême de ſang , propre des Martyrs, qui ſouf
frent la mort pour la défenſe de la Foy & de la Religion.
Or l'on peut dire que la pénitence de Madelaine a non-ſeulement eủ du
rapport à ces trois fortes de Baptêmes ; mais encore qu’elle en ait eû toute la
vertu. 1°. Parce que les larmes de ſa pénitence ont lavé toutes les ordures de
fes crimes, comme le Baptême d'eau fait en ceux qui le reçoivent avec les dif
poſitions néceſſaires. 2“. Parce que fon ardent amour a eû à ſon égard tout
l'effet qu'a le Baptême de feu dans les ames pénetrées de l'amour divin, le
quel efface les restes du peché, qui font les mauvaiſes habitudes , & tous les
attachemens que l'on pourroit avoir au moindre peché. 3°. Parce qu’elle a été
baptiſée dans fon fang ; c'eſt-à-dire , que les rigueurs de la pénitence lui ont
cauſé une mort lente, qui a eû l'effet & le mérite d'un véritable martyre.
LA grace de la converſion ramene l'ame pechereſſe à Jesus-CHR 1st par
des voyes à peu près ſemblables à celles qui les en avoit éloignée, en forte XI 1.
que fans détruire les pecheurs, elle fait ſervir à la juſtice, ce qui avoit ſervi
au peché. Sur ce principe,
i º. Madelaine avoit aimé le monde d’un amour ardent & criminel : dans
fa converſion elle conçoit un faint amour encore plus ardent, qui lui fait en
treprendre les rigueurs de la pénitence.
zº. Elle avoit aimé le monde d'un amour de préference , juſqu'à lui ſacri
fier ſes biens, fa réputation, l'honneur de fa famille , & tout le reſte. Mais
dans ſa converſion , elle conçoit un amour fort, & généreux pour J E s u s
C H R 1 s T , & cet amour lui fait préferer les interêts du Sauveur, aux diver
tiflemens, aux compagnies, & à toute la vanité du ſiécle, dont elle étoit en
têtée.
T R o 1 s choſes ont coûtume d’être de puiſſans obſtacles à la converſion XIII;
despecheurs. 1°. L'énormité de leurs crimes les fait fouvent déſeſperer de la
mifèricorde de Dieu, comme Cain, & Judas. 2º. Le reſpećt humain & la
crainte des diſcours des hommes fur leur conduite, les retient & les arrête.
3°. La rigueur de la pénitence qu'il faudroit faire pour expier leurs pechez,
fait qu'ils n’ont pas le courage de s'y réſoudre. En trois mots, l'état du pe
cheur par rapport au paſſé, les difficultez du préſent, & les peines de l’avenir,
font trois obstacles qui s'oppoſent à la converſion des pecheurs. Mais la réſo
- lution de Madelaine, l'eſpêrance qu'elle a du pardon de fes pechez, le cou
O O o iij
478 POUR LE PANEGYR. DE SAINTE MADELAINE.
rage & la force de fatisfaire à la juſtice de Dieu, montrent que rien de tout
cela n’eſt capable de la détourner de fon destein.
X I V. Pour qu’un pecheur retourne à Dieu par une converſion parfaite il ne fuf
fit pas qu'il quitte fon peché, qu'il renonce à ſes mauvaiſes habitudes, qu'il
évite ſoigneuſement les occafions de rechâte: il faut encore qu'il expie fes pe
chez pallez par une pénitence proportionnée à leur qualité & à leur nombre.
C'eſt dequoy Madelaine étoit fort perſuadée, comme je prétend vous le ren
dre ſenſible dans les trois parties de mon diſcours, car,
1º. Elle éteint l'ardeur de ſes paſſions, par les larmes qu'elle répand con
tiniiellement.
29. Elle anéantit fon orguëil & fa vanité par les humiliations auſquelles elle
s’expoſe de ſon propre mouvement.
so. Elle expie les plaifits dont elle faiſoit auparavant tous fes délices, par
les peines qu'elle ſouffre, & les regrets volontaires de fon coeur. C’est par
ces trois qualitez qu'elle fait voir la grandeur & la perfection de fon amour.
Biroat, dans fon Carême.
XV. Dilexit multum. Si jamais créature a fait paroître en tous fens la grandeur
de ſon amour, on peut aſsûrer que ç'a été le privilége particulier de Marie
Madelaine entre tous autres. Elle l'a clairement montré, |
1º. Par un amour de contrition ; ſon coeur s'étant comme mis en pieces
par la douleur qu'elle avoit d'avoir offenſe la bonté infinic de Dieu partant de
pechez aufquels elle s'étoit abandonnée.
2 º. Par un amour de compaſſion , lorſque ſe trouvant au pied de la croix
où elle voyoit le Sauveur attaché, ſon coeur étoit intimement pénétré de dou
leur, & percé d'autant de playes qu'elle en voyoit ſur le corps de J E s u s
C H R 1 s r déchiré de coups.
3°. Par un amour d'union & d’attachement à l'objet de fon amour, lorſ
qu'après la Réſurrećtion , le Fils de Dieu lui apparoistant, elle n'eût pas la pa
tience de l'entendre, elle vouloit lui baifer les pieds, aſpirant uniquement
après la poſſeſſion de ſon bien-aimé, fans fe contenter de paroles.
XVI. Sur les paroles que le Sauveur dit à Marthe en faveur de Madelaine: Ma
ria optimam partemelegit, on peut former le deflein d'un diſcours, en faiſant
VO 11 ,
1°. Qu'en qualité de pechereſſe, elle avoit pris le meilleur parti, qui est
celui de la pénitence, pour mettre en aſsûrance cet unique néceflaire, qui eſt
le falut de fon ame, n'y ayant point d'autre moyen de ſe réconcilier avec Dieu
qu'elle avoit rant offenfé, que la pénitence. -
Le même, Sermon 1 69. explique les paroles que le Sauveur dit en faveur
de Madelaine: Maria optimam partem elegit.
Le même , Serm. 143. rend raiſon pourquoi le Sauveur ne voulut pas
permettre après ſa Réſurrection, que Madelaine ſe jettât à ſes pieds, & le
touchât. -
Saint Gregoire Pape, Homel. 33. fur les Evangiles, fait une peinture de la
converſion de Madelaine , & de ce qui ſe paſſa dans cette aćtion.
. Le même, dans la même Homelie, s'étend ſur la poſſeſſion de fept démons
dont le Sauveur la délivra- * - - - - --
Le même, Homel. 25. ſur les Evangiles, s'étend ſur l'amour que cette
Sainte portoit au Fils de Dieu, & ſur la constance qu'elle témoigna de demeu
rer auprés de ſon tombeau. . : : * - - - .
Saint Jérôme, fur faint Mathieu, s'étend ſur la charité de fainte Madelai
ne , qui avec ſa fæur fourniſſoit à la nourrirure & aux beſoins du Fils de Dieu.
Le même, Epist. 15 o. parle de ſa famille, de ſon nom, & de quel lieu
elle étoit. - - . . . - *
Saint Ambroiſe au 3. Tome, Sermon 58. & ſur faint Luc, Cap, ultimo.
Origene, fur faint Mathieu ; Homel. 35. Parle de la fidélité constante de
Madelăine à ſuivre le Fils de Dieu par tout. . . -
Saint Ephrem a fait un Sermon fur la femme pechereſſe qui vint trouver le ,
Sauveur chez Simon le Pharifien. - - - . - 1 |
Le vénerable Bede, dans l'Homelie ſur la fête de fainte Madelaine » expli
que litteralement, moralement, & mystiquement Pluſieurs circonstancesde
fa converſion. - -
PAR A G R A P H E T R o IS I EM E.
Paffiges , exemples, gures, & applications de l’Ecriture
für ce fujet.
S Urgam & circuibo civitatem, ở per pla E me leverai, & je ferai tout le tour de la
teas quaram quem diligit anima mea, que ville, je chercherai dans toutes les places
fivi illum, & non inveni. Cantic. 3. celui que mon ame chéritje l'ai cherché fans
l'avoir trouvé.
• Paululàm cùm pertranfiffem eos , inveni Ayant paſſé les Gardes de la ville, j'ay
quem diligit anima mea, tenui eum, nec di trouvé celui que mon ame chérit, je l'ay em
mittam. lbidem. braffé, & je ne le quitterai point.
Pone me ut ſignaculum ſuper cor tuum, ut Mettez-moy fur vôtre coeur comme un
fignaculum fuper brachium tuum, quia fortis fceau , & fur vôtre bras, parce que l'amour
ut mors dilectio. Ibidem. eſt fort comme la mort.
Aqua multe non potuerunt extinguere cha L'abondance des eaux ne peut étein
ritatem, nec flumina obruent illam. Ibidem. dre la charité, ni les fleuves ne peuvent la
noyer.
Si dederit homo omnem fubstantiam domus Quand l'homme donneroit tout ſon bien
fue , quaſi nihil deſpiciet eam. Ibidem. Pour la charité, c'eſt à dire, pour ſe faire ai
mer , on n'en feroit nul cas.
Sacrificium Deo Spiritus contribulatus, cor Le ſacrifice que Dieu demande, est un eſ
contritum ér humiliatum Deus non deſpicies. prit affligé : vous ne mépriſerez pas,Seigneur,
Pf. 5o. -
un corur contrit & humilié.
Ampliùs lava me ab iniquitate mea, & à Lavez-moy de plus en plus de mon iniqui
peccato meo munda me. Ibidem. té , & purifiez-moy de mon peché.
Iniquitatem meam ego cognoſco , & pecca Je connois mon iniquité , & j'ay toûjours
tum meum contra me est femper. Ibidem. mon peché devant les yeux.
Averte faciem tuam à peccatis meis , Ó Détournez vôtre face de deſſus mes pe
omnes iniquitates meas dele. Ibidem. chez ; & effacez toutes mes iniquitez.
Ecce mulier qua erat in civitate peccatrix , Voilà qu'une femme pechereffe & décriée
ut cognovit jefus accubuiſſet in domo dans la ville, ayant appris que J E s u s man
Pharifai,attulit Alabastrum unguenti. Luc.7.
\,
geoir dans la maiſon d'un Pharifien , ap
* s--
Porte un vaſe d'Albâtre plein d'huile de
parfum.
Stans retro fecus pedes ejus, lacrymis cæpit Se tenant derriere lui à ſes pieds, elle
rigare pedes ejus, & capillis capitis fui terge commença à les arroſer de ſes larmes, à les
bat , & oſculabatur, Ibidem. efluyer de ſes cheveux, & à les baifer.
Pharifaus ait intra fe, hic fi effet Propheta, Le Pharifien dit en lui même , fi cet hom
fciret utique que & qualis est mulier qua tan me étoit Prophéte, il (çauroit quelle est cette
git eum , quia peccatrix est. Ibidem. femine qui le touche , parce qu'elle eſt de
nhau vaiſe vie.
Remittuntur ei peccata multa , quoniam Beaucoup de pechez lui font remis , parce
d lexit multàm. Cui autem minus dimittitur, qu'elic a beaucoup aimé. Or celui à qui l'on.
mimus diligit. lbidem. rcnet moins , aime moins auſſi.
Dixit autem ad illam, remittuntur tibi pec JEsus-CHR1sr dit à cette femme, vos pe
cata tua. Ibidem. chez vous font remis.
Cæperunt qui fimul accumbebant , dicere in Ceux qui mangeoient avec lui , dirent en
tra fe : Quis eſt hic qui etiam peccata dimit eux mêmes , qui eſt celui-cy qui remet mė
tit ? Ibidem. me les pechezº
Dixit autem ad mulierem : fides tua te fal Jesus-CHR ist dit à cette femme, vôtre.
vam fecit , vade in pace. Ibidem. foy vo s a fauvée , alicz en paix.
Cùm effet in Bauhania in domo Simonis le J E su s étant à Bethanic, en la maiſon de
P A R A G R A P H E T R O IS I E' ME. 483
prost, acceſſit ad eum mulier haben: Alabaſ Simon le Lepreux, une femme vint à lui av
trum unguenti pretioſi, & effudit ſuper caput un vaſe d'Albâtre plein d'huile de parfum d'un
ipſius recumbenti . Matth. 2 s. grand Prix , qu'elle répandit fur ſa téte, lorf
qu'il étoit à table. -
Quid molesti estis huic mulieri ? ºpus enim Pourquoi inquiétez-vous certe femme ? elle
bonum operata est in me , mittens enim hec a fait une bonne oeuvre à mon égard, carem
unguentum in corpus meum , ad ſepeltendum baumant mon corps, elle a prévenu la céré
me fecit. Matth. 16. monie de ma ſépulture.
Erat Maria Magdalene, & altera Maria Marie Madelaine, & une autre Marie ,
fedentes contra fepulchrum. Idem , c. 17. étoient là , fe tenant aſliſes auprès du fe
pulchre.
Vefpere fabbathi, venit Maria Magdalene , Le ſoir qui preceda le jour du ſabath qui
Cr altera Maria , videre fepulchrum. Idem , commençoit à luire , Marie Madelaine , &
c. 2. 8.
une autre Marie vinrent pour voir le fé
pulchre.
Càm tranfiffet fabbathum , Maria Magda Lorſque le jour du ſabath fut paſſé, Marie
lene, gir Maria jacobi & Salome emerunt aro Madelaine, & Marie mere de Jacques, & Sa
mata , ut venientes ungerent feſum. Marc. 16. lomé acheterent des parfums, pour venir em
baumer J E s u s.
Apparuit feſus primò Maria Magdalene , J E s us étant reffuſcité, apparut prémie
de qua ejecerat ſeptem demonia. Idem , ibid. rement à Marie Madelaine, dont il avoir
chaffé ſept démons.
Maria stabat ad monumentum foris plorans. Marie ſe tenoit en pleurant déhors le fé.
Joan. 2o. ulchre.
Converfa est retrorſum, & vidit feſum Elle ſe tourna , & elle vit J e su s debout,
fiantem, & non fciebat quia feſus est, illa fans ſçavoir que ce fût lui , & penfant que ce
existimans quia hortulanus effet, dicit ei: Do für le jardinier lui dit : Seigneur, fi vous ra
mine, fi tu fustulisti eum, dicito mihi ubi po vez enlevé, dites-moy où vous l'avez mis,
fuisti eum, ćrego eum tollam. Idem , ibidem. & je l'emporterai. -
ancêtres avoient caché dans un puits très profond; mais que n'ayant trouvé puits, & quî .
que de la bouë, ils l'expoferent au Soleil ; & auſſitôt elle fût changée en ce fut changé
prémier feu , qui reprit fa nature & fes qualitez. C'est-là, ce me feble,une sn iis ; , .
figure aſſez ſenſible de Madelaine. Par les avantages de ſa naiſſance, & les
graces extérieures dont le ciel l'avoit ornée, & qui fervent fouvent de fonde-
ment à la vertu : ſon coeur étoit ſemblable à ce feu, qui par fes mauvaiſes du (oléil, re
habitudes, & fes inclinations aux vanitez & aux baffeffes de la terre, s'étoit devint feu ,
changé en bouë ; mais d'abord que ce limon füt expoſé aux lumieres de la
grace: on le vit changé tout d'un coup dans un feu ſacré qui conſuma toutes
les qualitez terreſtres dont juſques-là il avoit été comme étouffé. du changº
-
L’Écriture remarque que Balaam ſe voyant preſſé par le Roy des Moabites ment de
de lui donner quelque moyen pour triompher du peuple d’Iſraël, & de le
chaffer de fes terres, fe fervit d'un étrange stratagême. Si vous voulez, lui a
dit-il, faire périr les Iſraëlites, il faut que vous les rendiez idolâtres; tandis Prophe
qu'ils feront fideles à leur Dieu, ils ſeront invincibles: mais s'ils l'abandon Balaam don
nenɛ, leur perte est infaillible. Or rien n'est plus propre à les détourner du1 , -
culte de leur Dieu, que l'amour des femmes étrangeres : choifiſſez dans vos
P P p ij
484 POUR LE PANEGYR. DE SAINTE MADELAINE.
avoir É:e États ce:les qui vous paroîtront les plus capables de les ſeduire par leur beau
"*" té; faites-les voir à ce peuple, elles le corrompront facilement , & le feront
: aiſément paſſer de l'impureté à l'idolâtrie. Le Roy écouta avec plaiſir le dé
de Ma. teſtable conſeil de ce faux Prophéte ; les femmes Moabites cauferent bientôt
delaine pé- dans Iſraël tous les déſordres que Balaam avoit prévů. C'eſt ainſi que Made
chereſ Pºur laine pervertie, fervit en même temps d'instrument au demon, Pour corrom
in V.
. pre un granddenombre
contagicux de perſonnes,
ſes fcadiales , mais ennon ſeulementparentout
répandant les les
infećtant pardel'air
étincelics ce
pays, ftu itnpur, dont elle étoit ciie-tnéme embrazce ; ce qui a fait dire à faint
Pierre Chryfologae : Non folum peccatrix in civitate : fed totius civitatis fatta
peccatur: , quelle éto.t non ſeulement pecherelle , mais mérne le péché de
tcute la ville.
Notis ne . De tous les Justes de l'Ancien & du nouveau Teſtament, qui ne pouvoient
tou" , être juſtes fans étre dans la charité, il n'y a que Madelaine qui ait été loüée
a
is é anour. Din ani Loy; in de
laagde
feu. ſon obćïllance : Jacob , de la force : Moyle , de ſa douceur : David, de fa
1- dont l'a mifericorde. Jesus-CHRIST , dans l'Evangile , citime beaucoup la foy de la
mgur en r* femme Cananée, & celle du Centenier. Il approuve avec complaifance la fin
plicité de Nathanaël : il louë la pénitence de faint Jean Baptiste, & la haute
. connoiſlance que faint Pierre a des faints Mylteres : mais il fait un éloge ma
is louanges gnifique du ſeul amour de Madelaine. De Guciles ardeurs étoit donc embrazée
du Sauveur. cette Amante du Sauveur ; puiſque fon amour a mérité d'être trouvé grand
par le Fils de Dieu même ? Quels progrès doit avoir fait cet amour fi ardent
dans ſes commencemens ? Julqu'à quels excès peut-il être monté à la fin des
jours de cette fainte Amante ? Il n'appartient qu'au Fils de Dieu ſeul, qui a:
cauſé un tel embraſement dans le coeur de ſa bien-aimée, d'en avoir la con
noiſſance. - - - - - - - -
L’Enfant Peut on mettre devant nes yeux un portrait plus naturel & des dérégle
prolige „ mens de cette célébre Péchereſſe , & de ſon heureux retour, que le dérégle
* ment de l'enfant prodigue de l'Evangile , & ſon retour dans la maiſon de ſon
pere ? l’un & l’autre étoient allez bien loin. Par le prémier pas ils avoient
reto en la commencé à perdre Dieu de vűë, par le ſecond, la cupidité avoit dominé ſur
maiſon de , leur coeur, & corrompu toutes leurs aćtions ; par le troifiéme , ils avoient
feº P est perdu toutes les richeffes de l'ame. Ainſi l'un & l'autre, entierement défigu
. rez, paiſſoient des animaux immondes, vivans parmi les plus fales plaistis ;
ne pécheet mais tous deux ſentant leur infećtion, tirent , par un effet de la grace toute
f & conver puistante, leur remede de leurs defordres mêmes. Ils ſe lastent du vice , leur
tie. coeur n'est point nourri de cette viande empoifoanée. Ils penſent l'un & l'au
tre à rentrer dans la maiſon de leur pere, ils s'y préſentent , & ils y ſont re
çûs ; avec certe différence, qu'il n'en coûte preſque rien au prodigue. Il veut
feulement s’humilier, & être compté au nombre des mercénaires de ſon pere,
& il est mis au nombre des enfans ; il eſt rétabli dans tous ſes droits, au lieu.
que Madelaine ſe jetre aux pieds du pere de famille : elle les arroſe de fes.
larmes, elle les effůye de ſes cheveux, & pendant cette humiliante cérémo
nie, il paroît que Jesus-CHR1st ne fait pas arrention à la douleur de cette
humble péchereffe, puiſqu'il s'entretient avec Simon d'une longue parabole :
mais Jesus-CHRist , qui inſpiroit ce ſacrifice de Pénitence à Madelaine , étair
P A R A G R A P H E T R O IS I E M E. 485
tout occupé d'elle ; & il la mettoit au nombre de fes enfans, par le pardon
qu'il luy accordoit de tous ſes péchez. |
Je ne vois point de figure qui marque mieux les empreſſemens que témoi- , L'Epouſe
gne Madelaine , d'aller fe jetter aux pieds du Sauveur, pour y recevoir le des Cani:
pardon de fes péchez, que celle de l'Epouſe des Cantiques, que le Saint-Eſprit
nous repréſente comme le modele de la douleur qu'une ame doit concevoir de M iai
d'avoir perdu Dieu , & du déſir ardent de le trouver. Le regret que l'épouſe ne qui vient
avoit d'avoir perdu l'objet de fes plus tendres affections , la jette dans une herche le
extrême langueur : elle ſe conſume en ſoûpirs, ele va par tout , elle paſſe au "**P*"
travers des gardes de la ville fans s'étonner : les bleſſures qu'elle en reçoit ne
fervent qu'a augmenter ſon zéle: cile court par toutes les ruës, elle interro
ge tout le monde , & rien ne peut la confoler que la préſence de l'objet qu'el
le cherche avec tant d'empreſſement. Qui ne reconnoît dans cette peinture,
Madelaine touchée de Dicu, & pénétrée juſqu'au fond de l'ame , du regret
de l'avoir offenſé : Eile vient chercher le reméde à fa bleſſure, & enfin avec
uels fentimens vient-elle ſe jetter aux pieds du Fils de Dieu , pour implorer
miféricorde. -
s lui fait conſacrer à la pénitence, ſes yeux, fes cheveux, fes parfums, &
tous les inſtrumens de fa vanité, afin d'employer à fléchir ſon Dieu, les mêmes
armes qui ont fervi à l'offenſer. Voilà donc ces yeux autrefois fi criminels,
changez en deux fources de larmes ; cette bouche foüillée par tant de diſcours
trop libres, est maintenant collée aux pieds de l'Agneau fans tache, qui ef
face tous les pechez du monde ; ces cheveux, qui, pour parler le langage des
Peres, fervoient autrefois au démon comme de filets pour perdre les ames,
font maintenant employez à effuyer les larmes qu'elle répand ſur les pieds du
Sauveur ; & enfin les parfums qui avoient fervi d'attrait aux plaiſirs, répan
dent par l’uſage qu'elle en fait , la bonne odeur de fa vertu, & de ſa ſainteté.
Quelle merveille après cela, fi elle reçoit le pardon de ſes pechez? & fi pen
dant que le Pharifien l'accuſe , & que tous les aſſistans s'en ſcandaliſent, ſon
propre Juge la défend, & fi elle entend de fa bouche cet Arrêt favorable: Re
mittuntur ei peccata multa , quoniam dilexit multùm.
Combien Dimiffa funt ei peccata multa, quoniam dilexit multùm. Luc. 7. O chariré ar
foi gian dente de Madelaine ! que vous étes heureuſement récompenſée : Mais que
cette charité devoir être grande , puiſque Jesus-CHRist dit qu’elle a beau
coup aimé : multùm dilexit. Elle avoit péché toute fa vie ; il n'y a qu'un mo
sauveur, & ment qu'elle aime , & cet amour d'un moment l'emporte fur tous les pechez
comme elle de fa vie; parce que tout ce fond d'affećtion & de tendreſſe dont elle étoit ca
pable, & qu'elle avoit partagé entre pluſieurs objets différens pendant les an
nées de fes défordres, elle l'employa tout entier à aimer le ſeul Fils de Dieu.
le phalifien.Son amour eſt fi grand , qu'il lui fait pratiquer toutes fortes de verrus. Sa foy
lui fait reconnoître Jesus-CHRIST, non-feulement pour un grand Prophéte,
mais pour un Dieu. Elle lui témoigne une confiance entiere dans ſa
de; elle l'adore avec une profonde humilité; elle eſt diſpoſéé à ſouffrir la mort,
- s'il le falloit , pour l'expiation de fes pechez : mais elle en triomphe plus heu
* reuſement par ſon amour. Que cette vićtoire est douce, dit faint Cyprien , &
que le triomphe qu'une ame remporte ſur le peché, est agréable, quand c'est
l'amour qui en eſt la cauſe ! Tenera militia , delicati confičius, folo amore de
cunctis criminibus reportare vittoriam! Si l'amour de Madelaine pour le Sau
veur fut aſſez grand pour lui mériter le pardon de ſes pechez, il est difficile de
concevoir combien il s'augmente dans la fuire, par la reconnoiſſance dont la
miféricorde de fon Juge la remplit, & il eſt très évident que, fi beaucoup de
pechez lui furent pardonnez, parce qu’elle avoit beaucoup aimé, elle aima
beaucoup davantage, parce que beaucoup de pechez lui avoient été remis.
Le mod(Is Wides hanc mulierem ? Luc. 7. C'est un grand exemple que Jesus-CHR 1st
P A R A GR A P H E T R O IS I E’M E. 487
vous met devant les yeux, & que tous les Prédicateurs de l'Evangile doivent de Madelai
préſenter de ſa part à tous les pecheurs, & leur dire, fi vous ne faites péni- ne pénitente
rence comme cette pechereffe , vous périrez tous. Vides hanc mulierem ? & convertie
Voyez-vous cette femme mondaine ? c’eſt l'image d'une ame qui s'éloigne de 2
pechereſſe ayant appris que Jesus-CHR 1st mangeoit chez le Pharifien, appor
ra auſſi-tôt un vaſe d'Albâtre, plein de bonnes odeurs, & fe temant derriere
lui prosternée à ſes pieds, les arroſa de ſes larmes, & les cſľuya de fes che
veux. Voulez-vous à ſon exemple vous convertir parfaitement , rentrez en
vous-même ſitôt que vous entendez la voix de l'inſpiration divine , qui vous
rappelle, & conſidérez ſérieuſement l'état de vôtre ame. Vides hanc mulierem?
voiez-vous cette femme, qui eſt toute embraſée d'amour pour ſon divin Maî
rre?c'est l'exemple d'une ame parfaitemét unie à Jesus-CHR1st après ſa conver
fion. Elle marque l'amour qu’elle porte à Dieu dans fes foûpirs,dans fes défirs,
dans ſes aćtions,dans la paix de fon coeur,& dans la fidélité qu'elle garde à fon
Sauveur juſqu'à la mort Elle foûpire comme l'Epouſe des Cantiques;elle s'ex
hale toute en de faints défirs ; elle ne fe contente pas de ces déſirs,elle en pro
duit les effets,& denieure fi fidéle à ſon divin Epoux, qu'elle ne s'en ſépare ja
mais.Imitcz-la, abaiſſez-vous aux pieds du Fils de Dieu par une profonde hu
milité;foûmettez-vous à ſes ordres par une exaćte obéiſſance;uniſſez-vous à lui
par un amour fidéle & conſtant, fi vous voulez joüir du bonheur ineffable
de cette fainte Pénitente.
Sicut exhibuistis membra vestra fervire immunditie, & iniquitati, ad iniquita- Pour faire
tem : ita nunc exhibete
C’est-à-dire; que commemembra vestravous
autrefois fervire
avezjustitie, in fanttificationem.
fait ſervir une véritable
Rom. 6. &
vos ſens à l'iniquité, fé
& que vous les avez employez pour pécher : vous devez maintenant les faire :
de
fervir à la juſtice, pour vôtre fanćtification. Que l'un ſoit la régie de l'autre ;
que la même chair qui vous portoit au peché, vous porte à la penitence ; que choſe de
la même ardeur qui vous portoit au ſervice du monde, vous applique main- '
tenant au ſervice de Dieu. Dequoi vous plaignez-vous? on exige de vous des
fervices rudes & pénibles ; mais en avez-vous rendus de moins incommodes pour Dieu ,
& de moins pénibles au monde ? N'avez-vous pas fait & ſouffert pour une vi- que nous
le créature mille fois davantage , qu'on ne vous en demande pour Dieu ? On a ºns fait
vous demande maintenant que vous reprimiez les faillies importunes de vôtre
chair, & vous dites que vous aimez vôtre ſanté , & qu'il la faut ménager. de
Mais combien de fois l'avez-vous prodiguée dans les excès , ruinée par les xemple de
débauches, fans aucune crainte de la perdre? Autrefois vous veilliez fans ceſſe Madelaine
pour le monde, & pour fes biens périſlables : conſacrez maintenant quelques penitente.
heures du jour pour penſer à Dieu , & à la poſſeſſion de ſes biens éternels.
On veut que vous rompiez avec ces amis qui vous corrompent , & vous ne
pouvez vous y réſoudre : mais combien en avez-vous ſacrifié à vôtre ridicule
jaloufie ? On vous prelle de faire l'aumône, quand vous en avez le moyen ;
& vous dites que les temps font mauvais, que l'argent eſt rare : mais combien
avez-vous ſacrifié de bien au jeu & en dépenſes inutiles ? On vous demande de
veiller & de prier ; & vous dites que vous n’en trouvez pas le temps: mais
combien en avez-vous Palle en viſites » en frećtacles, en jeux, & en actions
f-andaleuſes ?
*.
P A R A G R A P H E T R O IS I E’M E. 489
Dans un moment cette ame expoſée à tous les troubles que cauſe immanqua- 4 e Madelai
blement l'amour du monde, commença à jouir d'un repos înaltérable.Dans un |
moment cette confcience déchirée de milie remords, commença à fentir cette
joye intérieure que donne une fainte aſsûrance, & que l'Ecriture compare à pechez.
un repas délicieux. Dans un moment cette pechereffe, délivrée de ſon peché
comme d'un fardeau qui l'accabloir , commença à fe trouver toute remplie.
de l'onćtion de la grace. Ce n'étoit point en ſe ménageant elle-même, en s'é
pargnant, en fauvant de ſes prémieres habitudes tout ce qu'elle en eût crû
ouvoir réſerver fans crime ; ce n’étoit point, dis-je, par là qu'elle ſe fût éta
& maintenuë dans un calme fi parfair.Mais c'est en ſe dépoüillant de tour,
en ſe refuſant tout, en s'immolant toute entiere elle-même,qu’elle ſe mit dans
une diſpoſition fi tranquille & fi heureuſe.Car au milieu de toutes les rigueurs
de la penitence, quel foûtien,& quelle conſolation étoit ce pour elle, de penſer
qu'elle ſatisfaifoit à Dieu, qu'elle s’acquitoit auprès de la juſtice de Dieu,qu'el- |
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. Frontofa ad fornicationem , frontofor ad Elle avoit perdu toute honte dans fes dé
bauches ; mais elle ſe fit enfuite le front
falutem. Idem, in Pfal. 125.
pour ne point rougir de travailler à fon falur.
słuia femetipſam graviterserubefcebat in Parce qu'au-dedans elle étoit extrémement
tus, nihil erat quod erubefceret foris. Idem. confuſe de fes crimes , elle n'avoit point fu
jet de rougir de les expier au-dehors.
Pænitentiam veram non facit , mist amor Ce qui fait la véritable pénitence , c'eſt
Dei, Cr odium peccati. Idem. l'amour de Dieu , & la haine du peché.
* Acceſſit ad Dominum immanda, ut redi Madelaine s'approche du Sauveur, foüillée .
ret munda ; acceſſie agra, ut rediret fana ; ” de crimes , & s'en retourne nette de fes ordu
arcestr confeffa , ut rediret pfefffa. Idem » res ; elle y vient toute malade qu'elle étoit ,
homil. 23. cx 19. & s'en retourne en parfaite fanté ; elle y
vient avoüer publiquement fes pechez , &
s'en retourne après une profeſſion publique
du fervice de Dieu.
si te deliquiffe memineris , faadeo ut Marie Si vous vous fouvenez d'avoir peché, fou
Magdalena, converſionis recorderis, ut tan venez-vous auſſi de la converſion de Made
quam ad Domini vestigia poſitus ; preteritas laine, afin que prosterné aux pieds du Sei
maculas laves. Idem , ferm, de Aſſumpt. 7. gneur , vous laviez & effaciez Vos pechez
par les larmes d'une parfaite contrition. . . .
Non folùm in domo Simonis flevit,ſed etiam Ce n'eſt pas ſeulement dans la maiſon d'un
post adventum spiritus Santti i ſemper enim Pharifien , que Madelaine a pleuré ; elle
dolebat, femper in vita fua flebat quºd com pleura encore après la venüe du Saint Ef
miferat. Idem , vel quis alius, ferm. z. ad prit; parce qu'elle avoit toújours un vif re
fratres in Eremo. gret dans le coeur, qui lui faifoit pleurer
amerement les pechez qu'eile avoit commis.
Maria Magdalena qua fuerat in civitate Marie Madelaine qui avoit été la pécheref
peccatrix, amando veritatem, lavit lacry fe de la ville ; par l'amour qu'elle avoit pour
mis culpas criminis. S.Gregorius homil. 25. la vérité, a effuyé de ſes larmes les taches de
in Evangel. fes crimes
vox veritatis impletur, dimiffa funt ei pec La parole de la vérité a été accomplie ,
cata multa quia dilexit multùm. Idem Ibi p't fieurs péchez lui ont été remis, parce
dem. qu'elle a beaucoup aimé.
Eget habuit obleếtamenta, tot de ſe obtulit Aurant qu'elle a pris de plaifirs & de diver
bolocausta ,crc. Idem homil. 33. in Evang. tiffemeos criminels , autant a-t'elle offert de
facrifices d'elle même.
Quod Maria culpabiliter exhibuerat , hec Ce que Made'a ne avoit employé avec
totum laudabiliter offert , Cr fuit tantùm crime , elle l'offre maiutenant à Dieu avec
PARAGRA PHE QU A T R I EM E. 9 I
in pænitentiá, quantùm effenderat in culpá. mérite, & a pratiqué autant de temps
Idem homil. 23.
# pé
nitence, qu'elle en avoit paſſé dans le crime.
9Mga prius frigida peccando remanferat Celle que ſes pechez avoient renduë froi
postmodum amando fortiter ardekat. ldem de & languiſſante, devint enſuite toute ar
homil. 2. y. dente en l'amour de Dieu.
Confideravit quid fecit, & noluit mode Elle conſidéra la grandeur des crimes
rari quid faceret. Idem homil. 33. qu'elle avoir commis , & elle ne voulut plus
obſerver de bornes ni de ménagement pour
les expier.
Diſcite quo dolore ardet, que flevere će Voyez quelle étoit ſa douleur ; puiſqu'elle
inter epulas non erubefcit. Idem lbidem. n'a point de honte de pleurer pendant qu'on
fe réjoüit dans un feſtin.
Sluia turpitudini ſua maculas aſpexit la Parce qu'elle conſidéroit les taches dont el
vanda , ad fontem mifericordia cucurrit, le fouhaitoit d'être lavée , elle courut à la
convivantes non erubuit. Idem , lbidem. fontaine de miféricorde, & n'eut point de
honte de paroître devant les conviez.
Hec à monumento Domini , etiam difcipu Elle ne s'éloigna point du tombeau où l'on
lis recedentibus , non recedebat. Idem homil. avoir mis le Sauveur , lors même que tous
z 5. in Evangel. les diſciples s'en étoient retirez.
Contigit ut eum fola tunc videret, qaa Il arriva qu'elle ſeule mérita de voir Jesus
remanferat ut quereret. Idem, lbidem. refuſcité, parce qu'elle étoit demeurée feu
le pour le chercher.
Flebat inquirendo, ó amoris fui igne fue Elle pleuroit en cherchant fon Sauveur, &
cenſa, ejus quem ablatum credidit ardebat toure embraſée d'un amour celeste , elle
deſiderio. Idem, Ibidem. fouhaitoit de voir celui qu'elle croyoit
qu'on lui avoit enlevé.
Neſcit tarda molimina Spiritus Saniti gra. La grace du . Saint-Eſprit agit prompte
tia. S. Ambroſius.
ment, & ne fçait ce que c'eſt que ces longs
retardemens.
Omnibus qui volunt veniam mereri ma Madelaine dans fa pénitence a fervi de
gisterium prastitit Magdalena. Idem l. z. de maître à tous ceux qui veulent obtenir le
Poenit. c. 8. pardon de leurs péchez.
Melius fuſcitata efi Magdalena , quam Madelaine a été plus véritablement restuf
frater ejus Lazarus , de magná mala confue citée , que Lazare ſon frere, étant délivrée du
tudinis mole liberata. S. Auguſtinus traćt. Poids de ſes mauvaiſes habitudes , comme
49. in Joannem. d'une tombe fous laquelle elle étoit enfevelie.
Magdalena non peccatrix folum, fed ip Madelaine n'étoit pas ſeulement péchereste,
fius civitatis fatta fuerat ipſa peccatum. S. mais elle étoit comme le peché de toure la
Chryſologus, ferm. 9;. ville. *
Q Q q ij
92 POUR LE PANEGYR. DE SAINTE MADELAINE..
4: pænitens mulier pafcebat intus, quàm Cette femme pénitente faiſoit intérieure
Pharifaus Dominum pafcebat foris. Idem ment un feſtin plus agréable au Sauveur, que
ferm. 62. - le Pharifien ne lui faiſoit extérieurement.
- Ne deſperetis feelerum magnitudine , quia Ne deſeſperez point pour la grandeur de
magna peccata , magna delebit mifericordia. vos pechez , parce qu'une grande n i éricor
S. Hieronym. in Joël. de de grands pechez.
Amor ubi advenit , cæteros in fe traducit Là où l'amour ſe trouve & domine , il
afectus, S. Bernardus ferm. 83. in Cantic. change & fait paſſer en fa propre nature tou
tes les autres paſſions.
“ Éluanta prerogative , quanto excellentia Quelle prérogative & quelle marque de
fuit quod reſurgentem à mortuis Christum préference du Sauveur à l'égard de Madelai
p
tangere meruerit.Idem ferm. de ſancta Mag ne d'avoir mérité de voir & de toucher le
dalena. Fils de Dieu reffuſciré.
Quis deſperare debeat, tantá peccatrice non Qui doit maintenant defeſpérer du pardon
folum venia in , fed & gloriam confequente. de fes pechez ; puiſqu'une telle pechereife
Idem , Ibidem. obtient non-ſeulemenr la remiſſion des fiens,
mais encore une éminente gloire dans le
ciel. -
sine ullo intervallo conjunguntur & la Il n'y a point eû d'intervalle entre les lar
cryme pænitentis percatricis , cr mifericordia mes de cette péchereffe , & la miféricorde
Salvatoris. Idem , lbidem. du Seigneur , l'un a ſuivi l'autre immédiate
nh Cnt.
: Illico quaſi Virgine castior verecondior que Cette péchereſſe eſt devenüe en un mo
evaſit, virgines quoque ipſas castitate ſupe ment plus chafte & plus pure qu'une vierge ,
ravit. S. Chryſoſtomus, homil. in Publi & même a fut paſſé les vierges en pureté.
canum & Pharif.
· Facta est Apostolorum Apostolam. Hugo Elle est devenuë l'Apôtre des Apôtres mê
:Cardinalis. mes, pour leur avoir annoncé la nouvelle de
*
la Réfuri ećtion du Sauveur.
Viếtima honestatis. Tertulianus ita Mag Terrullien appeile cette péchereffe , une
dalenam appellar. vićtime de la pideur & de l'honnéteté.
-
Dicam tibi quid valeant lacryma, Marty Je vous diray fincérement quelle est la
res fanguinem fundunt , peccatores lacrymas force & le pouvoir des larmes ; les Martyrs
fundunt : Magdalena non fudit fanguinem , repandent du fang,& les pécheurs des pleurs ;
fed fontes : lacrymarum profudit. Idem in Madelaine n'a pas verſé fon ſang , mais elle
Pſal. 5o. . . |
a répandu des ruiſſeaux de larmes.
4. Cujus vel faxeum pečius iila hujus pecca Quel coeur, fut il plus dur qu'une pierre,
tricis lacryms ad exemplum pænitentie non he feroit pas attendri par les larmes de cette
e:nolliant. S.Gregorius homil. 13. in Evan. péchereffe , & excité à la pénitence par un
g el.
Recipio pænitentes, fi lacrymis rigatos vide exemple fi touchant ?
Je reçois les pécheurs à pénitence, quand
ro. Greg. Nazianzen, orat. 2. de Baptiſm. , je les vois baignez de leurs larmes.
Ad diſcumbentem Dominum , mifericordia Madelaine pour ſe laver de fes iniquitez
fontem Magdalene purificanda cucurrit , cu courut promptement au Sauveur comme å
currit inquam , quia trahebatur interius. S. la fource de niféricorde , lorſqu'il étoit à
Laurent. Juſtinianus, ferm. in festo S.Mag table chez le Pharifien ; elle courut , dis je -
dalena. , parce que lui-même l'attiroit intérieurement
*
: PAR A G R A PH E : Q U A T R I E'M.E.
Christus ore fuº eam primam Reſurretiionis . Jesus-CHR1sr refluſcité déclara de fa pro
Evangelistam fecit. Simon. Castian. lib. 14. f bouche Madelaine fa prémiere Evange
- · liste, pour porter aux Apôtres la nouvelle
- ' - - - :: de cette Refärrećtion. : * = 1
- Quis hodie fie amat regnantem in cælof- - Qui eſt-ce aujourd'hui qui aime autant
cut Magdalena amabat in ſepulchro jacen. Jesus-CHR1sr regnant dans le ciel, que
tem, S. Bonaventura. ) Madelaine l'aimoit enſeveli dans le tom
- - ' * beau. i- - - - - f, , ) -
· Instrumenta peccati fecit instrumenta vir-. Elle a fait des instrumens de ſes crimes.
tutis. S. Euthymius. . " aurant de vertus, , , -
' ** , ,
Ipſos tibi pedes Christi facrarium & altare , Madelaine s'établir un fanétuaire & un.
constituit , in quibus libavit fletu , litavit aútel aux pieds de Jesus ; c'eſt là où elle fit
sunguento , facrificavit af étu. S. Paulin. un fàcrifice de fes pleurs , uhe offrande de
Epiſt. ad Severum. - ' fes parfoms, & une holocauſte des affećtions
.* - * 2 *** i - - de fon corur. - 2 . ' . . . , , :
PAR A G R A P H E
1. ' ', - - . , ' ' ' . . . 3 tu::. . . . . . , , , ,
CINQUIEM E.
* *
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2 • 1: i* -* *-
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toute l'Eglife , fçavoir, que Marie Madelaine a été ła même que Marie foeur -
de Marthe & de Lazare, & que ç'a été la pechereffe dont parle l'Evangeliste. ' ","
C’eft l'opinion de faint Gregoire le Grand, de faint Auguſtin, de faint Jérô- a .
me, d'Origene , & de pluſieurs autres: c'est donc ce que je ſuppoſe comme
certain, plutôt que de m'engager en des preuves qui feroient plus propres d'un
Commentaire ſur l’Ecriture, que d'un Sermon. * , ' . . .. . . ... . .
C'eſt une question qui fe préſente d'abord, & dont la difficulté fondée fur Explication
l'Evangile même a beſoin d'éclairciſſement: fçavoir fi les pechez de Madelaine de ces paro
lui furent remis, parce qu'elle aima beaucoup : ou fi elle aima beaucoup,
parce que fes pechez lui avoient été remis. A en juger par les paroles de l'E- ;
vangile, la prémiere de ces deux propofitions eſt incontestable, puiſque le pec
Sauveur du monde déclare en termes exprès que parce que cette pénitente a ta, quoniam
beaucoup aimé, beaucoup de pechez lui font pardonnez: Remittuntur ei pec- dilexit mul
cata multa, quoniam dilexit multàm. La ſeconde, quoique contraire en appa- » 7
rence, n'eſt pas moins certaine, puiſque c'eſt une conſéquence néceſſaire du "” |
Q Q-T iij i
494 poUR LE PANEGYR. DE SAINTE MADELAINE.
raifötinement que fait enfuire le Fils de Dieu, & qu'il tire de la comparaiſon
de deux débiteurs, dont l'un à qui l'on remet plus, ſe croit plus obligé d'ai
mer , que l'autre à qui l'on a moins remis. D'où Jesus-CHR 1st pretend con
elure,que Madelaine aimoit donc plus que le Pharifien parce qu'on lui avoit
Ibid. alus pardonné de pechez ; Quis ergo eum plus diligit ? estimo, quia is cui plus
onavit. Il est aiſé de concilier ces deux propoſitions : & nous pouvons dire
avec faint Chryſoſtoine , que l'une & l'autre eſt également vraye, c'est-à-dire,
qu'il est également vray, que Madelaine obtint la rémiſſion de fes pechez,
parce qu'elle avoit beaucoup aimé ; & qu'elle aima beaucoup, parce qu'elle
avoit obtenu la rémiſſion de fes pechez; en forte que le pardon que le
Fils de Dieu lui accorda, fut tout enſemble & l'effet, & le principe de fon
amour Car nous pouvons distinguer un double amour de Dieu,l'un qui préce
de la converſion du pecheur, l'autre qui la fuit ; l'un que appeller
amour pénitent, & l'autre , amour reconnoiſſant ; l'un qui fit rentrer Ma
delaine en grace avec JEsus-CHR1st, & l'autre, qui la fit pleinement correſ
pondre à la grace qu'elle avoit reçûë de Jesus-CHR ist.
Les quali- La pénitence, à la confiderer dans fon principe qui eſt la douleur & la con
tez néceſsi trition, a deux qualitez, dont l'une lui est effentielle , & ne doit jamais man
res ànela f:pé- quer, l’autre eſt purement accidentelle
l'autre ett identelle », & nee le
ſe trouve
tr que quanddla péni
la peni
tence est parfaire. Ce qu'il y a d'effentiel dans la douleur, eſt un amour de
dans celle de préference, par lequel nous aimons Dieu plus que nous-mêmes , plus que
Madelaine nôtre peché, plus que les cauſes du peché, plus que les effets du peché. Pré
ference abſolument néceſſaire ; de quelque nature que ſoit la pénitcnce, il
- faut que le pécheur aime Dieu par-deſſus tout ; qu'il ſoit prêt à quitter tout
- -- pour lui, plûtôt que de l'offenfer. Mais outre cet amour de préference, il y a
amour fenſible qui l'accompagne, lorſque la douleur ſe fait
*
--
fentir au-dedans, & qu'elle fe produit au-dehors. C’eſt en quoy confiste la
- . perfećtion de la pénitence, & c'est ce qui remet entierement, felon les Théo
. logiens, la coulpe & la peine. L'un & l'autre s'eſt trouvé au fouverain dégré
- 2 : d'excellence dans la converſion de Madelaine ; l'amour de préference, & Pa
* * mour ſenſible : Dilexit multùm. , ,, -
fervice de des fruits d une tranquille conſcience. Qu'il ait foin d'entretenir l'amour de
PAR A G R A PHE , C IN QUI EM E. ~ 495
Dieu dans ſon coeur,comme ce feu ſacré qui brûloit autrefois dansleSanctiai: Dieu doit .
rę, par les exercices d'une fidele pieté,& d'une humble perſéverance.Qu'il mar- étrº Plus
che en repos dans les voyes de la vérité, & qu'il aprende au bọur de courſe,
cette couronne de justice que le seigneura promiſe à ceux qui le ſeryen. "
Mais pour les penitens, ils ont été juſtifiez , ils, ont été reconciliez : double ceux qui ont
grace, & par conſéquent double amour. Il faut qu'ils réparent par des efforts cºnſervé
de charité,
l'ont leurs infidélitez
interrompuë paſſées, lequ'ils
; qu'ils rachetent tempsredoublent leurſe pieté,
, & qu’ils Parcs qu'ils
récompenſent des u sapteme.
pertes qu'ils ont faites, par les acquiſitions qu'ils font pour l'éternité; qu'ils,
rémontent à l'origine de la foy, qu'ils ſe remertent dans l'ordre & dans la
juſtice , & que par la force de l'amour & de la douleur, ils regagnent pour
ainſi dire , le mérite de leur innocence. Tout doit exciter leur ferveur : les
réflexions du pallé, les précautions pour l'avenir, l'expérience de leur foiblefle,
la vůë des miſéricørdes de Dieu , le délir de lni plaire, & la douleur de lui
avoir déplâ. Voila l'état de Madelaine ; toatest vif dans ſa converſion, l’em
preſſement qu'elle la pour aller à Jesus-CHRışT »Aes larmes qu'elle verſe,
l'humilité qu'elle témoigne, l'amour dont elle eſtembrafée. . . . . . . ,
: La promptitude
convertir, & le caraćtere
eſt le prémier retranchement de tous, les&délais
de la pénitence, c'eſt c, lui
quand
que ilje remar-
faut ſe La promla
que dans l'exemple de fainte Madelaine : Ut cognovit, dit l'Evangeliſte; auſſi- .
tôt qu'elle connût, c'est-à-dire, du moment que Dicului ouvrir les yeux, & ne.
que la grace, par ſes illuſtrations intérieures củt éclairé ſon eſprit, elle renon- Lue, 7. -
ça à ſon peché ; elle n'héſita point ; elle ne délibera point, elle n'écouta point " : .
l'eſprit du monde , qui lui perſuadoit de ne rien faire à la légere, & de ne pas ' ’
précipiter les choſes. Elle ne s'arrête pas à ces raiſonnemens, c'eſt-à-dire, à ces
artifices trompeurs que la prudence humaine oppoſe aux Pecheụrs , pour leur : .
perfuader que dans les chefes de Dieu, on ne peut proceder trop mûrement.
Qui balance, qui doute volontairement en matiere de foy ; est infidéle ; qui
conque délibére & héſite fut ſa converſion, est impénitent. Pourquoy ? parce
que la pénitence est une réſolution, & non pas une déliberation. Faire péni
tence, dit faint Chryſoſtome, ce n'est pas déliberer, c'est conclure ; ce n'est
pas difpofer, c'est écouter ; ce n'est pas vouloir ſe réſoudre, c'est être déja ef- .
fećtivement réſolu. Madelaine étoit convertie » parce qu'elle étoit déja réfo
-luë, & voilà pourquoi le Texte facré ajoûte : Ut cognovit: Que cette parole
exprime bien la promptitude de ſa converſion. Dès qu'elle connût ſes déſor
dres, elle en fit pénitence. On ne fait point pénitence , ſans connoître ſon cri
-me : mais auſſi on ne connoît pas ſon crime, qu'on ne ſe convertiſſe. N'at
-rendez donc pas que Madelaine différe juſqu'au lendemain pour ſe convertir;
i la véritable converfionne connoît point le lendomain »ɔ& la grace du Saint
: Eſprit ne ſouffre ni retardement, ni délai: Nestit tarda molimina Spiritus Sant
- ti gratia. " f: : : :, i, il , : , ; ;:i i: , , : :„ !
- Quelque haine que Dieu ait contre le peché, il n'en détruit pas la cauſe, Dieu en dé
z lors même qu'il l'efface par le pardon ; il laiſſe ſubſiſter la liberté, & les incli-truiſant le
z nations qui en ont été les principes, afin que nous las appliquions à faire une P a
pénitence pleine & entiere, en nous conſacrant à la gloire de Dieu. Comment
z cela ? C'est qu'il donne au pénitent, noe ſainteté conforme aux inclinations i
de fes paſſions mêmes qui ont ſervià le rendre coupable. Il corrige ce qu'il y 'a fait con
- - - -
– + – –" - - - - ----- ^
lui faiſant haïr tout ce qui eſt capable de détruire cet amour des créatures.
Que fait au contraire la pénitence dans un coeur ? c’eſt que rapprochant le pe
cheur de fon Dieu, elle produit en lui fon amour, challant tout ce qui pour
roit le détruire, & tout ce qui pourroit à l'avenir lui donner quelque atteinte: -
car c'est là toute l'effence de la pénitence: Pænitentiam veram non facit, nist Augustinus.
amor Dei, C$ odium peccati. - - * - *
De toutes les perſonnes dont il est fait mention dans l'Evangile, qui s'é- |
toient adreſſées au Fils de Dieu, il ne s'en étoit preſque pas trouvé, qui n'eût
eủ quelque défir d'un bien temporel, & qui ne lui eût fait des prieres intereſ- i- qui
fees : l'un le prie de lui rendre la vůë ; l'autre lui demande la guériſon d'un s'est aire fée
fils ou d'un domeſtique, &c. Madelaine eſt la prémiere qui s'adreſſe à lui par a
amour, qui le prie felon fes intentions, & qui le réconnoît pour Sauveur des
ames. Elle ne demande ni foulagement, ni commodité, mais le pardon de ſes *
pechez, & n'oſe même le lui demander, que par les marques de fon repen
tir. Elle eſt la prémiere qui a bien connû la fin pour laquelle Jesus-CHR i sr
étoit
dire , venu , quia porté
une oraiſon & uneà pénitence
ſes pieds un coeur Chrétien, & qui a fait pour ainſi r
Evangelique. , -
qu'elle eſt enflammée par le vent des paffions, quand elle s'empare du coeur
d’une femme qui a perdu toute pudeur : que d'embraſemens ne cauſe-t'elle
point ? que de ruïnes , que de pertes d'ames s'enfuivent ! Tel étoit l'état de
plus d'obligation de s'attacher au Fils de
Madelaine ; & elle avoit d'autant
Dieu, de l'aimer davantage, qu'il avoit eû la bonté de la retirer d'un plus
|
profond abîme , dont jamais elle n'eut pů fortir, fans une grace extraordi
-
Il 21 TC., -
}
498 POUR LE PANEGYR. DE SAINTE MADELAINE,
L'opération L'opération de la grace ne fe fait pas toûjours tout d’un coup ; elle pré
*}° F vient, elle diſpoſe, elle fait ſes avances, & ſes progrès. D'abord elle éclaire
ke l'eſprit, s'infinue peu à peu dans le coeur : enſuite elle attend l'occaſion. pour
à l'è- faire ſon coup, & pour faire paroître en ſon temps ce qu'elle a projetté, &
gard des au- diſpoſe de longue main. Mais elle ne garde pas cette conduite à l'égard de
P°e. Madelaine : car les prémiers rayons de la grace ne l'eurent pas plûtôt éclairée,
qu'elle découvrit, à la faveur de cette lumiere, l'énormité de ſes crimes, &
fMadelaine.
de la grandeur de ſes playes; ce qui la fit auſſi-tôt courir au medecin pour en
chercher les remedes : Ut cognovit quòd accubuiſſet in domo Simonis Leprost. Si
Luc. 7». tôt, qu'elle fçût où étoit le Sauveur, dès le moment qu'elle eût appris qu'il
étoit entré dans la maiſon de ce Pharifien, en cet inſtant même preſſée par
la violence de ſon amour, elle vint ſe jetter à ſes pieds; Ut cognovit. Elle ne
met point d'intervalle entre la connoiſſance de ſon mal , & la recherche du
reméde qu'elle y doit appliquer: Dieu attend quelquefois le pécheur à la pé
nitence, fouvent il patiente & il temporiſe : mais jamais les pécheurs ne font
s. amirof, en droit de faire attendre Dieu, qui veut une prompte obéiſlance : Nefcit tar
l. z. in Luc. da malimina Spiritus Santti gratia. Austi le Saint-Eſprit ne peut ſouffrir ces
6 • R• retardemens & ces remiſes, qui ne font que des artifices de l'amour propre
dans les pécheurs, qui tâchent toûjours de differer ce qu'ils ſe voyent obligez.
de faire. C'est ce que ne fit point Madelaine. Elle eſt éclairée d'un rayon de
lumiere, à la faveur duquel elle voit le mauvais état de fa conſcience ; elle
ne differe pas, elle n’ufe point de remiſe , elle profite de cette grace, la vé
hémence de fon amour l'emporte aux pieds du Sauveur, pour obtenir le par
don de ſes offenſes.
La confian- . La prémiere & la plus effentielle qualité que les Théologiens demandent:
3 M dans la pénitence , c’est une confiance entiere en la miféricorde de J E s u s
. C H R i s T. Ce remede ſouverain n’opere ſur les ames, qu'autant qu'elles ſe
co confient dans fa veitu. C'eſt cette confiance que le Sauveur demandoit à tous.
Sauveur fût les malades qu'on luy amenoit de toutes parts, pour être gueris de leurs in
firmitez , & qui étoient autant de figures des differentes fortes de pécheurs..
: Le Fils de Dieu leur demandoit s’ils croyoient qu'il les pût guérir, & il leur
? . diſoir, en les renvoyant , que leur foy, c'eſt-à-dire , leur confiance, les avoit:
en fut bien fauvez: Fides tua te falvam fecit. Auffi est-ce cette confiance qu'on remarque
1eçûë. dans la pénitence de Madelaine ; elle eſt fi perſuadée que Jesus-CHR1 sr la.
*“7” peut guérir, qu'elle ſe contente de lui découvrir les playes mortelles de ſon,
ame. Elle ne lui demande point ſa guériſon, mais elle l'attend avec une hum
ble confiance , de celui qui n'est pas venu pour appeller les justes, mais les
pécheurs.
Les pecheurs Il est constant que les pécheurs qui ont donné de mauvaiſes éxemples au
prochain, & cauſé un ſcandale public par une vie débordée , doivent auſſi ré
parer par une pénitence publique tout le dommage qu'ils ont fait aux autres.
obligez de C’eſt ce que Madelaine a parfaitement connu & accompli. Elle avoit fait de
le reparer ſa vie un ſcandale public ; elle avoit cauſé beaucoup de péchez par ſes mau
vais exemples, ſon amour & ſes déréglemens étant publics. Maisdans fa con
laine. verſion, ſon amour la porte à réparer tous ces dommages : elle veut faire pé
nitence à la vůë de tout le monde, & paſſer dans toute la ville pour une péni
tente publique, afin d'expier ſes pêchez, & réparer dans la fuite par une vie
P A R A GRAP H E C IN QUIEM E. 499
auſſi éxemplaire , qu'elle avoir été déréglée , tous les dommages que le pro
chain avoit pů ſouffrir de fes débordemens.
Les péchez pardonnez doivent être fans doute de puiſſans motifs d'amour, Les pechez
& de reconnoiſſance au pénitent, pour s'exciter davantage à aimer Dieu. Car pardonnez
quelle obligation ne devons-nous pas avoir à ſa bonté ? S'il eût fait justice, il
nous auroit ôté la vie , dès le prémier moment que nous l'avons offenſé.
Quelle reconnoiſſance donc ne devons-nous point avoir à la miféricorde de pecheurs pé
Dieu, pour nous avoir prévenus , de nous avoir appellez, de nous avoir reti- nitens d'ai
rez de l'abîme de nos crimes , de nous avoir fi fouvent pardonné. Si nous "**Pi*".
voulons être reconnoiſſans des bontez de Dieu, nous ne pouvons trouver de
Plus parfait exemple, que celui de Madelaine. Elle avoit été une grande pe
chereſſe, beaucoup de pechez lui avoient été remis, c’eſt ce qui fit qu’elle
aima beaucoup , & qu'elle crût devoir proportionner fon amour autant qu'il
étoit en elle à la grandeur du bienfait qu'elle avoit reçû du Sauveur , dans
la remiſſion de fi grands excès que les fiens.
Les Théologiens mystiques remarquent que fainte Madelaine pratiqua plu- Les vertus
fieurs vertus dáns cette ſeule action de ſe venir jetter aux pieds du Sauveur. I finte
* 19. Une grande foy, une grande eſtime de Jesus-CHR I st , qu'elle croit fer
mement etre le Fils de Dieu, & avoir la puiſſance de remettre les pechez, & -
de les lui pardonner. 2o. Une grande connoiſſance du mal que le peché cau- feale astion
fe à l'ame, étant venue à lui, non pour ſes infirmitez corporelles, comme chez Simon.
les autres , mais pour les ſpirituelles. 39. Une généreuſe humilité, un mé
pris de fon propre honneur, n'ayant point de honte de comparoître devant
une fi grande compagnie, chez un Pharifien, fe fouciant peu des mépris, &
fejettant aux pieds du Sauveur. 4º. Une vive douleur qui paroît au dehors ;
car elle lave les pieds de Jesus-ChR1sr avec ſes larmes, pour laver en mê
me temps les affećtions déréglées de fon ame ; les eſfuyant & nettoyant
avec ſes cheveux, les embaumant , les baiſant, en ſigne d'une parfaite re
conciliation avec Dieu, & d'un tendre amour pour lui. Jo. Une pénitence
exterieure, employant en autant d'inſtrument de fatisfaćtion, tout ce qui
avoit été cauſe de ſes déſordres; ſes yeux, ſes cheveux, fes levres , ſes par
fums, -
L'effet du peché, fur tout quand il eſt formé en habitude,est de nous rendre Comme le
honteux pour le bien, & en même temps hardis & effrontez pour le mal. Au rend
*
lieu que Dieu ne nous a donné la honte, ou, pour parler plus exaćtement,
le principe de la honte, que comme un préſervatif contre le peché, le peché pour le bien,
dont le
nous caraćterecette
employons eſt dehonte
pervertir en toutes
à ce qui devroitchoſes
être lel'ordre
ſujet dedenôtre fait que
Dieu,gloire, je & effrontez
le
veux dire aux exercices & aux devoirs de la pénitence Chrétienne , & que
nous faiſons gloire de ce qui devroit être le ſujet de nôtre honte, c'eſt-à-dire, faire péni
du péché même. Ainſi un
d'être impic & libertin ; &homme du fiecle
il ne s'en aura
fera pas fait :une
caché profeſſion
forme-t'il publique rence
la réſolution , on a
honte de re
de changer de vie, dès-là il devient timide , & n’oſe plus , ce ſemble, paroî
tre ce qu'il veut être, & ce qu'il eſt. Il ne rougifloit pas d'une action crimi- poin e de
nelle, & maintenant il rougit d'une aćtion de pieté. De même une femme du honte de
monde ſe fera peu mife en peine de cauſer du ſcandale à toute une ville , & :
en cela elle ſe fera renduë indépendante des reſpećts humains ; mais qu'elle |
R R r ij -
*
fe faire re maximes » affoiblir le pouvoir, & détruire l'empire, qu'il avoit fi tyranni
quement ufurpé. Il falloit commencer par un cºup d'éclar, qui le pût accré
pour Sau- i diter d’abord , & donner quelque marque de ſon pouvoir ; or il ne pouvoit
veu "" ; choiſir une perſonne ni plus connue , ni engagée plus avant dans le parti de
ce redoutable adverſaire , ni qui y fut enfin attachec par des liens plus forts,
par un coup & plus difficiles à rompre » que l'étoit Madelaine ; Parce que , pour la retirer
éclat dans de ces engagemens funeſtes , il falloit faire trois choſes egalement difficiles ;
la con" - il falloita déſabufer des charmes du monde , dont elle étoit enchantée au
delà de ce qui ſe peut imaginer. Il falloit en détacher fon coeur, qui avoit
- un penchant incroyable aux plaiſirs & aux divertillemens. Il falloit enfin
toit Made- qu’elle paſſàt par deſſus toutes les conſidérations qui pouvoient la détourner
lainc. faire une déclaration fi publique d'une converſion qui alloit faire le ſujet
sentretiens de toute la ville: autant de circonſtances qui marquent la force
& la grandeur de fon aniour. -
De quel La honte, dans la pature , eſt une paffion affez inutile : mais dans l’ordre
ufagº eſt la de la grace , elle est d'un grand uſage. Avant que nous commettions le pe
4 --
P A R A G R A PH E C IN QUI E ME. 5o1
ché, c'est un frein qui, ſuivant la penſee de Tertullien , nous empêche de honte dans
courir à nôtre perte ; elle nous fait voir la laideur du peché, & nous en fait |
eraindre les approches. Mais après que le peché eſt commis , quand nous
avons logé ce monstre dans nôtre ſein , nous pouvons la mettre en uſage pour avan, foie
fairepénitence , com me dit le même Tertullien , & pour expier nos pechez ap ès.
par ſon application même. Que fait cependant lefdémon ? il renverfecct or
dre de la grace : it nous ôte la honte, quand il est question de pecher; mais il
la rend après que nous l'avons commis , quand il eſt queſtion de ſe convertir
& d’en faire pénitence. C'eſt ainſi que le démon de l'amour fe comporte en
vers Madelaine ; il lui ôte la honte & la pudeur fi naturelle aux de
fon ſexe quand il lui fait commetre une infinité de péchez, & la rend hardie
& effrontée dans tous fes déréglemens : mais il a foin de lui remettre dans
l'eſprit une mauvaiſe honte lorſqu'il s'agit de faire pénitence. Dieu , au con
traire, ménage dans l'eſprit de Madelaine , ces deux fortes de honte ; il les
tempére de telle forte , qu'il lui laiſle l'une & l'autre, mais il tient cette con
duite à ſon égard pour differens defleins. Il laiſſe dans l'eſprit de cette fainte
pénitente cette honte qui précede le peché pour l'empêcher d'y retomber ; il
Îui laiſſe celle qui fuit le peché, non pas pour empêcher ſa converſion par la
honte de déclarer fes crimes: mais pour la faire triompher du peché avec
plus de courage & de force, & pour réparer par ce moyen la gloire qu’elle
avoit ôtée à Dieu par la hardiefie qu'elle avoit eủë en le commettant.
Ce n'est pas affez de correſpondre à la grace, il faut y correſpondre de la „Ma laine
maniere que la grace nous inſpire ; ce n'est pas aſſez de vouloir être à Dieu , .
il faut y vouloir être comme il le veut. Si Madelainc fe fût ménagée, fi elle
eût voulu écouter les raiſonnemens humains, fi elle eût voulu atrendre pour humains
Pharifien,
la gracedufe fût-elle
êtreouverte un ; temps fa con
prendre un lieu
plus propre d'un que
celuiretiré
queplus maiſon
festinla; peut retirée fi elle eſt
eût voulu ſeulement régler ſes commerces fans les rompre ; ſuivre J E s u s- n.
C H R i s T fans quitter tout-à-fait le monde : le Sauveur ne fe fût pas ac- ne à tous les
commodé de tous ces tempéramens. Il vouloit qu'elle fût toute à lui: & que, Pecheurs qui
comme elle ne s'étoit point ménagée quand elle avoit voulu contenter fa
paſſion , & ſuivre le penchant de ſon coeur : auſſi vouloit-il qu'elle ne ſe mé- .
nageât point quand il s'agiſſoit de fuivre & de contenter Dieu. Elle le fit,
& c’est pour cela qu'elle fût une parfaite pénitente , qui ſe haït plus elle-mê- .
Inc , qu’elle ne s'étoit aimée, & qui aima plus fon Dieu , qu'elle n'avoit ai- -
PA RA GRAPH E S I X I E’M E.
continüelle
de du ſiéclerendent
tous les fiateurs , & plusidolâtres
encored'elles-mêmes
leur amour propre, le plus
; qui n'ont dangereux
d'autre étude Patton--
que celle de parer leur corps par des ajuſtemens ſouvent indécens, & d’em
Ploy, que le de l'art, pour réparer les défauts, ou pour perfectionner
les graces de la nature, qui ſongeant à gagner des coeurs, & ne ſongeant pas
à garder les leurs, cherchent les occaſions de recevoir dans leur » OUli
d'introduire en celui des autres, des affections dangereuſes, & comprent mal
heureuſement leurs les paſſions qu'elles ont cauſées, ou par cel
les qu'elles ont priſes. Repréſentez-vous Madelaine dans Jéruſalem, ainſi oc
cupée du défir de voir , & d’être vâë ; négligeant & ſon honneur, & ſa con
fcience, ſe mettant au-deſſus des devoirs & des bienſéances de fon ſexe , déro
bant des ames à Jesus-CHR ist dans le temps qu'il ſe fatiguoit, & que par
fon exceſfive bonté, il ſe préparoit à mourir même pour la ſienne.
tez-vous enfin l'oifiveté, le foin de plaire , la paſſion de paroître, le mauvais.
employ du temps , & tous les autres défordres, qui ſont preſque inévitales,
quand la vanité n'est pas moderée par la crainte de Dieu, ni la beauté réglée
par la modestie. Il faut un coup extraordinaire de la puiſſance de Dieu & de
fa bonté, pour réduire une ame, que les foibleſſes de ſon ſexe, l'ignorance
de ſon état, les inclinations de ſon coeur, & une complaiſance enracinée at
tachent au monde, empêchent d'aller à Dieu. Il faut un fecours puiſſant, qui
la foûtienne dans fes infirmirez ſpiritüelles; une lumiere vive, qui lui décou
vre ſon interieur, pour lui en faire voir la difformité, & la faire rentrer en
elle-même ; un amour du Créateur, qui par une douce violence, chaffe l'a
mour des choſes créées. Le Fils de Dieu l’éclaire, la met elle-même devant:
fes yeux avec toute l'horreur du peché : voilà ſa douleur. Il ſe préſente lui-mê
même à elle, avec tous les attraits de fa grace : voilà fon amour. Elle court:
à Jesus-CHR1 st., pour lui demander plus par ſes larmes que par ſes Paroles,,
fon ſalut, la ſeule choſe qu’elle ſouhaite. Mr. Fléchier.
*
reur d'elle-méme, & ne ſe put ſouffrir. Voilà le prémier effet de l'amour de tôt qu'elle
Dieu, quiyeux
ouvre les entrededans un coeur
l'eſprit, au ;lieu
en que
même temps qu'il déteſte
l'aveuglement naît defon peché,que
la paffion il “ lumie
l'on a pour les choſes de la terre, ainſi que parle le Sage : Faſcinatio nugacita- sapient. 4.
tis obſcurat mentem : & inconstantia concupiſcentie tranſvertit fenfum. De maniere
l'on peut dire que la raiſon pour laquelle tant de perſonnes font fi furieu
ement entêtées des vanitez du ſiécle, & fi fortement attachées à tant d'amu
femens, c'est qu'elles aiment le monde, & conſequemment, qu’elles n'ai
ment point Dieu , comme conclud le Diſciple bien-aimé : Qui diligit mun- 1. faan. 1:
dam, non est charitar Patris in eo. Mais mettez une étincelle de charité dans
ce coeur, elle y portera la lumiere avec le feu ; elle fera tomber ce charme,
diſſipera l'illufion, & lui fera voir les véritez éternelles dans un autre jour
qu'il ne les avoit encore apperçûës. On ne vous aime point, ô mon Dieu,
c'eſt pourquoi on est aveuglé. Voyez cette femme, ou cette fille mondaine :
uniquement occupée du foin de ſon corps, & qui mene une vie remplie de
déſordres; elle ne voit pas le malheureux état où elle est, ni combien fon
ame eſt corrompuë ; c'est pourquoi elle ne s'applique qu'à ſatisfaire fes ſens,
& à goûter les plaiſirs de la vie. De là le luxe, la liberté de la converſation,
& les cajolleries; de là cet oubli de Dieu , de l'éternité, & de toutes les véri
tez Chrêriennes. Si elle étoit touchée des ſentimens de Dieu, comme le fut
Madelaine, la douleur de fes pechez , & la componćtion, qui est le prémier
fruit de la charité, lui feroit imiter la pénitence & la converſion de nôtre pe
cherefle, qui est déja bien changée, puiſqu'elle est entierement réſoluë de re
noncer au monde , & à ſes Le même.
Auffi tôt que l'ame de Madelaine fut éclairée d'un rayon de grace, & qu'à l'admirable
la faveur de cette divine lumiere, les ténebres qui l'aveugloient furent diffi
pées: Ut cognovit; quel changement ſe fit-il dans ſon coeur! La honte, la con
fufion, le regret, la douleur, le défir, la crainte , & la vengeance , toutes la grace di
ytesaccoururent
qui avoientenoccupé
foule &juſqu'alors
en tumultefon
; elles
ame;en&chaſſerent
ce fut en ces paſſions favori-
ce tribunal anvent l'eût
ſecret, éclairée.
que faiſant toute ſeule le perſonnage de Juge & de témoin, de criminel &
d'exécuteur de la justice divine, elle instruiſit elle-même fon procès, agiſſant
déja en cela contre les maximes du monde, où c'est une injustice de ſe porter
pour juge & partie, fur tout en fa propre cauſe. Elle accuſa fes ſens d'avoir
ouvert la porte de fon ame aux vanitez & aux objets laſcifs, aux bagatelles &
aux amuſemens du monde ; elle reprocha à fa raiſon de l'avoir ſéduite , après
s'être elle-même laiſſée tromper par des menſonges, & par de fauſſes illu
fions. Mais ele s'emporta fur tout contre fa volonté, qui par la plus lâche des
perfidies avoit donné retraite au peché, l'avoit nourri & fomenté dans fon
fein, & avoit conſpiré mille fois avec lui fa perte, & la ruine de fon inno
cence ; & s'étant enſuite armée d’un faint zéle contre elle-même, & contre ce
corps de peché qui avoit tant de fois mis ſon ame au hazard de périr éternel
lement; elle ſe condamna elle-même à de rigoureuſes auſtéritez, réſoluë de
priver tous fes ſens de leurs fonctions ordinaires,& de faire une pénitence qui
devoit durer aurant que ſa vie. Sermon manuferit: e
L'aſsûrance que le Sauveur donna à Madelaine que ſes pechez lui étoient La paix &
remis en conſidération de fon ardente charité, lui épargna les troubles & les la tranquili
Paneg. des Saints. Tome I. f
3o6 POUR LE PANEGYR. DE SAINTE MADELAINE..
agitations que reffent d'abord une conſcience embarraſſée de mille choſes dif
l. ficiles à éclaircir , ou engagée dans mille intrigues, qui demandent beaucou
de Dieu le de diſcuſſion; ce qui fait dans un pecheur un cahos également affreux à voir,
pardon de & difficile à débrouiller. Non, Madelaine n'avoit rien à craindre de ce côté
là , après la fentence de ſon Juge , prononcée en ſa faveur. Mais elle ſçavoit
qu'elle étoit obligée de fa part, à une condition difficile à accomplir, qui eft
corda. de changer de maniere de vie par la fuite ; auſſi pour s'ôter en quelque façon
le moyen de la continüer, elle y renonce par une aćtion d'éclat , en entrant
chez le Pharifien, pour y pleurer & déteſter ſes pechez aux pieds du Sauveur.
Ses abondantes larmes marquent fon intime regret, & autant de baiſers qu'elle
donne aux pieds du Sauveur, font autant de gages qu'elle donne à fon Libe
rateur,de la fermeté de ſa réſolution, & du détachement de tous les objets qui
avoient fi indignement occupe ſon coeur.L'Auteur des Sermonsfur tous les fujets.
L'heureuſe Ce fut pour Marie Madelaine une heureuſe avanture , ou plêtôt une de
rencontre ces favorables occaſions , que la grace a coûtume de ménager, pour nous fai
re ouvrir les yeux fur le malheur où nous ſommes engagez, qu'elle entendit
:: quelques-uns des admirables diſcours que le Sauveur fit au peuple; & peut
entendu prể être que la curioſité l'avoit portée comme les autres, à entendre un homme
cher le sau- qu'on regardoit comme un Prophéte puiſſant en paroles , & en oeuvres, &
: qui après lequel le monde couroit en foule. Elle ſe reconnût dans le portrait que
ce Prédicateur fit de fes déſordres, & du déplorable état d'un pécheur qui a
converfon abandonné Dieu. Elle écouta avec confolation les charitables empreſſemens
de
BČ•
Madelai- force
avec leſquels Dieu comme
de la ramener un bon
au bercail. Elle Pasteur, cherche
y apprit que la brebis
le Dieu égarée, & s'ef
des miféricordes ne
veut point la mort du pecheur, mais l'attend à pénitence, & a toûjours les
bras ouverts pour le recevoir ; peut-être même fut-elle préſente à la peinture
fenſible qu’il fit de ſa mifèricorde divine, dans la parabole de l'enfant prodi
gue. Quoiqu'il en ſoit , elle conçût que celui qui parloit avec tant de force &
d'onćtion, lui parloft de la part de Dieu ; & paſſant enſuite de ces diſcours
aux qualitez de fa perſonne, fon air majeſtueux & modeſte, fa douceur in
comparable, le zéle qu'il avoir pour le ſalut des pecheurs, la fainteté de fa
vie , & les miracles dont il autoriſoit fa miſſion , lui firent aisément com
prendre que ce n'étoir pas un homme ordinaire, mais que c'étoit ou un grand
Prophéte, ou le Meffie promis dans la Loy , & attendu depuis fi long-temps
Ainſi pénerrée juſqu'au fond de l'ame , des véritez aufquelles elle n'avoit ja
mais penſé, elle s'en retourna pour y faire à loiſir de ſérieuſes réflexions.
L'Auteur des Sermons fur tous les fujets.
Comm e Cette prémiere lueur de la grace jetta Madelaine dans une confufion de
N e penſées, qu'elle ne pâr bien démêler, juſqu'à ce que la lumiere croiſſant peu
aux prémiers à peu , & faiſant un plus grand jour , diffipa en même temps le charme qui
rayºn lui metroit un bandeau devant les yeux. Elle reconnât la vérité & le prix des
biens éternels: elle avoit on ignorez; ou mépriſez juſqu'alors. Elle recon
nût lavanité & l'illufion des chofes de la terre , dont elle avoit été fi long
biens éter: temps enchantée ; & un ſeul rayon de cette divine lumiere effaça toutes Ès
nels' : fur vaines idées de beauté, de plaifir, de grandeur, & de ces vains amuſemens
. d'une ame mondaine, qui ne ſe nourrit que de chimeres, leſquelles ne pa
les vaines - 3 *
ile roiſſent agréables, que Pendant que dure l'enchantement. Cette lumiere en
PARAG RA PHE S I X I E’M E. 397 avoit con
fin ayant mis tous ces objets dans leur juste point de vűë, Madelaine ſe dela
buſa des apparences trompeuſes de cette figure du monde qui paſſe, & per- choſes de la
dit en un instant toure l'estime & toute l'affećtion qu'elle avoit pour la baga- terre.
telle, & pour tout ce qui faiſoit alors, & ce qui fait encore aujourd'hui l'oc
cupation preſque unique des perſonnes de fon ſexe. § furent alors, je
vous prie , ſes ſentimens ? & qui pourroit dépeindre les agitations de ſon
coeurĚL'on peut dire ſeulement qu'elle ſe vit comme tranſportée dans un nou
veau monde, où d'autres objets frapperent ſes yeux & tous ſes ſens. Le même.
Que faint Luc nous eût obligé, fi après nous avoir tracé l'histoire de la , Peinture de
converſion de Marie Madelaine, il nous en eût voulu encore laiſſer la peintu
re, lui qui favoit, à ce qu'on dir, fi admirablement manier le pinceau: car
je m’imagine que ce feroit un ſpećtacle bien touchant , & bien capable d'at- du sauveur
tendrir les coeurs les plus endurcis, s'il nous avoit dépeint avec toute l'adreſ du monde.
fe de ſon art, cette jeune perſonne couverte d'un habit ſimple & modeste, le
coeur gros de foûpirs, le viſage pâle & abattu, les yeux baignez de larmes ,
qui ſe tenoit derriere le Fils de Dieu, en posture d'une perſonne criminelle,
lui lavant les pieds de l'eau qui couloit de fes yeux, comme de deux vives
fources, & les effuyant avec ſes cheveux, après avoir répandu deſſus des odeurs
& des parfums exquis, fans lui oſer parler que par des régards ſupplians, &
des foûpirs, qui tout müets qu'ils étoient, ne laiſſoient pas néanmoins de fe
faire bien entendre. Mais quelle conſolation feroit-ce de voir ce que le Sau
veur faiſoit pendant ce temps ? avec quelle douceur il traitoit cette pauvre af
fligée, avec quelle tendreſſe il regardoit couler fes pleurs, avec quelle bonté
il prenoit ſa défenſe contre l'orguëilleux Pharifien, avec quelle clemence il
l'aſsûra du pardon de ſes pechez, & avec quelle joye enfin il la renvoya en
paix, après avoir donné un témoignage public de la grandeur de fon amour ?
Mais ce que faint Luc n'a peut-être jamais ofë entreprendre, il ne faut point
attendre qu'une main plus habile que la fienne le puiſſe achever. Sermon
manuſcrit.
Permettez-moy de vous repréſenter le miſérable état où étoir Madelaine . Le pitoys
avant fa pénitence. C'étoit une fille de qualité, dans la fleur de fon âge, née ble état de
avec tous les avantages de la nature, dont elle avoit fait autant d'attraits du avant fa con
p - * y * *
peché, & autant de puiſſans appuis pour établir fon empite dans ſon cæur. :
Son humeur, & ſon naturel incapables de fe contraindre , la précipiterent en- la vie mon
fuite dans un abîme de déſordres ; en forte qu'elle avoit effacé toute la honte daine qu'elle
& la pudeur qui couvre le viſage de fon ſexe. Ses yeux n'étoient ouverts que "*"º":
pour tendre des piéges à ceux qui la regardoient; fa langue ne prononçoit
point de paroles, que pour faire couler le poiſon par l'oreille dans les coeurs ;
enfin fon viſage,fes habits,ſes airs,& fes manieres portoient les marques viſi
bles de fes déreglemens,qui lui ont donné dans l'Evangile le nom de pechereffe:
Erat mulier in civitate peccatrix. Il n'exprime point quel étoit fon peché ; mais L“ 7°
il en faut juger par rapport à la perſonne dont il & concevoir par là
que ce peché n'eſt autre que cette paffion honteuſe, qui deshonore ce ſexe,
dont la pudeur & l'honnêteté font la gloire & le partage ; mais Madelaine en
avoit tellement étouffé les fentimens, qu'elle portoit le nom de pechereſſe en
tre toutes celles qui vivoient dans le grand monde: Mulier in civitate pecca- * /":
trix. Elle étoit, comme l'explique faint Chryſologue, le ſcandale de toute la *"*" -
S ij
5ο8 POUR LE PANEGYR. DE SAINTE MADELAINE..
ville, qui lui en donnoit le nom de pechereſſe , comme ſi elle eût été la caufe
de tous les défordres qui s'y commettoient. Pour moy , je vous avouë que
j’ay de la peine à me perſuader qu’une fille de naiſlance , & de cette qualité,
dans les débordemens de laquelle toute une grande & illustre famille ſe fût
intereſſée, en fût venuë juſqu'à cette impudence , que de s'immoler de la for
te à l'infamie publique. Je croirois plûtôt que ſes plus grands défordres
étoient cachez; mais que le libertinage , les cajolleries, l'enjouement de fon
humeur, & la hantiſe de toutes fortes de compagnies l'avoient renduë un pié
ge du démon , & qu'elle eſt appellée pécherefle, parce qu'il n'y avoit rien en
elle qui ne portât au peché: fes yeux, par ſes regards ; fon viſage, par ſes
afféteries indécentes; ſa langue, par ſes diſcours trop libres; ſes cheveux, pour
être ajustez avec trop d'artifice; fes habits, pour leur fomptuoſité ; & enfin
tout ce qui paroiſſoit en Madelaine, avoit un air d'immodeſtie , & portoit un
caraćtére de peché tout particulier ; c'étoit la pechereſſe par une eſpéce de
prérogative # toutes les autres qui étoient en Jéruſalem. L'Auteur des Ser
. . mons fur tous les ſujets. -
Ma inº . Le Fils de Dieu, qui voyoit ce qui ſe paſſoit intérieurement dans Made
laine , ne lui dit pas , en guériſſant les playes de fon ame, ce qu'il avoit coû
iation qu'el- tume de dire à ceux qu'il guériſſoit des maladies du corps : Noli amplius pec
le avoir pri- care : vous voilà gueri, donnez-vous de garde de pecher une autre fois ; il
de chan- fçavoit bien que la réſolution feroit austi constante, qu'elle étoit fincere. Mais
ne penſez pas pour cela, qu'il n'en dût rien coûter à Madelaine , ou qu'elle
ne dût rien prendre ſur ſon naturel, & fur ſes paſſions. Elle éprouva tout ce
toutes les qu'il y a de plus ſenſible dans la ſéparation des choſes avec leſquelles on eſt
dificulez lié le plus étroitement par une forte habitude ; elle reconnut le violent effort
uincamc" qu'il faut faire ſur ſoy-même pour rompre les liaiſons dangereuſes où l'on s'eſt
-
n e engagé, pour ſe priver des compagnies agréables , & des autres divertiſſe
quand il , mens. Car enfin il faut convenir que ce n’eſt pas toûjours la même chofe de
faut non- pleurer durant quelque temps ſes pechez, & d'y renoncer abſolument. Saint
rachemens
- Augustin touché de Dieu, fe fentoit le cæur rempli de bons ſentimens, &
/ * • A - +
de faints défirs : il pleuroit même , & pouſſoit des ſanglots ; mais tout cela
pas le changement de moeurs que Dieu attendoit de lui ; il pleuroit
feulement ſes défordres, paſſez , & ne pouvoit ſe déterminer à régler ſa vie
pour l'avenir. Il n'en fut pas de même de Madelaine, elle pleura ſes pechez,
& elle les quitta au même moment , & comme l’opération de la grace fut
plus prompte dans elle, que dans ſaint Augustin : dès l'instant même qu'elle
eut reçû la rémiſſion de fes crimes; ce ne fut plus cette Madeiaine pechereffe,
cerre eſclave de ſes plaiſirs , cette fille plongée dans le luxe & dans la mollef
fc , & cette mondaine qui étoit le ſandale de toute la ville. Elle renonça à
rout , aujeu, aux divertiflemens, aux converſations, aux attachemens, aux:
Plaifirs: elle effaça juſqu'au fouvenir de tout cela , ou fi elle le conſerva, ce
ne fut que pour lui être un motif de pleurer le reste de ſes jours; de maniere
que l'amour de Dieu, qui prit une entiere poſleſſion de ſon coeur, y conſuma.
toure l'affection qu'elle avoit pour le monde , & pour fes amuſemens, dont
elle étoit auparavant toute occupée. L'Auteur des Sermons far tous les fu
1ets , G'c. -
Il n'y a . Sans doute qu'un coeur filong-temps dévoüé au démon, que celui de Ma.
P AR AGR A PH E S I X I E’M E. 5o9
delaine, n’étoit guere propre à faire un temple du Saint-Eſprit, & il étoit point de
bien difficile de le purifier , après avoir été profané par de fi grandes abomi- e
nations : mais les larmes d'une fincere douleur ont été un baptême, qui l'a ..
lavée de tous fes crimes, ſans y laiſſer la moindre marque de ſes foüillures paſ- ble péniten
fées : pour nous marquer qu'il n'y en a point qu'elles ne puiſſent effacer , ce ne lavent,
pourvů qu’elles partent d'un coeur véritablement contrit. Car la prémiere auſfi la pré
partie de la pénitence est qu'elle ſoit accompagnée d'une douleur fincere, que
l'Ecriture appelle douleur de coeur : Scindite corda vestra, strevertimini ad en est
me in toto corde vestro. Autrement elle manque dans l'effentiel, & n'est point douleur de
- - - - A - |- 2. – *"
reçûe de Dieu , qui regarde le coeur, & qui ne s'arrête point aux apparences,.* bl &Vérita
comme les hommes. C'eſt à quoy nous devons particulierement nous appli-
» n y - - - -
ſince
quer dans la pénitence de nos pechez , puiſque ç'en eſt comme l'ame ; ſans fil. 2«
quoy tout le reſte n'est rien, ou eſt compte pour rien. Le malheur est , que “
les larmes ne font fouvent qu’un figne équivoque de la douleur véritable que
Dieu demande d'un pecheur: car il faut qu'elles ayent un Dieu offenſé pour
motif, & le peché pour objet, fans cela elles font ſtériles & infi ućtueuſes.
C’est la douleur d'un Eſaü, & d'un Antiochus , dont l'un ne trouva point
de reſſource dans fa pénitence, comme dit faint Paul : Non invenit pænitentie Ad Heb. 1s
.locum , quanquam cum lachrymis inquifjet eam ; & l’autre fut rebute de Dieu ,
uoiqu’il ſemblât s'humilier, & qu'il nt les plus belles promeffes du monde :
Orabat hic ſcelestus Dominum , à quo non eſset mifericordiam conſecuturus. Le ***“hab.13
même en fon Carême.
Le Prophete Royal l'avoit bien dit , que Dieu ne mépriſe jamais un coeur Le pouvoir
conrrit , & pénétré de douleur ; & la vérité même nous affủte que les larmes
d’un pecheur qui retourne à Dieu par le motif d'une ſincere pénitence , cau
fent un nouveau furcroit de joyeaux Saints, juſques dans le fejour même des D :
délices. Auſſi peut-on dire que le Ciel regarde les larmes d'un pénitent, qui l'efficace de
pleure ſes pechez, avec de vifs ſentimens de joye, & qu'il ſemble que Dieu de
n'ait point de plus agréable objet à ſes yeux. Les Philoſophes ont confideré "“"**
les larmes, comme le prémier foulagement que la nature a trouvé à toutes -
i les diſgraces de cette vie ; parce qu'il n'y en a point qu'elles ne foulagent, &
l’expérience nous fait voir que les plus grands chagrins s'adouciſſent, & mê
me ſe diffipent par leur moyen. Mais il faut avoüer que dans la grace, elles,
font bien d'un autre prix, & d'un autre uſage , puiſqu'elles fervent à laver
nos pechez, & qu'elles font un baptême qui les efface, comme dit faint Chry
fologue : Lachryme peccata baptifant : De là viennent tous les beaux éloges serm. ro7.
que les Saints Peres ont donné aux larmes de la pénitence, pour marquer le
ouvoir qu'elles ont de fléchir Dieu , & de nous laver de nos crimes; juſques
à , qu'ils ne craignent point de les appeller le port de l’innocence , & l'heu
reux naufrage où le noyent tous nos pechez : Innocentie portus : naufragium Chryfest,
peccatorum. C'est à cet heureux port que Madelaine a ců recours après ſon de
naufrage : ce ſont les larmes qui ont avantageuſement réparé fon innocence,?":
& qui ont noyé dans l'abondance de leurs eaux toutes ſes iniquitez.Ainſi, com
me fes yeux avoient été les principaux instrumens de ſes offenſes, ils en devin
rent le remede. C'est par là que le feu d'un amour criminel eſt entré dans
fon coeur : c'est auſſi par là qu'elle l'éteint avec ſes larmes ; c'eſt par ſes yeux
qu'elle apris, & donné aux autres ce Poiſon ; c'est-là qu'elle en cherchs
SS fiiị
51o POUR LE PANEGYR. DE SAINTE MADELAINE.
l'antidote , & que fes mêmes yeux qui n’étoient que feu, ne font plus qu'une
fource de pleurs, qui la lavent entierement de fes péchez. L'Auteur des Ser
. ., mons fur tous les fujets , &c. Dans fon Carême.
On ne peut douter que la douleur de Madelaine ne fut bien violente, puiſ
i qu'elle eût la force d'effacer de fi grands pechez, & dans un fi grand nombre ;
de Madelai. Remittuntur ei peccata multa. Tant de penſées criminelles , tant de regards fi
ne für vio- immodestes, ces ſcandales fi publics , ces déréglemens fi honteux, la gran
deur de fa douleur les a effacez, fans qu'il en restât ni trace , ni vestige.
" Auſſi cette douleur est-elle immenſe, & s'étend fur toute fa vie, dont elle
qu'elle avoit regrette tous les momens employez dans le luxe , dans la vanité , dans le dé
commis. , réglement. Elle voit ſes pechez multipliez au delà des cheveux de ſa tête,
Hºm:33. in comme parle le Prophete, & elle meſure fa douleur à leur multitude : Con
Evangel- fideravit quid fecerat, & noluit moderari quod faceret, dit faint Grégoire le
Grand. Elle les rappelle dans fa penſée pour les détester, & fes yeux de
viennent deux fources de larmes, qui marquent le regret de les avoir commis.
Et comme ces pechez fi honteux, étoient dans une matiere , à qui l'on don
ne le nom d'impureté, qui devroit être commun à tous les crimes : quelle
devoit être, à vôtre avis, la violence de fa douleur, pour laver, effacer , &
détruire entitrement les foüillures d'une ame toute plongée dans le vice du
- monde le plus honteux ? Sans doute elles y fuſſent demeurées éternellement,
* · · - fi la violence de fa douleur ne les eût effacez par l'abondance de ſes larmes,
qui ont détruit les pechez qui lui tenoient le plus au coeur, & qui y étoient le
Les larmes
Ius fortement enracinez par de longues habitudes. Le même, au même endroit.
de la péni- Il est vray que le peché a des noirceurs qui ne s'effacent pas aiſément, que
at fes habitudes impriment un eſpece de caraćtere, qui ne fe perd fouvent qu'a
toates iesta- vec la vie ; & que comme les taches qui ont de l'acrimonie , pénétrent fi
ches de l'a- avant le ſujet auquel elles s'appliquent , qu'elles y laiffent des marques em
me les plus preintes, qui ne s’effacent jamais ; de même le crime a des noirceurs adhéren
tes, qui laiſſent dans l'ame un fond de corruption qui ne ſe détruit preſque
jamais entierement; mais les larmes d'une fincere pénitence ont tant de vertu,
qu'elles les effacent fans qu'il en reſte rien ; elles font un ſecond baptême qui
lave tous les pechez pour grands & pour énormes qu'ils puiſſent être ; elles
font , dit un Pere , comme ces torrens qui fe prêcipitent du haut des
montagnes, leſquels emportent toutes les immondices des lieux par où ils
paſſent,& ne laiffent rien dans leur chemin qu'ils n'entraînent, ou qu'ils ne la
. . . . vent. C'est ce que font les larmes d'une violente &d’une véritable douleur; fi
tôt que le regret de nos fautes les fait couler, elles ne laiffent plus d’ordures
dans la conſcience:elles ne deſcendent pas plûtôt d'enhaut,par la conſidération
d’une fouveraine Majesté qui est , qu’elles effacent toutes nos taches,
. , & fort comme un Baptême général de tous nos crimes. Le même.
pales "cir- ". . ., La
. pénitence de Madelaine fut publique, elle fut éclatante: In domo Pha
* * |- r
"" monde : un temps de festin, où tous les conviez devoient ſe rendre ; occafion
moins propre en apparence » pour le deficin qu'elle projettoit ; elle voulut
*
PAR A G R A PHE SIXIEME; yrr
que fa préférence parût aux yeux de toute la ville ; qu'on fût déformais ce
qu'elle étoit; elle voulut ſe déclarer une fois hautement , & s'engager pour
jamais par une aćtion d'éclat. Honteuſe d'avoir foûtenu pour le vice tous les
reproches d'une ville, que lui attiroit ſa conduite , elle veut aujourd'hui foû
tenir pour la vertu le mépris & les railleries qu'elle attend du monde après un
changement fi ſurprenant. Elle a fait gloire de fes déreglemens ; la grace a
changé cet ordre ; elle ne fait plus gloire que d'être à Dieu. En quelque lieu
u’elle rencontre le Sauveur, elle est réſoluë de ſe jetter à ſes pieds, & de
éclater fa converſion, le trouvât-elle dans une place publique. Elle ne
craint point les yeux du monde, elle les cherche ; elle entre chez Simon le
Pharifien, fans être connuë, fans parler à perſonne. Elle fe gliffe dans la falle
du feſtin, elle perce la foule, elle démêle au travers de l'aſſemblée celui qu'el
le cherche. Elle ne fait point excuſe de fa liberté, elle ne prépare point les eſ.
prits à un procedé fi extraordinaire, enfin elle a ie courage de mépriſer entié
rement le monde, occupée qu'elle étoit de l'amour du Sauveur. Le Pere
Cheminais. -
Lachrymis cæpit rigare ejus. Luc. 7. Madelaine avoit profané ſes Autres circ
yeux par des regards trop libres, par
les ames les plus innocentes; elle avoitdesindignement
traits empoiſonnez quiſescorrompoient
proſtitué karmes à l'a- constances.
de :
mour, au dépit, à la jaloufie ; elle expie ſes fautes par le facrifice de fes mê- ae
mes larmes. Ses yeux attachez aux pieds du Sauveur , & fermez pour jamais
à tous les objets profanes, en répandent des torrens; ce ne ſont point quel
larmes échappées qui fortent à peine des yeux, elles ſuffiſent pour arro
er les pieds de Jesus-CHR1 st. Et capillis capitis fui tergebat. Elle dénoué au
même temps fes cheveux, elle les mêle , elle les confond, elle en eſfuye les
ieds du Fils de Dieu. Elle a horreur de ſes vaines parures qu'elle a tant ai
mées : elle ne peut plus les ſouffrir, comme a dit faint Jérôme d'une illustre
pénitente de ſon temps ; elle hait juſqu'aux ornemens & à la beauté d’un vi
fage qui avoit pů plaire à d'aurres yeux qu'à ceux de Dieu. Et oſculabaturpe
des ejus, & ungebat unguento. Elle veut expier par des faints baiſers les liber
tez qu'elle a priſes autrefois ; elle répand avec profuſion les parfums dont elle
faiſoit autrefois un mauvais uſage. Rien n'a ſervi dans elle au peché,qui ne de
vienne un instrument de pénitence. Elle répare par un faint excès de douleur,
ces excès honteux où porte quelquefois l'amour profane jelle n'a pas la force
de proférer une parole pour implorer la clémence du Sauveur du monde.Mais
qu'auroit-elle pû dire qui approchât de ce qu'elle faiſoit ? que pouvoient ajoû
ter ſes paroles à ſes aćtions : fes yeux parloient pour elle. Il y a un langage
du coeur, que le monde n'entend pas, & qui eſt entendu de Dieu. Le même.
S’il m'étoit permis d'entrer dans le ſecret de l'ame de Madelaine, & d'en sentimens
développer le mystére, quels fentimens ſe ſuccederent en foule l’un à l'autre ; de Madelai
de douleur, de confufion, de repentire de reſpect; de tendreſſe ! Quelle hor- onverfion.
* * - • A
après fa
reur des égaremens de ſa vie , quelle fainte haine de foi-même, quels tranſ- -
leries qu'elle s'attireroit ; & c'eſt justement ce qui l'engagea à rendre ſon chan
gement public; pourquoi ? afin de glorifier Dieu par ſa patience, autant qu'el
le l'avoit deshonoré par ſon déſordre , afin de gagner à Dieu autant d'ames par
fa converſion, qu'elle en avoit perdu par fon libertinage ; afin de ſe mieux
confondre, & de ſe mieux punir elle-même par cette confuſion, de tous les
faux éloges,& de tous les hommages qu'elle avoit reçûs & goûtez avec tant de
conplaiſance. C’eſt pour cela qu'elle entre dans la maiſon de Simon le Phari
fien , remplie d'une fainte audace. Elle n'avoit rougi de rien, lorſqu'il s'agiſ
foit de fatisfaire fa paſſion ; & maintenant elle ne rougir de rien , lorſqu'il s'a
git de faire au Dieu qu'elle aime , une folemnelle réparation. On l'avoit vůë
dominer dans les compagnies, & maintenant elle veut qu'on la voye en poſ
ture de ſuppliante. On avoit été témoin du foin qui l'avoit fi long-temps OC
cupée , de ſe parer & de s’ajuſter, de fe conformer aux modes, & de s’en
imaginer de nouvelles ; & maintenant elle veut qu'on ſoit témoin du mépris
qu'elle en fait. Elle le veut, & ne le vouloir pas comme elle, c'eſt n'être pas
pénitent comme elle ; & ne l'être pas comme elle, c'eſt ne le point être du
tout. Le P. Bourdaloue.
Quand on veut ſe donner à Dieu, il ne faut rien faire à demi ; il faut un On ne peut
coup d'éclat pour mettre ordre à ſon falut. On a beau dire qu'on peut ſe con-guére ſe con
vertir,ſans rompre fi hautement avec le monde, voyez l'illuſtre pénitente Ma- tout
delaine ; des perſonnes moins vives, moins ardentes qu’elle, le pourroient *
peut-être : mais pour des gens extrémes, il ne peut y avoir de milieu. Voilà publiquemét
l'unique voye de falut qui nous reſte ; il faut que nous foyons tout à pour la ver
Dieu, ou tout
la vanité, au monde ; Traitons
à nous-mêmes. il faut un cette
faint excès
forte de
de ferveur quid'impraticable
pénitence nous arrache à, Pºur s'en
fc
d'indiſcrete, d'outrée , tant qu’il nous plaira ; il faut quelquefois aller juf- *
qu'à la fainte folie de la Croix, folie felon le monde , mais ſageſſe devant
Dieu ; & on peut aſsûrer avec vérité qu’il y a un grand nombre de pecheurs
aufquels le Royaume des Cieux eſt fermé fans cela. Le P. Cheminais.
Quelle joye pour Madelaine d'apprendre, non pas de la bouche d'un hom- ce fit un
ine, qui par charité nous raſsûre, & qui au fond n’en peut avoir nulle certi- grand fujet
tude ; non pas par le ministére d'un Ange viſible, député de Dieu pour lui por- à
ter une fi heureuſe nouvelle ; viſion qui pourroit être ſujette à l'erreur : inais : *
d'entendre du Sauveur même, cet oracle qui lui rend la vie, de voir que la ré- d.
miſſion de ſes pechez étoit un point décidé fi nettement, en termes fi précis même du
& fi marquez
falut, dont nulpar la vérité
autre même
ne peut , quefans
s'aſsûrer ce une
point le plus préſomption
témeraire important pour fon Sau surdele
, deve-
noit pour elle un article de fa créance, un point de foy, dontTelle
Paneg. des Saints. Tome I. Tt
ne pouvoit # *
;14 poUR LE PANEGYR. DESAINTE MADELAINE,
aoir une douter fans infidélité. Quelle conſolation de voir que tous les pechez d’une vie
. qui juſqu'alors n'avoit été qu’une ſuite affreufe de déſordres, font effacez en
un moment ; de voir tout à coup diſparoître tant de penſées criminelles, tant
de mauvais déſirs, tant d'aćtions & de paroles coupables devant Dieu ! Quel
le fatisfaćtion a une ame pénitente, d'avoir payé en fi peu de temps pour des
peines éternelles , qu'elle avoit tant de fois méritées ! d'avoir fi-tôt atteint un
état, où il eût été avantageux aux ames les plus parfaites de ſe trouver après
quarante ou cinquante années de la vie la plus auſtére ! de ſçavoir en un mor,
u’elle aimoir Dieu , & qu'elle en étoit aimée. Le même.
Comme les C'est la maxime que Madelaine a obſervée : ſes défordres avoient été
publics; elle veut que la fatisfaction qu'elle en fait, ſoit publique. Elle édifie
ceux qu’elle avoit ſcandaliſez ; elle mépriſe tout ce qu'elle a autrefois aimé -
bies, elle & ramafle tout cet amour qu'elle avoit diſperſé par les créatures, pour en fai
vçut que fa re un ſacrifice au Seigneur, où tout doit être brûlé par le feu celeste. Quels
projets de retraite ne fait-elle pas, pour expier ces libertez que donne le com
* merce du monde ? Quels arrêts ne prononce-t elle pas contre tout ce qui l'a
féduite, ou qui pourroit encore la féduire ? Quelle guerre ne déclare-t-elle
pas à ſes ſens, afin de leur faire païer par une mortification, & par une féverité
continüelle, les trahiſons qu'ils lui ont faites ? La Croix ne l'étonnera point;
elle ne craindra ni les reproches,ni les ménaces des Juifs. D'où vient que nous
tremblons au feul nom de la pénitence? que nôtre eſprit, & nôtre coeur friſ
fonnent, quand on nous parie d'humiliation,de fujétion,& de ſouffrances?que
tous nos ſens ſe révoltent contre les ſaintes féveritez de l'Evangile ! C'est que
nous regardons la pénitence, non pas comme un ouvrage du Saint-Eſprit,mais
comme le tourment & l'afflićtion de l’homme;c'est que nous ſommes fort éloi
gnez d'aimer Dieu avecla même ardeur que cette fainte Pénitente. Mr.Fléchier.
Comme L’amour fervent de Madelaine l’attache incontinent à Jesus CHR1 s T , la
Madelaine rend infenſible & au jugement, & aux reproches des hommes. Avec quelle
| réſolution entreprend-eile ſa pénitence ? Elle va fans être appellée, dans une
maiſon étrangere, troubler la joye d'un festin par une importune tristeſſe; ſe
pećł humain. jetter aux pieds du Sauveur, fans craindre ce qu'on dira, ou de fa vie paſſée,
ou de fa hardieste préſente , faire par cette aćtion extraordinaire, une confeſ
fion publique de ſes déſordres, & ſouffrir la prémiere peine de fes pechez,
& pour prémiere preuve de fa converſion, l'injuſte murmure que l'orguëil des
Pharifiens, & fa mauvaiſe réputation attireront fans doute fur elle. C'eſt la
prémiere qui a ofé confeſſer Jesus-CHR 1st devant les hommes, & qui même
en préſence de fes ennemis, n'a pas rougi de fon Evangile. Vous le fçavez, un
des principaux obſtacles à la converfiori des pecheurs, c'est une fauſſe pu
deur , & une lâche appréhenſion des jugemens ; & des railleries du monde.
Qu'un homme, après de longues réflexions fur ſa vie paſſée, vienne à s'éloi
gner du jeu , des compagnies, des emplois mêmes , où il ſçait par fa propre
expérience , qu'il expoſe fon falut; qu'il distribuë fes biens aux pauvres, &
qu'il aſſiste plus fouvent & plus décemment aux ſacrez Mystéres;qu’une Dame
encore à la fleur de ſon âge, renonce au luxe & à la vanité, & ſe réduiſe aux
régles de la modeſtie chrêtienne; qu'elle vifire les hôpitaux, & les Egliſes: on
cherche les raiſons de ce changement, l'on prend toûjours les moins charita
bles. On donne autant que l'on peut, un tour ridicule à ces converſions. C'est
- P A R A G R A P H E . SIX I EME. . . 515
u'on aime à ſe distinguer , c'eſt qu'on donne dans les nouveautez, c'est qu'on
fon humeur & ſon caprice, c'eſt la de l'eſprit humain. Par là com
bien d'aćtions de pieté font demeurées fans effet dans l'eſprit de ceux qui les
avoient réſoluës ? combien de pénitences naistantes ont été étouffées, & d'a
mes comme arrachées à Jesus-CHRIST ? Il en eſtà peu près, comme de ces
froids , & de ces gelées hors de faiſon , qui ſurprennent des fruits encore ten
dres & naiſſans, & leur ôtent par là toute eſpérance d'accroiſſement, & de
maturité. Madelaine furmonte cette tentation des reſpećts humains ; tout lui
est indifférent, horſmis ſon falut; rien ne la trouble que ſon peché, & s'il lui
reſte quelque gloire, c'est celle qu'elle peut tirer de fa confuſion. D'où lui
vient cette fermeté ? Les Peres en donnent deux raiſons. L'une eſt, qu'on ne
craint qu'à proportion que l'on aime. Or Madelaine n'a qu'un amour, & par
conſéquent qu'une crainte. Elle compte pour rien d'être jugée des hommes,
parce qu'elle ne réconnoît plus que Jesus-CHR i sr, & comme elle met toute
fon affećtion à le fervir, elle met toute fon appréhenſion à lui déplaire. L'au
tre eſt, qu'elle rougiſſoit tellement au fond de ſon coeur pour ſes défordres
paſſez, qu'elle ne voyoit rien au-dehors qui fût capable de la faire rougir.
AMr. Fléchier.
C'eſt une circonstance principale de la converſion de Madelaine, & pour Renoncer
ainfi dire, une feconde converſion; elle quitte fon peché en public, & à la publiq ismét
vůë du monde. C'eſt ce que l’on peut appeller juſtement un triomphe public, -
puiſqu'il faut un nouveau pour rompre les nouvelles difficultez di
qu'il faut combattre, je ne dis pas ſeulement, parce qu'il est malaiſé de pren- te, le triom
dre cette réſolution : mais parce qu'il y a de très-grandes difficultez dans l'exé- Phe e la pé
cution de cette pénitence. D'où vient qu'il y a bien des perſonnes affez cou- m.
rageuſes pour vouloir quitter le peché en ſecret, & qui dans le filence forment .
des réſolutions de ſe convertir, mais qui n'en ont pas affez pour rendre publi
ques les véritables marques de leur converſion ? Il y a de la honte à paroître
pénitent, puiſqu'on ſe confeſſe coupable ; & la crainte qu'on a d'être moc
qué des impies, ou de déclarer fes crimes en voulant les quitter, empêche de
faire paroître fa pénitence à la vůë des hommes. Sans doute que ces confidé
rations ſe préſenterent aux yeux de Madelaine au moment qu’elle alloit pren
dre cette importante réſolution, & ce d'autant plus que c'étoit une fille de
qualité connuë de toute la ville, qui ne pouvoit faire cette pénitence publi
que, fans attirer fur elle les yeux & les diſcours de tout le monde. Vous êtes
donc réſoluë, Madelaine, de vous convertir ; à la bonne heure, mais que ce
foit en ſecret; vous voulez aller trouver ce Prophéte, pour lui témoigner vô
tre douleur : choifiſſez du moins un temps & un lieu convenable au deſfein
que vous avez de faire pénitence ; vous lui voulez déclarer vos pechez, at
tendez qu'il ſoit dans le Temple ; cette fale , & le temps d'un festin ne font
pas favorables à vôtre douleur ; on ſe mocquera de vos foûpirs , & on parlera
déſavantageuſement de vos larmes. Ces raiſons euffent été puiſſantes fur un
coeur moins courageux que celui de Madelaine ; mais elle a trop d'amour &
de courage, pour ſe mettre en peine de ces reſpects humains que
repréſenter l'eſprit du monde. J'ay fait de mes pechez, dit-elle, un ſcandale
public: il est juſte que je faffe de ma converſion un exemple; jay été cauſe par
mes aćtions, de pluſieurs crimes: je veux les réparer par "; # s à la vůë
t 1)
sic PoUR LE PANEGYR. DE SAINTE MADELAINE,
de tout le monde. S. Auguſtin dit , que ſi ſainte Madelaine a été impudenre
dans le peché,elle a été plus impudente dans la pénitence:Frontofa ad falutem.
C'est ainſi que ce faint Doćteur appelle le courage invincible de Madelaine
dans ſa pénitence publique ; une fainte impudence qu'il forme fur fon front,
d'autant qu'elle triomphe de tous les obſtacles qui s'y oppoſent : Frontofa ad
falutem. Biroat dans fon Carême.
Tandis
l'on que
craint , Soyons bien perſuadez de cette maxime , & établiſſons-la comme une des
les jugemens régles les plus certaines de nôtre vie ; tandis que le reſpect humain nous do
des hỏ, mes, minera, tandis que nous nous rendrons eſclaves des jugemens des hommes,
& que l'on a tandis
f-
que nous craindrons d'être raillez & cenfurez, quoique nous faffions,
nous ne fommes point propres pour le royaume de Dieu. Qu'eſt-ce qui arrête
aujourd'hui les effets de la grace dans la piủpart des ames ? qu'eſt-ce qui em
it is. pêche mille converſions qui ſe feroient infailliblement dans le monde ? Un
ment propre reſpećt humain. Un homme dit : Si je m'engage une fois à mener une vie
au fervice de chrêtienne & réguliere, quelle figure ferai-je dans ma condition ? Une femme
dit : Si je renonce à ces viſites , & à ces divertiſſemens, quelles réflexions nC
Ciel. fera-t-on pas ? Avec cela il n'y a point de bons déſirs qui ne s'évanoüiflent ,
point de ferveurs qui ne s'éteignent. On voudroit bien que le monde fut plus
équitable, & qu'il y eût de la sûreté & peut-être de l'honneur à ſuivre le parti
de la vertu : mais la loy tyrannique du reſpećt humain nous retient, & l’on
aime mieux en ſe perdant, fe foûmettre à cette loy, que de fe maintenir dans
fa liberté, en fauvant foname. Madelaine en agit bien autrement; car comp
tant pour rien toutes les paroles des hommes, & foulant aux pieds le juge
ment que l'on fera d'elle , elle va fans aucune crainte des reſpects humains,
fe jetter aux pieds de Jesus-CHR 1st , où elle étoit perſuadée qu'elle recevroit
la rémiſſion de fes déréglemens. Le P. Bourdalouë. -
La haine du L'amour & la haine, felon faint Augustin, font toute l'effence de la péni
Ř "" tence: Panitentiam veram non facit, mist amor Dei G odium peccati. Nous pou
dieu paita. Vºns leçonnoitre ces deux grands mouvemens du cœur dans la pénitence de
gent la péni- Madelaine. Elle avoit plongé fon corps dans les excés les plus honreux ; c'é
tence de Ma- toit la vanité, la profuſion, la délicatelle même ; elle ne refuſoit rien à fon
* corps avant fa converſion de ce qui pouvoit le fatisfaire ; elle ne lui refufois
; rien de ces vaines parures, qui font un piége à la pureté ; elle n'épargnoit rien
accomplie. Pour l'entretenir dans l'embonpoint par la molleſſe ; elle faiſoit tout pour
donner, conſerver, ou augmenter l'agrément d'un viſage , qui lui attiroir
tant de lâches adorateurs. Profuſion, orgučil, délicatelle , c'etoient autant
de marques de l'amour qu'elle avoit pour ſon corps , mais dont elle ſe dé
poüille aujourd’hui par une fimple haine de ce qu'elle avoit aimé , & par um
amour ſincere de ce qu'elle avoit le plus haï. Un des plus admirables effets de
la haine que Madelaine a pour ſon corps, c'eſt de ſe dépouiller de toutes ces
frivoles parures dont elle l'avoit depuis long-temps revêtu, de toutes ces fri
fures dont elle paroit fa tête , & de tous ces ornemens trop recherchez qu’elle
affectoit de porter. Tout cela palle maintenant pour des agrémens à la mode,
& pour d'innocentes coûtumes. La fainte haine qu'un pénitent doit avoir
pour ſon corps, qui a été cauſe de tous fes défordres, n'eſt encore que la moi
- tié de fa pénitence ; il faut ſur cette haine fonder & établir fermement i'a
nour de Dicu. Ce n'eſt pas allez de ſe mortifier , de s'afiliger, de pleurer, &
P A R A GRA P H E SI x I EM E. 517
de ſe dépouiller de tous fes propres interêts ; il faut tout rapporter aux interêts
de Dieu , ne rien faire que par rapport à lui ; & comme dans l'état du peché
on rapportoit tout à foi même, il faut dans fa converſion tout rapporter à
Dieu. C'eſt ainſi que Madelaine acheve l'ouvrage qu'elle avoit commencé.
Tout ce qu’elle fait, eſt pour Dieu ; tous fes foins font pour lui. Si elle pleu
re, c'est pour laver de ſes larmes les pieds du Sauveur : Lachymis cæpit rigare
pedes ejus. Si elle fait fervir ſes cheveux, c'eſt pour les effuyer : Capillis capitis
fui tergebat. Si elle répand des parfums, c'est pour l'en embaumer: Unguento
ungebat. Ce font autant de témoignages de l'amour qu’elle a pour fon Dieu ;
& ſi vous demandez d'où est venu tout d'un coup un amour fi fort ? c’eſt que
la crainte & l’humilité ouvrant ſon coeur à la pénitence , l'ouvrent en même
temps à l'amour de Dieu. Le P. Bourdalouë.
Sainte Madelaine en s'approchant de Jesus-CHRIST,ne ſonge ni à fa réputa- Made'atne
tion,ni à fa juſtification,ni à ſes interêts felon le monde.Elle ne vient que pour ne vient ſe
fe condamner,& pour mériter que Jesus-CHR 1st prenne fa défenſe.Son Juge ;
même devient fon proteéteur,& par une heureuſe ſurpriſe,celui qui devoit pro
noncer ſon arrêt,veut bien lui-même faire fon apologie. Au lieu de lui repro- due pour
cher ſa vanité, il rend témoignage de fa converſion & de fon amour.C’est pour s'accufer,
apprendre,dit S. Gregoire,à les Ministres,qu'il appelle à la conduite des ames, fans penſer à
de ne pas rebuter par une indiſcrete feverité, ceux qui ont recours au tribunal . au tIC
de fa grace;d'avoir pour eux des entrailles de peres,quand par une humble & } - I CU a
fincere confeſſion ils vont chercher à leurs pieds le véritable remede à leurs
playes , & d’exercer leur charité en exerçant fes miféricordes. Combien cette
bonté du Fils de Dieu anima-t-elle la ferveur, la reconnoiſſance, & la fidélité
de Madelaine ? Elle ſe proſterne à fes pieds, elle les arrofe de fes larmes, elle
les parfume, elle les baife, elle les efluye avec ſes cheveux. C’est à ſes pieds,
dit faint Paulin, qu’elle s'adreſſe comme à un autel, & un Sanćtuaire , fur le
quel elle lui offre avec une vive foy, le véritable ſacrifice, qui est celui d'un
coeur contrit & humilié. C'eſt là que perdant l’uſage de la parole , & parlant
pourtant par fes pleurs, par fes foupirs , & par fon filence même , elle deman
de la rémiſſion de fes pechez, dont elle ſe confeffe indigne. C'eſt là que cette
ame conquife vient en poſture de fuppliante, fe préſenter à fon vainqueur,
pour apprendre fes volontez, & recevoir avec reſpect les loix & les régles de
fon heureux eſclavage. C’eſt là qu'arrêtant & purifiant par ſes chaſtes regards,
fes yeux autrefois impurs & volages, & qu'employant à un office de Religion
fes cheveux qui avoient été un des principaux ornemens de fa vanité, elle
conſacroit les dépoüilles d'Egypte à la gloire du Tabernacle , & faiſoit fervir à
Jesus-CHRIST ; tout ce qu'elle avoit fait fervir au monde. Mr. Fléchier.
A qui les reſpects humains pouvoient-ils faire plus de peine qu'à Made- . Le courage
laine i Elle étoit jeune, riche & bien faite ; elle pouvoit tranquillement joüir de Madelai
des plaiſirs par ces avantages de la nature, & de la fortune. Changer tout
x - - r -: J * *
,
Cl 9C (t.
d'un coup de vie , faire un génereux ſacrifice de ce qu'elle aimoit le plus, fe
féparer par un coup d'éclat de ſes inſenfez adorateurs, c'étoit s'attirer de pi
quantes railleries ; cependant elle n'eut aucun égard ni au monde ſpeċtateur
qui parloit , ni aux diſcours malins qui cenſuroient. Elevée au-deſſus des in
justes mépris d'une grande ville, elle ſe mocqua de ces ménagemens frivoles,
& ſuivit avec courage le mouvement de la grace qui la fit entrer dans la falla.
T T t iij
518 POUR LE PANEGYR. DE SAINTE MADELAINE.
du Pharifien. Elle mépriſa tous les diſcours des hommes ſur la nouveauté de
de ſon changement, que la prudence humaine auroit eû foin d'éviter, en y
accoûtumant infenſiblement le monde, plûtôt qu'en le frappant par un coup
d'un fi grand éclat. Elle ne connût pas ces bienféances frivoles; & c'est là la
prémiere démarche d’une ame qui veut fe donner fincerement à Dieu, en fe
déclarant publiquement pour le parti qu'elle va prendre contre celui auquel
elle eſt prête à renoncer. Dictionnaire Moral. Tom. 5.
De quelle Examinons les démarches de Madelaine dans fa pénitence, nous verrons
maniere Ma- avec quel foin elle retranche toutes les actions du peché, avec quel courage
delaine elle tache de laver de ſes larmes,& d’effacer par ſes foûpirs,tout ce qui l'avoit
portée au peché ; avec quelle vigilance elle découvre les occaſions pour les
s. e qu'elle éviter. C'est pour cela qu'elle abandonne tout ce qu'elle avoit le plus aimé ;
fait pour les trouvant par là le moyen, dit faint Gregoire, de faire autant de ſacrifices à
cxP1cr. Dieu, qu’elle avoit trouvé d'attraits & de charmes dans les inſtrumens de fon
peché: Quot invenit oblečiamenta , tot de fe fecit holocausta. Elle fera de ce corps
- autrefois traité ſi délicatement, une hoſtie vivante de la pénitence ; elle ſacri
fiera cette chair voluptueuſe par la mortification , par la ferveur, par l'humi
lité ; elle fera fervir à l'acompliſſement de ſon pieux destein, tout ce qui a
fervi à l'accompliffement de ſon libertinage. Elle ne veut plus d'autre compa
gnie que celle de Jesus-CHRIST; elle le par tout, au Calvaire, à la Croix,
au-delà même du tombeau. Infenſible, dit faint Bernard , à tout le reſte des
créatures: Sedet, tacet, interpellata non reſpondet. Quand elle est en la préſen
ce du Sauveur, c'eſt affez pour la contenter; elle ne fait plus aucunes démar
ches, elle ne ſe met plus en peine de parler. Détachée du monde & de ſes
plaiſirs, elle ne goûte plus que le filence & les larmes. C'est ainſi qu'elle ſe
dépouille de toutes les aćtions extérieures qui l'avoient portée au mal, pour
ne s'attacher qu'à Jesus-CHRIST. Auteur moderne.
L'occafon Le monde avoit trouvé dans Madelaine un de ces coeurs tendres, que tout
du ſalut & entraîne, que les plaiſirs gagnent, que les converſations charment, & où il
fe rencontre un défir de chercher des plaiſirs par tout.Le bruit de la nouvelle
doćtrine que Jesus-CHR ist étoit venu prêcher dans Jéruſalem , avoit excité
voir entendu dans Madelaine, comme dans pluſieurs autres, le déſir de le venir entendre ;
le Sauveur : elle voulut connoître ce nouveau Maître, dont les diſcours avoient tant de
P* force ſur les eſprits & fur les coeurs. Elle ne l'eût pas plûtôt vů, qu'elle y
peuple. trouva ces traits de Majesté qui le faifoient reſpećter, cette douceur qui le
faiſoit aimer, cet air de fainteté, devant qui le libertinage & la corruption ne
fçauroient cacher leur honte ; cette bonté qui n'eſt touchée que de la conver
fion des pecheurs ; cette autorité Prophétique, qui fans exception de perſon
nes parle aux Grands & aux petits; ce nouveau Maître enfin, qui enſeigne les
voyes de Dieu dans la vérité, & dans la justice, déja prévenue de tant d'at
traits que Jesus-CHR 1st lui faiſoit entrevoir, elle entendit cette parole de
falut & de miféricorde, qui portoit la vie de la grace juſques dans le fond
des coeurs ; & alors ce coeur fi propre pour l'amour du monde, fi fuſceptible
de ſes impreſſions , ne fe défendit pas long-temps des charmes qu'elle trou
voit en Jesus-CHR 1st , & de la force de parole. Plus elle le voit, plus elle
en conçoit d'estime; plus elle l'entend, plus elle ſe propoſe de s'attacher à
lui. Déja inquiéte, combattuë, & à demi pénitente, elle ſe dit à elle-même :
P AR AGRAPH E S I X I E’M E. 5 19
quel est donc cet homme qui parle avec tant d'autorité? il ſemble qu'il n'ait
parlé que pour moy. Serm. attribué au P. Maffillon.
Les engagemens de Madelaine dans le libertinage & dans le crime eûrent Madelaine
les mêmes commencemens & les mêmes progrès que nous voyons dans les ne ſe rendir
perſonnes de fon ſexe & de ſon rang. Elle ſe défendit d'abord contre une paſ
fion naiſſante; elle lui oppoſa la bienſéance, fa fierté, la bonne éducation f.
qu'elle avoit reçûë. Mais depuis qu'elle ſe fût dit à elle-même, ce que tant de fions de la
jeunes perſonnes ſe difent encore tous les jours : que ce n'eſt point un crime grace, elle ſe
de ſe faire une honnête ſocieté dans le monde ; qu'on y peut être fage , ſans :
être fauvage ; qu'on fçait là-deſſus l'uſage des perſonnes d'une qualité distin
guée ; qu’il eſt des liens fi innocens, que la plus tendre vertu n'en reçoit pas
la moindre atteinte, & qu'un commerce d'amitié n'eſt pas défendu ; depuis,
dis-je, qu'elle ſe fût dite ces raiſons féduiſantes, le torrent de l'exemple l'en
traîna dans les défordres ordinaires aux femmes mondaines. Le même.
Madelaine eût bien des combats à foûtenir dans fa converſion ; car je veux Elle eut
qu'elle fût née avec
tant d'ennemis de bonnes inclinations,
qui l'attaquoient dans le monde. comment pût-elle
Il faut qu’il lui entenir
coûtecontre bien desàdif
bien ficultez
des combats; elle reffent en elle-meme bien des violences,car comme elle avoir fie
tant de penchant pour le monde , & un coeur propre à l’aimer, il lui fallut bien des vio
vaincre & déraciner
les avantages ce penchant.
de la fortune faiſoientD'ailleurs millebeaucoup
qu'elle avoit agrémensplus
de la
denature, & lences
tentations avant
de re
à rejetter, & de fédućteurs à craindre, que les autres perſonnes de fon ſexe.
Il fallut s'oppoſer à ces proteſtations d'eſtime & de tendreſſe que le monde lui au. engage
faiſoit chaque jour. Le pouvoit-elle fans d’étranges violences ? De plus, de mens qu’eile
quelle force & de quelle constance n'a-t-elle pas beſoin, pour rompre des avºir.
liens criminels, qu'un long uſage avoit fortifiez? pour déraciner de fon coeur
une habitude favorite, qui la tenoit depuis fi long-temps en haleine ? Qu'il
en coûte de combats & de peines à des ames de ce caraćtere, pour en venir à
cette ſéparation, & quitter ce qu'on aimoit le plus, pour s'attacher à un nou- s
vel objet tout aux prémiers. Le même.
Madelaine avoit ſacrifié au monde ſa réputation : & c'eſt auſſi ce qu'elle fa- comme
crifie à Jesus-CHRIST. Elle va chercher dans la falle d'un feſtin, & dans le neg lg c
temps d'un repas, ce nouveau Prophéte, qu'elle pouvoit voir en pluſieurs de ſa
autres endroits. Une perſonne de fon âge, de ſon ſexe, & de fon rang ºnt réputation
hardiment dans une compagnie, où elle n'étoit ni invitée , ni priée ; paroî-pourvivre
tre tout à coup devant tant de conviez, qui la connoiſſoient pour une femme dans le dé
de mauvaiſe vie : n’eſt-ce pas ſacrifier fa réputation ? Mais fon amour ne per- e
met point ces ménagemens à une ame qu'il embraſe ; un coeur où il fe trouve,
ne cherche point à ſe faire approuver des hommes » dans une démarche où il toute à Dieu,
vient ſe condamner lui-même. Cette génereuſe Amante, bleſſée de ſon amour, & mépriſer
comme l'Epouſe des Cantiques, va par tout où ſon coeur la porte. Elle ne fe l
met point en peine des regards du monde ; elle entre dans la falle avec une “
fainte impudence ; elle voit dans Jéruſalem tout le peuple s'entretenir d'elle , f a
on cenſure fa conduite juſques dans les recoins les plus cachez de la ville ; le conduite.
Pharifien tâche de rendre ſa pénitence ſuſpećte devant le Sauveur, à qui elle
vient de ſe déclarer. Mais dans ce temps-là même qu'on juge mal d'elle, elle
n'eſt touchée que de ſes crimes s elle n'est occupée que de fon amour pour
;, o pOUR LE PANEGYR. DE SAINTE MADELAINE.
Jesus-Christ ; elle ne ſonge au monde , que pour le mépriſer. On a beau
trouver à redire à la démarche qu'elle vient de faire devant une nombreuſe
aſſemblée ; on a beau blâmer ce commencement de fa converſion ; on ne lui
fait rien rabattre de ſon prémier deſfein. Depuis qu'elle a fçủ mépriſer les
maximes du monde, elle a auffi méprifé fes iugemens & fes cenſures ; dès
qu'elle a fçû le haïr, elle ne l'a plus appréhendé. Elle ſe met au-deſſus de ſa
critique ; elle y a vů fi fouvent le vice applaudi, qu'elle ne s’étonne plus d'y
voir la vertu deshonorée. Et au fond, qu’eſt-ce que peut faire le jugement du
monde à une ame que Dieu connoît : il eſt même confolant de n’avoir pas
pour foi un juge de ſi mauvais goût, pendant qu'on a pour foi le plus juſte,
& le plus éclairé de tous les Juges. Le même. -
Les fenti- Que ne dit point Madelaine » & quels termes Pourroient fervir de dignes
interprétes
P AR A GRA PHE S I X I E’M E. 52 1
interprétes à ſon filence ! ſentimens que David a fi divinement exprimez dans mens & les
les Pfeaumes de la pénitence ; touchantes expreſſions, où la douleur méme larmes de
femble
plaintesavoir parlé pargémistante
de la colombe la bouche dans
de celes
faint Roy
ames ! tendrescedez
contrites, & douloureuſes
à ce filence Madelainedu
éloquent de Madelaine. O larmes bien-heureuſes : dont la grace de Jesus-*****"*"
Christ ouvre la fource ; ſang de ſon coeur , que la profonde bleſſure de ſon
coeur contrit fait fortir à grands flots ; améres eaux, que le foufle du Saint
Eſprit fait couler avec abondance , que vous avez d'efficace auprès de Dieu !
Anges du Seigneur , foyez attentifs à ce ſpećtacle ravitlant, & portez avec
les foûpirs de ce coeur contrit, l'odeur de qui réjoüit le Dieu des mi
fericordes. Le même.
Dans ces ſentimens de douleur & de componćtion,que ne peut elle ſe rendre continiia
inviſible à toutes les créatures: ni ne ſe montrer qu'autant qu'il faut pour ré- tion des mê
parer ſes ſcandales ! Que ne lui eſt-il permis d'anticiper les effets de ſes lon- m f"ri
guesquoiqu'à
ne, austéritezdemi
fur effacée
fon viſage,
par ſa&douleur
de détruire lescharmes
! Allez reſtes d'une beauté importu-
ſédućteurs, qui pou- gret. ae
vez plaire encore à des yeux mortels ; beauté malheureuſe ! écuëil funeste, où
tant d'ames ſe font perduës : préſent dangereux de la nature, dont j’ay crimi
nellement abuſé pour ravir les hommages qui ne ſont dûs qu'à la beauté
éternelle de mon Dieu ! Diſparoiſſez fous un voile impénétrable, qui vous
dérobe pour jamais aux régards des hommes ; yeux, coupables interprétes,
flambeaux malheureux de mes paſſions inſpirées & reçûës ; portes fatales, par
où la mort & les pechez font fi fouvent entrez & fortis, fermez-vous, obſcur
ciſſez-vous; pleurez fans ceſſe , & foyez comme des charbons éteints dans
les larmes de ma pénitence ! Cheveux, vains ornemens d'une tête coupable,
piéges & liens du démon, que j'ay tiſſus moy-même avec tant d'artifice, pour -
enchaîner les malheureux captifs que j’ay attachez à ſon joug: ne demeurez
fur mon front, que pour en couvrir la rougeur, & pour fervir aux offices hu
milians dont je veux faire toute ma gloire. Et toy, mon corps, autel ſacri
lége de la volupté, idole de chair & de bouë, rentre d'avance dans la pouffie
re dont tu es forri , & meurs fous les cendres de la pénitence où je veux t'hu
milier juſqu'au tombeau! Dieu ayant l'empire abſolu des coeurs, il les tour
ne comme il lui plaît. Il n'y a point de dureté fi extraordinaire, qu’il n’amo
liffe ; fuffent-ils dans les plus profonds abîmes de l'iniquité, une feule de ſes
paroles ſuffit pour les élever au comble de la fainteté. C’eſt ce pouvoir de Dieu
qui changea tout d'un coup le cæur de Madelaine, & qui arrachant de fon
ame la cupidité, cette racine funeste de tous les maux, y fait germer en un
instant les fémences précieuſes de la grace. Le même changement que la main
du Très-Haut opére dans fon coeur, peut ſe faire dans le coeur des pecheurs
les plus endurcis. Le même. -
Madelaine étoit une pechereſſe de la ville, une jeune perſonne, dont la peinture de
beauté, la nobleſſe , rit, & l'humeur enjoüée attiroit une foule d'adora- l'humeur &
teurs. Telle étoit dans fexe Madelaine, car je ne veux pas croire qu'elle li yic de
ait deshonoré la maiſon & la dignité de ſa naiſſance, & qu'elle fût une vićti
me publique de l'impureté ; mais une fille agréable, qui ſe plaiſoit à voir les n.
compagnies , & à recevoir les adorations de quantité de gens, qu'elle ſçavoit
entretenir pour fatisfaire ſa vanité, & fournir à ſes dépenſes. Je veux même
Paneg, des Saints. Tome I. V V v
522 POUR LE PANEGYR. DE SAINTE MADELAINE.
croire qu'elle ne s'abandonna à aucun , pour les conſerver tous, & qu'elle
mettoit tout fon plaifir à l'emporter fur toutes les perſonnes de fon ſexe.
L’Abbé Boileau. -
Il n'y a Il n'y a point de converfion dans l'Ecriture, plus propre à inſtruire les pe
point de cheurs, que celle de Madelaine ; car quoique la grace en ait fait les prémié
conveifion res démarches, & l'ait attirée, comme elle fait tous les autres ; ce n'a point
1) i I été par quelque figne comme les autres que nous lifons dans l'Ecriture. Dans
A
les uis,la converſion de David, c'eſt Nathan qui le vient ſurprendre par un énigme ,
que cile dé & qui tire adroitement la confeſſion de ſon peché, & la condamnation de fa
Madelainc. propre bouche. Dans celle de faint Pierre, c'est Jesus-CHRIST qui le regarde.
İl enleve faint Paul ; il appelle faint Mathieu ; il va chercher la Samaritaine :
mais il ne cherche pas Madelaine. Quoique la grace agifle fur fon coeur,c'eſt
elle qui le vient chercher, & qui public qu'elle l'a trouvé. Il ne l’enleve pas au
Ciel, c'est elle qui ſe proſterne à ſes pieds: Stans retrofecits pedes ejus. Il n'y a
point de converſion plus propre à vous inſtruire ; car fi je vous parle de celle
de David, vous me direz que vous attendez un Prophéte , qui vous vienne
furprendre comme lui. Si je vous parle de celle de faint Pierre , vous me di
rcz que vous attendez que Jesus-CHR I ST vous regarde. Si je vous parle de
celle de faint Paul, vous attendez que Dieu vous enleve auffi. Si je voas parle
de la Samaritaine , vous attendez qu'il vous aille chercher. Mais aujourd'hui
que me répondrez-vous pour de vôtre négligence, à la vůë de Madelai
ne : Tout y eſt plein d’instrućtion. Le même. *
Avec quelle Tout le monde est étonné de la facilité avec laquelle le Fils de Dieu fe.laiſſe
bont le , approcher d’une pechereffe ; elle touche ſes pieds ſacrez, elle pleure deſfus
auſſi long temps qu'il lui plaît, elle les enbaume de fes parfums,elle les effuye
- de ſes cheveux, elle les baiſe tant qu'elle veut. Le Pharifien en murmure, &
laine, & psi-toure la compagnie en cst ſurpriſe ; mais perſonne ne l'est tant qu'elle-même.
d'elle La bonté du Sauveur, fa facilité lui pénetreat le coeur. Elle fond en larmes,
!“elle n'a pas la force de prononcer une parole ; ſes humbles & tendres baiſers
Picds. parlent affez. Plus fon amour est vif, plus ſes regrets font amers; car plus on
aime Dieu , plus on regrette de l'avoir offenſé ; comme l'indulgence aug
mente l'amour, elle augmente auffi la douleur.Ne parlons plus à cette peche
reffe des rigueurs & du martyre de fa pénitence ; fon amour & fa douleur lui
font tout fentir.Elle fouffre plus dans ſon coeur, queles plus austéres pénitens.
Donnez-nous, Seigncur, comme à cette fainte pecherefle, un coeur pénetré
d'amour à la vůë de vôtre bonté, & la grace de ſuivre en tout l'exemple
de fa ferveur dans fa pénitence. Mr. Boffuet.
Par com- Madelaine étoit eſclave d'autant de tyrans , qu'elle avoit aimé de créatures.
bien de lien: La beauté, la vanité, le luxe, le plaiſir, le libertinage, la complaifance mon
daine , & l'amour de la vie , étoient les ſept démons qui s'étoient emparez de
ſon cæur. La beauté la rendoit vaine ; la vanité lajettoit dans le luxe, le luxe
au monde, dans les plaifirs , les plaifirs dans le libertinage , le libertinage dans les cajol
abuſant de leries & dans les complaiſances ; & tout cela enſemble lui donnoir un furieux
.. attachement à la vie préſente. La nature lui avoit donné de la beauté; ce n'é
avantages - - y r . _ • r /- - - - * * *
qu'ells avoi toit pas un vice • c etoit un préfent du Ciel : mais elle en avoit fait un piége
*
reçãs de la où elle penſa fe perdre, & peut-être qu’elle en perdit beaucoup d'autres. Ce
nature, Poul n'étoit pas une femme proſtitüće , comme quelques-uns estiment : c'étoit une
PARAGRAPHE SI X I E’M E. 523
fille de qualité, dont le luxe & la vanité étoient connûs ; mais le vice étoit s'y attacher
caché ſous l'éclatrien
elle n'épargnoit de ſaquinoblelle,
pût fervir&à pour patoire
entretenir ſon avec
luxe,éclat
& fesdans le monde, plus en Plus.
divertiflemens,
ce qui attiroit les yeux d'une grande ville , & délioit soutes les langues. Les
uns la Hattoient par complaiſance, les autres en médifoient par envie ; les
fimples s'en fcandaliſoient, les plus fages b'àmoient fa mondanité ; car elle
étoit de tous les cercles, & de toutes les aſſemblées. Elle ſe montroit par
tout, & par tout elle ſe faiſoit regarder. Mais comme la mauvaiſe réputation
fe répand d'ordinaire au loin, avant que d'arriver à celui qu'elle attaque,
penfant acquerir un vain éclat par ſes profuſions, elle s'étoit en effet décriée ,
& deja elle palloit dans le monde pour une pechereſle publique. Le P. Noüet,
Part. 5. de fes Meditations.
Madelaine n'est pas plûtôt aux pieds du Sauveur, que fes yeux ſe changent L'effet & le
en deux fources de larmes, où elle noye tous fes crimes. O que ces larmes fºuvoir, des
font éloquentes, & que les foûpirs qui les accompagnent font puiſſans ! Elle
n'a pas beſoin de parler pour obtenir ſa grace ; il n'y a point d'éloquence plus ,
perfuaſive que celle des larmes ; c'eſt le langage du coeur , & l’éloquence des Fils de Dieu"
Saints, laquelle peut tout auprès de Dieu. C'eſt là, ô fainte Pénitente! que
vous ſacrifiâtes toutes ces pierreries, ces meubles & ces habits précieux qui
fervoient de chaînes pour vous retenir dans la fervitude ; c'eſt là où vous re
nonçâtes à ces compagnies de jeu & de galanteries, ces écoles de vanité & de
vice, mettant toute vôtre complaiſance aux pieds du Sauveur. O Dieu des
miféricordes ! vous voyez à vos pieds la plus miſérable de toutes vos créatu
res. Il y a long- que je vis ſéparée de vôtre amour, fi toutefois je peux
dire que j’ay vécu juſqu'ici, puiſque ma vie a été beaucoup pire que la mort.
Je rougis de vous dire mon nom, car je l'ay effacé du livre de vie, & je me
fuis acquis un titre d'éternelle ignominie. Je n'ofe paroître devant vous, tant
j’ay horreur de l'état déplorable où je fuis; des biens que j’ay reçûs de vôtre
main , j’ay fait des armes pour vous offenſer ; j’ay conçû de l'orgueil dans ma
noblefle, de l'ambition dans mes richeſſes, du libertinage & du mépris de
vos commandemens dans ma ſanté. Maintenant j'entens la voix de ces bien
faits qui m'accuſe d'avoir méconnû celui qui m'a donné l'être & la vie. Com
bien de fois ay-je fermé l'oreille à vos paroles , & le coeur à vos inſpirations ?
Mais enfin je fuis revenuë, & me voici à vos pieds pour implorer vôtre cle
mence. Si pour obtenir pardon, les pleurs & les larmes ont quelque force , ſi
une douleur fincere & une réſolution déterminée de ne plus offenſer vôtre
adorable Majesté peut avoir quelque lieu , ah ! je proteſte que quand il n'y
auroit point de fleaux pour me punir, ni de couronnes pour me recompenſer,
je pleurerai toute ma vie pour vous avoir offenſé. Le même.
Ne croyez pas que cette douleur, & cette ſenſibilité fi vive de Madelaine, 1, errent
fût l'effet d'une ferveur paſſagere ; elle ne fit qu'augmenter tout le reſte de ſes de Ma
jours. Ce fut non-ſeulement fans tetour au monde , qu'elle s'attacha à Jesus- ne au ſervice
CHR1sr : mais toûjours également ſenſible à la grace de fon Dieu, elle foûtint Pie" d
juſqu'à la fin le caractere d'une véritable pénitente. Attentive déformais à fui-
vre le Sauveur, elle ne perdit aucunes de fes inſtrućtions; & lorſque dans ſes
courſes Apoſtoliques il daignoit loger chez elle, tandis que Marthe étoit oc
cupée à le recevoir, Madelaine ſe renoit dans le filence, & lui faiſoit un fa
v V v ij
524 POUR LE PANEGYR. DE SAINTE MADELAINE.
crifice de ſon coeur contrit & humilié. Lorſqu'il vint en Bethanie, où il reffuf
cita Lazare , pendant que Marthe fervoit à table , Madelaine n'oublia pas de
venir à ſes pieds y répandre des parfums, & renouveller les marques de fa fer
veur & de ſon amour. Ce ne fut pas ſeulement dans ces temps-là qu’elle s'at
tacha le plus à lui ; ſon zéle redoubla dans le fort de la perſecution. Les Apô
tres furent intimidez par les Juifs ; les brebis effrayées à la vůë des mauvais
traitemens qu'on faiſoit au Paſteur, ſe diſſiperent , pour ufer de l'expreſſion
de l'Ecriture, il n'y eut que Madelaine, cette brebis autrefois égarée, qui le
fuivit conſtamment juſqu'à la mort : que dis-je, juſqu'à la mort ? fa fidelité
alla bien au-delà de ce terme, qui finit les plus forts attachemens; elle fut in
confolable de l'avoir perdu ; elle prévint le lever de l'aurore, pour lui rendre
fes derniers devoirs ; elle pleura amérement fur ſon tombeau, & lorſqu'après
fa Réſurrećtion glorieuſe , il quitta la terre pour monter au Ciel: Madelaine
qui n'avoit plus rien de cher au monde, après la perſonne ſacrée de Jesus
CHRIST ; s'enſevelit toute vivante dans une grotte pour le reſte de fes jours ,
où elle acheva de confonmer le ſacrifice de ſa pénitence. Le P. Cheminais.
Comne le Si d'un côté Madelaine conſerva juſqu'à la fin de ſes jours un tendre amour
ourle Fils de Dieu , il nC cella de ſon côte d'y répondre par des marques
par un par- continüelles d'une bonté particuliere. Il logeoir chez les deux foeurs dans ſes
fait retour à courſes Apoſtoliques, & fanétifioit leur maiſon par ſa préſence & fes inſtruc
} f étion & tions. Si Marthe ſe plaint de l'oifiveté de Madelaine, qui attachée à ſes pieds,
*'atte- & charmée de ſes paroles, laifſoit à fa fæur tout le foin du domeſtique, Jesus
que Made- . Ciri pre prend la'arente de Madelaine
Md ; ii declare
de ihautement que lele parti parti
laine a est qu'elle a pris eſt le meilleur, & le plus agréable à ſes yeux : Maria optimam
pour
W 1CC.
ſon fer partem elegit,
à la priere que non auferetur
de Madelaine ab ea.SiSiJudas
qu'il vient. le Filsaudefestin
Dieudereflufcite
Bethanie,Lazare, c'est
murmure
*"*" des parfums que Madelaine répand ſur la tête de Jesus-CHRısr, il louë fon
aćtion , & touché comme de reconnoiffance, il prédit qu'on en fera l'eloge
dans les quatre parties du monde. Si Madelaine est la prémiere qui dès le lever
de l'aurore va chercher le Fils de Dieu à fon tombeau, elle est austi la prémie
te à qui préferablement aux Apôtres, il ſe montre revêtu des ornemens đe ſa
gloire. C'eſt elle qu'il envoye å ſes Apôtres pour leur annoncer la gloire de fa
foan. 2o. Réſurrećtion , la faiſant ainſi l’Apôtre des Apôtres mêmes: Vade , lui dit-il ,
ad fratres meos, & dic eis. Allez à mes freres, & leur annoncez que je fuis
reflufcité. Et l'on peut dire que cette fainte Pénitenre ne s’est jamais distin
guée par les marques de zéle qu'elle a données à la perſonne de Jesus-CHR i sr,
qu'elle n'ait trouvé dans lui un retour parfait ; tant il est vray que le pe
cheur ne fait jamais un pas pour retourner à Dieu, que Dieu ne réponde avec
avantage à la moindre de fes démarches. Le même.
Madelain: Heureuſes larmesłqui tinrent lieu de Baptême à Madelaine,dit faint Leon,
fi: fezvit à Felices lach yma! que dum culpas abluerunt pristine converſationis: virtutem ha
i. buere baptiſmatis. Heureuſes iarmes ! qui l’ayant renduë mille fois coupable -
men fes eurent enfin le pouvoir & la vertu de la juſtifier. Madelaine, dans l'extérieur
crimes. de fa perfonne , avoit été vaine juſqu'à l'excès ; idolâtre d'une beauté périſſa
ble , & n’oubliant rien de tout ce qui pouvoit lui attirer, & lui conſerver des
adorateurs. Elle s'étoit ſur tout attachée au foin de fes cheveux : vanité que
Tertullien appelle une impudicité étudiée & astrétée , Confiam & elabora
P A R A G R A P H E S I X I E’M E. 52 5
tam libidinem. Mais ces cheveux qu'elle a cultivé avec tant d'affećtation &
tant d'étude, lui feront-ils inutils dans fa converſion ? Non, l'eſprit de péni
rence qui l'anime, lui apprend à en faire un nouvel uſage. Ils avoient été juſ
ques-là l'ornement d'une tête pleine d'orgueil ; & déformais ils feront em
ployez à l'éxercice de l'humilité la plus profonde. Madelaine s'en fervira pour
effuyer les pieds de Jesus-CHRIST, & en effuyant les pieds de ce Dieu Sau
veur, cette péchereſſe effacera toutes les taches de ſes péchez. Je ferois infi
ni, ſi je m’arrêtois à toutes les preuves que me fournit l Evangile, pour établir,
& pour confirmer ma propoſition. C'étoit une fille fenfuelle que Madelaine :
parfums, odeurs, liqueurs précieuſes , c'étoient ſes délices. Mais que ſera-ce
pour elle dans ſa pénitence ? Ah! fi dans ſes mains elle porte encore un par
fum exquis, ce n'eſt plus pour contenter fes ſens, mais pour le répandre fur
la tête de ſon Dieu. Les Diſciples même de Jesus-CHR1st , en feront fur
pris ; ils en murmureront , ils s'en ſcandaliſeront : Ut quid perditio hec : Matth. 16.
Mais elle ſçait ce qu'elle fait : & elle ne croit pas devoir rien ménager, quand
il s'agit de témoigner à fon Sauveur la vivacité de fon repentir, & la fenfibi
lité de ſon amour. Pour cela , elle n'a rien de fi cher à quoy elle ne veüille re
noncer, pour cela , elle eſt toute diſpofce à fe ſacrifier elle-même , trop heu
reuſe fi fon ſacrifice eſt agréable, & que Dieu daigne accepter une hostie
tant de fois profanée, mais enfin fanćtifiée par le feu tout celeſte & tout fa
cré qui la confume. Le Pere Bourdalouë.
L'on peut dire que Madelaine fut martyre de la charité, puiſque les dou- Madelaine
leurs du Sauveur lui furent plus fenſibles , que fi elle les eût ſouffertes elle- a été marty
même ; &aſſiſterent
ceux qui c'est une àremarque qu'ont
la mort du fait quelques
Sauveur Saints une
n'ont fouffert Peresmort
, qu'aucun de rité.de la cha
violente,
comme les autres Apôtres & quelques-uns de ſes diſciples, parce que la vůë
de la mort du Fils de Dieu leur tenoit lieu de martyre, & qu'ils avoient aſſez
marqué leur amour , & ſignalé leur courage , étant préfens à un fi tragique
fpećłacle , & d’avoir foûtenu toute la douleur qu'il leur pouvoir cauſer.
Mais c'eſt ce que l'on peut dite en particulier de Madelaine ; car comme per
fonne , après ia très Sainte Vierge , n'a aimé plus ardemment, ni plus ten
drement le Sauveur du monde: jamais auſſi perſonne n'a reffenti plus vive
ment ſes douleurs ; & comme fes yeux & tous fes ſens furent alors fi forte
ment frappez de ce triſte objet , elle n'en perdit jamais depuis le fouvenir, qui
réveilloit à tous momens ſa douleur & ſon amour , & qui lui fut un rigou
reux & un continuel martyre, en ſurvivant en quelque maniere à elle-même
afin de ne vivre plus que pour fervir de modele du plus grand , & du plus
énéreux amour qui fut jamais. L'Auteur des Sermons fur tous les fujets, &c. -
Ne vous ſemble t'il pas entédre cette Amante paſſionnée du Sauveur,qui tou
chée d'amour & de recőnoiſſance à la vâë de ſes perfećtions& de fes miféricor
des infinies,lui dit ces mêmes paroles,dont un célebre pénitent s'eſt ſervi depuis :
pour témoigner à Dieu les mêmes ſentimens dont elle étoit remplie: Ah'Dñe, les bientairs
Jerò te cognovi ferò te amavi;Ah:Seigneur,je vous ay connủ trop tard,je vous ay oir
aimétrop tard, Mon cæur abandonné à lui-même , s'étoit tellement répandu
dans l'amour des créatures ; le monde m'avoit fi fort ſéduite ; je m'étois laiſ: “
fe fi pleinement corrompre à ſes charmes, que tout ce qui m’étoit falutaire , ment qu'elle
m'étoit inſupportable. Je ne trouvois mon plaifir que dans les choſes memes cur tout ke
- V V v iij
526 POUR LE PANEGYR. DE SAINTE MADELAINE.
reste de fa qui me donnoient la mort; ainſi, mon Dieu, quel ſujet de honte & de confu
yic à ſon fion pour moy, de ne pouvoir jetter les yeux ſur le paſſé , fans y découvrir
fervice. mille marques d'infidélité & d'ingratitude. Vous me les pardonnez avec une
bonté infinie; mais plus vous avez d'indulgence pour les oublier, plus je ferai
d'efforts pour les expier. N'étoit-ce pas pour réparer le temps qu'elle avoit
malheureuſement perdu en s'abandonnant à l'amour des créatures, qu'elle
ménageoit fi bien les momens précieux de la préſence du Sauveur ? qu'au
lieu de ſe diffiper & de ſe répandre en beaucoup de foins inutiles, elle demeu
roit aux pieds de Jesus-CHR 1st , attentive à recueillir toutes ſes paroles,
& abandonnant tout le reſte à l'oeconomie de Marthe ? Mais qui pourroit dé
crire la douleur dont cette divine Amante fut déchirée en voyant attacherà
la Croix l'objet de ſes plus tendres afft ćtions ? A la vérité ce triſte ſpećtacle
perça l'ame de Madelaine, & en voyant enfoncer les épines dans ſa tête, les
cloux dans ſes pieds, & dans ſes mains, elle confidéroit ſes pechez comme les
bourreaux de ſon bien-aimé. Il lui ſembloit entendre fortir de cette bouche
adorable du Sauveur abreuvée de fiel, ces tendres & douloureux reproches :
C'eſt pour expier tes voluptez, tes frandales, tes vanitez , & tes divertiffe
mens, que tu me vois en ce funeſte état. Rien n'est fi crüel à un coeur tendre
& génereux, que de fe voir la cauſe des tourmens & des confuſions que fouf
fre la perſonne que l'on aime. E/Sais de Panégyriques.
comme elle Jesus CHR 1st adreſſa quelques paroles de confolation à fa mere, & à fon
fut préſente Diſciple bien-aimé ; mais il laiſſa Madelaine abîmée dans la tristeſſe. Ah !
à " qu'elle pouvoit bien dire en cette occafion : Sponſus fanguinum mihi es; vous
# m'étes un Epoux de fang; fi on vous crucific , ô mon aimable Jesus! on me
ci cher au crucifie avec vous : Arnor meus crucifixus est. Mais que ne puis-je vous décrire
tombeau, les empreſſemens de Madelaine pour aller chercher le corps de Jesus-CHRısr
Exºd. 4° dans le tombeau; ſes tendres & amoureuſes inquiétudes quand elle ne le trou
Cart. ve point. Ele le demande à tous ceux qu'ellerencontre : Num quem diligit ani
ma mea vidistis? N'avez-vous point vůle Bien-aimé de mon ame? Mais quand
elle l'eut trouvé, quand elle eut vû la prémiere fon Sauveur glorieuſement
reffuſcité, quels tranſports de joye ! c’eſt elle qui rallume le feu de l'amour
preſque éteint dans le coeur des Apôtres ; qui leur annonce la Réſurrećtion du
Sauveur. Ainſi non-feulement elle aima Jesus-CHR I st , mais elle l'a fait ai
Rmer aux autres. Elle n'eut point de paſſion plus atdente pendant fa vie, que
de faire naître l'amour du Sauveur dans tous les coeurs ; & encore après ſa
mort, l'exemple de fa pénitence & de fa charité follicite les pecheurs de ſe
convertir , & les juſtes, de donner de plus grands témoignages d'amour au
Sauveur. Les mêmes.
Comme Après que le Fils de Dieu fût monté au Ciel , Madelaine ne pouvant pas
après "A le ſuivre, que fait-elle ? elle fe retire dans un rocher, pour en faire le théâtre
cerifion du & le moyen de fa derniere pénitence. C'eſt là où elle s'éleve elle-même versle
Sauveur Ma- . • / / * -
- Ciel. Elle y avoit été conduite par fon Ange ; elle y employe le reſte de fa vie
tira dans un à expier des pechez qui lui avoient été pardonnez, pour montrer par ſes mor
rocher, por tifications continüelles, & l'horreur qu'elle en avoit, & l'amour qu'elle avoit
pour le Sauveur. Anges Tutelaires de ce rocher, Intelligences témoins de ſes
; * larmes, dites-nous quelle a été ſa vie & fes occupations. Ils nous diront fans
} de fa doute que la vie de Madelaine a été la pénitence de ſon amour, & que la vie
P A R A G R A P H E S I X I E’M E. 527
de ſon coeur a été une fuite continüelle de regrets pour ſes pechez effacez, & vie dans un
un continüel redoublement de foûpirs & de larmes répandues pour l'amour continüel
dutoute
là Sauveur.
la vieElle
, &a c'est
vécuausti
danslalesmort
larmes, elle eſt morte
de Madelaine. dans les pleurs : c'eſt exercice de
Biroat. de
& cela durant trente ans qu'elle lui furvéquit. Car depuis qu'elle l'eût vů ex
pirer ſurfa Croix, elle conſerva dans ſon coeur l'image de fes douleurs, que toient que
fon amour lui avoir imprimées bien avant, pour les rappeller à tous les mo- pour le Çiel,
mens de ſa vie ; & l'amour de Dieu qui entre dans la douleur de nos crimes, de
y entretint cet eſprit de componction qu'un Chrêtien ne doit jamais perdre, .
non plus que la vůë & le fouvenir de ſes pechez. Ajoûtez à cela que la venuë Anges.
du Saint-Eſprit l'ayant plus parfaitement éclairée des faints Myſtéres, auſſi
bien que les Apôtres & les autres Diſciples, & ayant encore épuré cet amour,
allumoit fans ceſſe de nouvelles Hâmes dans fon coeur; & ayant vû de ſes
propres yeux fon Sauveur monter au Ciel le jour de fon Aſcenſion , elle ne
pouvoit plus avoir de penſée pour la terre & pour les choſes de ce monde. Sa
vůë & fes défirs étoient fans ceſſe tournez vers le lieu où étoit cet unique objet
de ſes affećtions ; auſſi prit-elle la réſolution de ne penſer plus à autre chofe,
puiſqu'au rapport de quelques Historiens, elle s'enfonça dans l'horreur d'une
folitude, & dans le creux d'un rocher, où elle ſembla ne vivre plus que de
l’amour de fon Dieu. Qui pourroit fçavoir quels furent ſes ſentimens , & les
foûpirs que fon coeur põuſſa durant un fi long intervalle de temps ? C'eſt ce
qui n'eſt venu juſqu'a la connoiſſance des hommes ; mais jugeons nous-mê
mes quelle devoit être l'union de fon coeur avec ce divin objet, pour paſſer les
jours & les nuits dans cet exercice, ſans ennuy, fans lastitude, fans dégoût.
Quels furent les délices céleſtes dont il joüiſſoit pendant qu'il fe fermoit à
toutes les conſolations de la terre ? Austi tient-on par tradition qu'elle étoit
élevée pluſieurs fois le jour juſqu'au Ciel, pour y joüir de la converſation des
Anges , juſqu'à ce qu'enfin coeur ne pouvant plus fouffrir la violence de cet
amour, deſfecha d'une fainte langueur, & ſon eſprit alla ſe réünir à fon Sau
veur qu'elle avoit fi ardemment aimé. Ainſi ſon amour fut vićtorieux de la
mort, puiſqu'il perſevera après la mort même , & qu'il continúera durant
toute l'éternité, pour justifier l'oracle que le Sauveur avoit prononcé en fa
faveur : Maria optimam partem elegit, quæ non auferetur ab ea. L'Auteur des Eue, "º.
Sermons fur tvus les fijets , &c.
Qui ne ſçait ce que peut fur un coeur encore chancelant & peu affermi dans Le pouvoir
le fervice de Dieu, ce que peut dis-je, la crainte des jugemens des hommes, ' ,
de leurs difcours, de leurs railleries, & de leurs cenſures ? C'eſt ce qu'on ap-
pelle reſpećt humain, l'ennemi de la pieté & de la Religion. Il faut de l'aveu dia
de tout le monde, une grande force d'eſprit , pour foûtenir ce rude combat, des hommes,
pour
voyonsmépriſer ce que des
que la piủpart les perſonnes
hommes peuvent dire & àpenſer
qui ſe donnent Dieu, de
fontnous; & nous
ébranlées par c'eſtleg and
la
cette rude tentation. Il arrive même aſſez fouvent que ceux qui n'ont pû être y
r - * * - * * - vaincre, &
détournez de faire le mal par la crainte de l'infamie, n’oſent faire le bien par ſe mettre au
5 28 POUR LE PANEGYR. DE SAINTE MADELAINE.
de"
ce que: nous ía crainte qu'ils ont qu'on ne parle
;cle !d'eux.Telle
s'écrie Salvieſt la foibleſſe desfaut-il
hommes quefur
Salvien fur ce fuiet
ſujet ,, taut-i,
itre. A 1
devons par- chapitre Honte de nôtre fiécle! s'écrie que la
ticulieren et Religion Chrétienne ſoit devenue l'opprobre du Sauveur, qui bien loin de
apprendre de trouver des témoins & des martyrs qui défendent fa cauſe, n’oſent pas même
* embraſſer publiquement fon parti Őr avec quelle force fainte Madelaine n'a
“""° t-elle pas ſurmonté ce grand obſtacle ? & n’eſt-ce pas avec raiſon que S. Au
guſtín l'appelle Frontofa ad falutem ? c’eſt-à-dire, qu'elle s'étoit fait le front
à tous les difcours des hommes; qu'elle n'a point redouté leurs jugemens,
qu'elle ne s'eſt point miſe en peine de ce qu'ils pouvoient dire ou penſer à ſon
defavantage ; mais qu’il falloit que fa charité fût grande pour bannir entiere
ment cette crainte, qui toute frivole & ridicule qu'elle est en elle-même, ne
laiſſe pas d'être un grand obstacle aux meilleurs delleins. L'Auteur des Ser
mens fur tous les fujets, &c.
On peut La honte est le grand obstacle qui s'oppoſe aujourd'hui à la converſion de
quantité de pécheurs, & par un renverſement étrange, celle qui n'a pas eû
OCCa1101)
de la conver- aſſez de force pour les empêcher de commettre toutes fortes de crimes, n’en
a que trop pour les empêcher de les quitter. On n'a point rougi de vivre
delaine d'in- dans le défordre, & l’on rougit de vivre dans la retenuë. C'étoit le reproche
većtiver con que Tertuitien faiſoit de ſon temps à quelques pecheurs qui avoient ſur ce
-
pećt ref- chapitre
tre lehumain, jej: des égards
O
& des ménagemens
D *
trop délicats : Explicu stifrontem ad
-
qui est le delinquendum , & ad rečiè agendum contrahes. Ah ! crainte des hommes, ref
grand peċi humain,égard frivole & ridicule, faut-il que tu faffe avorter les meilleurs
obstacle à la deſfeins ; & que tu rende inutiles les plus faintes réſolutions & & faut-il que
o fon tu nous faſſe fougir du bien ? Voyez cette mondaine qui a eû affez de force
*** pour ſouffrir les plaintes & les reprimandes de ſes proches, les murmures pu
„ır. blics de toute une viile qui en a été ſcandaliſée, les reproches d'un Confesteur,
Mare. e. 21. les allarmes fréquentes que fa conſcience lui a fi fouvent données ſur cet atta
chement, fur ces converſations trop libres, & fur ces airs trop enjoüez ; mais
elle appréhendera de faire parler le monde fi elle change de conduire, fi elle
paroît vétuë plus modeſtement, & fi on la voit ſe donner à la dévotion. Oüy,
c'est cette crüelle crainte & ce reſpect humain, qui aſſoupit les rémords de
fa conſcience, qui réſiſte à toutes les graces du Saint-Eſprit , qui lui fait faire
violence aux bonnes inclinations qu'elle avoit reçûes de la nature, & en un
mot , qui la fait rougir de paroître vertủeufe. Ah ! rougiſſons plûtôt d'avoir
été fi long-temps dans le défordre , de nous être donnez trop tard à Dieu, de
ne l'avoir pas affez tôt aimé, ni affez fidélement ſervi. L'Auteur des Sermons
fur tous les ſujets , &c. -
Les rigueurs La pénitence cft une , ou une fatisfaction que le pecheur fait à
Dieu, en puniſſant ſur ſoi-même l'injure qu'il lui a faite ; ſelon la notion
tence de Ma- qu’en donne faint Augustin : Est dolentis vindicta, puniens in fe, quod dolet ad
delaine, que mififfe. C'est dans ce fentiment qu'est entrée fainte Madelaine, puiſque l'a
Im Ou1I qu'elle A eủ pour Dieu, l'a animée d'une fainte haine contre elle-même,
pour er & lui a fait expier ſes pechez par les rigueurs de fes auſtéritez, qui ont égalé
l'injure que la peine & le mérite des plus crüels martyres, fi nous avons égard à la cauſe
( P * qui l'a fait ſouffrir, & à la durée de fes fouffrances. Car depuis qu'elle eût vů
"* fon Sauveur expirer
Dicu, P ſur la Croix, elle conſerva dans ſon cœur l’image
ɔ C de 1e
ge de ſes
douleurs ; elle commença à regarder toute la terre comme un Calvaire, &
tOllS
P A R A GR AP HE S I X I E'M E. 529
tous les hommes comme les auteurs de ſa mort ; mais faiſant réflexion que ſes
pechez en étoient la cauſe , elle les voulut vanger fur ſon propre corps par les
jeûnes, & par les autres rigueurs de la pénitence qui dura autant que fa vie.
Elle s'enfonça dans l'horreur d'une folitude, où n'ayant que le Ciel pour té
moin, les Anges pour compagnie, la terre pour lit, un cilice & fes cheveux
pour vêtement, elle continủa ſa pénitence fans relâche. Elle avoit déja confa
cré à la pénitence tous les inſtrumens de fa vanité & de fes crimes: mais
maintenant elle s'en venge par leurs contraires. Ah ! ſolitude, dit-elle, tu
me vengeras de tant de compagnies ſcandaleuſes, aufquelles je me plailois
autrefois ; filence, tu repareras tant de diſcours mondains , & tant d'entre
tiens inutiles; terre , qui me dois fervir de lit, tu expieras tant de délica
teſſes dont j’ay autrefois flatté mon corps ; cilice , il me faut venger de ce
luxe, & de cette fomptuoſité qui a fait fi long-tems l'objet de ma vanité dans
mes habits. Il faut que tous les membres de mon corps ayent leur tourment
propre & particulier, puis qu'il n'y en a point qui n'ayent été criminels.
Mes yeux donc continuèront de verfer des larmes , mon coeur de pouſler des
fanglots , & les injures du temps conſpireront avec mon amour pour ſatisfai
re un Dieu, que j’ay offenſé en tant de manieres. Voilà ce qui a rendu Ma
delaine un modéle de pénitence le plus parfait & le plus achevé qui ait peut
être jamais été. L'Auteur des Serm. fur tous les ſujets, cớc.
Combien de perſonnes imitent aujourd'hui Madelaine dans ſes déregle- peu de peš.
mens ; mais combien peu la ſuivent dans fa pénitence ! C'eſt cependant l'u- ſonnes fui
nique voye que nous avons de recouvrer l'innocence que nous avons per
due par le Péché , & de fatisfaire un Dieu que nous avons fi fouvent offenſé. i
-Si nous avions ſeulement bien conçû ces deux paroles, un Dieu offenſé : cet- :
. te Majeſté infinie, par un miſérable ver de terre ! ah ! un Dieu offenſé! Ce Madelaine,
fut-là le motif & le principe de la converſion de Madelaine ; & dans cette après l'avoir
- brifer
mêmede penſée nos larmes
douleur. ne devroient
Nous devrions jamais
entrer dans tarir, & nôtre
les ſentimens de coeur devroit ſe
faint Auguſtin: OTdres,
Quid mihi restat, nist flere, & dolere ? Après tant d'infidelitez contre Dieu, z de vers
que nous reste-t'il finon des pleurs pour les laver, & pour marquer la fincére c`falſa pa
douleur que nous en concevons ? mais ce ne doit pas être une douleur stéri- "*****
le, puiſqu'elle nous doit faire quitter abſolument le péché que nous déteſtons,
& changer de conduite, par un véritable changement de vie, qu'on appelle
proprement converſion , & qui comprend une réformation générale de ſes
penſées, de fes défirs, de fes actions, de fes habitudes, de ſes divertiſſemens,
& enfin de l'homme tout entier ; car nous devons aimer tout ce que nous
avons eû en horreur, avoir en horreur tout ce que nous avons aimé, changer
eu un mot, de moeurs & de vie. Le même.
LE P A N E G Y R I Q U E
DE
SA I N T J A C QUE S
LE M A JE U R.
A V E R T I S S E M E N T.
PA RA G R A PHE PREMIER.
Divers deffeins & Plans de diſcours fur cefajet.
O v R faire l’éloge du grand faint Jacques, que nous appellons le Ma
jeur, pour ne le pas confondre avec un autre de même nom , qui fut le
prémier Evčque de Jéruſalem, & que faint Paul appelle le frere du Seigneur,
j'avance pour ſujet de Panégyrique de celui que l'Evangile appelle fils de Ze
bedée, que le Sauveur du monde a furpaſlé fon ambition, & lui a accordé
une plus grande faveur, que cet Apôtre ne lui avoit fait demander par l'en
tremiſe de fa mere. La preuve de cette propoſition, qui doit faire l'éloge de
ce grand Apôtre, eſt fondée ſur la distinction même que le Fils de Dieu a fait
de fa perſonne dans les choſes que nous avons coûtume d'enviſager comme les
plus glorieuſes, & les plus capables de piquer nôtre ambition.
1°. En lui donnant une place particuliere dans ſon École, & en le mettant
au nombre de ſes prémiers Diſciples ; ce qui eſt fans doute une préference fur
le reſte des hommes.
2°. En lui donnant un rang confidérable & diſtingué entre les Apôtres, &
en l'aſſociant à ceux qui devoient être les colomnes de fon Eglife.
3°. Enfin, puiſqu'il lui a donné plus de part à ſon Calice & à ſa Croix,
qu'à beaucoup d'autres, ce qui eſt une faveur qu'il n'a faite qu'à ſes plus chers
amis, & aux Saints du premier ordre. Ainfi l'amour tout particulier que le
Fils de Dieu a eû pour faint Jacques préferablement à une infinité d'autres,
la place & le rang qu'il lui a donné parmi fes Apôtres, l'ayant appellé tout
des prémiers à l'Apoſtolat ; la part qu'il a voulu qu'il prît au Calice de fes
fouffrances, trois faveurs, & trois prérogatives que je ne crains point d'ap
peller trois fources de grandeurs, qui ont élevé cet illuſtre Apôtre plus haut
que fa mere ne l'avoit ſouhaité , & que lui-même n'eût osé prétendre. C'eſt
ce qui fera le partage de fon éloge & de tout ce diſcours. L'Auteur des Ser
mons fur tous les fit ets.
L' o N doit confidérer dans faint Jacques, ſa vocation, fa miſſion, ſon I I.
martyre ; & ſelon ces trois différentes vůës, l'on peut faire voir,
1°. Que faint Jacques a fait paroître une obéiſſance parfaite dans ſa voca
tion, en quittant ſon pere & fa mere, toute eſpérance de poſſeſſion , tous at
tachemens & liaiſons qu'il pouvoit avoir dans le monde » pour ſe mettre à la
fuite du Sauveur.
zº. Qu'il a fait paroître un courage héroïque ; & un zéle fans bornes, en
foûtenant toutes les diſgraces qu'il pouvoit ſouffrir de la part des Juifs ſes
compatriotes , lorſqu'il travailloit à leur converſion, & toutes les fatigues des
voyages, les injures & les rebuts des payens, pendant qu'il couroit l'Eſpagne
pour y annoncer l'Evangile. *
3 c. Qu'il a montré ſon grand coeur, en bûvant le calice, qu'il avoit pro
mis au Fils de Dieu de boire, lorſqu'il ſouffrit le martyre avec une invinci
ble conſtance.
XX x ij
532 POUR LE PANEGYR. DE S. JACQUES LE MAJEUR.
II I. No u s pouvons distinguer trois choſes particulieres dans faint Jacques le
Majeur, qui ne font pas communes à tous les autres Apôtres, & qui peuvent
fervir de ſujet à un diſcours.
1°. D'avoir reçû de Jesus-CHR ist un nom particulier, dont il a rempli la.
fignification dans toutes fes circonſtances.
2°. D'avoir porté le prémier de tous les Diſciples,le nom de Jesus ChR 1.sr
hors de la Judée, dans le deſfein de faire reconnoître le Sauveur par les
payens, juſqu'aux extrémitez de l’Europe.
3°. D'avoir ſouffert le martyre le prémier entre les Apôtres, n’ayant eû de
vant les yeux autre exemple pour l'encourager, que celui de faint Eſtienne,
qui ſeul l'avoit précedé.
I V. L A mere de faint Jacques, ou plâtôt lui-même par l'organe de fa mere,
demanda les prémieres places du Royaume du Sauveur pour lui & pour fon
frere. Mais, dit le Sauveur : pouve vous boire le calice que je dois boire ? la ré
ponſe de faint Jacques fut qu'il le boiroir,Poſsumus ; & l'efft répondit à ſa pa
role ; car ni la miſére & la pauvreté de ſa vocation , ni les contradićtions &
les peines de fa miſſion, ni le ſacrifice de fa propre vie , & les rigueurs de
fon martyre ne l'ont jamais pů empêcher d’exécuter ce qu'il ſe fentoit pouvoir
faire avec le fecours de la grace, & ce que fon Maître avoit aſsûré poſitive
ment qu'il feroit.Calicem quidem meum bibetis;ce qu'il a accompli en effet, car,
1°. Il s'eſt foumis avec une parfaite obéiſſance à toutes les diſgraces de ſa
VOCat1On.
'2°. Il a eſfuyé avec un zéle infatigable tous les travaux & les peines de ſa
miſſion.
3°. Il a triomphé avec un invincible courage de toutes les rigueurs de fon
martyre. Tiré des Eloges historiques.
C e qui rend faint Jacques un des plus confidérables entre les Apôtres, ce
font les faveurs qu’il a reçûës du Sauveur, faveurs qui ont été accordées à
très-peu d'autres ; car le Fils de Dieu n'a rien conçû de ſecret, qu'il ne lui ait
découvert ; il n'a rien exécuté de grand, qu'il ne l'ait fait en ſa préſence, &
il n'a rien ſouffert de douloureux, qu'il ne l’en ait rendu participant. Il apprſt
fur le Thabor ce que Dieu prépare dans l’éternité à ceux qui le ferverir fidé
lement dans le temps. Il vit dans la maiſon du Prince de la Synagogue, la ré
furrećtion de fa fille, & il ne pủt voir dans le Jardin des Olives la mortelle:
agonic de fon Maître, ſans mêler des larmes aux ruiſſeaux de Sang qui cou
loient de toutes ſes veines. Et s'il eſt permis de juger de fon bonheur dans le
Ciel par les faveurs qu'il a reçûës dans l'Egliſe , on peut croire , ſans offenfer
les autres Apôtres, -
1º. Qu'il n'a pas moins de part à la gloire de fon Maître dans le Ciel,
u’il en a ců fur la terre à ſes ſecrets.
zº. Qu'il n'est pas moins puiſſant en æuvres dans le Royaume du Sau
veur, qu'il l'a été fur la terre par les prodiges qu'il y a opérez par la grace du
Fils de Dieu, - -
3°. Qu'il est d'autant plus élevé dans la gloire, que fa charité a été conf.
tante & inébranlable dans fes ſouffrances & dans fon martyre. Tiré du Pere
Senault de l'Oratoire.
V I. i l n'appartient qu'à Dieu de donner des noms Pleins, comme le, appelle.
p A RA G R A P H E P R E MI E R. 533
faint Bafile, Nomina plena, des noms qui opérent ce qu'ils font entendre, &
qui rempliffent toute l'étenduë du ſens qu'ils renferment. Nous en avons un
exemple dans le glorieux Apôtre faint Jacques. A peine Jesus CHR1 sr lui eût
il donné le nom d'enfant du tonnerre, qu'il lui donna toutes les qualitez dont
il avoit beſoin pour foûtenir un nom fi extraordinaire. En effet, felon ſaint
Thomas , il y a trois fortes de foudres , un qui pénétre , un qui agit , un qui
brille.Or il eſt facile de remarquer dans la vie de faint Jacques ces trois rap
ports avec le foudre, car ,
1°. Il eſt le prémier des Apôtres qui par l'éclat de fa prédication a triom
hé de l'opiniâtreté des Idolâtres, & percé les ténebres du Paganiſme.
2°. Il eſt le prémier de tous , qui par la conſtance de ſon martyre a ébranlé
la dureté des Juifs, & humilié l'orgueil de la Synagogue.
3o. Enfin, après fa mort, il eſt le feul entre tous, qui attirant de toutes
parts les Chrêtiens à ſon tombeau, s'eſt déclaré le défenſeur viſible de l'Egliſe
Effais de Panégyriques.
C’est une vérité connuë dans la Religion, qu'il n'y a point d'autre voye V I I.
pour entrer dans le Ciel, que celle des fouffrances ; mais le Sauveur du mon
de ne pouvoit nous la faire comprendre d'une maniere plus divine, qu'en ré
pondant par ces paroles, à la demande de cette ambitieuſe mere, qui lui de
mandoit pour ſes deux fils les deux prémieres places de fon Royaume. Jesus
CHRIST leur dit : Potestis bibere calicem? &c. Vous aſpirez aux prémieres pla
ces de mon Royaume, mais apprenez qu'il est impostible de regner avec moy
dans le Ciel, fi vous ne ſouffrez avec moy fur la terre, & ſi vous ne prenez
vôtre part de ce brûvage de fiel que j'y dois boire. L'un de ces Diſciples étoit
faint Jacques ; il répondit génereuſement avec ſon frere : Poſsumus, nous le
pouvons. Il a tenu ponćtüellement ſa parole, car ,
1º. Non - ſeulement il a bú toute l'amertume de ce calice, comme le
Sauveur. -
2°. Il l'a bâ avec un courage & une intrepidité héroïque, comme fon di
vin Maître.
* 3°. Il l'a bû même d'avance, & long temps avant fa mort, comme le Fils
de Dieu. Tiré des Effais de Panégyriques.
O n pourra faire un ſujet de morale affez ample & abondant, en expliquant v I II.
comment ce calice dont le Fils de Dieu parle à faint Jacques, est les fouffran
ces; comment faint Jacques l'a bů en ſouffrant conſtamment le martyre; com
ment enfin nous y avons nôtre part , & que nous la devons prendre avec
amour, à l'exemple de ce faint Apotre.
1 º. Nôtre Seigneur prenant tout ce qui lui arrivoit, comme venant de la
main de fon Pere , appclloit fa Paffion du nom de Calice , & demandant à
faint Jacques s'il le pourroit boire avec lui , c'étoit l’inviter & l'obliger auſſi
fertement que doucement à y participer. C'eſt pourquoy nôtre Apôtre qui
avoit fait une fi pauvre demande, fit une riche réponſe par cette parole :
Poſsumus. -
zº. Tout le monde ſçait que faint Jacques ayant été décollé, comme les,
Aćtes le rapportent, il a bû ce calice de bonne grace, comme il l'avoit pro
mis; qu’il a beni & embraſſé celui qui l'avoit einpriſonné, & lui a obtenu la
grace de ſouffrir le martyre avec lui; mais la plus grande amertume de ſon
XXx iij
534 poUR LE PANEGYR. DE S. JACQUES LE MAJEUR.
calice a été de n'avoir converti que cet homme , & quelque peu de perſonnes
avec lui, & cela contre l'ardent defir qu'il avoit de la converſion & du ſalut de
tout le monde.
3°. Pour prendre part comme nous le devons, au calice du Sauveur, il
faut nous perſuader fortement que rien ne nous arrive de ſouffrances, que ce
ne ſoit de la part de Dieu. Que cette part à ſes ſouffrances est le calice qu'il
nous faut boire avec aćtion de graces, comme faint Jacques. Que toute autre
croix qui feroit de nôtre choix , feroit de très-peu ou point du tout de mérite,
au prix de celle que Dieu veut que nous portions, la recevant de fa liberale
main. Pouvons-nous refuſer avec raiſon ce que la bonté infinie de Dieu juge
être propre à nôtre falut ? -
IX. En ſuivant de point en point l'Evangile que l'on lit le jour de faint Jacques,
on peut remarquer que trois lâches & infames paſſions infinüent l'ambition
dans une ame , & que par conſéquent elle n'a rien que de vicieux dans fon
origine. La prémiere, c'eſt l'ignorance; la feconde, c'eſt la préſomption ; la
troifiéme, c’eſt la jaloufie & l’envie.
La prémiere nous est exprimée par ce reproche que le Sauveur fait à faint
Jacques & à ſon frere, qui lui demandent les prémieres places de fon Royau
me : Neſcitis quid petatis; vous ne ſçavez ce que vous demandez. Voilà l'igno
rance où leur ambition les jette.
La ſeconde nous eſt marquée en ce que Jesus-CHR I ST leur ayant demandé
s'ils pouvoient boire ſon calice, ils lui répondirent qu'ils le pouvoient. Poſsu
mus. Voilà leur préſomption.
La troifiéme nous est ſignifiée par la priere qu'eux, & leur mere font au
Fils de Dieu, d'être aſſis au préjudice des autres Apôtres, l'un à fa droite, &
l'autre à fa gauche: Dic ut duo filii mei fedeant, unus ad dextram, & alter ad
finistram in regno tuo. Voilà leur jaloufie & leur envie. De ces trois parties on
peut faire un Panégyrique mêlé d'une morale très-inſtrućtive & abondante,
Tiré du Carême de AMr. de Fromentieres.
535
P A R A G R A P H E S E C O N D.
Le même, l. 1. contre Celfe, donne des éloges à faint Jacques, qui fem
blent l'élever en quelque choſe au-deſſus de faint Pierre.
Le vénerable Bede a fait une Homelie fur faint Jacques au 7. Tome , Ho
mil. estival, de Santiis, où il traite de tout ce que l'on Peut dire à la loüange
de cet Apôtre.
536 POUR LE PANEGYR. DE S. JACQUES LE MAJEUR.
Albert le Grand , a un Sermon ſur ces paroles: Dic ut fedeant duo filii mei,
unus ad dexteram tuam, &c.
Saint Bonaventure, a fait deux Sermons ſur ce ſujet, l'un ſur ces paroles de
l'Eccleſiastique : ‘Dilectus Deo & hominibus, où il compare ce Saint avec
Moyſe. L'autre Sermon eſt ſur ces paroles d'Iſaïe : Erit ſepulchrum ejus glo
rioſum.
Denys le Chartreux, deux Sermons ſur la fête de faint Jacques. Dans le
prémier, il s'étend ſur les loüanges de cet Apôtre. Dans le ſecond , il montre
combien le procedé du Sauveur a été juſte, de n'avoir point eû d'égard à la
priere de la mere, ni à la demande ambitieuſe de fes enfans. -
P A R A G R A P H E T R O I SI E'M E.
Eluoſdam quidem Deus poſuit in Eccleſia, Dieu a établi, dans l'Egliſe divers dégrez,
primum quidem Apostolos, fecundò, Prophe prémierement les Apôtres, enſuite les Pro
tas, deinde Doctores. 1. ad Corinth. c. 12. phétes, après eux les Docteurs.
superadificati fuper fundamentum Aposto- Vous êtes édifiez ſur le fondement des
lorum. Ad Epheſ, 1. Apôtres.
Pro Christo legatione fungimur. Ibidem, Nous ſommes les Ambaſſadeurs de Jesus
CHR I ST.
Hi funt qui venerunt de tribulatione ma- Ce ſont ceux-là qui ont ſouffert de gran
gna, é laverunt stolas fuas in fanguine des perſécutions, & qui ont lavé leurs robes
Agni. Apoc. 7. dans le Sang de l'Agneau.
Ideo funt ante thronum Dei, & qui habi- C'est pourquoi ils font devant le thrône
tat in throno, habitat fuper illos. Ibid. de Dieu , & celui qui eſt aſſis ſur le thrône ,
demeure dans eux.
Erit ſepulshrum ejus glorioſum. Iſaiæ 11. Son fépulchre fera glorieux. .
Herodes occidit facobum fratrem foannis Le Roy Hérode fit mourir par l'épée Jac
gladio ; videns autem quia placeret fudais, ques frere de Jean ; & voyant que cela Plai
appofuit ut apprehenderet & Petrum. Act. 12. foitVous
aux Juifs , il ſe ſaifit encore de Pierre.
Non potestis calicem Domini bibere, 6° ca- ne pouvez pas boire le calice du Sei
licem demoniorum. 1. ad Corinth. c. 1o. gneur , & le calice des démons.
Calicem falutaris accipiam , Cr nomen Do- Je prendrai le calice du falut , & j'invo
mini invocabo. Pſalm. 15. querai le nom du Seigneur.
Exemples
p & figures
g tirées de l'Ecriture fainte.
1, dain. Le Fils de Dieu appella les deux freres, faint Jacques & faint Jean Boaner
tu d ges, c'est-à-dire fils du tonnerre. Il n'eſt rien de plus rapide , de plus péné
nerre expri trant, de plus impetueux que le feu du tonnerre. Enfermé dans le ſein de la
me P fait - nuée, & trop contraint dans un fi petit eſpace, il fait un bruir confus dans la
balle region de l'air, & rompt ce foible obstacle pour ſe faire jour par un
S. Jacques, éclair, fi vif & fi perçant, qu'on le perd de vűë dès le moment qu'il paroît.
Bientôt cet enfant du tonnerre , ſaint Jacques, va produire les mêmes effets,
pour accomplir la volonté de Dieu. Il va éclairer les pecheurs par la lumiere
de la parole Evangélique , il les va étonner par une crainte falutaire, & fai
re trembler les coeurs les plus impénétrables juſques dans les plus intimes re
plis de leurs conſciences. Ce n'eſt donc pas fans raiſon que faint Auguſtin ap
pelle le tonnerre , la voix de Dieu ; c'eſt de cette voix dont il fe ſervit autre
fois fur la montagne de Sinai ; c'est encore de cette voix dont le Saủveur fe
fert pour étab ir ſon Egliſe. La voix des Apôtres est ce nouveau tonnerre ;
c'eſt par ces nuées que Dieu tonne, éclaire & arroſe ; mais faint Jacques le
Majeur citie prémier de tous qai, comme un tonnerre qui ait paſſé les mers,
p A R A G R A P H E T R O IS IE'M E. 539
pour aller porter la lumiere de l'Evangile aux Nations. Il ne ſe contente pas
d'avoir prêché Jesus-CHR1st à ſes Concitoyens, & à ceux de fa Nation : il
brûle du défir de lui procurer de nouveaux adorateurs. Il traverſe les mers
pour cet effet, il paſſe juſqu'aux extrémitez de l'Europe, & il employe tout le
feu de fon zele à diſſiper les ténébres du paganiſme , & à vaincre l'obſtina
tion de ces peuples, auparavant barbares & Idolâtres.
L y eut une conformité parfaite entre faint Jacques & faint Jean ; comme . La restem
ils étoient freres, la grace les unit auſſi bien que la nature. Anicetas ne craint Plane :
point de dire que Jesus-CHR 1st ne fit point de faveurs à l'un , qu'il ne les
accordât à l'autre : Nihil uni cedens, quàm alteri, illi omnino equales. Comme Jacques &
ils fureut fils d'un même pere , ils furent tous deux appellez en même temps faint Jean.
du même Meſſie. Ambo eodem patre geniti, & Deo eletti. Ils étoient fi con
formes,qu'ils ſembloient être compoſez des mêmes principes. Il ſemble qu'ils
n'avoient qu'une même ame en deux corps ; de forte que faint Jean étant re
connû généralement pour avoir été le confident des ſecrets de Jesus-Christ :
il ne ſe peut faire que faint Jacques, ayant participé à tous fes avantages,
n'ait partagé avec luy ce glorieux titre.
Nous trouvons dans l'Evangile, que deux Apôtres proteſterent de mourir Saint Jac
pour leur Maître en deux occaſions. L'un fut faint Thomas, qui :
lorſque le Sauveur ayant dit à ſes diſciples, retournons en Judée, & fes diſci
Ples tâchant de l’en détourner, & lui difant, Maître , les Juifs vous y ont refologion,
voulu lapider, comment avez-vous le courage d'y retourner ? Thomas prit la le faint
parole , & dit : Eamus & nos , & moriamur cum eo: allons auſſi nous, & :
mourons avec lui. Mais cet Apôtre qui ſe vantoit de vouloir mourir pour
Jesus-CHR 1st , & avec lui, ne voulut pas croire qu'il fût reſſuſcité & per- le Sauveur ,
fiſta huit jours dans fon infidélité. L'autre fut faint Pierre , qui après avoir & que faint
dit qu'il étoit prêt d'allet en priſon , & de mourir pour le Sauveur, tint fi i
peu ſa parole , que peu de temps après, à la voix d'une fimple ſervante, il -
nia juſqu'à trois fois de le connoître. Il n'en fut pas ainſi de faint Jacques,qui, foi piủ ổt
ayant promis
de boire au Fils
le calice quedefon
Dieu conjointement
Seigneur avec ,ſon
devoit boire nonfrere, qu'il étoit
ſeulement prêt favoüer.
ne fit rien que de le de
dans la ſuite de contraire à cette généreuſe réſolution, mais il l'accomplit
onćtuellement.
Quand le Fils de Dieu ſe préſenta pour entrer dans une ville de Samarie,on . Comme
lui refuſa l'entrée, parce que les Samaritains ne recevoient pas volontiers : !
chez eux les Juifs, lorſqu'ils alloient en Jéruſalem à la Fête de Pâques ; car
ils croyoient qu'il falloit adorer au mont de Garifim, & non ſur le mont de imier leze
Sion où étoit le ſeul Temple de Dieu. Les deux diſciples , Jacques & fon frere le du Tro
ayant vû le refusincivil que les habitans avoient fait au Sauveur, pouſſez de Elie ,
zele, lui dirent.: Seigneur, vous plaît-il que nous faſſions deſcendre le feu du -
ciel pour conſumer tous ces malheureux? Ils ſe fouvenoient fans doute de ce veur, qu'il
qui eſt écrit au quatriéme livre des Rois, que Ochofias Roy d'Iſraël ayant en- leur fût per
voyé
il un officierledefes
fit deſcendre gardes
feu du avecluicinquante
ciel ſur & fur feshommes, pour lui
compagnons. amener
Il en Elie,à
ft autant a:c
un autre qui vint de la part du Roy.Les deux Apôtres voulant imiter ce zele,& far les sa
vanger l'affront fait à leur Maître, lui demanderent s'il trouveroit bon qu’ils maritains.
fiffent deſcendre le feu du ciel, qui eſt toûjours accompagne de tonnerre, ſur
Y Y y ij
*
Raiſon pour Admirez la conduite de Jesus-CHR 1st fur faint Jacques, & fur faint Pier
laquelles, re ; voyez comme il abandonna faint Jacques à la volonté de fes perſécuteurs
« & de ſes bourreaux, pendant qu'il delivre ſaint Pierre de priſon par un coup
j prodigieux & ineſperé. Ne pouvoit il pas de même enlever faint Jacques à la
ques sit . . fureur du Roy Agrippa ? Ce faint Apôtre ne ſe croit pas malheureux de fuc
abandonné
fes bour-
à lorſqu'il
comber ſous l'effort de
fut conduit au fes
lieuennemis; il reffentit
de fon ſupplice ; ellemême unefur
éclattoit joyefonparticuliere,
viſage d'u
Ic2UXs ne maniere fi fenſible, que celui qui le conduiſoit au ſupplice, en fut touché;
& Dieu, pour mettre la joye de nôtre faint à ſon comble, voulut lui donner
pour conquête, une de ces perſonnes qui paffent dans le monde pour être les
plus dures & les plus infenſibles, en convertiffant le ministre qui devoit l'éxé
cuter à mort ; pour nous apprendre que fi nous avions le bonheur de ſouffrir
pour lui , nos fouffrances ne feroient pas stériles, & qu'elles procureroient le
falut des autres, fi nous témoignions autant de charité & d'humilité que faint
Jacques. La constance de cette généreuſe vićtime , & cette douceur d'agneau,
qui le portoit à ſe taire devant ceux qui l'alloient égorger, est la plus efficace
prédication de ce Saint , & celle qui a enlevé plus d’ames au démon , pour les
conſacrer à Jesus-CHRIST. Ne nous mêlons donc point de fonder les ſecrets
jugemens de Dieu, & de vouloir penétrer pourquoi faint Pierre eſt délivré de
Priſon , pendant que faint Jacques eſt conduit à la mort. Edifions-nous de la
patience de ces deux Saints. Saint Pierre repoſe tranquillement au milieu des
foldats, aufquels il étoit attaché avec deux chaînes , parce qu'il avoit remis le
foin de fa perſonne à la providence. C'est ainfi que dans les plus grandes dif
. ficulrez, il faut nous repoſer fur les bontez de Dieu , CIì nOllS unc
confiance , qui banniſſe toute inquiétude, que Dieu nous délivrera s’il eſt ex
pédient pour nous. Prenons un fujet d’édification de la générofité de faint
Jacques, qui eſtime que c'est un gain de mourir pour Jesus-CHR ist ; & di
fons que nous commençons à être les diſciples d'un fi grand Maître , lorſque
nºus répandons nôtre fang pour lui. Nous avons encore un exemple affez fem
blable en la vie de faint Paul. Oncfime lui étoit cher, parce qu'il l'avoit en
P A R A G R A P H E T R O I S IE’ ME. 54 I
fanté pour Jesus-Ch R ist, & à Jesus CHR is r, dans le temps de fa priſon &
de ſesa chaînes
regarde: auſſi
Obſecro profilio
comme meodeOnefimo
l'une fes plus, precieuſes
quem in vinculis genui.la conver-
conquetes, S. Jac- Philem.
, Epist. ad
1o.
ion de celui qui l'avoit arrêté : & mene devant les Juges. Celui-cy touché
de la patience & de la genérofité de nôtre Saint, anime par la confeſſion pu- ,
blique que fit faint Jacques de la Divinité de Jesus-CHR1st , confeſla lui
même, dit ſaint Clement d'Alexandrie , qu'il étoit Chrêtien. Le même ſup- Euſeb. l.2,
plice fut deſtiné au maître, & au diſciple. Conduits l'un, & l'autre au lieu du 47- 9.
Íupplice : ce nouveau Cathecumene demanda pardon à faint Jacques, qui
délibera un peu , non pas s'il pardonneroit, mais s'il traitteroit comme frere
un homme qui n'avoit pas encore reçû les facremens de Jesus-CHRIST ; mais
Dieu lui révéla, comme il l'a révélé à toute fon Egliſe que le fang du martyr
fuplée à tout. Auffi-tôt l’Apôtre l'embraſſa, en lui difant: la paix foit avec
vous. Ils eûrent enſuite la tête tranchee. Ainſi nous convertirions nos ennemis
pour en faire des diſciples du Sauveur, fi par un excès de charité & de pa
tience à leur égard, nous amaffions des charbons ardens fur leur tête. Ainſi
nous deviendrions Apôtres , fi nous profitions comme faint Jacques de tou
tes les occaſions que providence nous fait naître de travailler au falut de
nos freres.
ceux qui . Nefcitis quid petatis. Matth. 2o. Si par le Royaume du Fils de Dieu, dont
briguent les faint Jacques & fon frere briguoient les prémieres places, ils euffent entendu
. fon Egliſe , qui est ordinairement exprimée par ce nom dans l'Ecriture, &
# i dans laquelle il y a auſſi des rangs & des ordres différens; puiſque c'eſt pour
estis royau- cela qu'on la nomme une Hiérarchie; l'on peut dire de ceux qui les briguent,
me de Dieu & qui s'efforcent d'y parvenir par d'autres voyes que par celles du mérite, à
quoi les hommes n'ont pas toûjours égard ; que ceux-là, dis-je, ne fçavent
ce qu'ils demandent, parce que cette élevation ne fert fouvent qu'à leur pré
den:, & parer un plus profond précipice, que s'ils avoient bien confideré les devoirs
pourquoit qui y font attachez, les obligations qu'elles leur impoſent, le compte effroya
ble qu'ils auront à rendre au jugement de Dieu, ils concevroient eux-mêmes
qu'ils ne ſçavent ce qu'ils demandent, & encore moins ce qu'ils font, quand
ils s'y pouſſent, & qu'ils employent ſouvent les moyens les plus injustes & les
plus indignes pour y arriver. L'ambition s'y gliſla dès les prémiers temps de
Epit. fran, l'Egliſe, comme s'en plaint le Diſciple bien-aimé: Qui amat primatum gerere
- Diotrephes, non recipit nos ; & ſouvent l'honneur qui y est attaché, & les préé
minences font l'unique motif qui les fait rechercher : fans penſer que la pré
miere leçon que le Fils de Dieu enſeigne dans ſon École, est l'humilité qui
tient, comme dit faint Bernard, de la nature des corps peſans, leſquels ten
dent toûjours vers leur centre , & ne font jamais en repos, qu'ils ne ſoient
placez dans le plus bas lieu. Dieu dans ce royaume de fon Egliſe, auffi-bien
que dans celui du Ciel, a distribüé les places & les rangs felon l'ordre de fa
fageffe ; ſa providence a fes vůës, que les nôtres ne doivent pas entreprendre
de pénerrer. Ce qui eſt constant, c'est que ceux qui occupent les prémiéres
places dans l’un de ces royaumes, ne tiennene pas toûjours dans l'autre le mê
me rang ; & que la ſeule émulation qui est permiſe à un Chrêrien, eſt de s'ef
forcer d'être le plus fidéle au fervice de ce ſouverain Maître, de s'acquitter le
plus exaćtement de ſes devoirs, d'être plus faint , plus humble, & plus ver
tüeux que les autres ; & Dieu qui est fidele dans fes promeſſes, ne manquera
pas d'avoir ſoin de nôtre avancement, & de nous élever à proportion de nô
tre humilité, & du bon uſage que nous ferons de fes graces & de fes bien
faits. C'eſt la maniere dont il en a usé envers ſaint Jacques, à qui le Sauveur
a plus
P A R A GRA P H E T R O IS I EM E. 545
a plus accordé qu'on ne lui avoit demandé, non-ſeulement par cette distinc
tion entre ſes Diſciples , mais encore par celle entre fes Apôtres.
Quæcumque didici à Patre, nota feci vobis Joan. 15.Les lumieres que Di eua
communiquées à ſes Apôtres dans la Loy de grace,ont été bien plus abondantes
que celles qu'il a communiquées aux Juſtes de l'ancien Teſtament. Il les aſsû
re dans l'Evangile, qu'il leur a découvert tout ce qu'il a appris de fon Pere.
Cependant il y a toûjours quelques ſecrets qu'il s'eſt réſervez, pour les con
fier à ceux de fes Diſciples qui lui ont été les plus chers, & faint Jacques a été
de ce nombre. Le myſtére de la Transfiguration eſt une preuve de cette vérité;
c'eſt dans ce myſtére qu'il découvrit, & qu’il manifeſta ſa gloire ; mais il
voulut qu'elle fût cachée aux autres Apôtres ; il n'y eut que ſaint Jacques,
faint Jean, & faint Pierre, qui en furent les témoins. Comme les autres Apô
tres étoient encore trop attachez à la chair & au ſang , il ne ſe montroit à eux
que ſous les voiles d’une chair paſſible : au lieu que ceux-cy s'étant élevez par
les aîles de la charité à la plus fublime contemplation, s'étoient rendus dignes
de voir la gloire que la Divinité de Jesus-CHR 1st communiquoit à ſon corps:
Illis verò contemplatione fufpenfis, veritatem glorificatæ carnis oftendit, dit Pier
re de Blois. Ce fut auſſi cette perfećtion de la charité de faint Jacques qui le
rendit digne avec les deux autres Apôtres, d'avoir part à la mortelle
que le Fils de Dieu voulut bien prendre pour l'amour de nous dans le Jardin
des Olives,& d'être préſent quand il fut pris par cette troupe de ſcélerats dans
le même lieu.
Existimo nihil me minùs feciße à ceteris Apostolis. 2. Cor. I 1. Ces paroles de s Jacques
faint Paul nous marquent que parmi les Apôtres mêmes,il y a eủ quelque dif- a été l'un des
tinćtion de rangs, & qu'ils ont rendu des ſervices plus conſidérables à Dieu qui
les uns que les autres. Mais c'est le ſentiment commun des Peres, & des In
terprétes, que faint Jacques a été du nombre de ces grands Apôtres, aufquels plus confié
faint Paul ne craint point de ſe comparer, quand il confidére la multitude de rables à
fes travaux; quoique par un ſentiment d'humilité, il ſe regarde comme le der-P".
nier des hommes, & indigne d'avoir été appellé à un miniſtére,
uand il fait réflexion à ce qu'il est de lui-même , & au peu de mérite qu'il a
de ſon fond. S. Jacques a donc tenu rang parmi les grands Apôtres, comme
l'un de ceux pour qui le Fils de Dieu a eû le plus de confidération, foit dans
le partage des lieux où il a porté & cultivé la foy, ſoit pour la maniere dont
il a foûtenu la dignité de fon Apostolar.
Erit ſepulchrum ejus glorioſum. Iſaie i 1. Le ſepulchre de l'Apôtre S. Jacques combien ce
est devenu glorieux par une infinité de miracles qui ſe multiplient tous les Saint a été
.
jours ; mais ce qui eſt une preuve plus authentique de la gloire dont il est en :
poſſeſſion ; c'est que Dieu lui a accordé après fa mort ce qu'il fembloit lui par le
avoir refuſé pendant ſavie, fçavoir, la converſion d'une infinité de pecheurs, concours des
aufquels par fadefaveur
componćtion leursauprès
pechez.deCar
Dieu, il impetre
combien l'eſprit zélez
de pelerins de pénitence, & de ſon
ont abandonné peuples à
tombeau.
leurs biens, leurs maiſons, & leurs parens, pour venir honorer le Fils de
Dieu dans ſon Apôtre ? Combien de Rois ont abaiſſé leur pourpre & leur
fceptre aux cendres de ſon tombeau ? Combien de Princes & de Grands y ont
fait hommage de leurs Etats & de leur puiſſance ?
Dic ut fedeant hi duo filii mei in regno tuo , unus ad dexteram , unus ad finiſ:
Paneg. des Saints. Tome I. ZZz
546 POUR LE PANEGYR.DES. JACQUES LE MAJEUR.
tram. AMatth. 2o. L'ambition eſt au fentiment de tout le monde une paſſion
déreglée, & qui est d'autant plus baffe & blâmable, qu'elle nous fait défirer
avec plus d'ardeur les états & les dignitez les plus élevées. Mais fi les deux
freres faint Jacques & faint Jean étoient repréhenſibles de vouloir être placez
au-deſſus de leurs collegues, leur mere paroît excuſable en ce point, de fou
haiter à ſes enfans les places les plus honorables ; parce que l'affećtion natu
relle des parens envers leurs enfans paſſe dans l'idée des hommes pour un
genre de pieté, plûtôt que pour une paffion déreglée. Il faut pourtant conve
nir qu'à l'ombre de cette tendreſſe naturelle; pluſieurs défauts bien conſidéra
bles prennent le nom de vertu, & que le défir d'élever fes enfans est regardé
comme un devoir faint & pieux ; de forte qu'en cela on fuit avec d'autant
plus d'ardeur cette envie d'avancer ceux qui nous appartiennent,que c'est fans
fcrupule , & que bien loin de s’imaginer qu'il y ait aucun déreglement dans
cette ambition, on la croit permiſe , & l’on s'en fait un mérite dans le mon
de. Cela fe voit dans la demande de la mere de faint Jacques ; car elle fut tel
lement trompée par cette pieté naturelle, que penfant faire un aćte de grande
charité envers ſes enfans, elle fe laiſſa aller à une ambition démeſurée, qui ne
fe peut excuſer que par la ſeule ignorance où elle étoit de la choſe qu'elle de
mandoit au Fils de Dieu.
Habet honor forenfem gratiam, domesticum L'honneur qu'on vous rend , plaît , & a au
periculum. S. Ambroſ. l. 4. in Luc. dehors de l'agréement : mais le danger qui
l'accompagne , eſt intérieur & dans nous.
. Jacobus Christum tanto ardore profequitur, Saint Jacques avoit un zele fi ardent pour
c3. ad tantam fublimitatem aſcendit , ut à la gloire de Jesus-CHR1sr , que les perſécu
perfecutoribus confestim occiſus fit. S. Hiero teurs de la foy, le mirent à mort tout le pre
nymus. -
mier des Apôtres.
Filios tonitrui appellat Dominus facobum Le Sauveur donna le nom d'Enfant du
e foannem , ut precipuºs Pradicateres , Ór tonnerre à faint Jacques & à faint Jean ,
aximè Theologos. Theophilaćtus in Mar comme étant les deux principaux Prédica
CU IIl. teurs de l'Evangile, & les deux plus éclairez
dans les divins myſteres.
Tonitrui filii ſpiritualia intonuerunt. Gre Ces enfans du tonnerre firent retentir par
gor. Nazianz. orat. 44. tout les véritez ſpirituelles & éternelles.
",
Locum altiorem fortitus es, fed non tutiº Vous êtes élevé au plus haut rang; mais ce
rem , fubliniorem ; ſed non fecuriorem. n'eſt pas le plus sûr ; c'eſt le plus fublime ;
s. Bernardus ad Eugenium. mais qui met vôtre falut en plus grand
danger.
confiderofastigium dignitatis, ór intueor Je confidere la hauteur de vôtre dignité,
faciem abyſi jacentis deorſum, attendo cel mais j'enviſage en même temps l'abîme du
fitudinem é è vicinº periculum reformido ; précipice qui eſt au-deſſous; je regarde l'élé
ferribilis prorſus, terribilis est locus iste. Idem vation;& je vois le péril qui eſt proche:ô que
Epift. 272. ad eundem. ce lieu est terrible, & capable de m'effrayer.
-
Nullum tibi venenum , nullum gladium Je ne crains point tant pour vous le poi
plus reformido quam libidinem dominandi. fon , ni l'épée qui vous peuvent ôter la vie,
Idem 1. 3. de confiderat. que le défir déréglé de dominer.
Potestis bibere calicem, &c. per calicem Pouve Gvous boire le calice que je boiray ?
pertingitur ad majestatem ; ß vos locus de C'eſt en beuvant le calice du Seigneur, que
iečiat celſitudinis , prius exerceat via laboris
f, mens vestra affets: quod muleet , bibite l'on 3parvient à la grandeur ; l'élévation vous
plait, parvenez y par la voye laborieuſe, fi
prius quod dolet. S. Gregorius, homil 43. vous défirez ce qui fatte, beuvez prémierc
ment ce cali ce d'amertume.
Tranfeat à me calix iſte. Id est , ut quo Que ce calice paffe loin de moi , dit le Sei
modo à me bibitur, ita ab iis bibatur qui , c'eſt-à-dire, que ceux qui doivent
posti me paſuri funt. S. Hilarius in cap. 2o. ouffrir après moi, ſuivent mon exemple ,
Matth. prenant ce calice de la même maniere que je
l'ai pris de la main de mon Pere,
ZZ z ij
548 POUR LE PANEG. DE S. JACQUES LE MAJEUR.
PAR A G R A P H E C I N Q U I EM E.
probable Je ne ſçai fi ce que quelques-uns diſent de faint Jacques est bien fondé ;
que faint qu'il étoit proche parent du Fils de Dieu , felon la chair, ce qui n'eſt point ré
jacques ait voqué en doute de faint Jacques le Mineur. Mais ceux qui en ont fait le ca
été pital de ſon éloge , s’étant appuyez fur des conjećtures incertaines, ont cher
D ché dans la nature, des raiſons de l'affection particuliere que le Sauveur a euë
& quand ce pour luy » au lieu que cette Sagelle éternelle ne les a tirées que du côté de la
la fetoit , ce grace , & des avantages, dont il étoit lui-même l'auteur : comme nous ap
n'est r. prenons de ces paroles; Qui facit voluntatem Patris mei : ille meus frater, &
jror , & mater est : que celui qui faiſoit la volonté de ſon Pere , lui tenoit lieu
e de frere , de fæur, de mere, & de l'alliance la plus proche qui puiſle être
que le Sau- dans la nature.
veur à . Saint Augustin apporte une belle raiſon pourquoy le Fils de Dieu appelle
.. fa Paſſion un calice. Il dit que comme c'étoit la coutume dans les feſtins de
# y Prendre une coupe ; & d'en faire boire à tous les enfans, pour leur témoigner
Nôtre sei- qu'ils devoient avoir part à l'héritage de leur pere ; ainſi le Sauveur appelle
gnut appel- ſa Paſſion un calice, pour faire voir qu'il en veut faire part à tous fes enfans.
º En effet, tous les Saints ontbû de ce calice , puiſqu'il n'en eſt point qui
n'ayent eû quelque part aux fouffrances de Jesus-CHR 1st ; les Martyrs fur
tout, en ont bûla plus amere portion dans les tourmens qu'ils ont ſouffert.
Ce ſont eux qui ont lavé leurs robes dans le fang de l'Agneau, & qui ſe font
enyvrez de ce vin ſacré, dont les preſſoirs de l'Egliſe ont regorgé dans les
perſécutions, comme dit faint Auguſtin. Or parmy ces Martyrs , il y en a qui
ont ſouffert avec des circonstances plus approchantes de la Paſſion du Sau
veur, & qui par cette raiſon, en ont bû le calice avec plus d'amertume. Saint
Jacques eſt de ce nombre ; il mourut comme Jesus-Chr 1st dans Jéruſalem:
il fut ſacrifié comme lui à l'envie des Prêtres, & à la rage du peuple ; Hérode
le condamna à la mort pour fatisfaire leur fureur, comme Pilate avoit aban
donné le Sauveur à la haine de fes accuſateurs. Il pardonna comme J E s u s
CHRIST mourant, à ſes ennemis, & demanda grace pour fes meurtriers ; il
fit des prodiges preſque en expirant , auſſi bien que le Fils de Dieu. Il eſt
vray que d'autres Martyrs ont fouffert de plus longs & de plus douloureux
fupplices ; mais la voye ſanglante du martyre étoit applanie ; les vestiges du
Sauveur, & de ceux qui avoient les premiers marché ſur fes traces , avoient,
pour ainfi parler, élargi le fentier étroit & pénible du Calvaire. On voyoit
au fommet de cette montagne ſacrée, Jesus-CHRIST environné d'une foule
de ces généreux ſoldats , qui, empourprez de leur fang , & tenant des palmes
dans leurs mains, encourageoient à les ſuivre, ceux qui marchoient dans cet
te route épineuſe , & fembloient les affủrer d'avance, de la vićtoire. Mais
faint Jacques n'avoit pour l'animer que l'exemple du prémier des Martyrs
faint Eſtienne, & l'amertume de ce calice n'avoit point été encore adoucie
P A R A G R A P H E C IN QUI E'ME. 55 1
& diminuée par le grand nombre de Martyrs qui l'ont bů depuis nôtre
Apôtre. -
Quoique la demande que firent par leur mere les deux Apôtres faint Jac- comme
ques & faint Jean, ſemble un peu ambitieuſe, néanmoins comme toute for- toute ambi
te d'ambition n'eſt pas blâmable, on pourroit trouver quelque ſujet d’excuſe eft
en ces deux freres, fi leur ambition eût été dans l'ordre de Dieu. Ils ont ambi- .
tionné les deux prémieres places auprès du Sauveur lorſqu'il regneroit ; il n'y a diri
a rien à la vérité qu'on doive fouhaiter davantage que d'être dans le prémier ples eut été
degré de faveur auprès d'un tel Maître ; & ce défir n'est pas blâmable, fi c'est
des prémieres places du Royaume celeste que nous l'entendons , puiſque .
Jesus-CHRIST même nous enſeigne de le défirer : Adveniat regnum tuum. Il dres & les
faut cependant avoüer que ces deux diſciples bornoient leur défir aux pré- desteins de
miers rangs d'un Royaume terrestre, étant encore dans l'erreur commune des Pie".
- - - A * * z r. • Matth. 6.
Juifs, qui prenoient le trône de David promis au Meſfie dans l’Ecriture pour
un trône materiel, ce qui fit que les Apôtres peu inſtruits avant qu'ils euffent
reçû le Saint Eſprit, demanderent au Sauveur ; fera-ce dans ce temps que
vous rétablirez le Royaume d'Iſraël. La demande des deux freres fut donc un
peu ambitieuſe, mais le Sauveur leur ayant envoyé le Saint-Eſprit, ils rećti
fierent leur ambition, en défirant d'être placez au Royaume céleſte du Fils de
Dieu, mais d'y entrer par la voye par laquelle il y étoit entré lui-même.
Je ne puis me perſuader que le nom Boanerges fut impoſé par le Fils de quelle
Dieu à faint Jacques & à ſon frere, parce qu'ils lui demanderent s'il vouloir Par le
qu'ils fiffent deſcendre le feu du ciel fur Samarie, parce que les Samaritains *
avoient refuſé de lui donner paſlage par leur ville. C'est cependant la raiſon : à S.
qu'en donnent quelques Auteurs. Il me paroît plus raiſonnable de croire que lacques & à
cette appellation leur fut donnée comme un titre honorable; qui marquoit faint Jean
en eux quelque excellence C'eſt ce que l'Evangeliſte faint Marc
femble avoir clairement infinüé, lorſqu'il a joint le nom 'avec celui de faint
Pierre, comme étant donné par préciput , à ces trois Apôtres. Or il n'est pas
vray-ſemblable que le Sauveur leur ait donné ce titre d'honneur, pour une
aćtion peu conforme à la charité que nous devons avoir pour nôtre prochain,
que lui-même n'approuva pas , & de quoyil les reprit , leur difant : vous ne
fçavez de quel eſprit vous êtes pouſſez : Converſus increpavit illos dicens: mesti Luf- s
tis cujus fpiritus estis. Ce n'eſt pas que leur intention ne fût bonne, &
ne procedât d'un grand zele : mais ce zele étoit un peu violent & indiſcret ;
parce que, comme leur dit le Fils de Dieu , le Fils de l’homme n’eſt pas venu
pour perdre les ames ; mais pour les fauver. Ce zele étoit néanmoins loüable
en foy, puiſqu'il provenoit de l'amour & du reſpećt qu'ils avoient pour leur
Maître, de qui ils vouloient vanger l'injure. Ce fut pourquoi la réprimande
qu'il leur fit, ne fut que pour les instruire, & non pas ſeulement pour blå
mer leur zele.
Si la conjećture de ſaint Epiphane est véritable, que faint Jacques, avant
que d'être diſciple du Fils de Dieu, l'étoit de ſon précurfeur le grand faint
Jean Baptiste: & qu'il fut l'un de ceux que ce Saint députa vers le Sauveur,
pour apprendre de ſa propre bouche, s'il étoit celui qu’ils attendoient depuis
tant de fiecles; Tu es qui &c. Matth. 2o.
Pouvez-vous boire le calice que je boirai ? Nous le pouvons.. C'est une sai i
\,
ques
552 POUR LE PANEGYR. DE S. JACQUES LE MAJEUR.
vérité connue dans la Religion, qu'il n'y a point d'autre voye pour entrer
. dans le ciel que celle des ſouffrances. Mais le Sauveur du monde ne pouvoit
lice du sau nous la faire entendre d'une maniere plus divine, qu'en répondant par ces
veur, s'est paroles à la demande de cette mere ambitieuſe, qui : lui préſentant ſes deux
acquité de enfans, lui dit : Seigneur, quand vous ferez en poſſeſſion de vôtre gloire ,
° *** commandez que l'un de mes deux enfans s'affie à vôtre droite, & lẫutre á
vôtre gauche. J E s u s-C H R 1 s T s'adreſſant aux deux enfans, leur de
manda s'ils pourroient boire le calice de fa paſſion, Potestis bibere calicem ?
Comme s'il leur eût dit : vous aſpirez aux prémieres places de mon Royaume :
mais apprenez qu'il eſt impoſſible de regner avec moy dans le ciel, fi vous ne
fouffrez avec moy fur la terre, & que vous ne ferez jamais en état de boire
de ce torrent de délices, que je réſerve à mes fideles ferviteurs , ſi vous ne
prenez vôtre part de ce brûvage de fiel & de vinaigre, que je dois boire ſur la
terre: Potestis bibere calicem ? L'un de ces enfans étoit le glorieux faint Jac
ques ; il répondit généreuſement avec fon frere , nous le pouvons, poſsumus.
Il a foûtenu l’engagement dans lequel il étoit entré par cette parole: car non
feulement il a bû ce calice amer ; mais il l'a bû avec avidité, comme le Sau
VCU1I.
inst ºn C'est une instrućtion importante que Jesus-Christ a donné à ſes Apôtres,
- & qui nous est rapportée dans l'Evangile immédiatement après la demande
u qui lui eſt faite par les deux enfans de Zébedée. Le Fils de Dieu appella à lui
diſciples ſur les Apôtres , & leur dit : Vous favez que les Princes des nations les dominent
lan irio & avec empire : Voilà l'image de tous ceux qui n'ont pour guide que leurs paſ
fions aveugles, qui recherchent les places élevées , qui veulent être diſtin
guez, qui ſe font un plaiſir de commander ; un diſciple du Sauveur peut-il
avoir ces ſentimens ? Nous pouvons en juger par ſes propres paroles: Mais
Ibidem. parmy vous il n'en doit pas être ainst. C'est-à-dire, très-clairement , que tout
homme qui, à l'exemple des Nations aveugles, veut dominer , & a un deſir
de commander, ne peut être diſciple de Jesus-CHR 1st ; puiſque l'humilité ,
& la croix, font les marques de ceux qui lui appartiennent, & qu'il faut boire
dans le même calice que lui pour être entierement à lui, comme il le dit à
faint Jacques & à fon frere: Potestis bibere calicem.
On Il faut ſuppoſer qu'après l'Aſcenſion du Sauveur, & la deſcente du Saint
croi ſur la Eſprit, les Apôtres ne ſe diſperferent pas auſſi-tôt par les Provinces ; mais
qu'ils s'arrêterent quelques années en Judée, en Galilée & en Samarie, pour
y prêcher l'Evangile ; & y acquerir des ames au Fils de Dieu , comme nous
Jacques a l'apprenons de ce qui eſt rapporté par faint Luc aux Aćtes des Apôtres. Du
été en a rant ce temps-là faint Jacques, après avoir travaillé comme les autres, à
: convertir ceux de fa Nation, fe tranſporta en Eſpagne, où il demeura quel
A puff: ques années ; & quoique nous ne fçachions pas en particulier, quels furent fes
étruire cet- travaux ; il eſt hors de doute qu’il y annonça Jesus-CHR1st , & qu'il y con
te opinion. vertit pluſieurs perſonnes : la tradition même du pays & des Egliſes d'Eſpa
* gne porte qu’il fonda quelques Egliſes dans la Province de Sarragoſſe. Il eſt
vray qu’il y a quelques Auteurs contraires à cette opinion, & qui ne peuvent
fe perſuader que faint Jacques ait été en ce pays ; mais la tradition du pays
est une preuve allez ſuffiſante : & il eſt plus conforme à la raiſon de croire
pieuſement
p AR A G R A P H E C IN QUI EM E. 553 ·
pieuſement les choſes qui peuvent édifier nôtre foy, que de les nier orgueil
leufement. -
Il eſt constant que le Fils de Dieu a eû pour faint Jacques une estime tou- Le sauveur
te particuliere ; & que s'il n'a pas tenu le prémier rang auprès de lui , il en du monde a
a tenu un fi conſidérable , qu'il n'a pas eû ſujet d'envier le fort des autres; & ců une esti
que ce ne fut que par un défir naturel qu'il écouta trop, qu'il fit demander r
d’être aſſis à la droite de fon Maître dans fon Royaume , fans faire réflexion
fur ce qu'il pouvoit ſouhaiter de plus avantageux. Peut-être même que fe Jacques.
voyant déja favoriſé dans toutes les rencontres, & même préféré à quelques
autres diſciples en pluſieurs chofes, il apprehenda de perdre le rang qu'il oc
cupoit dans fon coeur, & de déchoir de fa faveur, & que ne manquant à fon
bonheur que d'en joüir éternellement, il en demandoit ſeulement la conti
Illlat i OII •
Une des principales erreurs des deux enfans de Zébedée étoit qu'ils s'é- L'erreur où
toient imaginez que l'on obtenoit par brigues & par faveur les prémieres étoient les
places dans fon Royaume. Ils croyoient que le Fils de Dieu , dans la diſtribu- Apôtres
tion de fes dons, obſervoit les mêmes régles que les hommes ont accoûtumé avant ladeſ
de ſuivre,
maines & que lesdeprincipales
engageoient graces
préférer aux étoient
autres. pour ceux
Jesus-CHR I STque
pourdesleur
raiſons hu-
décou- Prit,
- \ fur la ma
vrir leur erreur, commence à leur parler de ſes fouffrances , parce que les niere de mé
fouffrances font le véritable moyen pour parvenir à la gloire. Il leur dit: Pou- jt les dons
veĞvous boire le calice que je dois boire ? Le texte grec, & faint Marc, ajoû- , &
tent : & être baptiKez du Baptême dont je ſeray baptisé ? Jesus-CHR 1st entend
ar ſon calice, le calice de fa Paſſion ; il dónne auſſi à fa Paſſion le nom de avoien en
Baptême. Il dit dans l'Evangile, en parlant de fa Paſſion : Je dois être baptifế leurs propres
d'un Baptême, ở je ſens un grand empreſſement , de voir arriver le jour auquel forces. /
il ſe dolt accomplir. Quand donc le Sauveur dit à ſes deux diſciples: pouvez- .
vous boire le calice, &c. c'eſt-à-dire, pouvez-vous participer à mes ſouf- *
I peu de Une ſeule choſe ſemble flétrir la gloire de l'Apostolat de faint Jacques,
c'eſt qu'il ne convertit que peu de perſonnes pendant tout le temps de fon mi
fai niſtére. Mais bien loin que ce malheur cauſe quelque déſavantage à ſa gloire,
jacques a que nous pouvons dire que c'est un caractere particulier de fon Apostoiat, &
converti du- une qualité propre de ſon ministere, d'avoir été un Apôtre inflexible & un Mi
niſtre fidéle.Il a participé en cela même au calice du Sauveur;car qu'est-ce qui
a lui tira cette fueur fanglante dans le Jardin des Olives ; ce fut de voir que ce
gloire & fa calice qu'il alloit boire, tout amer qu'il étoit, feroit inutile pour la plâpart des
récompenſt. hommes ; que ce Sang qu'il alloit verſer, capable de fauver mille mondes,
feroit foulé aux pieds par les bourreaux ; c'est ce qui lui fait dire : Tranſeat à
me calix iste. Nôtre faint Apôtre ayant remporté fi peu de fruit de ſon miniſ.
tere, il a travaillé doublement, & par ce moyen il a remporté une plus gran
de abondance de mérites. Saint Paul dit qu'il a travaillé plus qu'aucun autre
* Cºr. 13. Apôtre : Abundantiùs illis omnibus laboravi. Mais faint Jacques ſe peut vanter
d'une autre forte, d'avoir travaillé plus qu’aucun. Et on peut dire que fi faint
Paul a eû grand ſujet de fe conſoler dans fes peines, de voir qu'elles étoient fi
utiles & fi fécondes par cette grande multitude de peuple qui ſe rendoit
à ſes prédications, par ces Temples d’Idoles abattus, par ces Egliſes bâties à
l’honneur du Fils de Dieu; faint Jacques ayant travaillé inutilement, a goûté
en cela même plus particulierement les amertumes du calice du Sauveur.
ka Princi - . Le mérite de faint Jacques est d'autant plus éclatant & glorieux, qu'il est
| le prémier des Apôtres qui ſouffrit la mort pour Jesus-Christ. Çeux qui
est - commencent quelque grande & importante action, méritent plus de gloire
voir ba le particulierement pour deux raiſons. Prémierement, parce qu’ils effuyent les
salice du prémieres difficultez qui ſe rencontrent au commencement des grandes entre
Priſes. Secondement, parce que ceux qui fuivent la même route, trouvent le
** chemin applani & plus aisé. C'est ainſi que ſaint Jacques tout le prémier des
Apôtres effuye la prémiere fureur des Juifs, & excite par ſon exemple les au
tres à le ſuivre ; ſå vertu attire leur reſpcét, & est cauſe en partie de leur cou
rage à marcher fur fes traces. Ce faint Apôtre mérite donc une double cou
ronne. Il reçoit immédiatement des mains du Sauveur le calice, & en le bû
vant après lui, il en reffent toute l'amertume. Mais nôtre faint Apôtre nelaiſ
fe pas de le boire avec une constance digne d'un véritable Diſciple d'un fi
grand Maître ; & ainfi il accomplit la parole qu'il avoit donnée au Sauveur
avec ſon frere, lorſqu'il lui répondit génereuſement : Poffumus. Il le promit
au Fils de Dieu, & bût ce calice avec une génerofité ſans Parcille
555
P A RA GRAPH E S IX I E’M E.
Thabor ce qu'il prépare dans l'éternité à ceux qui le fervent fidélement dans le ur faveur- ,
fut d'étre'de prémier, & par où il a commencé lui-même à éclairer les hommes , qu'il a eû
|iné pou la des égards pour ce peuple qu'il n'a pas eu pour le reſte de la terre ; ne
| Pent on pas dire auſſi que celui de ſes Apôtres qu'il a deſtiné pour le cu tiver ,
d, a été le plus favoriſe dans ce partage, puiſqu'il a été choiſi pour continuer les
tinuër les travaux du Fils de Dieu même , pour joindre fes sủeurs avec le Sang de fon
travaux du divin Maître qui a voulu com mencer à travailler au ſalut des homm s par la
Fils dc Dieu. Judée. C’eſt à cet employ comme le plus important & le plus difficile tout à
P/. 18. la fois, que S. Jacques étoit deſtiné. Il falloit un homme d’un zéle , & d'un
mérite auſſi diſtingué que l'étoit le fien, ou plûtôt qui fût austi favoriſé que
lui des dons du Saint-Eſprit, pour foûtenir ce choix. Oủy, grand Apôtre , ce
fra vôtre partage ; vous pourſuivrez les conquêtes de vôtre Maître ; vous
matchercz for ſes traces ; vous l'avez déja accompagné par tout, & vous avez
cn la.ique maniere couru la même lice avec lui ; vous connoillez les lieux
P A R A G R A P H E S I X I E’M E. 5 59
& le génie de cette nation ; vous avez appris ſur l'exemple du Sauveur même
la conduite qu'il vous y faut tenir , & vous êtes comme ſon ſubſtitut, ou com
me fon ſucceſſeur dans un ministére fi glorieux & fi faint ; il diſoit pendant
qu'il vivoit avec vous, qu'il n'étoit envoyé que pour des brebis qui étoient
en danger de ſe perdre dans Iſraël. Allez donc prévenir leur perte, allez culti
ver le pays même que vôtre Sauveur a arroſé de fon Sang; allez recuëillir la
moiffon qu'il a fémée, elle est affez ample pour exercer & fatisfaire vôtre zéle.
Le faint Apôtre y conſent, & il accepte avec joye cet employ, non parce
qu'il est le plus honorable, mais parce qu'il eſt le plus difficile. L’Auteur des
Sermons fur tous les fujets, &c.
L'employ auquel fut destiné faint Jacques, n'étoit pas ſeulement le plus iſſion d
glorieux, mais encore le plus difficile & le plus hazardeux, puiſqu'on avoit
déja commencé à perſécuter les fidéles, & à les traîner devant les tribunaux, plus ii.
pour étouffer cette nouvelle Sećte dès fa naiſſance. Le mauvais traitement & la plus
qu'on avoit fait au Sauveur pour en avoir été le prémier auteur, étoit un pré-"***"deuſe
fage de ce que devoient attendre ceux qui entreprendroient de le ſuivre, & de
publier cette nouvelle Religion ; & enfin la haine dont ce peuple étoit préve
nu contre le Fils de Dieu, qu'il avoit refusé de reconnoître pour le Meffie ,
étoit un puiſſant obstacle au progrès de l'Evangile, qui alloit mettre fin à la
Loy ancienne , & à toutes fes céremonies. Saint Jacques d'ailleurs ne pou
voit ignorer qu'il auroit pour adverſaire la même Synagogue qui avoit pour
fuivi la mort du Fils de Dieu avec tant de fureur ; qu'il auroit en tête les mê
mes ennemis , Prêtres, Pontifes, Scribes, Pharifiens ; & que la Croix de fon
Maître , qu'il entreprenoit de faire adorer dans le lieu même où elle étoit le
plus en horreur, & parmi une nation où elle étoit un fujet de fcandale, lui
attireroit une étrange perſécution ; que les autres Apôtres n'avoient à com
battre que des ſuperstitions ; & le culte des faux Dieux, en forte que ces te
nébres, pour épaiſſes qu'elles fuſſent, fe diſſiperoient aux prémiers rayons
de la foy, & que les feules lumieres de la raiſon feroient connoître à des
Idolâtres, l'aveuglement où ils avoient été juſqu'alors , & qu'ainfi le ſuccès
de leurs travaux étoit immanquable, au lieu que l'iſſuë des fiens étoit auſſi
douteuſe, que le péril en étoit certain. C’eſt cependant le fort qui échût à cet
Apôtre, ou plůtôt le partage que la Providence lui destina; par préférence ,
& par une eſpece de préciput ſur les autres Apôtres. Auffi nôtre Saint Apôtre
fût-il mettre en uſage fon zéle , en s'appliquant à remplir fon miniſtére avec
tant d'ardeur, que toute la Judée en fut émuë, & conſpira fa mort , com
me étant l'un des plus fermes appuis du Chriſtianiſme , & le plus zélé Prédi
cateur de cette nouvelle Loy, qui ſembloit, à leur avis, devoir entierennent
abolir celle de Moyſe , à laquelle ils avoient un attachement inviolable. La
perſécution fut en effet fi furieuſe, qu’il fut obligé de céder à la violence de
cette tempête : & de chercher dans les pays les plus éloignez, fur qui éxercer
ce zéle dont il étoit tout embrazé, & à faire entendre cette voix de tonnerre
dont il portoit le nom. Le même.
C’est icy , ou j'avouë que les Historiens de la vie de faint Jacques ſont par
tagez ; puiſque les uns aflûrent qu'il paſſa en Eſpagne, qui est l'une des ex
trẻmirez du monde ; & les autres foûtiennent qu'il ſe tint caché durant le
temps de cette Perſécution, pour fe réſerver à recommencer ſes travaux Apof
56o POUR LE PANEGYR. DE S. JACQUES LE MAJEUR.
toliques , après que l'orage auroit ceſſe. Je ne prétends pas décider icy la
queſtion, où il y a de grandes difficultez de part & d'autre. Mais comme la
Tradition , & les monumens anciens , que cette pieuſe nation conferve en
core, comme des marques authentiques de l'arrivée de cet Apôtre dans leur
pays , que cette tradition, dis-je, eſt d'un grand poids en cette matiere ; qu’on
compte même juſqu'au nombre des Diſciples qu'il y a eûs, & des perſonnes
qu'il y a converties ; c'eſt fans doute un fondement affez ſolide, pour dire
que ce grand Saint n'a pas moins travaillé que les autres Apôtres , & qu'il a
eû la gloire d'annoncer l'Evangile aux Juifs & aux Gentils ; qu'il a fait con
noître Jesus-CHR I st juſqu'aux extremitez du monde ; & que fi Dieu ne lui a
pas donné la conſolation de voir les Temples abbatus, les Idoles briſées, la
Croix adorée , & les Idolatres convertis : cela ne diminuë rien de la gloire
de ſon Apostolat. Ce ſont les travaux que Dieu confidére, & son pas le fruit
1. Ad Cor. ; & le ſuccès qui ne dépend pas de nous : Ego plantavi, Apollo rigavit: fed
Deus incrementum dedit , diſoit faint Paul , lui-même , au millieu de fes plus
grands ſuccès. C'eſt moy qui ay planté, c'eſt Apollo qui a arroſé cette nou
velle plante : mais c'eſt Dieu qui l'a fait croître, & qui l’a amenée à fa per
fećtion. De maniere que l’éxemple même de l'Apôtre faint Jacques eſt une
importante instrućtion à tous ceux qui travaillent à ce glorieux miniſtére,
de laiſſer à Dieu le ſuccès de leurs travaux, & de ne fe point rebuter, ou
perdre courage , ſi le fruit ne répond pas à leurs foins , ou fi leurs entrepri
fes ne réüſſiflent pas felon leurs deſirs ; c'est ſur l'intention & ſur l'ardeur de
nôtre zéle, que Dieu ſe regle dans la récompenſe de nos fervices , & non fur
l'événement, & ſur la réuſſite de nos deffeins , dont nous ne ſommes nulle
ment reſponſables. Le même.
Saint la Saint Jacques a été le prémier entre les Apôtres , qui a eû part au Calice
du Fils de Dieu ; c'eſt-à-dire, qu'il a fouffert le martyre tout le prémier pour
premier le nom , & pour les interêts de fon Maître, comme faint Estienne a été le pré
des Apôtres, mier entre les Levites. Or qui ne fçait qu'être entré le premier dans la lice,
le Calice du & avoir frayé le chemin aux autres : avoir le prémier combattu, & rempor
té la vićtoire le prémier , eſt une circonstance qui mérite tl ne prérogative
a ou d'honneur , que les autres ne peuvent égaler ; parce qu'ils ne font que fuivre
fon amour les traces de celui qui leur a donné l'éxcmple, en eſfuyant les premieres diffi
cultez , & en levant les prémiers obſtacles. C'eſt donc ce rang d’honneur,
cette prérogative & cette couronne que mérite faint Jacques, qui est grand
dans l’Egliſe, pour avoir été l'un des prémiers Apôtres ; mais encore plus
grand devant Dieu, pour avoir verſe fon ſang le prémier de tous ; car c'eſt
alors qu'il peut répondre au Sauveur qui lui avoit demandé s'il auroit le cou
rage de boire fon calice : Poffumus ; oüy je le puis ; puiſque je l'ay bû effec
tivement ; C’eſt une faveur incomparable de m'avoir jugé digne de fouffrir
pour vôtre amour: mais ce que je n'aurois jamais oſé eſpérer , ny me pro
mettre , c'eſt d’avoir bů ce Calice le prémier ; l’impreſſion de vos levres y
étoit encore marquée, lorſque j’ay eû le bonheur de le boire après vous ;
vous m’avez donc accordé plus que je ne vous demandois. Le même.
combien les Les autres circonſtances du martyre de faint Jacques, ne lui font pas moins
circonſtances avantageuſes, que celle d'avoir fouffert la mort le prémier pour la caufe de
du "atty's celuy qui a daigné mourir pour luy ; car ce font les mêmes perſécuteurs qui la
luy
PARAGRAPHE sixIEME. ‘ sér
luy ont procurée, & une partie des mêmes bourreaux ; puiſque ce fut par de faint Jaº
les inſtances,
fieurs & par
de ceux qui les pourſuites
avoient conſpiré du même
contre le peuple
Maître,, & apparemment
pourſuivirent plu *
la mort Or1Cul CSs
LE P A N E G Y R I Q U E
DE
SA IN T E ANNE
A v ERTIS SEMENT.
L n'y a pas lieu defe plaindre, qu'on ne trouve ni dans l'Ecriture ni
dans l'histoire Eccleſiastique aucune action éclatante fur laquelle 073
puiffe établir l'éloge de fainte Anne. Lefeul titre de mere de la fainte
Vierge qui devoit être la véritable mere de Dieu, ce feul titre, dis-je,
est au defus de tout éloge, & préfuppoſe tant de vertus, de merites, de
graces , & de prérogatives dans cette Sainte, qu'on ne manquera point
de matiére pour en faire un éloquent panegyrique.
Il n’est pas même difficile de rendre ce diſcours instructif par des réflé
xions morales fur divers points qu'on ne peut contester; commefur l'obla
tion qu'ellefit à Dieu de lafainte Vierge fa fille,quand elle futpreſentée
au Temple ; fur le foin qu'elle eût defon instruction, durant fôn bàs áge,
du bon exemple qu'elle lui donna ; autant de devoirs des peres ó des
meres envers leurs enfans.
Il faut feulement remarquer que le Prédicateur fe bornant aufeul
panégyrique de fainte Anne, ne le doit point confondre avec celui de
faint Joachim , quoyque leur gloire , leur employ, leurs vertus, & tous
leurs avantages foient communs ; en forte que le même Panegyrique de
fainte Anne peut devenir le Panegyrique de faint Joachim, au change
ment de nom près : mais nous avons plus volontiers travaille pour ce
lui de fainte Anne, par la feule raiſon qu'on le prêche plus ordinaire
mens, bien que les matériaux que nous avons recüeillis puiffent égale
ment fervir pour l'un , & pour l'autre.
B B b b ij
544 POUR LE PANEGYRIQUE DE SAINTE ANNE,
–-
; ; ; PARAGRAPHE PREMIER.
Divers deffeins & Plans de diftours fur ce fujet. -
Comme Marie est la plus ſainte de toutes les Purcs créatures, elle a pro
P A R A G R A P H E P R E M I E R. 56 5
euré les graces, la fainteté, & tous les biens furnaturels à celle dont elle
avoit reçû les biens de la nature. Ce fera ma ſeconde partie , & tout le parta
ge de ce diſcours. L'Auteur des Sermons fur tous les ſujets , &c.
Simile est regnum cælorum theſauro abſcondito in agro. AMatt. 13. C’eſt un I I.
grand avantage pour le diſcours que j’ay à faire ſur la fête de fainte Anne,
de rencontrer un tréfor ; mais c'eſt un déſavantage que ce tréfor foit caché,
& qui par fon obſcurité il nous dérobe une partie de fes richeſſes. Les Evan
geliſtes ne nous ont rien dit de fainte Anne, mais l'Egliſe en a dit tout ·
ce qu'elle peut dire de magnifique, en diſant qu’elle eſt mere de la glorieuſe
Vierge; pour nous faire comprendre que fa fille eſt ſon tréfor, & que toute
fa grandeur eſt renfermée dans le même ſein qui l'a conçủë. Selon les Anciens
la gloire des Peres font les enfans ; la gloire & le tréſor de Marie, est JEsus :
la gloire & le tréſor de fainte Anne eſt Marie , & comme pour loüer nôtre
Dame , il ſuffit de dire qu'elle a été Mere du Sauveur : auſli pour loüer fainte
Anne, c'eſt faire un panegyrique tout entier de dire que c'est la mere de
Marie. J'ay donc à montrer par quels titres ce tréfor caché, qui eſt Marie,
appartient à fainte Anne. Elle le poſſéde par trois titres, qui font les trois
avantages de ſa maternité. 1°. Elle a coopéré à ſa production. 2°. Elle a eû
authorité ſur elle. 3°. Elle a travaillé à ſon éducation. Quand nous aurons
développé ces trois rapports, nous aurons montré les grands tréfors de fa
gloire.Mais il est bon de faire cette réflexion, que tout ce que nous dirons du
rapport de fainte Anne avec nôtre Dame, fe doit appliquer par conſéquence
& par extenſion fur J e s u s. M. Biroat.
To u s les væux des anciens Patriarches n'avoient point d'autre objet que III.
de participer de plus près à l’Incarnation du Verbe , & d'appartenir au
Meffie. Tel étoit le but & la fin de leurs priéres ; la ſtérilité n’étoit en oppro
bre, que par la crainte de n'avoir aucune part à fon alliance ; mais après la
très-ſainte Vierge , nulle autre n'y a concouru de plus près , que fainte
Anne ; car,
1 º. Le ſang des Patriarches, dont J E s u s-C H R 1 s T devoit être formé,
est paſſe dans les veines de fainte Anne , & il y a reçû cette derniére prépara
tion pour le communiquer à Nôtre-Dame , & pour entrer dans la formation de
ce divin ouvrage.
zº. Sainte Anne a contribué à la ſainteté de ce temple & de ce divin Sanc
tüaire, par l'éducation qu'elle a donnée à la très ſainte Vierge fa fille.
3°. Sainte Anne a contribué au myſtére de l'Incarnation par ſes priéres
plus ferventes que celles des Patriarches ; parce que ſon coeur étoit plus pur,
& que la charité y étoit plus ardente, puiſque le myſtére de l'Incarnation croit
moins éloigné. -
P A R A G R A P H E S E C O N D.
P A R A G R A P H E T R O I S I E’M E.
Multa filia congregaverunt divitias, tu Pluſieurs filles ont amaffé des richeſſes,
fupergreffa es univerfas. Proverb.3 1. mais vous les avez toutes ſurpaſſées.
Per memet ipſum juravi, quia fecisti hanc J'ay juré par moy-même ; parce que vous
rem, benedicam tibi. Genef. 2. 1. m'avez obei en ce point ; je vous benirai.
Cum electis fæminis graditur, cum justis Elle marche avec les femmes choiſies ; &
& fidelibus agnoſcitur. Eccli. 1. on la reconnoît Parmi celles qui font fidelles
à Dieu.
De fruttu ventris tui ponam ſuper fedem Je ferai aſſeoir de vos deſcendans fur vô
tuam. Pſalm. 1 3 1. tre trône.
Felice Regum in honore tuo; astitia Regina Les filles des Roys font avec vous dans
à dextris tuis, in vestitu deaurato, circum vôtre gloire, la Reine eſt à vôtre droite avec
data varietate. Pſalm. 44. une robe couverte d'or , & brillante de diver
fcs couleurs.
Mulier timens Dominum , ipſa laudabi La femme qui craint le Seigneur fera
tur. Proverb. I. loüée.
Conſideravit feinitas domus fue, & pa Elle a conſideré tous les fentiers de fa
nem otiofa non comedit. Ibid. maiſon , elle n'a pas mangé fon Pain fans
rien faire.
Date ei de fruttu manuum fuarum , ér Donnez-lui des fruits de fes mains, & que
laudent eam in portis opera ejus. Ibidem. fes oeuvres la loüent dans les affemblées.
Manum ſuam aperuit inopi , ćr palmas Elle a ouvert ſa main à l'indigent, & elle
fuas extendit ad pauperem. Ibidem a tendu les mains aux pauvres.
Latare que non paris , erumpe Cr clama Rejouiſſez-vou ,vous qui n'enfantez point;
qua non parturis , quia multe filia deferta, pouffez es cris, dis-je , & éclatez , vous qui
quam qua habet virum. Iſaiæ 45. étiez sterile, parce que vôtre poſterité eſt
Plus nombreuſe que de celle qui a un époux.
Concepit Anna & peperit. 1. Reg. c. 1. Anne conçut & mit au monde une fille.
Dominus humiliat & ſublevat. Ibid.c. 2. Le Seigneur abaiffe & éleve quand il lui
plaît.
Anna cum amaro effet animo, ora vit ad Anne plongée dans la triffeffe, pria le
Dominum, fiens largiter. lbidem. Seigneur avec une grande abondance de
larmes.
Perro Anna loquebatur in corde fuo,tan Anne parloit dans fon coeur , & ſes levres
tumque labia ejus movebantur, & vox pe fe reniioient , . & l'on n'entendoit point ſa
nitàs non audiebatur. Ibidem. VO 1X, -
Votum vovit, dicens, Domine exercituum, Anne fit voru , difant, Seigneur des ar
f reſpiciens videris afflictionem famula tue, mées , ſi vous regardez favorablement l'af
Cr recordatus mei fueris, dederisque Ancilla fliction de vôtre ſervante, & que vous fou
tue ſexum virilem, oommodabo eum Domino venant d'elie , vous lui donnicz un fils , je
omnibus diebus vite fuæ. Ibidem. vous le conſacrerai pour toute fa vie.
Bona arbor bono s frucius facit ; igitur ex Le bon arbre produit un bon fruit ;
OllC
P A R A G R A P HE T R O I S I E’M E. 6o
frustibus eorum cognoſcetis eos. Matth. 7. donc par la qualité du fruit que vous
noîtrez la qualité de l'arbre.
#2
Simile est regnum cælorum , teſaure abf Le royaume des Cieux eſt comme un
condito in agro, quem qui invenit homo, tréfor caché , un homme l'ayant trouvé le
abſcondit, & pra gaudio illius vadit , & cache, & dans la joye qu'il en reffent , il va
vendit univerſa qua habet, & emit agrum vendre tout ce qu'il a, & achete ce champ.
illum. Matth. 1o.
Effundam fpiritum meum ſuper femen Je repandray mon eſprit fur vôtre posteri
tuum, & benedictionem meam fuper stirpem té, & ma benediction fur vos deſcendans.
tuam. Iſaiæ 44.
Mulierem fortem quis inveniet ? procul, Qui trouvera une femme forte º ſon prix
er de ultimis finibus pretium ejus, confidit in paffe tout ce qui peut venir des extremitez
eá eor viri fui. Proverb. 1. de la terre ; le coeur de fon mary met fa con
fiance en elle.
Erant justi ambo ante Deum, incedentes Ils étoient tous deux justes ( ce qu'on peut
in omnibus mandatis ér justificationibus Do dire de fouchim & d'Anne, auffi bien que de
mini fine quarela; & non erat illis filius, eo Zacharie , é d'Eliſabeth. ) & ils
quod ambo preceſſiffent in diebus fuis. Luc. 1. dans tous les Commandemens du Seigneur
d'une maniere irreprehenſible ; ils n'avoient
Point d'enfans ; parce qu'ils étoient déja
tous deux avancez en âge.
Le Saint-Eſ- On peut dire que le Saint-Eſprit fait à l'égari de fainte Anne quelque
prit en pre- choſe de ſemblable à ce que nous liſons dans l'Écriture , que le Patriarche
ant Marie Abraham fit à l'égard de Rebecca, qu'il envoya demander pour être l'épouſe
pour fon d'Iſaac. Il ne ſe contenta pas de luy faire de riches préfens, il voulut encore
ue en faire à fa mere, en faveur de la fille : & que l’une & l’autre ſe reſſentiffent
: de ſes libéralitez, en conſéquence du choix qu'il avoit fait de s'allier à leur fa
sëblable à ce mille. Ainſi le Saint-Eſprit confidérant Nôtre-Dame, dès le prémier moment
que fit Abre- qu'elle reçût l'être,comme celle qu'il devoit prendre un jour pour ſon Epouſe,
fai- & en faiſant, pour ainſi dire , dèslors les prémieres recherches , il ne ſe
çontenta pas de la combler de graces , & de tous fes dons, il en voulut auſſi
Pour Epouſe faire part à la mére, afin qu'il ne fût pas dit, qu’une fille fi riche, fi remplie
d'Iſaac ; ce des dons du Ciel, eût une mere pauvre. Leurs interêts étoient trop heureuſe
ire, ment confondus, pour être ſéparez; il n'a point eû tant d'égards pour la fille,
fans en avoir pour la mere; ni comblé l’une de tant de graces, fans en faire
part à l'autre ; puiſque c'étoit gratifier la fille, que de faire des graces ſingu
fille. lieres à la mere, & qu'il ne pouvoit obliger plus fenſiblement la très-ſainte
Vierge , que d'étendre fes faveurs & fes bienfaits, c'eſt--àdire , fes dons & fes
graces, ſur celle qui lui étoit chere au point que le devoit être une mere à une
fille, qui avoit le coeur auſſi-bien fait que devoit l'avoir la Mere d'un Dieu.
Ainſi, comme l'une a été toute fainte , la fainteté de l'autre a eü des avanta
ges tout particuliers ; comme la fainte Vierge a été la plus parfaite de toutes
les créatures, fainte Anne a été élevée à un degré très-éminent de perfection ;
comme la Mere d'un Dieu eſt ſans comparaiſon » llIl C perſonne
en toures perfećtions, entre toutes les femmes du monde, fainte Anne a été.
*
*** .
*
P ARAGRAPHE T R O IS I EM E. 571
certainement très-distinguée entre toutes celles dont le Sauveur du monde
devoit tirer ſa naiſlance.
Nous avons de grandes raiſons & de fortes conjećtures pour croire que Comme
Dieu révéla à faint Joachim & à fainte Anne qu’ils auroient une fille, & P u ievşla
que fon nom feroit Marie , qu'elle feroit remplie du Saint-Eſprit dès le t
Jean par une particuliere révélation faire à ſes parens, à cauſe qu'il devoit étre : 3
le Précurfeur du Fils de Dieu ; n'eſt-il pas raiſonnable que nous ayons de Anne,qu'elle
pareils ſentimens de piétė, pour le pere & la mere de Nôtre-Dame, qui de- feroit la fille
voit
rent porter
par la le Sauveur de
révélation dansion
l'Angefein. Si donc
que leur Zacharie & leElizabeth
fils précéderoit connû- Tº met
Verbe Incarné, all
& fainte Anne furent avertis auſſi que cette prophetie s'accompliroit en leur
fille: Ecce Virgo concipiet & pariet Filium: & vocabitur nomen ejus Emmanuel. 10, 7.
Si l’on dit, que l'Ecriture fainte n'a pas dit des parens de Nôtre-Dame, ce
qu'elle dit de ceux de faint Jean ; il eſt aiſé de répondre qu'il ne s'enfuit pas
que nous ne devions avoir de pareils fentimens pour les uns , & pour les au
tres. Et certes il y a grand ſujet de croire que puiſque fainte Elizabeth fut
remplie du Saint-Eſprit, & qu'elle connut le myſtére de l'Incarnation , lorf
qu'elle portoit faint Jean dans fon fein : le même privilége fut accordé à fainte
Anne qui devoit être la mere de celle en qui Dieu vouloit accomplir le grand
ouvrage de la redemption de tout le monde.
Il y a une reſſemblance entre la naiſſance de la très-ſainte Vierge , & celle Le Sauveur a
de fon Fils, le Verbe Incarné, laquelle retourne à la gloire de fainte Anne ; Innerc
voulunaquit
que ſa
c'est que, comme il a voulu naître d'une Vierge , il a voulu que fa mere nâ
quit d'un mariage fort ſemblable à la Virginité ; car qui peut approcher da- stérile, com
vantage de la Virginité, que la continence , la chafteté ; la ſtérilité , qua- me lui cſt né
litez qui ſe trouvent dans le mariage de fainte Anne & de faint Joachim. Il eſt illcre
vrai que le grand nombre des enfans étoit une des principales bénédićtions de 1c1ge.
l'ancienne loy, & que rien ne rendoit une femme plus affligée & mépriſée,
que la ſtérilité ; Dieu a cependant voulu que les plus grands hommes de
l'Ancien Testament fuffent les enfans de meres stériles : comme les terres
qui produiſent l'or , ne raportent aucuns grains, ny aucuns fruits. Ainſi
Sara mit au monde le Patriarche Iſaac ; ainſi une autre mere ſtérile engendra
Samſon ; de même une autre Anne donna la naiſſance au Prophete Samüel;
ainfi Elizabeth donna au monde Jean-Baptiste, plus que Prophete, felon la
vérité même. C’eſt ainſi enfin, que nôtre Sainte , après avoir été long temps
ftérile & méprifable aux yeux des hommes, mérita de porter dans ſon fein
la Vierge toute fainte, mere du Rédempteur de tous les hommes, dont
C C c c ij
-
572 POUR LE PANEGYRIQUE DE SAINTE ANNE.
il vaut mieux ne rien dire, que d'en dire peu de choſes,qui feroient au-deſſous
de ſes mérites,
vie ; fi bien qu’on peut dire que leurs feins font comme des tombeaux où
demeurent des morts, ou des priſons où l'on enferme des coupables. Mais
fainte Anne conçoit Nôtre-Dame en état de grace ; fon fein eſt comme un
autel vivant , où d'abord que la très-ſainte Vierge commence à vivre en
elle-même , elle ſe fert du lieu même de fa Conception Immaculée comme
d'un autel, pour y faire l'offrande de tout ſon être à Dieu. Mais fi nous ajoû
tons encore l’office que Nôtre-Dame vient exercer , qu'elle eſt conçûe pour
être la Mere de Dieu, & pour coopérer à la rédemption du monde ; qui peut
douter que les grandeurs & les mérites de la fille ne retournent avantageuſe
ment à la plus grande gloire de la mere. Ce n'eſt pas qu'elle luy ait donné
cette grandeur en la mettant an monde : mais nous pouvons dire qu'elle y a
contribué, en luy donnant l'éxiſtence & la vie , qui eſt le fondement , & com
me la cauſe de ces avantages.
* A
Erant autem justi ambo ante Deum : incedentes in omnibus mandatis , G- d e Les
* * * - * r • |- 2
virus
faint Joa
justificationibus Domini , fine querela. Luc. 1. Ils étoient l'un & l'autre
juſtes devant Dieu , marchant dans la voye de ſes commandemens , fainte anne,
& de ſes faintes loix , d’une maniere irréprehenſible ; le pere, & la mere qui ont fer
de faint Jean-Baptiſte devoient ſe préparer à donner la vie au Précur- vi deſpost
feur de Jesus-CHR 1st , par la pratique de toutes les vertus. C’eſt par là qu'ils
commençoient à fe rendre dignes d'avoir un fruit qui devoit faire naître la met
joye dans tout Iſrael. Sainte Anne n'a pas aſsûrément cédé en ce point à monde la
Zacharie & à Elizabeth. L'excelence de fon fruit ne répond-t'il pas de l'ex- mrs du Sau
cellence de fa vertu ? La conſécration de ſon coeur à Dieu , le détachement "*"
des biens de la terre , l'amour de la pureté, la fidélité à la loy de Dieu , le
zéle pour ſa gloire, l'aſſiduité à la priére , l'eſprit de ſacrifice, l'attachement
à tous les devoirs de religion ; une longue fuite d’ayeux & de Rois , dont le
grand nombre a été faint , la piété héréditaire dans la famille : tout cet ap
pareil ornoit fainte Anne pour être la mere de la plus auguste des Vierges.
Le digne Epoux de fainte Anne concouroit fans doute avec elle , & ils fe
ainſi à porter la qualité de pere, & de mere de la très-ſainte Vier
ge , en marchant fans reproches dans les voyes faintes preſcrites par la loy :
Ambo incedentes ante Deum in omnibus mandatis.
Et non erat illis filius. Luc. 1. Admirez cette myſtérieuſe stérilité de la na- , Lº stetilité
ture, qui donne lieu à une fécondité de grace , en attendant que le Seigneur
délivrât fainte Anne de cette opprobre , & qu'il la conſolât des bénédićtions he -
d'Abraham: elle prenoit déja part à la bénédićtion de la loy nouvelle, s'eſti- ment rem
mant heureuſe d'être enfant de Dieu, d'appartenir par l'amour & par la pra- la
tique des autres vertus à Jesus-CHR i sT qui devoir venir. Les bénédićtions :
de la loy ancienne , qui confiſtoient à avoir des enfans, & à donner des i a
membres à la Synagogue , étoient avantageuſement remplacées par la foû- fouffrte
miſſion aux ordres de Dieu. Le Texte facre nous marque icy qu'Anne étoit º se Patien
ftérile; mais il n'y eſt point parlé de murmure ny de chagrin; parce que les .
Justes ſçavent recevoir les dons extérieurs de Dieu avec aćtion de graces * tageuf m:ne,
mais ils ſçavent auſſi en porter la privation avec patience. Sainte Anne péné
troit le myſtére de la ſageſſe de Dieu , qui vouloit que ny la chair, ny le fang
n'eût aucune part dans la formation de Nôtre-Dame, mais que la grace en fut
la fource. La nature n'a donc oſé prendre les devants : mais elle a cédé
C C c c iij
574 POUR LE PANGYRIQUE DE SAINTE ANNE.
la place à la grace du Seigneur, qui n'a voulu que la Conception de la Vier
ge toute-fainte fût differée , que pour rendre la fille plus célébre par la lon
gue stérilité de la mere, & la mere d'autant plus glorieuſe par la Conception
d'une fille fi ſupérieure en excellence à toutes les autres créatures : Et non
erat illis filius.
seus 4-voas Quia fie fecit mihi Dominus, in diebus quibus reſpexit auferre opprobrium
apprendre de meum inter homines. Luc. 1. C'eſt la grace que le Seigneur m'a faite en ce
l'exemple de temps, où il m'a regardée , pour me tirer de l'opprobre où j'étois devant les
hommes. Apprenez de fainte Anne, que c'eſt une grace finguliére d'être exer
cé, & que c’eſt une nouvelle grace, que d'être délivré de cette épreuve, &
i di aces que ces graces font chacune distribuées dans leur temps. N’eſt-il pas vray que
qui nous ar- la ſtérilité de fainte Anne paroiſſoit une punition de Dieu, & un opprobre:
mais à qui ? à ceux qui ignorent les voyes du Seigneur, & non à fainte Anne
a qui les adore. Ceux qui n'eſtiment que la vie & les biens du fiecle préfent,
miſericorde qui ne connoiſſent pas les avantages des retardemens du Seigneur, & qui ne
nous en de- font point ſenſibles à la fécondité ſpirituelle des vertus, plaignoient le fort
livrera. de fainte Anne : comme Elcana, qui plaignoit & conſoloit Anne fon épouſe
de fa ſtérilité, dont elle s'affligeoit. Mais fainte Anne animée d'une foy plus
vive, demeuroit tranquille dans un filence d'adoration , laiſſant à Dieu le
choix de fon fort, attendant fes momens avec confiance , eſperant qu'il luy
Ifly. 45. diroit un jour : Réjoüiſſez-vous, vous qui n’enfantez pas ; car vous avez en
plus nombreuſe poſtérité, que la mere des douze Tribus
Marie ſeule une
d'Iſraël. Letare que non paris: erumpe , & clama , que non parturis.
Dieu a per , Maria, de qua natus est Jeſus : Suivons le dellein de l'Egliſe, en honorant
mis que nous fainte Anne ; puiſque Dieu luy a fait la grace finguliere de la rendre Mere de
ne ſçastions la Vierge incomparable, dont le Seigneur a fait la Mere du Très-Haut. Ne
. cherchons point ailleurs que dans cet adorable Fils , & dans ſa Mere, la
"" grandeur & l'excellence de cette fainte Femme, Car vous avez voulu, mon
q'elle a été Dieu, que nous ne connûſſions rien de certain de fes ancêtres , rien de parti
nire de la culier de fa fainteté ny de fes vertus , rien de fa vie, & de fa mort , afin que
e"
, afin que nous fustions obligez å ne juger de l'excellence de cet arbre, que par l'excel
* » , A * * **
. lence de ſon fruit. Elle n'a pû être fainte, que par la grace qu'elle a reçûë de
* ,
f s de cela vous, ô mon Dieu ! par les mérites de vôtre Fils ; & cela luy eſt commun
feul : quel a avec les autres Saints ; mais ce que vôtre Fils a reçû de vous par elle , eſt le
"
rite , ſes ver- fondement de fa grandeur particuliere, & c'est ce qui la distingue du com
- * r - A
tus , & ſa "U" des Saints. En effet,le fang qui est paſſé des veines de Nôtre-Dame, dans
gloire. les veines du Sauveur , avoit coulé auparavant dans les veines de fainte Anne
fa Mere , & d'elle, s'étoit répandu dans le fein de la Vierge toute-fainte, où
il devoit être préparé par le Saint-Eſprit , pour en former le Corps adorable
de vôtre Fils unique , & en faire la vićtime du falut des hommes.
! Gloria patris, filius fapiens. Prov. I 1. Les enfans font la gloire de leurs peres:
# leur mérite n'ayant point d'autre fource , il faut que la gloire y remonte.
d'avoir été Quelle gloire pour fainte Anne, d'avoir été la mere de celle qui a été la Mere
la mere de de Dieu, la Mere de fon Créateur , de fon Sauveur : de celle qui eſt deve
ce!!c nuëla Mere de grace & de miféricorde, la plus pure, la plus fainte de toutes
* les meres. Toutes ces loüanges données à Nôtre-Dame , ne remontent-elles
pas à fainte Anne ? Par elle nous avons reçû la plus prudente de toutes les
PA RA GR A PHE T R O I S I E’ ME. 575
Vierges. C'eſt ſainte Anne qui nous a donné cette porte du Ciel, & cette
Tour de David, d'où pendent mille boucliers, pour repouſler nos plus re
doutables ennemis. Pleins de ces pieux ſentimens, écrions-nous avec faint
Jean de Damas: ô heureuſe alliance du pere & de la mere de la fainte Vierge:
que toute la terre vous eſt obligée, c'eſt par vôtre moyen que le Ciel
a fait à l'univers, le plus excellent de tous les dons ! ô castiffimum par turtu
rum ratione praditarum ! vobis omnis creatura obstritta est ; per vos enim donum
donorum omnium prestantiffimum Creatori obtulit, nempe castam Matrem, que
fola digna erat Creatore. O heureux ſein de fainte Anne ! qui a porté un fi ri-
che tréſor, un Ciel vivant plus brillant que celuy qui nous éclaire. Formez
vous fur un fi heureux modele , Meres Chrêtiennes : & à quelques épreuves
que le Seigneur vous expoſe , imitez cette fainte Mere de la Mere du Sau
veur ; imitez fa patience , ſa juſtice, fon humilité, & ſa réſignation aux
volontez de Dieu, fi vous voulez participer à ſes mérites. Sainte Anne
Erudi filium tuum, & delicias dabit anime tue. Prov. 29. Ne doit-on pas eſt glorieuſe
dire que l'employ particulier de fainte Anne a été de donner à fa très-fainte pour avoir
Rlle , une éducation digne de celle qui étoit destinée pour être la Mere de été la maî
Dieu ? & nous devons croire en voyant Nôtre-Dame ſi élevée en grace & en treffe de la
fainte Vier
mérite , que jamais mere ne s'eſt acquitée fi dignement du devoir de l'éduca ge, & luy
tion de fes enfans que fainte Anne. Or pour remplir cet employ , elle fut la avoir donné
maîtreſſe de la Vierge très-ſainte ; après avoir été fa mere, elle lui donna une fainte
l'instrućtion, après luy avoir donné la vie ; elle luy inſpira l'amour de la é 'ucation.
vertu par ſes exemples; elle denoüa ſa langue, & luy apprit à former des
paroles pour benir fon Créateur ; elle luy enſeigna à faire de bonnes oeuvres,
& ſervant d'interprete au Saint-Eſprit, elle lui expliqua la Loy qu'il avoir
donné à Moyſe fur la montagne de Sinaï. Que de rares qualitez devoit avoir
cette grande Sainte , puiſqu'elle fut choiſie pour être la maîtreſſe de la très
fainte Vierge ! C’eſt le meilleur office qu'a pů rendre fainte Anne à Nôtre
Dame, d’être ſa loy vivante & animée, d'être le modele de toutes ſes aćtions,
d’être la régle de tous fes déſirs, & de luy être propoſée du Ciel, comme un
exemplaire qu'elle devoit imiter. Y a-t'il rien qui doive plus puiſſamment
animer les méres, que de regarder cette Sainte comme leur protećtrice, pour
obtenir de Dieu la grace d'élever leurs enfans, & fur tout, les filles, dans ſon
faint amour. Dans cette fainte Femme les Religieuſes appliquées à l'éduca
tion de la jeuneffe , trouvent, & un modéle à imiter, & une puiſſante Avo
cate ; parce qu'une partie de la récompenſe des Saints dans le Ciel , c'eſt de
pouvoir aider auprès de la Majeſté Sainte, les ames qui s'adreſſent à eux pour
obtenir les vertus dans leſquelles chaque Saint a excellé. Elles obtiendront la
grace de conſerver à Jesus - Christ ces tendres ames pour luy ſervir de
Temples vivans, comme fainte Anne prépara Nôtre-Dame à recevoir le Fils
de Dieu dans fon ſein , par les faintes diſpoſitions qu'elle luy inſpira. Les
Dames qui enſeignent la jeuneſſe, & fur tout, les tendres Vierges, ne font
elles pas comme fainte Anne, les gardiennes de la pureté de ces jeunes cnfans
pour lespréſerver de la corruption du fiecle ?
Non enim homini preparatur habitatio, fed Deo. 1. Paral. 19. Avec quel Avec quel
foin & lucl.
foin & quelle application ſainte Anne ne s'acquirta-t'elle point de la charge
576 POUR LE PANEGYRIQUE DE SAINTE ANNÉ.
zele fainte qu'elle avoit de l'éducation de Nôtre-Dame : fur tout lorſqu'elle faiſoit re
Anne s'ac- flexion que cette fille, qu'elle avoit conçûë par miracles, pouvoit bien être
e deſtinée à quelque choſe de grand ? On peut dire que fans qu'il fut beſoin
s. d'exhorter cette fainte Femme, elle élevoit la Vierge toute-fainte dans le
iev l f . deſlein pour lequel Dieu l'avoit fait naître, qui étoit pour être le Temple vi
te vi:rge fa vant de fon Fils : Non enim homini preparatur habitatio , fed Deo : Elle pou
fille. voit dire alors; c'eſt pour être le Sanctuaire du Dieu vivant que je la diſpoſe,
& pour recevoir dans ſon ſein le Créateur de l'univers. Cerres il y a bien de
l'apparence que ce fut dans cette penſée qu'elle la conduifit elle-même au
Temple, dés l'âge de trois ans, pour la conſacrer à Dieu parmy les Vierges
qu'on y élevoit : qu'elle ratifia par ſon conſentement le voeu de virginité que
la très - fainte Vierge fit dèslors, par une inſpiration particuliere du Ciel;
qu'elle luy fervit d'interprete dans cette religieuſe cérémonie, & qu'elle au
toriſa une aćtion que Dieu n'eût point reçủë fans cela;parce que quoique Dieu
en fût abſolument le maître, & qu'il en pût diſpoſer : cependant les Prêtres
& les Miniſtres de ce Temple, n’euſſent eû garde de la recevoir fans le con
fentement de fes parens.
Comme L'attention qu'avoit fainte Anne à bien élever la fainte Vierge, doit ſervir
fainte Anne d'une importante inſtrućtion aux peres, & aux meres, d'un côté, de ne for
en ce point cer jamais leurs enfans d'entrer dans une religion, en faiſant un ſacrifice de
leur falut à leurs interêts, par des vůës purement humaines, fans attendre la
vocation de Dieu, ou fans ſe mettre en peine s'il les y appelle, ou non; car
d'élever les c'eſt un attentat ſur les droits de Dieu , à qui il appartient d'en diſpoſer, &
enfans, & de de choifir telle vićtime qu'il luy plaît, & enſuite un attentat ſur la liberté des
** cnfans même, ce qui attire les justes malédictions de Dieu ſur les parens, &
pour leur fouvent ſur une famille toute entiere.Mais auſſi il faut prendre garde de s'op
vocation, poſer aux deſfeins de Dieu fur eux , en retirant de l'autel la vićtime qu'il a
choiſie,ſous prétexte d'examiner cette vocation.Eprouvez-les à la bonne heu
re: mais quand vous avez reconnu que Dieu les appelle, il faut les luy offrir
de bon coeur. C'est ce que fait fainte Anne en conduiſant la très-ſainte Vier
ge au Temple, en l'offrant elle-même , & en ſecondant ainſi le deſfein que
Dieu avoit fur elle.
PARAGRAPHE
577
P A R A G R A P H E C IN QUI E’M E.
ce qu'on peut tirer de la Théologie par rapport à ce fujet.
De même (T' Omme la gloire de la fainte Vierge , à laquelle fainte Anne a donné la
que Marie a naiſlance, est d’avoir un Fils qui est Dieu : n'est-ce pas une gloire in
* comparable à cette fainte Femme, d’avoir une Fille qui est la Mere de fon
Dieu ? Si l'une eſt incompréhenſible au fentiment de tous les Doćteurs, ce
de qui fait que faint Thomas met la Maternité Divine entre les choſes qui paſ
Dieu , faints fent l'intelligence de tous les hommes : l'autre est du moins le plus haut de
“ gré de gloire que nous puiſſions concevoir, d'être mere de celle qui a donné
. l'être à un Dieu. Je ſçay bien qu'il y aura toújours une différence infinie :
åtte mais après tour, c'eſt celle qui doit tenir le prémier rang après la dignité de
mere de Ma- Mere de Dieu. Ce qui me fait raiſonner de l'une avec quelque proportion
1ie. comme de l'autre , & dire que, comme dans le confeil éternel de Dieu, il
avoit été réſolu que le Verbe Éternel naîtroit de la fainte Vier e,qui fut choi
fie entre toutes les créatures pour être ſa Mere ; que ce fut elle ſur qui il ar
rêta les yeux, & qu'il fépara par ce choix de la foule des autres, par une dif
tinćtion toute particuliere, qui fut le plus haut comble de gloire où une pure
créature pouvoit parvenir. Diſons auſſi que fainte Anne a été renfermée dans
le même ordre de la providence, & que comme la fainte Vierge fut choiſie &
prédeſtinée pour être la Mere de ce Fils, fainte Anne a été choiſie & prédesti
née entre toutes les femmes, pour être la mere de cette Vierge ; que comme
le Sauveur des hommes, dans le deſfein de Dieu, devoit naître de Marie : de
même cette Vierge très-ſainte devoit naître de Joachim & de fainte Anne; &
qu’ainſi j’ay raiſon de dire : que comme la gloire du Verbe Incarné retourne
& rejailit ſur ceile qui est ſa Mere, & luy communique une grandeur incom
préhenſible : celle de la très-ſainte Vierge s'étend de même fur fainte Anne,
& luy donne une gloire incomparable; que comme dans l'étroite affinité qui
eft entre le Fils de Dieu & ſa Mere , la grandeur de l'une fe doit meſurer par
la grandeur de l'autre : pareillement dans l’affinité, qui n'est pas moins étroi
te entre ſainte Anne & la ſainte Vierge, il faut juger de l'excellence & de la
P A R A GR A P H E C I N Q U IE'M E. 579
gloire de la Mere par celle de la Fille. Ce ſont des regles qui font infaillibles,
parce qu'elles font établies ſur la nature même, & par conſéquent qui vien
nent de Dieu qui en eſt l'auteur.
Comme il n'est pas poſſible à l'eſprit humain de comprendre l'excellence y a quel-.
de la très-ſainte Vierge , entant qu'elle a un Fils qui eſt Dieu, de même il “
ne peut parfaitement concevoir l'excellence de fainte Anne, entant qu'elle a
une Fille qui eſt Mere de Dieu. La raiſon eſt parce que la qualité de Mere de entre la qua
Dieu, & celle de Fils de Dieu font d'une excellence hors de poids,& ſuperieu- lié ds M:te
re à toute autre. D'ailleurs comme la fainte Vierge entant que Mere de Dieu, 2.
a un droit naturel ſur ſon Fils, & par fuite, ſurtout ce qui appartient à ſon l,
Fils : de même fainte Anne , entant que Mere de la Vierge , a un droit na- qualité de
turel ſur ſa Fille, & fur tout ce qui eſt à fa Fille. D'où il s'enfuit que comme Mere de Ma;
les priéres de la Vierge ont un pouvoir tout particulier fur ſon Fils:de même :
les prieres de fainte Änne font toutes puistantes fur ſa Fille. C'est donc la plus “”“”“
excellente prérogative de fainte Anne , que d'être Mere de la Mere de Dieu,
Mere de la Mere du Rédempteur; & c'est-là une qualité fi relevée, qu'il
femble que plus on en parle, plus on déchoit de la grandeur de ſon fujet,
parce qu'après que l'on a montré qu'elle eſt mere de la Mers de Dieu , tout
ce que l'on peut dire dans la fuite pour étendre ſon éloge, eſt toûjours au
deſſous de ce qu'on en a dit , & s'éloigne par conſéquent de la fource de fa
grandeur. Et comme les Théologiens tiennent qu'entre toutes les dignitez
communiquées aux pures créatures, celle de Mere de Dieu furpaſſe toutes les
autres, & va juſques-là, que Dieu tout puiſſant qu'il est , n'en peut donner
une plus éleveé à une pure Créature: auſſi la dignité de fainte Anne fuit de
fort près l'excellence de ce prémier honneur. Le plus grand honneur qu'ait
reçû nôtre nature de la bonté de Dieu, eſt qu’il ait daigné l'elever à l'union
perſonnelle de fa Divinité, parce qu'être uni à Dieu en forte que l'homme eſt
Dieu, & Dieu est homme, c'eſt une plus grande gloire à l'homme, que non
pas d'être fait à l'image de Dieu. Mais fainte Anne étant la proche après
la fainte Vierge, de la chair unie à Dieu , tient par une conſéquence néceſſai
re le fecond rang en cet ineſtimable honneur ; & comme dans l’ordre de la
nature, les font plus parfaites à meſure qu'elles font plus proches de
leur fource: de même en l'ordre de la grace, dont JEsus-CHR I ST eſt la four
ce , le centre & le principe : fainte Anne étant au fecond rang, après la fain
te Vierge par la proximité du fang , il s'enfuit néceſſairement, qu’elle en
acquiert plus d'honneur & de gloire que toutes les autres créatures.
Comme le corps du Verbe Încarné a été pris de la ſubstance de fainte Anne [ Comme
par celle de Marie, c'eſt un honneur incomparable pour cette fainte Ayeule :
du Sauveur, qui ſurpaſie de beaucoup toutes les prérogatives des Anges, le M
des Prophêtes, des Patriarches, des Apôtres, des Martyrs , & de tous les contribüé
Saints , & ne céde qu’à la dignité de Mere de Dieu même, que la fainte -
Vierge a reçûé de la bonté de ſon Fils ; puiſque fainte Anne, après ſa Fille, .
a contribué plus que tous les autres , par la prédeſtination de Dieu à l'ouvra- iar , ,
ge de l'Incarnation, qui eſt la fin de toutes les oeuvres extérieures de Dieu ; Èt formation de
ce ne font point là de vaines conceptions de Philoſophes, ni des amplifica
tions d'Orateur, qui pour élever davantage un ſujet bas & ſtérile de foi-mê- Sauveur, elle
me, employent toute l'éloquence poſſible ; ce font des véritez incontestables
D D d d ij
58o POUR LE PANEGYRIQUE DE SAINTE ANNE.
vée en digni- qui obligent toutes les créatures à honorer celle que Dieu a bien voulu élever
un fi haut degré que d'être la mere de la Mere de fon Fils, & Ayeule de ſon
tédesaPatriar- àDieu.
ches & de - - - - - |
u- L'Étre est la fource de tous les biens dont nous joüiſſons, & celuy qui nous
tres Saints, le donne, ſe peut vanter qu'il nous rend capable de poſſeder tous les autres.
Sainte Anne Quelle obligation a donc la fainte Vierge à fainte Anne ’, il eſt facile de le
ayant donné concevoir, en ce qu'elle luy a donné l'étre. Il faut avoir reçû l'être pour rece
l'être & la voir la raifon, & ce dernier avantage , qui nous éléve au-deſſus des animaux,
vie
tc v " &nous
nous égale aux Anges,
ſubfiſtions, avant que de meriternéceſſairement
préſuppole le prémier.
; & les bonnes Il faut
oeuvres que nous que
fai
au- fons pour acquérir la gloire éterneile, ne ſont que des fuites de l'étre que nous
fe & le prin- avons reçû de nos peres. Il faut enfin que nous vivions jouïr de Dieu,
tipe de tous & la félicité, qui confiste en la poſſeſſion du Souverain bien, dépend de la
. vie, fans laquelle nous ne pouvons être bienheureux. Ainſi l'être eſt le prin
: i cipe de la raiton, la ſource du mérite, & l'origine de l'honneur, & de tous
ne pour bonheurs. C'eſt de-là que nos peres peuvent dire qu'ils ſont nos créateurs, &
roient ſub- qu'ils nous ont tirez des ténebres de la matiere où nous étions enfevelis.
Tout ce qu'on peut dire de grand & de magnifique de la Mere de Dieu, ré
l'être. jaillit en quelque façon fur ſainte Anne: mais ce qui lui est propre, est qu'a
- près avoir été long-temps stérile , elle devint féconde par un miracle opéré
en fa faveur, à cauſe de celle devoit donner au monde. Il falloit que
fa Fille qui devoit porter dans fon ſein la réparation de la nature humaine,
äqui d'une vint ſur la terre par un miracle. Il est vray que cette prérogative ne fut pas
meie sterile finguliere en elle, ayant été accordée à pluſieurs autres Dames,Sara, Rebecca,
par un Anne, Elizabeth, en faveur de ces grands hommes qui devoient naître d'elles.
Mais la fécondité de fainte Anne, outre qu'elle fut miraculeuſe en elle mê
difpofer à la me » puiſque de stérile, elle devint féconde, ce miracle nous diſpoſa à un
créance d'un plus grand, & ſe fit, pour que nous n'euſſions point de peine à croire que
plus ga Jesus-Christ naîtroit d'une Vierge, puiſque la Vierge étoit née d'un pere
âgé, & d’une Mere sterile. Le fecond miracle fut que le Ciel permit que ſes
Saints parents ne reffentirent point l'ardeur de la concupiſcence comme tous
Vierge les autres. Le troiſieme & le plus grand, eſt que cette ardeur naturelle étant
anéantie ou arrêtée dans ces deux Saints ; la nature céda ſa place à la grace ;
& luy laiſſa la gloire d'achever la produćtion de Marie : afin que ſa Concep
tion étant furnaturelle , on ne put la foupçonner de la moindre apparence de
7ean. da- péché : Voluit natura in conceptu Virginis gratie cedere: ut ejus Conceptio non
waff- nature fed gratie viribus tribueretur. Ainſi la faiẳte Vierge est plus obligée à
fainte Anne que les autres filles ne font à leurs meres, puiſqu'elle en reçoit
l'être, & non le péché, & que fainte Anne en la mettant au monde, ne luy
donne pas la mort en même-temps qu'elle luy donne la vic.
l'on peut di- Saint Augustin conſidérant la qualité de Mere de Dieu en la perſonne de la
se º Vierge, a bien oſé dire que l'alliance felon la chair luy eût été inutile, fi elle
| n'eût été accompagnée de l'alliance felon l'eſprit ; & qu'elle n'eut pas été
cemme de la Sainte , ny Bienheureuſe, fi elle n'eût conçú le Verbe dans ſon coeur, avant
isint vige, que de le concevoir dans ſon corps : Materna propinquitas nihil Maria pro
qu'elle est fuiſſet, nist felicius Christum in corde quàm in corpore gestaffet. Auffi le plus
grand avantage de fainte Anne, & ce qui fait le plus haut Point de fa gloire»
P A R A G R A P H E C IN QUI E M E. 581
n’est pas d'avoir été l'Ayeule de Jesus-CHR 1st par la chair: mais d'avoir été de l'eſprit
fa Fille par l'eſprit, & de luy avoir encore été plus unie par la grace, que par : ; 2
la nature. C’est en ce point que confiste principalement ſa gloire, & fon bon
heur. C'eſt ce qui rend fainte Anne illustre dans l'Egliſe, & dans le Ciel ; c'est par l'alliance
ce qui l’éleve au-deſſus des Anges , & ce qui l'approche de fi près du Verbe de la chair.
Incarné. Aug
Si les enfans font obligez à leurs parens de leur avoir donné l'être : fi un c'est une
Payen
Dieux àa leur
dit que leurs
pere, ne ſçauroient
& à leur mere: jamais
à quel degré rendre
ſainte ce porte-t'elle
Anne qu'ils doivent aux grande gloi
ſa Ma- fain
ternité, puiſque la Mere de Dieu luy est obligée. Toutes les créatures font
obligées à cette incomparable Princeſſe ; les Änges luy doivent leur Roy, les Dieu :
hőmes leur Rédempteur:Dieu même luy doit ſa vie. Quelle eſt donc la gloire, obligée en
& quelles font les richeffes de fainte Anne; puiſqu'elle a les mêmes droits ſur lité de ſa
Nôtre-Dame , que les autres meres ont ſur leurs enfans : car la fainte Vierge,
toute Reine qu’elle eſt venue au monde avec les mêmes conditions, & les i reste
mêmes obligations que la nature, & les loix impoſent en ce cas aux autres en- l'univers est
fans des hommes. Et nous pouvons même tirer cette conſéquence de la ma-ºbligé.
ternité de ſainte Anne , & comme une extenſion de fa gloire , qu'en donnant
l'être à Nôtre-Dame, elle a étendu en quelque maniere ſa puiſſance fur le
Sauveur, ayant en cette qualité l'honneur d’être fon Ayeule ; parce qu'ayant
donné la vie à la Mere, elle l'a donnée en quelque façon au Fils ; elle a don
né la vie à l'arbre, elle l'a donné par conſequent au fruit. Nous pouvons
juger de-là, que la fainte Vierge ayant de fi grandes obligations à fainte
Anne , quelles aćtions de graces nous devons de nôtre part à cette
grande Sainte , d'avoir donné au monde la Mere du Rédempteur du
monde.
Les peres & meres ont ſur leurs enfans une authorité légitime qui confiste cöme fain
en deux avantages. Le premier est qu'ils peuvent diſpoſer de leurs enfans. Le te Anne a eữ
fecond est qui leur peuvent commander comme à des qui leur font
fujettes, & les enfans font obligez de ſuivre leurs volontez , & de leur ren- È i
dre obéiſſance. Mais ne croyez pas que l'honneur que la fainte Vierge eut comble de
après cela d'être Mere de Dieu, la diſpensât de ces obligations & de cette gloire celle
obéiſſance ? car les avantages de la grace ne détruiſent pas les loix de la natu- 'a éle
re.Elle renonça volontairement aux privileges de fa grandeur pour obéir à ſa "*
Mere ; comme nôtre Seigneur , bien qu’il fût Dieu & Roy du monde, vou
lut garder les devoirs & les obligations de Fils envers Nôtre-Dame, & luy
obéir comme à ſa Mere , & foûmettre toutes ſes couronnes à ſes pieds pour
rendre fon autorité plus glorieuſe. Nous ne fçavons pas combien Anne
vécut après avoir donné la vie à Nôtre-Dame: mais il est certain que la fain
te Vierge commença à luy obéir auſſi-tôt qu'elle commença de vivre. Elle ſe
retira dans le Temple par fes ordres, & elle foúmit aux commandemens de
fa Mere tous les premiers momens de ſa vie. C'est là fans doute la plus émi
nente fortune où une créature puiſſe arriver, après celle d'être Mere du Sau
veur même. -
La divine Providence mit Nôtre-Dame entre les mains de fainte Anne con
comme un précieux dépôt de ſa gloire, pour en prendre un foin maternel,
avec d'autant plus de fidélité, que la dignité de ſa f * les grands ſainte vieigº
DD iij
582 POUR LE PANEGYRIQUE DE SAINTE ANNE.
aux foins de deſſeins aufquels Dieu l'avoit destinée, rendoient ſon éducation plus impor
faia“ Annº tante.Ce n'eſt pas que cette fainte Fille eût beſoin d'un fecours étranger pour
être fainte ; elle avoit été conçûë fans péché originel, & confirmée en état de
grace ; ainſi elle n’étoit pas ſujette à cette néceſſité commune de prendre des
inſtructions. D'ailleurs la providence de Dieu l'instruiſit par fes graces & fes
inſpirations, & le Saint-Eſprit étoit ſon Maître. Enfin Dieu pouvoit fe fer
vir du ministére des Anges , qui étoient toûjours auprès d'elle, comme re
marque faint Denis. Dieu néanmoins qui vouloit s'accommoder aux loix or
dinaires de la nature, fans prendre des moyens miraculeux pour ce deſfein,
deſtine fainte Anne à cette excellente fonćtion. Il veut commettre l'éducation
de Nôtre-Dame à ſes foins & à fa diligence.Il luy en donne luy-même la com
miſſion en la faiſant Mere de la fainte Vierge ; ajoûtez à cela, que ſainte
Anne voyant qu'elle l'avoit conçủë par miracle , connoiſſoit bien que cette
petite fille, qui naiſſoit d'une façon miraculeuſe, étoit destinée à quelque
chofe de grand.
on ne peut Quand nous ne ſçaurions pas comment fainte Anne s'est acquitée de la
douter que commiſſion que Dieu luy avoit donnée d'élever la fainte Vierge, n'est-ce pas
fainte déja un privilége bien fingulier d'avoir été choifie de Dieu pour un fi impor
". tant ministére ! On peut certes conclure d'abord que Dieu luy a donné les
t qualitez néceſſaires pour s'acquiter dignement d'un fi important employ;
cette charge, puiſque, felon le ſentiment des Théologiens, c'est une loy de la Providen
ce, quand elle appelle quelqu'un à une charge, de luy donner les moyens de
la remplir comme il faut. On estime tant l'employ de ceux qui font choifis
pour l’éducation des Roys, ou des Princes, parce que c'eſt une marque de
leur mérite , & de leur capacité, & parce que delà dépend la gloire de ces
Rois, & le bonheur des Peuples. Quel honneur donc n'a point reçû fainte
Anne d'avoir été choiſie pour l’éducation de la Mere de Dieu ? Avec quelle
fidelité s'est-elle acquitée de cette glorieuſe commiſſion, avec quel amour a
r’elle tâché de remplir les deſſeins de la providence ? Saint Jérôme écrivant à
Leta ſur l'éducation de fa petite fille Paule, dit ces belles paroles: Sic eru
dienda est à te, que futura est templum Dei. C'est avec ces foins que vous de
vez élever une ame que Dieu vous a confiée, & qui doit être fon Temple.
Nous pouvons aſſûrer auſſi que fainte Anne a élevé la fainte Vierge, comme
devoit être élevée la Mere d'un Dieu , & que pour s'y exciter elle-même,
elle fe diſoit ce que David diſoit au peuple, quand il faiſoit préparer tous
1. Paralip, les materiaux du Temple : Non enim homini preparatur habitatio , fed
I 9. Deo.
Il est vray que dans l'ordre de la généalogie du Fils de Dieu,il ſe trouve des
femmes dont la reputation n’est pas fans tache ,& que Jesus-ChRist a per
mis de ſe trouver au nombre de ces Ancêtres, auſſi bien que pluſieurs hommes
vicieux, pour montrer qu'il n’étoit pas venu au monde pour couronner les
justes, mais pour faire grace aux pécheurs. Mais quand il eſt queſtion de
contribuër immediatement à la naiſſance de la Mere du Fils de Dieu ; de cet
te Mere qui par fa Virginité féconde, devoit être la prémiere preuve de la
grandeur, & de la Divinité de fon Fils ; certes il falloit que fes parens , &
particulierement ſa Mere, fût une femme d’une vertu rare & irréprochable.
Car fi la fainte Vierge eût été fille d'une perſonne ſuſpećte, qui eût pủ croire
P A R A G R A P H E C IN QUI EM E. 583
ret enfantement miraculeux, qui confond toutes les regles de la nature, &
qui ne l'eût attribué plûtôt à toute autre cauſe, qu'à l'operation du Saint
Eſprit. Après tant de merveilles qui ont précédé & ſuivi la naiſſance du Ver
be Incarné : s'il s'eſt trouvé des impies & des infideles qui ont oſe blaſphe
mer contre la pureté de fa ſainte Mere ? Que n'euffent-ils point ajoûté à leurs
blaſphémes, fi on eût eu quelque juste reproche contre la Mere de cette Vier
ge? quelle foy auroient eû les hommes pour un myſtére qui eſt d'ailleurs in
compréhenſible: La prémiere opinion que nous concevons de l'honnesteté &
de la vertu d'une fille, vient de l'honneſteté & de la vertu de la mere : Com
me la prémiere opinion deſavantageuſe que nous concevons d'elle , est fon
dée ſur les mauvaiſes moeurs de celle qui l'amiſe au monde.
L'on apporte communément deux raiſons pourquoy Dieu a permis que la Raifons
Vierge toute fainte ſoit née d'une mere stérile : L'une regarde le Sauveur, pourquoi la
l'autre ſa très-ſainte Mere. Dieu a voulu que la fainte Vierge màquit d'une fainte Vietge
* * »
-
femme stérile & hors d'âge, pour ménager l'eſprit des hommes, pour les t ſt née d’une
faire acquieſcer plus facilement au miracle de la naifiance de fon Fils ; puiſ mere ſtérile.
! toutes les deux , quoiqu'inégalement, les forces de la nature font
furpaſſées. L'autre raiſon , qui naît de la prémiere, c'eſt que le Sauveur a
voulu que la naiſſance de fa Mere fut ſemblable à la fienne, autant qu'il y
eut avoir de refſemblance entre la virginité & le mariage ; & cette restem
blance ſe prend de ce que, comme la Virginité a été dans le coeur de la Sain
te Vierge au plus excellent degré qui ſe puiſſe imaginer, la chafteté s'est trou
vée auſſi en un degré très-éminent dans le mariage de fainte Anne. Une autre
reſſemblance de la naiſſance de la glorieuſe Vierge avec celle de fon Fils qui
met le comble à la gloire de fainte Anne, c’est que comme le Fils de Dieu
a pris une chair pure & immaculée dans le fein de fa Mere : fa Mere auſſi a
pris une chair pure & immaculée dans le ſein de fainte Anne.
Si fainte Anne a été abondamment pourvûë de toutes les graces en géné
ral , la grace ſanctifiante, qui nous fait proprement faints, & agréables à
Dieu, n'a pas été la moins confiderable en elle,parce que Dieu, qui fait tout
avec une fageffe infinie, n'a pas choiſi cette Sainte pour un fi ſublime em
ploy, que de donner la vie à Nôtre-Dame, qu'il ne l'ait annoblie de cette
forte de grace, qui fait la véritable grandeur. Et comme cette grace n'eſt
point ſeule, mais attire toûjours avec ſoy les ſept dons du Saint-Eſprit , &
les graces infuſes de toutes les vertus : de quelles bénédićtions ne fut pas
comblé cette fainte Mere, de la Mere du Sauveur ! Certes quand il n'y au
roit que la part qu'elle avoit aux bonnes oeuvres de ſa très-ſainte Fille, d'a
voir conſenti au voeu de virginité qu'elle fit, de l'avoir préſentée , & confà
crée à Dieu pour être entierement à lui ; cette ſeule aćtion eſt d’un fi grand
mérite que Dieu n'a jamais eû en ce monde aucune offrande qui luy ait éré
plus agréable, après celle du Sauveur.
Les Théologiens enfeignent que fi les Patriarches n'ont pû mériter, par
un titre de justice, l'Incarnation du Verbe, ils l'ont pủ mériter en quelque
façon , & par un titre qu'ils appellent de congruité. En effet, Dieu promit à
Abraham & à David que le Meſſie feroit de leurs deſcendans ; parce que ces
deux Patriarches avoient marché dans les voyes de la loy, & fait ſes divines
584 POUR LE PANEGYRQUE DE SAINTE ANNE.
Gen. 12. volontez : Quia fecisti hanc rem : benedicentur in te omnes cognationer
terre. Ils l'ont encore mérité, par ces foûpirs ardens , qu'ils pouſſoient vers
le ciel : Rorate cæli deſuper. Et l'Ange dit à Daniel , que Dieu avoit avan
cé la venue du Meſfie à cauſe de fes væux ; or fainte Anne a concou
ru de plus près à la venuë du Meſfie par ſes foûpirs redoublez, & à l'e
xécution de ce divin myſtére. Le fang d'Abraham & de David a coulé
dans fes veines, & ce fang d'où le Meſſie devoit fortir , a reçû la der
niére préparation dans le # de cette fainte Femme. Elle a donc con
tribué à la conſtrućtion de ce Temple & de ce Sanćtuaire , où la Sa
eſſe éternelle a habité perſonnellement, où le grand Prêtre de la nou
velle Alliance s'eſt revêtu des ornemens de fon Sacerdoce éternel; elle a
orné ce Temple par la fainte éducation qu'elle a donnée à la très-ſain
te Vierge , elle a concouru en toutes manieres à orner ce Sanctuaire, où
le Sauveur du monde devoit trouver un agréable fejour , en attendant
qu'il parût dans le monde pour y offrir le facrifice incomparable qu'il avoit
réſolu d'y préſenter à ſon Pere.
sainte Anne C'eſt le fentiment de tous les Théologiens, que la fainte Vierge, dès
offiant ſa le prémier inſtant de ſa Conception étoit ornée de plus de graces & de
fille P fainteté que tous les Saints les plus éminens en perfection ne le furent
lui
ausºfousP" iamais:; Lors
les lama iors ddonc que fainte Anne offre ſa Fille au Seign
fainte Anne oire la rule an seigneur , comme
rifices des une vićtime , & un holocauſte, ce préſent luy eſt plus agréable que tou
Anciens Pa tes les vićtimes & les holocauſtes des Patriarches , des Prophétes, & de
triarches. tous les Saints, qui ſe font jamais offert à Dieu. L'eſprit de la Vierge
toute-fainte étoit dès ſon enfance , éclairé des plus vives lumieres , &
fon tendre coeur embraſé des flammes de l'amour le plus pur. Les Ché
rubins & les autres Intelligences célestes font gloire de luy céder en
amour & en lumieres. Elle a puiſé dans la fource même beaucoup plus
que tous ces divins Eſprits : fainte Anne offre donc à Dieu un holo
causte plus précieux que tout le Ciel, & ce qu'elle offre est un autre
elle-même : c'eſt fon fang le plus pur, c'eſt un véritable fruit de la gra
ce ineffable de Dieu , & d'une stérilité féconde.
PARAGRAPHE
P A R A G RA P H E SIX I E’M E.
le reſte pour nôtre amour, il faut pourtant en juger tout autrement que de la 2
naistance des autres hommes ; puiſque dans ceux-cy, la gloire deſcend, & avec le Fils
paſſe des peres aux enfans, & des ancêtres , à tous ceux qui en tirent leur de Dieu plâ
origine. Mais celle du Sauveur remonte, & en prenant fa fource de luy-
même, fe répand enfuire fur tous ceux qui l'ont précédé, leſquels font d’au
tant plus glorieux , qu'ils l'approchent de plus près, & qu'ils ont contribué dont elle est
plus immediatement à luy donner l'être , & la vie. De maniere que l'on peut deſcenduë.
dire, que comme le fruit annoblit l'arbre, & en fait toute l'excellence,
ainſi cet homme-Dieu communique le mérite & la gloire à toute la tige dont
il eſt deſcendu , & rend glorieux tous ceux qui ont eu le bonheur de contri- *
être caché fous les voiles d'une humilité constante ; & l'on n'est faint &
monde, &c. grand dans le Royaume de Dieu, qu'à proportion que l'on eſt vil & mé
Matth. z.o. prifable aux yeux du ſiécle. Tel a été le fort de fainte Anne. Semblable à ces
étoiles que Dieu tient fermées ſous le fçeau de ſa providence juſqu'à ce qu'il
leur commande de paroître: elle s'est vůë comme enveloppée dans les téné
bres de la décadence de fa maiſon. Le ſceptre étoit forti de la tribu de Juda:
Hérode s’en étoit emparé : l'on ignoroit David & fes deſcendans dans Iſraël,
comme Joſeph l'ancien étoit inconnû au ſucceſſeur de Pharaon. C'eſt ſur ces
débris que le Seigneur a établi la grandeur de fon ayeule ; le Dieu de l'humi
lité ne devoit avoir pour parens, que ceux qui embraſferoient une humilité
volontaire ; & puiſque le Seigneur de la majeté ne devoit être exalté qu'après
Ad Philipp, une profonde humiliation : Humiliavit femetipſum : propter quos Deus exulta
2- vit illum ; ſainte Anne ne devoit être élevée que par ce degré, à une vérita
ble grandeur, mais cachée, mais inconnuë , mais mépriſce. Voilà, grande
Sainte vôtre prémier degré d'élevation. Eloges historiques.
Ce même „Vous qui remücz les cendres de vos ayeuls pour chercher dans des épitaphes
... ufez, une nobleſſe dont ſouvent vous voús rendez indignes, par une fuite d'ac
tions baſſes, couvrez-vous d'une confufion falutaire en arrêtant vos yeux ſur
s ſainte Anne, qui vous apprend à unir la vertu à la nobleſſe du fang, parce
unie à la no- que l'un devient l’éclat de l'autre ; comme ces ouvrages riches par leur ma
dº tiére, mais qu'une main habile reléve par ſon art. Remontez aux premiers
: âges du monde , parcourez tous les fiécles, & les générations : vous verrez
perſonne il- Que fainte Anne compte des Prophetes, des Patriarches, des Juges, des Con
lustre. querans, des fouverains Pontifes, des Princes & des Roys fans nombre par
my fes peres. La maiſon de ces grands hommes n'a point été foûtenuë par la
violence, comme les vörres, grands du monde, ni leurs richelles aquifes.
Par des voyes illégitimes, mais par une ſucceſſion légitime de grands hom
mes, qui a obtenu les bénédićtions du Ciel pour héritage, leſquelles fe font
c„f as. Perpétuées de race en race : In femine tuo benedicentur omnes gentes.Mais fainte
Anne eſt au-deſſus de toute cette nobleſſe; & parce que ſon coeur n'y a ja
mais pris de complaiſance , & parce qu'à cette nobleſſe du fang, elle y a joint
la nobleſſe de la vertu: plus grande pár fes qualitez perſonnelles, que par la
gloire qu’elle empruntoit de ſes peres. Le Pere Chauchemer.
La fainte , Comme la gloire de Nôtre-Dame en qualité de Mere du Sauveur, naît
Vierg; fit de la proximité qu'elle a avec cet homme-Dieu, laquelle l'approche plus
Pº" dº ſa près de lui que toures les autres créatures, en communiquant cette même
PARAGRAPH E SI XI E’M E. 587
proximité à fainte Anne, elle lui fait part, par une fuite néceſſaire ; de ſa gloire à
gloire, & de ce qu'elle a de plus grand. Je dis donc que comme la gloire de Aane
la très-ſainte Vierge vient d'avoir approché plus près du Sauveur que le reſte
des créatures, & d'avoir au plus de relation avec luy ; elle a communiqué a par" on
cette gloire à fainte Anne, en luy ſervant réciproquement de lien pour l'ap- moyen avec
procher, & pour l'attacher en quelque façon de plus près à ce même homme le Sauveur.
Dieu ; puiſqu’elle lui donne la qualité & le nom d'ayeule du Sauveur. De
maniére que la raiſon de faint Auguſtin, qui tire la gloire & l'avantage de
Nôtre-Dame de cette proximité, & de cette conſanguinité, comme parlent les
autres, doit s'étendre juſques fur fainte Anne. Caro Christi , caro Marie.
L'Auteur des fermons fur tous les fujets.
La stérilité a toûjours été pour les femmes de l'Ancien Testament, l'humilia- ambien la
tion la plus rude, parce qu'elle les privoit du bien qu'elles défiroient le plus
ardemment , & parce qu’elle les accabloit de la confufion la plus ſenſible, & affligean
enfin parce qu'elle ne leur laifſoit aucune reſſource pour obtenir l'un , & pour te pourtain
fe garentir de l'autre. La ſtérilité les privoit du bien qu'elles défiroient le plus te Anne ,
ardemment; car enfin qui ne ſçait qu’elles regardoient la qualité de mere, elle ſe
comme un effet de la bénédićtion que le Seigneur avoit particuliérement
promiſe au peuple d'Iſraël, lorſqu'il contraćta avec luy l'alliance dont il est à la veio é
fi fouvent parlé dans l'Ecriture ? Non erit infecunda , nec fierilis in terrá tuâ, de Dieu.
Qui ne ſçait qu'elles regardoient la qualité de mere comme le moyen de pro- F*** *3
curer à leur famille, malgré la mort même, cette eſpece d’éternité , quc
Dieu s'étoit fi folemnellement engagé d'accorder aux maiſons qui étoient
diſtinguées par leur attachement à ſon ſervice, & qu'il diſtinguoit luy-même
par ſes faveurs ? Et formabo folium ejus uſque in æternum. Qui ne fçait enfin r. Paralip,
qu'elles regardoient la qualité de mere , comme celle dont dépendoit l'ac- 17.
compliſſement de cette grande promeſſe que Dieu fit à Abraham , lorſque
pour récompenſer la promptitude de fon obéiſſance , il luy dit que celui qui
devoit rendre aux hommes l'eſpérance du bonheur éternel, naîtroit de ſa
poſtérité ? Benedicentur in femine tuo omnes gentes terre , quia obedisti voci mee. supra.
La ſtérilité les confondoit de la maniére la plus accablante : & pourquoi ?
parce que ce peuple groſſier jugeant de la probité des hommes par leur prof.
périté dans les affaires temporelles, regardoit les femmes stériles comme des
perſonnes diſgraciées du Seigneur. De là vient que Dieu même, s'accommo
dant au genie de ces hommes charnels, fe fervoit fouvent de la ſtérilité pour
punir ceux qui lui manquoient de fidélité : témoin Jechonias , ce Prince éga
lement impie & malheureux. Terra, terra, terra, audi fermonem Domini. feren. ...
Terre , écoute la parole du Seigneur, dit le Prophete Jeremie. Et quelle est
cette parole ? N’attendez-vous point qu'il menace Jechonias de la foudre,
qui ſembloit déja toute prête à tomber fur ſa tête criminelle, ou de faire
ouvrir la terre fous fes pieds pour l'engloutir ? Hec dicit Dominus ; Scribe ridem.
virum fierilem; il a choiſi la ſtérilité comme le châtiment le plus propre à
guérir ſon orgueil & fes déſordres. Hec dicit Dominus. C'eſt le Seigneur lui
même qui nous en aſsûre, en pourrions-nous douter ? La ſtérilité ne leur laiſ
foit aucune reſſource pour obtenir le bien qu'elles défiroient le plus ardem
ment , & pour fe garentir de la confufion qui leur paroiſſoit la plus fenſible ;
car il vient un temps , où ſans un miracle viſible de la main du Tout-puiſ
E E e e ij
588 POUR LE PANEGYRIQUE DE SAINTE ANNE.
fant, elles ne peuvent plus ſe promettre d'avantage après lequel elles ont
fi long-temps, & fi inutilement ſoupiré. Et qui peut l'attendre, ce miracle ?
Jechonias ne le pût, quelque aſsûrance que lui en donnât l’Ange du Seigneur
au milieu des plus auguſtes cérémonies , & dans le Sanctuaire , où ſa divine
Majesté réfidoit d'une façon toute particuliere. Unde hoc ſciam ? ego enim
fum fenex, & uxor mea proceffit in diebus fuis. Sermon manuſcrit du F. Mar
t1/7ĉattt.
Epreuve de Vingt années de stérilité dans une fainte & paiſible alliance: fe marier pour
la vertu & de mettre au monde des enfans, d'où le Meſſie pût deſcendre fans en avoir au
dº cun ; ſe ſentir frappée de cette malédićtion legale, qui attireroit les derniers
Cett"° mépris ſur des peres & meres, dont le Ciel n'avoit pas beni le mariage par
une glorieuſe fécondité ; fe voir privée de cette faveur qu'on pouvoit atten
dre dans une Tribu affećtée à la naiſſance future du Meffie, & en un temps,
où, ſelon toutes les Prophéties, il devoit venir au monde ; Et malgré ces hu
miliations ne s’oublier jamais de ſon devoir , ne murmurer jamais contre les
adorables Decrets d'une févére Providence, ne dire jamais à Dieu : Que vous
ay-je fait pour me punir avec tant de rigueur ! & que vous ont fait les au
tres ſur leſquels vos mains paternelles répandent tant de graces ? Voilà ce qui
s'appelle une éminente vertu : & dequoy fe diſtinguer par ſa fidélité & ſa juſ
tice de celles mêmes qui paroiſſent fidéles.
sainte Anne Sainte Anne a répondu à tous les deſfeins que Dieu avoit fur elle : elle s’est
a épondu foûmife avec une humble & tranquille réſignation à toutes fes ſaintes, quoique
! févéres ordonnances. De grandes humiliations l'ont éprouvée ; mais des ver
' tiis encore plus grandes l'ont élevé au-deſſus de ces épreuves. La retraite, le
desteins que filence, la pauvreté, l'amour des abjećtions & des mépris, vertus fi peu con
Pieu a ců nuës dans le monde, & cependant d'un fi rare mérite aux yeux du Seigneur,
furslis ont fait toute fa gloire: Er comme ç'a été pour l’éxecution de ces deſfeins ,
* - / *
zeeliſ. 1. H" la Providence a voulu que fainte Anne air marché avec les femmes choistes,
- !» 1 JT CJ201 1262 f
faint Augustin, c’eût été peu de choſe pour Nôtre-Dame, de porter ce divin
i Sauveur dans ſon fein, fi elie n'avoit câ l'eſprit rempli de fa foy , & le coeur
uestions de fon amour ; Materna propinquitas nihil Marie profuiſset : nist fæliciùs Chri
ley a stum in corde, quàm in carpore gestaffet. Saint Jerôme pria autrefois une Dame
données. Romaine d'envoyer ſa fille auprès de fainte Paule , qu'il dirigeoit, comme
tout le monde ſçait, l'engageant à prendre un foin tout particulier de l'inſtrui
P A R A G R A P H E S I X I E’M E. 589
re, & protestant qu'il s'esti n roit en cela plus glorieux qu'Ariſtote ne l'avoit
ét: du choix qu’on avoit fait de fa perſonne , pour conduire les études d'un
Prince, qui dans la fuite devint le plus illuſtre des Conquérans. La raiſon que
ce faint Doćteur en apporta, c'eſt qu'il formeroit dans cette jeune enfant, un
Temple vivant au Seigneur. Mais fi cette raiſon lui étoit une preuve avanta
geuſe,elle est encore plus avantageuſe à fainte Anne;car qui fut jamais auffi vé
ritablement chargé du ſoin de former un Temple vivant à la Majeſté du Très
Haut, que celle qui eut l'illustre commiſſion de diſpoſer une Vierge à l'hon
neur d'être Mere du Verbe Eternel:Et voilà justement la commiſſion que reçût
fainte Anne , lorſque par une fécondité qui étonna la nature, comme parle
faint Jean de Damas, elle devint mere de la Vierge toute Sainte. Ç'a donc
été à elle à dénoüer fa langue, pour luy apprendre à benir le Créateur de tou
tes choſes, à ouvrir ſes mains aux bonnes oeuvres, & à régler tout fon corps
felon les regles de la modestie la plus éxaćte. Ç'a donc été à elle à luy inſpirer
les lumieres qui luy découvrirent ſes devoirs : à luy inſpirer l’humilité qui la
rendit un objet digne des complaiſances de Dieu , & la charité, qui , ſelon
faint Bernard, fut la derniere diſpoſition à la maternité divine. Le P. Marti
meau , Sermon manuſcrit.
elleJugez
devoitde régler
la vertu de de
celle ſainte Anne: jugezqui
Nôtre-Dame, quelle étoit
étant ſon humilité,
choifie pour être puiſqu’-Nous
la Mere devons
de la
* - ſainte té de
de Dieu, demeura dans les humbles ſentimens d'une ſervante : Ecce Ancilla e,
Domini. Jugez quelle étoit ſa pureté, puiſqu'elle devoit être le modéle de par les faja.
cette fille incomparable, qui eût refuſé la qualité de Mere de Dieu, fi pour tes instrue;
l'obtenir, il eût fallu perdre celle de Vierge. Jugez enfin quelle étoit ſa cha-tiºns º le
rité, puiſqu'elle devoit ſervir d'exemple à celle qui aima fon Dieu, comme *
fon Fils, & qui adora ſon Fils comme fon Dieu. Mais voyez en même , ganie
temps quelles obligations a la très-ſainte Vierge à fainte Anne , puiſ- obligations
qu'elle luy doit après Dieu, toutes fes bonnes inclinations, qu'elle tient de que la fainte
cette Sainte, auffi-bien que du Saint-Eſprit, tout le progrès qu'elle a " ') *
fait dans l'exercice des vertus. Si donc la Vierge est fi humble, qu'elle ““
s’abbaiſſe au milieu de ſes grandeurs , elle en eſt redevable à fainte An
ne ; fi elle est fi pure, que fa Virginitė ne luy ſoit point ravie par fa fé
condité, elle en est en quelque forte redevable à fa mere ; ſi elle eſt fi miſéri
cordieuſe , qu'elle compatiſſe intimement à nos miſéres , & qu'elle intercé
de pour nous auprès de fon Fils , nous en ſommes redevables à fainte Anne,
qui par ſes bons éxemples luy a inſpiré toutes les vertus, & qui pour comble
de bonheur, a enſeigné celle qui devoit enſeigner le Verbe Incarné. Et certes,
on peut dire que l'ouvrage particulier de fainte Anne a été de donner à fa
très-ſainte Fille , une éducation digne de Relle qui étoit deſtinée pour être la
Mere de Dieu ; l’on doit même croire , en voyant Nôtre-Dame fi élevée en
grace & en mérite, que jamais mere ne s'eſt acquitée plus dignement du de
voir de l'éducation , que fainte Anne. Il n’y a donc rien qui puiſſe animer
plus puiſſamment les peres & les meres, que de confidérer cette fainte Dame
comme leur protećtrice, pour obtenir par ſon moyen, la grace d'élever leurs
enfans , & fur tout les filles , dans l'amour de Dieu. Les Religieuſes appli
quées à l'éducation de la jeuneſſe , y trouvent & un modele à imiter , & une
puillante Avocate; parce qu'une Partic de la
- -
“sar Saints dans le
e e 111
*
SA I NT E M A R T H E.
A V E R T I S S E M E N T.
L Pangyrique de fainte Marthe est d'un carattere aße\ ſingulier; car d'un
:òté il y a aſsez de choſes à dire pour en faire l'éloge : que l'on trouve preſque
tout fait dans l'Evangile, 6 dans le feul entretien qu'elle eût avec le Sauveur,
lorſqu'elle le reçåt fî charitablement en fa maiſon : mais d'un autre côté, ily a tant
de réfléxions à faire fur la maniére obligeante, empreſſee, & fervente, qu'elle pra
tiqua l'hoſpitalité , & tant d'instructions f importantes fur chaque parole de cee
entrétien , qu'on ne fait fi un diſcours fur ce fujet aura plus l'air de Panégyrique,
que de fermon moral. Quoy qu'il en foit, encore bien que nôtre deffein en général
foit de fournir aux Prédicateurs des matériaux pour les Panégyriques » 770MJ Morar
D IligebatMarthe
Jeſus Martham. Joan. I 1. Quelle grace n'a pas dû produire en
l'amour d’un Dieu , cet amour auſſi puiſſant & auſſi
efficace, qu'il eſt tendre & ſincere ? Quand on dit dans le monde que le Prince
aime & conſidére une perſonne, quelle grande idée ne nous formons-nous
pas de la fortune de cet heureux ſujet : lorſque l'on dit donc que J E s u s
C H R 1 s T aimoit & conſidéroit fainte Marthe ; à ces mots, fi vous avez:
bien compris le destein du Fils de Dieu, venu du Ciel fur la terre pour
fauver les hommes : de quels tréſors de vertu , de quels dons de grace »
de quels fruits de fainteté , ne doit pas être comblée cette fainte
ame , qui eût le bonheur d'être l'objet de fon affećtion ? Arrêtons-nous
donc à ces paroles : Jeſus autem diligibat Martham. J B s u s-C H R 1 s T.
ainoit Marthe d'une affećtion ſpéciale. De forte que fi un faint Pere a crů
pouvoir avancer de faint Jean l'Evangeliste, que le plus grani , le plus folide
& le plus pompeux éloge qu'on puitſe faire de lui, c'eſt de dire qu'il étoit le
Diſciple bien-aimé du Fils de Dieu : nous pouvons aſsûrer austi, que c'est
faire un panégyrique achevé de fainte Marthe , que de dire que J E s u s
C H R 1 s r l'aimoit: Jeſus autem diligebat Martham. Pour comprendre cecy.
rappellons dans nôtre eſprit ce que la foy nous enſeigne de l'adorable perſonne
du Fils de Dieu ; fçavoir qu'elle réünit ſubstantiellement en foy deux natures,
la nature humaine , & la nature divine. Combien de fois déroba-t-il
à la vůë & aux mains des Juifs ſon humanité ſainte qui étoit l'objet de leur
haine , & avec quelle réſerve leur parloit-il pour l'ordinaire de fa divinité,
qui étoit pour eux un fujet de ſcandale? Mais pour fainte Marthe, il luy confia,
le ſoin de l'une , & il luy découvrit les ſecrets de l'autre.
1 o. Il lui confia le foin de ſon humanité; faveur à laquelle elle répondit
avec toute l'application d’un coeur véritablement charitable.
2°. Il luy découvrit les ſecrets de ſa Divinité : faveur à laquelle elle répon
dit avec toute la foumiſſion d'un eſprit véritablement docile. Deux penſées.
qui mérirent toute vôtre attention, & qui feront le partage de ce diſcours.
Sermon manuſcrit du Pere Martineau de la Compagnie de J. E s u s.
I R. C’est un plaifir de voir le parallele que les faints Peres, & les Doćteurs
myſtiques font de ces deux maniéres de vie repréſentées par Marthe & Ma
delaine , fçavoir l'active & la contemplative; mais particuliérement faint
Augustin & faint Bernard , comme
* * » "
ils examinent les avantages de l'une ſur
- M - *
l'autre , comme ils tâchent d'en corriger les défauts : comme ils s’efforcent
d'en montrer les utilirez: comme ils donnent des régles & des préceptes pour
éviter les écücils qui ſe trouvent dans la pratique de chacune ſeparée de l'autre;
& comme enfin, en les réüniſlant, ils font un accord admirable de ces deux
foeurs, pour trouver le haut point de la perfećtion. Il eſt vrai que fi on les
conſidére ſéparement » le Partage de Madelaine eſt le plus heureux, puiſque
*
-- - *
P A R A G R A P H E P R E M I E R. 595
le Sauveur a décidé en ſa faveur, comme étant plus tranquille, moins diſſipé
plus recueilli , & plus uni à Dieu : Maria optimam partem elegit. Cependant Luc. 19.
l’éxemple des plus grands Saints, les préceptes & les conſeils que le Sauveur
même nous a donné pour la pratique des bonnes oeuvres, pourroient faire
conclure, que la vie aćtive lui procure plus de gloire , nous acquiert plus de
mérites, & lui rend des ſervices plus confidérables,ou qui pourroient da moins
balancer l'avantage de l'autre, & faire juger que fi elle n'eſt pas fi parfaite
en elle-même , elle n'est pas moins néceſſaire à un Chrêtien. Ce qui termine
le différent, c'eſt le fentiment de tous les Doćteurs ſur ce ſujet, qui eſt, que
l'accord que l'on fait des deux, fait ce juſte tempérament, en quoi conſiſte
la plus haute perfećtion ; en mêlant leurs avantages , & rendant alliance
des deux préférables à chacune en particulier. C'eſt ce que le Fils de Dieu mê
me a fait voir dans la maniére de vie qu'il a choifie , ce que nous perſuade
l'exemple des Apôtres, & dont la raiſon même nous convainc, puiſque c'eſt
par ce moyen qu'on ſe rend utile à foi-même , & aux autres tout à la fois.
Or c'eſt la vie que fainte Marthe a embraſſée, après avoir fait profit des cha
ritables avis que le Sauveur lui avoit donnez, d'être plus tranquille, &
moins empreſſee ; puiſqu'elle n'a pas été tellement occupée dans les aćtions
de charité extérieures , qu'elle n'en employât une partie à l'oraiſon, comme
l'Evangile le marque, qu'elle fe tenoit austi aux pieds du Sauveur , quoique Luc. Ioº
non pas avec la même affiduité que Madelaine ; que etiam ſedens ſecus pedes
Domini ; & que l'histoire de ſa vie nous apprend, qu'elle fléchiffoit les ge
noux pour faire fa priére à Dieu cent fois chaque jour, & chaque nuit. Mais
comme l'action & l’éxercice des oeuvres de charité faiſoient ſon occupation
principale & dominante, fi i'oſe l'appeller ainfi : comme la contemplation
faiſoit celle de Madelaine ; c'eſt dans ces faints éxercices de la charité que
nous renfermonsrout fon éloge , en faiſant voir :
rº. L'exemple que fainte Marthe en a donné à tous les Chrétiens, & les
bienfaits qu'elle a reçûs réciproquement du Fils de Dieu, en vůë, & pour ré
compenſe de fes devoirs de piété.
zº. La maniére dônt elle les a pratiquez, pour les rendre plus frućtueux,
& plus agréables à la Divine Majeſté. Le prémier ſervira de motif pour nous
y appliquer constamment , puiſque nôtre falut y eſt attaché ; le ſecond nous
apprendra à les bien faire, ſur le modele que fainte Marthe nous a tracé. Ce
fera le partage de tout ce diſcours. L'Auteur des fermons fur tous les ſujets.
C o M M e fainte Marthe s’eſt acquittée de tous les devoirs de l'hoſpitalité I I I..
envers le Fils de Dieu.
L'hoſpitalité, qui est tant recommandée dans l'Ecriture, & qui a été fi
fort en uſage dans les prémiers fiécles du Christianiſme, a deux rapports ; l’un
à la perſonne qui la fait, & l'autre à la perſonne qui la reçoit. Ce qui peut
faire la divifion d'un diſcours, en faiſant voir, 1º. Que fainte Marthe s'est
acquitée de tous les devoirs de l'hoſpitalité envers le Fils de Dieu. º. Que le
Fils de Dieu, pour récompenfer la charité que fainte Marthe a exercée à ſon
égard, l'a comblée de graces & de faveurs, & toute ſa maiſon de bénédićtions
& de bienfaits: en forte que les loix de l'hoſpitalité ont été obſervées de part
& d'autre, d'une maniére à fervir de régle & de modele dans une aćtion qui
renferme tous les devoirs de la charité chrétienne. -
- F F f f ij
596 POUR LE PANEGYRIQUE DE SAINTE MARTHE.
Prémiere Partie. Sainte Marthe de ſon côté, s'eſt acquirée de tous les devoirs,
& a rempli toutes les conditions que demande certe vertu ; faint Ambroiſe les
raporte à trois, ſçavoir, 1 º. à la maniére obligeante dont on reçoit une per
fonne : facilitas fuſcipientis. Or quoy de plus honnête & de plus obligeant
que la maniére dont fainte Marthe en a uſé à l'égard du Sauveur ; car elle
va au devant de lui , quitte toutes fes autres affaires , lui fait tour l'accueil
poſſible , &c. 2". Elle donne ordre à ce que rien ne manque pour le bien
traiter ; s'appliquant elle-même avec foin & empreſſement à pourvoir à tour,
juſqu'à ſe plaindre de ce que fa fæur ne l'aidoir pas dans cette occupation.
Sedulitas. 3°. Affectus. L'affećtion avec laquelle elle ſe porte à cette réception :
car on ne peut témoigner une charité plus fervente , qui vû même juſqu'au
trouble , & à l'inquiétude , que le Fils de Dieu déſapprouve » quoiqu’elle ne
vienne que d’une trop grande affećtion à lui rendre quelques ſervices.
Seconde Partie. Si l'on conſidére l'hoſpitalité par rapport à celui envers
qui on l'éxerce , & qui la reçoit, quoique tout foit dû au Fils de Dieu , &
u'il put pourvoir à ſes befoins par toute autre voye , a bien voulu témoigner
recoanoiifance envers fainte Marthe, & iui avoir obligation de fa charité.
1 º. Il lui a donné des marques de fon affećtion particuliére, en l'honoranc
de ſa viſite , la conſolant dans fon affliction, & lui donnant eſpérance de la
reſurrećtion de ſon frere. 2º. Toute la famille de Marthe fut comblée de bé
nédictions & de biens ſpirituels. Car il approuva le partage de Madelaine
qui s'adonnoit à la contemplation , & qui écoutoit avec tranquillité fa divine
parole ; & Marthe elle-même en reçût des avis ſalutaires. 3°. Le Fils de
Dieu fit en leur faveur le plus grand de tous les miracles, qui eſt la réſur
rećtion de leur frere, ce qui ſe fit d'une maniére ſurprenante, & qui combla
de joye toute la familie.
I V. L A conduite de fainte Marthe dans la maladie & la mort de fon frere
Lazare , peut ſervir de fujet d'un diſcours utile & édifiant : en la propoſant
pour modele de la maniére qu'on fe doit comporter en pareils accidens ,
fçavoir ;
1º. D’avoir d'abord recours à Dieu dans ſon afflićtion , comme cette
Sainte s'addreſſa au Sauveur du monde , en lui donnant avis de la maladie
de ſon frere, & du danger extrême où il étoit. Ecce quem amas infirmatur ;
conduite bien différente de celle de la plûpart des gens du monde , qui dans
les fâcheux accidens qui leur arrivent, ont recours à l'aſſiſtance de leurs
proches, ou de leurs amis: ſe précautionnent contre les fuites dont ils font
menacez, par tous les moyens humains, fans penſer à Dieu, à qui d'ordinaire
ils n’ont recours, que quand toutes les reſſources qu’ils eſpéroient d'ailleurs
leur ont manqué. D'où il arrive fouvent que par une juſte punition le Seigneur
permet que tous ces fecours font fans effet.
2º. Sainte Marthe est en ſecond lieu, un modele de la confiance que
nous devons avoir en la bonté, & en la miféricorde de Dieu , attendant
tout de lui avec une parfaite réſignation à fa divine volonté, ce qui est
exprimé par ces paroles : Sed ſcio quia quæcunque popoſceris à Deo , dabis
tibi.
3 a. Marthe en troifiéme lieu doit être un modele de reconnoiſſance pour
les bienfaits que nous recevons de la divine bonté ; car cette Sainte après
P A R A G R A P H E P R E M I E R. 597
avoir vů ſon frere reſſuſcité, crût devoir s'attacher inviolablement au ſervice
du Sauveur, en le ſuivant par tout, l'aſſiſtant de fes biens, & continüant
après la mort du même Sauveur à pratiquer les mêmes devoirs de charité
envers les pauvres, qui font fes images, qu'elle faiſoit envers fa perſonne.
Pour ramaſſer tout cecy en peu de mots , fainte Marthe eſt le modele de
recourir à Dieu dans tous nos beſoins , de la confiance que nous devons avoir
en ſon fecours ; de la reconnoiſſance pour les biens que nous avons reçûs de la
divine Majeſté.
SuR la maniére dont on doit ſervir Dieu dans les exercices de
charité.
1°. Il faut fe porter à ces faints exercices avec une affećtion fincére, qui
parte du fond du coeur, telle qu'a été celle de fainte Marthe, comme l'on
peut voir dans la reception qu'elle fit au Fils de Dieu.
2°. Avec ferveur, avec zele, & empreſſement, mais fans trouble, fans in
quiétude , & fans entreprendre au delà de fes forees.
3°. Avec foumiſſion à l'égard de l'employ & du ministere où la provi
dence divine nous deſtine , & en quoy Dieu veut que nous lui rendions
fervice.
1°. L'occupar 1 on & le ministére de Marthe pendant la vie du Sauveur, V I.
a été de le fervir en ſa propre perſonne, de le recevoir en ſa maiſon, de pour
voir à ſes beſoins, &c. ce qui montre l'uſage qu'un Chrètien doit faire de fes
biens envers les ferviteurs de Dieu. -
1º. La foy qui, toute obſcure qu'elle eſt de ſa nature, eût pour fainte
Marthe une entiére évidence.
zº. L'eſpérance, qui eſt toûjours accompagnée de quelque crainte, devint
une entiére aſsûrance, en voyant la promeſſe que lui fit le Fils de Dieu entié
rement accomplie.
3°. Sa charité reçût un accroiſſement conſidérable par l'exercice des bonnes
oeuvres qu'elle pratiqua dans la fuite de toute ſa vie.
F F f f iij
598 POUR LE PANEGYRIQUE DE SAINTE MARTHE.
-==
P A R A G R AP H E S E CON D.
Les fources où l'on peut trouver dequoy remplir ces deffeins,
& les Auteurs qui en traitent.
Les saints QAint Auguſtin, ferm. 3 2. de verb. Domini. parle de la viſite que le Sauveur
Peres, S à fainte Marthe,& de la maniére dont il en fut reçû.
Le même, ferm. 817. fait voir que l'office & la fonétion de Marthe étoic
digne & de ſa Religion & de ſon amour envers J e s u s-C H R 1 s T, & après
avgir donné des éloges à ſa charité, il ajoute que cette fonction doit paster,
pour faire place à la fonction de Marie.
Le même, ferm. 189. fait voir l'excellence, & l'avantage de la charité
de fainte Marthe, d'avoir reçû, fervi, & nourri J E s u s-C H R 1 s T en per
fonne, & ſes Apôtres, & montre comme chacun maintenant peut joüir du
même avantage. -
Le Pere Noüet, tome de la vie de Jesus-CHR 1st dans fes Saints, a une
meditation pour la fête de fainte Marthe.
Les Prédica- Le Pere Senault de l'Oratoire tome ſecond de ſes Panégyriques, en a un fur
teurs
IlCS,
moder- Le
ce Pere
ſujet.Texier tome ſecond des Panégyriques.
P ARAGR A PHE S E C O N D. 599
L'Auteur des Eloges historiques tome ſecond. -
L'Auteur des fermons fur tous les ſujets de la Morale chrétienne , dans le
fecond tome des Panégyriques.
Ne trouvant nul Auteur qui ait fait des recüeils fur ſainte Marthe en par Recueils fur
ticulier, j’ay crů qu’on y pourroit fuppléer par ce qui eſt rapporté en géné ce ſujet.
ral dans la Bibliotheque des Prédicateurs, où l'on trouvera des Paſſages des Pe
res, des Applications de l'Ecriture , & pluſieurs endroits des Auteurs, qui
pourront entrer dans l'éloge de cette Sainte , mais que nous n'avons pas
jugé néceſſaire de repeter.
Dans le prémier tome,titre de l'Amour & de la Charité envers le prochain;
& dans le titre de l'Aûmone.
Dans le troifiéme tome, titre de la Ferveur dans les fervices que l'on rend
à Dieu.
Dans le fixiéme tome, titre des bonnes oeuvres, où il eft parlé de la manićre
de les bien faire, & des défauts qui s'y peuvent gliffer.
P A R A G R A P H E T R O I S I E’M E.
Qui recipit Prophetam in nomine Pro Celui qui reçoit le Prophete au nom du
phe , mercedem Propheta accipiet, & qui Prophere , recevra la recompenſe du Prophete;
recipit justum in nomine justi , mercedem & celui qui reçoit le juste au nom du juste, re
justi accipiet. Idem. Ibidem. cevra la recompenſe du juste.
Hoſpitalitatem feciantes. Ad Roman. Soyez prompts à exercer l'hoſpitalité.
I2 -
Hoſpitales invicem fine murmura Exercez entre vous l'hoſpitalité fans mur
Inul TC,
tione. 1. Petri. 4
Nos debemus fufcipere hujuſmodi ut Nous ſommes obligez de bien recevoir , & de
cooperatores ſimus veritatis. 3. Joann. traiter favorablement les perſonnes , afin de
cooperer avec eux à l'avancement de la vé
rité.
Chariffime , fideliter facis quidquid Mon bien aimé, vous faites une bonne oeuvre
operaris in fratres, ér hac in peregrincs ; d'avoir un foin charitable pour les freres , &
testimonium reddiderunt charitati tua in particulierement pour les étrangers , qui ont
conſpectu Eccleſie , quos benefacies dedu rendu témoignage à vôtre charité en la préſence
cens dignè Deo. Joann 3. de l'Egliſe , & vous ferez bien de les affitter
d'une maniere digne de Dieu..
Venite benedicti Patris mei , postdete Venez les benis de mon Pere, poffedez le
paratum vobis regnum à constitutione Royaume qui vous a été préparé dès le com
mundi : eſurivi enim će dediiiis mihi mencement du monde, car j’ay eû faim , &
éoo poUR LE PANEGYRIQUE DE SAINTE MARTHE.
manducare ; ſiivi, & dedistis mihi bibere, vous m'avez donné à manger : j’ay eû ſoif &
hofpes eram čr collegistis me. Matth. 25. vous m'avez donné à boire ; j’ay eû beſoin de
logement pour me retirer , & vous m'avez
logé.
** Domine quando te vidimus efurientem, Seigneur, quand eſt-ce que nous vous avons
aut ſittentem, aut hoſpitem, & non mi vû avoir faim, ou avoir foif, ou fans logement ,
nistra vimus tibi? Ibidem. & que nous avons manqué à vous affiſter.
Amen dico vobis , quamdiu non fe Je vous dis en vérité qu'autant de fois que
cistis uni de minoribus his, nec mihi feci vous avez manqué à rendre ces affiſtances aux
ftis. lbidem. moindres de ces petits , vous avez manqué à me
les rendre à moy-même.
Non injustus Deus , ut oblivifcatur Dieu n'eſt pas injuſte pour oublier vos bon
operis vestri , ở dilettionis quam osten nes oeuvres, & la charité que vous avez té
distis in nomine ejus , qui ministrastis moignée , par les affistances que vous avez
fanciis, ó ministratis. Ad Hebr. 6. rendües en fon nom, & que vous rendez encore
aux Saints.
Non te pigeat viſitare infirmum ; ex his Ne foyez point pareſfeux à viſiter les malades;
enim in dilectione firmaberis. Eccli 7. car c'eſt ainſi que vous vous affermirez dans la
charité
Non defis plorantibus in confolatione. Ne manquez pas à conſoler ceux qui font
Ibidem. dans la triſteſſe.
Diligebat fefus Martham, & fororem J E s u s-aimoit Marthe , & Marie fa fæur , &
ejus Mariam, & Lazarum. Joan. 11. Lazare leur frere. -
Multi ex fudais venerant ad Martham Pluſieurs des Juifs étoient venus pour voir
cr Mariam, ut confolarentur eas de fra Marthe & Marie , & les conſoler de la mort de
tre fuo. lbidem. leur frere.
Martha ut audivit quia feſus venit , Marthe ayant appris que J e su s étoit venu ,
occurrit illi. Ibidem. alla au devant de fui.
Dixit Martha ad fefum: Domine fi fuiſ Marthe dit à J E s u s, Seigneur , fi vous
fes hic, frater meus non fuiſſet mortuus ; euſſiez été icy , mon frere ne feroit pas mort :
fed é nunc feio, quia quacumque popoſ mais je fçay que Dieu vous accordera encore.
ceris à Deo, dabit tibi Deus. Ibidem. à cette heure, ce que vous lui demanderez.
vtique Domine, ego credidi , quia tu es Je croy, que vous êtes le CHR1sr , le Fils du
Christus filius Dei vivi, qui in hunc mun Dieu vivant, qui êtes venu dans ce monde.
dum venisti. Ibidem.
Dicit ei Martha , fam fatet. Quatri Marthe lui dit, Seigneur, le corps fent déja
duanus est enim, dicit ei feſus, nonne dixi mauvais , car il eſt là depuis quatre jours i
tibi, quoniam fi credideris, videbis gloriam Jesus lui répondit ; ne vous a ay-je Pas dit que
Dei. Ibidem. fi vous croyez, vous verriez la gloire de Dicu.
Martha fatagebat circa frequens mi Marthe étoit fort occupée à préparer tout ce
nifierium : qua stetit, ór ait : Domine qu'il falloit ; & elle ſe préſente devant Jesus , ,
non est tibi cura quod foror mea reliquit & lui dit : Seigneur , ne conſidérez-vous point
me folam ministrare ? dic ergo illi ut me que ma fæur me laiſſe toute ſeule,dites-lui donc
adjuvet. Luc. 1o. qu'elle m'aide.
Dixit illi Dominus : Martha Martha Je sus lui dit , Marthe , Marthe vous vous
follicita es ; ở turbaris erga plurima ; por empreſfez, & vous vous troublez dans le foin
ro unum est neceſſarium. Ibidem. de beaucoup de choſes.
Maria optimam partem elegit qua non Marie a choiſi la meilleure part , qui ne lui
auferetur ab eá. Ibidem. fera point ôtée.
In propria venit će fui eum non rece Le Fils de Dieu eſt venu chez ſoy , & les
perunt. Joann. 1. fiens ne l'ont point connu.
Exemples
PARAGR A PHE T R O IS I E’M E. áor
les paſſans ſur le chemin, qu'il les invitoit, & les forçoit même à entrer dans
fa maiſon. Dès qu'il eût invité les trois Anges à prendre un petit repas chez
lui, il entra promptement dans fa tente, & dit à Sara: Pétriffez vîte trois mé
fures de farine, & faites cuire des pains fous la cendre. N’eût-il pas pû don
ner cet ordre à quelqu'un de fes domestiques, qui étoient en grand nombre
chez lui ? Oüy, il l'eût pû, répond faint Ambroiſe : mais il vouloit pour faire
plus d'honneur à ſes hôtes, ou pour donner à ſa charité un mérite plus écla
tant & plus étenđu, y aſſocier celle qu'il estimoit & qu'il chériſſoit davanta
ge, fçavoir fon épouſe. Ils étoient tous deux occupez à un même ministére,
& conſacroient leurs mains aux mêmes bonnes oeuvres. Le mari qui étoit au
déhors, invitoit les étrangers ; la femme qui étoit au-dedans, diſpoſoit le
feſtin. Abraham ne ſe contentoit pas d'aller à eux pour les recevoir ; il vouloit
que le même empreſſement fût dans Sara l'aimable compagne de fa dévotion
& de fa foy. Benies foient les familles où l'époux & l’épouſe, les enfans & les
domeſtiques concourent enſemble à fervir Dieu , à aſſiſter par un
même de pieté ; de charité » d'union , de religion, de ferveur; par une
même eſpérance de félicité , une même régle de vie, & un même aſſemblage
de bonnes oeuvres.
Nous liſons dans le troifiéme livre des Rois, qu'une charitable veuve par- Le prophé
tagea avec Elie le peu de pain qui lui restoit dans une grande famine ; mais ie ref:
nous y voyons en même-temps que ce Prophéte par une eſpéce de reconnoiſ- le fils
fance rendit la vie à fon fils qui venoit de mourir. Ne penſez pas que Jesus- qui
CHR 1st ait été moins ſenſible à la douleur de fainte Marthe, & à la perte logé , & luy
qu'elle avoit faite de Lazare fon frere, que ce Prophéte fut touché de la mort avoit donné
de l'enfant de la veuve. Le Fils de Dieu aimoit Marthe: Jeſus autem diligebat 5
Martham. Elle étoit fon hôteste, & s'il nous eſt permis de parler ainſi,fa bien- : : *
faćtrice. Il étoit donc à propos de lui donner par la réſurreċtion de fon frere, sauver å
une marquequi
de l'enfant ſenſible de l'affećtion
étoit mort, de même dont
queil lel'honoroit. Elie ſainte
Sauveur aima aimoitMarthe,
auſſi la mere
dont l'égard de de
le frere étoit décedé depuis quatre jours. Elie prie pour la réſurrećtion de
l'enfant de la veuve qui avoit imploré ſon credit; & ce Prophéte obtient de
Dieu la réſurrećtion de l'enfant. Sainte Marthe implore la toute-puiſſance du
Fils de Dieu, qui lui promet la réſurrećtion de Lazare, & qui le reſſuſcite en
effet, comme il lui avoit prédit.
Nous avons dans l’Ecriture une expreſſion & une peinture bien naïve de L'ardeur
l'empreſſement qu'avoit ſainte Marthe à traiter le Sauveur dans ſa maiſon, en 3 voit A
la perſonne d'Abraham. Il eſt dit dans la Géneſe , que ce faint Patriarche étoit
tellement preſſé par les ardeurs de ſa charité, qu'il ne pouvoit demeurer en re
pos dans ſa ; il fortoit même, dit l'Ecriture, en plein midy, dans la dans fa mai
Paneg. des Saints. Tome I. GGgg
éo2 POUR LE PANEGYRIQUE DE SAINTE MARTHE.
fon ; naïve plus grande cheleur du jour, in ipſo fervore diei, pour chercher quelque oc
peinture du caſion de pratiquer la charité, & pour dreſſer de charitables embûches à tous
Íoin inquiet, les pelerins, & à tous les pauvres qui paſioient. Un jour qu'il étoit en cet
& de l'em
preſſement état, il apperçût trois Anges vêtus en pelerins , il ne ſe donna pas la patience
de fainte de les attendre; il courut au-devant d'eux : Currit in occurſum eorum. Après
Marthe pour
bien rece
les avoir engagez par ſes civilitez à prendre chez lui un repas, il court une
voir le Fils feconde fois à ſa maiſon: Festinat in tabernaculum funm; & comme il n’igno
de Dieu. roit pas que Sara ſon épouſe n'étoit pas moins portée aux pratiques de la
Gen. 13, 2. charité que lui, au lieu de commander à trois cent ferviteurs & à quantité de
fervantes qu'il avoit ; c'eſt à ſon épouſe qu'il s'adreſſe : Accelera, lui dit-ils
& fac ſubcineritios panes. Nous avons par la miféricorde de Dieu rencontré ce
que nous défirons. Voicy trois pelerins qui nous viennent viſiter; faites-leur
cuire du pain ſous la cendre ; mais ufez de diligence, accelera. Puis il court
une troifiéme fois à ſon troupeau ; il y prend ce qu'il peut trouver de plus ex
quis ; il le donne à ſon ferviteur qui ſe hate de l'accommoder. Tout cela est
merveilleux ; on ne parle là que de courir. Abraham quoi qu'àgé, court d'un
côté, ſon épouſe & fes ferviteurs de l'autre. C'eſt là une excellente peinture
des charitables empreſſemens de fainte Marthe. Le Sauveur vient-il la vifirer,
elle le prévient, elle va au devant de lui. Eſt-il entré chez elle avec ſes Diſci
ples ? elle occupe tous fes ferviteurs pour le bien recevoir ; elle s'occupe elle
même toute entiere à le bien fervir ; elle ne trouve rien d'affez excellent pour
le bien traiter; fon aćtivité eſt fi grande, qu'elle ſemble être toute de feu;
l'ardeur de fà charité envers fon divin Hôte la met en tel mouvement , que le
trouble femble s'emparer de ſon eſprit , en forte que le Sauveur même est
obligé de lui en faire un aimable reproche: Sollicita er, & turbaris. Quoi plus?
le feu de la divine charité la tranſporte tellement, qu'elle fait reproche à fa
fæur de n'être pas agitée comme elle, & qu'elle en fait fa plainte au Fils de
foan. 11. Dieu : Domine, non est tibi cure, quòd foror mea reliquit me folam ministrare ?
Le Prophéte Ezechiel nous préſente une admirable figure au prémier chapi
tre de fes Prophéties, laquelle convient fort à ſainte Marthe. Ce Prophéte die
dans une viſion, Dieu lui fit voir des animaux myſtérieux qui reffem
Ezech. 1. I 3. b
oient à des lampes ardentes & à de brillans éclairs : Aſpettus eorum, quaß
aſpečius lampadarum. Ces animaux fe portoient avec une rapidité incroyable
où l'eſprit de Dieu les pouſſoit, & jamais ils ne retournoient en arriere : Ubi
erat impetus ſpiritiis, illuc progrediebantur , nec revertebantur cùm ambularent.
Mais ce qui exprime encore mieux l'ardeur de la charité de la fainte Hôteffe
du Sauveur, c’eſtque ces animaux avoient en quatre parties de leurs corps
nidim. des ailes, & ſous ces ailes des mains: Et manus hominis fub pennis eorum in
quatuor partibus. Y a-t-il rien qui nous exprime plus naturellement l'ardeur
de la charité de ſainte Marthe, l'empreſſement qu'elle avoit à ſervir le Fils de
Dieu ? Elle étoit toute aćtion, & toute mains pour le fervir; elle étoit toute
pieds pour courir où il étoit beſoin qu'elle allât ; elle avoit des aíles pour
voler par tour où fa préſence étoit néceſſaire.
Quoique la charité ſoit refroidie dans ces derniers temps, & que l’hoſpi
talité qui en eſt une des plus nobles parties, foit très-rare & peu en ufage ».
elle n’eſt pas cependant entierement éteinte », puiſque nous voyons encore à:
Préſent des Communautez de l'un & de l'autre ſexe , qui conſervant le pré
- P A R A G R A P H E T R O IS I E’M E. 6o;
mier eſprit du Christianiſme , font une profeſſion ouverte de recevoir chez
elles les pelerins des faints lieux, & autres de devotion , & qui font leur pré
miere occupation de ſoigner les malades dans les hôpitaux , & de remplir
tous les devoirs de la charité chrêtienne , fi conformes aux maximes de la foy
qu'ils ont embraſſée. Mais comme témoigne le Texte ſacré, le nombre des
Chrêtiens étant accrů , la charité s'eſt diminüée dans leurs coeurs, & ce zéle
s'eſt tellement refroidi, fur tout parmi les particuliers, qu'à peine en reste-il
quelque étincelle aujourd'hui dans quelques ames pieuſes qui veulent bien
partager le travail & le mérite d'une fi fainte aćtion avec les perſonnes qui ſe
font dévoüées à ce charitable exercice de fervir les pauvres malades, de les vi
fiter de temps en temps ; & fi elles ne font pas en état de les ſecourir de leurs
biens, du moins il n'y en a point qui ne les puiſle ſoulager par quelque office
charitable qu'elles leur peuvent rendre, en les conſolant, en les aidant dans
mille petits beſoins qu'ils peuvent avoir ; en les entretenant de bons diſcours,
en leur inſpirant de bons ſentimens, en les portant & les animant à prendre
en patience les maux qu'ils fouffrent, & d'en faire un moyen d'acquerir le
Ciel. Combien de Dames qui font dans la dévotion, & qui pratiquent les
bonnes æuvres, peuvent égaler le zéle des plus fervens Miſſionnaires, & des
plus ardens Prédicateurs ? Elles pourroient fans autre miſſion que celle
que leur donne leur charité , diſtribüer le pain de la parole de Dieu à ces
pauvres miſerables, qui quelquefois n'en ont pas moins de beſoin , que de la
nourriture corporelle. Elles pourroient nourrir leurs ames de quelques paro
les de vie, en leur faiſant prendre leurs repas ordinaires, les fortifier par de
faints diſcours, les préparer à bien mourir, & à penſer à l'éternité. Il n'y a
point enfin de fentimens de pieté que ces Dames ne puffent leur fuggerer ; &
comme c'eſt au Fils de Dieu qu'elles rendent tous ces bons offices en la per
.fonne des pauvres malades, quelles graces & quelles faveurs du Cicl n'en
pourroient-elies pas eſpérer de celui qui a hautement déclaré que ce qu'on fe
ra au moindre des fiens, il le tiendra fait à ſa propre perſonne ? Les viſites des
malades dans les hôpitaux lui feroient infiniment plus agréables, que toutes
les vifires inutiles que le monde appelle devoirs de civilité & de bienſéance.
Ces aćtions de charité, après les devoirs des familles, feroient une vicistitu
de d'emplois qui pourroient occuper faintement les ames pieuſes ; l'aſſiduité
dans les Egliſes, & les longues prieres, en quoy pluſieurs font confister toure
la dévotion, interrompuës pour quelque temps, afin de joindre les fonćtions
de Marthe avec celles de Madelaine, n'en feroient pas moins agréables à
Dieu, & en feroient même plus favorablement reçûës après lui avoir rendu de
fi conſidérables fervices.
ce que fi- Beatus qui intelligit ſuper egenum & pauperem. Pſ 4o. Bienheureux qui faiz
gnific te attention fur le pauvre & fur l’indigent. Errange façon de parler! Car il fem
# . ble qu'il eût été plus à propos de dire : Bienheureux qui regarde , qui écoure,
i se ou qui aſſiste le pauvre. Mais le Prophéte a voulu nous apprendre par cette
lui qui en- expreſlion extraordinaire, qu'il falloit étudier le pauvre, pour le comprendre:
P ARAGR APHE T R O I SI E’M E. 6o5
qu'il falloit y chercher le Fils de Dieu avec les yeux de la foy; ne pas croire tend ſur le
ce qu'on y voit, pour y croire ce qu'on n'y voit pas ; fe perſuader fortement pauvre & fur.
ue Jesus-Christ réſide en la perſonne des pauvres, & qu'il y reçoit nos "
C H R 1 &s Tnoseſtaumônes.
enferméMais
dansc'est trop peudiſons
le pauvre; dire, qu'il
que ydeeſtdire que J E s u s
fi véritablement, a nccciiite.
que nous l'y pouvons préferer à lui-même s'immolant ſur nos autels, & con
verſant avec les hommes fur la terre.
Sollicitudine non pigri, ferventes, Domino fervientes. Rom. 12. Ces . Le zéle &
paroles, dit S. Thomas, ſur ce paſſage , font métaphoriques ; la métaphore la ferveur de
fe prend de l'eau, lorſqu'on l'a miſe ſur le feu ; avant que cette eau reflente all
la chaleur, elle ne remue point, elle demeure fans agitation: mais à méſure
qu'elle reffent la chaleur du feu , elle boût, elle ſe remuë, elle s'agite; & ſi f :à
vous ne l'empêchez, elle fe répandra bientôt hors du vaſe. C’eſt là ce ſemble l'eau échauf
une figure affez naturelle de fainte Marthe. Echauffée par la ferveur de ſa cha- fée par l’ar
rité, dont le Fils de Dieu avoit embraſé ſon coeur, elle ne peut plus demeurer :
oifive ; il faut qu'elle s'occupe , qu'elle travaille, qu'elle forte pour ainfi di- & ſe ré
re d'elle-même par la pratique de toutes les vertus qu'elle exerce à l'égard de fand au-dé
fon divin Hôte, & l'impatiente ardeur de l'amour qu'elle portoit au Sauveur , "º".
l'agita de telle forte , qu'elle en parût même toute troublée, comme le té
moigne l'Evangile : Sollicita es, & turbaris.
Porrò unum est neeeffarium. Joan. 11. Il n'y a qu'une choſe qui ſoit néceſſai- Le mystére
re. Le Fils de Dieu vouloit dire ſelon le ſens litteral, qu'il avoit beſoin de peu renfermé .
de choſes , & que le prémier mets qui ſe trouveroit dans la maiſon de fa cha
ritable Hôteffe, lui ſuffiroit. Mais comme les SS. Peres trouvent du mystére
dans ces paroles du Sauveur , & qu’elles font pleines d'inſtrućtions faluraires, parlé dans
il marque par là au fentiment des Interprétes, la principale condition qui ſe dºnné
doit
voir trouver dansmotif,
Dieu pour les aćtions extérieures
d'avoir en vůë ſa aufquelles on s'applique
gloire , nôtre , qui du
falut, & celui eſt pro-
d'a aITIACs
chain, que l'on tâche d'aider & de fecourir dans fes beſoins. Car fans cela,
ce ne font plus de bonnes oeuvres, ni des aćtions de vertu; & par conſéquent,
ne méritent rien pour le Ciel, comme le Fils de Dieu dit lui-même en un au
tre endroit: Quam mercedem habebitis ? Les autres défauts font accidentels, Matth. 5,
& ne corrompent pas le fond de l'ouvrage : mais celui-cy le détruit, & le
rend inutile pour le Ciel & pour l'éternité.
Maria optimam partem elegit, que non auferetur ab ea. Luc. I 2. Quand le Quoique le
Fils deàDieu donnaque
l'avantage à fainte Madelaine
fût fur fainte Marthe, il fit étoit
con- préfere
Fi de leDieu
noître celle-cy, quoique fon employ bon, celui de fa fæur
meilleur; que le fien pasteroit avec le temps, & que celuide fa fæur dureroit à
dans l'éternité. Madelaine, il eſt vrai, aimoit le fouverain bien dans le temps, celui de
elle l'aime encore dans l’éternité ; & ce bien n'étant ſujet à aucune vicistitude, Marthe, il
fon amour n'eſt ſujet à aucune révolution. Mais comme fainte Marthe s'exer- pas laisté
çoit dans les oeuvres de miféricorde, elle a changé d'exercice , quand elle a
changé de condition, & ne trouvant plus de malheureux dans le Ciel, eile Mar
n'est plus obligée à les affiſter. Car; comme diſoit S. Augustin aux fidéles : hs en plu
quand il n'y aura plus de miſérables, vous ne ferez plus de miféricorde; ,
quand il n'y aura plus de pelerins, vous n'exercerez plus l'hoſpitalité ; quand
il n'y aura plus de Pauvres» vous ne ferez plus su : g& quand il n'y au- s
G G g g uj
6ο6 POUR LE PANEGYRIQUE DE SAINTE MARTHE. "
ra plus de morts, vous ne ferez plus obligez à les enſevelir : Tolle famem, cui
. frangis panem ? Tolle peregrinationem, cui exhibes hºſpitalitatem » &c. Or il eſt
Ag. serm. certain que tous ces offices ceſſent dans le Ciel, puiſque tous ces beſoins ne
de verbis s'y trouvent pas, & que la miféricorde n'y aura plus d'employ, puiſque la me
Pº" ni 27. ſére en fera bannie. Il eſt certain que cette occupation eſt fainte : mais ce fe
roit une injuſtice, fi pour la continüer nous fouhaitions que les néceſſitez
de nôtre prochain duraſſent toûjours, & qu'il fût toûjours miſérable, afin
que nous fuſſions toûjours miféricordieux. Tout cela marque que l'employ
de Madelaine étoit à la vérité préferable à celui de Marthe, en ce que ſon oc
cupation ſur la terre étant d'aimer Dieu, elle l'aimera encore toûjours dans le
Ciel, elle trouvera fon bonheur dans l’éternité en la même choſe où elle trou
voit fon repos ſur la terre ; elle ne changera point de défirs, ni d'affećtion,
comme elle n'a point changé d'objet. Tout cela n'empêche pas que l'employ
de fainte Marthe ne fût excellent, & même plus utile en un fens, en ce qu'il
regardoit Dieu & le prochain, en ce que l’employ de Madelaine n'étant pas
de la portée de tous les eſprits , l'exemple de Marthe eſt plus facile à imiter,
parce que montant à Dieu par dégrez , la voye qu'elle prend » en eſt plus sû
re pour le commun des hommes.
* d; . Filius hominis non habet ubi caput reclinet. Luc. 9: Quand le Fils de Dieu
vint en ce monde, il ne trouva pas une maiſon dans la bourgade de Bethléem
fa où il pût trouver à loger, & toutes les hôteleries étant remplies, il fut obligé
Marthe en a de naître dans une miſérable cabane abandonnée. Ce fut là le prémier accueil
tout au- que lui firent les hommes: mais enfin il s'est trouvé une perſonne charitable,
qui pendant qu'il a converſé parmi eux, ne l'eût laiſſé manquer de rien, fi
i elle eût eû la connoiſſance de fes beſoins ; qui l'a reçû & logé quand il l'a vou
lu, & qui n'a rien épargné pour le bien recevoir. Que ce reproche donc que
le Sauveur fait au monde de ne l'avoir pas reçû, quand il eſt deſcendu ſur la
terre ; que ce reproche, dis-je, s'adreſle au reste des hommes, j'y confens:
mais pour vous , ſainte & charitable Hôteſſe du Sauveur, vous n'y avez nuiie
part, puiſque vous lui avez donné le couvert, non pas dans une cabane, ni
dans un coin de vôtre logis ; vous l'avez reçû avec honneur ; vous lui avez
préparé un appartement, non à la vérité felon fon mérite, ou felon fa qualité:
mais tant que vos moyens ont pû s'étendre, pour lui faire trouver non-ſeu
lement le néceſſaire, mais encore le commode. Vous lui avez tout offert,
& quand il a bienvoulu l'accepter, vous lui en avez marqué vôtre joye.
En quoy AMaledictus qui facit opus Dei negligenter, ou, fraudulenter. Iſai. 48. Dieu
l'inquiétude demande de la ferveur , du zéle & de l'aćtivité à ſon fervice ; mais il y a de
femenr eſt bonnes æuvres, où l'empreſſement & l'inquiétude nuiſent plus qu'ils ne fer
* vent, telles que font les aćtions qui regardent plus les beſoins du corps, que
même dans ceux de l'ame, ou le falut du prochain. Telles étoient les charitez que Mar
les exercices que
de charité.
the exerçoit
Dieu nousà l'égard du Sauveur.
a donnez , & felonSilenous nousque
temps y employons
le devoir felon les moyens
de nôtre charge
nous le peut permettre , alors le trouble y inutile, & nôtre foin ne doit
point paller juſqu'à l'inquiétude, qui nous détourne de nos autres devoirs avec
chagrin & contention d’eſprit. De cette nature eſt le foin que nous devons
prendre de nos familles, en ce qui regarde la nourriture, le vêtement, & les
autres beſoins que le Fils de Dieu a bien voulu ſpecifier dans l'Evangile. C'eſt
P A RAG RAP HE T R O I SI E'ME. 6o7
en ce ſens, dit S. Augustin, qu'il reprend l'empreſſement de fainte Marthe;
non pas qu'il blâme l'hoſpitalité qu'elle exerce , mais pour des
qui n’étoient pas d'une néceſſité fi abſoluë, & ſeulement d'une plus
grande bienſéance. Il faut fouvent ſe repoſer fur les foins de la Providence,
après avoir fait ce qui est en nôtre pouvoir, & ne ſe pas tellement occuper de
ces aćtions extérieures, quoique bonnes, & dans l'ordre de nos devoirs,qu'on
s'y donne entierement , & que l'on quitte la priere & les autres exercices de
pieté; ou bien qu'on ne préfere pas ce qui n'eſt que de pure charité & de furé
rogation, à ce qui est d'obligation & de juſtice ; ou enfin, qu'on n'ait pas
Plus de foin de ces choſes extérieures, que du coeur, & de l'intérieur, qui
doit faire nôtre prémiere, & nôtre principale occupation. C'est l'avis que don
ne le Sauveur à fainte Marthe en cet endroit, & qui nous doit fervir de régle
dans les exercices de la charité.
Dico enim vobis quòd multi Prophetæ & Reges voluerunt videre que vos videtis, Comme
& non viderunt : G audire que auditis, & non audierunt. Luc. I o. Je vous dé- :
clare que beaucoup de Prophétes & de Rois ont fouhaité de voir ce que vous
voyez , & ils ne l'ont point vû ; & d'entendre ce que vous entendez, & ils ne voir & d'en
l'ont point entendu. Heureuſe donc fainte Marthe! qui voit non avec les yeux tende d'une
de la chair, mais avec des yeux chrétiens, & avec les yeux de la foy, ce que “
les Juifs ont regardé avec indifférence, & fans le connoître , ſous le voile de f.
l'humanité. Marthe n’a-t-elle pas reconnû en Jesus-CHRIST ; le Médiateur, n'ont point
& la voye de nôtre falut , la Vićtime de nôtre reconciliation , l'Auteur, & le vů ni en
Conſommateur de nôtre Foy , le Principe de toutes graces & de tout le bien tendu,
qui eſt en nous ; celui par qui la grace a été donnée, & de la plénitude duquel
nous ſommes tous remplis: De plenitudine ejus nos omnes accepimus. Voilà ce foan. r.
que les Juifs n’ont point vů, & ce que les yeux de l'eſprit, donnez par le Pere
celeſte, ont fait voir à fainte Marthe. Les Juifs avoient des yeux pour voir, &
ils ne voyoient point ; ils avoient des oreilles pour entendre Jesus-ChR1st ,
& ils ne l’entendoient pas, parce que leur coeur étoit appeſanti. Mais Marthe
étoit de ceux dont le coeur est pur, & qui voyoit déja fon Dieu comme le
bienheureux Simeon, ſous la forme d’un homme. Elle avoit le bonheur d'être
de l'heureux nombre de ces petits, & de ces humbles, dont il eſt dit que Dieu
leur a révelé les mystéres cachez aux ſages du ſiécle: Abſcondisti hec à fapien
tibus, & revelasti ea parvulis. Les yeux des Pharifiens voyoient donc Jesus
CHR1st , fans être heureux, parce qu'ils le méconnoiſſoient: mais heureux
étoient les yeux de Marthe, parce qu'ils étoient éclairez par la foy: Beati
oculi qui vident que vos videtis, & aures que audiunt que vos auditis. -
AMartha autem fatagebat circa frequens ministerium. Joan. 11. Marthe étoit „Combien
fort occupée à préparer ce qu'il falloit pour traiter le Sauveur. O qu'heureuſe *
eſt la maiſon où l'on s’occupe à la contemplation & à l'aćtion, où Marthe i de la
appelle Marie à ſon ſecours ; où la priere, & l'amour de la retraite ſanćtifient vie aétive
le travail de Marthe, & ſes occupations extérieures ! Voyez comme ces deux avec la con
foeurs partagent avec une fageſſe inſpirée d'enhaut, les fonćtions qui convien- templative.
nent à leurs dons. Marthe ne porte point envie à Marie , & Marie n’eſt point
jalouſe de la fonćtion de Marthe. Si Marthe ſe plaint, c'est parce qu'elle fent
le tumulte de l'aćtion, & la diffipation qui l'accompagne, & que dans les
emplois » lorſque l'on a à choifir , l'on doit toûjours préfcrcr la tranquillité ».
éo8 POUR LE PANEGYRIQUE DE SAINTE MARTHE.
la tolitude , ia priere, & l’application à Dicu. Marthe gémifloit donc d’un
poids qui lui dérobot pour quelques m. mens les laintes délices de la priere &
de la contemplation : mais elle éroit aidée par les prieres de Marie ; auſſi
fan. 11. Marthe l'appelle par là à fon fecours : Non est tibi cure quòd foror mea reliquit
me folam ministrare.
Comme les Et reſpondens dixit illi Dominus : Martha, Martha , follicita es , & turbarie
emplois erga plurima. oan. I 1 Mais le Seigneur lui répondit: Marthe, Marthe, vous
võus emprestez, & vous vous troublez dans le foin de beaucoup de choſes.
pli à Que d'instructions ſainte Marthe ne nous donne-t-elle pas par cet empreſſe
moins d'une ment ? Elle nous apprend que quoique le travail air Dieu pour fin & l'Egliſe,
grande dili- il ne laiſſe pas de diffiper & deſfecher le coeur , & de porter au murmure,
È y
quand
' on a deonzélene&led’activité
prend paspour eſpritcomme
dansleuntravail de pénitence & de foûmiſſion.
fainte Marthe, plus l'on Plus
doit
veiller fur foy dans les emplois même de charité ' ne s'y laiffer pas diffi
er. Cet empreſſement n'a fouvent point d'autre fource que l'eſprit humain,
qui veut réüſſir en tout , qui cherche à fe fatisfaire, à éviter le blâme , à s'at
titer des loüanges; cat l'activité que l'eſprit de Dieu inſpire, est tranquille &
foứmiſe, parce qu'elle ne veut que la volonté de Dieu. Le trouble vient fou
vent de ce que l’on veut faire plus qu'on ne peut » ou aurrement qu'on ne
peut , & cela par un eſprit de diſtinćtion. Sainte Marthe demeura constante,
dès que le Fils de Dieu lui eût parlé, & ſe renferma tellement dans ſon aćtion,
qu'elle ne penſa plus qu'à remplir ſa vocation avec tranquillité, laiſſant à la
posterité cet exemple de foûmettre nos volontez au Seigneur, & non le Sei
eur à nos volontez.
La grande Quid postumus dare viro isti? Quid poſſumus dare mulieri isti? Tob. Je m'i
recompenſe magine que le Sauveur dit en faveur de fainte Marthe au Pere Eternel les mê
mes paroles que dit le jeune Tobie à ſon pere, en parlant de l'Ange qui l'a
Mar- voit fi charitablement aſſiste dans fon voyage : Quid poſſumus dare viro isti ?
the pour les Quid postumus dare mulieri isti? Que pouvons-nous rendre à cette femme, pour
aaions de reconnoître les bons offices qu’elle m'a rendu durant le voyage & le pélerinage
que j’ay fait ſur la terre? J’étois fans retraite & ſans maiſon, & elle m'a offert
: la fienne. Elle m'a reçû, nourri, traité ; elle a pourvû à tous mes beſoins ;
sauveur, c'eſt à moy , c'eſt à ma propre perſonne qu'elle a rendu tous ces fervices.
C'est alors que non-ſeulement il lui offrit , non-ſeulement la moitié de ſes
biens, mais fon Royaume tout entier. C’eſt ce que l'Evangile nous aſsûre
qu'il fera à l'égardde tous ceux qui à ſon exemple anront exercé les æuvres de
charité. Il les publiera en preſence de tous les hommes, & leur en marquera
fa reconnoiſſance, & il les recompenſera de la gloire éternelle.
PARAGRAPHE
609
uando uni ex minimis meis feciſtis,mihi Le vous raſsûre, en vous difant ce que
feciſtis. Idem Ibidem. vous ferez au moindre des miens, c'eſt à moy
que vous l'aurez fait.
opus ergo Magnum est, & valde mag C'eſt fans doute une # oeuvre que ce
}}ffff73 » quod precipit Apostolus dicens » Il C qui eſt commandé par l'Apôtre , d'entrer en
ceſſitatibus Sanćtorum communicantes » communication des beſoins des Saints, en les
hoſpitalitatem ſectantes. Per hane quidam foulageant,&exerçant l'hoſpitalité; c'eſt par ce
nefrientes fuſceperunt Angelºs. Idem moyen que quelques-uns ont reçû des Anges
Ibidem. - fans les connoître.
Martha foror Maria circa plurima fuerat Marthe forur de Marie avoit été occupée à
occupata ; equidem agebat rem neceſariam P
beaucoup de choſes:à la vérité elle s'empreſſoit
fed non permanſuram , agebat rem vie , fra à des choſes neceſſaires , mais qui devoient fi
non patrie, agebat rem perigrinatiºnis ,fed nir; elle travailloit à ce qui regarde nôtre pele
non poffeſionis. Idem, ferm. 254 rinage , & non pas nôtre patrie , où nous de
vous poſſeder éternellement ce qui doit être
l'objet de nôtre bonheur.
Agebat Martha quod pertinebat ad neceſi: Marthe s'occupoit à fatisfaire aux beſoins de
ratem efurientium ; magnum ºpus , ſed ceux qui ont faim ; cela eſt grand, mais il doit
tranſitorium. finir.
A te, MarthaIdem Ibidem,
, quod elegisti auferatur; f/f2 Ce que vous avez choiſi , Marthe, vous ſera
quod melius est detur ; auferetur e/?tz/3 as te
ôté, pour vous donner ce qui est meilleur ; on
labor, ut requi es detur. Idem,Serm. Ioj. vous delivra du travail , pour vous donner le
repos. -
guid enim ? putamus reprehenſum effe Quoy donc ? croyons-nous qu'on ait blâmé
ministerium Marthe , quàm cura hoſpitali & condamné le miniſtére de Marthe, elle qui
tatis occupaverat, qua ipſum Dominum hoſpi s'occupoir aux fonctions de l'hoſpitalité envers
tio receperat ? quomodo rećfè reprehendebatur, le Seigneur ? pourroit-on condamner avec justi
qua tanto hoſpite latabatur ? Idem, Ibidem. ce le ministére de celle qui ſe réjouiſſoit d'avoir
reçû chez elle un fi grand hôte ?
Difte, Christiane, fine diferetione exhibere Apprenez ( Chrêrien ) à exercer l'hoſpitalité,
hoſpitalitatem , ne forte cui domum clauf: fans avoir égard à la qualité des perſonnes, de
rii, cui humanitatem negaveris itſ ft peur que celui à qui vous refuſez l'entrée de
Beus. Idem. - vôtre logis, ne foit J e su s C H R 1 s r que
vous avez inhumainement rebuté.
H H hh
Paneg. des Saints. Tome I.
6 ro POUR LE PANEGYRIQUE DE SAINTE MARTHE.
Suſcepit famula ſpiritu pafcenda, in carne Dans ce feſtin qu'on prépare au Sauveur,c'eſt
paſcendum. Idem. la fervante qui doit nourrir corporellement ce
lui qui la doit nourrir d'une viảnde fpiritüelle.
Quid feis num Deum fuſcipis cum homi Qge ſçavez vous fi vous ne recevez point vô
nem putas ? S. Ambroſ. lib. de Abraham. tre Dieu pour hôte , lorſque vous croyez ne re
C. W. cevoir qu'un homme ?
hau quia Abraham Deum recepit hoſpi Voyez comme Abraham reçût & logea
tio dum hoſpites querit ; vides quia Loth Dieu même, lorſqu'avec un chariable empreſ
Angelos recepit: unde feis an tu,cum fuſcipis fement , il cherche & attend des pelerins pour
hominem , fuſcipias Christum, cum in hof exercer l'hoſpitalité : voyez comme Loth reçût
pite Christus fit, quia Christus in paupere & logea pareillement des Anges lors qu'il pra
est , ſicut ipſe ait. Idem in officiis. fiquoit la même charité: He ! que fçavez vous
fi vous ne recevez pas Jesus-Christ, vů qu'il
eſt dans cet hôte , parce que comme il dit lui
même , il eſt dans la perſonne du pauvre.
Tanta est apud Deum hoſpitalitatis gra L'hoſpitalité eſt fi agréable à Dieu , que mê
tia , ut ne potus quidem aque frigida à pra me un verre d'eau froide donnée pour ſon.
miis remunerationis immunis ſit. Idem , amour, ne demeure pas ſans récompenſe.
Ibidem,
In paupere ab Abraham fuſcipitur Christ Abraham reçoit en la perſonne d'un pauvre,.
tus, antequam effet. S. Chryſologus ferm. Jesus-CHR1sr quoy qu'il ne fût pas encore au
12 2 . monde.
Martha, ante te est reſurreſtio, quàm tam Marthe , ne remettez point la reſurrećtion fi
longè mittis. Idem, ferm. 69. loin, que l'eſt la reſurrećtion genérale, puiſ
que vous l'avez proche de vous.
Nunquam amor Dei est otiofus, operatur Jamais l'amour qu'on porte à Dieu n'est oifif,
enim magna , f est , ſi vero renuit operari s'il eſt - réel & véritable, il agit & opere de
amor non est. S. Gregorius in homiliis. grandes choſes ; que s'il refuſe d'agir, ce n'eſt
pas meme un amour.
Divinus amor mobilis ſemper, inceffabilis L'amour divin eſt toûjours en mouvement ,
femper fervidus. S. Dioniſius. ne ſe repoſe jamais,il eſt toûjours fervent &dans,
l'aćtion.
Quid dituri fumus, vel quam excuſatio Que pourrons-nous répondre au jugement ?
nem habere poterimus, qui amplas & ſpatio ou de quel prétexte couvrir nôtre infenſibili
fas domos habemus, vix aliquando digna té ? nous qui dans nos maiſons ſpatieuſes, où
mur accipere peregrinum ; ignorantes , imo il y a pluſieurs appartemens n'avons Pas la cha
non credentes quod in peregrinis Chistus exci rité de retirer, & de loger un pelerin , faute de
pitur. S. Augustinus ferm. 62. de tempore. fçavoir, ou plûtôt faute de croire que J e s u s
C H R 1 s r est en la perſonne de celui qui
n'a pas où ſe loger.
Si laborioſum & fastidioſum nobis est, Si nous trouvons que c'est une choſe trop fầ
in pauperibus recipere Christum in patriá cheuſe, & trop rebutante de recevoir icy qui eſt
nostrá, timeo ne nobis vicem reddat, ne re nôtre patrie , J E s u s C H R 1. s T en la per
eipiat nos in beatitudine fuá. Idem Ibidem. fonne des pauvres, il y a fujet de craindre qu'il
ne nous rende la pareille, en refuſant de nous.
recevoir dans le ſéjour de fa béatitude.
Magis Deus penſat ex quanto quis agit, Dieu a plus d'égard à l'affection avec laquel
quam opus ; quod fecit. lib. de Imitat. le on agit , qu'à l'oeuvre même que l'on fait.
Christi. l. 1. c. 15.
Plus fecit Christus fuſcitando Lazarum Jesus CHR1sr en refuſcitant Lazare fit plus.
quam aufa est ipſa fides fperare. Idem ferm, que la foy de Marthe n'eût ofé eſpérer.
de Lazaro.
O Martha , magna nobis tue fidei inſignia Marthe ! vous nous avez donné de puiſſantes.
tribuis : fed quomodo cum tantá fide diffidis? preuves de vôtre foy: mais d'où vient qu'avec
veni, inquis, & vide; cur, Ór, fi non deste une fi grande foy, vous paroiſfez néanmoins
ras , non fequeris , cr dicis , & reffucita ? avoir de la défiance ! venez,dites vous & voyez,
S. Bernardus de Grad, humil. c. 22. fi vous ne deſeſpérez point , pourquoy ne pour
fuivez-vous Pas,en difant reſiuſcitez-le-?
P AR A GRA P H E Q U AT R I E' ME. 6 II
Scit ipſe cui non est opus ut aliquid dica Nous faifons paroître nôtre affećtion à celui
tur, quid deſideremus , fcimus quidem quod à qui il n'eſt pas néceffaire de rien dire, & d'ex
omnia potest. Sed hoc tam grande miracu: poſer nos déſirs, pouvoient dire Marthe & Ma
lum, tam novum, tam inauditum , órfi delaine à Jesus-CHRIsr; nous fçavons qu'il
ejus fubest potentia , multum tamen excedit peut tout, mais un prodige ſi nouveaux, fi
.univerfa merita humilitatis vestra. Idem inoüi, quoy qu'il ne paſie pas ſon pouvoir ,
Ibidem. néanmoins il paffe beaucoup le mérite de fes
humbles ſervantes.
sufficit nobis potentie locum , pietati de Il nous ſuffit peuvent-elles ajouter, d'avoir
diffe occaſionem,malentes patienter expectare fourni une occaſion à fa puiſſance & à famiféri
id velit quam imprudenter quarere quod corde, & nous aimons mieux attendre ce qu'il
} nolit. Idem Ibidem. voudra faire, que de demander imprudemment
ce qu'il ne jugera pas à propos d'exécuter.
Amor exastuat, fe ipſum non capit, im L'amour divin , quand il eſt bien ardent, eſt
menſitatem Dei amulatur , dum metam comme l'eau échauffée par l'ardeur du feu ;
neſcit ponere affectui. Gilbertus Abbas ferm. Il fort hors de fes bornes naturelles, qui ne
29. in Cantic. peuvent plus le referrer, il imite l'immenſité de
Dieu en ne donnant point de limites à ſes
déſirs.
PAR A G R A P H E C IN Q U I E’M E.
Ce qu'on peut tirer de la Théologie par rapport à ce fujet.
Ntre toutes les perſonnes qui ont exercé l'hoſpitalité, il faut avoüer qu'il Sainte Mar
E n'y en a jamais eủ de plus heureuſe, ni de plus charitable que fainte Mar the eſt CO il
nuë dans l'E
the ; car elle a eû l'avantage de loger fouvent le Fils de Dieu en ſa maiſon, de gliſe ſous le
le ſervir à table, & de lui rendre tous les devoirs que l’on rend aux pélerins. nom de
Elle est connúë dans toute l'Egliſe fous le titre glorieux d'Hôteſſe de JEsus l'Hôteffe de
CHR1sT; & fi Madelaine tire ſon avantage de la différence de fon amour, JEsu s
C H R I s r.
Marthe tire ſa gloire & ſon caraćtere de fon hoſpitalité.
Les devoirs de l'hoſpitalité regardent tout le monde ; il faut cependant dif Combien
tinguer les perſonnes de mérite : celui qui reçoit un juste, dit l'Ecriture, aura l'hoſpitalité
ett agréable
la récompenſe du juste. Dieu fait tant d'état de la vertu d'hoſpitalité, qu'il à Dicu.
nous tient compte d'un verre d'eau que nous avons donné pour l'amour de
lui. Abraham en cherchant les pelerins , fut honoré de la viſite de Dieu. Loth
reçût des Anges dans ſa maiſon , & peut-être recevrez-vous Jesus-CHR1 sr
caché ſous l'habit & ſous la figure d'un pauvre ; car il prend fur ſon compte
tout ce qu'on fait pour les indigens,& tout ce qu'on leur donne.Vous étes ve
nu,dit-il,me viſiter dans la prifon;j'étois nud,& vous m’avez donné des habits
pour me couvrir.Les Apôtres n'ont rien tant recommandé aux prémiers Chrê
tiens,que cette vertu d'hoſpitalité. S. Paul ordonne aux Evêques d'être hoſpi
taliers.Les prémiers Evêques faiſoient des hôpitaux de leurs maiſons,& ces de
mcures qu'on appelle maintenent des palais & des hôtels, étoient les retrai
tes & les afiles des pélerins. Tous les fidéles dans la primitive Egliſe rece
voient les étrangers dans leurs maiſons , & ils croyoient que n'étant que les
oeconomes de leurs biens,ils devoient en faire part aux indigens. Ils jugeoient
que puiſqu'ils étoient les enfans d'un même pere, ils devoient vivre en com
mun, & que refuſer quelque choſe à un Chrétien, c'étoit le refuſer au Fils de
Dieu même.
H H h h ij
é 12 POUR LE PANEGYRIQUE DE SAINTE MARTHE.
L'affećtion Il faut fouvent avoir plus d'égard à l'affećtion qu'aux ſervices qu'on nous
& la bonne rend ; ils ne doivent pas tant nous toucher, que la tendreſſe & la bonne vo
volonté de lonté qu'on nous témoigne, & il en faut tenir plus de compte , que fi on nous
fainte Mar- donnoît quelque choſe de conſidérable. C’eſt auſſi cette bonne volonté, cette
: intention droite, & cette fainte affection qu'avoir ſainte Marthe d'obliger le
Fils de Dieu qui fit que le même Sauveur fe plaiſoit à aller chez elle, à y pren
que les fer- dre quelques repas, à y loger ; c'eſt la liberalité de cette fainte Dame qui l'o
vices bligea à fa combler de bienfaits, & à accorder à ſes prieres tout ce qu'elle lui
en 1°°°"º" demandoit,
l'excellenes „** confeſſion de foy de fainte Marthe fut admirable ; j’ay toûjours crû, dit
elle au Fils de Dieu, que vous étiez le Meſfie promis à nos peres, le véritable
fion de foy Réparateur des hommes , le Fils du Dieu vivant : Utique Domine, ego credidi
que fit fainte quia tu es Christus , Filius Dei vivi, qui in hunc mundum venisti. Il n'y a que
Mºrth* - faint Pierre, le prémier Chef viſible de l'Egliſe, qui en ait fait une fembla
1oan. 11- ble. Sainte Marthe à la faveur des lumieres du Sauveur s'éleve au-deſſus de
tout ce qui eſt viſible, au-deſſus de ce que les Prophétes ont pů prévoir, au
deffus de la foy des Patriarches, connoillant par une vive foy les mystéres les.
plus hauts & les plus profonds de nôtre Religion. Elle connoît le myſtére de
la Trinité , puiſqu'elle parle de la géneration éternelle du Pere ; elle voit un
Dieu vivant qui engendre, & qui communique fa ſubstance & fa vie à ſon
Fils. Elle connoît la différence qu'il y a entre ce Fils unique & naturel, & les
autres enfans adoptifs ; ceux cy étant enfans d'un Dieu mourant, & celui-là
engendré d'un Dieu vivant, comme principe fécond d’une vie divine. Elle té
moigne encore par ces paroles , qu’elle pénetre le myſtére de l'Incarnation,
puiſqu'elle appelle le Fils de Dieu le C H R 1 s T , c'eſt-à-dire, l'Oingt du
Seigneur, l'Envoyé du Pere Eternel pour le falut des hommes.
comme . Č'est là la prémiere faveur de Dieu à l'égard des perſonnes charitables; il
Dieu éclaire les éclaire, & leur découvre ce qui eſt caché au commun des Chrêtiens. Von
lez-vous, dit Iſaye , diſſiper ces épaiſſes ténebres d'ignorance & d'erreur, qui
' offuſquent le monde ? Voulez-vous que Dieu vous donne une foy vive & pé
conncître netrante? En un mot, voulez-vous participer à la ſcience des Saints ? Dedit
les ** * illi fcientiam Sanctorum; rompez vôtre pain pour en faire part aux pauvres :
Frange efurienti panem tuum; logez charitablement les étrangers: Egenos va
io, gosque indue in domum tuam; revêtez ceux qui font nuds , & laiſſez vous tou
ifai, 58, cher de compaſſion à la vůë des miſéres de vôtre chair, c'est-à-dire, de vôtre
prochain : Cùm videris nudum, operi eum : & carnem tuam ne deſpexeris. Je
vous promets, dit ce Prophéte, qu'après cela Dieu remplira vôtre eſprit de
lumieres. Il vous fera paroître dans un jour fi extraordinaire les beautez de la
Mbidem •
vertu, qu'elles effaceront de vôtre penſée les biens périſſables de la terre:
Tunc erumpet quaſi mane lumen tuum ; orietur in tenebris lux tua, &c. Voulez
vous que vôtre entendement ſoit éclairé des mêmes lumieres dont fut remplie
fainte Marthe? imitez ſon exemple ; commencez par les bonnes æuvres qu'el
le pratiqua, & Dieu vous fera part des mêmes lumieres. Peut-être me dira
t-on que c’eſt renverſer l'ordre naturel, & qu'il faut être éclairé avant que
d'agir. Ce retranchement des eſprits forts eſt très-foible. Ils prétendent que
fi on pouvoit les convaincre des véritez de la Religion , on les verroit bientôc
foûmis à toutes ſes pratiques. Nous voulons bien leur accorder qu'il faut être.
P A R A GR A P H E C IN QUIEM E. 613
éclairé avant que d'agir ; mais il ſuffit pour cela d'être eclairé des prémiers
rayons de la lumiere d'enhaut. Qu'ils pratiquent ce que leur découvre cette
lueur naiſſante, & elle croîtra pour leur faire voir ce qu'ils ne voyoient pas
auparavant : Quiſquis ergo vult audita intelligere, festinet , quæ jam audire po
tuit, opere implere. Ces paroles ſont de faint Gregoire. Les paſſions qui em
pêchent d'agir ces eſprits forts, font autant de voiles qui leur cachent la vé
rité. Qu'ils ſe défaffent de ces paffions; car, dit S. Auguſtin, ne feroit-il pas
ridicule de prétendre voir les objets, avant que de lever les voiles qui les
cachent à nos yeux? -
C'est un principe incontestable dans la morale, que comme toutes les ver- Nous ap
tus font placées entre deux extrémitez, & que l’on peut également pecher & P ºns Par
par defaut, & par excès ; elles doivent néceſſairement tenir le milieu, &
trouver un juſte temperament qui en fait le prix & le mérite. Austi ne faut
il pas trouver étrange, fi les bonnes oeuvres qui ne font autre choſe que l'exer- Maithe,
cice & la pratique de ces vertus, ont pareillement leurs régles & leurs juſtes quels ſont
meſures, hors deſquelles ces bonnes aćtions dégénerent en de véritables vi- les défauts
ces , & ne font de nulle conſidération devant Dieu. Ce n'est pas à dire pour m.
cela que tous les défauts qui peuvent fe gliffer dans une bonne aćtion, foient bőne aảion,
toûjours
ôtant toutcapables de la gâter
fon mérite, comme entierement, & d’en changer
feroit une mauvaiſe la nature
intention, quand enonlui
la & ceux
dimi
qui
fait par un motif de vaine gloire, ou par reſpećt humain. Il y en a qui ne font .
qu’en diminüer le prix, tels qu'étoient ceux que le Fils de Dieu reprend dans & le mérite.
fainte Marthe, & ce font particulierement ceux dont je parle; le fond en eſt
bon, il n'y a que la maniere qu’il faut rećtifier, en faiſant profit des avis que le
Sauveur donne à fa fainte Hôtelſe, & dont il ne faut point douter qu’elle n'ait
elle-même la prémiere profité. C'eſt l'inſtrućtion que nous pouvons tirer de
fes défauts, auſfi-bien que de ſes vertus, & que je trouve compris dans ces
paroles : Martha , Martha , follicita es , & turbaris erga plurima : porrò unum fean. 11.
est neceſsarium.
Il ne faut pas icy confondre la ferveur & le zéle avec l'inquiétude & le , Comme il
trop d'empreſſement que l'on peut avoir dans la pratique des bonnes æuvres ; -
foit lorſqu'il s'agit de remplir les devoirs de fa charge, foit d'entreprendre «
quelque choſe pour la gloire & le ſervice de Dieu ; mais comme ces deux i: trop d'em
ler. En ont
choſes beaucoup
effet, de &reſſemblance,
la ferveur il eſt
le zéle tiennent important
quelque de l'inquiétude
chofe de ſçavoir les démê-preſſement
& de de | ferveur,
l'empreſſement, & ils en empruntent quelquefois le nom. C'eſt ainſi que ſaint & du zéle.
Paul dit, tantôt que la charité le preste : Charitas urget nos ; & tantôt que le 1. *d corf.
foin & l'inquiétude qu'il a de toutes les Egliſes dont il est chargé, ne lui don
ne preſque aucun repos : Instantia mea quotidiana, follicitudo omnium Ecclesta- 1 ad cor. 11.
rum; Quis infirmatur, & ego non infirmar ? Voilà ce ſemble , de l'inquiétude & "idem.
de l'empreſlement , ou quelque choſe qui en approche ; d'où vient donc que
l'un est un défaut, & l'autre une vertu ? que l'un s'appelle zéle & ferveur,
& l'autre inquiétude & trouble ? Sollicita es, & turbaris. S’il n'est pas permis
de s'inquiéter, pourquoi le zéle qui animoit le Prophéte, le faiſoit-il deſſé
cher d'impatience, quand il voyoit les pecheurs violer la Loy de Dieu ? Vidi Pſal. 18.
prevaricantes , & tabeſcebam ; & pourquoi le grand Apôtre ſe fentoit-il con
fumé d'un feu que le zéle allumoit dans ſon coeur, dans le ſcandale que ſouf
H H h h iij,
é 14 POUR LE PANEGYRIQUE DE SAINTE MARTHE.
suprà. froit le prochain ? Quis fcandalizatur , & ego non uror? Mais pour accorder
ces deux chofes qui ſemblent ſe contredire, je me fers de cette distinction,
qu'il faut d'un côté ſe porter avec zéle & avec ferveur aux oeuvres de charité;
car Dieu ne peut fouffrir ces ferviteurs lâches dont la tiédeur lui fait bondir le
coeur ; il rebute cette froideur qui paſſe juſqu'à l'indolence, qui ne s'affec
tionne à rien, qui tient tous les ſuccès pour indifférens ; il ne compte point
ferem. 48.
au nombre de fes ferviteurs ceux qui font tout avec une négligence qui mar
que le peu d'interêt qu'ils y prennent:Maledictus qui facit opus Dei vegligenter;
il demande de la ferveur, du zéle, & de l'aćtivité à ſon ſervice: mais il y a de
bonnes oeuvres où l'empreſſement & l'inquiétude nuiſent plus qu'ils ne fer
vent, telles que font les aćtions qui regardent plus les du corps que
ceux de l'ame, ou le falut du prochain ; telles étoient les charitez que fainte
Marthe exerçoit à l’égard du Sauveur. Vous vous y employez felon les moyens
que Dieu vous a donné , & felon le temps que le devoir de vôtre charge VOLIS
peut permettre ; alors le trouble y feroit inutile, & vôtre ſoin ne doit point
paſſer juſqu'à l'inquiétude qui vous chagrine , & qui vous détourne de vos
autres devoirs. De cette nature eſt le ſoin que vous devez prendre de vôtre fa
mille en ce qui regarde la nourriture , le vêtement, & les autres beſoins que
le Fils de Dieu a bien voulu ſpécifier dans l'Evangile ; c'est en ce ſens, dit
S. Augustin, qu’il reprend l'empreſſement de fainte Marthe; non qu'il blâme
l'hoſpitalité qu'elle exerce, mais l'inquiétude qu'elle ſe donne pour des choſes
qui n'étoient pas d'une néceſſité fi abſoluë , mais ſeulement d'une plus gran
de bienſeance. Il faut fouvent fe repoſer ſur les foins de la Providence, après
avoir fait ce qui eſt en nôtre pouvoir, & ne ſe pas tellement occuper de ces
aćtions extérieures, quoique bonnes , & dans l'ordre de nos devoirs, qu'on
s'y donne entiérement, & que l'on quitte la priére & les autres exercices de
pieté, ou bien qu'on ne préfere pas ce qui n'eſt que de pure charité & de furé
rogation, à ce qui eſt d'obligation & de justicc ; ou enfin qu'on n'ait pas plus
de foin de ces choſes extérieures, que du coeur & de l'intérieur, qui doit fai
re nôtre prémiere & principale occupation préferablement à tout ce qui ſe
préſenteroit d'autres bonnes oeuvres à pratiquer, & qui ne feroient pas de la
même valeur.
, .
L'on demande comment il est poſſible d'accorder enſemble deux choſes qui
paroiſſent fi oppoſées, l'union avec Dieu & le recueillement intérieur, avec
&i les aćtions de charité extérieures. Les Peres ſpiritüels répondent qu'il faut ne
avec Dieu, regarder que Jesus-CHR 1st dans la perſonne du prochain ; qu'il faut ſe per
"sel º- fuader que celui ou celle à qui nous faiſons du bien, eſt le Sauveur même ;
qu'en les ſervant , c'est Dieu que nous fervons ; & il eſt certain que nous im
é qui primantbien cette penſée dans l'eſprit ; nous ne ferons jamais distraits, que
nous dif ’ nous trouverons le recuëillement dans les aćtions mêmes qui ſemblent en être
tºys & les plus éloignées, le repos dans le travail, quoique continüel, & le Sauveur
" même dansia perſonne de nos freres. Cette maxime est fi vraye, que faint
e la diffipa- * D * A - : a- 1 ("A
tion. Pierre Chryſologue a dit qu'Abraham avoit vô le Fils de Dieu avant qu’il fût
né, qu'il l'avoit reçû dans les pélerins qu'il avoit logez , & que par un miracle
que la ſeule foy peut gømprendre, & que la charité ſeule peut opérer, il
avoit touché celui qui n'avoit point encore de corps, il avoit reçû dans fa mai
fon celui qui n étoit point encore deſcendu des Cieux, & qu'il avoit vérita
PAR A G R A P H E C IN QUI EM E. 615
blement poſledé en la perſonne des étrangers qu'il logea, celui qui regnoir
encore parmi les Anges : In paupere ab Abraham fuſcipitur Christus, antequàm
eſset. Ne craignons donc plus d'être diſtraits de l'union avec Dieu, puiſque
nous trouvons dans la perſonne du prochain malheureux, celui que fainte
Marthe reçût & ſervit | affećtueuſement đans ſa maiſon.
PA R A GR A P HE S I X I E’M E.
Panégyrique achevé, que de dire que cette grande Sainte en a été l'un des envers le
plus parfaits modeles; c'est pourquoi il ne faut pas s'étonner fi le Sauveur au Sauveur &
rapport de l'Evangile , lui donnoit réciproquement des marques d’une affec- fes Apôtres.
tion toute particuliere, comme par reconnoiſſance des bienfaits qu'il en re
cevoit continuellement : Diligebat autem Jeſus Martham , & fororem ejus. S'il foan, ır.
uſoit fi librement des offres qu’elle lui faiſoit : s'il l'a comblée réciproque
ment de graces & de faveurs ; & même, comme quelques jours avant ſa
mort, en parlant de fa fæur Madelaine, qui avoit répandu des précieux par
fums ſur fa tête, il dit que partout où feroit prêché fon Evangile, l'on y pu
blieroit le ſervice qu’elle venoit de lui rendre, en prévenant fa ſépulture; de
même on peut ajoûter que par tous les lieux, où ce même Evangile fera porté,
on n'oubliera jamais de publier les fervices, & les fecours, que cette chari
table Hôtelſe a rendus au Sauveur vivant. De maniere que j’ay lieu d'eſperer
qu'ils feront autant de puiſſans motifs pour vous porter à les imiter, chacun
felon ſon état & fa condition. L'Auteur des fermons fur tous les fujets.
Vous ſçavez avec quelle application le Sauveur fortit enfin de fa retraite de , Pourquoy
Nazareth , où il s'éclypſa lui-même filong-temps par l'ordre de fon Pere, & | Fils de
travailloit au falut des ames. Uniquement attentifà leur procurer le bonheur vou
éternel , il ne s'occupoit nullement du foin de fa propre perſonne : & pour , é
donner aux hommes occaſion de lui témoigner leur amour dans fes plus pref- de fainte
fans beſoins, il ne ſe fervoit pas des reſſources qu'il eût pů trouver en lui-mê- Marthe , lui
me, s'il avoit voulu faire agir la même puiſſance qu'il employoit pour les
autres en tant d'occaſions, Car lui qui donnoit au pain la force de nourrir ,
ne pouvoit-il pas fe garentir des atteintes de la faim : où s’il vouloit les éprou- cours par lui.
ver comme nous, ne pouvoit-il pas par lui-même ſe donner le fecours né- même.
ceffaire, lui qui eſt la fource de tous biens ? Pourquoi voulut-il donc dépen
dre des autres ? afin de donner en même temps aux hommes, une Preuve in
616 POUR LE PANEGYRIQUE DE SAINTE MARTHE.
conteſtable qu'il étoit véritablement homme , & une occafion favorable d'é
Si rm, 78.
xercer leur charité envers lui. C'est la réfléxion de faint Pierre Chryſologue:
‘Petit efcas faturitas tota rerum , panis ipfe manducat : quia non ille cibum, fed
fuorum ſemper efurit charitatem. Cette grace & cet honneur qui doit nous pa
roître fi estimable, pour peu que nous enviſagions les choſes à la faveur de la
foy ; il l'a accordée particulierement à fainte Marthe, trouvant dans ſa libé
ralité le fond néceſſaire pour ſon entretien, & faiſant de fa maiſon de campa
gne, une retraite où il alloit de temps en temps ſe délaſſer des fatigues qu'il
avoit à effuyer dans le cours de fa prédication. Martha excepit illum in domum
fuam. Le Pere Martineau de la Compagnie de Jeſus. Sermon manuferit.
Pour la mê-. Il est important que nous ſçachions pour l'honneur de fainte Marthe, que
'º le Pere Eternel pouvoit ou par des voyes extraordinaires donner des ſecours
temporels à fon Fils, en fe fervant du ministére des mêmes Anges qui l'avoient
e fon fils déja fervi dans le défert : où en le faiſant naître dans une abondance univer
fujet à felle de toutes choſes. Ce Fils même à qui comme dit faint Auguſtin , la terre
to eût été ravie de donner pour ſa ſubſistance les fruits qu'elle produit, pouvoit
" ſe procurer toutes les douceurs, & toutes les commoditez de la vie. Cepen
moyen & dant par une ſurprenante conduite, le Pere Eternel abandonne fon Fils com
l'exemple me s'il le méconnoiſſoit, & le Fils ſe livre lui-même, ſans autre néceſſité que
aux celle de fa pure volonté, à toutes les incommoditez de la pauvreté & de la
miſére. Pourquoy cela ? N'attende» pas que je vous en apporte pluſieurs
po raiſons ; je me contente d'une ſeule ; c'eſt pour donner par ſon étar pauvre &
thain. fouffrant lieu d'éxercer à de certaines ames choiſies, leur charité envers ſa
perſonne dans celle des pauvres, pour avoir dequoy devenir , comme dit
faint Grégoire de Nyſſe, leur débiteur, en recevant de leurs mains les fe
cours qu'il ne veut pas ſe rendre à lui-même. Et c'eſt de cette maniere dont
il a uſé à l'égard de fainte Marthe.
r . Lorſquele Sauveur du monde commença à exercer le glorieux ministere,
pour lequel il étoit envoyé ſur la terre, & que d'une vie cachée & obſcure,
fervice au qu'il avoit paſſée durant trente ans dans la boutique d'un artiſan, il paſſa à
Fils de Dieu une vie fociable, & converſa parmi les hommes ; l'Evangile nous apprend ,
qu'en même temps deux foeurs, conſidérables pour le rang qu'elles tenoient
-- dans Jéruſalem , mais plus recommandables pour leur pieté , &
ion les dif pour le bon accueil qu'elles faiſoient au Fils de Dieu, le recevoient fouvent en
ferens mou leur maiſon. Ces deux fæurs font Marthe & Madelaine , qui dans un égal
défir de lui rendre fervice, ne fuivoient pas pourtant la même conduite, mais
“agiſſoient d'une maniere différente, & fuivoient chacune les mouvemens dif
ferens de leur charité. Ce qui a fondé deux genres de vie différens dans la
Religian Chrêtienne, & comme deux manieres de ſervir Dieu. L’aćtion de
Marthe , les foins & les mouvemens qu'elle fe donnoit pour recevoir, pour
loger & traiter le Sauveur, a donné à l'une le nom de vie aćtive, ou agillan
te » comme ſe répandant au dehors, s'employant aux éxercices de pieté, &
Pratiquant les bonnes oeuvres, qui tendent à glorifier Dieu, en fecourant le
Prochain. Le repos & la douceur que Madelaine trouvoit aux pieds du même
Sauveur, dans l’entretien qu'elle avoit avec luí, en fe rendant attentive à ſes
Paroles; en étudiant toutes ſes aćtions, en épanchant ſon coeur en ſa préſence,
& en lui marquant les ſentimens de reconnoiſſance qu'elle avoit, pour l'avoir
retirée
F
P A R A G R A P H E S I X I E’M E. 6 17
retirée de fes défordres ; ce repos, dis-je, & cette douceur a donné le nom de
contemplative à l'autre forte de vie, qui s'employe à la priere, qui médite
les choſes divines, & qui ſe fait une occupation de ſe tenir en la préſence de
Dieu, de jouir de fes entretiens & de fes faveurs. Cependant le partage & la
diſtraction qu'apporte la multitude, fit que le Sauveur donna la préférence
au choix que Madelaine avoit fait du receüillement intérieur , & de la dou
ceur de la contemplation: Maria optimam partem elegit, que non auferetur ab
eâ i parce qu'il y a moins de danger de perdre la paix , & la tranquillité de
l'eſprit. Ce n'est pas qu'il n'approuve la condition de Marthe , & que ſon fort
ne toit tres-avantageux, puiſqu'il l'a choiſi pour lui-même : mais parce qu'é
tant expoſé à de plus grands dangers, il y a plus de meſures à prendre, & que
les actions du dehors doivent être animées de la charité du coeur, fans quoy
elles font de nul prix & de nul mérite devant Dieu, outre qu'il y a à craindre
qu'on ne cherche autre choſe que la gloire & les interêts de Dieu. L'Auteur
des Sermons fur tous les fujets &c.
Saint Auguſtin fait une réfléxion très-judicieuſe ſur ces paroles que le Sau- combien
Veur dit à fainte Marthe, qui est très-capable de nous édifier. Martha, Mar- la diſipa-.
tha, follicita es, & turbaris erga plurima. Prenez garde, dit ce faint Doćłeur, tion d'; ſprit,
que lorſque Jesus-CHR 1st luy faiſoit ce reproche, elle étoit occupée à l'ac- *
tion la plus lainte en apparence, à un devoir d'hoſpitalité, que la charité, & F. He
la religion ſembloient conſacrer également, puiſqu'il étoit immédiatement ment dans
rendu à la perſonne du Fils de Dieu. Que peut-on dire de plus ? Cependant i ºccupa
tout cela ne put la fauver du blâme d’une diffipation extérieure, dont elle
coupable au Sauveur du monde, ni empêcher qu'il ne la reprit. Que . D
reprend ce Pere, que fera-ce de nous , dont les occupations font crimi
era-ce donc ,
n'ont rien communément que de prophane & de mondain ? Penſons-nous que nelles puiſ
les fonctions d'une charge, que les inquiétudes d'un procès, que les mouve-
mens d'une intrigue, que nos divertiflemens ou nos chagrins, que mille au
tres ſujets ſoient en nôtre faveur de plus folides raiſons devant Dieu, que le aa ons de
zele de cette fainte Hôteffe du Fils de Dieu ? & puiſque la ferveur même de ſa charité de
pieté ne fut pas pour elle une excuſe légitime , pouvons-nous croire , que fainte Mar
Dieu recevra les nôtres, fondées fur nôtre ambition, ou ſur nôtre cupidité ? “
A cette unique intention, & à ce ſeul néceſſaire, qui est l'union intérieure |
avec Dieu, la prudence humainc croit avoir droit d'alleguer pour obstacles
les foins temporels, prétendant qu'il est impoſſible d'accorder les devoirs du
monde, avec cer eſprit de recueillement & de féparation du monde, que le
foin du ſalut éxige de nous ; C’est cependant ce que le Sauveur a bien voulu
reprendre dans Marthe, nous montrant par cet exemple , que nonobſ
tant les divers embarras du monde, nous devons toûjours penſer à l'affaire
principale, qui est celle de nôtre ſalut. Le Pere Bourdalouë, dans la Dominica
le , Sermon fur la retraite.
La charité de fainte Marthe étoit ſujette à ce défaut, d'un peu de diſſipa- * .
tion, quand le Sauveur la de trop d'empreſſement : turbaris erga pluri- , fut le
ma. La multitude des choſes qu'elle entreprenoit, & l'embarras où elle ſe défaut que
trouvoit de donner ordre à tout, lui fait accuſer fa fæur, de ce qu'elle de- le Sauvgut
meure tranquille ſans l'aider dans le foin du domestique : Domine, non est tibi .
cure, quod foror mea reliquit me folam ministrare i Les Peres nous astrent Sl"º de charité
Paneg. des Saints. Tom. I. I I i i
618 POUR LE PANEGYRIQUE DE SAINTE MARTHE.
de fainte cette plainte ne venoit que de la crainte qu'elle avoit , qu'un fi grand Hôte ne
fût pas reçû felon ſon mérite. Mais cet avis que le Sauveur donna à ſa ſainte
Hôtelle doit ſervir de régle à tous ceux qui s'adonnent aux actions de charité,
de ne ſe point embaraller de tant de foins, qui font de la vie aćtive une vie
tumultueuſe, fans goûter la douceur de la retraite & de la communication
|- avec Dieu. L'Auteur des Sermons fur tous les ſujets , &c.
| g * - Quelle gloire pour fainte Marthe de recevoir Jesus-Christ dans fa mai
fon : mais en même temps, quelle mariere de vertu pour elle ! Le Centenier
Marthe le contentoit d'une ſeule de fes paroles : la femme hemorroiſſe de toucher la
d'avoir reçû frange de fa robe : l'aveugle de Jericho d'en être vû en paſlant : les lepreux
Îe Sauveur de recevoir l'impoſition de ſes mains ; mais Marthe mille fois plus heureuſe
que toutes ces perſonnes , poſlede chez elle tout entier celui que le ciel & la
f i, qu'elis terre ue peuvent comprendre : elle fe rend utile à celui qui n'a beſoin de rien,
co a reçû aimable à celui, de l'affećtion duquel perſonne n'eſt digne, mais qui veur
P lanc- bien lui rendre ce qu'il ne lui doit pas, de même qu’il veut bien recevoir
"*" d'elle ce qui vient de lui. Il lui rend vifite, comme à une perſonne qu'il eſti
me , & pour qui il a de la confidération : il l'inſtruit comme fa diſciple : il la
regarde comme ſa tille ſpiritüelle, & fe fait un plaifir de venir prendre fou
vent fes repas & ſon repos chez elle comme ſon hôteſſe, chez il ſef
plaît plus qu'en tout autre lieu. Heureux celui qui rend aux pauvres les ſe
cours qu'ils peuvent attendre de fa charité ; mais encore plus hcureux celui
qui les rend au Dieu des pauvres. Si ce prémier avantage eſt grand , le fe
cond eſt fingulier & rare. L'un a commencé dès la naiſſance du monde, & ne
finira qu'à ion declin ; Pauperes ſemper habebitis vobifcum : me autem non fem
per habebitis : l'autre n'a eu d'exercice que pendant le cours de la vie mortelle
du Sauveur. En telle partie du monde que ce foir, l'on a toûjours trouvé , &
l'on trouvera toûjours dequoi éxercer ſa charité, loger les pelerins, donner à
manger à ceux qui ont faim, & à boire à ceux qui ont ſoif : mais on n'a trou
vé que dans un petit coin de la Judée dequoi les éxercer à l'égard du Fils de
Dieu, qui , tout riche qu'il est, s'eſt fait pauvre, afin que ce qu'une infinité
de miſérables reçoivent de la charité d'autrui, il pût le recevoir lui même
Eloges historiques. -
la ſanté aux malades, l’cüye aux fourds, & la parole aux muets, c'est beau
coup ; ce font de grandes merveilles: mais c'est peu de choſes en comparaiſon
de reſſuſciter un mort, & qui plus eſt, un mort enfermé depuis quatre jours
dans un ſépulchre , & dont l'infection répandoit par tout une odeur pestifc
rée ? C’eſt là fans doute, dit faint Pierre , un prodige dans
l'ordre des prodiges mêmes. Si ce prodige arriva contre l'attente de Marthe,
ce fut toûjours à fa conſidération, ce fut à fa priere. On réſerve ordinaire
ment les grandes faveurs pour les perſonnes que l'on aime d'avantage , nous
leur donnons ordinairement la principale place dans nos coeurs. C’eſt ainſi
que le maître des Prophétes, ayant été fi bien reçû de fon Hôteffe, fervi avec
tant d'ardeur & fi charitablement traité, fe fentoit comme preſſé de faire en ſa
faveur, ce que les anciens Prophétes, foibles inſtrumens de la puiſſance de
Dieu, & qui n'agiſſoient que par la vertu qu'il vouloit bien leur communi
quer, avoient autrefois fait pour ceux dont ils avoient reçû quelques bien
faits. C'est ainſi que le Sauveur remplit la parole qu'il a dite lui-même, que
ce que nous ferions à un de fes plus petits ferviteurs, feroit récompenſé au
centuple dès ce monde même , & de la gloire, qu'il a preparée dans la vie fu
ture à tous ceux qui l'aiment. Eloges Historiques. -
Où pourrois-je trouver des termes aſſez vifs, pour eri a faintº saint: Mar
. . . . * ** * - 1 1 1 1J .
62o POUR LE PANEGYRIQUE DESAINTE MARTHE.
the étoir Marthe fut ſenſible à la grace que le Sauveur lui faiſoit de ſe retirer quelque
ble fois en ſa maiſon. Ravie de faire quelque choſe pour un homme en qui la
miſſion du Ciel étoit accompagnée de tant de vertus: elle s'employoit toute
que le Sau- entiére à cet aimable miniſtere ; les paroles qu'il lui dit lui même dans une
veur lui fai occaſion particuliére, en font une peinture fi naturelle, qu'il eſt utile de vous
foit de loger les rapporter, pour que vous en ayez une preuve fenſible. Martha, Martha,
gelq" fois follicita es, cỡ turbaris erga plurima: Marthe, Marthe, vous vous inquietez
*** " & vous vous embarraſſe ié beaucoup de choſes. Je fçay qu'il y a des Inter
pretes qui prétendent, que par ces paroles le Sauveur reprochoit à fa fainte
Hôteffe un zele, qui tout loüable qu'il étoit dans le fond, devenoit blâma
ble par un foin exceſſif , & par le trouble qu'il ſembloit produire en elle.
Heureux ſerions-nous nous autres, fi nous n'avions point d'autres reproches
à craindre de Jesus-CHR ist ! Helas! faut-il qu'une fauſſe diſcretion, ou pour
parler plus juste, que nôtre indifférence, nôtre lenteur, pour ſofi divin fervi
ce , nous en mette fi fort à couvert ? J'aimerois bien mieux faire la faute de
Marthe, fi cependant ç’en étoit une, que de l'éviter par une prétenduë mo
dération , qui n'étant pour l'ordinaire , que l'effet de la tiedeur, doit nous
paroître également criminelle & dangereuſe. Il y a auſſi d'autres Interpretes
qui aſsûrent que le Fils de Dieu prononça les paroles dont il s'agit, par une
civilité ſemblable à celle dont nous avons coûrume d'uſer quand nous voyons
quelqu'un de nos amis n'épargner rien pour nous bien recevoir ; comme s’il
lui eût dit : pourquoi vous donner tant de peines ? Il me faut après tout peu
de choſes , & vous fçavez que je n'aime pas à être à charge à perſonne. Mais
foit reproche , foit civilité du côté du Sauveur , je trouve que les termes dont
il ſe fert, expriment parfaitement , & l'empreſſement, & le mouvement que
la divine charité cauſoit dans fainte Marthe , & qui font les plus eſſentiels ca
raćteres de cette vertu qui occupoit toute entiére le coeur de cette fainte Hô
teſſe du Fils de Dieu. Le même.
c'est un Quoiqu'il n’y ait rien de plus constant dans la morale chrêtienne, que cette
avantage fir. verité, que le Fils de Dieu s'est voulu faire lui-même le motif de toutes les
gulierà fair- aćtions de charité que nous éxerçons envers le prochain , afin de nous exciter à
ts Marthe , les entreprendre avec plus de courage & d’ardeur, de maniére que dans tous
les fervices que nous rendons au moindre des hommes, au plus pauvre, & au
sueur en plus miſerable, au plus abandonné & au plus mépriſable , il veut bien nous
fa propre en tenir compte, comme fi nous les luy avions rendus à lui-même. Amen dico
F ": vobis, quod uni ex his meis minimis fecistis : mihi fecistis ; je ne puis cepen
*"*** dant m'empêcher de dire que ç'a été un avantage tout fingulier ; & un bon
heur incomparable pour fainte Marthe de les lui avoir rendus en ſa propre
perſonne. Car enfin, pour faire aux autres en fa conſidération, ce que nous
fouhaiterions faire à lui-même, s'il vivoit encore parmi nous : je ne puis me
perſuader que nôtre foy ſoit jamais affez vive, pour nous y porter avec la
même ardeur & le même empreſlement, que fi nous l'avions préſent devant
nos yeux, & que fi nous le voyions dans le même beſoin qu’il avoir, lorſque
cette charitable Hôteffe éxerçoit à ſon égard tous les devoirs de l’hoſpitalité.
C'eſt un défaut de nôtre foy, je le veux : mais comme nous ſommes auſſi bien
*
hommes, que Chrêriens : quand nos ſens font frappez de la préſence d'un
objet, ils font toute une autre impreſſion ſur nôtre eſprit, que quand cet ob
-
3
P A R A G R A P H E S I XI E M E. 62 r.
jet est éloigné, ou que nous ne le voyons qu'à travers les voiles de la foy;
outre que quand fainte Maithe commença à éxercer ces charitables offices,
elle n'avoit pas une telle évidence que ce fût le Meſfie, & le Fils du Pere
Eternel, qu'elle n'eût encore beſoin de la foy, auſſi bien que nous, pour croire
que celui qui étoit reduit en cet état, & qui avoit beſoin de fon fecours &
de ſes ſervices, éroit le Rédempteur d'Iſraël, & celui qu'on attendoit depuis
fi long-temps. Ainſi le mérite étant égal de ce côté-là , ç’a été pour cette Sain
te un bonheur incomparable, d'avoir non-ſeulement vů celui que tant de
Prophétes ont ſouhaité de voir, mais de l'avoir logé, nourri, fervi, ſecouru,
de l'avoir entretenu, & d'avoir profité de i’éxemple de ſes vertus, & de fes
admirables diſcours : parce qu'outre que c'étoit le plus grand honneur qu'e le
pouvoit ſouhaiter, que de le recevoir en ſa maiſon : l'on peut dire qu'elle a
reçû de lui, bienfait pour bienfait , & que les mêmes oeuvres de charité,
qu'elle exerçoit extérieurement ſur le corps adorable de fon Sauveur & de fon
Dieu : ce Sauveur les lui rendoit avec uſure, en les éxerçant intérieurement
fur ſon ame & fur ſon coeur. L'Auteur des fermons fur tous les fujets, &c.
L'hoſpitalité confilte principalement
parfa tement exercées envers la perſonneen deux choſes,
adorabe du Fils que fainte&Marthe
de Dieu, qui fonta En :qnov
hoſ
marquées plus expreſſement dans l'Evangile , fçavoir, de l'avoir logé , & reçû .
dans fa maiſon : Mulier nomine Martha , excepit illum in domum fuam, & de fut exercée
l'avoir nourri & contribué à ſon entretien , juſqu'à le fervir à table, & s'em-avec joys du
preſſer pour le bien traiter : Martha autem ei ; & ſous ces mots, il côté de Mar
faut entendre qu'e le fourniſſoit à ſes beſoins, dans fes voyages , & dans les
travaux de fa prédication. Ce ſont les offices charirables qu'elle lui rendoit :
mais elle en recevoit d'autres en échange , infiniment plus conſidérables & Dieu.
Plus avantageux , qui nous apprennent qu'on ne perd rien pour donner à
Dieu qui s'engage de rendre le centuple, même dès cette vie. Prémiérement
donc elle logeoit le Fils de Dieu en fa maiſon, où il ſe retiroit de temps en
temps, & ce Dieu homme qui connoiſſoit combien fes viſites étoient agréa
bles, qui voyoit avec quel accueil il étoit reçê, comme il y étoit fouhaité &
honoré, oſoit de la liberté que Marthe lui permettoit. Il y alloit ſans façon : il
y menoit fes diſciples, pour fe delaffer de leurs travaux; il regardoit certe fa
mille comme la fienne : & nous ne voyons pas dans l'Ecriture qu'il eût d'au
tre retraite , ni d'autre demeure aſsûrée , de maniére que ce Dieu du Ciel &
ce Maître de l'univers, qui en venant ſur la terre, fut rebuté de ſon propre
peuple & de fes ſujets: In propria venit, & fui eum non receperunt. Ce Dieu, f,an. 1.
dis-je du Ciel, a été reçû de fainte Marthe, qui entre routes les perſonnes un
peu accommodées des biens de fortune; a été la ſeule qui l'air reconnû, & qui
s'est fait honneur que fa maiſon lui fervît de retraite , lorſqu'il travailloit avec
tant de zéle au falut des hommes, qui le méconnoiſſoient, & dans cet aban
don univerſel, il diſoit pour marquer juſqu'où alloit ce délaiſſement, que les
oiſeaux & les animaux de la campagne avoient leurs nids, & leurs taniéres
pour ſe retirer : mais que le Fils de l’homme n'avoit pas où repoſer fa tête, ny
une cabane pour ſe mettre à couvert des injures du temps. Filius hominis non
habet ubi caput reclinet. Le même.
Il est certain que fainte Marthe a donné au Fils de Dieu, mille preuves de Marques de
fa reſpectueuſe affećtion. Tantôt elle le loge, dans ſa maiſon , & fait une la reſpec
I I i i iij
é 22 POUR LE PANEGYRIQUE DE SAINTE MARTHE.
tueuſe affec- fainte profuſion de tous ſes biens pour le recevoir ſelon fon mérite. Tantôe
?" R elle ſe fâche que ſa fæur, plus appliquée à la priére qu'à l'action, ſemble-né
gliger ſon divin Hôte. Tantôt elle donne les ordres à ſes domeſtiques, afin
s . qu’ils le traitent comme le Meſſie. Tantôt elle fert elle-même à table, & té
moigne ſon attachement par ſa magnificence, & par ſon humilité: Fecerunt e:
fºu". 12. cænam ibi, & Martha ministrabat. Mais il me ſemble qu'elle ne fit jamais
mieux paroître qu'elle aimoit nôtre Seigneur, que dans l'avis qu'elle lui don
na de la maladie de ſon frere, & dans la foûmiſſion qu'elle témoigna, quand
la mort l'eût enlevé. Car auſſi-tôt que Lazare fut attaqué par la fiévre, elle
dépêcha un homme vers le Sauveur, & lui mandant l'état du malade, s’ex
pliqua par des paroles que ſa tendreſſe même pour le Fils de Dieu lui avoir
nan. m. ſuggérées : Ecce quem amas, infirmatur. Elle n'oſe lui dire qu’il vienne, parce
qu’elle est perſuadée que ſa puiſſance n'eſt point attachée à fa préſence ; elle
n'oſe lai dire qu'il le guériſſe, parce qu'elle ne doute pas de fa bonté ; mais re
mettant tout à fa prudence, & à ſon affection, elle ſe contente de lui expoſer
l'état du malade & fa qualité, Ecce quem amas, infirmatur; parce qu'elle eft
S. Aug. in bien perſuadée que le Fils de Dieu n'abandonne jamais ceux qu'il aime.
jo an. Sufficit ut noveris: non enim amas "&" deferis. Le Pere Senault de l'Oratoire.
La ferveur L'épanchement que la divine charité cauſe dans un coeur qu’elle anime,
: l'empel- conſiste, dit faint Bonaventure, à employer tout ce qu'on peut pour la gloire
* & pour le ſervice du Fils de Dieu. Quand on est une fois convaincu que tour
qu's ce qu'on fera pour lui ſera toûjours infiniment au-deſſous & des perfections
ne fçauroit qu'il poſlede, & des bienfaits qu'on en a reçûs , on compte pour rien ce qu’on
affeż faire fair, quelque choſe qu'on puiſſe faire. Voilà ce qu'on peut remarquer dans
! º la conduite de fainte Marthe. Le Sauveur l'honore de ſes viſites ; elle étudie
i- avec ſoin tout ce qu'elle peut faire dans ces occaſions, pour lui marquer
ment fon eſtime & fon amour ; elle le fait avec autant d'application que nous en
aurions à bien recevoir un grand de la terre, qui nous feroit l’honneur de ve
nir chez nous; & pouſſée par le feul défir de lui plaire, elle va beaucoup
plus loin, que n'iroient les gens du monde , quand il s'agit de gagner les
bonnes graces des Princes dans ces fortes de rencontres : Sollicita es erga pluri
ma. Vous me demandez, pouvoit-elle dire, mon Seigneur, pourquoi je me
donne la peine de préparer tant de choſes. Ne voyez-vous pas, vous qui con
noiſfez mon coeur bien mieux que je ne le connois moi-même , ce qui me
porte à en uſer ainſi ; Il est vrai que vous auriez la bonté de vous contenter
de beaucoup moins : mais je fçai que vous méritez infiniment davantage. Il
eſt juste que dans ce que je fais pour vous, j'aye plus d'égard à ce que je
voas dois , qu'à ce que vous exigez ; & fi, par condeſcendance, vous m’éxem
ptez & me diſpenſez d’une partie de mes devoirs , ne dois-je pas faire de
nouveaux efforts pour m’en acquiter avec un véritable redoublement d'estime
& d’amour pour vôtre adorable perſonne. Le Pere Martineau, fermon ma
nuſcrit. -
|
PA R AG R AP H E SIX I EM E. 62;
dre un moment de temps, de là cet éloignement de tout repos » de là ces al re qu'on
larmes, ces inquiétudes, cet eſprit de critique avec lequel on obſerve curieu- P
fement ſes propresactions, & qui fait regarder les moindres fautes comme
de grands crimes. Or c'est ce que nous découvrent dans la maniere d'agir de
fainte Marthe, ces paroles de Jesus-ChRist : Sollicita es ; pourquoy vous in
quiétez-vous fi fort ? Elle penſe que c'eſt pour Dieu qu'elle travaille ; à cette
penſée ſon amour pour lui s'enflammant de plus en plus, lui dit qu'elle ne
peut faire ni trop tôt, ni trop bien ce qu'elle fait ; car l'amour divin est un
éguillon qui felon l'expreſſion de S. Bonaventure, bannit du coeur & tous les
delais qu'on pourroit apporter à l'oeuvre de Dieu, & cette malheureuſe faci
lité qu'on a à ſe contenter de ce qu'on fait pour lui : Languor locum non habet,
aki fiimulus amoris urget. Le même. -
L'empreſſement qu'inſpire le divin amour, & dont nous voyons un fi bel Sui du mê
exemple dans ſainte Marthe, est ſuivi d'un mouvement qui met tout en ac- : : &
fai Marthe a borné fa charité ; elle a encore rempli les autres devoirs, en lui
th: a templi donnant à manger, & en le traitant avec toure l'affećtion , avec tout le zele
tous les de & tout le foin que l'on peut attendre d'une perſonne qui le recevroit com
l’hoſpitali-
té P
me
1,1 fon
- : -- Sauveur
l'hoſpitalité
& fon
1:. . qu'elle
*
Dieu ; & quoiqu'il ſemble que cela ſoit compris dans
éxerçoit : c'est cependant une aćtion toute differenre,
f - - *
* puiſque l'une peut être fans l'autre, & que le Sauveur luy-même ſçaura bien
ne les pas confondre en ce grand jour, quand il pnbliera ce qu'on aura fait
mini. As "" fon amour : hoſpes eram, & collegistis me : eſurivi , & dedistis mihi man
ducare. Mais ſainte Marthe les a voulu réủnir envers le Sauveur, puiſqu’elle
l'a traité toutes les fois qu'il a daigné lui rendre viſite ; mais la maniére dont
elle s'y eſt priſe, le foin avec lequel elle s'y est appliquée, & les autres cir
conſtances que l'Evangile rapporte, marquent a fez qu'elle n'épargaoit rien
|
P A R A G R A P H E SI X I E’.M E. 629
our le bien recevoir , & que ſa charité n'avoit point d'autres bornes, que
celles qu'il ſouhaitoir qu'elle y mit. Ajoutez qu'elle a pratiqué cette aćtion ,
par le motif le plus noble & le plus élévé, & par les merités la récompenſe
du Juste, du Prophete, des Diſciples, & du Sauveur même ; c'est à dire ,
qui est duë à l'action qui fe fait pour ſon amour, & en ſa confidération. L'Au
teur des fermons ſur tous les ſujets, &c.
FilsJ'avouë quedans
de Dieu nousl'exercice
pouvonsdes
avoiræuvres
les mêmes
de la vůës que&lanous
charité, ſainteéléver
hôteſſe
par du
la Nôtre
! for lan
foy au-deſſus des ſens, & de la raiſon même, pour conſidérer le Sauveur en la -
perſonne des pauvres, comme il l'a dit expreſſément. Mais quelle peine n'a- tas sr
t’on point à en être perſuadé , & d'agir, comme parle faint Paul, en conſé- dans la per
quence de ce ſentiment : dignè Deo, comme Dieu le mérite : car qui est-ce º “&
qui voyant un pauvre tout nud, & tremblant de froid , ne ſe dépouilleroit
pas pour le revétir ? qui ne s'arracheroit pas plûtôt le morceeu de la bouche, avoir les
afin de lui
pauvres donnerdesenruës
au milieu le voyant
& des mourir de faim ,! qui
grands chemins pourn'iroit
avoir chercher les uêmes
le bonheur vûês
: fainte
de traiter le Fils de Dieu en leur perſonne ? Il n'y auroit point de miſere qui "*""·
pût échaper à nôtre charité ; elle nous feroit prévenir la voix, & les priéres
des pauvres honteux : elle nous donneroit des yeux pour les découvrir en
quelque lieu qu'ils fuſſent, & des mains pour les ſecourir ; mais, à voir les
mépris, & les rebuts qu'on leur fair fi fouvent, la peine qu'on a de leur don
ner un morceau de pain , le peu d'application & de zele que nous marquons
à les foulager : tout cela montre bien que nous ne connoiſſons point le Fils de
Dieu en cet état, ou plâtor que ce viſage emprunté l'a tellement defiguré,
que nous croyons être en droit de le méconnoître ; que nôtre foy toute lan
guitlante & demy morte qu'elle est , ne ſe touche pas facilement de cet objet,
qui ne donne rien au fens, ou du moins qu’il faut bien l'étudier, & le mé
diter pour le comprendre. Sainte Marthe étoir dans un temps, où elle avoie
plus beſoin de fe convaincre de la Divinité du Sauveur , que nous n'en avons
préſentement, que le mystére de nôtre rédemption eſt accompli, & que la
foy eſt publiée par tout le monde. La Synagogue le condannoir alors: les Prê
tres & les Pontifes étoient ſes plus grands perſecuteurs, ſainte Marthe le crut
cependant en ce temps-là même » que la contestation fur ce chapitre étoit le
Plus échauffée. Le même.
Nous apprenons par l'exemple de la charirable Hôteſſe du Fils de Dieu, Les oeuvres
que les éxercices de charité font le moyen le plus efficace que nous puiſſions le chariré
employer pour attirer les graces de Dieu fur nous, ſoit pour obtenir une fin- font le mo
cére & parfaire converfion, ſoit pour s'exciter à la dévotion, & pour parve- d'artirer
nir enfin à la plus haute fainteté. Oủy, pour endurci que ſoit un coeur, &
infenſible aux choſes de Dieu , rien n'eſt déſeſperé, quand il est porté aux cii, « par
aćtions de charité ; parce que Dieu fe rend ſenſible à nos mifères, quand nous ticuliéré
fommes touch z de celles du prochain, & c'eſt meme par là qu'il nous ouvre 'n la gra
les yeuxautres
rez des ſuite , beſoins,
à nosEnpropres quand &nous
quelles graces que les
lesouvrons
faveurs pour
D eu voir les nécesti
ne fait-il point W C1 ilOil,
à ceux qui l’obligent en la perſonne des pauvres, qui lui font fi chers ? Ce
Sauveur est trop reconnoitſant des biens qu'on lui fair, pour ne pas les payer
au centuple en certe vie „felon la Proinclic qu'il nous en a faite lui même ; &
KK x x iij
6 o POUR LE PANEGYRIQUE DE SAINTE MARTHE.
fi ce n'est pas toûjours en même eſpece de biens, c'eſt par d'autres plus ex
ce'icns & plus prccieux. Nous devons donc conſiderer avec toute l'attention
postible , l'exemple que nous a donné fainte Marthe, des devoirs de la charité
dans la vie active: pour qu'elle nous ferve de modele , & que ce modele nous
inſtruite picinement de la maniére dont il les faut prat quer.Le même.
comm- on Il eſt facile de comprendre comment l'on peut être toujours uni à Dieu,
-
peut
à Uit
être uni l'an
ſans ſe, s'addreſſera
partager entre lui &; leque
à l'autre prochain: puiſqueque
la distipation toutlacemuititude
que nous apporte,
ferons pour
ne
fera point capable de partager un eſprit qui n'a qu'une vůë & un ſeul but,
if nt qui eſt d'agir pour Dicu. Je comprends par ccla même , comment i'on doit
nous distrai quelque fois quitter Dieu pour le prochain , quoiqu'il ſenib e que ce feroit
hots.
u is- fert
mieuxen dire, de fervice
rendant quitter auDieu pour Dieu
prochain. Maismême,
c'eſt cepuiſque
qui me c'eſt
fait lui que l'on
concevoir en
même temps, que le fort de Marthe ne fera pas moins avantageux , que celui
de Madelaine , ſi nous agillons par les ordres de Dieu, comme Moyſe, qui
quitte la montagne, où il joüilloit de l'entretien de fon Dieu ſeul à feul, pour
Exod. ; 1. venir contenir le peuple dans le devoir : Vade, deſcende: peccavit populus
tuus. Moyſe, il ne s'agit pas icy de me prier, il s'agit de me ſervir. Ainſi ,
Juges, vous êtes plus agréables à Dicu, quand vous rendez la juſtice, & quand
vous défendez la veuve & l'orphelin, lorſque vous arrêtez les vices & les dé
fordres , que ſi vous demeuricz au pied des autels pour prier Dieu, en négli
geant vôtre charge. Ainſi , peres de famille, en veillant ſur les domestiques.
& empêchant que Dieu foit offenſé, vous faites une action qui égale la prić
re que vous fericz en d'autres circonſtances. Ainſi , Chrétiens, en fecourart
les pauvres, ou travaillant pour le falut du prochain , vous faites un ſacrifice
à Dieu, qui ne lui est pas moins agréable, que le ſacrifice de l'oraiſon. Le
- ſecret eſt de foûtenir & d'animer l’un par l'autre , de fçavoir les pratiquer à
propos, & dans leur temps, de ne pas négliger f_n falut, en s'employant pour
celui des autres, & de faire toutes fes aćtions en vůë de Dieu. Le même.
Nors vo- Rien ne relevc davantage la grande foy de fainte Marthe, que de confidérer
yous ºai la les circonstances de la mort de Lazare, & ſon entretien avec le Fils de Dieu.
mané s & Les députez
par les cir-
d'entre les Juifs étoient les plus conſidérabies
J. Da ITC" fa fa iil
: -
de Jeruſalem
ll i f
,
constaness 9" alliezs. parens de fainte Marthe, ou annis de ſa famil s ; elle soit intor
- - • * - -
de la recep- mće qu'ils étoient les principaux ennemis du Sauveur : qu'en pluſieurs occa
tian que fions ils avoient attenté à ſa vic: qu'ils décrioient ſa doćtrine & fes miracles.
! \! - Cependant elle reçoit Jesus-Christ dans fa maiſon : clle ne fait point atten
,
: tion à ces gens-là, quoyque les plus conſidérez du peuple : elle va au devant du
a s la Sauveur : cile lui prépare un repas, tout fon entretien n'eſt qu'avec loi : elle
costlération feinble même ne faire nul compte des prémiers de la ville ; mais au contraire
qu'ells avoit tour l’entretien ne tend qu'à les confondre ; toute la converſation ne ſemble
Fº“ " étre dreffée que pour refuter leurs faustes accuſa ions & leurs blaſphémes
, contre le Fils de Dieu. Ils l'accuſoient de féduire les peuples: feducit turbas, &
. Marthe foårient qu'il n'est venu que pour fauver tous les hommes: Tu es Chriſ
7 * * '', tur... qui in hunc mundum venisti. Ils s'efforcent de prouver que Jesus-Christ
Matth. 9 - . eſt un blafehémateur, parce qu'il ſe dit Fils de Dica, & fe fait ſemblable à lui:
} potest dimittere peccata, nist folus Deus ? Et Marthe leur foutient que
Esus-C:: Rist eſt ie Fils de Dicu , engendré dans la ſplendeur des Saints ,
-
PARAGR APHE S I X I E M E. 631
de toute éternité : 7a es Christus filius Dei vivi. C'eſt ainſi , ô mon Dieu ! que
vous rendez éloquente la bouche des enfans, pour confondic les fages du
fiécle, & vous faites rendre la gloire parfaite , qui n’appartient qu'à vous feul :
Ex ore infantium & laientium perfecisti laudem propter inimicos. C'eſt ainſi que Pfal. s.
vous révélez aux ſimples, ce que vôtre Pere céleste, par un juste & tcrrible
jugement , cache aux prudens du monde. Auteur moderne.
Un défaut qui ſe gliffe affez ordinairement dans nos meilleures aćtions, La trop
est d'agir avec trop d’activité & d'empreſiement, & de ſe lailler alier à ſon grande aċti
humeur naturelle. Les meilleures actions faites de la forte, font ordinairc- "té & le
ment imparfaites. Un homme doit agir par les mouvemens de la 1aifon ; un ni
Chrétien par les mouvemens de la grace, ainfi une perſonne qui agit par hu- ft un
neur , n'agit donc ni en homme , ni en Chrétien. Le trop d'empreſiement défaut affez
gâle les meilleures aćtions ; on les fait , ou à contre-temps, ou avec précipi- "di"aire
tation, & fouvent
pour charité, ce quionn’eſt
détruit
qued'un côté ce quepour
temperament, l'on bâtit
zele , decel'autre. Oo qu'im-
qui n'eſt Prend . C C D aº
petuoſité. Le remede est de réprimer ſon aćtivité naturelle, quand on la fent
trop vive:de modérer ſon empreifement, quelque bonne que ſoit la choſe qu'on
va faire, & de ne point agir juſqu'à-ce que nous fentions que nôtre eſprit ſoit
dans une aſſiéte pius tranquille ; & c'eſt cet empreſlement & ce trop d'activité
que le Fils de Dieu trouva répréhenſible en ſa charitable hôtefie , lorſqu'ayant
confideré ſon ardeur trop empreſiče à le ft rvir , il lui dit : Martha , /Martha ,
fallicita es , G turbaris erga plurima. Le Pere Nepveu dans fis Rafi vions Chré
f167'7; c.f.
Le Fils
il faut autiideavouer
Dieu ne reçoit
qu'il point de ſervice,
a magnifiquement qu'il ne récompenſe
récompenſé avecdeuſure;
les bons ofices fain- Le eFils de
ft li
te Marthe. Car , cutre que c'étoit l'honorer, que de la preferer à toutes les
Dames de la Jude, que c’étoit conſacrer fa maiſon que de s'y retirer ſouvent: -
il lui a donné cent marques de fon affićtion dans la même maiſon , cù il a ſeries noin
reçů tant de
la convei fionmarques de fon ,hoſpitalité.
de Madelaine Ce fut là de
& la ſanćtification qu'il achevamême
Marthe par ſes; diſcours,
ce fut là drºſeries
lº iai
O il
qu'il lcur enfeigna les plus ſublimes myſtéres de nôtre foy, qu'il leur décou-““
vrit fes deficins, & qu'il les entretint de ſa mort & de fa réſurrećtion. Ce fut
là qu'il mèla fes pleurs avec leurs larmes, quand il apprit de leur bouche ,
la mort de leur fiere. Ce fut là qu'il permit à ſes paſſions de s'élever, & de
faire paroître que s'il étoit homme, il étoit auffi ami des hommes: Turbavit fºrnn. 11.
femetipſim , infremuit ſpiritu , & lachrymatus est. Ce fut la enfin qu'il opera ie
plus grand de ſes miracles, qu'il recompenſa fon hôtelle ; car il paroit par le
diſcours qu’il tint que la ré urrećtion du Lazare fut la récompenſe de la foy
& de la charité de fainte Marthe. Nous devons donc nous pai ſuader par cet
exemple que de routes les bonnes oeuvres que nous faiſons pour Dicu, il n’en
reſtera aucune fans récompenſe, & qu’il (çaura bien dès ce monde nne une ré
connoitre nos petits fervices au delà de tout ce que nous aurions ole t fpérer de
fa magnificence. Le Pere Senault de l'Oratoire.
C'tit à la vérité, un extréme bonheur d'avoir vů le Fils de Dieu ſur la terre
conve fant parmy les hommes, d'avoir oüy les oracles qui fortoient de ſa
bouche, & adin ré les pro liges qui parto ent de ſes mains. Les Prophetes
avoien: ſouhait; cet avantage , ils avoient l-fié de voir ce que les Apôtres
632 POUR LE PANEGYRIQUE DE SAINTE MARTHE.
ont vû pendant trois ans ; nous ſouhaiterions auſſi fans doute jouïr de cette
grace ; nous voudrions comme fainte Marthe, le recevoir dans nôtre maiſon,
laver ſes pieds, le fervir à table ; nous fouhaiterions fans doute lui rendre
rous les charitables devoirs que lui rendit fa fainte hôtelle ; mais ce font là
d'inutiles déſirs. Contentons-nous de nôtre condition, nôtre bonheur ne ce
de point à celui de cette fainte Dame ; Elle avoit une grande fatisfaćtion à
loger le Fils de Dieu, il est vray ; mais fi nous joüiſſions d'un pareil bonheur,
l'amour propre , la vanité pourroient bien s'en mêler , & quelque bonne in
tention que nous y puiſſions apporter, nôtre piété feroir difficilement fans
interêt, puiſque la récompenſey est auſſi préſente. La Majeſté du Fils de Dieu,
toutes les graces qui éclatoient fur viſage , la douceur de ſes re
gards pouvoient diminüer le mérite de l'amour & de la foy de fon hôteſſe.
Mais quand nous le fervons dans un pauvre, qui bien loin de nous charmer
par un aimable extérieur, n'a rien en lui que de rebutant, quand nous le fe
courons dans un malade, qui n'a rien que de dégoûtant, rien qui n’éxerce nô
tre patience , quand nous ne voyons le Sauveur dans ces pauvres , que par
les yeux de la foy , & que ne voyons en eux que des pauvretez & des miſeres:
nôtre foy & nôtre charité font d’un plus grand mérite , & font d'autant plus
agréables à Dieu, que ces pauvres en qui nous le croyons fervir , ont moins
de rapport à lui, Le même.
T A B L E
T A B L E
D E S M A T I E R E S
D E S M A T I E R E S.
C'est une grande gloire à ce grand Saint Quelques autres penſées qui regardent ce
d'avoir été le premier Martyr. 1 o 5. Perſon Saint.
ne ne lui avoit donné l'exemple de mourir Reffemblance de faint Etienne avec JE
pour J E s u s-C H R 1 s r. 93. L'exemple sus-CHR 1 sr dans les dernieres circonſtair
de faint Etienne a eû comme une influence ces de fa vie, 9 f. 11 5.- Cette refſemblance
fur tous les Martyrs qui ont été après lui. paroît particulierement dans la priere que
1o 5. 117. Combien la qualité de premier l'un & l'autre fait pour leurs perſecuteurs.
Martyr eſt glorieuſe. I 2. 2., 1 16. Ce Saint nous apprend la maniere
La cruauté du fupplice qu'a ſouffert faint dont nous devons en uſer dans la concur
Etienne. 12. 3. é feq. Avec quelle fureur les rence de nos ennemis , & de ceux de Dieu.
Juifs ſe portent contre ce Saint. 116. & ſeq. 2 26. La charité de faint Etienne comparée
Acham fut lapidé comme faint Etienne ; au feu qui fort des pierres qui s'entrecho
mais le fujet & la caufe de fon fupplice quent. 94. Comme fon grand zéle a toû
fut bien différent. 94. Les pierres dont jours été temperé par la douceur de fa cha
faint Etienne a été lapidé, compoſent l'au rité. I 14. Comme ce grand Saint a été com
tel ſur lequel il a été immolé. 94. Il faut me un ſecond Ambaſſadeur pour faire con
plûtôt dire que les pierres dont il fut lapi noître aux Juifs le Fils de Dieu , de même
dé, font autant de Pierres précieuſes qui que faint Jean-Baptiste a été le premier. i 1r
ornent fa couronne. 98 Entétement, & endurciffement de coeur de
Les confolations celeſtes qui adoucirent ceux qui rejettent tout autre témoignage
les ſouffrances de ce Saint durant un fi cruel que celui de leurs ſens en matiere de foy OU1
martyre. Ioo. & ſeq. Le Fils de Dieu ne fut de miracles. 66. čr fq.
pas ſeulement ſpectateur de fon combat ; il Eſprit particulier des héretiques refuté.
fut encore fa force. 1οı. Pourquoi ce Saint 43 1.
dans ce ſupplice parut avec un viſage fem
F.
blable à celui d'un Ange. 97. L'eſperance de
la recompenſe l'animoit à ſouffrir,en voyant
le Ciel ouvert. 96. Sa joye & fa confolation AvoR1s d'Es SouvE RAINs, ſujets à l'em
en voyant le Fils de Dieu à la droite de fon vie , & expoſez aux traits de la médi
Pere. 99. JEsus-CHR1 sr & faint Etienne fance. · Page 1 3 5:
étoient un ſpectacle digne d'admiration l'un Feu ſacré, qui fut caché dans un puits ,
à l'autre, l'un en le conſiderant fouffrir pour & changé en une eau boüeuſe , & qui fe ral
fon amour , & l’autre ayant fon Sauveur lume enſuite fi tôt qu'il fut expoſé au fo
pour ſpectateur de la fidélité. leil ; figure de la foy éteinte de faint Tho
L'exemple d'aimer ſes ennemis, & de par mas , mais qui fut enſuite rallumée. 53
donner les injures , que faint Etienne nous Foy, Čr Religion. Trois choſes à craindre
a laiſfé. 1 o6. Il a imité parfaitement le en cette matiere. 1°. De donner trop à la
* Sauveur en priant pour fes ennemis. 97. raiſon. : º. L'attachement à ſon propre ju
cr fea, 1 zo. Il a imité parfairement le Sau gement. 3 °. Refuſer de fe rendre aux témoi
veur dans les principales circonſtances de fa gnages convaincans de la vérité. 65. Com
paſſion. 1 oz. Le grand aćte de charité de ce me la foy eſt le principe & la racine de la
Šaint envers fes perſecuteurs. I ol. Les cir juſtification, l'incredalité eſt la ſource de
conſtances qui relevent cette aćtion. I o7. nôtre reprobation. 65. Perdre la foy, c'eſt
L'aćtion héroïque d'avoir prié pour ſes per tout perdre. 68. Obligation qu'ont les Chrê
fécuteurs, à l'exemple du Sauveur. I i 8. tiens de profeſier leur foy. 3 88
c3. fq. Il prie pour ſes ennemis en fléchiſ to6.Force. En quoi conſiſte la vertu de force,
fant les genoux , & avec plus d'ardeur que
pour lui méme. I 19. Il fait une action plus - G.
genereuſe en pardonnant les injures, &
čtouffant les fentimens de vengeance, qu'en R a c e s de Di EU. Comme la grace
fouffrant le martyre. 98. Quelle eſt la diſ J s'accommode aux différens naturels
poſition de nôtre cæur, quand nous rece des perſonnes. 434. Graces importantes
vons quelque injure. 11o. Si nous ne par & critiques aufquelles fi l'on ne ſe rend,
donnons à nos ennemis , jamais Dieu ne c'eſt fait de nous 437. Prompte operation
nous pardonnera. 12.3. Tous les Chrétierrs de la grace dans la ſanctification de faint
ne peuvent pas imiter ce grand Saint dans Jean-Baptiste. 317
fon martyre ; mais tous le peuvent dans le Grandeur jointe à l'humilité dans faint
Pardon des injurcs- I - L. Jean Baptiite. 33 :
L. L l l iij
T A B L E *
té de S. Jacques & de S. Jean. 539. S. Jac Dans le partage que fitent-entre eux les
ques a tenu rang parmi les grands Apôtres, Apôtres, des nations aufquelles ils devoient
comme l'un de ceux pour qui le Fils de Dieu Porter la foy , le fort de S. Jacques fut de
D ES M A T I E R E S.
cultiver la Judée, & de continuer les tra veilles de fa naiſſance. 3o6. Ce Saint en fa
vaux du Sauveur. 5 58. Cette miſſion étoit
la plus difficile & la plus hazardeuſe. 559.
naiſſance n'a été foüillé d'aucun peché,
comme le font tous les autres hommes.3 16.
On peut croire ſur la tradition , que S. Jac Tout l'éloge de S.Jean eſt compris dans ces
ques a été en Eſpagne. 5 ſz. Le peu de Per paroles de l'Evangile : Il ſera grand devant
fonnes que ce Saint a converti à la foy, ne Dieu.3 12. Il a fait l'office de Précurſeur avant
diminuë rien de fa gloire, & de fa récom que de naître.341.S.Jean retiré dans le défert,
Penſe. 5 f4
& le progrès de fa fainteté.3o7. Pourquoi il
Le Martyre de faint Jacques, & ſes cir s'eſt retiré dans la ſolitude. 3 ; 6. Il demeure
conſtances
dans le déſert juſqu'a l'âge de 3 o. ans , &
La principale gloire de S. Jacques eſt d'a pourquoi. 3 11. L'admirable pénitence de S.
voir bů le premier le calice du Fils de Dieu, Jean jointe à l'innocence de fa vie. 3 13. 6.
c'eſt-à-dire, d'avoir fouffert le premier le feq. Il pratique l'auſterité & la mortifica
martyre entre les Apôtres. 554: 56o. Pour tion,avant même que le Sauveur en eût fait
quoi le Fils de Dieu appelle fa pastion un un precepte,& donné l'exemple.32 f. Quelle
calice. 55o. Combien les circonſtances du fut fon occupation dans le deſert. 32 5
martyre de S. Jacques font glorieuſcs. 56o. Il conſerva plus sûrement la grace dans
Reffemblance de fa mort avec celle du Fils
le deſert & dans la fotitude. 3 18. Combien
de Dieu. 561. Sa gloire a été grande après l'eſprit de retraite eſt néceſſaire à un Chiê
fa mort par le concours des peuples à fon t1Ct). 3 27
tombeau. 54 5. ft 1. Il eſt le Protecteur non L'eſtime, l'autorité, & la reputation de
feulement de l'Eſpagne , ına s de toure la faint Jean , qu'il s'acquir dans le deſert , &
Chrétienté, 56 l. A quel titre les Apòtres après qu'il en fut forti.
font les premiers dans le royaume de Dieu. Il a été préferé a pluſieurs Saints, à qui
548. Raifou pourquoi S. i’ierre fut delivré l'Ecriture donne le nom de grands. ; 15. L'i
miraculeuſement de prifon , & S. Jacques dée que les Juifs conçûrent de fon mérite &
livré à ſes perſécuteurs. f4O de fa fainteté. 3 zo. L'eſtime qu'on avoit de
S. JEAN BAP risT E. Tirre & Avertiffe fa fainteté, le faiſoit prendre pour le Meffie.
ment ſur ce fojet. Page 189. Divers defleins tbid. Le credit & l'autorité qu'il devoic
& plans de diſcours fur ce ſujet. z 9o. Les avoir pour s'acquiter dignement de l'office
fources où l'on peut trouver dequoi remplir de Précurſeur du Meſſie. ;34. Sur quoi étoic
ces desteins, & les Auteurs qui en traitent. fondé ce credit & cette autorité. ibid.
297. će feq. Paſſages de l'Ecriture ſur ce La prédication de faint Jean.
fujet. 3oo. Exemples, figures , & ſimilitu Il eſt le premier Prédicateur du falut. 3 19
des de l'Ecriture fur ce fujet. 3o3, ór feq. Comme il fortit du defert pour prêcher la
Paſſages & penſées des faints Peres ſur ce pénitence. 3 16. Il n'a pû mieux préparer les
fujet. 311. & feq Ce qu'on peut tirer de la voyes du Seigneur qu'en prêchant la péni
Théologie par rapport à ce ſujet. 315. Les rence. 33o. Son grand zéle pour la conver
endroits choifis des livres ſpiritüels & des fion des pecheurs. 332. Avec quelzéle, &
Prédicateurs modernes. 3 2 1. Ő feq. courage il a repris les vices des Phari
Privilége de faint Jean entre tous les au 1CI)S. 336
tres hommes, d'avoir été fanćtifié dès le Témoignage que le Fils de Dieť a rendu
ventre de fa mere. 3o4. Sa fanćtification de la grandeur, & de la fainteté de faint
avant que de naître eſt très sûre, au lieu que Jean. 3 o 5. 3 o7. En quel fens le Sauveur
celle de Jéremie est douteuſe. ibid. Si Jé nommoir faint Jean une lampe ardente &
remie a été ſanctifié de la forte, faint Jean luiſante. 3ο8. Qu'il eſt Prophete , & plus
l'a été tout autrement. 3 i 6. Ayant été fanc que Prophete, & en quel ſens, 3 zo. 332.
tifié par Jesus-CHR ist même,la grace qu'il Autre témoignage glorieux que le Sauveur
reçût alors a été plus excellente: 3 16. La a rendu à faint Jean. 326. 33o, 339. Il eſt
prompte operation dans la ſanctification de aisé de concevoir pourquoi faint Jean n'eſt
faint Jean. 3 17. Le Fils de Dieu a prévenu pas femblable à un roſeau, comme a dit le
faint Jean dans l'ordre de la grace, comme Sauveur en parlant de lui. 342
faint Jean a prévenu le Sauveur dans l'ordre Témoignage que faint Jean a rendu du
du miniſtere. 3 18 Sauveur du monde.
Les merveilles arrivées à la naifance de Ce que faint Jean entendoit , lorſqu'il ſe
faint Jean-Baptiſte. nommoit une voix. 3ο8. Témoignage de
Les fentimens des hommes fur la future faint Jean , fuffiſant pour faire croire que
grandeur de faint Jean, en voyant les mer: Jesus CHR ist étoit Roy, Dicu, & le Mestas,
- - T A B L E " "
3 to. C'est une chofe bien finguliere , que Quelques autres choſes qui regardent ce
le Meſſie ſemble avoir ců beſoin du témoi grand Saint. -
gnage de faint Jean , afin d'être reconnu Saint Jean fe compare lui-même à une
pour tel. 3 18. Témoignage de faint Jean voix , Page 3o3. On peut juger de la gran
néceſſaire pour l'établiſlement de la foy.319. deur futute de ce Saint par ſes commence
Comment faint Jean commença par ren mens miraculeux. 3ο8. Pourquoy faint Jean
dre témoignage au Fils de Dieu, & l'excel ne fit point de miracles pendant fa vie. 311.
lence de ſon témoignage. 326. Saint Jean a Nous devons écouter auffi bien que les
dû être femblable au Fils de Dieu, pour Juifs la voix de faint Jean prêchant la pé
annoncer le Saint des Saints. 327. Com nitence. 312. Nous ne devons point mur
bien grande a été l'authorité de faint Jean, murer contre la providence , en voyant
pour perſuader aux justes , que J E s u s faint Jean dans les fers & Hérode dans les
C H R 1 s r étoit le Meſſie. 33O délices. 3Io
Saint Jean a toújours perſeveré à rendre Le zele de faint Jean à deffendre la chaf
témoignage du Sauveur, & à remplir fon teté. 3 19. Comme faint Jean rendit témoi
miniſtere 3 3 1. Il ne s'eſt produit au mon gnage à la vérité devant Hérode aux dé
de que par l'ordre de Dieu. 3 35. L'honneur pens de fa vie. 333. Les vertus que nous
incomparable de faint Jean , d'avoir été devons imiter dans laint Jean. ibid. Nous
destiné pour rendre témoignage de la di devons nous confondre d'imiter fi peu les
vinité de Jesus. CHR IST. 334. Pourquoy vertus & particulierement les auſteritez
le témoignage que faint Jean rendoit au de faint Jean. 342. Le Fils de Dieu ne
Sauveur étoit irréprochable. 34o. Tout nous rendra jamais le même témoignage
Chrétien doit rendre témoignage de Jesus qu'il a rendu à faint Jean , ſi nous n'imi
CHR1sr par ſa foy & par ſes oeuvres. tons fa penitence. 324. Saint Jean repre
34o. Saint Jean ſacrifie toute fa gloire pour nant Hérode, donne exemple aux Pré
rendre témoignage de Jesus CHR i sr. 341. dicateurs de reprendre les vices publics.
La fidelité de faint jean dans fon miniſ 336. Titres glorieux de fant Jean rappor
tere. 3 3I tcz dans l'Ecriture & dans les Saints Feres.
Il rejette constamment l'honneur qu'on 336. Abregé de la vie & des éloges de faint
lui veut faire , d'être reconnû pour le Meſ Jean. 342. Priere adreſſée à faint Jean 338.
fic. 3o6. Son humilité à rejetter tous les SA INT JEAN L'EvAN GEL 1st E. Titre &
titres d'honneur , hors celui d'être la voix avertistement. Page 128. & ſeq. Divers def
qui annonce le Meffie. 309. Sa reponſe à feins & Plans de diſcours fur ce ſujet. 129.
ceux qui lui demandoient qui il (toit , doit ér feq. Les fources où l'on peut trouver de
nous porter à connoître qui nous ſommes. quoy remplir ces deſfeins , & les Auteurs
3 I 2. Il renonce non ſeulement à l'honneur qui en traitent. 136. Pastầges de l'Ecriture
qui lui est déferé ; mais de plus à celui qui fur ce ſujet. 139. Exemples & figures tirez
lui eſt dû, par la fidelité qu'il doit à celui de l'Ecriture 141. Applications de quelques
dont il est le Héros & le Précurfeur. 33 ; paſſages de l'Ecriture à ce fujer. 144. Paffa
Il s'abaiste ménie au delà de la vírité. 337. ges & penſées des Saints Peres ſur ce fujer.
Son humilité fait conclure qu'il eſt le plus 148. Ce qu'on peut tirer de la Théologie
grand de tous les hom mes. 337. Peu de Par rapport à ce ſujet. 15o. Les endroits
Chrétiens rapportent à Dieu la gloire de ce choiſis des livres ſpiritüels , & des Prédica
qu'ils font comme faint Jean. 34 I teurs modernes ſur ce ſujet. 1 58
Eloges de faint Jean Baptiste. Page 3 11. Ce qu'étoit faint Jean avant que d'être
Reſſemblance de faint Jean avec J E s u s appellé à l'Apostolar.
C H R I s T. 3 o 9. 3 17. 33 o. Il a été com Il eſt probable que faint Jean a été diſci
me le dernier effai, & la plus parfaite ima Ple de faint Jean-Baptiste, comme faint An
ge du Sauveur. 32 2. L'avantage qu'il a fur dré, avant que de l'être du Fils de Dieu.
les anciens Prophêtes , d'avoir vû & mon 142: Les avantages de faint Jean , & ce
tré celui qu'ils ont ſeulement fouhaité de qui le distingue des autres diſciples & Apô
voir. 304. Le Fils de Dieu fins attendre le
dernier jour du Jugement, fait l'éloge de tres: , 56; Les bonnes qualitez qui ont ren
du faint Jean aimable au Fils de Dieu, 1 53 -
faint Jean , qui avoit rendu témoignage de Quand Dieu veut faire quelque faveur à
fa divinité. 3 ó 5. Détail des vertus de faint quelqu'un, ou l'élever à quelque dignité, il
Jean , qui le font grand devant Dieu & lui en donne le mérite. 15 . Ceux qui font
devan: les hem mes ; i . La grandeur join les Plus aimez de Dieu, font austi ies Plus
te à l'humilité de laińr Jean, 33 I aimables. I 5 z.
l'amour
D E S M A T I E R E S.
L'amour que le Sauveur portoit à faint avec le Fils de Dieu.
Jean. Les cauſes de cet amour. 171. Deux C'eſt une familiarité ſans exemple, qu'un
fortes d'amour en Dieu , envers ſes créatu favori ait repoſé ſur le fein de fon Souve
res. 1 5o. Le Fils de Dieu a été fuſceptible rain. 168 Le Sauveur en permettant cette
des mêmes paſſions que les autres hommes, familiarité donne à faint Jean tout un au
& comment. 1 5o. Le Fils de Dieu n'a pủ tre témoignage de fon amour qu'aux au
aimer que ce qui étoit véritablement aima tres diſciples. 16o. Perſonne n'étoit plus
ble. 1 54 digne de repoſer fur le ſein du Fils de Dieu,
L'amitié , ou l'amour réciproque entre le que faint Jean , à cauſe de fa pureté. 1 5 8.
Sauveur & faint Jean. Le temps auquel ce diſciple repoſa fur le fein
Il peut y avoir une véritable amitié entre de fon Maître eſt à remarquer. 159. Ce que
Dieu & les hommes. 1 ; 1. Puiſque le Sau faint Jean a retiré de fa familiarité avec le
veur a honoré S. Jean d'une amitié particu Sauveur. 178. Il a été mieux partagé en re
liere,il faut croire qu'il en étoit le plus digne. poſant ſur le coeur du Fils de Dieu , que
152. La conformité de reſſemblance qui s'il eût été astis à ſa droite ou à ſa gauche,
étoit entre le Maître & le Diſciple a été le comme il l'avoit demandé. 147. C'eſt ſur le
fondement de cette amitié. I 54. Les imper coeur du Sauveur que ce diſciple a puiſé cet
fećtions des amitiez du monde ne ſe trou ardent amour qu'il avoit pour le prochain.
vent point entre celles que Dieu a bien 169. 17 3. Ce Saint repoſant fur la poitrine
voulu contraćter avec les hommes. 1 5 5. du Sauveur, eſt comparé au grand Prêtre ,
L'amour que faint Jean portoit récipro à qui ſeul il étoit permis d'entrer une fois
quement au Sauveur , & les marques de cet l'année dans le Sanctuaire. 1
a Ill Our.
Les lumieres divines & furnaturelles qu'a
On peut dire que faint Jean a plus aimé reçůës faint Jean. -
le Sauveur que tous les autres , parce qu'il Il eſt juſtement appellé Enfant du ton
a été le plus aimé. 163. Il a aimé le Sau nerre , & pourquoy? 141. Il eſt comparé à
veur dans tous les états de fa vie. 1 63. 174. l'aigle pour ſon élevation. . 14z, ér feq.
Il a donné des marques de cet amour , par Comparé à faint Paul , ravi juſqu'au troi
ce qu'il lui eſt demeuré fidele dans le temps fiéme ciel. 143. Comparé & préferé aux
de l'afflićtion. 164. Il ſouffrit un cruci mar Prophétes de l'Ancien Teſtament. 14 r. Ce
tyre en voyant ſouffrir fon Sauveur qu'il ai que les Saints Peres ont penſez des lumieres
moit uniquement. 171. Il l'a ſuivi ſur le que ce Saint a reçủës. 16o. Nous ſommes
Thabor , & à la croix. 148. & I 62. redevables à faint Jean de la connoiſſance
Saint Jean a été le bien-aimé de Jesus. que nous avons des perſonnes divines. 164.
La plus grande gloire de faint Jean eſt cr feq. Les Myſtéres qui font renfermez
renfermée dans le titre de bien-aimé de dans le prémier chapitre de l'Evangile de
Jesus. 145. La qualité de diſciple bien ai faint Jean. 1 66
mé distingue faint Jean des autres diſciples. Comme le Fils de Dieu donna par testa
1 yo. Pourquoy ce, diſciple ſupprime fon ment fa fainte Mere à faint Jean. 169.
nom, & n'en prend point d'autre, que ce 6 feq. Comme le Sauveur donna récipro
lui de bien-aimé de Jesus. I 58. Toutes les quement faint Jean pour Fils à ſa Mere.
aćtions de ce Saint portent le caractere de 17o. & ſeq. De quelle maniere faint Jean
l'amour qu'il avoit pour le Sauveur. 16 . devint Fils de Marie. I 57. C'eſt une grande
Les dons & les faveurs que le Fils de gloire à faint Jean d'avoir pour Mere la
Dieu a accordé à ce bien aimé & à ce favo Sainte Vierge. I 7 I.
ri. Le Sauveur a reüni toutes les qualitez Quelques autres choſes qui regardent la
des autres Saints dans ce feul favori. 146. vie de ce grand Apôtre.
Il l'a fait ſon confident , qui eſt la plus Comme le Sauveur reprima l'ambition
grande marque d'amitié. 164. Les ſecrets , de faint Jean & de faint Jacques de
dont il lui a fait part. 16 I. 164. Il lui a mandoient les premieres places de ſon
découvert les chofes à venir. 1 6 5. Il lui a Royaume. 144. Le martyre de faint Jean
donné la connoiſſance des ſecrets des coeurs. devant la Porte Latine. 145. Il a été mar
165. Ó feq. Il lui a découvert ſes propres tyr plus d'une fois. 156. Le zele que ce
penſées. 166. Il l'a inſtruit de ce qui devoit Saint eût pour la converſion d'un jeune
arriver après fas pastion. 167. Il lui donna homme qui avoit abandonné le fervice de
un grand témoignage de fon amour , lorf Dieu , & qui s'étoit perverti. 173. & ſeq.
qu'il institua le Sacrement de l'autel. 162. Comme tous les écrits & les aćtions de S.
La familiarité ſurprenante de ce Saint Jean portent le caractere de la charité, 17;.
Paneg. des Saints. Toine I. M M m m
T A B L E
I N N o c e N r. Le Martyre des Saints zoz. & ſeq. Comment & pourquoy le Fils
Innocens. Titre & avertifſcment ſur ce fu de Dieu , qui étoit venû au monde pour y
jet. 17f. Divers desteins & plans de dif appporter la Paix , commence par y appor
cours ſur ce ſujet. 17s. Les fources où l'on ter la guerre , en permettant le maſſacre
peut trouver dequoy remplir ces deffeins , des Innocens, 177. 197. Ces enfans ont pu
& les Auteurs qui en traitent. 179. Paſſagesblié la gloire de Jesus naiſſant par l'effu
de l'Ecriture ſur ce ſujet. I 8o. Figures & fion de leur fang, 184. Ils ont hautement
exemples d'une ſemblable criauté. 181. publié ſa naiffance. 18 f. Tout a concouru à
publier la naiſſance du Sauveur ; mais par
Applications de quelques paſſages ſur ce ticulierement
fujet. 184. Paſſages des Saints Peres ſur ce le maſſacre des Innocens.
ſujet. 188. Ce qu'on peut tirer de la Théo. 186. Ils ont publié par leur mort la naiſ
logie par rapport à ce ſujet. I 89: Les en fance du Meffie plus éficacement que les
droits choiſis des livres ſpiritüels , & Mages par leur arrivée à Jéruſalem. 187.
des Prédicateurs modernes ſur ce ſujet. 196. On a appris par ce maſſacre la véri
I 9 5. té des Prophéties. -I 97. I 82.
Les Innocens font véritablement Mar · La crüauté d'Hérode , & l'horreur du
tyrs , & reconnûs pour tels par l'Egliſe , & maſſacre des Saints Innocens.
par tous les Théologiens. 189; & feq. Ce Comparaiſon d'Hérode & de Pharaon
qui eſt néceſſaire pour être véritablement dans la mort des prémiers nez des Hé
martyr fe trouve dans la mort de ces en breux. 181. Quelques exemples de crüau
fans 19o. Ils ont auſſi reçû, felon faint tez , ſemblables à celle d'Hérode. 18z.
Thomas , l'Auréole du martyre. 192. Ce Exemples de pluſieurs perſécutez comme
que le martyre de ces Innocens a de parti les Innocens. 183. Figure du meurtre des
culier. 191. La confeſſion de foy , qui eſt Innocens, quand l'Arche-d'Alliance entra
néceſſaire au martyre, fe trouve en celui-cy.dans Betléhem. 18;. La voix du fang de
186. 191. & ſeq. Le Fils de Dieu , par le ces Saints Innocens , comme celui d'A
mérite de fon fang a ſupplée à la liberté qui bcl , monta juſqu'au Ciel pour demander
manquoit à ces enfans. 192. Ces Saints In vengeance. 181. & ſe fit entendre au tri
nocens ont été juſtifiez & baptizez dans bunal de Dieu. 192.
leur fang. 193. Le ſacrifice le plus agréable La Sagefle divine , confondit en cette
à Dieu est ceiui qu'on lui fait de la propre occaſion la politique d'Hérode, & rendir
vie. 193. Čr feq. Jamais nous ne rendons inutile fon projet. 184. i 86; & ſeq. Pein
plus de gloire à Dieu qu'en fouffrant pour ture des inquietudes & des foupçons d'Hé
fon amour. 2.o I. Comme ces Saints Inno rode. 197. Cr feq. Ce malheureux politi
cens ont confesté le nom du Sauveur par la que contraire à lui-même dans fa condui
voix de leur fang. 187. te. 199. C'eſt par la perſécution d'Hérode,
Le bonheur de ces Saints Innocens d'a & le meurtre de ces Innocens, que Dieu a
voir été mis à mort pour Jesus CHR1sr. jetté les fondemens du Christianiſme. zoz.
198. & ſeq. Ils ont été les prémiers Elus , S. Jo s E P H, Epoux de la Sainte Vierge.
& les premieres victimes immolées pour ce Titre & Avertiffement fur ce ſujet. Page
Dieu naiffant. 185. En quoy ils ont imité 2o4. Divers deſfeins, & plans de diſcours
le Sauveur même qui en naiſſant s'eſt of. fur ce fujet. 2o 5. Les fources où l'on peut
fert à fon Pere Éternel comme une victime. trouver dequoy remplir ces deſfeins , &
183. Le Fils de Dieu n'auroit pas permis , les Auteurs qui en traittent. 213. Paſſages
que ces enfans euffent perdu la vic pour lui, de l'Ecriture ſur ce ſujet. 2 15. Figures »
& à ſon occaſion , s'il n'eût voulu les ré & Exemples tirez de l'Ecriture fur ce ſujet.
compenſer par quelque choſe de plus pré 16. APplications de quelques paſſages de
cieux. 2.o1. L'avantage que la perſécution l'Ecriture à ce ſujet. 2:6. Paſſages &
d'Hérode leur a procuré, 2o1. Peut être que Penſées des Saints Peres ſur ce ſujet. 13 1.
la plûpart de ces enfans euffent perdu Ce qu'on peut tirer de la Théologie par
leur innocence , s'ils euffent veců pluſieurs rapport à ce ſujet. 2o 3. Les endroits choi
années. 2oo. Les perſécutions que les mé fis des livres ſpiritüels & des Prédicateurs
chans font aux gens de bien , tournent à modernes. 2 57
leur avantage. ibid. & ſeq. Nous devons Quelle a été la fonétion & le ministe
fouhaiter la mort , avant que d'avoir per re pour leſquels faint Joſeph a été pré
du l'innocence. 18f deſtiné de Dieu. 24o. Le miniſtere de
La gloire que la mort de ces Saints a pro ce grand , Saint a été tout fingulier , &
curé au Sauveur , & le tien qui en a réuſſi. difểent de tous les autres. 145. Ce mi
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D E S M A T I E R E S.
nistere, & cette miſſion a été de cacher & bien afforti. 269. La reſſemblance d'hu
de tenir ſecret le myſtere de l'Incarnation , meurs & de vertus entre faint Joſeph & la
au lieu que celui des Apôtres a été de le pu fainte Vierge. I 17. 2 ;o. 273. Jamais ma
blier. 143. Le Pere Eternel ayant fait choix riage n'a été plus heureux. z 34, 27o. Com
de ce grand Saint pour ce haut deficin , lui bien faint Joſeph a été fanćtifié par ſon al
a donné les qualitez néceſſaires pour l'exé: liance avec la ſainte Vierge, 271. La plû
cuter. 247. D'où vient que Joſeph a eủ plus part des hommes ne conſultent point la vo
de part que nul autre au bienfait de l'In lonté de Dieu, en s'engageant dans l'état
carnation. 148.Les rares qualitez de ce Saint du mariage. 269
l'ont rendu digne de ce haut miniſtere. 242. Saint Joſeph confideré en qualité d'époux
D'un côté Dieu a voulu qu'il fût du fang de la fainte Vierge.
royal , & pourquoi. 241. D'un autre côté il Combien ce Saint a dû être parfait pour
a voulu que ce même Joſeph menât une vie être digne époux de la Mere de Dieu. 234.
obſcure, & fut inconnu parmi les hommes En cette qualité il a eủ le plus de part à
exerçant le métier d'un artiſan. 267. cr feq. l'affećtion de ſon épouſe , & à toutes les
Par ce moyen il a parfaitement tenu ſecret graces qui font les fuites de cette affection.
le myſtere de l'Incarnation. 167 239. Le cæur de Joſeph n'étoit point parta
Saint Joſeph a été figuré dans l'Ancien gé entre Dieu & fon épouſe , comme il ar
Teſtament. rive dans les autres mariages. 241. Le ref
Le fonge de l'ancien Patriarche Joſeph ; pećt & la veneration que Joſeph avoit pour
figure de la véritable grandeur & de l'auto la fainte Vierge fon épouſe. 244. La fainte
rité de faint Joſeph. 2 I 7. Vierge a communiqué à faint Joſeph fon
La mysterieuſe échelle de Jacob expli époux le droit qu'elle avoit fur fon Fils.248.
quée en faveur de faint Joſeph. 117. La foy Marie comme diſpenſatrice de toutes les
de faint Joſeph plus excellente que celle d'A graces , combien en a-t-elle procuré à faint
braham, qui crût que Sara lui donneroit un Joſeph , qu'elle étoit obligée d'aimer plus
fils nonobſtant fa ſterilité, 117 Joſeph pou que tous les hommes ? 1 ; 8. 278. Il y a fujet
voit avec plus de raiſon donner à la Sainte d'admirer les perfećtions de faint Joſeph
Vierge le nom de fa ſæur, qu'Abraham à fa proportionnées à la qualité d'époux de la
femme Sara : Dic quòd foror mea fis. 2 19. Reine du Ciel. 268. Pour juger du merite
Il a été inſtalé dans la charge de miniſtre de faint Joſeph , il faut penfer quel a été
de la famille de Jesus-CHR 1sr autrement celui de Marie ſon épouſe. 287. & ſeq.
que l'ancien Joſeph dans la charge de mi Saint Joſeph conſideré en qualité de pere
niſtre de Pharaon. 2 zo. Il eut comme en de Jesus.
dépôt la Sainte Vierge, comme l'Arche Par quels titres le nom de pere de Jesus
d'Alliance fut miſe en dépôt dans la maiſon eſt dû à faint Joſeph. 23 5. 245. C'eſt par
d'Obededom. 119. L'étenduë du coeur de S. une élection divine queS.Joſeph a été choifi
Joſeph avec celui de Salomon par rapport pour tenir lieu de pere au Sauveur 243,
a leur miniſtere. 2 21. Eleazar fanćtifié pour 274. La gloire de faint Joſeph est d'avoir un
garder l'Arche-d'Alliance ; figure de faint fils qui eſt Dieu. 249. Combien il lui eſt
Joſeph. 223. & 224. glorieux d'avoir paſſé dans l'opinion des
Le mariage de S. Joſeph avec la très ommes pour le veritable pere du Sauveur,
fainte Vierge. 2 ; 1. Le Pere Eternel en communiquant le
Il falloir pour l'honneur de la mere du nom de pere de fon Fils, lui a communi
Sauveur, qu'elle eût un époux, avec le qué ce qui lui eſt propre, & qu'il n'a com
quel elle contraćtât un légitime mariage. muniqué à nul autre , fçavoir fa paternité.
Les Théologiens demandent fi l'Incarna 257. Le ſeul titre de pere du Sauveur vaut
tion du Verbe s'eſt faite devant ou après le mieux que tous les éloges imaginables.242,
mariage, 236. Le mariage de faint Joſeph 272: 6 feq. Joſeph a merité le nom de pere
avec la fainte Vierge a été un véritable de Jesus , pour lui avoir fauvé la vie. 236.
mariage. 24o. Ce mariage a été auſſi veri Pour l'avoir nourri durant trente ans , pour
table qu'il a été faint. 247. Le mariage, où avoir été fon Maître.237. Pour l'avoir adop
par un conſentement mutuel les deux par té , & avoir été fon Tuteur. 2 16
ties demeurent vierges , ſubſiſte par une Comme en confequence du titre de pere
union plus étroite que celle des mariages de Jesus, faint Joſeph s'eſt acquité envers
ordinaires. 248. Le mariage de faint Joſeph lui de tous les devoirs d'un pere.
& de la fainte Vierge a été un ouvrage du Joſeph a eû un amour de pere pour Jesus.
Ciel. 169. é fq. Combien cc mariage a été 248. Cet amour a été ſenſible & con patif
M M m m ij
T A B L E
fant. 146. Joſeph a été comme le ſubſtitut joüi de la preſence & de la converſation du
de la Providence divine envers le Fils de Sauveur. 161. Il a été plus heureux d'avoir
Dieu , & le fien.2 5o.Le zéle qu'il a ců pour été ſous la conduite du Fils de Dieu, que de
la gloire du Sauveur.261.Il l'a nourri comme l'avoir eû fous fa conduite. 165. Le Sauveur
fon fils du travail de ſes mains. 261. Il l'a a employé plus de temps & de foins pour la
défendu contre la fureur d'Herode qui en fanćtification de faint Joſeph, que pour
vouloit à fa vie. 16 1. Le Saint-Eſprit ayant l'inſtruction du reſte des hommes. 284. ó
cedé à Joſeph la qualité de pere du Sauveur, fe
lui a donné toute la tendreife & l'affection S. Joſeph confideré en qualité de chef &
d'un veritable Pere. 264. Joſeph a donné de maître de la famille du Fils de Dieu. 139
au Fils de Dieu toutes les marques les plus Le fonge de l'ancien Joſeph , figure de la
fenſibles de ſon affećtion paternelle. 264. Čr grandeur & de l'autorité de faint Joſeph.
feq. Cet amour a été vigilant , tendre , & 116. Le Saint-Eſprit a donné à faint Joſeph
juſte ; ce font les qualitez de l'amour pater l'autorité qu'il avoit ſur la fainte Vierge.
nel. 265. 276. Dans l'amour qu'il portoit 21o. Saint Joſeph entre en quelque maniere
au Sauveur, il ne pouvoit y avoir ni abus , dans les droits du Pere Eternel à l'égard de .
ni excès. 16 5. Il a trouvé dans cet amour Jesus.CHR 1st. 2 3 5. Comme faint Joſeph a
dequoi fatisfaire la grace & la nature tout eû un veritable pouvoir fur ce Sauveur en
à la fois. 166. Comme fa vigilance fauva le qualité de Pere. 238. 241. La fainte Vierge
Sauveur du monde de la cruauté d'Herode. a été foûmiſe à faint Joſeph. 2.4o. Perſonne
171. La force de l'amour que Joſeph a ců n'a porté la qualité de Pere comme faint
pour ce Fils bien aimé, a été jointe avec la Joſeph. 144. Dieu n'a point voulu que fon
tendreſſe. 177. En qualité de pere du Sau Fils lui fût offert en qualité de viétime, que
veur il a cú fart à fes fouffrances & à ſes Joſeph & Marie n'euffent cedé leurs droits
perſecutions. 28o. La douleur qu'il reflentit en faveur des hommes. 244 Le Pere Eternel
lorſqu'il eut perdu durant trois jours la pre dont la providence pourvoit de nourriture
fence de ce Fils. 285. Il a facrifié fa gloire & à toutes les créatures, s'eſt déchargé ſur
fon honneur pour le ſervice & les interêts faint Jo eph de celle de fon Fils. 246. Ór
de cet Homme-Dieu. 284 feq. La ſainte Vierge n'ignoroit pas qu'en
Les dons, graces, faveurs , & les biens prenant S. Joſeph pour époux,elle devoit lui
dont le Fils de Dieu a comblé faint Joſeph être foúmile. 15o. C'eſt une gloire incom
comnie ſon pere putatif. parable pour faint Joſeph de commander en
saint Joſeph a été plus favoriſé qu'Abra qualité de pere au Sauveur du monde. 2 5 t.
ham , & les autres Patriarches qui O Ilt tant 174. Il a cú un grand fond de fageffe pour
fo ' aité de voir le Meffie. 2 2 2. Ce Saint a exercer fon autorité fur JEsus-CHR1sr &
eû ; : bonheur de poſleder ce Verbe incarné, fur la fainte Vierge. 2 53. La fageffe dans la
d'avoir joüi de fa preſence , & de l'avoir conduite extérieure du Verbe Incarné. 1 59.
fait repoſer fur ſon fein. 2.29. Le Sauveur L'honneur que le Fils de Dieu & la fainte
s'eſt donné lui même à faint Joſeph , en le Vierge ont rendu à faint Joſeph. 275. On
prenant pour fon pere, & le regardant en peut dire de lui plus juſtenent que de l'an
cette qualité. 149. Le Sauveur en fe don cien Joſeph , qu'il a vâ ie foleil & la lune
nant lui même à faint Joſeph , lui a donné l'adorer. 2.78
un tréſor qui renferme tous les biens. ? 58. Les principales vertus de faint Joſeph.
S. Joſeph a été long temps le gardien de ce Le vrai caraćtere que l'Ecriture fait de
tréfor; faveur infigne. 128. & ſeq. S. Joſeph faint Joſeph , en lui donnant le nom de
a poſſed : le Fils de Dieu ; ce qui l'a rendu le juſte. 2. 18. L'idée que nous devons conce
plus riche de tous les hommes , quoiqu'il voir de ſon mérite par cette qualité de
ftit le plus pauvre des biens de la terre. 2 18. jufte. 229. Ó feq. Combien fa foy a été ex
| En quel fens on peut dire que Jesus a cellente. 2 5 1: ze ſeq. Sa co duite pleine de
; appartenu à faint Joſeph. 237. Jesus appar fageſle & de douceur, quand il s'apperçât
tient à faint Joſeph , comme un tréfor qui de la grofeſſe de fon épouſe. 2. f4. 268.
s'est trouvé dans fon champ. 138. S. Joſeph 279. Ses vertus ont ſurpaffě celles de tous
s'eſt fan&tifié par la preſence de J F s u s les hommes. 2 59 Sa patience dans les tra
C H R 1 s r , & par la longue converſation vaux qu'il a foufferts pour le Fils de Dieu.
qu'il a cúë avec lui. 14o. Pius faint Joſeph a 26o. Sa confiance en la Providence, quand
été uni à la fource des graces , qui eſt le il eut ordre de fuir en Egypte. 266.4 8. Il
Fils de Dieu, plus il en a reçů. 254. Le a été content de ſon état , & de la vie obf
bonheur de faint Joſeph , d'avoir toújours cure que Dicu a voulu qu'il menât. 2.82. Sa
D E S M A T I E R E S.
fidelité à exécuter les ordres de Dieu. 181.
uelle a été celle qui a été donnée à faint
283. La grande humilité de faint Joſeph. dans fon mariage avec la fainte
285. En quoi fon humilité a été toute fin Vierge. 253. Dieu ayant deſtiné ce grand
guliere. 186. & ſeq. La vie de faint Joſeph Saint pour être le tuteur, le gouverneur , &
n'a été qu'humiliation. 187 le Pere nourricier de ſon Fils , lui a donné
L'éloge & les grandeurs de faint Joſeph. les qualitez néceſſaires pour tous fes em
On peut dire de faint Joſeph , comme Plois. 263. Le trouble où il fe trouva en
de faint Jean-Baptiſte, qu'il eſt grand de voyant ſon épouſe enceinte. 17o. Dieu qui
vant Dieu. 2 18. Eloge de faint Joſeph. 2 26. avoit mille moyens de garentir fon Fils de
La grande connoiſſance que faint Joſeph a la fureur d'Hérode, a voulu que faint Jo
eủë du Fils de Dieu. 23 o, & ſeq. Les occa feph củt cette gloire. 17 z. Quelle fut la ré
fions où faint Joſeph a fait paroître fa fide compenſe que Jesus & Marie demanderent
lité & fa prudence. 224. La méſure des gra au Pere Eternel pour les ſervices que faint
ces & des faveurs que faint Joſeph a reçủës Joſeph leur avoit rendus. 225
du Ciel, fe doit prendre des deux fonctions
qu'il a exercées de pere de Jesus, & d'é L.
poux de la fainte Vierge. 2 5 1. & ſeq. Les
fervices que Joſeph a rendus à Dieu fur la A R M E s. L'effet & le pouvoir des lar
terre, différens de ceux des autres Saints en mes d'un pecheur pénitent. 5o9. Elles
ce qu'il les a rendus immédiatement au Fils lavent toutes les foülliures de l'ame. ibid.
de Dieu. 2 54. Abrégé de fes grandeurs , & · Liberalité du Sauveur à recompenſer les
de fes mérites. 181. Ở fq. 286 moindres ſervices qu'on lui rend. 63 1
La dévotion envers faint Joſeph , & l'i
mitation de ſes vertus. M.
• La fainteté de faint Joſeph toute émi
nente qu'elle eſt , eſt pourtant facile à imi A I N T E M A D E L A 1 N E. Titre &
ter. 2 8o. Cr ſeq. Les reſpećts que nous ren avertiflement ſur ce ſujet. Pag. 471. Di
dons à faint Joſeph , doivent être animez vers deficins & Plans de diſcours ſur ce fu
d'une veritable confiance 176. Sur quoi eſt jet. 471. Les fources où l'on peut trouver
fondée la dévotion envers faint Joſeph 2 5 5. dequoi remplir ces defleins , & les Auteurs
Il a des fentimens de pere à l'égard de tous qui en traitent. 474. Paſſiges de l'Ecriture
les hommes. 2 56. Ce feroit un fentiment fur ce ſujet. 482. Figures & exemples tirez
injurieux de croire qu'il ne s'intercfie pas de l'Ecriture 483. AP Plications de quelques
dans nôtre bonheur. 256 Toutes fortes de Paſſages de l'Ecriture. 486. Paſſages & Pen
perfor nes de tous états , & de toutes fortes fées des faints Peres ſur ce ſujet. 49o. Ce
de conditions peuvent avoir recours à faint qu'on peut tirer de la Théologie Par rapport
Joſeph , & trouvent dequoi imiter en fa à ce ſujet. 493. Les endroits choifis des li
perſonne, 1 f6. Pourquoi la dévotion envers vres ſpiritucis , & des Prédicateurs moder
faint Joſep i n'a pas été publique dans les Il CS. 5 O l.
premiers ſiécles de l'Egliſe. 243 Le pouvoir Quelle étoit Madelaine avant ſa con
de faint Joſeph auprès de Dieu, plus grand Wcrilon.
éclaire les perſonnes charitables , & leur La vocation de Saul , lorſqu'il perſécu
fait connoître les véritez éternelles. 612 toit les Chrêtiens.
Mystere renfermé dans cet unique néceſ Trivilege conſidérable de fa vocation.433.
faire , que le Sauveur dit à fainte Marthe Il fût éclairé d'une lumiere qui diffipa en
6 o 5. Sainte Marthe repondit parfaitement un moment toutes ſes ténebres. 43 5. On
aux graces que lui faiſoit le Sauveur. 626. demande fi lors que le Sauveur apparut à
faint Paul, il quitta le ciel , ou s'il multi
N.
plia ſa préfence. 432. En quel fens le Fils de
Dieu a fait pour faint Paul ſeul, ce qu'il
A B U c H o D o N o s o R. Sa ſtatuë a fait pour tous
les hommes, 433. Quoi
miſe en pieces par une petite Pierre. que Saul n'eût aucun mérite , à quoy Dieu
8
eû égard dans cette vocation il a vů dans
* m. Le changement de nom , que Dieu lui des femences de vertu, & des diſpoſi
a fait à l'égard de quelques perſonnes de tions à devenir un grand Apôtre. 434.
l'Ancien Teſtament. - 3 57
Dieu vint chercher Saul, dans le plus grand
Nües. Comparaiſon des nües avec les éloignement de Dieu , où il étoit & la plus
Apôtres. grande oppoſition à la grace. 44o. Avec
quel appareil le Sauveur lui a PParut. 444.
O. La converſion de faint Paul.
Les raiſons que S. Paul méme apporte de
O Bordres
É iss A N ce
de Dieu.
de faint Joſeph aux fa converſion. 444. Marques ſûres d'une vé
1.32 · 282, 28
5 ritable & parfaite converſion.44 5.La conver
Obededom qui reçût l'Arche d'Alliance en fion d'un pecheur est un effet de la g" ;
1c]
D E S M A T I E R E S.
ciel. 446. Le Fils de Dieu employe ſon Patience. 451. Saint Paul ſouffre pour Dieu,
pouvoir pour convertir faint Paul.42 1. 446. ce qu'il avoit fait ſouffrir aux fideles. 451.
Les reproches qu'il lui fait regardent tous Comme il a été expoſé à tous les dangers,
les pecheurs. 446. 447. La grace qui obli il a riſqué fa vie & fa ré, utation pour le
gea faint Paul à renoncer à ſes prejugez , fervice du Fils de Dieu. 4 54
combien forte & prestante. 448. Effet des L'Apoſtolat & le miniſtere de faint Paul.
paroles du Sauveur fur le coeur endurci de Dieu n'a eû nul égard aux qualitez de
faint Paul. ibid. faint Paul pour le faire digne miniſtre de
C'eſt le triomphe de la grace que de fai fa parole. 4; 5. Le témoignage de cet Apô
re d'un perſécuteur un Apôtre. tre pour la divinité de Jesus-CHRısr, étoit
Saul le grand ennemi des Chrêtiens a été fans replique & le plus convainquant. 43 1.
une conquête digne du Fils de Dieu. 45 z. Il eſt véritablement le Prédicateur des Gen
Difficultez qui le trouvoient dans la con tils. 461. Il fait pour l'Egliſe ce qu'il a fait
verſion de ce grand pecheur. 436. 46o. Pour la Synagogue. 461. Les autres Prédi.
Comme il a vaincu en un moment tous ces cateurs tirent de lui leurs lumicres. 46 1.
obſtacles. ibid. Saint Paul prêchant aux nations eſt un ad
Saint Paul converti & changé. L'opera mirable ſpectacle. 44 f. Le déſir qu'avoit
tion de la grace dans faint Paul fût tout-à: faint Augustin de voir & d'entendre prêcher
fait extraordinaire. 431. Comme faint Paul faint Paul. 454 Former des Chrêriens, a
répondit fidelement à la grace. 436. Entre fait une parti de fon miniſtere qui lui a
tous les ouvrages de Dieu rien n'eſt ſi ad mérité le titre c'Apôtre. 458. La grace a
mirable que la converſion des pecheurs , & operé les mêmes effets fur Paul Apôtre que
fur tout , que celle de faint Paul: 438. On ſur Saul perſécuteur. 458. Il apprit de Dieu
voit dans l'exemple de faint Paul, comme même les véritez qu'il a enſeigné aux hom
la grace s'accommode aux différentes in InCS, 464
clinations , & aux naturels des perſonnes. Le grand zele de cet Apôtre.
4. La grace agit differemment felon les A peine est-il converti qu'il prend le def
différens ſujets , & : elle a agi ſur fein de convertir tout le monde. 463. La
:..t Paul . Il y a des graces imPor vaſte étenduë de fon coeur qui forme ce
'
fi il n'y a
grand deffein. ibid. Peinture de fes con
preſque de reſſource
plusde Dieu de falut. quétes. 449. Il fait voir par fon zele im
37. Le Fils en laint
menſe, l'immenfité de Dieu. 461. Son Apof
Paul , n'a pas détruit fon nature 1mpe tolat doit être appellé univerfel, & en quel
tueux, mais il lui a ſeulement fait changer ſens. 466. La comparaiſon que le Saint Ef
d'objet. 451. Le Fils de Dieu renvoya à prit fait des nüées avec les Apôtres, peut
Ananias pour être inſtruit de ce qu il de être particulierement appliquée à faint
voit faire, & pourquoy. 43* 9" doit ju Paul. 4vo Son zele pour la gloire de Dieu
ger de la finceri é de la converſion de faint& le falut dN fes freres preférable à celui
l'aul, par la douleur qu'il eût toute ſa vie de Phinées & de Moyſe. 411. En quel fers
d'avoir été un perſécuteur..439. Sa réfigna il a fouhaité d'être anatheme pour ſes fre
tion parfaite à la volonté de Dieu. 469. Les ICS. 427
fentinens de faint Paul penitent. 476. Sur Ses grands travaux pour s'acquiter di
priſe des Juifs & des Chêtiens ſur le chan gnement de fon miniſtere.
gement de faint Paul. 449. Saint Paul con Saint Paul fenoble n'avoir été appellé à
erti, modele de la converſion des pecheurs, l'Apostolat que pour fosffrir. 464. Peinture
& de ce qu'ils doivent faire. 42 +. Différens de toutes fes peines pour la propagation
effets de la parole de Dieu appliquez i la de l'Evangile. 46 f. Il ne faut pas s'éton
converſion de faint Paul. 4 s. La converſiºn ner fi animé du zele de la gloire de Jesus
CHR 1sr & du falut des ames , il a tout
de ſaint Paul eſt un fujet d'eſperer i mais
non pas une occafion , ni un motif de per fouffert pour ce ſujer. 457. Ses travaux ont
feverer dans le crime. 447 été partagez entre les Juifs & les Gentils ,
combattre la doćtrine. 467.
faint dont il eût à qu'il
L'épreuve à laquelle le Sauveur mit Djeu
Paul, fi tôt qu'il fût converti: 457, Les dangers courut , & les perfecu
fi oir à faint Paul combien il aura à ſeuf tions qu'il ſouffrit, 454. Sa joye dans les
fouffrances pour la gloi e de Dieu , &
: : comme
frir pour la
Ce Saint gloire
s'offre à toutde faire , & à 4*6:
fon nom, tout fouf il fait gloire de ſouffrir pour ce
frir pour Dieu. ibid. Les perfécutions con fujet. 413. će ſeq. Comme il fe faiſoit hon
tinüelles qu'il a fouffertes, oor exercé ſa deur de porter les margºes de fes ſouffran
N N nn
Paneg: des Saints. Tame I.
T A B L E *
ces pour Dieu. 455. Les plus grandes per Saint Pierre eſt appellé le fondement , &
fécutions qu'il ait fouffertes, ont été de la la pierre fondamentale de l'Egliſe , par
part des Juifs 449. Peinture de fa fermeté, communication d'un titre qui appartient
& de fon intrepidité dans les danges de fa en propre au Fils de Dieu. 356. Abregé des
vie , & dans les accuſations devant les Ju grandeurs & des privileges de faint Pierre
ges. 453 46 5 fur le plan qu'en a fait faint Bernard. 404.
Son raviſſement juſqu'au troifiéme ciel. L'Egliſe militante,ſouffante & triomphan
Ce raviſſement eſt préférable à la faveur te , prend interêt dans l'éloge dd l'Apôtie
que reçûrent trois Apôttes ſur le Thabor. faint Pierre. 384. Il y a cú une eſpece de
41o. Les lumieres qu'il rapporta du troi combat entre , Esus-CHR 1sr & ce diſciple
fiéme ciel. 453. Dieu prit ce moyen de à qui ſe donneroit mutuellement plus de
l'inſtruire de fes ineffables mysteres, & de loiiange. 3 84
l'attacher à ſon fervice. 46 I L'amour de faint Pierre envcrs le Fils de
Les principales vertus de ce grand Apô Dieu. 3 87. 39o. Marques & témoi
tre. gnages de cet amour. 399. Le Sauveur
Sa charité , & fon union avec Dieu étoit exige de tous les Paſteurs le même amour
fi forte qu'il protette lui-même que rien qu'il a exigé de faint Pierre. 4ο4. Pierre
n'étoit capable de l'en ſéparer 4 ff. Son aimant le Sauveur , comparé avec faint
humilité fi grande qu'il s'eſtime & s'ap Jean, le diſciple bien ainé. 3 58
pelle le premier des pécheurs. 438. & 467. La foy de cc grand Apôtre. 387. Elle pa
Sa pureté , & autres vertus. 468. L'amour roît dans toutes les aćtions , & toutes les
& le zele qu'il avoit pour l'Eglife. 461. Sa avantures de fa vie. 4o 5. Dans une ſeule
mortification ſurprenante. 467. Il mortifie occaſion il témoigna un peu de défiance.
fon corps , & pourquoy ? Obligation que 4o3. La foy de faint Pierre & la récom
nous avons de l'imiter cn ce point. 41 5. penſe qu'il en reçût, fut plus grande que
437. 459. celle d'Abraham, & que la poſterité nom
Quelques autres choſes qui regardent breuſe, qui fût la récompenſe de la foy de
l'Apôtre ſaint Paul. ce faint Patriarche. 3 59. Comparaiſon de
Eloge de cet Apôtre. 439. 44o. Elo la foy de faint Pierre avec celles de quel
ge de ſes Epîtres , & l'estime que nous ques perſonnes , qui font loüées pour ce
en devons faire. 469. Ce Saint dans le ciel fujet dans l'Evangile. 3 59. En quels ſens fe
s'employe encore à la converſion du mon doivent entendre les paroles du Sauveur, &
de. 46 3. il continuë encore de nous inſtrui fa priere , afin que la foy de cet Apôtre ne
re par les Prédicateurs. 466. Le fruit que vint Point à manquer. 374. 375. Comme
l'on peut tirer de la lećture des Epîtres de nôtre foy doit reſſembler à celle de faint
faint Paul. 4: 2. & ſeq. Les Prédicateurs Pierre, 388
puiſent dans ſes Epîtres les plus importan La confeſſion de foy de faint Pierre.
tes véritez , &c. 46 I Le Fils de Dieu interroge fes Apôtres
S A 1 N r P 1 E R R E. Titre & aver fur ce qu'on difoit, & ce que l'on croyoic
tiffement ſur ce ſujet. 344. Divers deſ de lui. 36o. Réponſe de faint Pierre à cette
feins & plans de diſcours ſur ce ſujet. 345. demande, & ſa glorieuſe confeſſion de foy.
cr feq, Les fources où l'on peut trouver de 36 1 . Cette glorieuſe confeſſion nous ap
quoy remplir ces deſfeins , & les Auteurs prend tout ce que nous devons croire de la
qui en traitent. 3 ;o. & ſeq. Paſſages de perſonne de Jesus-CHR1 s r. 361. Cette
l'Ecriture ſur ce ſujet. 3 53. Exemples & fi même confellion fût faite par revélation
tirées de l'Ecriture. 354 Applications divine. 3 6 2. Comme faint Pierre s'éleva au
e quelques paflages de l'Ecriture à ce fujer. deſſus de la raiſon , de rout ce qui eſt fen
36o. é feq. Paſſages & penſées des Saints fible , & même au-deſſus des lumieres des
Peres ſur ce fujer. 365. & ſeq. Ce qu'on Prophètes, pour reconnoître Jesus-CHR 1sr
peut tirer de la Théologie par rapport à ce Fils unique de Dieu. 386. Saint Pierre ne
fujet. 3 7o. & ſeq. Les endroits choifis des juge pas de la perſonne du Sauveur com
livres ſpiritüels , & des Prédicateurs mo nie le commun des hommes ; mais par la
dernes ſur ce ſujet. 384. & ſeq. révélation du Pere celeſte. 4oz. Nous pou
Pourquoy le Fils de Dieu, en appellant vons participer au bonheur de faint Pierre,
faint Pierre à ſa fuite, lui changea fon en confeffant JEsus CH A 1st comme lui.
nom. 371. Le changement de nom a 363. La connoistance que nous avons de
toujours marqué dans l'Ecriture quelquc Jeseis. CHR 1st , fair nôtre véritable bon
grand deflein de Dieu ſur les perſonnes, 3; 6. heur. 403. L'obligation qu'ont les Chrê
D E S M A T I E R E S.
tiens de profeſſer leur foy, & de bouche & établie, il falloit que faint Pierre eût des
de coeur, comme fit faint Pierre. 388. L'é fucceſſeurs qui la gouvernaffent avec la mê
levation de faint Pierre a été la récompen me autorité. 379. C'eſt en vain que tous les
fe de la confeſſion qu'il fit de la Divinité de heretiques ſe font efforcez d'ôter à faint
Jesus-CHR1sr. 371. 394 Pierre le pouvoir que Dieu lui a donné.3 89
La primauté donnée à faint Pierre ſur les Comme le Fils de Dieu a établi fon Egli
autres Apôtres en vúë de fa confeſſion de fe fur faint Pierre. En quel ſens on doit en
foy. 376. Il étoit juſte que faint Pierre eût tendere ces paroles : Super hanc petram edi
la primauté dans l'Egliſe du Sauveur, & ficabo Eccleſiam meam. 373. Comment faint
pourquoi. 372. En remontant juſqu'aux Pierre peut être le fondement de l'Egliſe, vû
premiers fiécles, on trouvera dans les Peres que faint Paul nous aſsûre qu'il n'y en a
la primauté de faint Pierre folidement éta point d'autre que JEsus. CHR i sr. 381. L'E
blie. 377. La maniere différente dont Dieu glife eſt bâtie fur trois fondemens, & quels
parla à faint Pierre, & aux autres Apôtres, ils font. 3 8 1. La fermeté inébranlable de
en lui donnant les clefs du royaume du l'Egliſe fondée fur faint Pierre, contre la
Ciel. 376. Rapport de la confeſſion que quelle les portes de l'enfer ne prévaudront
faint Pierre a faire, avec la recompenſe Jamais. 4O6
qu'il en a reçûë. 393. La primauté de faint La Chaire de faint Pierre, & l'infaillibi
Pierre déclarée par le Fils de Dieu, & re lité de l'Egliſe en matiere de foy.
La Chaire de S. Pierre eſt le centre de l'u
connuë par les autres Apôtres. 394
Saint Pierre a été étabii Vicaire de Jesus nité & de la communion de toutes les Egli
CHR1sr , & après Jesus-CHR1st Chef vi fes. 376. Les faux oracles du Paganiſme ont
fible de fon Eglife. 363. li étoit néceffaire ceffé ; mais les veritables oracles, & les ve
qu'il y eût toûjours dans l'Egliſe un Chef ritez de la Foy déclarées par l'organetoû des
viſible, & pourquoi. 363. Le Fils de Dieu fucceſſeurs de faint Pierre ſubſisteront
en donnant à faint Pierre cette qualité, lui jours dans l'Egliſe. 357. Le fecours que le
donna la fageffe, & les connoiſſances né Fils de Dieu promet a fon Eglife, eſt l'aliif
ceffaires pour cé glorieux employ. 36 I. Le tance du Saint Eſprit promiſe aux ſucceſ
Sauveur ne donna qu'après ſa Réſurrećtion feurs de faint Pierre qui parlent au nom de
les clefs du Ciel à faint Pierre, comme à ce l'Eglife. 374. La foû miſſion que nous ren
lui qui devoit déformais tenir fa place, dons au Chef, & l'union que nous avons
quoiqu'il lui eût promis ce rang & cet hon avec lui , marque que nous fommes mem
neur avant fa mort. 371. Le rang & la qua bres de l'Egliſe. 373. L'attachement que
lité de Chef viſible de l'Egliſe a paſſé de nous avons à l'Egliſe Romaine , & à la
faint Pierre à ſes ſucceſſeurs. 364. L'Eglife Chaire de faint Pierre, eſt la preuve certai
de Jesus-CHR1sr ne peut avoir qu'un ſeul ne de la fincerité de nôtre foy. 376. Les
Chef viſible. 372. La qualité de Chef, & vices & les erreurs particulieres des Souve
la primauté dans l'Egliſe n'a pas ſeulement rains Pontifes n'ont jamais paſſé juſqu'au
été attachée à la perſonne de faint Pierre ; S. Siege ; & jamais l'Egliſe Romaine n'eſt
elle a paſſé à tous ſes ſuccefleurs. Preuves tombée dans l'erreur. 38o. Ce qu'il faur
de cette verité. 378. C'eſt de tout temps penſer de ceux qui n'acquieſcent pas aux
que l'Egliſe a reconnu l'Evêque de Rome fentimens de l'Egliſe & du S. Siege. 379.
pour ſucceſſeur de faint Pierre, & pour Chef On a vů naître toutes les héreſies , & on
vifiole de l'Egliſe. 378 fçait le temps qu'elles ont commencé, mais
Le pouvoir & la juriſdićtion de faint la Foy a toújours conſtamment perféveré
de faint Pierre.
dans la Chaire 399
Pierre en qualité de Chef de l'Egliſe uni
verſelle. 37o. Cr ſeq. 377. Saint Pierre conſideré en qualité d'Apô
Le pouvoir de faint Pierre, & de ſes ſuc tre du Fils de Dieu. 364 4o1. Après la deſ
ceffeurs eſt en certaine maniere femblable à cente du Saint-Eſprit faint Pierre a prêché
celui de Dieu même. 365. L'univerſalité & le premier aux Juifs la Divinité de Jesus
l'étenduë de ce pouvoir. 383. 364. L'éten CHRIST. 396. Il a enfuite étendu ſon zéle
duë de la domination de faint Pierre, & de aux pays voiſins. ibid, Zéle fervent de ce
fes ſucceſſeurs dans le royaume de J E s u s grand Apôtre, pour étendre la gloire du
C H R 1 s r , qui est l'Egliſe. 385. Il eſt ab Sauveur. 4oo. Ce fut le premier qui parut
folument néceffaire qu'il y ait dans l'Egliſe en public pour prêcher l'Evangile. 386. Il
une puiſſance viſible, fous laquelle tous les inſpira aux premiers fidéles la fainteté, &
fidéles foient réünis. 398. Pour maintenir: l'amour de la vertu. 4O2.
l'Egliſe dans l'état que le Fils de Dieu l'a. Sur la chúte de faint Pierre. Pourquoi.
N N n n ij
T A B L E
Dieu l'a permiſe avant que d'établir cet Divers deſfeins , & plans de diſcours ſur ce
Apôtre Pasteur de fon Egliſe. 393. Dans la fujet. 46. & ſeq. Les fources où l'on peur
chủte de cet Apôtre nous devons nous re trouver dequoi remplir ces desteins, & les
connoître ncus mêmes , puiſque c'eſt ce Aureurs qui en traitent. 5o, & feq Paſſages
qui nous arrive fi fouvent. 389. Le fruit l'Ecriture ſur ce ſujet. 52 Exemples & fi
que toute l'Egliſe a retiré de la chûte de cet de
gures tirez de l'Ecriture. 53. 6. feq. Appli
Äpôtre. 355. Saint Pierre après ſa chủte de cations de quelques paſſages de l'Écriture à
vint plus fort ! our confirmer ſes fieres , & ce ſujet. 55. Ở feq: Paſſages & penſées des
plus fenſible à leur foibleſſe , &c. 362.
faints Peres ſur ce ſujet. 61. Ce qu'on peut
Les vićtoires & les triomphes de la foy tirer de la Théologie par rapport à ce ſujet.
de faint Pierre, quand il eût établi ſon Sic 63. & ſeq. Les endroits choifis des livres
ge à Rome. 387. Pourquoi la Providence a fpiritüels , & des Prédicateurs modernes fur
voulu q e faint Pierre mit fon Siege à Ro ce ſujet. 69. & ſeq.
me. 4oo L'état déplorable de la ville da On peut confidérer faint Thomas dans
Rome, avant que faint Pierre y eût établi les tenebres de ſon infidelité, & dans les
fon Siege. 391. L'heureux changement qui lumieres de fa foy. 55. & feq. Comme le
s'y est fait depuis. ibid. Combien la deſtruc nom de Thomas ſignifie un abîme, on peut
tion de l'idolâtrie
dans Rome a rendu faint comparer l'infidelité de cet Apôtre avec l'a
Pierre illustre entre les Apôtres. 391. Il a bîme du néant. 54. Pourquoi Dieu permit
fait du fejour & de la retraite de l'idolâtrie, la chûte de cet Apôtre. 58. Par quels dé
la Capitale du Chriſtianiſme. 4O3 grez il tombe dans cet abîme. ibid.
Les vertus particulieres que nous devons Quelle fut l'infidélité de cet Apôtre, & la
imiter dans faint Pierre. de ce peché. 77. Ó- feq: Cette in
. Nous devons imiter toutes fes vertus, délité tend à détruire la vérité de la paro
mais particuliérement fa foy. 392. 395.Son le du Fils de Dieu. 64. Son incredulité re
rand amour, & fon zéle ardent pour le gardoit l'article fondamental de nôtre Reli
# : la gloire du Sauveur. 4oo. Son gion , favoir la Réſurrećtion du Sauveur.
amour pour la pauvreté. 391. Nous devons 82. Cette infidélité étoit inexcuſable. 64. 6.
penfer å la promeſſe que le Fils de Dieu lui 69. La de l'injure que faint Tho
fit pour avoir tout quitté. 391. Son humili mas falfoit au Sauveur, en refuſant de croi
té. 4o1. Sa force, & fon grand courage re ſa Réſurrection. 71. 6. fq. L'indignité
dans fes perſécutions, & dans ſa mort. du procedé de cet Apôtre repréſente lligno
R.
ráce opiniâtre des eſprits forts de ce tems.79
Les cauſes de la chủte de cet Apôtre.
Sa ſingularité, & fa ſéparation de la
ID E L 1 G I o N. Afsûrance , que dans compagnie des autres Apôtres furent la cau
l'Egliſe Romaine on eſt dans la verita fe de ſon égarement. 66. Sa préſomption en
ble Religion. 397 s'oppoſant au témoignage des autres Apô
Retraite. Eſprit de retraite néceſſaire à un tres. 74. La préoccupation aveugle qui fait
Chrêtien. 3 17 rejetter toute autorité , & tout témoignage
Rome. Siege de l'idolâtrie, avant que d'ê oppoſé à nôrre fentiment. 66. c3- feq. L'a
tre le fiege la Religion. 393 veuglement, de ceux qui ne veulent croire
Refpeċi humain , difficile à ſurmonter. ce qu'ils voyent , & qui leur paroir
514. 517. 518. vident. 56. & 67
S.
La miféricorde du Fils de Dieu envers
S A G es s e du monde , réprouvée de
faint Thomas. 72. & ſeq. 81. La condeſ
Dieu. I 2.
cendance du Fils de Dieu à ſon égard. 78.
La miféricorde du Sauveur envers cc Saint
singularité,eſt le principe d'infidélité. 66 marque avec quelle bonté les miniſtres du
Séparation du monde, combien néceffaire Seigneur doivent recevoir les pecheurs. 8o.
à un Chrêtier). 313 Saint Thomas tombé dans l'abîme de l'in
solitude , École de vertu. 44 fidélité éprouve l'abîme de la miféricorde
Souffrances pour Dieu. 2. OI de Dieu. 58
T.
ce
L'amour de Jesus-CHR1sr envers 59
Saint.
Cet Apôtre répara par ſa confeſſion de Volenté de Dieu. Comme il faut tour
foy le ſcandale que fon infidélité avoit cau fouffrir pour l'exécuter. 426
fé. 58. & feq.- Les paroles qu'il Prononça Voix. Comme faint Jean-Baptiſte fe com
après avoir vů, ou touché les playes du Fīts Pare å une voix. 3 o3
de Dieu, font une preuve & un témoigna Z.
ge de la Divinité du Sauveur. 69. Nous n'a
ons nul ſujet de douter de la Réſurrećtion ZÉiz des Apôtres. V. S. Paul. S. An
du Sauveur après ce témoignage » & une dré. S. Thomas, &c.
telle convićtion. 69. Les principaux articles Zéle de faint Jean-Baptiſte pour la chaf
de uôtre Foy font compris dans la confeſ teté. 322
N N n n iij
Fautes furvenües dans l'impreston de ce premier Tome pour les Panegyriques:
*
Signé R E G E R x.
P E R Ar r s s I o N. ».
O v 1 s par la grace de Dieu, Roy de France & de Navarre ; à nos amez & feaux
Confeillers, les Gens tenans nos Cours de Parlement , Maître des Requêtes ordinaires
de nôtre Hôtel , Grand Conſeil, Prêvôt de Paris , Baillifs, Sénéchaux, leurs Lieute
nans Civils, & autres nos Juſticiers qu'il appartiendra : S A L U r. Nôtre amé le R. P.
V 1 NceNr HouDRY , nous ayant fait remontrer qu'il déſireroit donner au Public la
Bibliothéque des Prédicateurs, s'il nous plaiſoit lui accorder nos Lettres de Privileges ſur ce
néceſſaires ; Nous lui avons permis & permettons par ces Preſentes, de faire imprimer
ledir livre en telle forme , marge, caraćtere, en un ou pluſieurs volumes, conjointement
ou ſeparément, & autant de que bon lui ſemblera, & de le faire vendre & débiter
par tout nôtre Royaume , pendant le temps de ſeize années conſecutives, à compter du
jour de la date des Preſentes. Faifons défenſes à toutes perſonnes de quelque qualité &
condition qu'elles foient, d'en introduire d'impreſſion étrangere dans aucun lieu de nôtre
obéiſſance, & à tous Imprimeurs, Libraires & autres, d'imprimer, faire imprimer, ven
dre, faire vendre, débiter, ni contrefaire ledit livre, en tout ni en partie, fans la per
miſſion expreſſe & par écrit dudit Sieur Expoſant, ou de ceux qui auront droit de lui, à
peine de confiſcation des exemplaires contrefaits, de trois mille livres d'amende contre
chacun des contrevenans , dont un tiers à Nous, un tiers à l'Hôtel-Dieu de Paris , l'au
tre tiers audit Sieur Expoſant, & de tous dépens, dommages & interêts ; à la charge que
ces Pre entes feront enregiſtrées tout au long ſur le Registre de la Communauté des Im
primeurs & Libraires de Paris, & ce dans trois mois de la datte d'icelles ; que l'impreſ
fion dudit livre fera faite dans nôtre Royaume, & non ailleurs, en bon papier, & en
beaux caracteres ; conformement aux Réglemens de la Librairie ; & qu'avant que de l'ex
pofer en vente ; il en fera mis deux exemplaires dans nôtre Bibliotheque publique , un
dans celle de nôtre Château du Louvre, & un dans celle de nôtre tres cher & feal Che
valier Chancelier de France, le Sieur Phelypeaux, Comte de Pontchartrain, Comman
deur de nos Ordres, le tout à peine de nullité des Preſentes ; du contenu deſquelles vous
mandons & enjoignons de faire joüir l'Expoſant ou ſes ayans cauſes, pleinement & pai
fiblement , fans fouffrir qu'il leur ſoit fait aucun trouble ou empêchemens. Voulons que
la copie des Preſentes qui fera imprimée au commencement ou à la fin dudit Livre,
tenue pour duëment ſignifiée , & qu'aux copies collationnées par l'un de nos amez &
feaux Confeillers & Secretaires, foy ſoit ajoûtée comme à l'original : Commandons au
premier nôtre Huiſfier ou Sergent de faire pour l'exécution d'icelles tous aćtes requis &
néceſſaires, fans demander autre permiſſion , & nonobstant clameur de Haro, Charte
Normande , & Lettres à ce contraires : C A R tel eſt nôtre plaiſir. D o N N E’ à Verſail
les le huitiéme jour de Fevrier , l'an de grace mil ſept cent onze , & de nôtre regne le
faixante huitiéme : Par le Roy en ſon Conſeil, D È L A M ET, & scellé du grand
fceau de cire jaune.