Boris Souvarine, "Après Six Mois de Bolchevisation", La Révolution Prolétarienne, N° 5, Mai 1925, Pp. 21-26, Et N° 6, Juin 1925, P. 1-7
Boris Souvarine, "Après Six Mois de Bolchevisation", La Révolution Prolétarienne, N° 5, Mai 1925, Pp. 21-26, Et N° 6, Juin 1925, P. 1-7
A la veille du Xe Congrès, l'Exécutif a adressé sie ou dont celui-là, profite plus que celle-ci. Et
un message au Parti, dénonçant comme n'ayant rien conformément à cette conception, nous ne ferons
de commun avec le bolchevisme des gens comme pas écho à celles des révélations de Bœse suscepti-
Korsch et Cie (qui ont eu le privilège de se ré- bles d'armer les adversaires du communisme, quitte
pandre dans la presse communiste près d'un an à retenir certains renseignements exacts propres à
durant) et recommandant d'introduire dans la nou- instruire le Parti et que la bourgeoisie connaît déjà
velle Centrale d'autres camarades que ceux de la mieux que nous (1).
gauche (!), hypocrite formule signifiant bel et bien Boese passe en revue l'équipe malfaisante qui
de la droite. Voilà qui en dit long sur l'échafau- a démoli le P. C. allemand. Tout ce qu'il dit d'es-
dage de mensonges édifié depuis le Ve Congrès sentiel est vrai. Voici ROSENBERG, cet ornement du
mondial par les « bolchévisateurs » officiels. Le « léninisme », qui sévit au Ve Congrès mondial,
grand homme Korsch n'a plus rien de commun puis à l'Exécutif, puis à la Direction du Parti et
avec le bolchevisme ? Depuis quand ? Et qui lui a dans la presse: son principal titre de gloire est
livré la presse du Parti, sinon ce même soi-disant d'avoir écrit, pour l'Histoire d'Alexandre le Grand,
« Exécutif » qui le jette par-dessus bord aujour- de Droysen, une préface où il fait le panégyrique
d'hui ? Quant à la « droite », hier encore assimilée de Guillaume I" de Hohenzollern; , et ce,, en 1917,,
à Scheidemann, aux menchéviks, à la contre-révolu- l,
l'année d l révolution
dela 1'. russe. Ce plat thuriféraire
tion, il faut la faire rentrer à la Direction ? En d'une kaisérienne nullité (sans Bismarck, qu'eût
vérité, c'est avoir un grand mépris pour les ou- fait Guillaume Ier ?) a le front de nous enseigner
vriers que de les croire capables de supporter sans le « léninisme ».
broncher de telles palinodies. Voici MAX SCHUTZ,publiquement accusé par un
Mais le Congrès allemand méritera peut-être groupe de communistes de Gelsenkirschen d'avoir
une chronique spéciale. En nous limitant à ce qui livré des camarades à la police, tripoté dans les
le précède, nous trouverons assez matière à nous comptes, commis toute une série de méfaits que la
instruire sur les beautés de la « bolchévisation ». morale réprouve. (C'est de la morale communiste
Parmi les milliers de communistes qui ont aban- que nous parlons, car elle existe, n'en déplaise aux
donné le Parti, commettant ainsi la grande faute de néo-léninistes qui affirment que « tous les moyens
laisser la place aux parasites du néo-léninisme, il sont bons ».) Ledit Schutz n'a pas encore trouvé
s'est trouvé le directeur de la Tribune communiste un mot à dire poiar se réhabiliter.
de Magdebourg, Ernst Bœse, député du Landtag Voici MASLOV,le maître du Parti, le représen-
d'Anhalt. Celui-ci, écœuré, a éprouvé le besoin tant-type du « léninisme de 1924 ». Jusqu'en jan-
d'exhaler son désenchantement et son indignation vier 1924 il n'y a donc pas bien longtemps
dans un petit livre qui a fait du bruit: Dém-ence il était ouvertement tenu en suspicion par les di-
ou crime? Sur la tombe du communisme. rigeants des P. C russe et allemand. On le fit venir
Rien que le titre révèle un malheureux état d'es- à Moscou pour le garder à vue et le juger comme
prit. La tombe du communisme n'est pas encore provocateur. Son acquittement, par quatre voix
contre trois, coïncida avec une volte-face politique
creusée, et ni Maslov, ni Ruth Fischer ne sont de d'une audace peu commune. Lié à la plus extrême
taille comme fossoyeurs. Si Bœse se résigne si
facilement à l'enterrement du communisme, c'est opposition du P. C. russe, Maslov devint du jour
qu'il n'est pas loin de retourner à la social-démo- au lendemain un pur « léniniste ».
cratie, comme les deux millions d'électeurs commu- Ici, Bœse donne des détails que rien n'étaie
nistes dégoûtés de notre parti et regagnés par les ni ne confirme et qu'on doit se garder de rappor-
social-démocrates. Or, un militant responsable de- ter quand l'honneur d'un camarade, et l'intérêt du
vrait être, par définition, plus clairvoyant, conscient Parti qu'il est censé représenter, sont en jeu. Si
et constant, qu'un électeur, même que deux millions répugnants qu'aient été les procédés employés par
d'électeurs. Maslovcontre l'opposition de son Parti, et de
Le contenu du livre n'est pas moins regrettable l'Internationale en général, nous ne lui rendrons
pas les pareils, nous bornant à relever des faits
à certains égards. Certes, les Maslov, Fischer, Ro-
notoires, dans leur dure sécheresse.
senberg, Scholem, Korsch, Schutz, Kaz et Cie sont Dans le P. C. allemand, et chez tous les cama-
les premiers responsables de ces « déballages » rades de l'Internationale quelque peu au courant, il
publics. Ce sont eux, et leur sale politique, qui est des questions mille fois posées, et restées sans
nous valent de tels événements. Mais cela n'excuse réponse. Par quel prodige Maslov, citoyen russe,
pas Bœse qui, en « déballant » inconsidérément, a-t-il été admis jusqu'en 1924 à mener ouverte-
ne se montre pas supérieur à ceux qu'il attaque. ment un travail insurrectionnel en territoire alle-
Le communiste qui reste communiste ne se laisse mand? Existe-t-il un autre exemple de Russe
pas provoquer par les imposteurs qu'il dénonce (1). jouissant d'un tel privilège, non expulsé, non con-
Lénine était d'accord avec Paul Lévy sur tout damné après arrestation ? Par quel autre miracle
l'essentiel de la critique du « putschde mars 1921 » Maslov, emprisonné depuis plus d'un an, a-t-il la
formulée par celui-ci. Ce qu'il condamna, et avec faculté de publier des articles et des brochures sous
raison, c'est l'attitude anticommuniste prise par son nom? Existe-t-il en Allemagne un autre exem-
Lévy sur la base de ces critiques. Tout ce que ple de communiste emprisonné, bénéficiant du ré-
Bœse dit d'exact a beau être exact, il n'empêche
que ce qui renseigne l'ennemi ne doit pas être dit.
Ce qui peut et doit être révélé, à notre avis, c'est (1) Il est évident que démasquer le policier Horn,
ce qui édifie notre parti sans informer la bourgeoi- secrétaire du P. C. tehécosolvaque et « léniniste de
1924 » acharné, ne pouvait que profiter au Parti, non
à la bourgeoisie. Demême, en caractérisant le voleur
(1) Nous préférons, et de beaucoup, la conduite de Werth, « léniniste de 1924 » par excellence, « bolehé-
Karl Jannack, de Remscheid, ancien spartakiste, exclu visateur » intrépide, partie intégrante de la coterie
du Parti par la coterie régnante. Jannack publie de installée sur le dos du P. C. français, Chambelland
temps en temps une « Jannacks Briefe » tirée à se montrait communiste de qualité supérieure à celle
10,000 exemplaires, où il défend les conceptions poli- des dirigeants du Parti, longtemps solidaires du vo-
tiques de l'opposition. leur.
24 LA REVOLUTION
PROLETARIENNE J
gime de Maslov 1 Enfin, pour quelles raisons la les sottises et les turpitudes de ses « cadres ». î
presse communiste internationale a-t-elle observé, Ceux-ci peuvent l'affaiblir, le vider, le discréditer
autour de l'arrestation de Maslov, une aussi extra- pour un temps, mais non le tuer dans son prin-
ordinaire discrétion ? cipe.
Ces question, qui ne procèdent d'aucune « révé- 'L'Internationale dénonça publiquement la cor-
lation », mais du simple bon sens et de faits con- ruption du P. C. autrichien, par la plume de Ra- ]
nus et reconnus, attendent une réponse. Tôt ou dek notamment. C'était le temps où l'auto-critique
tard, il faudra la donner. L'intérêt du commu- salutaire, la franchise vivifiante, étaient tenues
nisme l'exige, et ceux-là le desservent qui préten- en honneur comme des qualités marxistes, et non
dent faire le silence sur des choses aussi graves. vilipendées comme « déviations trotskistes ». Lé-
Pendant que nous admirons les étoiles du P. C. nine et Trotsky étaient à la tête de l'Internatio-
allemand « bolchévisé » (qu'il disent), nous serions nale.
impardonnable d'oublier SCHOLEM qui, en 1920, Depuis deux ans, le P. C. autrichien sert de
au Congrès des Jeunesses social-démocrates à Go- cobaye à des « délégués» des partis « frères »
tha, vitupéra les bolchéviks et la Révolution sovié- chargés de l'assainir, et qui l'ont réduit à sa plus
tique. D'ailleurs, ainsi que nous l'avons déjà fait simple expression. Singulière fraternité! La Rote
observer, la plupart des dirigeants actuels sont Fahne de Vienne, qui tirait à 15,000 en 1922, est
d'ex-social-démocrates, voteurs de crédits de guerre tombée à 3,000. (C'est ce que les souilleurs de
pour la « défense» de l'Empire, donc très qua- l'Humanité appellent perdre des lecteurs petits-
lifiés pour -professer le « léninisme ». bourgeois et gagner des ouvriers.) En août dernier,
Si le P. C. allemand ne veut pas voir son linge un deces prétendus « représentants »de l'Exécutif
sale étalé devant la classe ouvrière, il faudra qu'il exclut "Tomann, un des fondateurs du Parti, pour-
trouve la force de le nettoyer lui-même, et de se tant discipliné à souhait.
délivrer des faiseurs et des aventuriers qui le sa- « L'Exécutif le veut », tel est Vultima ratio des -t
lissent. Nos vœux l'accompagnent dans cette indis- laissés-pour-compte des P. C. d'Allemagne et d,'
pensable besogne. Tchécoslovaquie, qui ont traité le parti « frère »
d'Autriche comme pays conquis. En réalité, l'Exé-
cutif ne sait rien, et son tort, son grand tort est
Le travail des bolchevisateurs de laisser agir en son nom des fonctionnaires irres- ,
ponsables qui s'arrogent des pouvoirs de Congrès,
en Autriche délèguent, nomment, cassent aux gages, excluent,
manipulent et triturent les pauvres partis confiés
Dans ce pays où la social-démocratie groupe plus à leurs soins.
de 560,000 membres, notre parti en compte à peine Il fallut sept mois de discussions et de pourpar-
4,000. Nous en avions eu, pourtant, jusqu'à 20,000. lers, à Moscou, pour. réintégrer Tomann, sept
Comment s'explique un tel amoindrissement? mois pendant lesquels les communistes autrichiens
« s'expliquèrent » à coups de poings et de chaises,
Là, comme dans d'autres pays, le mouvement au cours de plusieurs conférences. Et tout cela
communiste a souffert de l'intrusion de soi-disant
« représentants de l'Internationale » qui ne repré- parce qu'il avait plu à un « léniniste de 1924 »
sentaient qu'eux-mêmes, ou qu'une coterie bureau- de soutenir une fraction Frey, notoirement oppor-
cratique. Bien avant la prétendue « bolchévisation », tuniste, opération qui exigeait de zigouiller To-
le P. C. autrichien avait été « bolchévisé » par des mann. On imagine la démoralisation du parti livré
émissaires dont la médiocrité intellectuelle et mo- à de telles expériences.
rale se reflète dans leurs œuvres. Depuis quelques mois, le P. C. autrichien res-
Par qui ces gens sont-il envoyés
"l Par l'Exécutif, pire: on a daigné le libérer de ses tuteurs indignes.
dont ils se réclament. Ils ne tiennent leurs soi- Un certain progrès se dessine. Mais le Congrès
disants « mandats» que de fonctionnaires politi- doit avoir lieu le 1er août et il est à craindre qu'un
« plénipotentiaire » n'arrive exercer ses talents sur
quement irresponsables, qui servent des intérêts le pauvre parti saccagé. Souhaitons que cette nou-
particuliers ou assouvissent des rancunes. Nantis velle épreuve lui soit épargnée.
de « pouvoirs» abusifs, ils « mandatent» à leur
tour, se font des clientèles, excluent les gêneurs, UN COMMUNISTE.
imposent des volte-faces politiques, tripatouillent
les résolutions, piétinent les statuts.
Le résultat de telles pratiques est sous les yeux
de tous. L'autorité de l'Exécutif est galvaudée. La
confiance dans l'Internationale déçue. Nos partis PltflS DE GRÈVES PARTIELLES
se vident, et la social-démocratie prospère. L'Au-
triche nous en offre une attristante illustration.
On se rappelle comment le P. C. autrichien avait Ce fut, dans des temps déjà lointains, un mot d'or-
été pourri, aux lendemains de la guerre, par l'ar- dre confédéral unitaire. Est-il oublié? On le croirait
gent distribué à profusion par de prétendus en- quand on voit les employés de banque partir en ordre
voyés de Bela Kun. Un parti ouvrier vivant exclu- dispersé, et les chefs confédéraux communistes applau-
sivement d'une aide financière extérieure, recevant dir, par l'organe de l'Humanité, à la tactique des
des subsides non en proportion de ses ressources « vagues successives », renouvelée de 1920. Il est I
propres, entretenant par ce moyen une légion de vrai qu'on ne peut en même temps être au four et I
fonctionnaires, soudoyant des créatures et des mer- au moulin, au bureau politique du Parti et à la
cenaires, n'a qu'une existence artificielle et forme Grange-aux-Belles. Et des mots d'ordre, autant en
rapidement un groupe parasitaire détaché de la emporte le vent !. N'avez-vous pas souvenance, en
classe ouvrière. Le P. C. autrichien faillit agoniser ces temps de vie chère, d'un autre mot d'ordre, lui
sous des millions de couronnes. Heureusement, un aussi oublié: « Pas de salaires au-dessous de
parti communiste ne meurt pas, quelles que soient 20 francs" » J1