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L’ego-histoire en perspective 

: réflexions sur la nature d’un projet historiographique ambitieux


Ego-histoire in Perspective: Reflections on the Nature of an Ambition Historiographical Project
Jaume Aurell
FRANÇAISENGLISH
Nous célébrons le trentième anniversaire de la parution, en 1987, des Essais d’ego-histoire, rédigés et rassemblés à
l’initiative de Pierre Nora. Cet anniversaire et la parution du récit autobiographique inédit de Georges Duby nous
invitent à une réflexion plus poussée sur la nature du concept d’« ego-histoire » et sur sa portée, sur son impact sur
l’historiographie depuis sa naissance, sur son éventuelle actualité et sur son influence et ses répercussions sur
l’historiographie française jusqu'à aujourd’hui. L’article décrit la nature épistémique, théorique et proprement
historiographique de l’ego-histoire et ses antécédents immédiats, le « moment » de l’ego-histoire (« un genre nouveau
pour un nouvel âge de la conscience historique ») pendant les années 1980, et son avenir (continuité ou legs ?).
L’ego-histoire, un nouveau style d’écriture autobiographique pour les historiens
L’ego-histoire et ses antécédents immédiats : Fernand Braudel et Philippe Ariès
Le « moment » de l’ego-histoire : un genre nouveau pour un nouvel âge de la conscience historique
L’avenir de l’ego-histoire : continuité ou legs ?
Conclusions

Nous commémorons le trentième anniversaire de la parution, en 1987, des Essais d’ego-histoire, rédigés et rassemblés
à l’initiative de Pierre Nora. Cet ouvrage collectif, traduit en plusieurs langues, a exercé une grande influence. Il réunit
des textes de plusieurs des plus grands noms de l’historiographie française de l’époque, à savoir Maurice  Agulhon,
Pierre Chaunu, Raoul Girardet, Jacques Le Goff, Georges Duby, Michelle Perrot et René Rémond1. L’esprit de ce
projet reste bien vivant de nos jours, preuve en est qu’est parue récemment une version inédite du texte que
Georges Duby avait tout d’abord rédigé pour cet ouvrage, avant de renoncer à sa publication. Cette version inédite
s’accompagne de celle, officielle, que G. Duby avait remise à Pierre Nora pour qu’elle paraisse dans l’ouvrage sorti en
1987. Ce livre, Mes ego-histoires, permet donc de comparer ces deux versions distinctes, encadrées par deux
passionnants articles de Pierre Nora et Patrick Boucheron : la première version est écrite à la troisième personne tandis
que la seconde l’est à la première. P. Nora et P. Boucheron ne s’y contentent pas de commenter les deux textes de
G. Duby mais s’efforcent de replacer l’expérience ego-historique dans son contexte littéraire et historiographique2.

2Cet anniversaire et la parution du récit autobiographique inédit de G. Duby nous invitent à une réflexion plus poussée
sur la nature du concept d’« ego-histoire » et sur sa portée, sur son impact sur l’historiographie depuis cette lointaine
(ou pas si lointaine ?) année 1987, sur son éventuelle actualité et sur son influence et ses répercussions sur
l’historiographie française et au-delà aujourd’hui.

L’ego-histoire, un nouveau style d’écriture autobiographique pour les historiens

Il convient de dire en premier lieu que, si l’on s’en tient strictement au genre littéraire, la pratique de l’autobiographie
par les historiens était loin d’être une nouveauté au moment de la publication des Essais d’ego-histoire. Ainsi,
l’autobiographie de Giambattista Vico figure parmi les classiques de la littérature des Lumières au  XVIIIe siècle3. De
même, les Mémoires d’Edward Gibbon et d’Henry Adams n’ont pas été seulement appréciés par leurs collègues
historiens mais ont aussi été considérés comme des œuvres littéraires à part entière par un public beaucoup plus
large4. Des historiens davantage portés sur la philosophie de l’histoire et la réflexion théorique comme
Benedetto Croce, Robin Collingwood et Éric Voegelin ont délibérément eu recours à l’autobiographie pour évoquer
leurs propres racines intellectuelles, l’opportunité d’une bonne formation en études classiques et l’efficacité de
l’introspection sur leur propre itinéraire intellectuel pour nous aider à mieux comprendre le monde5. Les plus grands
historiens nord-américains de la première moitié du XXe siècle, notamment William Langer et Arthur Schlesinger Sr.,
ont également rédigé leurs autobiographies, dans lesquelles ils exprimaient de manière très parlante leur expérience du
« rêve américain » et leur passion pour l’histoire6. Enfin, les historiens les plus prestigieux de l’Europe de l’entre-
deux-guerres, dont Marc Bloch, Felix Gilbert et Sebastian Haffner, n’ont pas hésité à parler du drame des guerres
mondiales et des expériences fascistes, dont ils ont pâti, à l’aide de l’écriture autobiographique. Ils nous ont laissé des
témoignages bouleversants qui nous permettent d’apprécier aujourd’hui encore la grandeur d’une écriture qui n’est pas
seulement le fruit d’une réflexion intellectuelle abstraite mais surtout d’une histoire personnelle vécue avec une
éthique irréprochable7.

Il n’était pas non plus nouveau qu’un historien incite d’autres historiens à écrire leurs autobiographies pour les réunir
dans un ouvrage collectif. Trois initiatives semblables avaient été menées à bien beaucoup plus tôt en Italie, en
Allemagne et aux États-Unis. La première d’entre elles, en 1725, fut la tentative du comte Gian  Artico di Porcia de
publier un livre contenant les autobiographies de plusieurs intellectuels de l’époque en Italie, dont des historiens. Cela
ne se fit finalement pas (mésaventure à laquelle le projet de P. Nora échappa de peu), mais c’est grâce à cette initiative
que nous connaissons aujourd’hui les profondes réflexions autobiographiques de Vico, qui décida de les publier de
son côté dès qu’il sut que le projet de départ n’aboutirait pas8. Deux siècles plus tard, plusieurs universitaires
allemands participèrent à l’ambitieux projet collectif connu sous le nom d’« Autoportraits d’universitaires
contemporains ». Les contributions des historiens furent réunies dans deux ouvrages, dirigés par Sigfrid Steinberg en
1925, qui peuvent donc sans conteste être considérés comme des précédents du livre d’ego-histoire dirigé par P.  Nora
plus de soixante ans après9. Ce n’est pas par hasard si c’est en Allemagne que cette initiative fut prise, puisque c’est le
premier pays à avoir entrepris la professionnalisation des études historiques et que c’était aussi, à cette époque, le pays
de l’avant-garde historiographique.

Mais c’est néanmoins dans un autre des pays les plus performants en matière d’innovation historiographique, les
États-Unis, que l’on trouve le précédent le plus direct, et le plus récent, de l’ego-histoire. En 1970, Lewis  Curtis
demanda à seize historiens d’écrire leur autobiographie pour un ouvrage qu’il baptisa The Historian’s
Workshop (« l’atelier de l’historien »)10. Il entendait ainsi encourager ses confrères à réfléchir sur leur propre travail,
sur la façon dont ils concevaient et menaient à bien leurs projets, dont ils vérifiaient les faits, dont ils fouillaient dans
les archives, dont ils organisaient leurs lectures, réunissaient leur documentation, rédigeaient leurs notes, écrivaient et
réécrivaient leurs manuscrits, polissaient leur prose et, enfin, se remettaient en question. L. Curtis souhaitait mettre un
terme à la discrétion – qui, bien souvent, relevait du culte du secret – dont les historiens avaient jusqu’alors toujours
fait preuve afin de préserver leur façon de « procéder historiquement », leur manière de « créer littérairement ». Il
entendait mettre ainsi en lumière la « vie intérieure » ou la « vie cachée » des monographies historiques avec l’aide de
certains des plus prestigieux historiens du moment. L. Curtis employa d’ailleurs la même méthode que celle
qu’utilisera P. Nora dans la décennie suivante pour attirer de futurs auteurs : il leur envoya une circulaire leur
demandant d’éclairer la démarche à travers laquelle certains historiens « font » (make) ou écrivent l’histoire11. Son
projet était fondé sur la conviction que la recherche et l’écriture historique ne peuvent être complètement séparées de
l’histoire personnelle de l’individu engagé dans cette démarche, et il n’excluait donc pas que certains auteurs puissent
aller jusqu’à évoquer des détails très personnels, sinon intimes, quoique, en réalité, tout comme dans l’ouvrage dirigé
par P. Nora, peu d’entre eux le firent finalement. L. Curtis se montrait néanmoins très prudent lorsqu’il portait un
jugement sur cette initiative, qui lui semblait plutôt transgressive. Il montrait une certaine réticence à attribuer une
excessive importance académique à cet ouvrage, conseillant notamment à ses contributeurs de « quitter ensuite la
maison de verre de cet atelier [autobiographique] le plus vite possible pour revenir aussitôt aux meubles familiers, aux
problèmes absorbants et à l’intimité réconfortante de [leurs] propres ateliers [historiographiques]12 ».

Ces mots de L. Curtis aident à comprendre le fait objectif que – même eu égard aux illustres précédents
susmentionnés – l’on ne peut nier que l’initiative de P. Nora a contribué d’une façon décisive à ce que les exercices
autobiographiques, traditionnellement perçus comme peu orthodoxes au sein de la profession et susceptibles de n’être
pratiqués que provisoirement et « d’en-dehors » de la discipline, soient ensuite reconnus comme relevant d’une
démarche classique, utile à la pratique historique et se situant même au cœur de la discipline elle-même, puisqu’il
s’agit, en fin de compte, de s’historier soi-même. Ces exercices pouvaient apporter quelque chose au métier
d’historien, à l’écriture historique elle-même, surtout parce qu’ils instituaient un point de rencontre entre ce qui relève
de l’« objectif » (c’est-à-dire la manière dont il est convenu que les historiens doivent écrire, professionnellement
comme au regard de leur discipline) et ce qui tient du « subjectif », normalement propre à l’écriture autobiographique.
Ils mettaient ainsi l’accent sur d’autres aspects, comme l’imagination et la revendication de la qualité d’auteur,
généralement peu mis en avant dans l’éducation et la formation des jeunes historiens mais qui constituent en même
temps des dimensions essentielles de la pratique historiographique.

Par ailleurs, l’expérience de la complexité du processus d’écriture historique avait entraîné en ces années une notable
prolifération de publications autour de questions théoriques et épistémologiques d’actualité dans le milieu des
historiens. Ces derniers entendaient alors occuper toute leur place dans le champ traditionnel de la « philosophie de
l’histoire », trop longtemps monopolisé par les philosophes et que les historiens avaient commencé à investir sous la
dénomination générique d’« historiographie ». La création de la revue History and Theory en 1960 et le succès
rencontré par l’ouvrage d’Hayden White, Metahistory13, publié en 1973, illustrent, entre autres, à la perfection cette
évolution. Dans ce contexte historiographique, la vertu des Essais d’ego-histoire est d’avoir lancé cette réflexion
historiographique non seulement en « théorisant » mais surtout en réfléchissant à partir de l’expérience « pratique » de
l’exercice de l’histoire. Pour cette raison, ce qui fait de l’ego-histoire un genre spécifique au sein du sous-genre de
l’autobiographie des historiens, c’est qu’il s’agit fondamentalement d’un style autobiographique strictement
académique, où l’anecdote personnelle, privée ou émotionnelle n’a sa place que lorsqu’elle est mise au service de la
réflexion historiographique.

Ce qui distingue l’ego-histoire des autres styles autobiographiques empruntés par les historiens est son caractère
clairement académique et strictement historiographique. Les autres styles admettent beaucoup plus facilement
l’emploi du « je », et ce dans des domaines très divers : la formation au classicisme et l’idéalisation des universités
traditionnelles dans le cas du style humaniste ; la vision globale de la personne autobiographique dans le style
biographique, en essayant précisément de parvenir à une approche globalement « biographique » de l’auteur de soi-
même ; le traitement « historique » de soi-même, avec toutes ses conséquences en termes de méthode, dans le style
monographique (y compris les notes de bas de page et les recherches documentaires, ce qui entre en contradiction
avec ce qui définit le genre autobiographique !) ; l’approche romanesque et fictionnelle de soi-même dans le style
postmoderne, où l’imagination et l’intervention auctoriale prévalent par rapport au côté proprement historique du récit
de soi-même. Enfin, le style interventionnel se présente, dans l’itinéraire historiographique de qui y recourt, comme un
modèle intellectuel et disciplinaire à suivre en vue d’intervenir dans le débat historiographique14.

L’ego-histoire et ses antécédents immédiats : Fernand Braudel et Philippe Ariès

9Une fois éclaircie la place de l’« ego-histoire » au sein du genre des autobiographies d’historiens dans son ensemble,
je souhaite préciser ici qu’à mon sens les deux précédents les plus proches, et peut-être les plus brillants, de l’ego-
histoire nous ont été donnés par Fernand Braudel et Philippe Ariès. F. Braudel écrivit un beau texte autobiographique,
un petit joyau de Mémoires académiques, quinze ans avant la publication des Essais d’ego-histoire. F. Braudel fut un
véritable précurseur puisque son « Personal Testimony » fut publié en 1972 dans la revue Journal of Modern History,
et ceci à la demande (très pressante) de ses éditeurs. Il avait, en effet, beaucoup hésité («  j’avoue avoir fait longtemps
la sourde oreille à cette proposition ») à se soumettre à la « torture » d’un genre aussi éloigné de ses postulats
historiographiques :

« [Il me] contraignait à jeter sur moi-même un regard insolite, à me considérer en quelque sorte comme un objet
d’histoire et à m’engager dans des confidences qui ne peuvent se situer au premier abord que sous le signe de la
complaisance, voire de la vanité15 ».

10Tout poussait F. Braudel à reculer devant le défi qui lui était lancé : l’historien de la longue durée devait parler d’un
événement de courte durée ; l’historien du collectif devait discourir sur l’individuel ; l’historien des structures devait
s’intéresser à une seule conjoncture ; l’historien des sources massives devait bâtir ses nouvelles recherches sur une
source unique, une source aussi fragile que la mémoire ; l’historien de l’objectif devait se confronter au genre le plus
subjectif… Mais il avait une âme de pionnier et une conscience claire de son devoir d’enseignant, de maître, et il finit
par remettre son texte, un délicieux exercice d’auto-examen des contextes (y compris physiques et géographiques  !)
qui conditionnèrent son œuvre. Toute personne ayant lu l’œuvre de F. Braudel et étant donc au fait de la complexité
théorique qui la sous-tend sera capable d’apprécier à sa juste mesure jusqu’à quel point il sut construire, dans ce bref
texte, une ego-histoire dans lesquels sont latents, en réalité, tous ses postulats historiques, sous la forme manifeste
(quoique purement formelle) de l’autobiographie.

11Le texte de F. Braudel, qui, tout comme L’histoire continue de G. Duby, devrait figurer dans le programme
d’études de tous les futurs historiens, peut être considéré comme un exercice ego-historique avant la lettre et qui pose
la question ego-historique essentielle : « Comment suis-je devenu historien ? » Il est à cet égard significatif que
F. Braudel ait changé le titre de l’édition anglaise (« Personal Testimony ») dans la traduction française, qui parut plus
tard sous le titre « Ma formation d’historien ».

L’autobiographie de Philippe Ariès peut également être considérée comme une œuvre pionnière, un prototype des
exercices d’ego-histoire, ainsi que plusieurs critiques autorisés, dont Elisabeth Roudinesco, l’ont souligné16. Quoique
ne pouvant encore placer son ouvrage sous le label d’« ego-histoire », il établit les paradigmes fondateurs de ce
nouveau sous-genre de l’autobiographie. Il avait décidé de présenter sous forme de livre les réflexions que lui avaient
inspirées de longues conversations avec Michel Winock et cette courageuse décision fut sans conteste transgressive.
Elle marquait, en effet, un point de rupture dans l’historiographie française, dont la tradition autobiographique était
quasi inexistante, en clair contraste avec les historiographies britannique et nord-américaine. F. Braudel avait bien sûr
déjà donné un « témoignage personnel », mais il l’avait fait sous le couvert d’une revue bien établie, à l’abri
d’un Journal prestigieux à portée strictement universitaire, sans cacher d’ailleurs ses réticences puisqu’il précisait dès
le premier paragraphe que ce n’était pas lui qui avait pris l’initiative de cet article sinon les responsables de la revue.
Mais Ph. Ariès était en accord avec ses convictions, exprimées peu auparavant dans un intéressant article où il
s’interrogeait sur le sens que pouvait avoir pour un historien d’écrire ses Mémoires, car, « à l’origine, le mémorialiste
est un historiographe17 ».

J’ai par ailleurs toujours pensé que c’est sa passion pour le présent qui est à la base de la décision de Ph. Ariès d’écrire
son autobiographie :
« Dès lors, il paraît difficile de saisir la nature propre du passé, si on mutile en soi le sens de son temps. L’historien ne
peut plus être l’homme de cabinet, le savant de caricature, retranché derrière ses fichiers et ses livres, fermé aux bruits
du dehors. Celui-là a tué ses facultés d’étonnement et n’est plus sensible aux contrastes de l’Histoire18. »

14Ce qu’il y a de fascinant dans son autobiographie, c’est la profonde tension intellectuelle qui se produit chez un
intellectuel qui reste fortement traditionnaliste (quasi nostalgique) tout en ayant une extraordinaire aptitude à
l’innovation historiographique et en étant donc constamment en quête de nouvelles voies, ce qui le maintenait bien
ancré dans le présent. Les critiques littéraires ont l’habitude de dire qu’écrire son autobiographie ce n’est pas
simplement retracer le passé mais c’est faire le récit de ses souvenirs à travers le filtre du présent. L’autobiographie de
Ph. Ariès est un extraordinaire champ d’expérimentation sur la façon dont le souvenir nostalgique d’un paradis perdu
dans le passé que l’on essaye de rendre à nouveau présent peut cohabiter avec le vécu passionné d’un présent depuis
lequel on réécrit ce passé. Le traitement autobiographique qu’il fait de sa propre vie est ainsi en parfaite harmonie
avec le traitement historique auquel il avait soumis certains sujets (l’enfance, la famille, la mort) dans l’intention
cachée mais évidente de présenter à la société des modèles de comportement traditionnels qu’il convenait de faire
revivre :

« l’Histoire se conçoit comme un dialogue où le présent n’est jamais absent19. »

L’autobiographie de Ph. Ariès démontre que l’historien est aussi capable de produire un récit rétrospectif-introspectif
(historico-autobiographique), surtout s’il est persuadé que le passé doit aussi faire partie du présent. Mais, chez
Ph. Ariès, cette « fusion » du passé et du présent n’a néanmoins aucun lien avec la posture typiquement postmoderne,
où la distance entre le passé et le présent est dissoute, pas plus qu’avec la plus traditionnelle, où le passé est tout
simplement conçu comme un « pays étranger », pour reprendre l’expression rendue célèbre par David Lowenthal20.
Bien au contraire, Ph. Ariès occupe une position ambivalente par rapport au passé, puisque chez lui se combinent une
conviction théorique concernant l’impossibilité de renouer avec le passé – une position génératrice de nostalgie – et la
croyance pratique que plus nous arriverons à nous rapprocher du passé et de la tradition, plus nous serons capables de
parvenir à une société meilleure. Le « désir véhément de renouer avec le passé et la reconnaissance de l’impossibilité
de le faire21 », un sentiment apparemment aussi paralysant qu’inquiétant, débouche donc au contraire chez Ph. Ariès
sur la conviction de l’importance de l’écriture (aussi bien historique qu’autobiographique) et agit comme le
déclencheur psychologique de son souhait d’écrire sa propre ego-histoire.

Tout cela fait de l’autobiographie de Ph. Ariès un exercice vraiment « historico-historiographique », et qu’on peut
donc considérer comme étant pleinement, déjà, un exercice d’ego-histoire. Un détail, notamment, le confirme dans son
texte : sa réticence à parler de certains aspects de sa vie intime, de sa vie privée. Lorsqu’il évoque son mariage avec
une femme proche de l’Action française, il ne peut s’empêcher de justifier sa « faiblesse » d’avoir introduit dans son
récit une information aussi personnelle. Il précise aussitôt qu’il n’en parle qu’en raison de l’influence positive que son
épouse a eue sur son œuvre historique – « j’évoque ici cet événement de ma vie privée à cause de ses relations avec
mon travail d’historien.22 » Le moins que l’on puisse dire, c’est que les promoteurs de l’« histoire de la vie privée »
n’étaient pas vraiment prédisposés à exposer la leur23… Enfin, Ph. Ariès considère l’autobiographie comme une
forme d’histoire et comme un outil privilégié pour la réflexion historiographique. P. Nora reprendra très vite cette idée
comme base et modèle de son projet ego-historique et la diffusera avec succès auprès de l’ensemble de la communauté
historiographique internationale.

Peu après l’Un historien du dimanche d’Ariès (1980), parurent des Mémoires académiques du même ordre, dont
le Paris-Montpellier d’Emmanuel Le Roy Ladurie (1982), Naissance d’un historien de Pierre Goubert (1984), une
introduction autobiographique de Mona Ozouf à son livre L’École de la France (1984)24 et Une
génération d’Alain Besançon (1987), qui déclara qu’il s’était, lui aussi, inspiré de l’autobiographie de
E. Le Roy Ladurie. Au milieu des années 1980, le terrain semblait suffisamment fertile, du moins aux yeux des
historiens, pour que ce nouveau genre autobiographique s’impose définitivement.

Le « moment » de l’ego-histoire : un genre nouveau pour un nouvel âge de la conscience historique

L’ouvrage collectif Essais d’ego-histoire parut finalement en 1987. P. Nora eut l’audace de justifier son projet ego-
historique dans son introduction en disant que l’écriture de l’auto-histoire par des historiens était motivée par le besoin
de créer « un genre nouveau, pour un nouvel âge de la conscience historique25 ». Pour persuader ses auteurs, P. Nora
leur avait déclaré qu’il entendait mettre à leur disposition une nouvelle façon d’appréhender leur travail historique et
de se pencher sur lui. Il avait ajouté que cela leur permettrait de déchiffrer leur propre registre idéologique, leurs
orientations intellectuelles et leurs choix politiques tout en les libérant de la tâche ingrate de dévoiler leur vie intime,
ce qui leur est le plus personnel. Il leur demandait ainsi de renoncer provisoirement à toute une tradition scientifique
qui avait conduit les historiens, « depuis un siècle, à s’effacer devant leur travail, à dissimuler leur personnalité
derrière leur savoir, à se barricader derrière leurs fiches, à se fuir eux-mêmes dans une autre époque, à ne s’exprimer
qu’à travers les autres26 ». Conscient des principes méthodologiques et épistémologiques des historiens de sa
génération, formés aux paradigmes de l’après-guerre27, P. Nora leur proposait un genre semi-autobiographique où
n’avaient leur place « ni autobiographie faussement littéraire, ni confessions inutilement intimes, ni profession de foi
abstraite, ni tentative de psychanalyse sauvage28 ». Ils devaient se livrer à l’autobiographie sans cesser d’utiliser la
méthode historique qu’ils utilisaient habituellement dans leurs monographies (« l’exercice consiste à éclairer sa propre
histoire comme on ferait l’histoire d’un autre ») et mettre au jour « le lien entre l’histoire qu’on a faite et l’histoire qui
vous a fait29 ». Ce dernier point leur permettait d’explorer dans la pratique les frontières entre l’auteur et son
contexte, thème auquel s’étaient intéressés à cette époque certains auteurs de l’orbite postmoderne (plus proches des
champs de la philosophie et de la critique littéraire que de celui de l’histoire), qui avaient même fait leur la fameuse
formule de Barthes sur « la mort de l’auteur » pour décrire l’influence oppressante du milieu environnant sur ceux qui
créent les textes historiques et littéraires30.

19L’ambition et, d’une certaine façon, la nature transgressive du projet ego-historique expliquent que sa gestation ait
été si longue, P. Nora ayant lancé son initiative dès le début des années 1980. Cela apparaît clairement dans une lettre
du 17 décembre 1982 (mise en annexe à la fin de l’ouvrage comprenant l’inédit de G. Duby), où P. Nora exposait à
G. Duby la façon dont il pensait qu’il devait orienter son « auto-histoire » :

« Ce débouché d’un itinéraire individuel sur le grand public a d’autres aspects tout biographiques et peut-être
psychologiques. Je ne voudrais pas m’avancer indiscrètement, mais il me semble bien que ta vie a été faite d’étapes
relativement imprévues. […] Certaines de ces étapes, je les ignore. D’autres, j’en ai été témoin. […] Tout cela
pourtant lié sans doute à quelque fidélité intime que j’aimerais connaître31. »

Pour une raison ou pour une autre et dans une plus ou moins grande mesure, tous les historiens contactés par P. Nora
durent hésiter à relever le défi qu’il leur lançait, parfois parce qu’ils ne se sentaient pas la force d’accepter à ce
moment-là. P. Nora essuya d’ailleurs plusieurs refus. Certains des plus réticents le regrettèrent sans doute ensuite, à
l’instar d’Annie Kriegel, qui, plusieurs années plus tard, allait publier un ouvrage autobiographique aussi passionnant
que passionné de plusieurs centaines de pages32 ! Quoi qu’il en soit, la suite a montré que les efforts de P. Nora ne
furent pas vains. L’autorité, le prestige, l’influence internationale dont jouissaient à cette époque les intellectuels
français, et surtout l’historiographie française, accrurent sans aucun doute l’efficacité de l’expérience ego-historique
dont il avait été à l’initiative, si l’on en juge par son impact bien au-delà des milieux strictement universitaires.

21On peut également expliquer le bon accueil que reçurent les Essais d’ego-histoire par le fait qu’après que
l’historiographie française eut connu plusieurs décennies de relatif ostracisme, les historiens étaient à nouveau au cœur
du débat intellectuel et avaient même suscité un intérêt médiatique qui leur avait permis d’atteindre le grand public.
Longtemps reléguée à une place plutôt marginale en faveur d’autres disciplines, comme l’anthropologie (Claude  Lévi-
Strauss), la sociologie (Émile Durkheim et Marcel Mauss), la philosophie (Michel Foucault, Louis Althusser, Jean-
Paul Sartre) et la critique littéraire (Roland Barthes, Paul Zumthor, Jacques Derrida), l’histoire revenait au-devant de
la scène, et des historiens comme Emmanuel Le Roy Ladurie, G. Duby, Jacques Le Goff, Ph. Ariès et Michel Vovelle
parvinrent à renouer le lien avec le large public cultivé intéressé par l’histoire qui n’avait jamais cessé d’exister en
France. Certains d’entre eux devinrent même de véritables célébrités, à l’instar de G. Duby, devenu homme de
télévision. Cet affichage médiatique aida sans nul doute les historiens à se sentir plus à l’aise pour raconter leurs
propres histoires.

22L’ego-histoire sut en outre trouver un espace liminal entre, d’un côté, la formation traditionnelle des historiens en
histoire sociale et, de l’autre, l’émergence de l’hyper-subjectivisme issu de la vague psychanalytique des années  1960
et 1970. Cette énorme tension entre l’objectif et le subjectif, entre le public et le privé, entre le collectif et l’individuel,
entre psychologie collective et psychologie personnelle, est ce qui explique le paradoxe permanent de l’ego-histoire,
qu’illustrent parfaitement les doutes de ses auteurs (voire le refus catégorique de certains lorsqu’ils reçurent le premier
appel de P. Nora), et c’est même peut-être bien à elle qu’est dû le fait que la suprématie de l’«  ego-histoire » comme
genre n’ait été qu’éphémère.

23Tous les textes de l’ouvrage dirigé par P. Nora ont une orientation clairement académique, comme leurs titres (dont
certains sont bien anodins, il faut le reconnaître) le montrent sans ambiguïté, et ces exercices d’ego-histoire ne firent
donc que poursuivre la tradition, si caractéristique de l’historiographie française, de ne pas se livrer avec trop
d’enthousiasme au récit de sa propre vie. En fin de compte, ces textes doivent être compris comme étant des artefacts
théoriques permettant une conscience de la méthodologie historique à un niveau plus profond, du fait que la narration
de ces parcours universitaires, professionnels et intellectuels relève aussi du métarécit. L’unification grammaticale à la
première personne fait qu’ils fonctionnent, paradoxalement, comme des écrits plus historiques qu’autobiographiques
et comme des démarches plus historiographiques qu’historiques, car ils révèlent nombre d’informations sur le
contexte dans lequel furent conçus les textes historiques que ces mêmes auteurs avaient publiés tout au long de leur
carrière.

Cette dimension spécifiquement historiographique explique que les Essais d’ego-histoire n’aient sur le moment
pratiquement intéressé que les universitaires de la discipline historique. Les historiens souhaitaient en savoir plus sur
la démarche intérieure ayant présidé à la création des ouvrages historiques de leurs maîtres. Ceux qui, à cette époque,
croyaient en l’histoire totale furent fascinés, précisément, par son opposé : l’histoire d’un individu unique, racontée
par lui-même sans autre ressource heuristique que sa propre mémoire33. P. Nora plaidait en faveur de la création d’un
nouveau genre susceptible d’apporter des réponses à l’évidente transformation que connaissait la discipline historique
depuis l’apparition du postmodernisme, mais il se devait en même temps d’être sensible aux réticences naturelles des
historiens de sa génération envers ces nouveautés. En fait, le degré de complicité des historiens avec le genre
autobiographique est, aujourd’hui encore, directement proportionnel à leur niveau d’acceptation des nouvelles
tendances historiographiques de l’orbite poststructuraliste et postmoderne qui se propagèrent dans ces années-là en
Occident. Cela pourrait aussi expliquer le penchant naturel des historiens nord-américains et britanniques pour un
genre d’autobiographie plus conventionnel, tandis que les Français (en général plus rétifs à ces nouvelles tendances)
durent créer un genre d’autobiographie particulier, et ce fut l’ego-histoire. En somme, le paradoxe de l’expérience de
l’ego-histoire est celui de l’historien qui prétend dépasser l’objectivisme des paradigmes de l’après-guerre
– représentés par le marxisme, le structuralisme et le quantitativisme – en ayant recours à un genre historico-littéraire
nouveau mais toujours profondément imprégné de cette réticence naturelle envers les nouvelles tendances. De fait,
P. Nora n’arriva à mettre fin à ces hésitations que lorsqu’il demanda aux futurs auteurs de privilégier le professionnel
par rapport au personnel, le public par rapport au privé, leur activité externe par rapport à leurs convictions les plus
intimes. Les profondes réticences auxquelles il eut à faire face sont bien exprimées par ces mots de René  Rémond
dans son essai d’ego-histoire :

« Une longue tradition leur a appris à se défier de la subjectivité, de la leur tout autant que de celle d’autrui : ils savent
d’expérience la précarité du souvenir, la fragilité du témoignage ; ils connaissent par métier l’inconsciente propension
de chacun à introduire dans la courbe de son existence une cohérence empruntée. Ils n’ont pas la présomption de se
croire mieux défendus contre ces déformations : ils ne sont pas assurés de déjouer les pièges de la mémoire qu’ils ont
appris à déceler chez les autres34. »

25Rémond exprimait bien les convictions épistémologiques de toute une génération d’historiens formés dans les
années 1940 et 1950. Personne ne doutait des fortes convictions idéologiques, de la ferveur patriotique, de
l’engagement partisan et des liens politiques de la plupart d’entre eux. Et pourtant, afin que les sources historiques
puissent parler d’elles-mêmes et que rien ne vienne nuire à « l’effet de l’objectif » (ou « l’effet du réel », pour parler
comme Roland Barthes), aucun de ces auteurs prolixes n’avait jusqu’alors écrit le moindre ouvrage historique à la
première personne. On comprend donc que tous aient ressenti un certain malaise à le faire en cette occasion.

26On ne peut expliquer autrement la décision de G. Duby d’écrire la première version de son ego-histoire à la
troisième personne. Le texte inédit paru récemment confirme en tout point ce qu’il avait écrit dans le premier
paragraphe de son ego-histoire :

« Longtemps – à vrai dire jusqu’à cet instant où j’entreprends la rédaction définitive – mon projet fut d’écrire à la
troisième personne, dans le dessein de mieux garder mes distances. J’ai renoncé, craignant de sembler affecté. Je reste
du moins décidé à tenir l’écart35. »

Les textes autobiographiques de G. Duby (aussi bien « Le plaisir de l’historien », compris dans les Essais d’ego-
histoire de 1987 que L’histoire continue, paru en 1991) nous fournissent par ailleurs les clés pour cerner toute la
complexité de l’évolution intellectuelle d’un historien que, considérant qu’il avait connu plus qu’aucun autre l’anxiété
que peut provoquer l’incessante recherche de nouvelles voies pour l’historiographie, Martin Aurell a très justement
qualifié de Picasso de la science historique36. Mais, malgré tout, G. Duby avait dès le départ bien fait comprendre
qu’il ne fallait pas s’attendre à ce qu’il nous fasse un récit de « sa vie » et qu’il se cantonnerait strictement à celui de
sa vie professionnelle, de sa vie publique. Il en avait d’ailleurs averti P. Nora en ces termes :

« […] je n’exhiberai dans cette ego-histoire qu’une part de moi. L’ego-laborator, si l’on veut, ou bien l’ego-faber.
[…] Je vais donc parler de ma vie publique, tentant de montrer comment ce qu’on appelle une carrière s’est déroulé
durant une phase, courte, de l’histoire générale37. »

Cette volonté de G. Duby de se présenter en tant que membre d’une communauté plutôt que de mettre l’accent sur des
aspects propres à ce qui lui était personnel apparaît clairement dans la façon dont il conçut sa propre autobiographie
(L’histoire continue), publiée en 1991, quatre ans donc après la parution des Essais d’ego-histoire. Il situait sa propre
vie dans le contexte plus global d’une génération collective d’historiens. S’il devait utiliser la première personne, il
préférait le faire avec le « nous » qu’avec le « je ». Son autobiographie intellectuelle n’est donc pas seulement la
sienne, « c’est celle, étendue sur un demi-siècle, de l’école historique française38 ». Par ailleurs, plus ou moins
inconsciemment, G. Duby reflétait dans son œuvre l’intérêt croissant que, bien au-delà des milieux universitaires,
suscitait alors la mémoire collective, à laquelle P. Nora avait consacré tant d’énergie en ces années-là39.

29Le contexte intellectuel et historiographique de l’époque, si intense et si brillant, allié à la nature strictement
académique du projet, pourrait aussi expliquer son point faible, car il eut comme contrepartie une dérive vers une
certaine « endogamie nationale » de sa portée, d’où, peut-être aussi, son caractère éphémère. Il est à cet égard
significatif que, dans les pays où l’ego-histoire a connu un certain succès et s’est pratiquée selon son modèle originel,
cela s’est fait sous le label ego-histoire, en français. Donc, si l’on s’en tient à une perspective strictement « de genre »,
l’âge d’or de l’ego-histoire se situe entre la parution d’Un historien du dimanche, de Ph. Ariès, en 1980, et celle
de L’histoire continue, de G. Duby, en 1991. Jeremy Popkin exprime ses doutes concernant sa pérennité de façon
convaincante lorsqu’il écrit que,

« contrairement à ce qu’a affirmé Pierre Nora, l’éclosion de l’ego-histoire n’apparaîtra pas comme ayant été celle d’un
nouvel âge de la conscience historique, mais comme un phénomène ayant son historicité propre. Né de la rencontre
entre la foi profonde en l’importance de l’histoire partagée par la génération de Nora et les interrogations
poststructuralistes de la fin des années 1970 et du début des années 1980, ce genre pourrait ne pas être en mesure de
s’épanouir dans un contexte différent40. »

30Sans nier que l’ego-histoire ait pu à juste titre être considérée comme une véritable innovation historico-
autobiographique à la fin des années 1980 – et tout en reconnaissant la permanence de son « esprit », dont témoigne la
récente parution du livre Mes ego-histoires de G. Duby, voire même qu’elle est encore en vogue aujourd’hui dans
certains pays d’Amérique latine –, on ne peut que constater qu’elle a eu une vie relativement courte et qu’aujourd’hui
les historiens affichent leur préférence pour des styles autobiographiques plus nouveaux, notamment le style
postmoderne et le style interventionnel. C’est probablement aux réserves envers l’autobiographie exprimées par les
historiens qui s’y sont adonnés que l’ego-histoire doit sa faible capacité de résistance et d’avoir été délaissée au profit
d’autres sous-genres en matière d’historiographie des historiens.

L’avenir de l’ego-histoire : continuité ou legs ?

31Une fois exposées les raisons pour lesquelles je considère que l’ego-histoire est un véritable sous-genre spécifique
de l’historiographie, avec des caractéristiques qui lui sont propres et une indéniable personnalité littéraire qui reflètent
très bien le contexte dans lequel elle est née, d’où, en contrepartie, le caractère éphémère de son « âge d’or », je
souhaiterais aborder une autre question essentielle : l’ego-histoire doit-elle être considérée comme un mouvement
seulement propre aux années 1980 ou peut-on dire qu’en réalité ce qui lui a succédé peut être vu comme en étant des
variations, ce qui fait que l’on devrait parler de « legs » plutôt que de « continuité ». Il me semble que l’ego-histoire
en tant que genre « pur » se limite, comme j’ai tenté de le montrer dans cet article, aux années immédiatement
antérieures et postérieures à la parution de l’ouvrage collectif dirigé par P. Nora en 1987, c’est-à-dire aux
années 1980. Je pense néanmoins qu’elle reste très présente et active dans le paysage historiographique, et ce non pas
tant parce que des ouvrages paraissent toujours sous ce label qu’en raison de la persistance de son esprit, de son
empreinte et de son legs.

Cette continuité se perçoit surtout dans le milieu de l’historiographie française à deux titres. Elle a en premier lieu
toujours la faveur d’un certain nombre d’historiens, bien que l’identité de son genre ne puisse plus être considérée
comme strictement ego-historique, mais plutôt comme interventionnelle41. Parmi ces nouvelles autobiographies
d’ordre ego-historique/interventionnel, je citerai celles d’Arlette Farge (Le goût de l’archive, 1989), François Furet
(Le passé d’une illusion, 1995), Pierre Goubert (Un parcours d’historien, 1996), Pierre Vilar (Pensar històricament,
1997), Mona Ozouf (L’image dans le tapis, 1984), François Bluche (Le grenier à sel, 1991), Régine Pernoud (Villa
Paradis, 2002), Emmanuel Le Roy Ladurie (Une vie avec l’histoire, 2014) et Paul Veyne (Et dans l’éternité je ne
m’ennuierai pas, 2014), ainsi, bien sûr, que celle de P. Nora, Esquisse d’ego-histoire, parue en 2013. Toutes ces
autobiographies ont été définies par P. Nora comme des « Mémoires historiquement réfléchis42 ».

En second lieu, et cela pourrait déboucher à l’avenir sur des choses intéressantes, il est demandé depuis quelques
années aux universitaires français pour leur habilitation à diriger des recherches de réaliser des exercices d’«  ego-
histoire ». Même si ces exercices sont logiquement altérés par le formalisme requis par toute démarche académique,
on ne peut douter que certains historiens, surtout ceux qui ont le plus de penchant pour les facettes théoriques et
épistémologiques de leur discipline, n’hésiteront pas à remanier leur texte pour le soumettre, sous forme d’«  ego-
histoire », à un public plus large que le jury auquel il était d’abord destiné. L’essai autobiographique que P. Boucheron
a écrit en s’inspirant de son dossier d’habilitation à diriger des recherches en est un illustre précédent 43. Et il en est de
même pour le passionnant recueil de témoignages de professeurs du Collège de France sur les traces laissées par les
lectures qui les ont accompagnés dans leur cheminement intellectuel44.

Il est néanmoins plus difficile de cerner la présence de l’ego-histoire au-delà des frontières de l’hexagone. D’un côté,
jusqu’aux années 1980, les chemins tracés par l’historiographie française ont été empruntés d’une façon très différente
à ce que l’on pouvait constater pour les historiographies nord-américaines et des autres pays européens. Le genre des
autobiographies d’historiens s’était déjà fait une place de choix dans ces historiographies, alors qu’en France il était
toujours considéré comme une « bizarrerie » académique peu orthodoxe, relevant tout au plus du narcissisme et de la
transgression. L’ego-histoire fut bien accueillie dans les pays hispanophones (c’est-à-dire en Espagne et en Amérique
latine) et dans certains pays de la zone d’influence de l’ex-URSS (comme la Pologne et la Hongrie), où
l’historiographie française jouissait d’un prestige encore renforcé par l’influence de l’école des Annales 45. En
revanche, elle reçut un accueil plus mesuré dans les autres pays à tradition historiographique occidentale (notamment
les États-Unis, le Canada, la Grande-Bretagne, l’Australie, l’Italie et les pays scandinaves), car l’exercice
autobiographique s’y pratiquait à travers d’autres styles, comme le style monographique (par exemple,
Eric Hobsbawm, Interesting Times, 2002), le style postmoderne (Carolyn Steedman, Landscape for a Good Woman,
1986) et, plus récemment, le style interventionnel (Geoff Eley, A Crooked Line, 2005). En effet, ces pays avaient fait
leur depuis longtemps la fameuse maxime d’A. J. P. Taylor (« Tous les historiens devraient écrire leur
autobiographie46 »), appliquée à la lettre, par exemple, par Charles Petrie, qui, dans l’introduction de ses Mémoires,
écrivait :

« Il n’y avait aucune raison valable pour que je n’écrive pas un livre parlant surtout de moi47. »

Toutes ces différences de tradition autobiographique pourraient expliquer non seulement les hésitations des historiens
français à répondre favorablement à l’appel de P. Nora, mais aussi la dimension clairement académique du genre de
l’ego-histoire. Elles pourraient aussi expliquer la joie (pour ne pas dire l’euphorie) qui étreignit P. Nora après qu’il eut
enfin réussi à convaincre ses auteurs et qui le fit s’exclamer dans son introduction que c’était «  l’heure heureuse de
l’historiographie française48 » ! Il ne pouvait en effet que se féliciter de voir les historiens français reconnaître enfin
que leur attachement à la fiabilité des sources documentaires et aux traditions heuristiques n’était pas incompatible
avec la réflexion théorique par le biais du récit de leur propre vie intellectuelle et académique. Il leur avait fourni un
outil « pratique » pour franchir ce pas en se livrant à un exercice qu’il définissait en ces termes :

« L’exercice consiste à éclairer sa propre histoire comme on ferait l’histoire d’un autre, à essayer d’appliquer à soi-
même, chacun dans son style et avec les méthodes qui lui sont chères, le regard froid, englobant, explicatif qu’on a si
souvent porté sur d’autres. D’expliciter, en historien, le lien entre l’histoire qu’on a faite et l’histoire qui vous a
fait49. »

P. Nora se demandait dans un article paru en 2001 jusqu’à quel point l’ego-histoire pouvait être considérée comme un
genre établi : « Entre la saisie de soi par le social et l’hypersubjectivisme intimiste, l’ego-histoire est-elle
possible50 ? » Dans cet article, P. Nora faisait part de ses doutes en allant même jusqu’à dire qu’il avait parfois pensé
que le projet dans son ensemble avait été une expérience éditoriale et intellectuelle vouée à l’échec51. Personne,
pourtant, ne doute que cette entreprise audacieuse contribua à dynamiser et à renouveler le débat théorique non
seulement en France mais aussi sous d’autres latitudes. Il me semble incontestable que si l’idée de constituer un
« recueil collectif d’autobiographies » fut reprise par la suite, cela est beaucoup plus dû à l’influence des Essais d’ego-
histoire qu’à d’autres précédents (comme les ouvrages collectifs dirigés par Gian  Artico di Porcia, Sigfrid Steinberg
et L. Curtis cités plus haut), et ce tant en raison de l’envergure du projet pris dans son ensemble que de la notoriété de
ses auteurs, du fait qu’il soit marqué du sceau de la NRF, du choix judicieux de son appellation et du prestige naturel
de l’historiographie française. Si ces nouveaux ouvrages autobiographiques collectifs sont d’une nature différente de
celle de leur modèle, l’esprit de l’ego-histoire et sa capacité à connecter l’écriture historique académique avec les
problèmes de la vie d’aujourd’hui y sont néanmoins présents, comme le montrent les ouvrages sur l’histoire ethnique
et les historiennes se livrant à des « études de genre » parus aux États-Unis, ou encore sur les historiens ayant fui le
nazisme établis en Grande-Bretagne52. Qui sait, en outre, si les ouvrages collectifs semblables surgis dans des
disciplines voisines comme la sociologie, la littérature comparée et la géographie ne sont pas aussi, jusqu’à un certain
point, les héritiers et les débiteurs de l’esprit de l’ouvrage fondateur de l’ego-histoire53 ?

La parution des Essais d’ego-histoire eut un autre fruit tangible : elle incita d’autres historiens français à se lancer
dans une entreprise analogue. C’est sans doute parce qu’elle y fut encouragée par cet ouvrage prémonitoire
qu’Annie Kriegel se décida à rédiger son autobiographie, même si ce fut dans un style complètement différent.
Contactée par P. Nora, elle n’avait pu remettre son texte à temps et ce n’est que quelques années plus tard qu’elle fit
paraître un livre imposant54 contenant de nombreuses informations sur sa vie et ses sujets de recherche et où elle se
posait la passionnante question de savoir comment un membre du Parti communiste peut se faire l’historien de ce
même Parti communiste. Enfin, et ce n’est pas rien, les Essais d’ego-histoire inspirèrent les deux études
spécifiquement consacrées au genre des autobiographies d’historiens, prises dans leur ensemble, parues jusqu’à
présent55. Au début de la première d’entre elles, Jeremy Popkin raconte de façon très expressive une anecdote
significative :

« Il y a quelques années, au début d’un congé sabbatique, je fouillais dans une librairie d’une petite ville allemande
lorsqu’un curieux ouvrage attira mon attention. Il s’agissait d’une traduction d’essais autobiographiques rédigés par
plusieurs éminents historiens français, membres de ma propre profession. Peut-être parce que j’en étais à un moment
de ma vie et de ma carrière où je m’interrogeais sur le sens de ce que je faisais, cette découverte éveilla ma curiosité.
[…] L’ouvrage français dont j’avais repéré la traduction allemande, Essais d’ego-histoire, m’amena à découvrir
d’autres livres d’historiens français du vingtième siècle. […] Ce livre est le résultat de ces explorations non
prévues56. »

En outre, non seulement le genre conçu par P. Nora reçut un bon accueil et suscita des réactions au-delà des frontières
de l’hexagone, mais il fut aussi, à mon sens, le précédent immédiat du style interventionnel, hégémonique de nos jours
chez les historiens qui écrivent leurs Mémoires. Il est possible que ce qui plaît le plus aux lecteurs de l’ego-histoire
soit sa capacité à fonctionner comme « source historiographique ». Cette dimension prétendument « objective » de
l’ego-histoire va, théoriquement, à l’encontre de la nature du genre autobiographique en soi, car, comme l’a dit
Walter Laqueur, ce genre de récit en dit plus sur l’état d’esprit de l’auteur au moment où il rédige son texte que sur les
événements qu’il décrit57. Les ego-historiens sont cependant réellement capables de nous faire part de leurs
hypothèses métahistoriques, généralement implicites dans tout ouvrage historique mais bien souvent très difficiles à
localiser58. Luisa Passerini et Alexander Geppert expliquent que la créativité de ce paradoxe réside justement dans ce
que

« le problème de l’ego-histoire, c’est précisément qu’elle requiert de créer le sujet et de l’interpréter simultanément
dans un seul et même essai, ce qui exige de maîtriser à la fois la proximité et la distance vis-à-vis de soi-même59 ».

Conclusions

La reconnaissance et la large diffusion dont bénéficia le projet de P. Nora purent être dues au talent de son promoteur,
au prestige des éditions Gallimard et de la NRF, à la façon même dont il avait été conçu, à la trouvaille que fut
l’appellation « ego-histoire » et à son expressivité, à l’opportunité du moment de sa publication car cette initiative
créative et joyeuse se posait en alternative à la « crise » profonde que traversait alors l’histoire60, à la renommée de
certains de ses auteurs et à leur réputation de rénovateurs et de chefs de file dans leur domaine universitaire 61, à un
intérêt croissant pour l’histoire contemporaine au détriment d’autres époques historiques, à l’influence dont jouissaient
les intellectuels français dans le monde entier en ces années-là ou, tout simplement, à la conjonction de toutes ces
raisons. À partir de 1987, l’ego-histoire s’est imposée comme un concept historiographique de premier ordre, reflétant
dans sa formulation même les deux grands genres que sont l’« autobiographie » et l’« histoire », et réunissant les deux
pôles avec lesquels l’historien doit négocier : d’un côté, l’« objectivité » du passé, qui est là, et, de l’autre, la
« subjectivité » de l’historien qui l’analyse tout en étant immergé dans son présent.

40Trente ans après l’apparition de ce mouvement, à l’heure de porter un jugement sur ses points forts et ses points
faibles, sur son opportunité ou son inopportunité, sur son « endogamie » ou son influence, nul ne peut douter que nous
sommes devant un phénomène historiographique majeur. L’ego-histoire a amené les historiens à prendre conscience
des possibilités théoriques du genre voisin qu’est l’autobiographie, qui conduit tout naturellement à la réflexion
métahistorique. Elle a permis aux lecteurs de découvrir les fondements théoriques, philosophiques et intellectuels de la
pensée des historiens dont ils avaient auparavant lu les ouvrages historiques, ainsi que les engagements politiques et
allégeances idéologiques qui les ont influencés. Elle a rendu plus clairs aux yeux du public beaucoup des choix qui
sont à la base de l’écriture historique, tant en termes de contenus que de sources ou de méthodes. Elle a mis au jour les
ressorts internes de l’histoire. Elle a relié les textes historiques à leurs contextes matériels et intellectuels. Elle a servi
de modèle aux jeunes historiens. Elle a donné ses lettres de noblesse à la paternité auctoriale collective en
historiographie, incarnée par le concept de « génération », l’une des notions les plus appréciées par les ego-historiens.
Elle a encouragé l’analyse de modes d’appartenance collective des historiens liés aux origines, au genre, à l’âge, à la
nation. Elle a su historier les histoires des historiens. Elle a relié l’individuel au collectif. Elle a ouvert la voie à une
sorte d’autoréflexion historiographique permettant aux historiens d’essayer de se reconnaître comme appartenant à
une même profession, à une même génération, à un même contexte intellectuel. Elle a contribué à accroître l’estime de
soi des historiens et à mieux les faire connaître du grand public. Elle a privilégié l’« atelier », le « bureau » et le
« nous » par rapport à la « vie » ou au « je », même lorsqu’elle était écrite à la première personne et à partir d’un point
de vue très personnel.
41C’est aux historiens du présent de juger jusqu’à quel point toutes ces phrases auraient dû être écrites au présent
plutôt qu’au passé composé. Le cours de l’historiographie est si riche qu’il nous réserve du nouveau à chaque nouveau
tournant, à chaque nouveau contexte historique. Pour ma part, j’ai toujours pensé que c’est lorsqu’elle est capable
d’allier harmonieusement tradition et innovation que l’historiographie est à son meilleur. À cet égard, l’ego-histoire a
rendu un service incontestable aux historiens ainsi qu’à l’ensemble de la société, car les débats sur le passé font
indubitablement partie de l’identité collective.

Notes
1 Essais d’ego-histoire, P. NORA (dir.), Paris, Gallimard (Bibliothèque des histoires), 1987.
2 Georges DUBY, Mes ego-histoires, P. BOUCHERON et J. DALARUN (éd.), P. NORA (préf.) et P. BOUCHERON (postf.), Paris, Gallimard, 2015.
Voir aussi Felipe BRANDI, « Arquivos privados e história dos historiadores. Sobrevôo no acervo pessoal de Georges Duby », dans Arquivos
Pessoais. Reflexões Multidisciplinares e Experências de Pesquisa, I. TRAVANCAS, J. ROUCHOU et L. HEYMANN (dir.), Rio de Janeiro, FGV
éditora, 2013, p. 101-130. Voir aussi Jean-Louis JEANNELLE, Écrire ses Mémoires au  XXe siècle : déclin et renouveau d’une tradition, Paris,
Gallimard (Bibliothèque des idées), 2008, et Georges Duby, portrait de l’historien en ses archives, P. BOUCHERON et J. DALARUN (dir.), Paris,
Gallimard, 2015.
3 Giambattsita VICO, The Autobiography of Giambattista Vico, M. H. FISCH et Th. G. BERGIN (trad.), Ithaca, Cornell University Press, 1963.
4 Edward GIBBON, Memoirs of My Life , G. BONNARD (éd.), Londres, Nelson, 1966 ; Henry ADAMS, The Education of Henry Adams,
E. SAMUELS, Boston, Houghton Miffin Company, 1971.
5 Beneditto CROCE, An Autobiography, R. G. COLLINGWOOD (trad.), Oxford, Oxford Clarendon Press, 1927 ; Robin G. COLLINGWOOD, An
Autobiography, Oxford, Oxford University Press, 1967 ; Eric VOEGELIN, The Collected Works of Eric Voegelin, vol. 34 : Autobiographical
Reflections, E. SANDOZ (dir.), Columbia, University of Missouri Press, 2006, p. 23-148.
6 Arthur M. SCHLESINGER, In Retrospect: The History of a Historian, New York, Harcourt, Brace & World, 1963 ; William L. LANGER, In and
Out of the Ivory Tower: The Autobiography of William L. Langer, New York, N. Watson Academic Publications, 1977.
7 Marc BLOCH, L’étrange défaite : témoignage écrit en 1940, Paris, Éditions Franc-Tireur, 1946 ; Felix GILBERT, A European Past: Memoirs,
1905-1945, New York, W. W. Norton, 1988 ; S. HAFFNER, Defying Hitler. A Memoir, Londres, Phoenix, 2003.
8 Voir Donald P. VERENE, The New Art of Autobiography: An Essay on the Life of Giambattista Vico Written by Himself, Oxford, Clarendon
Press, 1991.
9 Die Geschichtswissenschaft der Gegenwart in Selbstdarstellungen, S. STEINBERG (dir.) Leipzig, F. Meiner (Die Wissenschaft der Gegenwaert
in Selbstdarstellungen), 1925, 2 vol. Voir aussi Jeremy D. POPKIN, « Coordinated Lives: Between Autobiography and Scholarship », Biography:
An Interdisciplinary Quarterly, 24, 2001, p. 781-805, ici p. 783-784, et ID., « The Origins of Modern Academic Autobiography:
Felix Meiner’s Die Wissenschaft der Gegenwart in Selbstdarstellungen », Rethinking History, 13, 2009, p. 27-42.
10 The Historian’s Workshop: Original Essays by Sixteen Historians, Lewis P. CURTIS Jr. (dir.), New York, A. A. Knopf, 1970.
11 Ibid., p. IX-XXV, ici p. XIII.
12 Ibid., ici p. XXIV.
13 Hayden W. WHITE, Metahistory. The Historical Imagination in Nineteenth-Century Europe, Baltimore/Londres, Johns Hopkins University
Press, 1973.
14 J’ai défendu l’existence de ces styles historico-autobiographiques dans Jaume AURELL, Theoretical Perspectives on Historians’
Autobiographies, New York, Routledge (Routledge Approaches to History, 15), 2016. Plus spécifiquement, pour le style humaniste,  ID.,
« Benedetto Croce and Robin Collinwood: Historiographic and Humanistic Approaches to the Self and the World  », Prose Studies, 31, 2009,
p. 214-226 ; pour le style monographique, ID., « Autobiographical Texts as Historiographical Sources: Rereading Fernand Braudel and
Annie Kriegel », Biography, 29-3, 2006, p. 425-445 ; pour le style postmoderne, ID., « Autobiography as Unconventional History: Constructing
the Author », Rethinking History: Journal of Theory and Practice, 10, 2006, p. 433-449 ; et pour le style interventionnel, ID., « Making History
by Contextualizing Oneself: Autobiography as Historiographical Intervention », History and Theory, 54, 2015, p. 244-268.
15 Fernand BRAUDEL « Ma formation d’historien » dans Écrits sur l’histoire, vol. 2 : Fernand Braudel, P. BRAUDEL (éd.), Paris, Arthaud, 1990,
p. 9-29, ici p. 9.
16 Elisabeth ROUDINESCO, Généalogies, Paris, Fayard, 1994, p. 9 ; voir aussi Patrick H. HUTTON, Philippe Ariès and the Politics of French
Cultural History, Amherst/Boston, University of Massachussets Press (Critical Perspectives on Modern Culture), 2004.
17 Philippe ARIÈS, « Pourquoi écrit-on des Mémoires ? », dans Ph. ARIÈS, Essais de mémoire, 1943-1983, Paris, Seuil, 1993, p. 345-354, ici
p. 345 (repris des actes du colloque de Strasbourg et Metz, 1978).
18 ID., « L’histoire existentielle », dans Le temps de l’histoire, Paris, Seuil (L’univers historique), 1986, p. 225-239, ici p. 233.
19 Ibid., ici p. 238-239 ; voir aussi ID., « Un enfant découvre l’histoire », ibid., p. 33-43.
20 David LOWENTHAL, The Past is a Foreign Country, Cambridge, Cambridge University Press, 1985. Voir aussi Gordon S. WOOD, The
Purpose of the Past. Reflections on the Uses of History, New York, Penguin, 2008, et John L. GADDIS, The Landscape of History. How
Historians Map the Past, Oxford, Oxford University Press, 2004.
21 Propos tenus par Gabrielle Spiegel lors d’un entretien avec l’auteur de cet article.
22 Philippe ARIÈS, Un historien du dimanche, Paris, Seuil, 1980, p. 121.
23 Histoire de la vie privée, Ph. ARIÈS et G. DUBY (dir.), Paris, Seuil (L’univers historique), 1985-1987, 5 vol.
24 Mona OZOUF, « L’image dans le tapis », dans L’École de la France, Paris, Gallimard (Bibliothèque des histoires), 1984, p. 7-24.
25 Pierre NORA, « Présentation », dans Essais… (op. cit. n. 1), p. 5.
26 Ibid., p. 5.
27 Lawrence STONE, « The Revival of Narrative: Reflections on a New Old History », Past and Present: A Journal of Historical Studies, 85,
1979, p. 3-17.
28 Pierre NORA, « Présentation », (op. cit. n. 1), p. 7.
29 Ibid., p. 7.
30 Roland BARTHES, « Death of the Author », dans Image, Music, Text, Londres, Fontana Press (Flamingo), 1977, p. 142-148, et
Michel FOUCAULT, « What is an Author », dans The Foucault Reader, P. RABINOW (dir.), New York, Pantheon books, 1984, p. 101-120.
31 George DUBY (op. cit. n. 2), p. 152-153.
32 Annie KRIEGEL, Ce que j’ai cru comprendre, Paris, Laffont (Notre époque), 1991.
33 Jeremy D. POPKIN, « Ego-histoire and Beyond: Contemporary French Historians-Autobiographers », French Historical Studies, 19, 1996,
p. 1139-1167, ici p. 1162.
34 René RÉMOND, « Le contemporain du contemporain », dans Essais… (op. cit. n. 1), p. 293-350, ici p. 294.
35 Georges DUBY, « Le plaisir de l’historien », dans ibid., p. 109-138, ici p. 109.
36 Martin AURELL, « Conclusion », dans Rewriting the Middle Ages in the Twentieth Century, J. AURELL et F. CROSAS (dir.), Tunhnout,
Brepols, 2005, p. 333-344, ici p. 341.
37 G. DUBY (art. cit. n. 35), p. 109-110.
38 ID., L’histoire continue, Paris, Odile Jacob, 1991, p. 8. Voir aussi Dominique IOGNA-PRAT, « Introduction. L’atelier de l’historien »,
dans Qu’est-ce que la société féodale ?, G. DUBY (préf.), Paris, Flammarion (Mille & une pages), 2002, p. VII à XXXIII, et F. BRANDI, (art. cit. n.
2), p. 101-130.
39 Pierre NORA, Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard (Bibliothèque illustrée des histoires), 1984-1992, 3 vol.
40 J. POPKIN, (art. cit. n. 33), p. 1166.
41 J. AURELL, « Making History… », (art. cit. n. 14), p. 244-268.
42 Pierre NORA, « L’ego-histoire est-elle possible ? », dans European Ego-Histoires: Historiography and the Self, 1970-2000, L. PASSERINI et
A. GEPPERT (dir.), Athènes, Nefeli, 2001, p. 19-26, ici p. 22.
43 Patrick BOUCHERON, Faire profession d’historien, Paris, Publications de la Sorbonne (Itinéraires), 2010.
44 La bibliothèque imaginaire du Collège de France : trente-cinq professeurs du Collège de France parlent des livres qui ont fait d’eux ce
qu’ils sont, F. GAUSSEN (préf.), Paris, Le Monde Éditions (La mémoire du monde), 1990.
45 Par exemple au Mexique (Egohistorias. El amor a Clío, J. MEYER [dir.], Mexico, Centre d’Études Mexicaines et Centraméricaines, 1993) ou
en Espagne (Jaume AURELL, La historia de España en primera persona, Barcelone, Base [Base hispanica, 29], 2012).
46 Alan J. P. TAYLOR, A Personal History, Londres, Hamish Hamilton, 1983, p. IX.
47 Charles PETRIE, A Historian Looks at His World, Londres, Sidgwick and Jackson, 1972, p. 1.
48 Pierre NORA, « Conclusion », dans Essais… (op. cit. n. 1), p. 351.
49 ID., (art. cit. n. 25), p. 7.
50 P. NORA, (art. cit. n. 42), ici p. 23.
51 Ibid., p. 19.
52 Historians and Race: Autobiography and the Writing of History, P. A. CIMBALA, et R. F. HIMMELBERG (dir.), Bloomington, Indiana
University Press, 1996 ; Voices of Women Historians: The Personal, the Political, the Professional, E. BORIS et N. CHAUDHURY (dir.),
Bloomington, Indiana University Press, 1999 ; Out of the Third Reich: Refugee Historians in Post-War Britain, P. ALTER (dir.), Londres, Tauris,
1998.
53 Authors of their Own Lives: Intellectual Autobiographies by Twenty American Sociologists, B. M. BERGER (éd.), Berkeley, University of
California Press, 1990, et Sociologists in a Global Age, M. DEFLEM (dir.), Aldershot, Ashgate, 2007 ; Building a Profession: Autobiographical
Perspectives on the Beginnings of Comparative Literature in the United States, L. GOSSMAN et M. I. SPARIOSU (dir.), Albany, Suny Press,
1994 ; Placing Autobiography in Geography, P. MOSS (éd.), Syracuse, Syracuse University Press (Space, Place and Society), 2001.
54 A. KRIEGEL, (op. cit. n. 32), p. 11-15.
55 J. D. POPKIN, History, Historians & Autobiography, Chicago, University of Chicago Press, 2005, et J. AURELL, Theoretical
Perspectives… (op. cit. n. 14).
56 Ibid., p. 1-2.
57 Walter LAQUEUR, Thursday’s Child Has Far to Go: A Memoir of the Journeying Years, New York, Scribner’s, 1995, p. 4.
58 H. WHITE, (op. cit. n. 13), p. 4-5.
59 L. PASSERINI et A. GEPPERT, (op. cit. n. 42), p. 7-18, ici p. 16.
60 Gérard NOIRIEL, Sur la « crise » de l’histoire, Paris, Belin (Socio-histoire), 1996.
61 En effet, les auteurs étaient des spécialistes reconnus dans les domaines de l’histoire des pouvoirs (Maurice  Agulhon), de l’histoire religieuse
(Pierre Chaunu), de l’histoire des mentalités (Georges Duby), de l’anthropologie culturelle et de l’histoire de l’imaginaire (Jacques Le Goff), de
la mythologie politique (Raoul Girardet) et de l’histoire des femmes (Michelle Perrot).

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