CLEF Psychologie Positive
CLEF Psychologie Positive
3 Intentions et objectifs
13 Éditorial
Sylvain DELOUVÉE
http://www.cairn.info/revue-les-cahiers-internationaux-de-psychologie-sociale.htm
COMITÉ ÉDITORIAL Bernard GAFFIÉ, Université de Toulouse
Kamel GANA, Université de Nancy
Jean-Claude ABRIC, Université de Provence
Pilar GONZALEZ, Université de Barcelone
Guglielmo BELLELI, Université de Bari
Robert-Vincent JOULE, Université de Provence
Jean-Claude DESCHAMPS, Université de Lausanne
Sylvie JUTRAS, Université du Québec à Montréal
Jean MORVAL, Université de Montréal
Serge MOSCOVICI, Laboratoire Européen de Psychologie René KAËS, Université Lumière, Lyon II
Sociale, Paris Simone LANDRY, Université du Québec à Montréal
Félix NETO, Université de Porto Stéphane LAURENS, Université Rennes 2
Juan Antonio PÉREZ, Université de Valencia Giovanna LEONE, Universités de Bari et de Rome
Paul SCHMITZ, Université de Bonn Jean-François LEROY, Université de Liège
Jacques-Philippe LEYENS, Université Louvain-la-Neuve
Edmond Marc LIPIANSKY, Université Paris X
DIRECTEUR DE PUBLICATION
Monique LUSSIER, Université d’Ottawa
Pierre DE VISSCHER, Université de Liège Jean MAISONNEUVE, Université Paris X
Jean-Michel MASSE, Hautes Études Commerciales, Montréal
RÉDACTEUR EN CHEF Michel MORIN, Université de Provence
Sylvain DELOUVÉE, Université Rennes 2 Gabriel MOSER †,Université Paris Descartes
Gabriel MUGNY, Université de Genève
Oscar NAVARRO CARRASCAL, MSH-Alpes, Grenoble
DIRECTEURS ASSOCIÉS (2012-2014)
Adrian NECULAU, Université de Iaşi
Catherine AMIOT, Université du Québec à Montréal, Canada Jacques NEYRINCK, École Polytechnique, Lausanne
Laurent LICATA, Université Libre de Bruxelles, Belgique Dominique OBERLÉ, Université Paris X
Grégory LO MONACO, Université de Provence, France Dario PAEZ, Université de San Sebastian
Gilda SENSALES, Université de Rome, Italie François RIC, Université de Bordeaux
Karine WEISS, Université de Nîmes, France Michel-Louis ROUQUETTE †, Université Paris Descartes
Éric TAFANI, Université de Provence
INDEXATION Pierre TAP, Université de Toulouse
Les articles publiés dans les Cahiers Internationaux de Hubert TOUZARD, Université Paris Descartes
Psychologie Sociale, ainsi que les résumés, sont actuel- Sabine VANHULLE, Université de Genève
lement indexés par : Yves WINKIN, École Normale Supérieure, Lyon
- l’American Psychological Association (PsycINFO,
PsycLIT, Psychological Abstracts) APPEL AUX AUTEURS
- Cambridge Scientific Abstracts (Sociological Abstracts) La revue est ouverte à toutes les personnes concernées
- l’Institut de l’Information Scientifique et Technique – par les pratiques, phénomènes, processus qui participent
CNRS (Pascal, Francis) à la fois du psychologique et du social.
On y accueille :
ABONNEMENT ET ANCIENS NUMÉROS
Éditions de l’Université de Liège – Céfal Diffusion 1. des articles de recherche notamment expérimentale ;
31 boulevard Frère-Orban 2. des notes de travail, préludes à des investigations ulté-
4000 Liège, Belgique rieures plus fouillées ou apportant des résultats néga-
Tél. +32(0)4 254 25 20 tifs ayant une portée heuristique effective ;
Fax. +32(0)4 254 24 40 3. les résultats d’enquête ou de recherches-action, des
Courriel : < [email protected]> études de cas ;
Les anciens numéros, jusqu’en 2002, sont disponibles 4. des articles critiques, méthodologiques ou épistémo-
auprès de <[email protected]>. Plus logiques ;
d’informations sur notre site internet (http://www.cips.
be). Pour les numéros suivants, à partir de 2002, contacter 5. des synthèses de points ou domaines particuliers, des
directement Céfal Diffusion. Les Cahiers de Psychologie exposés ou analyses théoriques ou historiques ;
Sociale (1979-1988) sont aussi l’objet de conditions 6. la description d’instruments d’investigation, d’anima-
avantageuses. S’adresser à Pierre De Visscher. tion ou d’intervention ;
7. la recension d’ouvrages et de notes de lectures ;
CONSEIL SCIENTIFIQUE – COMITÉ DE LECTURE
8. des informations, notes d’actualité, billets d’humeur ou
Jeanine BAIWIR, Conservatoire de Liège débats concernant le psycho-social.
Jean-Léon BEAUVOIS, Université de Nice
Laurent BÈGUE, Université de Grenoble
Herbert BLUMBERG, Goldsmith’s College, Université Correspondance scientifique
de Londres Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale
Marcel BOLLE DE BAL, Université de Bruxelles c/o Professeur Pierre De Visscher
Christine BONARDI, Université de Nice
75, Route de Liège
Jean-Paul BROONEN, Université de Liège
4141 Louveigné
Fabrice BUSCHINI, Université de Genève
Belgique
Olivier CORNEILLE, Université Louvain-la-Neuve
Benoît DARDENNE, Université de Liège Tél. : +32 (0)4 360 83 70
Bernard DE HENNIN, Facultés Catholiques de Lille Fax : +32 (0)4 360 95 03
Willem DOISE, Université de Genève Courriels : <[email protected]> et
Marcel FRYDMAN, Université de Mons <[email protected]>
Intentions et objectifs
L’accent est mis sur le pluralisme des disciplines, des orientations, des méthodo-
logies, et conséquemment des textes acceptés. La revue se veut lieu de rencontre,
échange et débats, voire conflits, entre spécialistes de disciplines ou de courants
distincts. Place peut notamment être faite à des orientations qui ne sont plus guère
d’actualité.
Aussi le réseau international d’experts est-il diversifié, comprenant non seulement
des scientifiques et académiques universitaires, mais aussi des praticiens du secteur
privé comme public.
Nous voulons rendre la revue accessible au plus grand nombre de lecteurs. Le
souci d’une large diffusion se conjugue avec celui d’une fonction pédagogique.
Nous souhaitons que les auteurs, sans sacrifier d’aucune façon les exigences de
la rigueur scientifique, veillent à la lisibilité de leurs écrits et se soucient de reca-
drer leurs préoccupations de façon suffisamment large, mettant les progrès de la
recherche à portée des responsables de la vie publique et des hommes et femmes
d’action en général.
Le Centre International de Psychologie Sociale
et le Centre de Dynamique des Groupes et d’Analyse Institutionnelle
proposent une
Rétroactes
Pour la cinquième fois, est organisé un enseignement en science-action psycho-so-
ciale, à l’intention non seulement des psychologues et des sociologues, mais aussi
des acteurs de la vie publique pratiquant l’animation, la formation, l’intervention,
la gestion, la supervision psychosociales, etc.
Cet enseignement s’est substitué au « Diplôme Européen de Psychologie Sociale
Appliquée » (D.E.P.S.A.). Celui-ci, fondé au début des années 90, était l’œuvre d’un
réseau européen en psychologie sociale appliquée, constitué par les représentants
de quatorze universités, sises dans six pays. N’ayant pu être poursuivi au sein des
structures académiques traditionnelles, nous avons pris l’initiative d’en proposer
l’équivalent dans le cadre de la formation continuée.
L’ensemble de la formation, au niveau d’un troisième cycle universitaire, conduit
à un Diplôme International en Science-Action Psycho-Sociale (D.I.S.A.P.S.). Elle
totalise quatre certificats comprenant chacun trois ou quatre modules distincts, le
tout réparti sur deux sessions d’été de trois semaines, en juillet 2011 et juillet 2012.
Elle fait appel à un éventail d’experts reconnus internationalement, académiques
et/ou praticiens.
Méthodologie
Nous voulons introduire à la méthodologie d’une science actionnable en
abordant des réalités concrètes par un apprentissage inductif. Celui-ci prend
deux formes :
• des séminaires de troisième cycle au sens académique du terme : des sujets
choisis sont analysés et débattus en séance : quant aux thèmes, priorité à la
conceptualisation fondamentale et aux travaux critiques et de synthèse ;
• des modules participatifs utilisant situations miniature, exercices structurés,
jeux de rôles, analyses de cas : l’apprentissage y privilégie l’acquisition active
sur un mode expériencié.
Pour chaque activité, les participants reçoivent (en préalable) une
bibliographie fondamentale mais réduite (quelques textes de base par
activité dont plusieurs scannés). Il est conseillé d’intégrer en cours d’année
les éléments de cette bibliographie de façon à être en mesure de suivre,
avec fruit, chacun des modules prévus à la session d’été.
Conditions d’admission
Être porteur d’un diplôme universitaire de deuxième cycle ou faire état d’un curri-
culum approfondi de formation continue. ATTENTION : un nombre maximal de
participants étant fixé par activité, l’inscription tardive est déconseillée.
Lieu
Parc Scientifique de l’Université de Liège, dans les locaux du Centre de Dynami-
que des Groupes et d’Analyse Institutionnelle (C.D.G.A.I.).
Durée et validation
Le programme s’étend sur trois semaines au mois de juillet et totalise 96 heures
par an. Toutefois, le diplôme ne sera octroyé qu’à deux conditions : avoir suivi
au moins 180 heures d’activités réparties sur deux ans ou plus ; rédiger (ou
pouvoir faire état d’) un texte original de vingt à trente pages sur un sujet relatif
aux matières abordées. Ce travail peut prendre la forme d’une vidéo, d’un DVD,
d’une analyse de cas ou d’un outil d’animation.
Coût
600 euros pour l’ensemble du programme 2012 ;
320 euros par certificat ; 95 euros par module isolé.
Priorité est donnée à ceux qui s’inscrivent à l’ensemble de la formation.
Modalités pratiques
Il est des fanatismes qui, pour affirmer importance et exclusivité, se constituent des
routines défensives, se cherchent des ennemis : citons le parfois arrogant ancrage
hypercognitivo-biologique, l’exclusivisme d’expérimentateurs trop étroitement li-
néaires, la méconnaissance de l’analyse des systèmes et de ses applications, le rejet
a priori de l’approche psychanalytique et parfois de toute perspective clinique,
l’ignorance des méthodologies qualitatives et des méthodes d’enquête si ce n’est
des techniques d’échantillonnage ou a contrario la haine de la statistique, l’oblité-
ration de toute perspective historique, le refus de l’apprentissage professionnel, la
peur des groupes, le gommage systématique de toute science-action, etc.
La discipline manque furieusement d’applicabilité
Fréquemment,
« la psychologie sociale n’est plus suffisamment en prise avec les problèmes de son
temps... C’est une façon de regretter le peu (ou l’insuffisance) d’applicabilité de la
discipline. Le problème de la carrière prend toute la place... Les gens font leur carrière,
très bien... il se trouve qu’ils le font avec de la recherche scientifique comme d’autres
le font avec la fabrication des yaourts... Il fut un temps où certains avaient honte de
dire qu’ils intervenaient sur le terrain. Si tu avais le malheur de dire que tu faisais une
intervention à l’extérieur (du laboratoire), on te taxait de « psychosociologue » comme
si ce terme était une injure. On oublie que... de nombreux collaborateurs de Lewin...
passaient leurs étés dans les camps de vacances avec des adolescents, inventaient des
dispositifs contre le racisme, c’étaient des militants de l’action sociale... Voilà c’est une
dimension qui manque. Sur des problèmes comme le terrorisme, comme la violence
urbaine, on devrait avoir des choses à dire. » (D. Oberlé).
Il est des fanatismes qui, pour affirmer importance et exclusivité, se constituent des
routines défensives, se cherchent des ennemis : citons le parfois arrogant ancrage
hypercognitivo-biologique, l’exclusivisme d’expérimentateurs trop étroitement li-
néaires, la méconnaissance de l’analyse des systèmes et de ses applications, le rejet
a priori de l’approche psychanalytique et parfois de toute perspective clinique,
l’ignorance des méthodologies qualitatives et des méthodes d’enquête si ce n’est
des techniques d’échantillonnage ou a contrario la haine de la statistique, l’oblité-
ration de toute perspective historique, le refus de l’apprentissage professionnel, la
peur des groupes, le gommage systématique de toute science-action, etc.
La discipline manque furieusement d’applicabilité
Fréquemment,
« la psychologie sociale n’est plus suffisamment en prise avec les problèmes de son
temps... C’est une façon de regretter le peu (ou l’insuffisance) d’applicabilité de la
discipline. Le problème de la carrière prend toute la place... Les gens font leur carrière,
très bien... il se trouve qu’ils le font avec de la recherche scientifique comme d’autres
le font avec la fabrication des yaourts... Il fut un temps où certains avaient honte de
dire qu’ils intervenaient sur le terrain. Si tu avais le malheur de dire que tu faisais une
intervention à l’extérieur (du laboratoire), on te taxait de « psychosociologue » comme
si ce terme était une injure. On oublie que... de nombreux collaborateurs de Lewin...
passaient leurs étés dans les camps de vacances avec des adolescents, inventaient des
dispositifs contre le racisme, c’étaient des militants de l’action sociale... Voilà c’est une
dimension qui manque. Sur des problèmes comme le terrorisme, comme la violence
urbaine, on devrait avoir des choses à dire. » (D. Oberlé).
Hélas, les enseignants ne sont pas toujours nommés pour leur charisme, l’étendue
de leur culture, la rigueur de leur pensée, leur maîtrise de l’ensemble de la discipli-
ne, leur capacité de développer un secteur. Ils sont définis priordialement comme
des chercheurs qui doivent publier abondamment pour survivre ou être promus.
Une fois nommés, beaucoup s’attachent avant tout, bon gré mal gré, à former et
recruter de jeunes chercheurs dans le cadre étroitement spécifique de leurs com-
pétences propres, parfois issues de leur seule thèse de doctorat.
J’ai ainsi connu, lors d’échanges Erasmus, une étudiante dont l’ignorance était
abyssale : Festinger, Lewin, connaît pas ! Or elle avait suivi, dans son université
d’origine, trois cours intitulés psychologie sociale, compléments de psychologie
sociale, questions approfondies de psychologie sociale. Interrogée quant au conte-
nu des dits enseignements, il s’est avéré que les cours traitaient tous trois et uni-
quement des stéréotypes, sujet de la thèse doctorale du professeur... Tout se passe
alors comme si la formation en psychologie sociale n’a qu’une finalité prégnante :
la reproduction, au sein de l’univers fermé et aseptisé de l’Université, d’une poi-
gnée d’enseignants-chercheurs, de par la force des choses plus chercheurs qu’en-
seignants. Ils sont d’ailleurs très seuls, la plupart du temps, avec, hélas, une charge
d’étudiants insupportable car énorme...
Dans les contacts de la vie quotidienne, quand on apprend que vous êtes « psy-
chologue social », les gens en induisent souvent, qu’avec une telle profession, on
doit avoir de grandes facilités à communiquer avec autrui. Il m’a déjà été dit : « au
fond, vous n’avez aucun mérite à avoir un abord accueillant puisque que c’est
votre métier d’être psychologue social ! ». Le tout-venant s’attend à ce que le fait
d’être psychologue social nous amène à développer à l’égard d’autrui des attitudes
relationnelles privilégiées. Nous sommes censés être capables d’écouter, de mener
un entretien, de conduire une réunion, de parler en public, de gérer les conflits, de
négocier habilement, etc. : en définitive il nous faudrait disposer d’un éventail de
savoirs-faire « psychosociaux ».
Le développement d’une telle science actionnable, qui demande souvent un long
et patient apprentissage, impliquant un parfois difficile travail sur soi, ne figure
que très rarement au programme des universités. Le moins qu’on puisse dire est
que cette formation à être-avec-autrui n’est pas le souci premier de beaucoup d’
enseignants universitaires. Néanmoins, pour autant que l’on exerce son métier de
psychologue social dans la vie publique, un tel ensemble de « social skills » est
une nécessité.
De tout ceci il résulte qu’un complément de formation , tentant de remédier (dans
une certaine mesure) à certains manques relevés, paraît bien n’être pas superflu,
contribuant à former à une focalisation réellement psychosociale.
Un programme substitutif
Il nous semble opportun de mettre sur pied un enseignement international de troi-
sième cycle dans le cadre de la formation continuée, en parallèle aux structures
académiques traditionnelles.
L’autonomie d’une telle organisation facilite les innovations pédagogiques.
D’une part, il peut être fait appel, non seulement à des académiques de notoriété
incontestée, mais aussi à des praticiens d’expérience et de très haut niveau. D’autre
part on pourra réduire le temps d’immobilisation des participants de manière à
faciliter l’inscription non seulement d’étudiants de troisième cycle, mais de person-
nes déjà engagées dans le circuit du travail : en mettant l’accent sur la préparation
à domicile et les échanges par courriel, la présence physique sera limitée à des
modules « bloqués » lors d’ une session d’ été de trois semaines. Ceci favorisera
l’inscription de personnes issues de la Francophonie ou d’autres régions d’Europe,
d’Afrique ou d’ailleurs.
Notes
1. Se référer à http://www.psychologie-sociale.eu/?page_id=369.
2. La Méthode... La nature de la Nature, Paris, Le Seuil, 1977, p. 12.
3. Voir le numéro spécial des Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale sur l’enseignement de la psycho-
logie sociale et la formation des psychologues sociaux, n°51-52, décembre 2001.
4. Pour plus d’informations, voir P. De Visscher : Un souci de pluralisme psychosocial, Cahiers Internatio-
naux de Psychologie Sociale, n°51-52, pp. 165-179.
Centre de Dynamique des Groupes et d’Analyse Institutionnelle, Parc Scientifique de l’Université de Liège.
ÉDITORIAL Sylvain Delouvée
Une année se termine et une nouvelle année commence. L’année prochaine nous
atteindrons le numéro 100 en continuant à promouvoir une approche scientifique,
à la fois fondamentale et appliquée, du secteur psycho social.
Une nouvelle équipe de directrices et directeurs associés nous a rejoint pour ces
deux années qui viennent (2012-2014). Nous tenons, très sincèrement et très
chaleureusement, à remercier cette nouvelle équipe internationale composée de
Catherine AMIOT (Université du Québec à Montréal, Canada), Laurent LICATA
(Université Libre de Bruxelles, Belgique), Grégory LO MONACO (Université de
Provence, France), Gilda SENSALES (Université de Rome, Italie) et Karine WEISS
(Université de Nîmes, France). Ce seront désormais eux qui seront chargés du suivi
des manuscrits et de la gestion des expertises pour les deux années à venir. Un
grand merci à eux d’avoir accepté de rejoindre l’équipe.
Ce premier numéro de l’année est un numéro thématique portant sur la psychologie
positive. Michaël Dambrun (Clermont Université) nous a proposé l’idée de ce
projet fin 2010. Un appel à communications a été lancé et Michaël a parfaitement
géré le suivi des manuscrits et les retours d’expertises. La qualité de ce numéro, les
commentaires constructifs des experts et les délais respectés lui doivent beaucoup.
Au nom des Cahiers, je tiens personnellement à le remercier pour son travail.
Encore un mot pour vous inciter à renouveller votre abonnement ! Les Cahiers ne
peuvent continuer à paraître que grâce à votre soutien. Un bulletin d’abonnement
se trouve à la fin de ce numéro.
Vous pouvez désormais nous retrouver sur CAIRN en version électronique : <http://
www.cairn.info/revue-les-cahiers-internationaux-de-psychologie-sociale.htm>.
Enfin, nous vous rappelons que les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale
sont ouverts à toutes les personnes concernées par les pratiques, phénomènes,
processus qui participent à la fois du psychologique et du social. N’hésitez pas à
nous soumettre vos manuscrits !
14
Michaël Dambrun,
Clermont Université et CNRS
cativement le don consenti aux réfugiés. En revanche cela n’affecte nullement des
requêtes plus engageantes, suggérant ainsi que la composante motivationnelle du
concept d’amour (approche) se heurte à celle liée aux réfugiés (évitement).
L’article proposé par Rébecca Shankland se situe à l’intersection du premier thème
et du second (le bonheur). Elle tente d’élucider la question suivante: le bien-être
individuel contribue-t-il au bien-être collectif ? Plus précisément, au moyen d’une
étude corrélationnelle en milieu naturel, elle obtient un support empirique pour
l’hypothèse selon laquelle le bien-être personnel favorise le don d’argent et ré-
ciproquement. La recherche réalisée par Michaël Dambrun et Matthieu Ricard
s’intéresse directement au bonheur et plus précisément à ses déterminants. Sur la
base d’un modèle théorique récent, ils apportent un appui empirique à l’hypothèse
selon laquelle un fonctionnement de soi décentré serait positivement relié au bon-
heur authentique-durable via des affects qualitativement distincts.
Enfin, le troisième thème (les forces, les vertus et la croissance post-traumatique
ou dans l’adversité) est regroupé autour de trois principales contributions. Tout
d’abord, Charles Martin-Krumm propose une analyse synthétique des recherches
sur l’optimisme. Ce dernier a des effets bénéfiques multiples en matière de santé
mentale et physique. Après une présentation et une analyse des principales re-
cherches sur cette thématique, l’auteur présente deux stratégies d’intervention
disponibles et susceptibles d’accroitre le niveau d’optimisme des individus. La
résilience est également un concept phare de la psychologie positive. Dans une
perspective clinique et d’intervention résolument humaniste, Jocelyn Chouinard,
Gabriel Mélançon et Lucie Mandeville présentent un nouvel outil qui favorise la
résilience et la croissance post-traumatique : le fil d’ariane. Cet outil s’inspire de
l’approche narrative en privilégiant la spiritualité et la recherche de sens. Ce nouvel
outil est également exemplifié au moyen d’un cas clinique. Pour clôturer ce numé-
ro thématique, Sylvie Jutras nous propose une étude qualitative sur les bénéfices
associés à l’expérience du cancer pédiatrique auprès d’enfants, d’adultes guéris et
de parents. Cette recherche révèle des bénéfices distincts parmi lesquels figurent
plusieurs vertus répertoriées par Peterson et Seligman (2004), démontrant ainsi un
effet de croissance dans l’adversité.
Ce numéro thématique ne reflète qu’une modeste partie de la grande diversité des
thèmes étudiés en psychologie positive. Toutefois, nous espérons qu’il participera
activement à l’essor de cette discipline dans le monde francophone. Nous remer-
cions sincèrement les CIPS pour leur soutien dans cette démarche.
20
Bibliographie
– Baumeister, R. F., Bratslavsky, E., Finkenauer, C., & Vohs, K. D. (2001). Bad is stronger than
good. Review of General Psychology, 5(4), 323-370.
– Clifton, D.O., & Nelson, P. (1992). Soar with your strengths. New York, NY: Dell Publishing.
– Gable, S. L., & Haidt, J. (2005). What (and Why) Is Positive Psychology? Review of General
Psychology, 9, 103-110.
– Magyar-Moe, J. L. (2009). Therapist’s guide to positive psychological interventions. San
Diego, CA US: Elsevier Academic Press.
– Martin-Krumm, C. & Tarquinio, C. (2011). Traité de Psychologie Positive : Fondements théo-
riques et implications pratiques. Bruxelles : De Boeck.
– Seligman, M. E. P., & Csikszentmihalyi, M. (2000). Positive psychology: An introduction.
American Psychologist. 55, 5-14.
– Seligman, M. P., Steen, T. A., Park, N., & Peterson, C. (2005). Positive Psychology Progress:
Empirical Validation of Interventions. American Psychologist, 60(5), 410-421.
– Simonton, D. K., & Baumeister, R. F. (2005). Positive Psychology at the Summit. Review of
General Psychology, 9, 99-102.
“ Est-il justifié de parler
de psychologie positive ?
”
Jacques LECOMTE
UFR de sciences psychologiques et
sciences de l’éducation, Université de Paris
Ouest Nanterre La Défense
L’expression « psychologie positive » The expression “positive psychology”
semble, de prime abord, contrevenir à may seem, at first glance, to contravene
la règle de neutralité axiologique selon to the rule of axiological neutrality, which
laquelle le scientifique doit éviter tout asserts that the scientist must avoid every
jugement de valeur dans le cadre de son value judgment within the framework of
activité professionnelle. Cet article vise à his professional activity. This article aims
montrer que la réalité est plus complexe to show that reality is more complex than
qu’on ne le pense habituellement et we think usually and it concludes that it
conclut qu’il est légitime d’utiliser is rightful using “positive psychology”
l’expression « psychologie positive ». Des expression. The article presents also some
réflexions supplémentaires sont apportées additional thoughts about the humanistic
sur le fondement humaniste de la foundations of positive psychology and
psychologie positive et sur sa place au sein on its position among different academic
des différentes disciplines psychologiques. psychological disciplines.
La correspondance pour cet article doit être adressée à Jacques Lecomte, Université de Paris
Ouest Nanterre La Défense, UFR de sciences psychologiques et sciences de l’éducation, 200
avenue de la République, 92001 Nanterre cedex 1, France. Courriel : <jacques.lecomte442@
orange.fr>.
23
U
Est-il justifié de parler de psychologie positive ?
Schwartz (2001) propose pour sa part d’établir une distinction entre formuler
des valeurs et les imposer. Selon lui, le fait qu’un chercheur en psychologie
s’interdise d’imposer des valeurs ne l’empêche pas pour autant d’en formuler.
Il établit une analogie avec la médecine : « La médecine et les médecins sont
guidés par une conception de ce que signifie être en bonne santé et des types
d’activités et de choix qui permettront aux personnes de vivre en bonne santé. Il est
même difficile d’imaginer comment la médecine pourrait être pratiquée sans ces
conceptions directrices. Des médecins qui laisseraient leurs patients décider, sans
aide, quels seraient les meilleurs objectifs médicaux à viser, seraient considérés
comme irresponsables. Cependant, les médecins n’imposent généralement
pas aux individus les meilleures pratiques liées à leur santé. Ainsi, la profession
médicale exprime ses recommandations et les individus font leur choix. (…) Les
psychologues devraient se comporter comme le font les médecins. Dans la mesure
où la psychologie peut développer une vision substantive de la vie humaine
bonne (en bonne santé, productive, responsable socialement), les psychologues
devraient l’exprimer et essayer de rallier l’opinion publique autour de cela afin
d’encourager les gens à la rechercher. La “coercition“ ne viendra pas de l’Etat mais
du pouvoir des arguments, probablement incarnés par des institutions sociales non
gouvernementales majeures. » (Schwartz, 2001, p. 80).
Dans un registre proche, Masters (cité par Tullberg et Tullberg, 2001, p. 170)
souligne que « lorsque le docteur prescrit un traitement, nous n’objectons pas
habituellement que cette pratique élimine la distinction logique entre les faits du
diagnostic et la valeur de la santé. »
Tout chercheur en psychologie a inévitablement en tête une conception de ce
qu’est le bon fonctionnement d’une personne ou d’un groupe social. Ceci a lieu
même dans des domaines de recherche ne présentant pas de lien avec la réflexion
morale. Par exemple, les nombreuses études effectuées sur les dysfonctionnements
cognitifs (dyslexie, dyspraxie, dyscalculie) ou plus banalement sur les biais cognitifs
ont pour standard de comparaison un type de processus cognitif considéré comme
pertinent et normal. Notons ici que l’ajout de guillemets au mot normal est une
stratégie sociale prudente fréquemment utilisée, mais que le sens de ce mot reste le
même, avec ou sans guillemets. Pour Brinkmann (2005, p. 760), « les jugements de
valeur sont inévitables, même dans les aspects les plus “objectifs“ et expérimentaux
de la psychologie. »
Mais que se passe-t-il lorsque l’on aborde des thématiques moralement sensibles ?
droit, juste, ainsi que leurs contraires. En revanche, les concepts moraux épais
expriment un enchevêtrement des faits et des valeurs. Il s’agit de termes tels que
« cruel », « fidèle », « courageux » ou encore « amical », ainsi que leurs contraires.
En fait, la plupart des mots que nous utilisons pour décrire les actions humaines
sont des concepts moraux épais.
Prenons par exemple, le mot « cruel », analysé par Putnam (2004, p. 43-44). « Le
mot “cruel“ a manifestement un usage normatif. (…) Pourtant, “cruel“ peut aussi
avoir un usage purement descriptif, comme lorsqu’un historien écrit qu’un certain
monarque était exceptionnellement cruel et que la cruauté du régime a provoqué
un certain nombre de révoltes. “Cruel“ ignore simplement la prétendue dichotomie
fait/valeur et se permet allègrement d’être utilisé parfois dans un dessein normatif,
parfois comme un terme descriptif. »
Putnam répond au passage à Hare qui prétendait maintenir la dichotomie, en divisant
les concepts moraux épais en deux composantes, l’une purement descriptive (faire
souffrir profondément), l’autre évaluative (« action qui est mauvaise »). Or, selon
Putnam (2004, p. 47), on ne peut définir le mot « cruel » simplement par le fait
de causer une profonde souffrance ; en effet, avant la découverte de l’anesthésie,
toute opération provoquait de grandes douleurs, ce qui n’impliquait évidemment
pas que les médecins étaient cruels. Inversement, un comportement peut être cruel
sans provoquer de douleur physique. Et Putnam de citer le cas hypothétique de
quelqu’un qui empêcherait une jeune personne d’accomplir un grand dessein.
Même si la victime n’en souffre jamais manifestement, cela peut-être très cruel.
Selon Putnam (2004, p. 52-53), nous sommes tentés par la dichotomie fait/valeur
parce qu’« il est beaucoup plus facile de dire : “ceci est un jugement de valeur“
que de d’examiner qui nous sommes, en quoi consistent nos convictions les plus
profondes et de soumettre ces convictions à l’épreuve d’un examen réfléchi. »
La psychologie scientifique est riche en concepts moraux épais, tels que
« maltraitance », « personnalité autoritaire », « machiavélisme », « narcissisme » ou
encore « caractère agréable » (l’une des composantes des Big Five). Ces concepts
font l’objet d’études rigoureuses, tout en étant utilisés de façon normative dans le
langage courant. Comme le souligne Brinkmann (2005, p. 760), « Dans la mesure
où la psychologie s’efforce de comprendre la façon dont les êtres humains agissent,
réfléchissent et justifient leurs actes, elle ne devrait pas éliminer de son vocabulaire
les concepts chargés de valeur, car le monde de l’action humaine qu’elle étudie est
composé de valeurs objectivement vraies. Nous avons besoin de concepts chargés
de valeur afin de comprendre un monde riche en valeur. »
Or, face à nombre de ces concepts moraux épais, les chercheurs se positionnent
clairement dans un camp. Par exemple, des recherches-actions sont menées pour
diminuer la maltraitance parentale envers les enfants, et l’on imagine mal la situation
inverse : une recherche-action menée dans le but d’augmenter la maltraitance.
Le mot « positif » fait précisément partie de la catégorie des concepts moraux épais,
qui relèvent à la fois du jugement de valeur et d’une analyse objective. Il est donc
28 CIPS n°93 – 2012 – pp. 21-36
avec leur entourage. La plupart aiment faire du sport et ont souvent d’autres
activités extrascolaires (club d’échecs, association de scouts, cours de musique). Il
n’y a pas de fossé majeur entre les générations. Certes, ils ont parfois des conflits
avec leurs parents, mais sur des aspects mineurs de l’existence. Selon Offer, ces
tensions aident l’adolescent à se distancer de ses parents et à devenir une personne
indépendante.
Ces résultats ont alors conduit certains psychanalystes à déclarer qu’il est erroné de
considérer ces adolescents comme « normaux », car ils refoulent leur trouble ou
leur pathologie sous-jacente. Ceci a donc conduit Daniel Offer et ses collaborateurs
à revoir ces jeunes 34 ans plus tard. Sur les 73 du groupe initial, deux sont
décédés ; sur les 71 autres, 67 acceptent d’être interrogés, ce qui constitue un taux
de 94 %, ce qui est exceptionnel pour une durée aussi longue. Or ils n’ont pas
vécu de crise de l’adolescence à retardement, contrairement à ce que prédisaient
les détracteurs d’Offer. A l’approche de la cinquantaine, la grande majorité de
ces personnes continuent à aller bien. Ils ont tous un emploi, entretiennent de
bonnes relations avec leur épouse, leurs enfants et, dans une moindre mesure, avec
leurs parents. Ils participent à différentes activités sociales et aucun ne souffre de
trouble psychiatrique. Ils sont globalement en bonne santé physique, même si 61
% souffrent de surpoids, voire d’obésité.
Selon Daniel Offer et ses collaborateurs, « La métaphore du Ca déchaîné, à peine
contrôlé par un Moi fragile et un Surmoi rigide et vulnérable (ou conscience) ne
s’applique pas à l’existence des hommes que nous avons étudiés. (…) Nos données
ne reflètent pas le modèle d’un Moi et d’un Surmoi luttant pour maîtriser et amener
au conformisme un Ca puissant et indiscipliné. (…) Nos données suggèrent
que les personnes habituelles ne luttent pas avec des pulsions déchaînées, mais
parviennent tôt dans la vie à un équilibre entre les volontés et désirs personnels et
les exigences et les attentes de leur famille et de la société. Cet équilibre est atteint
naturellement et sans désarroi, est durable et caractérise probablement la grande
majorité des gens. » (Offer et al., 2004, p. 101-102).
Passons maintenant au « syndrome du survivant », expression qui désigne les troubles
psychologiques éprouvés par des personnes ayant survécu à un drame collectif au
cours duquel des proches ont disparu. Ce trouble est notamment caractérisé par
la dépression, une apathie générale alternant avec des accès soudains de colère,
un sentiment d’impuissance et d’insécurité, de la culpabilité et des cauchemars.
Cette conception s’est largement diffusée chez les psychothérapeutes et dans le
grand public, au point que beaucoup de personnes pensent que la culpabilité du
survivant est presque toujours présente chez les victimes. Or, ces troubles sont
proportionnellement rares.
Résumons rapidement l’histoire de cette croyance. Après la Seconde Guerre
mondiale, certains survivants juifs de la Shoah, particulièrement traumatisés par
cette expérience, ont suivi une thérapie, au cours de laquelle ils ont exprimé leurs
souffrances. Des thérapeutes ont décrit ces symptômes, en particulier la culpabilité,
en les attribuant à l’ensemble des survivants (Niederland, 1968 ; Porot et al., 1985).
Est-il justifié de parler de psychologie positive ? 31
uns et les autres affirment que les thèmes d’étude essentiels de la psychologie
positive recoupent ceux de la psychologie humaniste. A titre d’exemple, Robbins
(2008) fait remarquer que les psychologues positifs utilisent l’expression « bien-être
eudémonique » pour décrire le même phénomène que ce que les psychologues
humanistes appellent « réalisation de soi » (self-actualization).
Friedman s’intéresse surtout à l’apparente opposition méthodologique entre la
psychologie humaniste, utilisant une méthodologie qualitative, et la psychologie positive,
utilisant une méthodologie quantitative. En fait, selon lui, cette opposition est illusoire
puisque l’on trouve des études qualitatives et quantitatives dans les deux courants.
Robbins (2008) affirme pour sa part que l’usage de l’expression « psychologie
positive » plutôt que « psychologie humaniste » résulte surtout de considérations
stratégiques. « Apparemment, il a fallu un cheval de Troie comme Seligman pour
faire enfin sortir discrètement la psychologie humaniste par la porte principale avec
un nom et un visage différents, de telle façon que les gardiens du statu quo ne se
rendent pas compte que les barbares étaient à la porte. (…) Pour être accepté au
sein du statu quo, ils ont ressenti le besoin de prendre le vieux vin de la psychologie
humaniste et de le placer dans la nouvelle bouteille de la psychologie positive. (…)
C’était leur stratégie, et elle semble avoir remarquablement fonctionné. » (Robbins,
2008, p. 98, 100).
Au fil du temps, la critique des fondateurs de la psychologie positive s’est adoucie.
Seligman, par exemple considère que, « fondée au début des années 1960 par
Abraham Maslow et Carl Rogers, deux individus brillants, la psychologie humaniste
a mis en évidence de nombreux fondements identiques à ceux de la psychologie
positive : la volonté, la responsabilité, l’espoir et les émotions positives. » (Seligman,
2011, p. 43). Dans un ouvrage de synthèse sur la pratique de la psychologie positive,
Linley et Joseph (2004, p. 7) considèrent que les similitudes entre ces deux courants
sont bien plus importantes que leurs différences. Plusieurs chercheurs reconnus
en psychologie positive affirment clairement leur appartenance à la psychologie
humaniste (Ryff et Keyes, 1995 ; Sheldon et Kasser, 2001).
L’avenir nous dira si cette redistribution des frontières au sein de la grande famille
Psychologie se produira ou non.
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“ Existe-t-il un véritable altruisme basé sur
les valeurs personnelles ?
”
J-F. Deschamps et
Rémi Finkelstein
Laboratoire Parisien de Psychologie Sociale
(LAPPS), Université de Paris Ouest -
Nanterre - La Défense, France
Le véritable altruisme existe-t-il ? Les Does true altruism exist? C.D. Batson’s
travaux de C.D. Batson ont mis en researches have shown the existence
évidence un altruisme basé sur l’empathie. of an empathy-based altruism. In this
Dans cette recherche, nous examinons research, we examine a new form of
une nouvelle forme de véritable true altruism that would be based on
altruisme qui serait basé sur les valeurs personal values. In a sample of volunteers
personnelles. Dans un échantillon de (N = 183), we found that the personal
bénévoles (N = 183), nous avons trouvé value True Altruism (PVTA) expressed by
que 23% des participants exprimaient 23% of the participants was very high
une valeur personnelle Véritable Altruisme (> 80%). A series of correlation analyses
(VPVA) très élevée (> 80%). Une série has shown that the PVTA was positively
d’analyses de corrélation a permis de and significantly correlated with some
mettre en évidence que la VPVA était measures of prosocial behaviour (r = .15
corrélée positivement et significativement to .22; p < .05; d = .39 to .65). These
à des mesures de comportements pro- first results support the existence of a true
sociaux (r = .15 à .22 ; p <.05 ; d = .39 altruism based on personal values and
à .65). Ces premiers résultats supportent point to the necessity of testing the causal
l’existence d’un altruisme véritable basé effect of PVTA on prosocial behaviour.
sur les valeurs personnelles et indiquent la
nécessité de tester l’effet causal de la VPVA
sur les comportements pro-sociaux.
La correspondance pour cet article doit être adressée à J.-F. Deschamps, 124 boulevard de la
République, 92210 Saint Cloud, France. Courriel : <[email protected]>.
Nous remercions tous les camarades HEC du premier auteur, membres de l’association
HEC-Bénévolat, qui ont rendue cette recherche possible par leur participation ; et plus
spécialement MM. E. de La Taille, et J.-P. Poncier, les Co-Présidents de l’association, pour leur
soutien amical ; ainsi que M. A. Didelot, Responsable Internet & Multimédia à l’association
des diplômés HEC, sans le secours duquel l’enquête web ne se serait jamais déroulée.
39
L
Existe-t-il un véritable altruisme basé sur les valeurs personnelles ?
1. Altruisme véritable
1.1. Mise en évidence d’un altruisme véritable
Les recherches sur les comportements prosociaux, déclenchées par l’affaire Kitty Ge-
novese de 1964, se sont traduites par des théories (e.g. Cialdini, Kenrich & Bauman,
1982 ; Latané & Darley, 1970 ; Piliavin, Dovidio, Gaertner & Clark, 1981), qui se
fondent toutes sur des motivations finalement égoïstes (Dovidio et al., 2006, p. 130).
Batson s’en est étonné, et s’est demandé s’il ne pouvait pas y avoir des motivations
véritablement altruistes (Batson & Shaw, 1991). Dans son modèle, Batson ne conteste
ni la réalité ni l’importance des motivations égoïstes, mais il fait place à une voie
complémentaire, représentant un altruisme véritable. Dans cette voie, la perception
du besoin d’autrui suscite une réponse émotionnelle de préoccupation empathique,
puis cette réponse entraîne une motivation altruiste à diminuer le problème de l’autre
personne, et cette motivation se traduit par une aide visant à être efficace.
Le format de cet article exclut de résumer les décennies de travaux de Batson, de
ses collaborateurs, et de ses contradicteurs : pour une perspective d’ensemble, voir
par exemple Dovidio et al. (2006, pp. 136-139). On considère aujourd’hui que ces
travaux ont mis en évidence l’existence d’un véritable altruisme basé empathie, du
moins dans certaines situations (Bierhoff, 2002, p. 331 ; Dovidio et al., 2006, p. 140).
que nous avons retenue. D’une part, parce que l’altruisme qu’elle définit est le seul
qui ait autant été mis en évidence (Dovidio et al, 2006, p. 136 ; Bierhoff, 2002,
p. 331). D’autre part, parce qu’elle a été abondamment explicitée par ses auteurs
(Batson & Shaw, 1991). De plus, elle est accompagnée d’une argumentation simple
et d’une grande rationalité (Batson & Shaw, 1991, pp. 108-110). Et enfin, c’est
désormais la définition la plus utilisée en psychologie sociale (Dovidio et al., 2006,
p. 25 ; Bierhoff, 2002, pp. 191-221).
Il nous a par ailleurs semblé utile de compléter cette définition avec deux préci-
sions. D’une part, il faut envisager une dimension comportementale à l’altruisme,
pour que celui-ci puisse effectivement s’intégrer à une des catégories des compor-
tements prosociaux. D’autre part, il faut également prendre en compte l’impor-
tance relative des bénéfices personnels de toutes sortes perçus par la personne qui
aide : bien que cette considération soit considérée comme superflue par Batson et
Shaw (1991), elle traduit une opinion largement répandue, et notamment reprise
par Aronson, Wilson et Akert (2004, p. 382), et Dovidio et al. (2006, pp. 25-26).
(f) sont ordonnées selon leur importance relative en tant que principes ou buts qui
guident la vie (Schwartz, 1994 ; Wach & Hammer, 2003).
En complément, pour Rokeach (1973, p. 5), une valeur est une «croyance qu’un
certain type de comportement est à privilégier». Rohan (2000) voit dans nos valeurs
notre guide personnel pour «vivre le mieux possible», par référence à Aristote
(Circa 350 BC/1980, Livre 1, section 8). Et Hitlin et Piliavin (2004) y trouvent «une
boussole morale interne».
Les valeurs sont des attitudes générales, les attitudes ordinaires concernant un objet
spécifique (e.g. Eagly & Chaiken, 1993, 2007 ; Hitlin & Piliavin, 2004 ; Rohan,
2000). Les aspects pertinents de la recherche sur les attitudes peuvent donc être
appliqués aux valeurs (Bem, 1970 ; Schuman, 1995).
Dans la théorie de Schwartz, les valeurs ont été regroupées en un système de dix
grandes catégories, ou valeurs-types (value-types) : Autonomie, Stimulation, Hédo-
nisme, Réussite, Pouvoir, Sécurité, Conformité, Tradition, Universalisme et Bien-
veillance (Schwartz, 1994, 2006).
Par ailleurs, malgré l’expression usuelle «Normes et Valeurs», les valeurs ne sont
pas des normes (voir Marini, 2000, pour une comparaison détaillée). Par exemple,
une norme traduit une obligation ressentie comme imposée de l’extérieur alors
qu’une valeur traduit un idéal personnel (Hitlin & Piliavin, 2004 ; Rohan, 2000).
cation personnelle, 5 mars 2009) : Batson, Eklund, Chermok, Hoyt et Ortiz (2007),
et Batson, Turk, Shaw et Klein (1995), qui n’ont pas étudié des valeurs personnelles
altruistes générales, mais l’effet des différences de valeur accordées à différentes
personnes et à leur bien-être.
Notre recherche propose ainsi de poser les premiers jalons d’une réflexion, empi-
riquement fondée, visant à prolonger les recherches classiques menées sur l’al-
truisme, dans un domaine à notre connaissance encore inexploré, celui des valeurs
personnelles.
4. Approche et Hypothèses
Cette recherche a mobilisé un échantillon de bénévoles appartenant à une asso-
ciation d’aide, et elle vise à mettre en évidence le fait que l’altruisme basé sur
les valeurs personnelles est lié positivement au comportement prosocial durable à
partir des hypothèses suivantes :
H1 : Il existe des personnes pour qui le véritable altruisme est une valeur person-
nelle importante.
Cette hypothèse se fonde sur les modes de formation des valeurs personnelles vus
plus haut, notamment la transmission et l’apprentissage, et sur le fait que la quasi-
totalité des cultures met cette valeur en avant (Dovidio et al., 2006, pp. 7-18). La
deuxième hypothèse se fonde naturellement sur la capacité motivationnelle des
valeurs personnelles.
H2 : Il existe un lien positif entre l’importance des valeurs personnelles véritable-
ment altruistes des participants, et l’importance de leurs activités bénévoles dans
la durée.
5. Méthode
5.1. Participants
Les participants étaient des adhérents du Club HEC-Bénévolat, qui recrute ses
membres parmi les quelque 30 000 anciens du Groupe HEC (HEC, ISA, CPA,
HECJF, etc.). Les adhérents de HEC-Bénévolat sont intéressés par le bénévolat à
divers degrés. Ce club comprend environ 650 adhérents. Les 501 disposant d’une
adresse email ont été sollicités, par un mail conduisant à un questionnaire en ligne,
et 37% d’entre eux (N = 183), ont fourni une réponse exploitable.
Les participants étaient tous des adultes de 42 à 86 ans (M = 68 ans ; ET = 7.5 ans).
Les hommes constituaient 93.4% de l’échantillon. Tous les participants avaient ef-
fectué des études supérieures, dont 97% : 4 ans et plus. Le revenu (fiscal net avant
impôt) de leur foyer se situait pour la plupart (49%) dans la tranche 60-120 000 €
(28% en-dessous, et 23% au-dessus).
Quatre-vingt douze pour cent des participants avaient consacré du temps à une
activité bénévole formelle ou informelle au cours des 10 mois précédant l’étude
(dont 78% au sein d’une association).
44 CIPS n°93 – 2012 – pp. 37-62
Les dirigeants du club ont estimé que ces caractéristiques étaient à peu près les
mêmes que pour le club dans son ensemble.
5.2. Instruments
Le questionnaire en ligne se composait de quatre parties à remplir séquentielle-
ment, la dernière partie étant constituée de cinq questions socio-démographiques.
ture des comportements prosociaux (pour une revue, voir Dovidio et al., 2006 ; et
Bierhoff, 2002), et en se conformant à la définition du véritable altruisme par Bat-
son (Batson et Shaw, 1991), ainsi que des deux précisions apportées dans le dernier
paragraphe de la section « Définition de Référence du Véritable Altruisme » (supra).
Ces 16 portraits ont ensuite été soumis à l’appréciation de 10 juges-experts (huit
Docteurs en Psychologie - sociale ou clinique - intéressés par les comportements
prosociaux, et deux étudiants de Mastère 2 Recherche de psychologie sociale). Ils
ont été interrogés séparément, via un questionnaire écrit. La consigne y était d’éva-
luer chacun des 16 portraits pour son adéquation avec le véritable altruisme, et en
particulier avec la définition de Batson, qui accompagnait la consigne. L’évaluation
prenait la forme d’une note sur 10 (de 0/10 à 10/10), ainsi que de commentaires
facultatifs.
Parmi ces 16 portraits, nous avons retenu les 6 qui ont obtenu les meilleures notes
moyennes [ (7.1/10) ≤ M ≤ (8.4/10) ]. Celles-ci étant toutes supérieures (ou égales)
à 7.1/10, on peut considérer que ces 6 portraits offraient a priori une validité rai-
sonnable par rapport au construit qu’ils visaient à mesurer. Quatre d’entre eux ont
été affinés selon les suggestions de certains juges-experts, tout en respectant les
approbations des autres. Le questionnaire finalisé figure en Annexe. (Voir la partie
Résultats pour les analyses complémentaires sur les items finaux utilisés).
5.3. Procédure
Les membres de HEC-Bénévolat disposant d’une adresse email opérationnelle ont
reçu un courrier électronique signé des deux co-présidents du club, et les invitant
à répondre à une enquête « intéressante pour HEC-Bénévolat », en cliquant sur
un lien figurant dans le courrier. Ce dernier indiquait que les participants seraient
tenus au courant des résultats, notamment par l’intermédiaire d’une présentation
lors d’une réunion du club. En cliquant sur le lien, le participant débouchait sur
la page d’accueil du questionnaire, installée sur un serveur web. La moitié des
personnes sollicitées a cliqué sur le lien (203 à la première sollicitation, et 48 suite
46 CIPS n°93 – 2012 – pp. 37-62
à une relance envoyée trois semaines après). Le logiciel du serveur interdisait les
participations multiples.
On a utilisé deux ordres différents dans la présentation des questions. L’ordre 1
était : 1°- activité bénévole ; 2°- questionnaire de diversion ; 3°- questions-portraits
d’altruisme ; et 4°- questions socio-démographiques. Dans l’ordre 2, les parties 1°
et 3° étaient inversées. Les participants sollicités ont été affectés à chaque ordre de
façon aléatoire.
L’administration du questionnaire par le serveur web se faisait question par question,
selon l’ordre prévu pour le participant concerné. Parmi les participants ayant cliqué
sur le lien dans l’email, 21% ont abandonné avant de répondre à la première ques-
tion. Les participants ayant répondu au questionnaire en entier (26 questions) y ont
passé en moyenne 7 minutes et 16 secondes (ET = 2 mn 21 sec.). Après que le parti-
cipant ait répondu à la dernière question, le serveur lui présentait une page de remer-
ciements en lui rappelant qu’il serait contacté pour la communication des résultats.
6. Résultats
6.1. Analyses Préliminaires
6.1.1. Observations retenues et données manquantes
L’enquête a permis de collecter 183 questionnaires exploitables. Les seules données
manquantes y étaient, pour l’un des questionnaires, une activité bénévole ; et pour 12
questionnaires (6,5% de la base retenue), certaines réponses socio-démographiques.
6.1.3. VPVA
6.1.3.1. Batterie des 6 questions-portraits
L’alpha de Cronbach de la batterie des 6 questions-portraits d’altruisme est satisfai-
sant (a = .88). Chacun des 6 items est utile, et aucun n’est divergent : (a varie entre
Existe-t-il un véritable altruisme basé sur les valeurs personnelles ? 47
Unité de
Variable Désignation N M (ET) %>0 Asymétrie
Mesure
Bénévolat en
B-ASSOC H/semaine 183 8,46 (9,62) 78% 1.55
Association
Bénévolat hors
B-HORS-A H/semaine 183 3,80 (5,77) 66% 2.67
Association
Aide à des
B-CONN H/semaine 182 3,81 (2,88) 85% 2.18
Connaissances
Bénévolat en %
B-%T-LI % 183 21,98 (22,44) 92% 1.34
du Temps Libre
Moyenne des
6 portraits VA-M6 0 à 10 183 7,14 (1,54) 100% - .56
d’altruisme
Portrait direct
VA-PD 0 à 10 183 6,42 (1,98) 99,5% - .52
d’altruisme
.850 et .875 quand on retire l’un ou l’autre d’entre eux. L’analyse factorielle ACP
confirme qu’un seul facteur principal possède une valeur propre supérieure à 1. Ce
facteur unique explique 63% de la variance totale des 6 items et est saturé à peu
près uniformément par chacun d’entre eux (de .72 à .84). Les scores des 6 items de
cette batterie ont donc été synthétisés par leur moyenne arithmétique VA-M6 (M =
7,14 ; ET = 1,54).
de VA-M6. Par ailleurs, dans l’ACP portant cette fois sur les 7 questions-portraits
prises ensemble (la batterie plus le portrait direct), on retrouve un seul facteur prin-
cipal à valeur propre supérieure à 1, expliquant quasiment la même part de va-
riance que dans l’ACP de la batterie seule (64% vs. 63%) ; et c’est le portrait direct
qui sature le plus ce facteur, à égalité avec « aider les autres à s’épanouir » : .85, vs.
.72 à .83. Le deuxième facteur principal n’explique plus que 11,9% de la variance
(vs. 13,7% pour la batterie), et le portrait direct est cette fois l’item qui le sature le
moins (.11, vs. .12 à .49). Ce deuxième facteur, comme pour la batterie, oppose
aux autres, les 3 items soulignant l’absence de bénéfice pour l’aidant.
L’ensemble de ces résultats suggère que la question Portrait-Direct (« cette per-
sonne est altruiste ») résume assez bien les résultats que l’on peut obtenir avec la
batterie de 6 portraits. Dans ce portrait direct, les participants semblent donner au
mot « altruisme » son sens véritable, et non son sens large (proche de prosocial),
puisqu’ils sont plus sévères pour eux-mêmes avec cet item qu’avec ceux de la
batterie ; et ceci avec une décote constante d’environ un demi écart-type (.74)
quel que soit le niveau de valeur altruisme qu’ils s’attribuent ; et alors même que
les items de la batterie ont été choisis pour ne refléter autant que possible que du
véritable altruisme.
Toutefois, la corrélation imparfaite entre les deux mesures (.79), et l’examen du
deuxième facteur principal de l’ACP, suggère que la batterie de 6 items com-
plète utilement cette mesure directe de la valeur altruisme. Par conséquent, c’est
la moyenne VA-MOY de ces deux mesures (VA-M6 et VA-PD) qui a été adoptée
comme mesure de la VPVA1.
Tableau 3 : Importance de Certaines Valeurs dans les Etudes de Wach et Hammer (2003, p.
113) et Caprara et Steca (2007)
Importance moyenne
Note. Les données pour la France sont celles de Wach et Hammer, et celles de Caprara et Steca pour
l’Italie.
en 6 points (i.e. 5 intervalles), allant de « Pas du tout comme moi = 1 » à « Tout à
fait comme moi = 6 ». L’étude de Wach et Hammer a porté sur un échantillon de
1 799 participants représentatif de la population française de plus de 15 ans. Celle
de Caprara et Steca a porté sur un échantillon national de 1 324 italiens adultes,
représentatif des deux sexes et de chaque tranche d’âge.
Les scores de ces deux études sont aisément transposables en pourcentage, en met-
tant, comme dans la présente recherche, 0% pour « Pas du tout = 1 », et 100% pour
« Tout à fait comme moi = 6 », chacun des 5 intervalles représentant 20 points de
pourcentage (100 / 5 = 20 ; par exemple, « 4 » devient : [4 – 1] / 5 = 3 / 5 = 60% ;
et « 4.6 » devient : [4.6 – 1] / 5 = 3.6 / 5 = 72% 2.
6.2.2.1. Comparaisons
On peut ainsi extraire des études de Wach et Hammer (2003, p.113) et Caprara et
Steca (2007), les points de comparaison présentés par le Tableau 3 (ci-dessus). On
y observe notamment que l’importance moyenne de toutes les valeurs retenues par
le modèle de Schwartz est de 59% pour un échantillon représentatif français. La
valeur-type Bienveillance, uniquement composée de valeurs prosociales, obtient
50 CIPS n°93 – 2012 – pp. 37-62
en France un score de 80%. C’est le score le plus élevé atteint parmi les 10 valeurs-
types de Schwartz, conformément à la plupart des études conduites avec ce modèle
(Schwartz, 2006 ; Wach et Hammer, 2003, pp. 111-122). Le regroupement Dépasse-
ment de Soi rassemble les deux valeurs-types Bienveillance et Universalisme ; Uni-
versalisme obtient dans l’étude française le deuxième rang parmi les valeurs-types
(comme habituellement dans cette catégorie d’études). Ainsi le score de Dépas-
sement de Soi est plus élevé que celui de n’importe quel autre regroupement de va-
leurs du modèle de Schwartz, à l’exception naturellement de Bienveillance : le score
de Dépassement de Soi est respectivement de 77% en France et de 70,6% en Italie.
En comparant les Tableaux 2 et 3, on constate que 126 participants de notre échan-
tillon (69%) accordent à la VPVA une importance supérieure à la moyenne des va-
leurs (plus de 60%, vs. 59%). Parmi ces 126 participants, 92 d’entre eux (50% de
notre échantillon) accordent à la VPVA une importance comparable ou supérieure à
celle de Auto-Transcendance en Italie (70% ou plus, vs. 70,6%). Et enfin on observe
que parmi ceux-ci, 43 participants (23% de notre échantillon) accordent à la VPVA
une importance supérieure au score de 80% obtenu dans l’échantillon représentatif
français par la Bienveillance, la valeur-type la plus importante.
7. Discussion
7.1. Hypothèses et Résultats
La VPVA a été mesurée par un double instrument de type PVQ (par ex., Schwartz,
2006), et sélectif. La présente recherche a montré qu’il se trouve des personnes
Existe-t-il un véritable altruisme basé sur les valeurs personnelles ? 51
Variable 1 2 3 4 5 M ET
Nom Description
1.
Bénévolat en
_ 8.46 9.62
Association
B-ASSOC
2.
Bénévolat hors
.00 _ 3.80 5.77
Association
B-HORS-A
3.
Bénévolat en %
.71** .12 _ 22.0 22.4
du Temps Libre
B-%T-LI
4.
Aide à des
.15* .20** .17* _ 3.81 2.88
Connaissances
B-CONN
5.
VPVA .03 .21** .15* .22** _ 6.78 1.66
VA-MOY
pour qui la valeur personnelle Véritable Altruisme (VPVA) est importante. En l’oc-
currence, 43 personnes du protocole (23%) ont une VPVA de plus de 80%, et ce
seuil de 80% est important, en particulier lorsqu’on le compare avec les valeurs
étudiées dans le système de Schwartz.
Des comportements prosociaux durables ont été mesurés de quatre façons, et la
VPVA explique une partie de leur variance, conformément à la deuxième hypo-
thèse, pour trois mesures sur quatre, pour lesquelles on a trouvé une corrélation
significative comprise entre .15 et .22.
La mesure du temps de bénévolat en association s’est révélée inopportune, pour
des participants dont le temps libre varie considérablement (58% d’entre eux ayant
plus de 65 ans, et se trouvant donc en général à la retraite). Ceci explique proba-
blement qu’on n’ait pas trouvé de lien avec la VPVA.
Les trois mesures corrélées à la VPVA sont le temps consacré au cours des 10 der-
niers mois à des activités bénévoles de toute nature mais en dehors d’une associa-
tion ; le temps passé à aider des personnes que le participant connait personnelle-
ment au cours des 14 jours précédents ; et le pourcentage du temps libre consacré
aux activités bénévoles de toute nature dans les 10 derniers mois. Cette dernière
question visait à mesurer l’ensemble des activités bénévoles, en association ou pas,
en contournant le problème de l’hétérogénéité entre les participants retraités et les
52 CIPS n°93 – 2012 – pp. 37-62
autres. La corrélation trouvée (r = .15), est significative (p < .05), mais plus faible
que pour les deux premières mesures, peut-être à cause de l’effet du bénévolat en
association, qui constitue en moyenne 70% des heures de bénévolat.
Même dans le cas des deux premières mesures, la corrélation n’est pas très élevée (r
= .21 et r = .22, respectivement), et le pourcentage de variance expliqué n’est donc
que de 4,4% et 4,8% respectivement. Ceci n’est toutefois pas surprenant. En effet,
les comportements prosociaux sont influencés par de nombreux facteurs, tant situa-
tionnels (Dovidio & al., 2006, pp.65-105), que relatifs à la personne aidante (Dovi-
dio & al., 2006, pp. 106-143 et 223-239). Pour ces derniers facteurs, la recherche
des 40 dernières années a mis en évidence le rôle de plusieurs motivations égoïstes,
ainsi que celui de l’apprentissage, du conditionnement, des automatismes, et de
certains traits de personnalité, et aussi naturellement celui de l’altruisme basé sur
l’empathie (Bierhoff, 2002, pp. 17-250 ; Dovidio & al., 2006, pp. 33-239). De plus,
on a observé chez les bénévoles des facteurs plus particuliers, liés par exemple au
besoin d’appartenance, au désir d’entreprendre, au sens des responsabilités poli-
tiques ou sociales, etc. (Bierhoff, 2002, pp. 313-323 ; Dovidio, 2006, pp. 156-164).
Compte-tenu de ce très grand nombre de facteurs, il n’est pas étonnant que l’un
d’entre eux, ici la VPVA, n’explique qu’une faible partie de la variance.
Il est possible en outre que les 3 corrélations trouvées aient été appauvries par le
manque de précision des questions portant sur le bénévolat (voir section 2.2 infra).
mettre la barre le plus haut possible, et c’est ce qui a été fait avec le seuil de 80%.
D’une part, ce niveau de 80% est un niveau élevé dans l’absolu, pour mesurer n’im-
porte quelle attitude ou niveau d’adhésion. D’autre part, ce critère est très sélectif,
puisque la moyenne des valeurs de l’échantillon représentatif français n’est que de
59% (voir Tableau 3), et que seule 1 catégorie de valeurs sur 10 (Bienveillance), se
situe à ce seuil de 80%. Il paraît donc légitime de conclure que la VPVA est impor-
tante pour les personnes (23% de notre échantillon) pour qui elle est supérieure à
ce niveau3.
Dans une future recherche, il serait toutefois intéressant de questionner les partici-
pants aussi sur les valeurs habituelles du système de Schwartz (par ex., 2006), pour
avoir un point de référence direct en plus des autres.
vs. M01 = 6,53; Test U de Mann-Whitney, Z = - 1.60 ; p = .11), mais ceci n’entraine
aucune tendance générale à la hausse des déclarations d’activités bénévoles : + 3%
pour le bénévolat en association [M02 = 8,57 (10,11) vs. M01 = 8,35 (9,16)], et +
7% pour le temps libre consacré au bénévolat [M02 = 22,73 (23,27) vs. M01 = 21,24
(21,68)], mais - 5% pour le bénévolat hors association [M02 = 3,69 (6,27) vs. M01
= 3,90 (5,25)], et - 10% pour l’aide à des personnes connues [M02 = 7,22 (7,79) vs.
M01 = 8,00 (10,26)].
Enfin, les mesures de bénévolat souffrent d’être des auto-déclarations, et dans une
future recherche il serait intéressant de les rendre plus objectives, par exemple en les
recoupant avec les déclarations de l’entourage.
présentant une VPVA importante (> 80%) est donc très probablement plus élevé que
ce que l’on pourrait trouver dans la population générale. Mais ceci ne remet pas en
cause la réalité mise en évidence (et la vérification de notre hypothèse) : à savoir qu’il
existe bien des gens qui ont une VPVA importante ; et que c’est donc peut-être une
motivation de véritable altruisme.
D’autre part, les participants étant des managers diplômés, leur niveau d’éducation
favorise peut-être le lien trouvé entre la VPVA et l’activité bénévole. Il serait donc
utile de voir si ce lien est par exemple modéré par ce facteur, au moyen d’études
portant sur des participants d’origines socio-culturelles différentes.
Notes
1. Il n’y a pas d’effet d’ordre significatif (test U de Mann-Whitney) ni pour les 4 variables de
bénévolat (- 0.11 < Z < 0.41 ; p > .68), ni pour VA-MOY (Z = - 1.60 ; p = .11). On observe
une petite tendance pour VA-MOY, la variable constituée pour mesurer la VPVA, à être moins
élevée lorsque les participants n’ont abordé les portraits d’altruisme qu’en troisième partie de
questionnaire (ordre 1), au lieu de la première partie (ordre 2), et alors que les activités béné-
voles, pour leur part, ne varient pas selon l’ordre : Pour VA-MOY, M01 = 6,53 vs. M02 = 7,02
; Test U de Mann-Whitney, Z = - 1.60 ; p = .11. Cette petite tendance peut être expliquée par
un écart significatif dans le même sens de l’une des deux composantes de VA-MOY, à savoir
la batterie des 6 portraits d’altruisme (M01 = 6,77 vs. M02 = 7,51 ; Test U de Mann-Whitney,
Z = - 2.69 ; p < .01), alors qu’on ne retrouve pas cet effet pour l’autre composante, le portrait
direct (« cette personne est altruiste ») : M01 = 6,30 vs. M02 = 6,54 ; Z = - .60 ; p = .54. On
peut donc spéculer que, à activité bénévole égale, les participants ont spontanément une vi-
sion plus positive de leurs valeurs altruistes (Ordre 2), que lorsqu’on leur demande de décrire
d’abord leurs activités bénévoles réelles (Ordre 1), ce qui aurait pour effet de les rendre alors
plus modestes, et d’abaisser leur propre évaluation de leurs valeurs altruistes ; et supposer
que l’item Portrait Direct serait moins affecté par cet effet : soit parce qu’il n’arrive au plus
tôt qu’en septième position (Ordre 2), et qu’on y répond donc toujours de façon moins spon-
tanée ; soit que, allant droit au but, il amène les participants à être plus modestes quel que
soit l’ordre de passation. En somme, il se peut que l’Ordre 2 ait un peu poussé à la hausse le
score de la VPVA, et par conséquent le nombre de participants avec un score VPVA impor-
tant. De fait, ces derniers constituent 26% de l’Ordre 2, alors qu’ils ne représentent que 21%
de l’Ordre 1. Mais cet effet éventuel a peu de conséquences : si les participants concernés
n’étaient que 21% dans chaque cas (Ordre), ils représenteraient quand même encore 21% du
protocole, soit 38 personnes (au lieu de 43). Et ces nombres (21%, 38 personnes) restent bien
suffisants pour valider l’hypothèse 1 : il y a des personnes pour qui la VPVA est importante.
2. Contrairement à l’échelle que nous avons utilisée, chacun des points intermédiaires de
l’échelle de Wach et Hammer (2003, p. 113) et de Caprara et Steca (2007) était accompagné
d’un commentaire (par exemple : « 3 » = « un petit peu comme moi »). On pourrait se deman-
der si cela risque d’introduire un biais dans la linéarité de l’échelle. Mais toutes les statistiques
PVQ utilisant cette échelle font l’hypothèse implicite qu’elle est linéaire (voir en particulier
Wach & Hammer, 2003, pp. 83 à 122). La transposition que noue en avons faite parait donc
raisonnable. La discussion des résultats montre par ailleurs que les conclusions ne sont pas
très sensibles à cette hypothèse.
3. On peut toutefois encore se demander si la conversion de l’échelle utilisée par Wach et
Hammer (2003, p. 113 ; ainsi que Caprara & Steca, 2007) ne comporte quand même pas un
biais. En effet, cette échelle allait de « 1 = Pas du tout » à « 6 = Tout à fait », alors que la nôtre
allait de « 0 = Pas du tout » à « 10 = Tout à fait » : on peut se demander si, pour les participants
de Wach et Hammer, donner une note de « 1 = Pas du tout » revenait à donner une note
aussi basse que « 0 = Pas du tout ». Le biais potentiel de cette conversion est toutefois limité,
puisque même en supposant à l’extrême que le point zéro implicite de l’échelle de Wach et
Hammer est bien « 0 », et non « 1 », on aurait alors une échelle disposant implicitement de 6
intervalles (et non 5), et le score de 5.0/6 devrait être converti en 83% au lieu de 80%. Dans
ce cas extrême, les participants de notre échantillon dont la VPVA serait jugée importante,
pourraient être limités à ceux pour qui elle est supérieure à ce chiffre de 83%, et leur nombre
serait alors réduit de 43 à 30. Ce nombre de 30 participants (16,5% de l’échantillon) resterait
néanmoins tout à fait suffisant pour valider l’hypothèse de l’existence de personnes accordant
une importance élevée à la VPVA.
58 CIPS n°93 – 2012 – pp. 37-62
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Existe-t-il un véritable altruisme basé sur les valeurs personnelles ? 61
Annexe
Cette personne accorde de l’importance au bien-être des autres, et fait régulièrement des
choses pour cela.
Pas du tout Tout à fait
comme moi 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 comme moi
Cette personne pense qu’il est important d’aider les autres à s’épanouir, et elle aime le faire
régulièrement
Pas du tout Tout à fait
comme moi 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 comme moi
Cette personne respecte les autres, leur porte attention, et elle est généreuse.
Pas du tout Tout à fait
comme moi 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 comme moi
Cette personne est capable d’aider quelqu’un en difficulté sans attendre quelque chose en
retour.
Pas du tout Tout à fait
comme moi 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 comme moi
Cette personne peut aider quelqu’un en difficulté même si cela doit lui couter en temps et
en argent
Pas du tout Tout à fait
comme moi 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 comme moi
Cette personne aide régulièrement autrui loin du regard des autres et sans que cela se sache
Pas du tout Tout à fait
comme moi 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 comme moi
Cette personne est altruiste
Pas du tout Tout à fait
comme moi 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 comme moi
“ Induction sémantique de l’amour et
comportement d’aide envers des
”
réfugiés : amour + réfugiés = amour
des réfugiés ?
La correspondance pour cet article doit être adressée à Lubomir Lamy, Université Paris-Sud,
IUT de Sceaux, 8 avenue Cauchy, 92330 Sceaux, France. Courriel : <[email protected]>.
65
L
amour + réfugiés = amour des réfugiés ?
L’amour est un concept qui souvent prête à sourire. Il évoque un registre de légèreté,
d’insouciance, d’idéalisme ou au contraire de manipulation à des fins personnelles.
L’amour consiste à la fois en un mythe, des espérances et des réalités (Lamy, 2006).
Les théories scientifiques des émotions ne lui accordent qu’une place marginale (voir
par exemple Ekman, 1992), alors même que les théories naïves le font apparaître
comme le meilleur exemple d’émotion (Fehr et Russell, 1984). On a pu conclure
(Aron, 2006) que l’amour est plutôt une constellation d’émotions variées (joie, inté-
rêt, jalousie, désespoir,…), ou un état motivationnel orienté vers un but à atteindre.
Nous avons récemment proposé (Lamy, 2011) un paradigme de recherche suscep-
tible de replacer l’amour parmi les concepts scientifiques, en l’opérationnalisant
en tant que variable indépendante. Ce renversement de perspective n’est possible
qu’en manipulant l’amour sous la forme d’une induction sémantique. L’amour se
trouve alors, en quelque sorte, « dématérialisé ». On passe d’une étude de l’amour
en tant qu’objet « réel » (une relation amoureuse ou un sentiment déclaré) et en
tant que conséquence (d’un degré de similitude, d’un degré de familiarité, d’un
degré d’attractivité physique,…), à l’étude de l’idée de l’amour en tant que cause
de processus cognitifs, affectifs ou comportementaux. Nous reprenons ici ce para-
digme de recherche pour explorer les conséquences possibles de l’idée de l’amour
sur des opinions et des comportements d’aide envers des réfugiés. On sait que
l’amour se porte préférentiellement vers des objets « propices » : visages souriants
et sympathiques, ambiance agréable. Qu’en sera-t-il lorsqu’il est induit simultané-
ment à une demande d’aide envers une population en difficulté et en souffrance,
que la plupart des gens fuient habituellement ? Possédera-t-il alors un pouvoir de
contamination cognitive ou émotionnelle (Fischoff, Gonzalez, Lerner et Small,
2005 ; Wilson et Brekke, 1994), propre à susciter envers cette population la géné-
rosité et la bienveillance habituellement réservés à ceux que l’on aime ?
2. Méthode
2.1. Pré-test
Nous avons sollicité 90 étudiants (Hommes = 30, Femmes = 60) du Département
Techniques de Commercialisation 1 de l’IUT de Sceaux, afin de répondre à la ques-
tion suivante : « Quand vous entendez les mots : « Réfugié étranger en attente de
régularisation », à quoi cela vous fait-il penser spontanément ? Quels sont les mots
qui vous viennent à l’esprit ? »
Au total, 387 associations spontanées ont été recueillies. Parmi elles, les thématiques
les plus fréquemment évoquées sont celles de la misère (pauvreté, faire la manche,
galère,…) : 22% des réponses. Vient ensuite l’énumération des groupes stigmatisés
et des lieux où ils se rencontrent (Noirs, Roms, Clignancourt, métro,…) : 16% des
réponses. Suit le thème de l’exclusion par défaut de nationalité française (préfec-
ture, clandestin, xénophobie, charter,…) – 10% des réponses, et celui de l’exclusion
sociale (solitude, rejetés, exclus,…) – 6% des réponses. Le thème de la délinquance
(violence, dangereux, voleurs,…) représente lui aussi 6% des réponses, le thème du
travail (travail dur, travail au noir, sans travail), 2,5% des réponses. Les réponses par re-
cherche de synonymie (immigrés, homme,…) représentent 7% du total. Les 30% de
réponses restantes sont très dispersées, nombre d’associations n’apparaissant qu’une
ou deux fois (peur, incertitude, …). Nous observerons surtout que les associations
d’idées de valence positive sont très rares. Dans ce registre, on peut mentionner le
mot espoir qui apparaît deux fois, le mot courage, trois fois, nouvelle vie, deux fois ;
les mots qui témoigneraient d’une motivation à intervenir en faveur des réfugiés sont
solidarité (cité deux fois), et aide (dix fois, soit 2,5% des réponses). Pitié n’est men-
tionné qu’une fois. En marge de ces quelques associations évoquant la nécessité de
mettre fin à une injustice, la très grande majorité est porteuse de stéréotypes justifiant
la mise à l’écart de populations jugées inquiétantes : marquées par le malheur, sales,
terroristes, hors la loi, etc.
En résumé, le stéréotype du réfugié sans papiers est celui d’une altérité déran-
geante, foyer sulfureux de misère, de luttes pour survivre et, parfois, de compor-
tements anti-sociaux. En bref un monde où l’amour romantique n’est certes pas
la principale priorité, occupé que l’on est à éviter d’être expulsé, et harassé par
un emploi pénible. L’amour compassionnel, au contraire, fait partie du stéréotype
du réfugié sans papiers, tout en restant marginal parmi les associations évoquées,
comme si la répulsion l’emportait sur la compassion.
L’amour romantique se porte habituellement sur ce qui est beau, charmant, sédui-
sant, agréable. L’amour compassionnel se porte au contraire au secours de ceux
qui souffrent ; mais encore faut-il estimer que ceux-ci méritent qu’on leur vienne
en aide. Or dans le cas présent, les connotations délictueuses et/ou violentes du
stéréotype pourraient bien justifier une attitude d’indifférence. La question sera
donc à l’issue de ce pré-test, de savoir si l’idée de l’amour peut produire un surcroît
d’aide envers ceux qui ont tout, en quelque sorte, pour défier l’amour ; c’est-à-dire
pour susciter peur et rejet.
70 CIPS n°93 – 2012 – pp. 63-76
2.2 Participants
Les participants sont 180 passants (Hommes = 110, Femmes = 70), abordés dans le
centre piétonnier de Vannes, âgés environ de 30 à 50 ans.
2.3. Procédure
Vingt-deux étudiants du Département Gestion des Entreprises et des Administra-
tions de l’IUT de Vannes (Hommes = 7, Femmes = 15), âgés de 19 à 21 ans, ont
sollicité des passants de la façon suivante : « Bonjour Madame / Monsieur, je m’ap-
pelle Emilie Martin (Hugo si l’enquêteur est un garçon). Je fais partie de l’associa-
tion France-Dignité qui vient en aide à différents réfugiés étrangers en attente d’une
régularisation, et j’aimerais vous poser quelques questions ».
À ceux qui acceptent de répondre, l’étudiant pose les questions suivantes :
– Pensez-vous qu’il est important que nous aidions les autres ? (Q1)
– Pensez-vous qu’il est important de prendre en compte l’ensemble des besoins
de ces réfugiés ? (Q2)
– Par rapport à notre propre sécurité, pensez-vous qu’on doive se méfier de ces
immigrés ? (Q3)
– Parmi ces propositions, accepteriez-vous éventuellement :
- de signer une pétition pour aider ces réfugiés (Q4)
- de donner un peu d’argent pour ces réfugiés ? (Q5) Et si oui, combien exac-
tement ? (Q6)
- de distribuer des sandwichs à des réfugiés ? (Q7)
- de préparer un repas pour des réfugiés ? (Q8)
- d’en loger un ou deux chez vous pendant une nuit ? (Q9)
- de devenir un membre actif de notre association ? (Q10)
– Pensez-vous que chacun doit se dire : il est important que j’aide les autres ? (Q11)
– Avec le peu de renseignements que vous avez, quel degré de confiance ressen-
tez-vous envers notre association ? (Q12).
Les réponses aux questions 1 à 3 et 11-12 sont recueillies sur une échelle de 1 à
9, avec 1 = pas du tout d’accord et 9 = tout à fait d’accord. Les questions 4-5 et
7 à 10 sont de type Oui / Non. Pour la question 6, c’est une somme en euros qui
constitue la variable dépendante.
On voit par ailleurs que les questions 1, 2, 3, 11 et 12 ont trait à des opinions,
tandis que les questions 4, 5, 7, 8, 9 et 10 portent sur l’acceptation d’une requête.
La question 6 oblige le sujet à passer d’une déclaration de principe (« J’accepterais
de donner de l’argent ») à son application concrète (« Combien ? »). Ici, la phase
suivante aurait pu être le recueil effectif de la somme. On remarquera également
que les questions 4 à 10 sont graduées du moins engageant au plus engageant.
Dans cette expérience, la variable indépendante est opérationnalisée au moyen de
l’inscription « LOVE » figurant en grandes lettres majuscules sur le T-shirt de l’étu-
amour + réfugiés = amour des réfugiés ? 71
diant. Dans le groupe contrôle, l’étudiant porte un T-shirt identique (blanc) dénué
d’inscription. Qu’il arbore l’un ou l’autre T-shirt, l’étudiant est chargé de s’adresser
à la première personne seule âgée de 30 à 50 ans qui apparaît dans la zone où se
déroule l’expérience. Si cette personne accepte de répondre aux questions, l’étu-
diant aborde ensuite à nouveau la première personne seule âgée de 30 à 50 ans
qui pénètre dans la même zone. L’étudiant n’est donc pas laissé libre de choisir la
personne à qui il propose de répondre au questionnaire.
3. Résultats
3.1. Questions d’opinions et requêtes d’aide
Les réponses aux cinq questions d’opinions ont été traitées au moyen d’une analyse
factorielle. Un facteur unique rend compte de 51% de la variance. Une ANO-
VA : sexe expérimentateur x sexe sujet x induction sémantique, avec ce facteur
en variable dépendante, ne fait apparaître aucun effet significatif, ni interaction.
De façon semblable, une analyse log-linéaire montre que l’induction sémantique
n’a pas d’effet significatif sur l’acceptation des requêtes d’aide, ni en tant qu’effet
principal ni sous forme d’interaction.
Comme le montre le tableau 1, les opinions des participants sont, dans l’ensemble,
très favorables aux réfugiés. Sur une échelle graduée de 1 à 9, trois opinions « de
principe » génèrent un score compris entre 6.54 et 7.58. La moyenne de 5.66 obte-
nue pour la « confiance envers l’association » peut aussi être considérée comme
très élevée dans la mesure où les participants ignorent tout de cette association fic-
tive. De façon convergente, la seule moyenne qui se trouve être en retrait par rap-
port aux autres correspond à l’item inversé « pensez-vous qu’on doive se méfier de
ces immigrés ? » Les participants sont donc assez réticents à cautionner cette idée.
Quant à l’acceptation des requêtes d’aide, les résultats semblent s’échelonner en
fonction du caractère plus ou moins engageant de la requête. On se rappelle que
les requêtes avaient été ordonnées a priori selon l’enjeu qu’elles représentent. Nous
avions pensé qu’il est facile et peu engageant de signer une pétition ; moins facile
de promettre même « un peu » d’argent ; moins facile encore d’avoir un contact
Important de prendre en compte l’ensemble des besoins de ces réfugiés 6.54 (1.87)
Chacun doit se dire: il est important que j’aide les autres 7.19 (1.63)
90 85
82
80 72
68
70
60
60 52
48
50 Acceptent
40
40 Refusent
32
28
30
18
20 15
10
0
l'association
peu d'argent
signer une
préparer un
en loger un
sandwichs
membre de
distribuer
donner un
pétition
ou deux
devenir
repas
des
direct avec des réfugiés pour leur distribuer des sandwichs, et a fortiori pour leur
préparer un repas, acte réservé habituellement à des intimes. Quant à les héberger ou
à s’impliquer durablement dans une association, ce sont des engagements très forts.
Les pourcentages d’acceptation obtenus témoignent globalement de cette logique, à
l’exception de l’engagement à donner un peu d’argent. Les participants promettent
ainsi moins facilement de l’argent, que de préparer un repas à des inconnus.
Les taux d’acceptation des requêtes nous semblent malgré tout, dans l’ensemble,
témoigner comme c’était le cas des opinions, d’une attitude favorable envers les
réfugiés. C’est le cas par exemple lorsque 15% des participants acceptent l’idée
d’héberger un ou deux « réfugiés étrangers en attente de régularisation ». Accueillir
chez soi un inconnu est un acte rare. Aussi, les sujets qui acquiescent à cette de-
mande répondent-ils peut-être plus en raison d’une attitude d’ensemble favorable
aux réfugiés, que dans l’optique de réaliser réellement par la suite leur engagement.
4. Discussion
Les résultats obtenus témoignent d’un effet de l’induction sémantique, significatif
mais circonscrit au montant du don consenti en faveur des réfugiés. Les questions
d’opinions et les autres requêtes d’aide ne paraissent pas sensibles à l’induction
par le mot LOVE.
Comme nous l’avons vu, les réponses aux questions d’opinions sont globalement
favorables aux réfugiés. De même pour les requêtes non pécuniaires, dont les pour-
centages d’acceptation nous semblent témoigner plutôt d’une position de principe
que de la prévision d’un engagement réel et concret.
Il nous paraît important de souligner combien les réponses à certaines questions
d’opinions peuvent être de nature normative, ainsi qu’en attestent des moyennes
très élevées (effet plafond). Les sujets se sont sentis presque obligés d’accepter
l’idée qu’« il est important que nous aidions les autres », et que « chacun doit
se dire : il est important que j’aide les autres ». En ce sens, la bienveillance obli-
gée envers des populations en difficulté, reflet d’une idéologie compassionnelle
et universaliste, ne laisse peut-être qu’un espace réduit à l’induction de l’idée de
l’amour-compassion. C’est ici, peut-être, une voie d’explication de l’absence d’ef-
fet de l’induction sémantique sur les opinions et les intentions déclarées de venir
en aide. Si le participant ressent l’injonction normative – véhiculée au sein même
de notre questionnaire par une formulation telle que « chacun doit se dire… » – ou
en quelque sorte l’obligation d’éprouver de la compassion envers des malheureux,
« ajouter » une référence à la compassion sera de peu d’effet.
Concernant les requêtes d’aide, nous avons vu qu’elles suscitent parfois peu de
réponses favorables (« en loger un ou deux pendant une nuit » ; « devenir membre
de l’association »). Mais même sur ces items, les participants surestiment à notre
sens leur propension réelle à venir en aide à autrui. Un complément à cette étude
consisterait à vérifier combien de participants s’engageraient réellement et concrè-
tement à adhérer à une association d’aide aux réfugiés, à préparer ou distribuer
des repas à des réfugiés, à en héberger à leur domicile. Les requêtes d’aide nous
semblent jouer ici un rôle analogue aux questions d’opinions, et refléter surtout
une injonction normative à être favorable aux réfugiés. En ce sens, ce n’est sans
doute pas un hasard si la seule question qui distingue les sujets exposés, ou non,
au mot LOVE, est celle qui ne comporte aucune dimension normative. Car autant
les discours médiatiques et politiques conditionnent notre vision de l’immigration,
autant le montant que nous pourrions octroyer à l’association fictive France-Dignité
échappe à tout contrôle social. Sans point de référence antérieur, le mot LOVE
modifie alors significativement les réponses des sujets
Concernant la variable sexe (sujet et expérimentateur), nous avons vu qu’elle reste
sans incidence sur les résultats. On ne retrouve donc pas ici un effet d’aide che-
valeresque comparable à celui obtenu précédemment (Lamy et al., 2008 ; 2009 ;
2010), où l’induction de l’idée de l’amour n’a d’effet que lorsque l’expérimentateur
est une femme et le participant, un homme. La raison à cela pourrait être que dans
l’expérience présente, contrairement aux autres, ce n’est pas l’expérimentateur lui-
74 CIPS n°93 – 2012 – pp. 63-76
même qui se trouve être en difficulté, mais des tiers absents physiquement. Or
l’aide chevaleresque consiste, pour un homme, à secourir une femme en difficulté,
et ce, particulièrement, dans un lieu public. Ici, l’enquêtrice elle-même n’est pas
en difficulté, mais des tierces personnes dont elle défend les intérêts. Les passants
de sexe masculin ne ressentent probablement pas, dans ce contexte, la pression
résultant d’une nécessaire conformité aux rôles sociaux de genre prescrivant aux
hommes de se montrer « héroïques et chevaleresques » (Eagly et Crowley, 1986 ;
Eagly et Koenig, 2006).
5. Conclusion
En définitive, l’induction sémantique semble exercer une influence sur les ré-
ponses des participants lorsque la question ne présente pas de caractère norma-
tif. Lorsqu’aucune réponse convenue n’existe, le mot LOVE facilite l’opinion ou
l’action pro-sociale. Dans tous les autres cas, le T-shirt « LOVE » porté par l’expé-
rimentateur rappellerait la norme sociale, l’amour dû par tout bon citoyen à des
personnes désemparées. Faute, donc, d’héberger réellement des réfugiés chez soi
ou de militer en leur faveur, on peut au moins se montrer particulièrement com-
préhensif et bienveillant à leur égard – à moindres frais puisqu’il ne s’agit que de
mots. Sauf que les sujets ayant accepté le principe d’un don en faveur des réfugiés
(28% des participants) se trouvent de fait engagés par cette acceptation, et poussés
à consentir réellement un don.
S’il est normativement bien de faire un geste pour une cause humanitaire, le mon-
tant du don, comme nous l’avons remarqué plus haut, ne présente pas de point de
référence normatif et se montre sensible à l’influence de l’induction sémantique.
Cette variable dépendante était la seule de nature comportementale et non pure-
ment verbale. Il est ainsi possible que le concept d’amour se diffuse de façon auto-
matique, inconsciente, non raisonnée (Bargh, 1994), accentuant de façon diffuse
la soumission minimaliste à la norme sociale ; mais affectant plus nettement une
décision comportementale dont la genèse reste en très grande partie inconsciente.
On se souviendra aussi de l’expression stéréotypée : « Quand on aime, on ne
compte pas », qui certainement, au même titre que tous les nœuds de signification
sémantiquement associés à l’amour, sera activée lorsque l’idée de l’amour est ins-
tillée dans l’esprit du participant. Si la générosité est sémantiquement associée à
l’amour, être exposé au concept d’amour rendra les dons plus conséquents.
Nos résultats, enfin, peuvent être interprétés en référence à la notion de schéma
émotionnel (Izard, 2007) associant des composantes émotionnelles, cognitives et
motivationnelles. Car si l’amour implique a priori le désir de se rapprocher de ce
(ceux) que l’on aime, notre pré-test a montré que l’idée des réfugiés sans papiers,
au contraire, est de nature à susciter crainte et défiance, et donc un souci d’évite-
ment. L’induction de l’amour par le mot LOVE aurait pu activer le versant compas-
sionnel de la représentation des réfugiés, et inciter les participants à s’approcher
des réfugiés pour leur distribuer des repas, les écouter lorsqu’ils relatent leurs dif-
ficultés, ou en les hébergeant. Mais le fait de n’obtenir aucun résultat significatif
pour ces requêtes engageantes milite plutôt pour une explication en termes d’évi-
amour + réfugiés = amour des réfugiés ? 75
tement. L’induction de l’amour n’est efficace que lorsque nous gardons l’assurance
de rester à distance des réfugiés. Donner de l’argent, c’est en quelque sorte acheter
l’assurance que l’on ne nous demandera pas de les rencontrer personnellement…
Malgré le discours compassionnel de surface, il semble que l’idée de l’amour n’ait
pas le pouvoir de renverser une représentation défavorable préexistante, ou de
contrarier un but sous-jacent (s’éloigner). Un complément à cette expérience pour-
rait alors consister à présenter une photographie d’un(e) réfugié particulièrement
attirant ou sympathique, auquel cas l’on s’attendrait à ce que l’effet de l’idée de
l’amour puisse s’exercer plus librement.
Si le T-shirt LOVE a été interprété par les participants, dans ce cadre associatif,
comme dénotant l’amour-compassion, le sentiment d’être socialement « connec-
té » (Hutcherson et al., 2008) n’aura pas été suffisamment puissant pour pousser
le participant à rencontrer réellement un étranger plus ou moins inquiétant. Si le
mot LOVE a été interprété en référence à l’amour romantique, il aura pu susciter
le désir de ne pas rencontrer ce qui s’oppose à l’amour : la vision de la laideur et
de la dureté de la vie.
Cette expérience est la première à mettre en évidence l’effet d’une induction sé-
mantique visuelle de l’amour. Contrairement à d’autres modes d’opérationnalisa-
tion de l’idée de l’amour, tels que le recours au témoignage ou à la visualisation,
elle laisse le sujet entièrement ignorant de la variable indépendante sur laquelle
le chercheur travaille. Cette méthode est garante que les résultats obtenus sont
indépendants d’une inférence consciente de la part du sujet, relativement à notre
hypothèse de recherche.
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“ Bien-être subjectif et comportements
”
altruistes : les individus heureux sont-ils
plus généreux ?
Rébecca Shankland
Laboratoire Interuniversitaire de
Psychologie,Université Pierre Mendès
France, Grenoble, France
Le bien-être constitue l’un des objets Subjective well-being is one of the key
d’étude phare de la psychologie positive, positive psychology research subjects, but
mais peut-on considérer que le bien-être is it possible to consider that individual
individuel contribue au bien-être collectif ? well-being contributes to collective well-
Nombre de recherches ont montré que le being ? A number of research studies
bien-être est à la fois un précurseur et une have underlined that well-being is both
conséquence des conduites prosociales, an antecedent and a consequence of
en particulier concernant l’implication prosocial behaviors, particularily in what
dans le secteur caritatif (don de temps). concerns voluntary work (donation of
Cependant, peu d’études portent sur le time). However, few studies have worked
lien entre le don d’argent et le bien-être. on the link between money donation
La présente étude teste l’hypothèse selon and well-being. The present study tests
laquelle l’expérience de bien-être est the assumption according to which the
corrélée à une inclination supérieure à experience of well-being is correlated to a
faire une donation. Cette recherche a été greater inclination to make donations. This
menée dans des conditions techniques research was carried out using technical
permettant de minimiser la désirabilité conditions aimed at minimizing socially
sociale des réponses (questionnaire desirable responses by guaranteeing
informatisé en auto-passation, donc confidentiality through Computer Assisted
anonyme) auprès d’un échantillon de Self-Interviews on a representative sample
805 personnes. Les résultats indiquent of 805 individuals from two French
que plus les participants se déclaraient regions. Results show that the higher the
heureux, plus le montant de leur don self-reported well-being, the higher the
était élevé. Cette étude apporte une financial donation. This study contributes
contribution à la littérature en présentant to the literature by providing a behavioral
une démonstration comportementale de demonstration of the relationship between
la relation entre le bien-être subjectif et le subjective well-being and monetary
don d’argent. donation.
La correspondance pour cet article doit être adressée à Rébecca Shankland, Laboratoire
Interuniversitaire de Psychologie, EA4145, Université Pierre Mendès France, 1251, avenue
Centrale, BP47, 38040 Grenoble cedex 9, France. Courriel : <rebecca.shankland@upmf-
grenoble.fr>.
79
D
Bien-être subjectif et comportements altruistes
Introduction
Dans les sociétés occidentales où se développent individualisme, esprit de compé-
tition et recherche de bien-être pour soi (Lyubomirsky, Sheldon, & Schkade, 2005),
qu’en est-il du lien entre le bien-être personnel et les comportements altruistes ?
La psychologie positive s’est intéressée à la question du bien-être individuel et col-
lectif (Seligman & Csikszentmihaly, 2000), notamment en étudiant le lien entre les
émotions positives et les comportements prosociaux (e.g., Thoits & Hewitt, 2001).
Depuis plus d’un demi-siècle, avant le développement de l’orientation baptisée
« positive » en psychologie, de nombreuses études ont porté sur le bien-être sub-
jectif évalué à travers ses dimensions affectives (fréquence d’affects positifs et rareté
d’affects négatifs) et sa dimension cognitive (satisfaction par rapport à la vie, Die-
ner, 1984). Il a ainsi été montré que les personnes plus heureuses présentaient des
relations sociales plus solides que les personnes qui l’étaient moins. Par exemple,
Diener et Seligman (2002) ont mené une étude corrélationnelle auprès d’un échan-
tillon d’étudiants aux Etats-Unis, utilisant des mesures auto-rapportées régulières
sur une période de deux mois concernant les émotions et les comportements. En
comparant les 10% les plus heureux avec les 10% les moins heureux, ces cher-
cheurs ont mis en évidence que les personnes les plus heureuses éprouvaient moins
fréquemment d’émotions négatives, cela pouvant s’expliquer par différents facteurs
concourant à une meilleure adaptation aux événements stressants, notamment du
fait d’un soutien social plus satisfaisant. Il est aujourd’hui admis que la qualité des
relations sociales produit un impact sur le bien-être subjectif. Plusieurs chercheurs
ont mis en évidence un effet de contagion émotionnelle : plus les proches, amis
et surtout voisins sont heureux, plus l’on a de chances d’être soi-même heureux
(Fowler & Christakis, 2009). Est-il possible d’aller plus loin en considérant que les
personnes éprouvant un bien-être subjectif se montrent également plus portée à
réaliser des actions prosociales envers des inconnus ? Plus précisément, la contri-
bution empirique de cet article consistera dans l’étude du lien entre l’expérience
de bien-être subjectif et le don d’argent à une cause caritative.
sique et psychique (e.g., Young & Glasgow 1998 ; House, Landis, & Umberson
1988). Hunter et Linn (1981) ont ainsi mis en évidence que chez les personnes
âgées, les individus impliqués dans un travail bénévole avaient une satisfaction et
un désir de vivre plus élevés et moins de symptômes anxieux et dépressifs que les
individus du groupe contrôle. Leur taux de mortalité était aussi plus faible (Oman,
Thoresen, & McMahon, 1999), après ajustement sur les autres facteurs connus
ayant un impact sur la mortalité (pour une revue de question voir Wheeler, Gorey,
& Greenblatt, 1998). L’augmentation du niveau de bien-être ressenti au moment
où l’on apporte son soutien à autrui a été soulignée par plusieurs recherches et
qualifiée de « shoot de l’aidant » (Luks & Payne, 1991) : 43% des aidants per-
çoivent une augmentation de leur énergie lorsqu’elles apportent de l’aide, et 13%
déclarent même que cela réduit leurs propres douleurs. Les actes altruistes peuvent
aussi avoir un impact sur la santé dite « mentale » chez les jeunes comme chez
les personnes âgées. Des recherches montrent, par exemple, que les adolescents
altruistes présentent moins de risques de dépression et de suicide que les autres
(e.g., Wilson & Csikszentmihalyi, 2007) et ces effets sur la santé physique et men-
tale perdurent 50 ans plus tard (Wink & Dillon, 2007). Plus récemment, des tra-
vaux ont porté sur les effets du travail bénévole lui-même, celui-ci pouvant être
source de bien-être au-delà des effets de la création de lien social (e.g., Grube &
Piliavin, 2000 ; O’Reilly & Chatman, 1986). Une augmentation du bien-être a été
démontrée et semble plus particulièrement liée à la possibilité de mettre en œuvre
une action qui suit une motivation intrinsèque (Weinstein & Ryan, 2010). Ainsi,
les recherches expérimentales portant sur le lien entre bien-être et altruisme ont
également pu montrer que venir en aide à autrui rendait plus heureux que lorsque
l’on ne mettait pas en œuvre ce type de comportement. D’autre part, les chiffres
répertoriés dans la base de données mondiale sur le bonheur (Veenhoven, 2003)
permettent d’observer des corrélations négatives entre le bien-être et les conduites
agressives ou délinquantes (vol, vandalisme et autres conduites antisociales plus
graves), tandis que les émotions négatives sont souvent plus associées à la violence
(Bègue, 2010), quoique dans certaines conditions elles puissent aussi favoriser les
conduites prosociales (e.g., Cialdini et al., 1987). Tout ceci participe à la confir-
mation du lien entre le sentiment de bonheur et les conduites prosociales comme
l’avait montré l’étude de Valois, Zullig et Huebner (2001) concernant les adoles-
cents. Des recherches expérimentales plus anciennes réalisées auprès d’enfants
(e.g., Isen & Levin, 1972 ; Rosenhan, Underwood, & Moore, 1974) avaient déjà mis
en évidence que lorsque l’on induisait des émotions positives chez les participants
(par exemple en donnant des biscuits ou en trouvant une pièce de monnaie), ils
étaient plus enclins à aider d’autres enfants. Ces effets de l’humeur positive ont
également été démontrés sur le lieu de travail (Forgas, Dunn, & Granland, 2008).
L’ensemble de ces travaux souligne la relation entre comportements prosociaux et
bien-être, au travers de l’étude des comportements d’aide, le bien-être étant à la
fois un antécédent et une conséquence de ce type de conduites prosociales : les
personnes présentant un niveau élevé de bien-être sont plus enclines à venir en
aide aux autres en raison de leurs ressources psychosociales, physiques et men-
Bien-être subjectif et comportements altruistes 81
tales (Thoits & Hewitt, 2001), et en retour les personnes qui mettent en œuvre des
conduites d’aide voient leur degré de bien-être augmenter, notamment en raison
du sentiment de contrôle que cela procure (théorie de l’autodétermination, Deci &
Ryan, 2002), de l’amélioration de l’estime de soi et du sentiment d’efficacité per-
sonnelle (Bandura, 1977), et des réponses apportées à des besoins fondamentaux
tels que la recherche de sens à la vie ou le sentiment d’utilité (Frankl, 1985). Mais
peut-on observer le même type d’effet lorsqu’il s’agit de comportements altruistes
réalisés sous la forme d’un don matériel ?
Selon une étude expérimentale de Dunn, Aknin et Norton (2008), utiliser une
somme d’argent qui vient d’être remise au bénéfice d’une autre personne apporte
un bien être subjectif supérieur à l’utilisation de la même somme pour des dépenses
personnelles. Récemment la Fondation pour les œuvres caritatives (Charities Aid
Foundation, 2010) a réalisé une étude corrélationnelle à très grande échelle en
utilisant les données du Gallup World View World Poll de mars 2010 portant sur le
lien entre la satisfaction de vivre et les comportements prosociaux (don de temps
ou d’argent à des associations, venir en aide à une personne inconnue dans le
besoin). L’enquête a été effectuée par téléphone ou par entretien en face à face
auprès d’échantillons représentatifs des populations de 153 pays (entre 500 et 2000
personnes selon les pays). La question posée concernait le lien entre le revenu et le
don : était-il plus important ou moins important que le lien entre le don et le bien-
être des populations interrogées ? Les résultats ont indiqué que la corrélation était
supérieure entre les comportements altruistes et le bien-être.
La présente étude vise à vérifier l’hypothèse selon laquelle le bien-être est corrélé
à une augmentation des comportements altruistes. L’une des spécificités de cette
étude est son recours à un méthode de questionnaire assisté par ordinateur ainsi
qu’à une mesure comportementale de l’altruisme (remise d’une somme d’argent à
une association) afin de pallier le biais de désirabilité sociale inhérent à la méthode
utilisée dans l’enquête précédemment citée. Il existe de nombreuses recherches
qui ont étayé l’idée d’un effet de l’humeur positive sur l’altruisme et se sont ap-
puyées sur différents procédés, parfois très imaginatifs : engager un échange social
plaisant (Forgas, Dunn, & Granland, 2008), toucher légèrement le bras ou le dos
d’un participant (Kleinke, 1977), diffuser une odeur agréable (parfum, odeur de
pizza, de café chaud ; Baron, 1997), proposer un biscuit (Isen & Levin, 1972), inci-
ter les participants à imaginer des vacances sous les tropiques (Rosenhan, Salovey,
& Hargis, 1981) ou à se rappeler un souvenir gratifiant (Rosenhan, Underwood,
& Moore, 1974), trouver de l’argent dans une cabine téléphonique (Levin & Isen,
1975), visionner un film comique (Carnevale & Isen, 1986) ou écouter une mu-
sique agréable (North, Tarrant, & Hargreaves, 2004). Cependant, les études expéri-
mentales emploient des actes qui sont généralement très peu couteux (ramasser un
objet, par exemple) et ont une validité écologique parfois limitée. La présente étude
s’intéresse aux liens entre la générosité et le bien-être : après avoir reçu une somme
d’argent en dédommagement de leur participation à une enquête, les participants
avaient la possibilité de remettre une partie de cette somme à une association
d’aide aux victimes.
82 CIPS n°93 – 2012 – pp. 77-88
2. Méthode
2.1. Procédure
Une procédure innovante a été mise en place pour le recrutement des partici-
pants : trois fourgons mobiles étaient placés dans la rue comportant de grandes
affiches de sensibilisation à l’étude, et les enquêteurs distribuaient aux passants
des feuillets à proximité du véhicule. L’étude était présentée comme une enquête
nationale portant sur les modes de vie et comportements sociaux (pour les détails
sur l’ensemble de cette enquête voir Bègue, 2012). La durée indiquée était de
1h30. La période de collecte des données s’étendait de 8h à 20h et les véhicules
stationnaient de 1 à 4 jours dans des communes sélectionnées en fonction de leur
taille. Afin de réduire le biais de désirabilité sociale et de garantir l’anonymat en
favorisant la mise confiance des participants, ces derniers étaient invités à répondre
à un questionnaire auto-administré à l’aide d’un ordinateur portable doté d’un sty-
let optique disposé à l’intérieur du fourgon. Chacun des fourgons était équipé de
quatre ordinateurs dans des espaces séparés les uns des autres afin de garantir le
confort des répondants et la confidentialité de leurs réponses. Durant la passation,
un enquêteur se trouvait à l’entrée du véhicule et apportait son aide si les partici-
pants demandaient des éclaircissements concernant les questions ou présentaient
des difficultés de lecture. A l’issue de l’enquête, un dédommagement de 8 euros
était remis aux participants.
2.2. Participants
L’enquête a été réalisée auprès d’un échantillon de 805 personnes habitant les
régions Ile-de-France ou Nord-Pas de Calais (385 hommes et 420 femmes) âgées
de 18 à 78 ans (M = 38.15, SD = 12.9). Les catégories socioprofessionnelles sont
réparties de la manière suivante : 15.2% de cadres et professions intellectuelles
supérieures, 20.9% de professions intermédiaires, 22.1% d’employés, 15.7% d’ou-
vriers, 5.5% de retraités, 17% sans activité, et 4.5% d’autres catégories.
2.3. Mesures
2.3.1. Mesure du bien-être
Comme le soulignent Bouffard et Lapierre (1997) dans leur revue de question sur les
outils de mesures du bien-être, les pionniers dans le domaine des grandes enquêtes
psychosociales ont fréquemment utilisé un questionnaire comprenant un seul item
mesurant le degré de bonheur. On retrouve également ce type d’item sur la base
de données mondiale du bonheur réalisée par Veenhoven (2003 ; pour des revues
récentes sur ces mesures voir Diener, Oishi, & Lucas, 2003 ; Inglehart, Foa, Peter-
son, & Welzel, 2008 ; Stevenson & Wolfers, 2008). Nous avons donc utilisé une
mesure du bien-être émotionnel à item unique (« Je suis heureux ») sur le modèle
d’une échelle de type Likert en 4 points. Bien que les mesures auto-rapportées du
sentiment de bonheur comportent des biais importants (les individus peuvent diffi-
cilement prendre en compte l’ensemble de leur vie, leurs défenses psychologiques
faussent le jugement, la désirabilité sociale influence les réponses…), d’autres tech-
Bien-être subjectif et comportements altruistes 83
niques utilisées telles que les entretiens ou l’analyse qualitative de journaux per-
sonnels n’ont pas fait preuve de meilleure validité (Veenhoven, 2007), l’approche
directe fournissant les mêmes informations à moindre coût (Wessman & Ricks,
1966). La revue de question réalisée par Veenhoven (1984) sur les mesures du bon-
heur indique que ces instruments ne mesurent pas autre chose que ce qu’ils sont
censés mesurer. De plus, les mesures du bien-être subjectif (êtes-vous heureux,
êtes-vous satisfaits de votre vie actuelle) sont corrélées à des mesures de bien-être
considérés comme objectifs (en lien avec la qualité de vie réelle des personnes)
issus du champ de l’économie du bonheur (Oswald & Wu, 2010).
3. Résultats
Les résultats préliminaires indiquent que 65.4% des individus ont donné une
somme d’argent pour l’association d’aide aux victimes, avec un montant médian
de 3.09 euros (SD = 3.23). Comparativement aux hommes, les femmes ont donné
en moyenne presque un euro de plus (M = 3.50, SD = 3.30 vs. M = 2.66, SD =
3.11, t (802,35) = 3.70, p. <.000). D’autre part, la somme donnée est positivement
corrélée à l’âge des participants (r = .18, p. <.000), à leur niveau d’éducation (r =
.19, p.<.000), et à leur degré de bien-être (r = .08, p.<.05). Une régression linéaire
pas-à-pas a été réalisée afin de déterminer le poids de chaque variable indépen-
damment des autres dans la prédiction du comportement altruiste. Les résultats
ont montré que la quantité d’argent accordée aux victimes était liée à l’âge et au
niveau d’éducation des participants (béta = .18 et .10, respectivement ; p. <.000 et
.001). Ainsi, plus l’âge et le niveau d’éducation sont élevés, plus le don est élevé et,
conformément à nos hypothèses, plus le degré de bien-être émotionnel est élevé,
plus la quantité d’argent est versée (béta = .08 ; p.<.05). Le coefficient de détermi-
nation du modèle est de .05 (R2 de Nagerkerke).
4. Discussion
Les résultats de notre étude indiquent que le lien entre bien-être et comportements
altruistes persiste même lorsqu’il s’agit d’un don monétaire : plus les participants
se déclarent heureux plus le don d’argent est conséquent. La relation observée
entre le bien-être subjectif et l’altruisme corrobore les résultats des autres études
corrélationnelles recensées sur le lien entre bien-être et don monétaire (Charities
Aid Foundation, 2010 ; Javaloy, Rodríguez-Carballeira, Cornejo, & Espelt, 1998).
Une particularité de notre étude était qu’elle a fait appel à une mesure comporte-
84 CIPS n°93 – 2012 – pp. 77-88
mentale de l’altruisme et que l’enquête s’est déroulée dans des conditions d’ano-
nymat optimales permettant de réduire davantage le biais de désirabilité sociale. En
effet, parmi les limites des études réalisées auparavant, les auteurs soulignaient le
problème de la mesure des conduites altruistes, non seulement influencées par la
désirabilité sociale, mais aussi par la difficulté à se remémorer le nombre d’heures
d’implication bénévole ou le nombre d’actes altruistes réalisés (e.g., Thoits &
Hewitt, 2001).
Cette étude s’intègre dans le champ de recherche sur le lien entre conduites proso-
ciales et bien-être qui apporte un éclairage utile à la compréhension des situations
d’aide. Les conduites d’aide apparaissent donc liées positivement au sentiment de
bien-être, vraisemblablement par le biais de l’élargissement des liens sociaux et du
sens que l’action donne à sa vie. Corollairement, lorsque qu’un individu se sent
plus heureux, il possède davantage de ressources et d’énergie pour venir en aide à
d’autres. Thoits et Hewitt (2001) ont montré par exemple que la quantité d’heures
d’implication dans des associations d’aide est proportionnelle au degré de bien-
être déclaré. Ces différents constats ont été démontrés à travers de nombreuses
études sur les comportements d’aide qui mènent à considérer un modèle intégratif
sur le bien-être et l’altruisme. Les comportements altruistes augmentent le senti-
ment de bonheur, lequel augmente les chances de mettre en œuvre des comporte-
ments altruistes. Il s’agit donc d’une spirale ascendante comme d’autres modèles
de psychologie positive ont pu le montrer concernant des émotions positives (e.g.,
Fredrickson, 2001).
Cette étude présente un certain nombre de limites qu’il est nécessaire de men-
tionner. Tout d’abord, sa nature corrélationnelle ne permet pas de conclure à un
effet causal du bien-être sur les conduites prosociales. On dispose de travaux qui
démontrent un effet du bien-être sur l’altruisme, et d’autres indiquant un effet de
l’altruisme sur le bien-être (Lalin, Aknin, Norton, & Dunn, 2011). Il est donc rai-
sonnable de faire une hypothèse de causalité récursive, quoique nos données ne
permettent évidemment de l’appuyer empiriquement. Par ailleurs, la taille de l’effet
observé indique clairement que le bien-être subjectif apporte une contribution li-
mitée aux conduites prosociales, qui sont déterminées par une myriade de facteurs
indiosyncrasiques et situationnels (Dovidio et al., 2006). Enfin, la mesure du bien-
être subjectif qui a été employée dans cette étude était fondée sur un item unique.
Il serait utile d’établir s’il existe plusieurs formes de bien-être et leurs relations avec
les conduites individuelles.
Bien-être subjectif et comportements altruistes 85
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modèle du bonheur basé sur le soi
centré-décentré
Michaël Dambrun* et
Matthieu Ricard**
* Clermont Université et CNRS, France
** Mind and Life Institute et Shéchèn
Le principal objectif de cette recherche The main objective of this research was
était de tester l’une des hypothèses to test a central assumption from the
centrales du modèle du bonheur basé sur Self-centeredness/Selflessness Happiness
le soi centré-décentré (Dambrun et Ricard, Model (Dambrun & Ricard, 2011).
2011). D’après ce modèle, le bonheur According to this model, authentic-
authentique-durable serait favorisé par durable happiness is favoured by a
un fonctionnement de soi décentré (e.g. selfless psychological functioning (e.g.
ajustement harmonieux, forte connexion harmonious adjustment, strong self-
soi-autrui). Deux types d’affects seraient other connexion). Two types of affects
responsables de cet effet : la décentration would be responsible for this effect:
de soi augmenterait les affects de selflessness would increase benevolent
bienveillance (empathie, compassion) affects (empathy, compassion) and would
et diminuerait les affects afflictifs (colère, decrease afflictive affects (angry, fear,
peur, jalousie, frustration). La conjugaison jalousie, frustration). The combination of
de ces deux effets entrainerait une these two effects would result in an increase
augmentation du bonheur durable. Nous of authentic-durable happiness. We tested
avons testé cette hypothèse au moyen this hypothesis through structural equation
d’analyses de trajet sur un échantillon analysis among a heterogeneous sample
hétérogène de citoyens d’une ville of citizens from a medium size French city
provinciale française de taille moyenne (n (n = 164). The Adult Self Transcendence
= 164). L’inventaire de transcendance de Inventory (ASTI) was used as a marker of
soi pour adulte (ITSA) était utilisé comme the level of participants’ selflessness. The
un marqueur du niveau de décentration results reveal a positive and significant
des participants. Les résultats révèlent tout correlation between self-transcendence
d’abord que la transcendance de soi est and authentic-durable happiness (r = .35).
reliée positivement et significativement au Consistent with the theoretical model, this
bonheur authentique-durable (r = .35). relationship is mediated by two distinct
Conformément au modèle théorique, il variables : benevolent affects and afflictive
apparaît que cette relation est médiatisée affects.
par deux variables distinctes : les affects de
bienveillance et les affects afflictifs.
La correspondance pour cet article doit être adressée à Michaël Dambrun, Clermont
Université, Université Blaise Pascal, 34 avenue Carnot, 63037 Clermont-Ferrand, France.
Courriel : <[email protected]>.
91
A
Transcendance de soi et bonheur
Weinstein & Ryan, 2010), à des émotions positives (Fredrickson, Cohn, Coffrey,
Pek, & Finkel, 2008) et à une diminution de la détresse psychologique (Carson,
Keefe, Lynch, Carson, Goli, Fras & Thorp, 2005). D’après le modèle de Dambrun et
Ricard (2011), au moins deux processus pourraient expliquer ce phénomène. Tout
d’abord, les affects de bienveillance sont peu sensibles aux variations de l’envi-
ronnement. Comme le notent Sprecher et Fehr (2005) : « compassionate love may
be experienced for someone to whom love is not reciprocated » (p. 228). Ce type
d’affect serait donc relativement stable et contribuerait à une stabilité émotionnelle
source de bonheur stable et durable. Les travaux révélant un lien entre la stabilité
émotionnelle et le bien-être corroborent cette analyse (e.g. Hills & Argyle, 2001).
De plus, Dambrun et Ricard proposent que les affects de bienveillance favorisent
le sentiment d’être en harmonie avec l’environnement. Par exemple, le sentiment
de compassion peut favoriser le sentiment d’être en harmonie avec autrui. Ce type
de ressenti serait intimement lié avec les caractéristiques du bonheur durable et
authentique telles que la sérénité ou la paix intérieure.
Le principal objectif de la présente recherche est de tester l’hypothèse centrale de
ce modèle selon laquelle la décentration de soi serait reliée positivement au bon-
heur durable-authentique. D’après le modèle, cette relation devrait être médiatisée,
d’une part, par une faible fréquence d’affects afflictifs et, d’autre part, par une forte
fréquence d’affects de bienveillance. Cette hypothèse reçoit un certain support
empirique dans une recherche récente. Wayment, Wiist, Sullivan et Warren (2011)
trouvent une corrélation positive entre un ego calme (e.g. sagesse, altruisme, senti-
ment d’interdépendance, etc.) et une bonne santé auto-rapportée (r = .24, p < .01).
Toutefois, cette étude souffre d’au moins deux limites importantes : premièrement,
l’échelle d’affectivité négative (recodée en absence d’affects négatifs) était intégrée
à la mesure d’ego calme, ayant pour conséquence d’augmenter artificiellement la
corrélation entre l’ego calme et la santé auto-rapportée (l’affectivité négative est un
fort prédicteur de la santé psychologique, voir par exemple Watson, Clark, & Carey,
1988). Deuxièmement, aucun élément ne permet de comprendre et d’expliquer le
lien entre ego calme et santé. Par conséquent, notre objectif sera d’examiner dans
quelle mesure les affects afflictifs et de bienveillance médiatisent la relation entre
la décentration de soi et le bonheur authentique-durable.
1. Méthode
1.1. Participants
Cent soixante quatre adultes ont participé à cette étude. Ils étaient âgés de 18 à
87 ans (moyenne = 40.98; SD = 17.89). L’échantillon était composé de 94 femmes
et de 63 hommes. Huit participants étaient de nationalité étrangère et tous les
autres étaient de nationalité française. Concernant le niveau d’étude, 57 partici-
pants avaient un niveau inférieur au baccalauréat. Tous les autres avaient un niveau
d’étude équivalent ou supérieur au baccalauréat. Cent deux participants étaient
athées, et 54 étaient catholiques. Enfin, sur une échelle en 5 points allant de 1
(classe sociale très faible) à 5 (classe sociale très élevée), les participants se si-
tuaient en moyenne à 2.82 (SD = 0.55).
94 CIPS n°93 – 2012 – pp. 89-102
1.2. Matériel
Le questionnaire était principalement composé de cinq échelles : l’inventaire
de transcendance de soi pour adulte, l’échelle de bonheur authentique-durable,
l’échelle de bonheur fluctuant et des échelle d’affects afflictifs et de bienveillance.
Ces différentes échelles sont présentées plus en détails ci-dessous.
L’inventaire de transcendance de soi pour adulte (ITSA). Cette échelle proposée par
Levenson et al. (2005) est composée de 10 items (e.g. « Ma tranquillité d’esprit est
moins facile à perturber qu’elle ne l’était » ; « Je sens davantage que ma vie indivi-
duelle fait partie d’un vaste tout »). Chaque individu devait se prononcer pour cha-
cun des items sur une échelle de 1 (pas du tout d’accord) à 7 (totalement d’accord)
en comparant la façon dont ils voyaient la vie au moment de la complétion par
rapport à cinq années en arrière. Cette échelle a une fiabilité satisfaisante (α = .75).
L’échelle de bonheur authentique-durable et de bonheur fluctuant. Ces deux com-
posantes du bonheur étaient mesurées à l’aide des échelles développées par Dam-
brun et al. (2012). Concernant l’échelle de bonheur authentique durable (α = .93)
qui est composée de 13 items regroupés en deux facteurs, les participants devaient
indiquer leur niveau régulier de bien-être général, de bonheur, de plaisir, de féli-
cité, de satisfaction, de béatitude, d’épanouissement, de joie (facteur 1 : « être
heureux ») et de quiétude (tranquillité d’esprit), de sérénité, de paix intérieure, de
calme intérieur et de plénitude (facteur 2 : « paix intérieure ») sur une échelle en 7
points allant de 1 (très faible) à 7 (très élevé). Concernant le bonheur fluctuant (α
= .94), les participants devaient répondre à 10 items (e.g. « je passe souvent d’un
niveau de plaisir assez élevé à un niveau de plaisir assez faible » ; « je connais
des alternances entre des moments de plénitude totale et des moments beaucoup
moins satisfaisants ») sur une échelle en 7 points allant de 1 (pas du tout d’accord)
à 7 (totalement d’accord).
L’échelle d’affects afflictifs et l’échelle d’affects de bienveillance. Concernant tout
d’abord l’échelle d’affects afflictifs, les participants devaient indiquer, en général,
quel était leur niveau pour treize affects sur une échelle de 1 (très faible) à 7 (très éle-
vé). Les affects sont : hostilité envers les autres, dégoût des autres, colère envers les
autres, frustration personnelle, jalousie, désir et envie pour des choses qui ont une
valeur sociale importante dans la société d’aujourd’hui, attachement incontrôlable
pour les gens que j’aime, regret et culpabilité, orgueil, peur, sentiment de menace,
de jalousie de ce que les autres ont, de rancœur. La fiabilité de cette échelle est
satisfaisante (α = .85).
L’échelle des affects de bienveillance est identique à la précédente, seuls les affects
changent. Ils sont au nombre de onze : compassion pour autrui, empathie pour les
autres, affection et amour pour n’importe qui (i.e. « amour altruiste »), envie d’aider
autrui, sympathie pour les autres, respect pour les autres, familiarité pour les autres,
harmonie avec les autres, proximité affective avec les autres, bienveillance altruiste
pour les autres, envie de partager avec les autres. La fiabilité de cette échelle est
également satisfaisante (α = .90).
Transcendance de soi et bonheur 95
Ces deux échelles ont été construites dans des études antérieures. Elles mesurent
des construits indépendants et non corrélés. Par exemple, dans cette étude, la cor-
rélation entre l’échelle d’affects afflictifs et l’échelle d’affects de bienveillance est de
-.02, p > .85. De plus, une analyse factorielle révèle que chacun des items charge
de manière appropriée sur deux facteurs indépendants (KMO = .85 ; 45.7% de
variance expliquée par les deux facteurs).
1.3. Procédure
Soixante dix étudiants à l’université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand ont été mis-
sionnés pour faire passer chacun trois questionnaires dans leur entourage proche et/
ou éloigné. Chaque étudiant avait pour mission de faire passer un questionnaire à
un adulte âgé entre 18 et 30 ans ; à un adulte âgé entre 30 et 50 ans ; et à un adulte
âgé de plus de 50 ans. Les étudiants avaient pour consigne de laisser le question-
naire 24 heures au domicile du participant afin que ce dernier puisse y répondre
seul au calme et de manière anonyme. Au final, 164 adultes ont dûment complété
le questionnaire.
2. Résultats
2.1. Les relations entre la transcendance de soi, les affects et le bonheur
Dans un premier temps, nous avons calculé les corrélations de Pearson entre nos
différentes mesures. Ces corrélations sont présentées dans le tableau 1. Il apparaît
tout d’abord que la transcendance de soi est reliée positivement aux affects de bien-
veillance (r = .36, p < .001) et négativement aux affects afflictifs (r = -.29, p < .001).
Comme prédit, l’inventaire de transcendance de soi est corrélé positivement avec le
bonheur authentique-durable (r = .35, p < .001). Une analyse plus détaillée révèle
que la transcendance de soi est plus fortement corrélée au facteur « paix intérieure »
du bonheur authentique-durable (r = .41, p <.001) qu’au facteur « être heureux »
α 1 2 3 4
1- Inventaire de transcendance de soi .75 -
pour adulte (ITSA)
2- Affects Afflictifs (AA) .85 -.29*** -
3- Affects de bienveillance (AB) .90 .36*** -.02 -
4- Bonheur fluctuant .94 -.01 .49*** .11 -
5- Bonheur stable et durable .93 .35*** -.31*** .29*** -.46***
Dimension 1 : « être heureux » .92 .25*** -.21** .25*** -.42***
Dimension 2 : « paix intérieure » .90 .41*** -.37*** .29*** -.43***
X2 (2) = 3.78, p > .10 ; X2/df = 1.89 ; CFI = .97, NFI = .94 ; RMSEA = .07
Pourcentage de variance médiatisée : 50%
X2 (1) = 1.57, p > .10 ; X2/df = 1.57 ; CFI = .99, NFI = .98 ; RMSEA = .06
Pourcentage de variance médiatisée : 38%
98 CIPS n°93 – 2012 – pp. 89-102
3. Discussion
Le principal objectif de cette étude était de tester l’une des hypothèses centrales du
modèle du bonheur basé sur le soi centré/décentré (Dambrun et Ricard, 2011) se-
lon laquelle la décentration de soi (« selflessness ») favoriserait le bonheur durable-
authentique via une diminution des affects afflictifs et une augmentation des affects
de bienveillance. Les résultats de la présente recherche supportent cette hypothèse.
En effet d’une part, la corrélation entre la décentration de soi, mesurée à l’aide de
l’inventaire de transcendance de soi, et le bonheur authentique-durable est positive
et significative. D’autre part, cette relation est médiatisée par les affects afflictifs et
les affects de bienveillance. Les résultats sont toutefois à nuancer en fonction de
la composante du bonheur authentique-durable mesurée. Alors que les deux types
d’affects médiatisent entièrement la relation entre l’échelle de transcendance de
soi et la composante « être heureux » du bonheur durable, ils ne médiatisent que
partiellement la relation entre la transcendance de soi et la composante « paix
intérieure ». Ce dernier résultat suggère l’existence de variables médiatrices com-
plémentaires non mesurées dans la présente étude. Si l’on se réfère au modèle de
Dambrun et Ricard (2011), la présence d’affects de bienveillance serait l’un des
principaux médiateurs de l’effet de la décentration de soi sur le bonheur authen-
tique-durable incluant des dimensions telles que la sérénité ou la plénitude (i.e.
dimension paix intérieure). Toutefois, comme nous l’avons évoqué en introduction,
la décentration favoriserait le bonheur authentique-durable par l’augmentation de
Transcendance de soi et bonheur 99
ego calme, la transcendance du soi, une perception de forte connexion avec l’envi-
ronnement incluant les autres, la prosocialité, un degré élevé de pleine conscience
(i.e. Mindfulness) et la sagesse, apparaît comme un facteur salutogène (e.g. Ardelt,
1997 ; 2008 ; Brown & Ryan, 2003 ; Le, 2010 ; Leary, Tipsord, & Tate, 2008 ; Way-
ment, Wiist, Sullivan, & Warren, 2010 ; Weinstein & Ryan, 2010). Cette dichotomie
n’est pas sans rappeler le débat philosophique déjà ancien entre hédonisme et
eudémonisme (voir par exemple Ryan & Deci, 2001). En effet, si l’hédonisme au
sens où l’entend Schwartz (1992), à savoir prendre plaisir à la vie ou rechercher à
prendre plaisir à la vie, semble un marqueur évident de bien-être ou un antidote à
la dépression, en revanche la maximisation des plaisirs et l’évitement des déplaisirs
comme prolongement de l’ego (e.g. quête de l’argent, du pouvoir, du prestige,
etc.), via les affects afflictifs, ne sont pas nécessairement bénéfiques en termes de
bien-être personnel. Les résultats de la présente recherche corroborent donc les
travaux qui confèrent un certain support empirique à la philosophie eudémoniste
selon laquelle le bonheur authentique et durable ne consiste pas simplement à
maximiser les plaisirs et à éviter les déplaisirs, mais se produit plutôt lorsque l’on
transcende l’ego.
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“ L’optimisme : une analyse synthétique
”
Charles Martin-Krumm
Centre de recherche sur l’éducation, les
apprentissages et la didactique (CREAD),
IUFM de Bretagne, Université de Bretagne
Occidentale, Rennes, France
Alors que l’usage courant veut While the current usage wants that
qu’optimisme et pessimisme soient optimism and pessimism are considered
considérés comme étant aux extrémités as being at the extremities of the
d’un même continuum, les résultats de same continuum, the results of recent
recherches récentes révèlent que leur researches reveal that their reality is much
réalité est beaucoup plus complexe, more complex, much more than lets it
bien plus que le laisse entendre leur understand their common usage. The aim
usage courant. L’objet de cet article est of this article is to present their various
de présenter leurs différentes facettes facets and conceptions, their definitions
et conceptions, leurs définitions et and measures, their consequences and
mesures, leurs conséquences et leurs potential origins, even the available
antécédents potentiels, voire les stratégies strategies of intervention to increase the
d’intervention disponibles pour augmenter level of optimism and\or reduce the level
le niveau d’optimisme et/ou réduire le of pessimism. The questions, which arouse
niveau de pessimisme. Les questions que these concepts, will be put, possible
suscitent ces concepts seront posées, answers evoked and perspectives in terms
des pistes de réponses évoquées et des of further researches envisaged.
perspectives de recherche envisagées.
La correspondance pour cet article doit être adressée à Charles Martin-Krumm, IUFM de
Bretagne - UBO, 153 rue de Saint Malo, BP 54310, 35043 Rennes cedex, France. Courriel :
<[email protected]>.
105
O
L’optimisme : une analyse synthétique
Introduction
On entend régulièrement dans les médias que les français sont optimistes ou qu’ils
sont pessimistes. Fondant ses propos sur des données de Gallup International ayant
réalisé une enquête dans 51 pays, le Parisien titrait le 23 décembre 2011 que les
Français sont les plus pessimistes du monde. Mais qu’est-ce qu’une personne pes-
simiste ? Qu’une personne optimiste ? Est-ce que l’optimisme est l’absence de pes-
simisme ? Est il plutôt question d’équilibre entre les deux tendances ? L’optimisme
ne présente t’il que des vertus ? Le pessimisme que des inconvénients ? Peut-on être
optimiste ou pessimiste en fonction des contextes ? L’objectif ici est d’apporter des
éléments de réponse à ces questions, en empruntant des arguments aux différents
cadres théoriques de référence, selon que l’approche de l’optimisme sera directe
ou indirecte.
De manière traditionnelle, être optimiste c’est être confiant dans l’issue positive
d’un événement, alors que le pessimisme, c’est plutôt s’attendre au pire, d’où la
nécessité, selon Chang (2001a), de bien faire la différence entre l’optimisme et
les notions de contrôle interne, même s’il est probable qu’elles soient liées. Pour
le Style Attributionnel, exemple de conception indirecte de l’optimisme qui sera
développée ultérieurement, Peterson et Stunkard (1992) précisent qu’il s’agit d’un
construit proche de celui de Locus Of Control (LOC) développé par Rotter (1966,
voir Nicole Dubois, 1987 pour une revue). Les deux construits sont des variables
de « personnalité », et portent sur les perceptions des individus relatives aux liens
existants entre leurs comportements et les résultats. Toutefois, chaque construit
possède des caractéristiques propres. Le LOC est plutôt une expectation (donc
tourné vers le futur), alors que le style porte sur l’identification des causes à un
ensemble d’événements passés. D’autre part, le style attributionnel différentie trois
dimensions explicatives, et sépare les causes apportées aux événements positifs de
celles formulées pour les événements négatifs ; précautions qui ne sont pas prises
dans la théorie du LOC selon laquelle, lorsqu’un individu perçoit que les renfor-
cements qu’il reçoit de l’environnement ne sont pas déterminés par une certaine
action de sa part, il s’agit d’une croyance en un contrôle externe. Si au contraire, la
personne considère que l’événement dépend de son propre comportement ou de
ses caractéristiques personnelles relativement stables, nous disons qu’il s’agit d’une
croyance en un contrôle interne (Rotter, 1966). Au même titre, le pessimisme ne
doit pas être confondu avec le manque de contrôle ou l’effacement personnel (self-
effacement, Chang, 2001a, p. 5). Par ailleurs, quand il est question d’optimisme ou
de pessimisme, tout semble être affaire d’équilibre entre deux pôles qui seraient à
l’opposé l’un de l’autre. De cet équilibre dépendrait la qualité de vie quotidienne
des individus. L’un des objectifs de cet article sera de définir ce qu’est l’optimisme
en fonction de différentes approches, de préciser ses conséquences sur différentes
variables cognitives, affectives ou comportementales, et de montrer qu’aussi para-
doxal que cela puisse sembler, il est possible d’être à la fois optimiste et pessimiste.
Un certain nombre de recherches ont mis en évidence une tendance des individus
à plutôt s’attendre à des événements positifs qu’à des événements négatifs, comme
106 CIPS n°93 – 2012 – pp. 103-133
s’il y avait un biais d’optimisme qui les poussait à « voir la vie en rose », biais d’op-
timisme pouvant aller jusqu’à un optimisme irréaliste (Sharot, 2011, pour une re-
vue). Il est défini ici comme la croyance erronée selon laquelle les propres risques
de la personne d’être confrontée à des problèmes sont inférieurs à ceux des autres
personnes (Weinstein, 1980). Cette croyance doit se solder par une erreur pour
être qualifiée d’optimisme irréaliste. A titre d’exemple, les individus s’attendent
à vivre plus longtemps que la moyenne et ils sous-estiment les risques de divorce
les concernant (Weinstein, 1980), ou surestiment leurs chances sur le marché de
l’emploi (Hoch, 1984). Ces illusions positives, lorsqu’elles sont modérées, ont un
impact bénéfique sur les comportements adaptatifs quant à l’atteinte de buts et
ont un effet à la fois sur les santés mentale (Taylor & Brown, 1988) et physique
(Scheier & Carver, 1987). Une étude récente révèle comment l’optimisme irréa-
liste est maintenu même lorsque la personne est confrontée à la réalité. Il y aurait
notamment des différences dans l’encodage de l’information qui joueraient dans
l’ajustement des croyances maintenant le niveau d’optimisme irréaliste (Sharot,
Korn, & Dolan, 2011). Sous-estimer le risque d’être confronté à des événements
négatifs peut avoir une fonction adaptative destinée à stimuler les comportements
exploratoires de la personne. L’intérêt peut également être de réduire le stress et
l’anxiété susceptibles d’être associés au fait de s’attendre à des événements négatifs
(Sharot et al., 2011 ; Taylor et al., 2000 ; Varki, 2009).
On peut également considérer que l’optimisme est une variable de personnalité
commune aux personnes, toutes la possédant mais à des degrés divers. Les tra-
vaux s’inscrivent alors dans le cadre d’une psychologie différentielle. On relève
une certaine uniformité dans les résultats publiés. Ceux-ci mettent en évidence
qu’invariablement, quel que soit le type de mesure, l’optimisme est associé à des
caractéristiques désirables telles le bonheur, la persévérance, l’accomplissement
et la santé (Peterson, 2000, p. 47), ou qu’il est l’un des facteurs protecteurs face
aux troubles de l’adaptation (Southwick, Vythilingam, & Charney, 2005). Compte
tenu du fait qu’il est associé à de nombreuses variables sans que les raisons de
cette association soient expliquées, Peterson le qualifie de construit « velcro » sur
lequel tout s’accroche (2000, p. 47). Dès lors il est possible d’envisager l’opti-
misme et le pessimisme sous différents angles, avec des conceptualisations variées
sans qu’il y ait forcément de désaccords marqués entre les différents courants de
recherche. Toutefois, c’est dans la mesure de ces variables que les différences sont
plus flagrantes. En effet, c’est parce que les outils psychométriques s’appuient sur
des cadres théoriques précis que des différences dans la mesure peuvent engen-
drer des différences significatives dans leur opérationnalisation. Par contre, des
corrélations ou des tendances ont pu être observées dans les scores obtenus à
différents questionnaires (Martin-Krumm, 2010), sur les styles (l’Echelle Sportive
de Mesure du Style Attributionnel ; Martin-Krumm, 2010), le pessimisme défensif
(Questionnaire de Présélection des Optimistes et des Pessimistes ; Pérès, 2001), et
l’optimisme dispositionnel (LOT-R ; Sultan & Bureau, 1999). Pour Chang (2001a),
d’un côté les multiples angles d’attaque sont une richesse pour comprendre ce qui
peut se jouer avec cette variable, mais d’un autre côté, la mise en commun des
L’optimisme : une analyse synthétique 107
évidence ainsi que les antécédents potentiels. Enfin, des limites et des perspectives
de recherches seront proposées.
de succès, qui en retour augmentent leurs chances d’avoir un haut niveau d’opti-
misme dispositionnel. Il y aurait donc un impact sur le niveau d’optimisme des
enfants à la fois dû au facteur génétique et à l’éducation apportée par les parents à
travers leur propre niveau d’optimisme. Pour Scheier et Carver (1985), l’optimisme
des individus provient également de leur histoire personnelle, de leurs succès au
cours desquels ils ont pu faire la démonstration de leurs capacités propres au tra-
vers différents types de situations. Sohl, Moyer, Lukin et Knapp-Oliver (2011) se
sont livrés à une analyse plus fine dans laquelle ils ont cherché à comprendre
comment les personnes expliquaient leur niveau d’optimisme dispositionnel. A
terme, leur objectif était d’avoir une meilleure compréhension de la cristallisa-
tion de cette variable de personnalité, et pouvoir mettre au point des stratégies
d’intervention destinées à augmenter le niveau d’optimisme. Leurs résultats ont
révélé différentes sources à l’optimisme dispositionnel (e.g., la croyance en ses
capacités, la foi religieuse, la croyance en un monde juste, etc.). Par contre, des
recherches complémentaires sont nécessaires pour comprendre les processus qui
sont en œuvre quant à d’autres influences possibles liées à l’environnement, les
autrui significatifs, l’impact des médias ou des événements vécus par les individus.
Sur un autre plan, théorique lui aussi, un individu ne devrait pas être optimiste
et pessimiste à la fois. Il devrait être l’un ou l’autre. Or les éléments qui ont été
développés attestent du contraire, tant dans le cadre développé par Dember (2001)
qui a pu observer un haut niveau en pessimisme et en optimisme pour des tra-
vailleurs sociaux ou des « business leaders », que dans celui de Norem et Cantor
(1986a, 1986b), les individus pouvant recourir à la stratégie de l’optimisme ou du
pessimisme défensif en fonction des contextes, ou que dans le cadre d’un opti-
misme plus proche d’un trait de personnalité à l’instar de l’optimisme disposition-
nel (Carver & Scheier, 1982). En effet, Benyamini (2005) a pu montrer que dans
certaines conditions un haut niveau d’optimisme et de pessimisme pouvaient co-
exister. Autrement dit, et pour reprendre les termes de Verhliac et Meyer (2009), à
la fois Candide et Cassandre semblent coexister chez l’individu. Considérant qu’ils
sont susceptibles d’expliquer des choses différentes, certains chercheurs ont d’ail-
leurs fait le choix de les considérer comme deux variables distinctes (e.g., Chang,
1998b ; Hazlett, Molden, & Sackett, 2011 ; Kubzansky, Kubzansky, & Maselko,
2004). Ce phénomène a suscité diverses questions (i.e., Peterson, 2006), au delà
de l’évocation de simples biais liés aux conditions de passation des questionnaires.
Les nombreuses personnes s’attendant à la fois à des événements positifs et à des
événements négatifs vivent-elles pleinement leur vie ou sont-elles ambivalentes ?
Les effets de l’optimisme sont-ils supérieurs à l’absence de pessimisme ? (Peterson,
2006, p. 125). Ces questions méritent une attention particulière en termes de pers-
pectives de recherche.
Ensuite, le pessimisme n’est pas forcément associé à des performances de moins
bon niveau, et l’optimisme à des performances de haut niveau. En effet, Dember
(2001) a pu montrer que le pessimisme pouvait être une variable de personnalité
plus adaptative dans certaines conditions, notamment pour les pilotes de lignes
commerciales. De même dans le cadre des stratégies de l’optimisme ou du pessi-
misme défensif, la première n’est pas forcément associée au succès, ni la seconde
à l’échec.
Mais s’il en est ainsi des conceptions directes de l’optimisme ou du pessimisme,
qu’en est-il des conceptions indirectes ? Dans les cadres théoriques de références,
ces éventualités sont-elles envisagées ? Avant de répondre à ces questions, les
cadres vont être présentés en développant plus particulièrement celui des Styles
Explicatifs, avec des exemples de travaux réalisés tant dans le développement des
outils, que des conséquences, des antécédents, ou des stratégies d’intervention.
dispositionnel tel qu’il a été conceptualisé par Carver et Scheier (1982), mais aussi
les différences. Les points communs sont d’ailleurs suffisamment nombreux pour
que ce cadre théorique figure dans l’ouvrage général sur l’optimisme présenté par
Chang (2001a), et qu’ils soient associés dans la transcendance, valeur développée
dans le modèle défini par Peterson et Seligman (2004) sur les valeurs et les forces
de caractère. Ce cadre a certes fait l’objet de travaux très prometteurs, notamment
dans le contexte de l’éducation, mais choix oblige, c’est celui des styles explicatifs
qui sera développé.
Styles explicatifs
Pessimiste Optimiste
Echec Succès Echec Succès
Locus de Interne Externe Externe Interne
causalité (personnalisation) (extériorisation) (extériorisation) (personnalisation)
Peterson & Villanova, 1988 ; ASQ for general use de Dykema, Bergbower, Doctora,
& Peterson, 1996) pour des enfants (e.g., Children’s ASQ ; Kaslow, Tannenbaum, &
Seligman, 1978, validé en français par Salama-Younès, Martin-Krumm, Le Foll, &
Roncin, 2008 ; Forced-Choise ASQ ; Reivich & Seligman 1991) le domaine scolaire
(e.g., Academic ASQ ; Peterson & Barrett, 1987), celui de la finance (e.g., Financial
Service ASQ ; Proudfoot, Corr, Guest, & Gray, 2001), ou le sport (e.g., Sport Attribu-
tional Style Scale ; Hanrahan, Grove, & Hattie, 1989 ; Échelle Sportive de Mesure
du Style Explicatif, ÉSMSE, Martin-Krumm, Sarrazin, Fontayne, & Famose, 2001).
Il convient de noter que ces différentes versions attestent du fait que petit à petit,
cette variable initialement envisagée comme ayant un fort niveau de généralité, est
maintenant considérée comme étant plutôt liée à un contexte particulier.
Une manière différente de mesurer le style explicatif est d’utiliser une méthode
d’analyse de contenu à partir d’un matériel écrit ou oral faisant état d’explications
causales pour des événements quelconques. Cette technique – dénommée anal-
yse de contenu des explications textuelles (Content Analysis of Verbatim Explana-
tions ou CAVE ; Peterson, Schulman, Castellon, & Seligman, 1992) ou Analyse du
Contenu des Explications Spontanées (ACES ; Seligman, 2008) – comprend deux
étapes : extraire les événements rapportés par l’individu, ses attributions les concer-
nant, et repérer ce qui relève du locus de causalité, de la stabilité et de la globalité.
Petit à petit, le concept de style explicatif s’est affranchi de la théorie de l’impuis-
sance acquise (learned helplessness) avec laquelle il y a pourtant une filiation di-
recte. La notion de contrôle est certes présente dans certains outils comme le SASS
développé par Hanrahan et al. (1989), mais d’une manière générale, elle a été
supprimée. Des avancées tendent pourtant à considérer qu’elle est incontournable
tant dans la mesure des attributions état (i.e., Rees, Ingledew, & Hardy, 2005) que
dans le domaine plus particulier des styles explicatifs ou attributions trait (i.e., Mar-
bach, 2009). Des outils sont en cours d’élaboration dans lesquels les dimensions
de contrôlabilité, mais aussi d’universalité sont réintroduites.
chez des patients victimes d’un infarctus du myocarde (Sanjuan, Arranz, & Castro,
2011). Plus généralement, le style explicatif est associé à des variables comme
l’efficience du système immunitaire (Brennan & Charnetsky, 2000), les blessures
(Peterson, Bishop, Fletcher, Kaplan, et al., 2001), les pensées irrationnelles (Ziegler
& Hawley, 2001), la satisfaction conjugale (e.g., Fincham, 2000), la victoire poli-
tique (e.g., Zullow, 1995), et différents types d’anxiétés (e.g., Mineka, Pury, & Lu-
ten, 1995). Le style explicatif est également impliqué dans la performance sportive
(e.g., Prapavessis & Carron, 1988 ; Rettew & Reivich, 1995 ; Seligman, Nolen-
Hoeksema, Thornton, & Thornton, 1990). D’un point de vue théorique, le style
explicatif n’est pas considéré comme la cause immédiate et inévitable des prob-
lèmes, mais plutôt comme une variable distale (e.g., Peterson & Steen, 2002) ou
un facteur dispositionnel de risque (Peterson & Park, 1998). Pourtant, la plupart des
études réalisées dans ce cadre n’ont appréhendé que les corrélats du style, en ex-
aminant les liens que cette variable entretient avec d’autres comme la dépression,
la maladie ou l’échec.
Une étude a testé le caractère modulateur du style explicatif (Jackson, Sellers, &
Peterson, 2002). Les auteurs de cette étude ont pu mettre en évidence les effets né-
fastes du stress sur la maladie, alors qu’un style optimiste « immunise » l’individu de
ces conséquences délétères. Dans le domaine du sport, deux études ont – à notre
connaissance – testé le caractère distal du style. Les résultats de Martin-Krumm,
Sarrazin, Peterson et Famose (2003) montrent, qu’alors que tous les participants
ont été confrontés à une condition d’échec dans une tâche expérimentale, ceux
au style pessimiste ont connu (1) une forte baisse dans leurs attentes de réussite,
(2) une anxiété plus importante à l’approche d’une seconde passation sur la même
tâche, et (3) une stagnation de leur performance. A l’inverse, ceux au style opti-
miste ont montré une moindre baisse dans leurs attentes de réussite, une moindre
élévation de leur fréquence cardiaque, et une augmentation sensible de leurs per-
formances au second test. L’analyse des processus a confirmé le rôle médiateur des
attentes de réussite et de l’anxiété somatique, entre le style explicatif et la faculté
de rebond après échec. Une deuxième étude réalisée en Education Physique et
Sportive (EPS) (Martin-Krumm, Sarrazin, & Peterson, 2005) était destinée à éprou-
ver le caractère modulateur du style, sur une variable qui intervient fortement dans
la réussite à l’école : la compétence perçue (Pajares & Schunk, 2001). Comme dans
l’étude précédente, les auteurs ont testé l’existence de variables médiatrices entre
le style et la réussite en EPS. Conformément au modèle expectation-valeur d’Eccles
et Wigfield (2002 ; voir aussi Fontayne & Sarrazin, 2001), les attentes de réussite et
la valeur de la discipline constituent les variables les plus proximales responsables
de la réussite dans un domaine d’accomplissement. Les auteurs ont donc émis
l’hypothèse selon laquelle le style explicatif interagissait avec la compétence per-
çue pour prédire à la fois les attentes de réussite et la valeur de l’EPS. En retour, ces
deux dernières variables étaient censées prédire la note obtenue par l’élève dans
cette discipline (fig. 1).
Les résultats ont révélé que pour les pessimistes, la compétence perçue a eu un
impact significatif sur la valeur de l’EPS : plus elle est faible, plus la valeur de la
L’optimisme : une analyse synthétique 117
discipline est faible. Par contraste, pour les optimistes, la compétence perçue n’a
pas d’impact significatif sur la valeur de l’EPS : une faible compétence perçue n’est
pas associée à une dévalorisation particulière de l’EPS. Il est donc vraisemblable
que la spécificité des causes évoquées par les individus optimistes pour expliquer
un échec n’affecte pas leur estime de soi (Seligman, 2008). Par conséquent, ceux-
ci n’éprouveraient pas le besoin de développer des stratégies de protection de
l’estime de soi, telle que la dévalorisation de l’activité (e.g., Harter, 1990). Concer-
nant les attentes de réussite, les résultats montrent que la compétence perçue prédit
d’autant plus fortement les attentes de réussite que le style explicatif de l’élève est
optimiste. Autrement dit, si le style n’exerce aucune influence quand la compé-
tence perçue est faible ou moyenne, les conséquences d’une compétence perçue
élevée sur les attentes de réussite sont d’autant plus fortes que l’élève est optimiste.
Enfin, les résultats de cette étude ont confirmé le caractère distal du style explica-
tif, sur la réussite en EPS. Des analyses par équations structurelles ont montré que
quand les attentes de réussite et la valeur de l’EPS sont contrôlées, le style expli-
catif n’a plus d’effet sur la note. Autrement dit, l’influence du style explicatif sur la
note s’exerce par l’intermédiaire de variables plus proximales présumées par Eccles
(e.g., Eccles & Wigfield, 2002) : les attentes de réussite et la valeur de l’activité.
du style en trois grandes catégories : les facteurs génétiques, les expériences sin-
gulières, et les facteurs sociaux (voir Martin-Krumm & Sarrazin, 2004, pour une
revue). Selon Buchanan et Seligman (1995), il est possible qu’il puisse y avoir
une composante génétique dans la genèse du style explicatif. Toutefois, il semble
plus probable que les facteurs génétiques n’aient qu’une influence indirecte sur
le style explicatif (Peterson & Park, 1998), en prédisposant l’individu à vivre cer-
taines expériences positives ou négatives. Les qualités physiques, psychologiques,
morphologiques etc., déterminées par des facteurs génétiques, peuvent amener
les individus à faire certaines expériences heureuses ou malheureuses, qui in-
fluenceront en retour leur style. Quelles sont les conséquences d’un traumatisme
important sur le style explicatif des individus ? Les études montrent que les expé-
riences singulières telles les maladies, les traumas, les négligences ou les échecs
cuisants dans des domaines importants, peuvent avoir des conséquences sensibles
sur la genèse d’un style explicatif pessimiste (e.g., Nolen-Hoeksema, Girgus &
Seligman, 1991). Enfin, les facteurs sociaux comme les autrui significatifs (i.e.,
les personnes importantes pour l’individu comme ses parents, son/sa meilleur(e)
ami(e), les enseignants etc.) ou les médias semblent contribuer à forger un style
explicatif particulier. Selon Peterson et Park (1998) les feed-back des parents au
regard des comportements de leur(s) enfant(s) modèleraient de manière durable sa
manière d’expliquer et d’interpréter les événements auxquels il est confronté tout
au long de sa vie. Un autre type d’influence concerne l’impact de la confiance
que les autrui significatifs accordent à l’enfant. Selon Eisner (1995), un manque de
confiance de leur part peut entraîner le développement d’un style pessimiste, alors
que leur confiance entraînerait plutôt un style optimiste. Enfin, certains travaux se
sont penchés sur l’influence des médias télévisés (e.g., Hearn, 1991). Les scènes
répétées de violences dans les fictions ou les journaux télévisés, exacerberaient un
sentiment d’insécurité susceptible de générer le pessimisme (e.g., Hearn, 1991) ;
ceci d’autant plus quand les événements violents sont présentés comme durables
et omniprésents, et que les téléspectateurs sont jeunes (Peterson & Steen, 2002).
En résumé, la question des antécédents du style amène des réponses multiples.
Le style semble être le résultat de facteurs biologiques, psychologiques et sociaux,
chacun contribuant vraisemblablement à cristalliser en l’individu une manière de
percevoir le monde qui l’entoure, sans qu’il soit possible à l’heure actuelle de pré-
ciser le rôle et la nature de chacun d’entre eux. D’autre part, il est probable qu’un
processus complexe s’engage dans lequel les événements influencent autant la
construction du style, que ce dernier n’influence les événements (Peterson et al.,
1993). Le style explicatif peut donc être à la fois une cause et une conséquence
(Nolen-Hoeksema et al., 1986). Par exemple, un style explicatif pessimiste maxi-
mise la probabilité d’occurrence d’événements négatifs, qui en retour renforcent
le style pessimiste de l’individu.
Le style évolue-t-il en fonction de l’âge ? Y-a-t il des différences en fonction du sexe ?
Il semblerait que oui. Selon Nolen-Hoeksema et Girgus (1995), le style semble se
cristalliser vers l’âge de 9 ans, mais certains événements peuvent encore le faire
évoluer jusqu’à 13-14 ans. D’autre part, le style explicatif des garçons semble
L’optimisme : une analyse synthétique 119
évoluer différemment de celui des filles. Les premiers deviennent de plus en plus
optimistes après 13 ans, alors que les filles deviennent de plus en plus pessimistes
entre 11 et 13 ans, et n’évoluent plus par la suite. L’existence d’un style plus pessi-
miste (ou moins optimiste) chez les filles a été confirmée dans les domaines sportif
(Seligman et al., 1990), ou scolaire (e.g., Nolen-Hoeksema, 1987). Plusieurs hypo-
thèses ont été émises pour expliquer ces différences. Les biais évaluatifs dont sont
victimes les filles (e.g., Basow, 1986) ont été mis en cause, en particulier l’interpré-
tation de leurs succès et échecs par les autrui significatifs. Par exemple, les succès
sont davantage expliqués en termes de causes internes et stables (e.g., l’aptitude)
pour les garçons, et en termes de causes instables (e.g., l’effort, l’aide de l’entou-
rage) pour les filles. À l’inverse, les échecs sont davantage expliqués en termes
de causes instables (e.g., le manque de travail) pour les garçons, et en termes de
causes internes et stables (e.g., la manque d’aptitudes) pour les filles (e.g., Dweck,
Davidson, Nelson, & Enna, 1978). Dans le même ordre d’idée, l’attitude des pa-
rents, qui ont tendance à pousser les garçons et à freiner les filles dans leurs expé-
riences, a aussi été invoquée (e.g., Firth,1982). Enfin, la manière dont les garçons
et les filles perçoivent leurs changements morphologiques à l’adolescence peut
aussi expliquer leurs différences au niveau du style explicatif. Si les garçons ont
plutôt tendance à apprécier ces changements (le développement morphologique et
des caractéristiques sexuelles secondaires, la prise de masse musculaire etc., leur
permettant de se rapprocher des « canons » de la virilité), les filles semblent davan-
tage souffrir de la modification de leur silhouette, notamment de l’augmentation
des masses graisseuses qui les éloigne des canons en vigueur de la féminité (e.g.,
Simmons, Blyth, Van Cleave, & Bush, 1979). Cette frustration de ne pas pouvoir
contrôler les changements de silhouette qu’elles subissent (en association avec la
valeur sociale accordée à la minceur) contribue à renforcer une vision pessimiste
des événements, plus fréquente chez les filles (e.g., McCarthy, 1990).
ci ne sont pas adaptées. Les élèves sont en outre initiés à des compétences relatives
à l’affirmation de soi et à la résolution de problèmes. Ils apprennent à identifier
leurs forces, les réseaux de soutien social, les sources d’émotion positive et les
expériences de résilience antérieures. L’analyse de données statistiques a montré
des scores de résilience, d’estime de soi et d’auto-efficacité significativement plus
élevés dans l’évaluation post-programme par comparaison à la mesure pré-pro-
gramme. Une diminution légèrement significative pouvait être observée au niveau
des symptômes de dépression (Boniwell et al., en préparation). C’est dans la ma-
nière d’analyser la situation qu’un travail spécifique sur l’optimisme, via justement
les styles explicatifs, est réalisé dans ce programme.
Une seconde ligne de recherche a été conduite spécifiquement au domaine de la
performance sportive. Rascle, Le Foll, et Cabagno (2009) présentent des résultats
encourageants de programmes de réattribution en termes de durée et de généra-
lisation des effets. Une troisième ligne de recherche est actuellement développée
par Laizeau, Tarquinio et Martin-Krumm (2011). Les résultats d’une étude pilote
réalisée ont révélé que le fait de stimuler le style explicatif d’athlètes grâce à un
nouveau protocole d’Eye Movement Desensitization Reprocessing (EMDR) per-
met effectivement d’en améliorer le niveau d’optimisme (Laizeau, Chakroun, &
Nousse, 2008).
Ces différents programmes, qu’ils soient conçus pour le domaine de l’école, du
travail ou du sport, permettraient d’acquérir des techniques limitant l’impact des
événements négatifs, comme par exemple les performances décevantes ou les bles-
sures, sur la vie des individus. Ces approches bénéficient d’une attention particu-
lière et ouvrent des perspectives de recherche prometteuses dans leurs applications.
qu’elle soit spécifique au contexte sportif ou à tout autre contexte (ÉSMSE ; Martin-
Krumm, Sarrazin, Fontayne, & Famose, 2001 ; QEMEE-R ; Salama-Younès et al.,
2008). Les individus peuvent également obtenir des scores faibles aux deux sous-
échelles, ou des scores élevés à l’une et faible à l’autre. Par conséquent, il serait
possible de relever quatre profils au lieu des deux plus communément admis dans
la littérature. Cela impliquerait donc qu’un style optimiste relèverait à la fois de
la présence de l’optimisme et de l’absence du pessimisme, et vice et versa, mais
que deux autres profils puissent être considérés. Ainsi, des études expérimentales
pourraient avoir pour objet de tester les effets de ces quatre profils sur différents
types de variables, qu’elles soient cognitives, affectives ou comportementales, ce
qui permettrait d’apporter des éléments de réponse aux questions posées par Peter-
son sur ce qu’est l’optimisme (2006, p. 124). Par ailleurs, le style explicatif était
envisagé sous l’angle d’une variable plutôt générale, or de récentes propositions
tendent plutôt à considérer qu’il pourrait s’agir d’une variable de personnalité qui
serait hiérarchiquement organisée comme cela a été proposé (e.g., Martin-Krumm
& Le Foll, 2005 ; Martin-Krumm et al., 2006) et démontré (Martin-Krumm & Sa-
lama-Younès, 2008). Cette hypothèse mérite à son tour d’être vérifiée en raison
des implications pratiques qu’elle pourrait présenter notamment dans le cadre des
programmes destinés à développer un style optimiste. En effet, il serait dès lors
possible d’envisager un pouvoir de généralisation des styles optimistes propres à
certains contextes. Leurs effets pourraient se faire ressentir dans d’autres contextes
dans lesquels la personne serait susceptible d’avoir un style plus pessimiste. Une
autre voie serait alors ouverte dont les effets seraient eux aussi à tester. Pour finir,
les devis expérimentaux ont surtout eu pour objet de tester les effets des styles lors
de situations d’échec. Leurs effets mériteraient d’être également étudiés en situa-
tion de réussite afin de tester leur impact sur les personnes. Vont-elles par exemple
toutes revoir leurs attentes de réussite à la hausse ou seules les personnes optimistes
vont-elles se montrer plus ambitieuses ? Observera t’on des effets sur l’anxiété ? Sur
la performance ?
3. Discussion générale
Qu’est-ce que l’optimisme ? Comment le mesurer ? Quelles sont ses consé-
quences et comment peut-il être impliqué dans des processus affectant des va-
riables cognitives, affectives ou comportementales ? Quels sont ses antécédents ?
Comment le modifier ? L’objet des cadres théoriques proposés et des études évo-
quées dans les conceptions directes et indirectes était d’apporter des éléments
de réponse à ces questions. Mais il est difficile de conclure. Comme cela a déjà
été évoqué, l’optimisme est-il vraiment « un construit velcro » (Peterson, 2000,
2006) auquel tout s’accroche sans que l’on sache toujours bien pourquoi ? Fait-il
partie de la nature humaine à l’instar des propositions de Taylor et Brown (1988)
ou plus récemment de Sharot (2011) pour qui il pourrait relèver d’un biais nous
poussant à voir les choses en rose, sortes d’illusions positives aussi signe de bien-
être ? Fait-il plutôt partie des conséquences de facteurs biologiques comme cela a
été proposé par Tiger (1979) ? Est-il plutôt une stratégie destinée à nous permettre
de nous présenter sous notre meilleur jour ? Toutes ces questions trouvent des
L’optimisme : une analyse synthétique 123
éléments de réponse au fur et à mesure que des études sont élaborées à l’instar
de celles qui ont été évoquées.
Toutefois, les différentes questions que pose ce construit trouvent aussi des éclai-
rages nouveaux au fil des recherches qui sont réalisées. Celles de Tali Sharot ac-
créditent par exemple la thèse de l’implication d’un facteur neuro-physiologique.
Pourquoi les personnes espèrent-elles vivre plus longtemps que la moyenne de
la population, sous-estimer le risque de divorce les concernant, surestimer leurs
chances de réussite sur le marché de l’emploi ? Il pourrait y avoir un biais d’opti-
misme dû à la chimie dans l’implication des cortex cingulaire et antérieur rostral,
d’une partie du cortex frontal lié à la régulation des réactions émotionnelles, et de
l’amygdale (Sharot, Riccardi, Raio, & Phelps, 2007). L’activité dans ces zones parti-
culières reflèterait une attitude optimiste (Schacter & Addis, 2007). Les résultats ont
permis de mettre en évidence que les individus les plus optimistes connaissaient
un niveau d’activation de ces zones plus élevé lorsqu’elles imaginaient des événe-
ments futurs positifs que lorsqu’elles imaginaient des événements futurs négatifs.
Ces résultats montrent que les zones impliquées dans les réactions émotionnelles
voient leur niveau d’activité réduit quand les personnes pensent de manière né-
gative à leur futur, mais qu’elles sont activées en synergie quand elles pensent
de manière positive, les effets étant plus marqués chez les optimistes. Les mêmes
zones seraient impliquées à la fois dans la fonction mnésique, et dans la simulation
d’événements futurs en termes de planification et de prédictions (i.e., Gilbert &
Wilson, 2007 ; Schacter, Addis, & Bruckner, 2007). Ces résultats sont prometteurs
et apportent un éclairage nouveau justifiant la volonté de l’International Positive
Psychology Association de développer l’apport des Neurosciences dans les thèmes
abordés par la Psychologie Positive (Philadelphie, juin 2009).
Mais ces résultats, aussi prometteurs soient-ils, posent également le problème
du développement de l’optimisme. En effet, s’il est sous le contrôle de proces-
sus neuro-physiologiques, alors dans quelle mesure l’acquisition par l’individu de
techniques ou d’habiletés destinées à développer son niveau d’optimisme est elle
efficace ? Faut-il envisager des traitements pharmacologiques ? Faut-il forcément
associer les facteurs physiologiques et psychologiques ? Les premiers sont-ils sous
contrôle du second ou inversement ?
Compte tenu de son impact sur les différentes variables qui ont été abordées, le
concept d’optimisme a donc généré un intérêt pour la recherche dans le secteur de
la personnalité, dans les secteurs social, de l’éducation, du sport ou de la psycho-
logie de la santé (e.g., Norem, & Cantor, 1986a ; Peterson, Seligman, & Vaillant,
1988, Weinstein, 1980). Seulement être optimiste peut aussi être intéressant pour
se présenter sous son meilleur jour. Du coup, comment le fait de sembler optimiste
peut-il être perçu par les autres personnes ? Selon Le Barbenchon et Milhabet
(2007), il est question de désirabilité sociale.
Une dernière question a attiré l’attention des chercheurs. Peut-on observer des
différences de niveau d’optimisme en fonction des cultures ? Les populations de
l’Ouest sont-elles plus optimistes ou plus pessimistes que celles de l’Est ? Est-
124 CIPS n°93 – 2012 – pp. 103-133
4. Le futur de l’optimisme
L’optimisme n’est pas que la confiance en l’avenir, il peut être stratégique mais il
ne se limite pas non plus à cela. Il peut dépendre du type de buts fixés. La manière
dont la personne explique ce qui lui arrive, surtout si ces manières sont récurrentes,
peut également intervenir dans la définition de l’optimisme. Des facteurs neuro-
physiologiques peuvent être impliqués, mais pour la personne, il peut aussi refléter
une manière de se présenter aux autres. Il est possible que l’optimisme fluctue
selon les moments et selon les contextes. Il se révèle être un construit complexe. Il
est possible que des individus soient à la fois optimistes et pessimistes, ou ni l’un ni
l’autre. Selon l’approche, des stratégies peuvent être disponibles pour l’entretenir
ou en modifier le niveau. L’optimisme a un impact sur un ensemble de variables,
qu’elles soient cognitives, affectives, ou comportementales, dans les domaines de
la santé, du travail, de l’école, des relations sociales, etc. En revanche, s’il présente
de nombreux avantages, des inconvénients ont également été mis en évidence.
L’optimisme peut révéler un côté plus obscure, en reprenant les termes de Dillard,
Midboe et Klein (2009). En effet, les résultats d’une étude qu’ils ont réalisée ont per-
mis de mettre en évidence que l’optimisme, quand il est irréaliste, pouvait conduire
des étudiants à adopter des conduites à risque pour leur santé, notamment en
termes de consommation d’alcool. L’optimisme est l’une des variables faisant l’ob-
jet de recherches dans le domaine de la psychologie positive, qu’elle soit envisagée
comme force ou comme élément impliqué dans des processus plus complexes liés
au bonheur ou à la résilience par exemple (voir Gaucher, 2010 ; ou Martin-Krumm
& Tarquinio, 2011). Mais est-il une solution à tous les maux ? Permet-il d’expliquer
L’optimisme : une analyse synthétique 125
pourquoi les uns sont heureux et d’autres pas ? Certains en bonne santé et d’autres
pas ? Capables de faire preuve de résilience ou pas ? Masque t’elle une autre va-
riable ? Une variable physiologique ? On a vu que l’optimisme ne garantissait pas le
succès ou la réussite, ni le pessimisme l’échec et le désespoir. Des recherches sont
donc encore nécessaires afin d’apporter des réponses à ces questions explicites et
à celles qui sont sous-jacentes, ainsi que pour mettre en évidence les processus
dans lesquels il est impliqué. Pour finir, la question de l’utilité de l’optimisme n’a
pas été posée. Quelle réponse apporter ? A priori, compte tenu des nombreuses
conséquences positives sur le bonheur, le bien-être, la santé, la performance, etc.,
grande est la tentation de considérer qu’il est très utile de l’être. Mais jusqu’à quel
point ? En effet, le pessimisme n’est pas forcément associé à de moins bonnes
performances. Par contre, dans les trois études qu’ils ont réalisées, Helweg-Lar-
sen, Sadeghian, et Webb (1999) ont pu mettre en évidence un phénomène de
rejet social lié au niveau de pessimisme des personnes. Alors jusqu’à quel point
être pessimiste ? Là aussi, l’identification de ce point d’équilibre va nécessiter des
investigations complémentaires. Au final, optimisme et pessimisme, lorsqu’ils sont
évoqués dans les médias, révèlent effectivement une bien plus grande complexité
que l’on pouvait penser au premier abord.
Note
1. Dans des articles empiriques et théoriques (e.g., Abramson, Metalsky, & Alloy, 1989 ; Dy-
kema, Bergbower, Doctora, & Peterson, 1996 ; Peterson, 1991 ; Peterson, Bishop, Fletcher,
Kaplan, et al., 2001 ; Peterson & Vaidya, 2001), la dimension internalité a progressivement
été délaissée car sa mesure semble moins fiable, et ses corrélats (avec les expectations par
exemples) moins consistants, que ceux obtenus avec la stabilité ou la globalité.
126 CIPS n°93 – 2012 – pp. 103-133
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“ Le Fil d’Ariane : un outil favorisant la
résilience en réadaptation
”
Jocelyn Chouinard*, Gabriel G.
Mélançon** et Lucie Mandeville**
* Centre de réadaptation Estrie
La correspondance pour cet article doit être adressée à Lucie Mandeville, Département
de psychologie, Faculté des lettres et sciences humaines, Université de Sherbrooke, 2500
boulevard Université, Sherbrooke, Québec Canada, J1K-2R1. Courriel : <Lucie.mandeville@
usherbrooke.ca>.
137
D
Le Fil d’Ariane
Depuis la fin des années 90, la psychologie positive s’intéresse à un sujet depuis long-
temps négligé en se posant des questions au sujet du «meilleur» chez les personnes
(Joseph & Linley, 2005). Sans négliger l’apport des études sur la maladie mentale et
l’intervention curative, elle prétend qu’il est nécessaire de revisiter l’ensemble des
domaines (neuropsychologie, psychologie du développement, psychologie sociale,
etc.) de la discipline afin de favoriser une compréhension plus complète et intégrée
de l’expérience humaine (Seligman, 2002). Cette perspective « positive » permet de
prévenir et de traiter différentes problématiques psychologiques, mais plus encore,
elle permet de favoriser la croissance des personnes et des communautés. Partant de
l’étude des gens sains, créatifs et productifs elle propose d’apprendre quoi « faire »
au lieu de se demander quoi « ne pas faire » (Quale & Shanke, 2010).
1. La résilience
Plusieurs études ont été conduites afin de décrire et de comprendre les aptitudes
qui contribuent au bien-être psychologique, notamment comment des personnes
ayant fait face à l’adversité continuent de s’épanouir (Ehde, 2010). En ce sens, la
résilience est considérée comme une force positive et elle représente un concept
central de la psychologie positive (Linley & Joseph, 2004; Pan & Chan, 2007; Yates
& Masten, 2004)1.
L’étude de la résilience s’est initialement penchée sur les enfants à risque de déve-
lopper une psychopathologie suite à des conditions défavorables en termes d’héri-
tage biologique, de conditions périnatales, d’environnement ou de circonstances
(Richardson, 2002). Les chercheurs ont été surpris de constater que la plupart de ces
enfants se développaient relativement bien malgré les conditions d’adversité (Mas-
ten, Cutuli, Herbers, & Reed, 2009), suggérant qu’ils soient « invulnérables » ou «
résilients ». De nombreuses recherches ont été conduites sur le sujet permettant de
conclure que la résilience n’est pas l’exception, mais plutôt la norme chez les enfants
qui font face à l’adversité (Bonanno, 2004). Devenu un domaine largement étudié en
psychologie, elle s’est ensuite intéressée au même phénomène chez l’adulte.
détresse (Quale & Schanke, 2010), elle peut vivre un déséquilibre face à l’adversité
qui demeure toutefois transitoire. D’autre part, une personne résiliente dans une
situation adverse peut ne pas l’être dans une autre, ou pour la même situation sur-
venant à un autre moment de sa vie (Lepore & Revenson, 2006).
L’adversité est ici définie comme une situation stressante et perturbatrice (Quale
& Schanke, 2010), aussi appelée «événement traumatisant » (Bonanno, 2004).
L’éventail de situations est très large, comme l’indiquent Yates et Masten (2004),
elles peuvent être ponctuelles et aigues (ex : désastre naturel, viol) ou chroniques
(ex : abus sexuels répétés, pauvreté). Elles peuvent provenir de l’environnement
(ex : décès d’un enfant, situation de guerre) ou survenir chez la personne (ex :
cancer, handicap physique). Par ailleurs, Janoff-Bulman (2006) propose l’idée
qu’une expérience d’adversité ne serait pas déterminée en fonction de l’ampleur
des conséquences externes et observables qu’elle a sur la personne et sur son envi-
ronnement, mais plutôt sur la désorganisation de ses schémas fondamentaux, c’est-
à-dire ce qui constitue la façon dont elle se représente le monde et elle-même.
Le concept de résilience ne doit pas être confondu avec un autre qui lui est proche:
la récupération. Bonanno (2004) précise que la récupération constitue une étape
du processus d’adaptation, alors qu’une personne constate que son fonctionne-
ment normal est altéré suite à l’adversité, la conduisant à vivre une certaine forme
de dysfonction. Cet état demeure ainsi durant un certain temps jusqu’à ce que la
personne retrouve son état psychologique initial précédant l’événement. À cette
différence près, la résilience empêche non seulement d’éprouver une dysfonction
psychologique, mais permet de vivre des émotions positives et des expériences
satisfaisantes. De plus, la personne intègre l’événement adverse dans ses schémas
fondamentaux de manière à éviter la désorganisation.
Une personne confrontée à l’adversité peut non seulement faire preuve de rési-
lience, elle peut se servir de cette occasion pour améliorer son fonctionnement
psychologique à un niveau supérieur à ce qui prévalait avant l’événement (Linley et
Joseph ; 2004). Ce phénomène appelé la croissance post-traumatique correspond
à une reconfiguration positive et améliorée des cognitions, des croyances et des
comportements en réaction à l’adversité (Ehde, 2010; Lepore & Revenson, 2006;
Tedeschi & Calhoun, 2004). Quoique la résilience se distingue généralement de
la croissance post-traumatique, Lepore et Revenson (2006) prétendent que cette
dernière est un type de résilience, car la reconfiguration schématique positive qui
survient alors permet à la personne de s’adapter à l’adversité.
Selon Ehde (2010), la croissance post-traumatique peut se manifester par une plus
grande appréciation de la vie, une redéfinition des priorités, un approfondissement
des relations interpersonnelles significatives, ainsi qu’un changement positif sur le
plan spirituel et la découverte d’un nouveau sens à sa vie. Ces deux derniers fac-
teurs sont très importants lorsqu’il est question de résilience.
Le Fil d’Ariane 139
faits, auraient un plus grand sentiment de contrôle sur leur vie, seraient plus enga-
gés dans leur travail, éprouveraient moins d’émotions négatives, de dépression,
d’anxiété, d’idéations suicidaires, feraient moins d’abus de substance et auraient
un moins grand besoin de psychothérapie (Steger, 2009). Des études récentes sur
la résilience peuvent expliquer pourquoi il en est ainsi.
Une autre étude de White, Driver et Warren (2010) a cherché à identifier les chan-
gements sur le plan de la résilience durant le processus de réadaptation de patients
ayant subi des blessures à la colonne vertébrale. Diverses variables spécifiques
d’ajustement ont été étudiées et mises en relation : les symptômes dépressifs, la
satisfaction par rapport à la vie, la spiritualité et l’autonomie fonctionnelle.
Quarante-deux participants âgés entre 16 et 60 ans ont été recrutés. Tous avaient
subi une blessure à la colonne vertébrale suggérant qu’ils ne pourraient plus mar-
cher au terme du traitement. Des questionnaires ont été administrés à la première
semaine d’admission, à la troisième semaine après l’admission, et à la dernière
semaine du traitement : le CD-RISC pour évaluer la résilience ; le Patient Health
Questionnaire (symptômes dépressifs), le SWLS (composantes cognitives du bien
être subjectif ; satisfaction par rapport à la vie), le Functional Independance Mea-
sure (niveau de capacités fonctionnelles des patients en réadaptation), et le ISS
(spiritualité).
Au terme du traitement, le niveau de résilience des participants n’avait pas changé.
White et al. (2010) expliquent ce résultat parce qu’aucune intervention spécifique
durant le processus de réadaptation ne visait le développement de la résilience.
De plus, ils précisent que le CD-RISC est généralement utilisé pour évaluer l’état
de résilience des patients au cours du dernier mois. Étant donné les mesures prises
aux trois semaines, il se peut que le test n’ait pas été suffisamment sensible pour
identifier un changement significatif dans cet intervalle. Néanmoins, des résultats
positifs ont été observés pour chacune des autres variables d’ajustement, soit une
diminution des symptômes dépressifs, une plus grande satisfaction face à la vie,
une augmentation de l’autonomie fonctionnelle ainsi qu’une plus grande place
accordée à la spiritualité.
D’autre part, cette recherche démontre une relation notable entre la résilience et
la spiritualité ; plus les patients font preuve de résilience, plus leur niveau de spi-
ritualité est élevé, vice versa. Ce résultat supporte l’idée selon laquelle la spiritua-
lité est un facteur de la résilience (Peres & Moreira-Almeida, 2007). Toutefois, les
chercheurs ont remarqué un accroissement de l’importance de la spiritualité en
début de traitement, puis un retour au niveau précédent au terme du traitement. Il
semble qu’en étant confronté à l’adversité, la dimension spirituelle chez un patient
puisse s’élever puis revenir au niveau initial (Hodge ; 2003). White et al. (2010)
suggèrent alors de développer des interventions visant à promouvoir la spiritualité
chez les patients atteints d’un handicap permanent, afin de favoriser positivement
le processus de réadaptation.
Considérant la notion de spiritualité intimement liée à la notion de recherche de
sens, il est pertinent de citer l’étude de Keesee, Currier et Neimeyer (2008). Ces
chercheurs se sont intéressés à l’impact de la recherche de sens chez des parents
suite à la mort de leur enfant. Cent cinquante sept parents endeuillés ont été éva-
lués à l’aide des instruments suivants : le Core Bereavement Items (questionnaire
mesurant les éléments personnels, cognitifs et émotionnels du deuil sain) et l’Inven-
tory of Complicated Grief (questionnaire évaluant les réactions mésadaptées du
142 CIPS n°93 – 2012 – pp. 135-157
deuil). La recherche de sens et la recherche de gains ont été évaluées à partir d’une
question de type qualitatif (question ouverte) et d’une mesure quantitative à l’aide
d’une échelle de type Likert.
Cette recherche conclut que la capacité de donner un sens à un tel événement trau-
matisant est de loin le plus grand prédicteur du niveau d’adaptation. Sans toutefois
être capable de démontrer que la recherche de sens favorise le deuil des parents, elle
révèle que les parents ayant été incapables de donner un sens (30 % des participants)
ou très peu de sens (17 %) à la mort de leur enfant rapportent une détresse plus
intense que les autres participants.
Dans cette optique, Chan, Chan et Ng (2006) ont proposé un programme d’interven-
tion dont le but est de favoriser la recherche de sens et l’identification de forces chez
des personnes atteintes d’une maladie. Le programme nommé Strength-focused and
meaning-oriented Approach to Resilience and Transformation (SMART) se distingue
des procédés orientés vers la pathologie par l’accent mis sur la résilience et la crois-
sance post-traumatique. Il consiste en une approche multimodale guidée par le prin-
cipe que la personne est formée d’une synthèse du corps et de l’esprit. Les patients
sont amenés à rechercher du sens à leur expérience grâce à l’enseignement spirituel
issu des traditions orientales. De plus, une version simplifiée de différentes pratiques
(ex : Tai-chi, Yoga, etc.) leur permet de s’exprimer physiquement, de réduire leur
stress et de redonner un sentiment de contrôle sur leur corps. Ensuite, la psychoé-
ducation est utilisée afin de favoriser la résilience et la croissance post-traumatique,
notamment par l’identification de leurs forces, la compréhension de la relation entre
la spiritualité et le bien-être, l’appréciation des petits bonheurs quotidiens, ainsi que
le développement de la compassion envers eux-mêmes et les autres. Enfin, le pro-
gramme propose aux patients d’explorer leur histoire de vie afin de se remémorer
leurs anciens rêves et buts, d’identifier les différents épisodes où ils ont fait preuve de
résilience, ainsi que leurs exploits et victoires personnelles. Cet aspect du programme
accroît la confiance en leurs capacités à affronter l’adversité. Dans l’étude que les
chercheurs ont réalisée, la recherche de sens a été envisagée comme une stratégie
d’adaptation, mais aussi comme une voie à la croissance.
Afin de vérifier l’efficacité de leur programme, les chercheurs ont conduit une
recherche auprès de 24 patients chinois souffrants du syndrome respiratoire aigu
sévère (SRAS) qui ont suivi le programme durant une journée. Quoiqu’il s’agisse
d’un petit échantillon, les résultats préliminaires ont permis de constater que l’état
psychologique des patients s’était amélioré et maintenu ainsi même après un mois
grâce au programme. Par ailleurs, ce programme développé pour une culture orien-
tale s’appuie sur des pratiques bouddhistes ou confucianistes qui sont plus ou moins
accessibles à notre culture occidentale. De plus, il semble y avoir une ambiguïté sur
la durée du programme ; il n’est pas clair qu’il soit appliqué sur une durée d’une
journée ou au cours d’une période de six semaines. Malgré le manque de support
empirique, le programme SMART montre que des efforts déployés pour favoriser la
résilience, et plus spécifiquement la recherche de sens, chez une population clinique
québécoise peuvent être bénéfiques. C’est le but du Fil d’Ariane.
Le Fil d’Ariane 143
2.2. Planetree
Mis sur pied aux États-Unis au début des années 1980, Planetree est un organisme
qui fait la promotion d’une philosophie intégrée de soins et de gestion dans les
milieux hospitaliers. Appliquée principalement aux États-Unis, mais aussi dans
quelques établissements à travers le monde, elle met de l’avant des pratiques axées
sur la dignité, la bonté et la compassion, non seulement dans les soins offerts aux
patients et à leurs familles, mais aussi dans les relations avec les employés. L’ap-
proche globale de soins centrée sur le patient se préoccupe de ses dimensions
physique, psychologique, spirituelle et sociale en :
– valorisant les interactions entre elles;
– impliquant la famille du patient et son réseau social ;
– informant et éduquant le patient sur sa condition de santé ;
– créant des espaces physiques favorisant la santé et le bien-être des personnes ;
– offrant des aliments aux propriétés nutritives saines ;
– faisant place aux arts dans les approches de soins ;
– offrant la possibilité de thérapies complémentaires ;
– accordant de l’importance au toucher dans la relation thérapeutique ;
– donnant de l’importance aux ressources intérieures (spiritualité) dans le traitement ;
– impliquant la communauté environnante.
144 CIPS n°93 – 2012 – pp. 135-157
Une étude indépendante (Stone, 2008) réalisée en 2008 dans des hôpitaux amé-
ricains révélait que le modèle Planetree avait des impacts positifs non seulement
sur l’expérience de soins (augmentation du niveau de satisfaction) mais aussi sur
les coûts et la durée de séjour des patients admis pour chirurgies de remplacement
de la hanche ou au niveau du genou. Le Centre de réadaptation Estrie a aussi fait
l’objet d’une étude non publiée faite par les professeurs Michel Coulmont et Chan-
tale Roy de la faculté d’administration de l’Université de Sherbrooke. Cette étude
a démontré des impacts positifs de l’implantation du modèle Planetree sur des
variables en ressources humaines: la diminution des frais d’utilisation de services
professionnels par les employés, la diminution des coûts de la Commission de
santé et sécurité au travail (CSST), la diminution des coûts de l’assurance salaire.
Dès 2004, le Centre de réadaptation Estrie a entrepris une démarche d’agrément,
pour devenir en 2008 le premier centre de réadaptation à se voir attribuer la dési-
gnation Planetree. Dans la foulée de ce changement, la direction a commencé
à se préoccuper de la façon d’intégrer la dimension spirituelle dans les soins de
réadaptation. Optant pour une conception inclusive de la spiritualité qui rejoigne
les valeurs de sa culture, l’établissement s’est largement inspiré des travaux de
l’Association canadienne des ergothérapeutes du Canada pour définir la spiritua-
lité autour de la notion de sens de la vie (Law, Polatajko. Baptiste, & Townsend,
2002). Comme le mentionne Steeve Jeffers dans la seconde édition du livre Putting
Patients First (Frampton et Charmel, 2009), la spiritualité devient le cadre de réfé-
rence qui permet de comprendre non seulement le sens mais la finalité de la vie,
fournissant aux personnes un cadre explicatif aux événements de la vie comme la
maladie et la mort.
Ainsi définie autour de la notion de sens, la spiritualité peut être considérée comme
un important facteur de soutien à la résilience, permettant à la personne de sur-
monter une période d’adversité et d’atteindre un niveau d’ajustement et d’accom-
plissement satisfaisant (Bonanno, 2004, Thompson, Coker, Krause, & Henry, 2003).
Mais comment transformer un épisode de maladie ou d’incapacité en une occa-
sion de croissance et de développement personnel (Black et Lobo, 2008)?
Une situation d’adversité (un traumatisme par exemple) peut altérer de façon si-
gnificative cette histoire et en fragiliser la structure, amenant ainsi la personne à
éprouver de la difficulté à en intégrer les différentes facettes (Neimeyer & Stewart,
2000). Pour cette raison, d’une même situation d’adversité peut résulter plusieurs
expériences diverses selon l’histoire racontée (aussi appelée «récit de vie») par un
patient (Mattingly, 1998).
L’exploration structurée de l’histoire de vie du patient permet d’en identifier les
éléments clés qui seront ensuite réutilisés dans les plans d’intervention, particu-
lièrement les dimensions qui ont du sens pour lui (Kirsh, 1996). Selon Mattingly
(1991), tout type d’intervention devient un court épisode au sein de l’histoire de
vie du patient et le thérapeute doit en arriver à s’y inscrire, pour ensuite négocier le
rôle qu’il jouera dans le processus de traitement. Par exemple, l’utilisation de l’his-
toire de vie avec un jeune homme peu collaboratif au processus de réadaptation, a
permis à l’équipe d’intervention d’utiliser des éléments de son histoire et d’ajuster
le plan de traitement, ce qui favorisa l’alliance thérapeutique, sa collaboration, et
augmenta l’efficacité du processus de réadaptation (Chouinard et Tardif ; 2008).
C’est de cette façon que le processus de traitement a pu prendre du sens pour lui
en le rendant cohérent avec son récit.
pour interpréter ses nouvelles expériences, allant même jusqu’à susciter l’espoir de
créer un nouveau projet de vie (White, 2008). D’autre part, le récit fournit aux thé-
rapeutes un portrait de leur patient qui est rarement accessible via les outils d’éva-
luation clinique conventionnels. Kirsh (1996) suggère de réutiliser certains éléments
clés de l’histoire dans les plans d’intervention de façon à permettre aux patients de
s’engager dans des occupations plus significatives pour eux.
3. Un guide d’entrevue
Le Fil d’Ariane est construit comme un guide d’entrevue semi-structurée où le thé-
rapeute aborde des questions touchant sept thématiques différentes (voir l’annexe).
Ces thèmes sont présentés au patient sous forme d’illustrations : l’enfance et l’adoles-
cence, les motivations de fond, les aspirations, les défis relevés, les expériences de
transformation, les connexions, le bien-être. Sans aborder de front la spiritualité et la
recherche de sens, le Fil d’Ariane est une occasion de découvrir le sens que donne
le patient à différents aspects de sa vie. Par exemple, le thème « bien-être » permet
d’identifier des images ou des souvenirs qui pourraient être ravivés et utilisés comme
refuge pendant les moments difficiles. Quant à l’objet symbolique, il sert à conclure
l’entrevue, mais peut aussi donner des indications sur la façon de rédiger le récit du
patient à l’aide de métaphores. Le thérapeute invite le patient à aborder les thèmes
dans l’ordre de son choix, en effectuant des retours en arrière au besoin pour com-
pléter une information. Les questions sont posées uniquement si nécessaire, pour
initier ou supporter la poursuite du récit.
Comme la perspective du Fil d’Ariane est résolument orientée vers les forces et les
ressources de la personne, il est préférable de ne pas laisser le narrateur s’arrêter trop
longuement sur la dimension négative des expériences vécues, mais plutôt l’aider
à identifier un élément positif qui pourrait s’y rattacher. L’entrevue est filmée»3 et
le contenu repris par le thérapeute qui en rédige une courte synthèse en mettant
en lumière les forces de la personne et sa trajectoire de vie. Contenu et forme sont
ensuite validés par le patient et certains éléments peuvent être repris dans son plan
d’intervention. Le contenu du Fil d’Ariane est alors discuté et présenté de façon à
orienter les objectifs de réadaptation en tenant compte de cette ligne de sens, de ce
Fil d’Ariane, de nature à susciter un meilleur engagement et une pleine collaboration.
L’histoire de Mathilda permettra d’illustrer l’utilisation du Fil d’Ariane.
L’illustration qui suit est tirée de l’expérience clinique de l’un des auteurs (Jocelyn
Chouinard). Elle met en relief la situation d’une usagère admise en réadaptation à
la suite d’un accident de voiture, mais pour qui se réadapter n’a que très peu de
sens, jusqu’au moment où elle a l’occasion de raconter son histoire dans le cadre
de l’entrevue Fil d’Ariane. Le compte-rendu de la travailleuse sociale lui permet de
mettre en lumière un facteur de résilience jusque là occulté par une série d’événe-
ments malheureux, dont le dernier épisode d’adversité vécu (accident) et l’abus dont
elle a été victime par son père. Ce facteur symbolise le sens que pourrait prendre
la vie de Mathilda à partir de ce qu’elle a raconté sur elle-même. Et c’est ce facteur
de résilience qui peut nourrir sa motivation à se réadapter et à formuler un nouveau
projet de vie, comme le lui propose l’intervenante.
Le Fil d’Ariane 147
4. L’histoire de Mathilda
Mathilda est une jeune femme âgée de 35 ans4 qui a été admise au programme
de neurotraumatologie du Centre de réadaptation Estrie environ six mois après
avoir été victime d’un accident de voiture. Depuis cet accident, elle se sent très
différente : elle a l’impression de tourner en rond, se sent désorganisée, sans but
ni attentes. Elle est plus ou moins convaincue des bienfaits qu’elle peut retirer de
la réadaptation. Invitée à se raconter dans le cadre de l’entrevue Fil d’Ariane, elle
prend conscience malgré son histoire d’abus, de négligence et de violences à répé-
tition, de ses forces et de la ligne de sens qui pourrait être mise à profit pour donner
du sens à sa réadaptation.
D’abord, Mathilda est débrouillarde. Elle l’a prouvé pendant son enfance lorsqu’elle
usait de divers stratagèmes pour se protéger et protéger ses sœurs de la violence
de son père. De plus, l’école lui a appris qu’elle est intelligente et vive. Elle y a
vécu ses premières réussites et ses premières expériences positives avec des adultes
qui ne sont pas des abuseurs. Mathilda a aussi appris qu’elle peut s’ouvrir et faire
confiance aux adultes. Lors d’une journée particulièrement difficile au secondaire,
elle déballe un après-midi durant, toute son histoire d’abus à une enseignante qui
l’écoute sans la juger. Cette rencontre devient un point tournant de sa vie : après
plusieurs années d’échecs, elle retrousse ses manches et affronte avec courage et
détermination les années d’études qui vont lui permettre d’accéder au CEGEP et à
l’université.
C’est pendant cette période de sa vie qu’elle découvre sa vocation d’aidante : elle
choisit d’étudier plus en profondeur le phénomène de la violence faite aux enfants
afin de faire en sorte que moins de petites filles aient à subir les comportements
violents des adultes. Presqu’arrivée au fil d’arrivée, elle abandonne brusquement
ses études: une grossesse non désirée, un conjoint violent et plusieurs démêlés
avec les policiers et les services de protection de l’enfance vont la précipiter dans
un nouveau cauchemar qui la mènera cette fois jusqu’à la tentative de suicide.
C’est au cours d’une lente remontée qu’elle reprendra contact avec sa mère. Plu-
sieurs mois à reconstruire ses forces, à refaire un tant soit peu confiance à la vie, à
réapprendre à fonctionner, à se débrouiller avec les comptes, l’épicerie, le ménage,
et surtout, à se défaire de l’emprise de son ex-conjoint et à prouver aux services
sociaux qu’elle peut encore être une bonne mère malgré ses antécédents.
ton chien pour te réfugier dans la forêt, là où tu savais que ton père ne pouvait te
rejoindre. Ce chien qui est devenu ton confident, et avec qui tu as appris la parole.
L’école t’a ensuite révélé ta valeur et la force intérieure qui t’animaient. La présence
chaleureuse des enseignantes, la fierté que tu pouvais lire dans leurs yeux, leurs
encouragements à poursuivre tes études, tout ça était tellement contraire à l’image
que ton milieu familial te renvoyait, que tu avais même du mal à y croire. À un tel
point que tu as décidé de faire passer un test de confiance à tous ces adultes pen-
dant ces années de décrochage au secondaire. Puis il y a eu Hélène, une ancienne
enseignante du primaire, qui a reconnu en toi la petite fille à qui elle aimait tant
enseigner. Cet après-midi-là, tu as repris contact avec la parole libératrice et c’est
au cours de cette rencontre que naquit ton projet de vie : tu allais devenir celle
qui empêcherait les petites filles de se laisser abuser par leur père. Ce tournant
eut un impact déterminant pour les années suivantes. Tu t’es presque rendue à la
ligne d’arrivée de ce diplôme qui t’aurait permis d’exercer un métier et de rendre
de précieux services à la société. Le hasard et une série d’événements malheureux
ont voulu que tu rechutes, jusqu’à vouloir en finir avec la vie. Alors que tu ne t’y
attendais plus, c’est ta mère qui a repris contact avec toi. C’est avec elle que tu as
entrepris cette longue remontée de l’abîme. Aujourd’hui, un autre défi t’attend :
celui de donner un nouveau sens à ta vie malgré tout ce qui est arrivé. À la lecture
de ce que tu m’as raconté, ton désir d’aider et de protéger les autres semble être
demeuré intact. Peut-être est-ce là le sens de ta vie jusqu’ici ? Peut-être est-ce là
ton fil conducteur, le Fil d’Ariane de ta vie ? Si tu acceptes, nous allons t’aider par
nos interventions à trouver une façon de concrétiser ce désir dans quelque chose
de bien réel, un projet à ta portée, dans lequel tu pourras te réaliser et donner du
sens à tes actions ».
5. Limites
Le Fil d’Ariane a été utilisé à plusieurs reprises par les intervenants du Centre de
réadaptation Estrie, mais n’a jamais fait l’objet d’étude ni de compte-rendu démon-
trant sa pertinence comme outil pour favoriser le processus de résilience. Deux
projets de recherche ont pour objectif de pallier en partie cette lacune. Le premier,
réalisé par des étudiants de la faculté de médecine et des sciences de la santé de
Le Fil d’Ariane 149
6. Conclusion
L’étude récente de la résilience chez l’adulte donne l’occasion aux chercheurs et
aux cliniciens de développer des programmes et des outils de prévention et d’inter-
vention favorisant le bien-être des personnes ayant fait face à de l’adversité (Yates
& Masten, 2004). Dans sa dimension quête de sens, la spiritualité peut représenter
un puissant facteur de résilience pouvant soutenir la personne en réadaptation et
l’aider à « rebondir et à s’adapter en dépit de l’adversité » (Rutter, 1985). L’épisode
de réadaptation a le potentiel de devenir une expérience significative de crois-
sance, en autant qu’il s’inscrive dans un projet de vie qui lui donnera du sens.
C’est dans cette perspective positive que le Centre de réadaptation Estrie poursuit
le développement du Fil d’Ariane.
Notes
1. La résilience constitue un élément important des premiers chapitres de l’ouvrage de
Peterson et Seligman (2004), elle n’est toutefois pas retenue dans leur classification des forces
du caractère.
2. Dans le texte, le terme « patient » est préféré à celui d’ « usager », toutefois ce dernier est
plus souvent utilisé dans les centres de réadaptation du Québec.
3. Facultatif. Une copie de l’enregistrement peut être remise à la personne avec le récit.
4. Plusieurs détails de l’histoire de cette femme ont été modifiés afin de ne pas permettre son
identification.
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– Quale, A. J., & Schanke, A. (2010). Resilience in the face of coping with a severe physical
injury: A study of trajectories of adjustment in a rehabilitation setting. Rehabilitation
Psychology, 55 (1), 12-22.
– Richardson, G. E. (2002) The metatheory of resilience and resiliency. Journal of clinical
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– Rutter, M. (1985). « Resiliency in the face of adversity : Protective factors and resistance to
psychiatric disorders », British Journal of Psychiatry, n° 147, p. 598-611.
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R. Snyder, & S. J. Lopez (Éds), Handbook of positive psychology (pp. 3-9). New York : Oxford
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– Stone, S. (2008). A retrospective evaluation of the impact of the Planetree patient-centered model
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– Thompson, N.J., Coker, J., Krause, J. S., & Henry, E. (2003). «Purpose in Life as a Mediator
of Adjustment After Spinal Cord Injury». Rehabilitation psychology, vol 48, n° 2 , p. 100-108.
152 CIPS n°93 – 2012 – pp. 135-157
ANNEXE
CONSIGNES À L’INTERVENANT
Vous invitez la personne à aborder les thèmes dans l’ordre de son choix, sans obligation
d’aborder tous les thèmes, en revenant en arrière au besoin pour compléter une information.
Chaque thème cible un objectif plus ou moins spécifique. Vous n’avez pas à lire cet objectif
à l’usager. Nous vous suggérons des questions qui peuvent servir d’amorces à la narration :
sentez-vous à l’aise de les adapter. Au besoin, expliquez le sens du thème en vous servant du
rationnel fourni. Dans la mesure du possible, il est préférable de ne pas terminer un thème sur
une note négative, mais plutôt d’aider la personne à identifier un élément positif qui pourrait
se rattacher à son expérience. L’objet symbolique n’est pas considéré comme un thème du Fil
d’Ariane. C’est une façon que nous vous proposons de terminer l’entrevue.
CONSIGNES À L’USAGER
« Vous êtes le personnage principal d’une histoire unique. L’expérience que nous allons vivre
ensemble va permettre de dégager les grandes lignes de cette histoire pour mieux vous connaître
et mieux vous aider. Chacun des cartons qui se trouvent devant vous illustre un thème particu-
lier. Ces thèmes ont été choisis afin de mettre en lumière différents aspects de vous.
J’aimerais que vous choisissiez un de ces thèmes et je vous poserai des questions sur ce sujet.
Je reviendrai sur ce que vous avez bien voulu me dire et j’en ferai un récit, une brève histoire.
Lors d’une prochaine rencontre, nous reprendrons cette histoire ensemble de façon à ce que
vous puissiez en valider le contenu. Si vous le désirez, ce récit sera présenté au reste de
l’équipe de réadaptation et à vos proches.
L’entrevue sera filmée. Nous vous remettrons le document en souvenir de votre réadaptation.
Avec lequel des dessins qui se trouvent devant vous aimeriez-vous commencer votre histoire? »
THÈMES
1. Enfance et adolescence
Disposez les photos devant la personne.
Rationnel : L’enfance et l’adolescence sont la période de la vie souvent représentée par un
creuset. L’évocation de cette période par l’usager doit permettre de dégager des moments
déterminants qui ont pu influencer son parcours de vie et lui donner une couleur particulière.
Objectif : avoir accès aux souvenirs importants vécus pendant cette période de la vie.
Amorces suggérées :
Choisissez une photo parmi celles-ci et dites-moi ce qu’elle évoque pour vous.
Y a-t-il des événements particuliers qui ont été déterminants dans votre vie?
Quel était votre principal passe-temps (jeu, activité)?
Dans quelle activité étiez-vous bon?
Quel est le plus beau cadeau que vous avez reçu?
Comment se passaient les Fêtes dans votre famille?
Aviez-vous un héros? Comment vous inspirait-il?
154 CIPS n°93 – 2012 – pp. 135-157
2. Motivations de fond
Rationnel : ce thème réfère aux forces qui déterminent le comportement de la personne, ce
qui influence ses choix, son engagement, son actualisation, les raisons pour lesquelles sa vie
vaut d’être vécue.
Objectif : identifier les raisons profondes (valeurs, croyances, besoins) qui ont déterminé les
choix de vie et qui pourraient aider à établir de nouveaux projets.
Questions suggérées :
Reportez-vous lorsque vous étiez adolescent ou plus tard dans votre vie de jeune adulte
et dites-moi ce qui vous animait, vous motivait tout particulièrement? À quoi rêviez-vous?
Quelles étaient vos valeurs, vos croyances?
Est-ce que ces valeurs ou croyances ont orienté ce que vous avez fait par la suite?
Aujourd’hui, avez-vous les mêmes valeurs ? Quelle place occupent-elles dans votre vie?
Qu’est-ce qui donne du sens à votre vie?
Dans quoi êtes-vous engagé?
Qu’est-ce qui vous passionne? Pourquoi?
3. Défis
Rationnel : la personne se construit à travers les défis qu’elle relève et les épreuves qu’elle tra-
verse. Pendant la réadaptation, ce thème lui donne l’occasion de prendre du recul par rapport
à ses difficultés actuelles et de reprendre contact avec ses forces et ses réussites.
Objectif : faire ressortir et reconnaître les forces intérieures (ex : sensibilité, humour, opti-
misme, persévérance, réalisme, courage, combativité, etc.) qui pourraient être utilisées dans
le cadre de la réadaptation.
Questions suggérées :
Y a-t-il une ou des réalisations, des défis que vous avez relevés et dont vous êtes particu-
lièrement fier? Qu’est-ce que cela vous a demandé?
Vous souvenez-vous de moments particulièrement difficiles dans votre vie?
Comment vous en êtes-vous sorti? Seul ou avec l’aide de quelqu’un d’autre?
Est-ce que vos croyances vous ont aidé à affronter et à surmonter ces difficultés?
Quelle est votre attitude face aux défis ou aux épreuves de la vie?
4. Expériences de transformation
Rationnel : certaines expériences de vie touchent davantage et induisent des changements
fondamentaux au niveau des rôles, des relations, et même du sens de la vie. Ces expériences
agissent comme révélateurs de ce qui est important pour la personne.
Objectif : faire ressortir le potentiel de transformation de l’usager, sa capacité à entrevoir sa
réadaptation comme un point tournant dans sa vie, ce qui nécessite de l’ouverture à changer,
la capacité à s’abandonner, à prendre du recul.
Questions suggérées :
Y a-t-il un ou des événements ou encore une ou des expériences qui ont influencé le cours
de votre vie (ex : naissance, rencontres, autres)? Décrivez cette expérience et ce que vous
en avez dégagé?
Le Fil d’Ariane 155
Depuis cet événement particulier, vos croyances ont-elles changé? Votre façon de voir le
monde? Vos relations avec les autres? Vos pratiques religieuses? Le sens de votre vie?
Aviez-vous une idole? Un héros? Un mentor? Comment vous inspire-t-il?
Qu’est-ce que cette expérience vous révèle de vous-même
5. Aspirations
Rationnel : l’être humain est mû par un élan qui le pousse à croître et à actualiser son poten-
tiel vers la réalisation d’un objectif de vie.
Objectif : faire ressortir les passions, les rêves, les raisons qui font que la personne se mobilise
et se dépasse. La façon de se positionner face à ses propres rêves donne une idée du senti-
ment de sécurité personnelle de l’individu, sur ses façons de réagir à l’inconnu. Ces éléments
pourraient guider la personne dans le choix d’un projet de vie et donner une couleur particu-
lière à son plan d’intervention.
Questions suggérées :
Aussi loin que vous pouvez remonter dans votre enfance, y a-t-il quelque chose que vous
auriez toujours voulu faire ou accomplir?
Êtes-vous animé par une cause?
Avez-vous toujours des rêves, des projets que vous aimeriez réaliser?
Dans votre vie, avez-vous fait quelque chose d’un peu fou, qui sortait de l’ordinaire, ou
quelque chose que vous aimeriez faire dans le futur?
Si on vous disait que vous partez en voyage bientôt vers l’accomplissement de cette mission,
à quoi ressemblerait ce voyage? (développer sous forme d’imagerie).
6. Connexions
Rationnel : l’être humain a besoin d’être en relation : c’est l’un des facteurs de sens à sa vie.
Objectif : dégager les forces découlant de la capacité à se connecter avec les autres, avec la
nature, avec une force supérieure (capacité à aimer, espoir, sensibilité, générosité, etc.).
Questions suggérées : lien avec les autres
Qui sont les personnes les plus importantes ou significatives dans votre vie ? Pourquoi le
sont-elles ? Comment décrieriez-vous vos relations avec ces personnes ?
Vous sentez-vous appartenir à une communauté ? Laquelle ? Qu’est-ce que cette commu-
nauté vous apporte ?
Dans quels moments avez-vous l’impression d’appartenir à la communauté humaine ?
Questions suggérées : lien avec la nature
Quels sont les moments où vous vous sentez lié à la nature ? Comment vous sentez-vous
lorsque vous êtes en nature ?
Avez-vous un animal de compagnie ? Quelle importance les animaux ont-ils dans votre vie ?
Questions suggérées : lien avec une force supérieure
Vous décrieriez vous au sens le plus large du terme comme une personne croyante, spiri-
tuelle ou religieuse ?
En qui ou en quoi croyez-vous ? Actuellement, quelle est la place de cette croyance dans
votre vie ?
156 CIPS n°93 – 2012 – pp. 135-157
7. Bien-être
Rationnel : les moments de bien-être peuvent servir de refuge ou d’ancrage pour la personne
qui traverse une période d’adversité
Objectif : faire ressortir la façon de prendre soin de soi, la façon d’être présent à soi-même
Questions suggérées :
Qu’est-ce qui vous procure des moments de bonheur? Qu’est-ce qui vous fait du bien?
Quelle est votre activité préférée? Votre musique préférée?
Avez-vous un passe-temps?
Avez-vous déjà ressenti le plaisir de créer quelque chose ?
Pratiquez-vous un art ? Si oui, quelles sont vos sources d’inspiration?
Si vous étiez un artiste, qui seriez-vous ? Pourquoi ?
Dans quels moments vous sentez-vous en harmonie avec vous-mêmes ?
Qu’est-ce qui vous aide à atteindre une paix intérieure ?
Que faites-vous pour vous recentrer sur vous-mêmes ?
Un objet symbolique
Rationnel : un objet peut traduire différents aspects de la personne et jeter un éclairage sur sa
façon de se représenter.
Objectif : conclure l’entrevue, faire ressortir la perception que la personne a d’elle-même
(son regard), mais sous une forme imagée.
Questions suggérées :
Y a-t-il un objet qui vous représente?
Que représente-t-il pour vous ?
C’est possible que cet objet évolue au fil du temps que vous passerez avec nous. Nous
pourrons alors en discuter.
métaphore (inspirée ou non des images de l’usager) si vous croyez que ce langage est sus-
ceptible d’être mieux compris. L’important, c’est que vous puissiez cerner en quelques lignes
(environ une page) l’essence de l’histoire de vie de cet usager. Un truc : essayez de trouver un
mot, un verbe d’action qui pourrait résumer le fil conducteur.
Enfin, la dernière étape consiste à valider votre écrit par l’usager. À noter que cette validation
porte davantage sur le contenu (les faits) que sur votre perception, celle-ci étant de par sa
nature subjective. Ne soyez pas étonné si l’usager a du mal à se reconnaître dans votre récit :
s’il admet les faits que vous rapportez, il aura peut-être besoin d’une période de temps pour
s’approprier le traitement que vous en avez fait.
C’est maintenant le temps de vous mettre à la rédaction. Laissez-vous guider par ce qui vous a
le plus touché, ce qui vous a impressionné chez l’usager. C’est probablement ce qui donnera
une couleur particulière à votre narration. Faites-vous confiance…
“ Les bénéfices associés à l’expérience
du cancer pédiatrique
”
Le point de vue d’enfants, d’adultes
guéris et de parents
Sylvie Jutras
Département de psychologie, Université
du Québec à Montréal, Montréal,
Québec, Canada
Les personnes qui ont dû faire face au Do people confronted with pediatric
cancer pédiatrique perçoivent-elles en cancer perceive that they have benefited
avoir retiré des bénéfices? Nous avons in certain ways from their illness
examiné cette question en nous inspirant experience? We examined this question
des travaux sur les répercussions positives in light of current research on the positive
de la maladie et de la classification consequences of illness experience and
des vertus et forces de caractère. Des the Classification of Character Strengths
enfants et des adultes guéris du cancer and Virtues. Children and adults who
pédiatrique, de même que des parents, survived pediatric cancer, as well as
ont été interrogés sur leurs perceptions parents, were interviewed about their
d’éventuels bénéfices associés à perceptions of possible benefits associated
l’expérience du cancer pédiatrique. Leurs with their experience. Interview data were
propos ont fait l’objet d’une analyse de content analyzed. Ten distinct benefits
contenu. Les participants ont évoqué dix were evoked by participants, including five
bénéfices distincts, dans lesquels figurent virtues. While most participants named at
cinq vertus. Pour la majorité des bénéfices, least one benefit, different participants
leur évocation varie selon le statut du named different types of benefits. These
participant, vraisemblablement en differences may be related to participants’
relation avec le développement cognitif, roles, their level of cognitive development,
l’expérience intime de la maladie et le their individual experiences with cancer,
recul du temps. and the passage of time.
La correspondance pour cet article doit être adressée à Sylvie Jutras, Département de
psychologie, Université du Québec à Montréal, C.P. 8888 ; Succursale Centre-Ville, Montréal
(Québec) Canada H3C 3P8. Courriel : <[email protected]>.
L’auteure remercie Jean Bégin, Delphine Labbé, Valérie Lafrance, Coralie Lanoue, Christiane
Lauriault, Geneviève Lepage et Anne-Marie Tougas pour leur aide précieuse lors de la
collecte et de l’analyse des données. Nous témoignons notre gratitude à notre partenaire
Leucan, de même qu’aux personnes qui ont généreusement participé à l’étude en s’exprimant
sur leur expérience du cancer pédiatrique. La recherche a été réalisée grâce à une subvention
accordée à l’auteure par le Fonds québécois de recherche sur la société et la culture.
161
U
Les bénéfices associés à l’expérience du cancer pédiatrique
d’un mois (Société canadienne du cancer & Institut national du cancer du Canada,
2008)1. Une majorité de jeunes survivent aujourd’hui grâce aux progrès médicaux ;
cependant, ils rencontrent de grandes difficultés. Les jeunes atteints doivent se sou-
mettre à des traitements durs, invasifs et prolongés de chimiothérapie, de chirurgie,
de radiothérapie ou de greffes. Ils éprouvent souvent de la douleur, des nausées, de
la fatigue. Leur apparence peut être grandement modifiée par la perte des cheveux,
un gain de poids, un gonflement du visage, des cicatrices, une croissance entravée,
une amputation. La maladie et les traitements bouleversent la vie des enfants et
celle de leur famille. Les jeunes doivent être traités dans des centres d’oncologie
pédiatrique parfois éloignés de leur domicile, les séparant de leur famille et de leurs
pairs. Cela impose aux parents des déplacements, et pour plusieurs, d’importants
frais de transport, de logement ou de subsistance. Le parcours scolaire du jeune est
perturbé, tandis qu’un des parents doit souvent réduire ses heures de travail, voire
cesser de travailler. Les parents doivent gérer le suivi médical du jeune, assurer
une présence et le réconforter, entreprendre de multiples démarches auprès des
services médicaux, sociaux et scolaires, tout en s’occupant de leurs autres enfants
et des tâches familiales. Cela se vit souvent dans un contexte de tensions, de soucis
financiers ou professionnels et d’épuisement.
adultes sans problème de santé antérieur et des adultes guéris d’une maladie phy-
sique grave. Les chercheurs ont constaté que les personnes guéries obtenaient des
scores plus élevés pour dix forces de caractère : l’appréciation de la beauté, la bra-
voure, la curiosité, l’équité, le pardon, la gratitude, l’humour, la gentillesse, l’amour
de l’apprentissage et la spiritualité. Guse et Eracleous (2011) ont comparé les forces
de caractère d’une vingtaine d’adolescents guéris d’un cancer et d’une vingtaine
d’adolescents en santé. Utilisant la version pour enfants de l’instrument employé
dans l’étude précédente, le Values in Action Inventory for Youth (Park & Peterson,
2006), Guse et Eracleous n’ont constaté aucune différence entre les deux groupes.
3.2. Bilan
Même si les conséquences du cancer pédiatrique sont pénibles pour les survivants
comme pour les parents, des effets positifs pourraient en être retirés. Cependant, la
mesure des bénéfices perçus rencontre divers obstacles. Si le chercheur témoigne
aux intéressés une vision désincarnée de l’expérience du cancer pédiatrique, igno-
rant l’importance des difficultés vécues, il risque de faire évoquer des perceptions
peu valides. Un répondant peut se braquer si on lui demande de parler des béné-
fices du cancer sans empathie pour les difficultés éprouvées. La désirabilité sociale
peut aussi contaminer les mesures, en particulier la croyance qu’il faut absolument
se montrer positif lorsque tant d’efforts ont été déployés pour amener une guérison.
De plus, les bénéfices sont peut-être encore insuffisamment circonscrits pour les
proposer dans une liste prédéterminée d’affirmations à évaluer sur une échelle de
type Likert. Des spécialistes croient aussi peu réaliste d’établir les bénéfices perçus
en demandant à un répondant un travail cognitif trop complexe. L’accentuation
de vertus et forces de caractère semble une variable d’intérêt pour étudier les bé-
néfices associés à l’expérience de la maladie. Enfin, aucune étude n’a comparé
comment des enfants et des adultes guéris, de même que des parents perçoivent
des bénéfices associés à l’expérience du cancer pédiatrique. Cette comparaison
permettrait d’en mieux saisir la spécificité, mais suppose une approche des répon-
dants qui soit appropriée à leur âge et à leur statut.
4. Objectifs de l’étude
Reposant sur le bilan précédent, l’étude poursuit trois objectifs : (a) déterminer
les éventuels bénéfices associés à l’expérience du cancer pédiatrique, perçus par
des enfants et des adultes guéris, de même que par des parents ; (b) vérifier si des
vertus et forces de caractère font partie des bénéfices ; et (c) comparer les bénéfices
perçus par les trois groupes de participants.
5. Méthode
5.1. Participants
Les participants de l’étude ont été recrutés, à travers six régions du Québec, par
l’intermédiaire d’une association bien établie qui vise le mieux-être des enfants at-
teints de cancer. L’échantillon se compose de trois groupes. Le premier comprend
52 enfants de 7 à 17 ans (M = 11,5 ; É.T. = 3,3). Ces 23 filles et 29 garçons ont eu
une leucémie, diagnostiquée en moyenne six ans plus tôt. Le deuxième groupe
se compose de 18 adultes guéris d’un cancer pédiatrique, âgés de 20 à 33 ans
(M = 25,4 ans ; É.T. =3,5). Ces 15 femmes et 3 hommes ont eu différents types de
cancer, en moyenne 16 ans plus tôt. Le groupe des parents compte 37 mères et 10
166 CIPS n°93 – 2012 – pp. 159-180
5.2. Procédure
La démarche méthodologique a été approuvée par un comité d’éthique de la re-
cherche dûment mandaté. La procédure comprenait le rappel aux participants des
objectifs de l’étude et de leurs droits, de même que la signature d’un formulaire de
consentement, contresigné par les parents dans le cas des enfants.
Les participants ont été interviewés dans le cadre d’une étude sur les difficultés
et l’adaptation scolaires après un cancer pédiatrique (Jutras, Tougas, Lauriault, &
Labonté, 2008). Une question supplémentaire leur a été posée pour connaître leur
perception des éventuels bénéfices associés à l’expérience du cancer pédiatrique.
Des prétests ont été effectués pour déterminer comment aborder le sujet sans être
blessant et pour être bien compris de participants d’âge et de statut différents. Pour
bien formuler la question, quatre jalons ont été posés : (a) pour ne pas offenser
le participant, l’assurer de la reconnaissance des difficultés associées au cancer,
(b) aborder les bénéfices par une expression équivalente moins abrupte, (c) énon-
cer le constat que, malgré les difficultés, certaines personnes ont rapporté des
bénéfices associés à l’expérience, (d) inviter le répondant à donner son opinion sur
ce constat en ce qui le concerne. Il s’agissait par la suite de traduire ces principes
dans une question construite pour qu’elle soit comprise de façon équivalente par
les participants des trois groupes et pour que les réponses obtenues puissent être
l’objet de comparaisons valables. Les prétests ont montré la nécessité de formuler
la question de façon légèrement différente pour chacun des groupes. Le tableau 1
présente le libellé de la question posée aux participants de chaque groupe.
Pour s’adresser à des enfants aussi jeunes que sept ans, les mots devaient être
simples et les formulations, concrètes. Les bénéfices ont été désignés avec eux par :
« avoir trouvé quelque chose de bon dans leur situation ». Avec les adultes, une
Groupe Libellé
Enfants C’est certain que le cancer amène toutes sortes de difficultés. Malgré ça,
il y a des jeunes qui disent avoir trouvé quelque chose de bon dans leur
situation. Est-ce que c’est vrai pour toi?
Adultes guéris Le cancer amène toutes sortes de difficultés. Malgré tout, certaines
personnes disent avoir retiré des choses positives de leur expérience.
Qu’est-ce que tu en penses?
Parents Le cancer d’un enfant amène toutes sortes de difficultés pour chacun
des membres d’une famille. Malgré tout, certaines personnes disent
avoir retiré des choses positives de leur expérience. Qu’est-ce que vous
en pensez?
Les bénéfices associés à l’expérience du cancer pédiatrique 167
6. Analyse
6.1. Analyse de contenu
Les réponses ont été transcrites intégralement dans une base de données (FileMaker
Pro©) permettant une analyse de contenu thématique et quantitative suivant des
procédés classiques inspirés de L’Écuyer (1990) et en accord avec l’intérêt de la
quantification en recherche qualitative (Onwuegbuzie, 2003). L’analyse de con-
tenu reposait sur l’association d’unités de sens présentes dans les réponses à des
catégories d’une grille de codage préétablie. Une unité de sens correspond à la
plus petite unité d’information significative en soi dans une réponse. La grille de
codage a été construite à partir d’un thésaurus du bien-être développé dans notre
laboratoire, de l’examen des réponses des participants de chaque groupe et de
la classification des vertus et forces de caractère, telles que définies par Peterson
et Seligman (2004). La grille de codage comprenait 11 catégories de bénéfices :
l’amélioration des habitudes de vie, l’élévation des valeurs, les gains matériels, le
soi adaptatif et le soutien reçu, de même que les six vertus de la classification de
Peterson et Seligman (2004) : le courage, l’humanité, la justice, la sagesse et con-
naissance, la tempérance, la transcendance. Le tableau 2 (page suivante) présente
la grille de codage des bénéfices, accompagnés de leur description.
Travaillant de façon indépendante, deux assistantes ont segmenté et codé les
réponses des participants de chaque groupe. Elles ont par la suite comparé leur
segmentation et les codes attribués à chaque unité de sens. En cas de disparité dans
la segmentation ou dans les codes, les assistantes et une coordonnatrice discutaient
du cas et établissaient par consensus les segments à retenir et leurs codes associés.
Bénéfice Description
1. Amélioration des Comportements préventifs dans le but de maintenir ou améliorer
habitudes de vie son état de santé physique ou mentale.
Note. a Vertu selon Peterson et Seligman (2004) ; b Description inspirée de L’Écuyer (1975).
7. Résultats
7.1. Présence de bénéfices associés à l’expérience du cancer pédiatrique
Le premier objectif de l’étude était de déterminer les éventuels bénéfices associés à
l’expérience du cancer pédiatrique perçus par les participants. Le tableau 3 présen-
te les bénéfices selon le pourcentage de participants qui les ont rapportés dans
chaque groupe. À l’exception de la justice, chaque catégorie de bénéfices a été
Les bénéfices associés à l’expérience du cancer pédiatrique 169
n = 52 n = 18 n = 47 (2, N = 117)
Humanité a 36,8 26,92 38,89 46,81 ns
Élévation des valeurs 26,5 5,77â 38,89 44,68á 20,87***
Sagesse et connaissance a 23,9 26,92 44,44á 12,77â 7,64*
Transcendance a
23,9 9,62â 38,89 34,04á 10,71**
Courage a
15,4 7,69â 33,33á 17,02 6,92*
Soutien 13,7 25,00á 5,56 4,26â 10,19**
Gains matériels 12,8 21,15á 16,67 2,13â 8,28*
Soi adaptatif 9,4 9,62 22,22 4,26 ns
Tempérance a 6,0 3,85 22,22á 2,13 10,10**
Amélioration des 7,7 3,85 16,67 8,51 ns
habitudes de vie
Justice a 0,0 0,0 0,0 2,13 –
Note. Vertu selon Peterson et Seligman (2004).
a
Le signe á indique que le groupe est proportionnellement surreprésenté par rapport aux autres groupes,
tandis que le signe â indique que le groupe est proportionnellement sous-représenté, selon le calcul des
résidus standardisés ajustés.
* = p < 0,05. ** = p < 0,01. *** = p < 0,001.
mentionnée par au moins 15 % des participants d’un groupe. Le deuxième objectif
était de vérifier la présence de vertus parmi les bénéfices ; c’est le cas de cinq des
six vertus de la classification de Peterson et Seligman (2004). La vertu de justice,
mentionnée par un seul parent, ne fait donc pas partie des bénéfices perçus.
La liste des bénéfices est présentée dans le tableau selon leur ordre décroissant
d’évocation par l’ensemble des répondants. Cependant, comme nous le verrons,
l’évocation de plusieurs de ces bénéfices varie selon le groupe de participants.
Note. Le signe á indique que le groupe est proportionnellement surreprésenté par rapport aux autres
groupes, tandis que le signe â indique que le groupe est proportionnellement sous-représenté, selon le
calcul des résidus standardisés ajustés.
** p = 0,011.
Note. Les moyennes présentant le même indice ne sont pas statistiquement différentes à a = 0,05 selon la
procédure HSD de Tukey.
*** = p < 0,001.n.
les adultes guéris que par les parents. La transcendance est liée au statut , χ2(2,
N = 117) = 10,71, p = 0,005. Plus de parents et moins d’enfants mentionnent ce
bénéfice. Le courage, associé au statut, χ2(2, N = 117) = 6,92, p = 0,032, a été da-
vantage mentionné par les adultes guéris et moins par les enfants. Le soutien reçu
est associé au statut, χ2(2, N = 117) = 10,19, p = 0,006. Les enfants ont été plus
nombreux à mentionner ce bénéfice, tandis que moins de parents l’ont évoqué. Il
existe une différence entre les groupes en ce qui concerne les gains matériels, χ2(2,
N = 117) = 8,28, p = 0,016, davantage évoqués par les enfants et moins par les
parents. Enfin, le statut du répondant est associé à l’évocation de la tempérance,
χ2(2, N = 117) = 10,10, p = 0,006 : les adultes guéris ont été plus nombreux à
mentionner ce bénéfice. Pour le soi adaptatif et l’amélioration des habitudes de vie,
aucune différence significative n’apparaît entre les groupes.
8. Discussion
8.1. Bénéfices associés à l’expérience du cancer pédiatrique
Le premier objectif de l’étude était de déterminer les bénéfices associés à
l’expérience du cancer pédiatrique perçus par des enfants et des adultes guéris, de
même que par des parents. Parmi les dix bénéfices rapportés, cinq correspondent
à des conclusions d’études antérieures. Ainsi, l’humanité, évoquée par plusieurs
répondants dans tous les groupes, est un bénéfice perçu par des adultes guéris sous
les aspects de compassion (Parry & Chesler, 2005) et de relations interpersonnelles
(Novakovic et al., 1996 ; Sundberg et al., 2009). L’élévation des valeurs est rap-
portée par les adultes guéris et les parents de notre étude, tout comme par d’autres
adultes guéris (Parry et Chesler, 2005) et d’autres parents (Van Dongen-Melman
et al., 1998). Les connaissances liées à la maladie sont un bénéfice décrit par des
adolescents guéris (Mattsson et al., 2007) et cadrent avec la sagesse et connais-
sance présente dans les bénéfices évoqués par les enfants et les adultes guéris de
notre échantillon. La transcendance, évoquée par les adultes guéris et les parents,
concorde avec des propos de parents sur l’appréciation de ce qui est beau ou bon
dans l’instant présent (Van Dongen-Melman et al., 1998). À l’instar des adultes
guéris de notre étude, d’autres adultes guéris ont perçu des bénéfices liés au soi
adaptatif (Novakovic et al., 1996 ; Parry & Chesler, 2005 ; Sundberg et al., 2009).
L’étude fait ressortir cinq bénéfices absents des travaux antérieurs : le courage chez
les adultes guéris et les parents ; le soutien reçu chez les enfants ; les gains maté-
riels chez les enfants et les adultes guéris ; la tempérance chez les adultes guéris ;
l’amélioration des habitudes de vie chez les adultes guéris.
8.2. Présence des vertus et forces de caractère dans les bénéfices perçus
Parmi les bénéfices les plus prégnants, trois sont des vertus : l’humanité, la sag-
esse et connaissance, la transcendance. Les vertus de courage et de tempérance
sont présentes, essentiellement chez les adultes guéris. En fait, la seule vertu
absente est la justice. Chez des adultes guéris de maladies variées, Peterson et ses
collègues (2006) avaient constaté des forces de caractère plus accentuées pour
174 CIPS n°93 – 2012 – pp. 159-180
les six vertus, y compris la justice. Utilisant la version pour enfant de l’instrument
utilisé par Peterson et ses collègues, Guse et Eracleous (2011) n’ont rapporté
pour leur part aucune différence entre des adolescents guéris d’un cancer et des
adolescents en santé.
Dans les trois groupes, les vertus ne sont pas autant évoquées. Seules l’humanité,
et la sagesse et connaissance sont mentionnées par plusieurs enfants. Chez les
adultes guéris, cinq vertus le sont : la sagesse et connaissance, l’humanité, la tran-
scendance, le courage, la tempérance. Uniquement les vertus d’humanité et de
transcendance ont été mentionnées par plusieurs parents.
Les vertus et forces indiquées étaient-elles présentes avant la survenue du can-
cer? Leur présence antérieure aurait-elle contribué à surmonter les épreuves de
la maladie, voire même à guérir pour les jeunes? Le plan transversal de l’étude
ne permet pas de le déterminer. Selon Peterson et Seligman (2004), les forces de
caractère sont des traits stables, susceptibles d’évoluer en fonction des conditions
dans lesquelles se trouve l’individu. Indépendamment de leur présence antérieure,
il est vraisemblable que les forces aient été activées par la recherche d’un équilibre
psychologique perturbé par le cancer. Dans des conditions qu’il reste à établir,
des vertus et forces de caractère pourraient se révéler ou croître en faisant face
à l’adversité. Le cancer est une expérience très menaçante dont l’issue est incer-
taine. Comme l’exposent Park, Edmonston, Fenster et Blank (2008), constater des
preuves de croissance en soi pourrait aider à restaurer le sentiment que la vie est
cohérente, a un sens, et que le monde est prévisible et juste. Beaucoup reste à faire
pour élucider les processus sous-jacents au développement des vertus et forces de
caractère. Si, comme l’affirment Peterson et Seligman (2004), elles favorisent une
vie heureuse, saine et droite, il s’agit d’une avenue de recherche prometteuse pour
aborder l’expérience de la maladie sous un jour positif.
9. Contributions de l’étude
Avant de souligner les contributions de l’étude, il convient de reconnaître que,
comme dans toute étude avec échantillon non probabiliste, le niveau de générali-
sation des résultats est limité. À l’exception des études de cohorte multicentrique,
il est souvent difficile d’obtenir la participation de jeunes qui ont survécu au cancer
pédiatrique (Guse & Eracleous, 2011). Il est possible que nos participants volon-
taires se distinguent de ceux qui n’auraient pas voulu prendre part à l’étude. Dans
le cas des adultes guéris, il ne s’agissait pas cependant d’individus sans séquelles
puisque la majorité avait un problème de santé chronique et une incapacité phy-
sique ou cognitive attribuables au cancer pédiatrique (Jutras et al., 2008). Les en-
fants et les parents ne rapportaient pas ce niveau de problèmes de santé.
Les constats concernant la présence accrue de forces de caractère chez soi repo-
sent sur les perceptions des répondants. Il serait intéressant de savoir si des mem-
bres de l’entourage ont noté de telles transformations chez les jeunes. Cependant,
176 CIPS n°93 – 2012 – pp. 159-180
les proches risquent aussi d’être subjectifs en raison de leurs efforts pour composer
avec la maladie de la personne aimée. De plus, ils peuvent eux-mêmes avoir chan-
gé ; effectivement, les parents de la présente étude se sont reconnu de nouvelles
forces. Il est difficile d’établir un plan de recherche qui pare ces problèmes. Deux
éléments concourent néanmoins à voir de l’authenticité dans les autoévaluations
des vertus et forces de caractère en relation avec l’adversité. D’une part, Peterson
et al. (2006) ont constaté des forces élevées chez des répondants qui ignoraient
que leurs autoévaluations des forces seraient mises en relation avec leur maladie
surmontée. D’autre part, les répondants de notre étude ont spontanément parlé de
leurs forces acquises ou accrues au travers de l’expérience du cancer en réponse
à une question qui ne faisait pas allusion à de telles forces. Ces mises au jour de
vertus et forces de caractère appuient l’affirmation de Seligman et Peterson (2004) :
leur déploiement serait un moteur important dans l’adaptation et la recherche
d’équilibre psychologique.
Notes
1. Le lecteur intéressé aux informations médicales et épidémiologiques consultera avec
intérêt la section Le cancer chez les adolescents et les jeunes adultes d’un document produit
par le Comité directeur de la Société canadienne du cancer (2009).
2. Pour plus d’informations sur les instruments de mesure des forces de caractère, consulter :
https://www.viacharacter.org/www/en-us/home.aspx
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Consignes aux auteurs
Tout manuscrit ne respectant pas scrupuleusement les présentes consignes sera renvoyé à son auteur.
Nous sommes à votre disposition pour toute question relative à ce document.
LONGUEUR
Entre 15 et 30 pages, dûment numérotées, dactylographiées en A4, en double ou 1,5 interligne, avec
marges, comptant une moyenne de 2 000 signes par page, soit un total de 30 000 à 60 000 signes, sauf
exception qui requiert l’accord du Comité éditorial. Les notes de recherche sont acceptées mais ne
dépasseront pas 10 pages (environ 20 000 signes).
DEUXIÈME MOUTURE
Dans l’hypothèse où une version remaniée est demandée, l’auteur accompagne cette seconde version
d’un justificatif détaillé explicitant les modifications effectuées et, le cas échéant, justifiant pour quelle
raison il reste en désaccord avec les lecteurs.
AUTEURS
S’il y a plus de deux auteurs, le rôle respectif de chacun sera précisé en bas de page.
RÉSUMÉ
Les textes d’articles seront accompagnés, sur feuilles séparées, d’un résumé de 120 mots au maximum,
en français et en anglais, axé sur les intentions, les objectifs, les résultats et conclusions, en évitant
d’alourdir le texte par des références d’auteurs. Y sont joints un maximum de cinq mots-clés.
RECOMMANDATIONS MÉTHODOLOGIQUES
Les présentes recommandations reprennent des remarques maintes fois émises, au cours de ces dix derniè-
res années, par les experts d’articles proposés.
1. Définir avec précision le sens des concepts et vocables utilisés, en se référant aux dictionnaires étymo-
logiques ou aux études taxinomiques appropriés ; préciser le sens des abréviations éventuelles.
2. Rendre justice aux sources : ne pas s’en tenir aux publications les plus récentes des seuls périodiques
anglo-saxons ou non ; privilégier les ouvrages fondamentaux originaux.
3. Préciser les objets ou plans de focalisation et formuler avec rigueur les modes d’approche envisagés.
4. Élaguer l’information en la dépouillant du superflu ostentatoire. Les données statistiques seront exclu-
sivement en rapport avec l’objet de l’article, évitant les précisions excessives (ex. : limiter les résultats
statistiques à deux décimales).
• privilégier l’analyse quantitative factuelle des données, évitant tout étalage de formules superfétatoires
et une sophistication mathématique ne concernant pas le psychologue social ; pour ce faire, le choix des
outils statistiques utilisés se doit d’être dûment justifié par son appropriation au problème posé ;
• circonscrire avec précision la population étudiée, préciser le mode d’élaboration probabiliste ou non
de l’échantillonnage, décrire avec exactitude la composition de l’échantillon ;
• éviter (entre autres) : de tirer des inférences de données quantitatives insuffisantes (ex. : un r de .30
n’exprime que 9% de la variance commune entre les variables) ; de recopier de façon automatique
certains listings informatique (ex. : si .0001 exprime une probabilité, .000 est une certitude), d’utiliser
des statistiques incorrectes (ex. : les c2 calculés au départ de cellules dont les fréquences théoriques
sont inférieures à cinq) ; etc.
6. Le détail des travaux statistiques ou des programmes informatiques, les protocoles des études de cas,
les attendus des observations et entretiens, de façon générale l’ensemble des données de base ne seront
pas publiés mais doivent pouvoir être communiqués sur demande des évaluateurs, éventuellement par
attaché.
CONSIDÉRATIONS DÉONTOLOGIQUES
1. Les données susceptibles d’être combinées et présentées conjointement devraient autant que possible
faire l’objet d’une publication unique. Leur fragmentation en plusieurs rapports, par petits paquets, n’est
pas désirable ; sera notamment évitée toute découpe arbitraire de l’échantillon à seule fin de multipli-
cation de publications.
2. Par souci de transparence et d’équité, la contribution effective de chacun gagne à être mise en évi-
dence, proscrivant les listes d’auteurs cités de façon indifférenciée alors que leur rôle respectif est varia-
ble, parfois dérisoire. On diminue de ce fait la reconnaissance des mérites de l’auteur effectif tout en
élargissant, parfois à bon compte, le dossier scientifique d’aucuns.
Il y a lieu de ne mentionner comme tels que le ou les auteurs effectifs, quitte à préciser « sous la direction
de », « avec l’aide technique de », « bénéficiant de l’expertise statistique ou informatique de », voire « avec
l’approbation de » lorsque plusieurs collègues se rallient au texte d’un auteur initial.
ABONNEMENT 2012
Je soussigné
commande ferme
Je m’engage à payer : 95 € 99 € 68 € 72 € 55 €
tous pays
paiement par versement en euros, tous frais à votre charge, sur le
compte n° 634-2695101-28
Delta Lloyd, 23 avenue de l’Astronomie, 1210 Bruxelles, Belgique
iban : BE 37 6342 6951 0128
swift : BNAGBEBB