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SOMMAIRE NUMÉRO 93

3 Intentions et objectifs

5 Formation Internationale en Science-Action Psycho-Sociale (2011-2012)

13 Éditorial
Sylvain DELOUVÉE

NUMÉRO THÉMATIQUE : LA PSYCHOLOGIE POSITIVE


17 La psychologie positive : une approche nécessaire et complémentaire ?
Michaël Dambrun
21 Est-il justifié de parler de psychologie positive ?
Jacques LECOMTE
37 Existe-t-il un véritable altruisme basé sur les valeurs personnelles ?
J-F. Deschamps et Rémi Finkelstein
63 Induction sémantique de l’amour et comportement d’aide envers des réfugiés :
amour + réfugiés = amour des réfugiés ?
Lubomir LAMY, Jacques FISCHER-LOKOU et Nicolas GUÉGUEN
77 Bien-être subjectif et comportements altruistes : les individus heureux sont-ils
plus généreux ?
Rébecca Shankland
89 La transcendance de soi et le bonheur : une mise à l’épreuve du modèle du
bonheur basé sur le soi centré-décentré
Michaël Dambrun et Matthieu Ricard
103 L’optimisme : une analyse synthétique
Charles Martin-Krumm
135 Le Fil d’Ariane : un outil favorisant la résilience en réadaptation
Jocelyn Chouinard, Gabriel G. Mélançon et Lucie Mandeville
159 Les bénéfices associés à l’expérience du cancer pédiatrique
Le point de vue d’enfants, d’adultes guéris et de parents
Sylvie Jutras

181 Consignes aux auteurs

183 Bulletin d’abonnement 2012

http://www.cairn.info/revue-les-cahiers-internationaux-de-psychologie-sociale.htm
COMITÉ ÉDITORIAL Bernard GAFFIÉ, Université de Toulouse
Kamel GANA, Université de Nancy
Jean-Claude ABRIC, Université de Provence
Pilar GONZALEZ, Université de Barcelone
Guglielmo BELLELI, Université de Bari
Robert-Vincent JOULE, Université de Provence
Jean-Claude DESCHAMPS, Université de Lausanne
Sylvie JUTRAS, Université du Québec à Montréal
Jean MORVAL, Université de Montréal
Serge MOSCOVICI, Laboratoire Européen de Psychologie René KAËS, Université Lumière, Lyon II
Sociale, Paris Simone LANDRY, Université du Québec à Montréal
Félix NETO, Université de Porto Stéphane LAURENS, Université Rennes 2
Juan Antonio PÉREZ, Université de Valencia Giovanna LEONE, Universités de Bari et de Rome
Paul SCHMITZ, Université de Bonn Jean-François LEROY, Université de Liège
Jacques-Philippe LEYENS, Université Louvain-la-Neuve
Edmond Marc LIPIANSKY, Université Paris X
DIRECTEUR DE PUBLICATION
Monique LUSSIER, Université d’Ottawa
Pierre DE VISSCHER, Université de Liège Jean MAISONNEUVE, Université Paris X
Jean-Michel MASSE, Hautes Études Commerciales, Montréal
RÉDACTEUR EN CHEF Michel MORIN, Université de Provence
Sylvain DELOUVÉE, Université Rennes 2 Gabriel MOSER †,Université Paris Descartes
Gabriel MUGNY, Université de Genève
Oscar NAVARRO CARRASCAL, MSH-Alpes, Grenoble
DIRECTEURS ASSOCIÉS (2012-2014)
Adrian NECULAU, Université de Iaşi
Catherine AMIOT, Université du Québec à Montréal, Canada Jacques NEYRINCK, École Polytechnique, Lausanne
Laurent LICATA, Université Libre de Bruxelles, Belgique Dominique OBERLÉ, Université Paris X
Grégory LO MONACO, Université de Provence, France Dario PAEZ, Université de San Sebastian
Gilda SENSALES, Université de Rome, Italie François RIC, Université de Bordeaux
Karine WEISS, Université de Nîmes, France Michel-Louis ROUQUETTE †, Université Paris Descartes
Éric TAFANI, Université de Provence
INDEXATION Pierre TAP, Université de Toulouse
Les articles publiés dans les Cahiers Internationaux de Hubert TOUZARD, Université Paris Descartes
Psychologie Sociale, ainsi que les résumés, sont actuel- Sabine VANHULLE, Université de Genève
lement indexés par : Yves WINKIN, École Normale Supérieure, Lyon
- l’American Psychological Association (PsycINFO,
PsycLIT, Psychological Abstracts) APPEL AUX AUTEURS
- Cambridge Scientific Abstracts (Sociological Abstracts) La revue est ouverte à toutes les personnes concernées
- l’Institut de l’Information Scientifique et Technique – par les pratiques, phénomènes, processus qui participent
CNRS (Pascal, Francis) à la fois du psychologique et du social.
On y accueille :
ABONNEMENT ET ANCIENS NUMÉROS
Éditions de l’Université de Liège – Céfal Diffusion 1. des articles de recherche notamment expérimentale ;
31 boulevard Frère-Orban 2. des notes de travail, préludes à des investigations ulté-
4000 Liège, Belgique rieures plus fouillées ou apportant des résultats néga-
Tél. +32(0)4 254 25 20 tifs ayant une portée heuristique effective ;
Fax. +32(0)4 254 24 40 3. les résultats d’enquête ou de recherches-action, des
Courriel : < [email protected]> études de cas ;
Les anciens numéros, jusqu’en 2002, sont disponibles 4. des articles critiques, méthodologiques ou épistémo-
auprès de <[email protected]>. Plus logiques ;
d’informations sur notre site internet (http://www.cips.
be). Pour les numéros suivants, à partir de 2002, contacter 5. des synthèses de points ou domaines particuliers, des
directement Céfal Diffusion. Les Cahiers de Psychologie exposés ou analyses théoriques ou historiques ;
Sociale (1979-1988) sont aussi l’objet de conditions 6. la description d’instruments d’investigation, d’anima-
avantageuses. S’adresser à Pierre De Visscher. tion ou d’intervention ;
7. la recension d’ouvrages et de notes de lectures ;
CONSEIL SCIENTIFIQUE – COMITÉ DE LECTURE
8. des informations, notes d’actualité, billets d’humeur ou
Jeanine BAIWIR, Conservatoire de Liège débats concernant le psycho-social.
Jean-Léon BEAUVOIS, Université de Nice
Laurent BÈGUE, Université de Grenoble
Herbert BLUMBERG, Goldsmith’s College, Université Correspondance scientifique
de Londres Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale
Marcel BOLLE DE BAL, Université de Bruxelles c/o Professeur Pierre De Visscher
Christine BONARDI, Université de Nice
75, Route de Liège
Jean-Paul BROONEN, Université de Liège
4141 Louveigné
Fabrice BUSCHINI, Université de Genève
Belgique
Olivier CORNEILLE, Université Louvain-la-Neuve
Benoît DARDENNE, Université de Liège Tél. : +32 (0)4 360 83 70
Bernard DE HENNIN, Facultés Catholiques de Lille Fax : +32 (0)4 360 95 03
Willem DOISE, Université de Genève Courriels : <[email protected]> et
Marcel FRYDMAN, Université de Mons <[email protected]>
Intentions et objectifs

Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale (C.I.P.S.) visent à promouvoir


une large diffusion internationale en langue française d’une approche scientifique
à la fois fondamentale et appliquée du secteur psycho social.
 Quand, en 1978, parurent, fondés à l’Université de Liège en Belgique, les pre-
miers Cahiers de Psychologie Sociale (C.P.S.), ils reflétaient la politique générale de
recherche du service liégeois de psychologie sociale. Mais très vite, les contribu-
tions vinrent d’autres sources et la revue s’internationalisa. Elle fut remplacée en
1989 par un périodique à vocation internationale explicite.
 C’est cependant le monde de la francophonie que l’on vise à atteindre en priorité.
Sans doute la langue anglaise s’affirme-t-elle pour l’heure « la » langue scientifique
internationale, comme l’étaient jadis l’allemand et le français, comme le seront
peut-être un jour le chinois, l’hindi ou l’arabe. Cette prédominance constitue un
handicap non négligeable, alors que la recherche psychosociale connaît un ressort
remarquable dans le monde de la francophonie. Or pour beaucoup, spécialement
en sciences humaines,  lire ou écrire en une autre langue présente un caractère
réducteur. Chaque langue appréhendant la réalité selon des modalités spécifiques,
il apparaît que « traduire c’est trahir ».
Aussi ne publions-nous, sauf rarissimes exceptions, qu’en langue française, quitte à
assurer la traduction de certains textes particulièrement significatifs.
Par contre, dans un souci d’internationalisation, les résumés de chaque article sont
traduits en allemand, anglais, espagnol, italien, portugais.
 La revue se veut scientifique : elle publie des articles de recherche notamment
expérimentale, les résultats d’enquêtes, de recherche-action et de science-action,
mais elle n’exclut ni les synthèses récapitulatives ni les approches théorique, épis-
témologique, historique. Elle prend en considération non seulement la recherche
fondamentale mais aussi la recherche appliquée.
 La psychologie sociale y est abordée sous sa définition la plus large.
Il est tenu compte aussi bien de la psychologie sociale des sociologues que de celle
des psychologues, de la psychosociologie comme de l’ethnopsychologie et de la
psychologie environnementale, de la dynamique des groupes et de la psychologie
organisationnelle et institutionnelle, de la communication interpersonnelle, inter-
groupale et interculturelle, du laboratoire de l’expérimentateur comme de la rela-
tion du clinicien, des besoins en outils pédagogiques du praticien de la formation.
4

 L’accent est mis sur le pluralisme des disciplines, des orientations, des méthodo-
logies, et conséquemment des textes acceptés. La revue se veut lieu de rencontre,
échange et débats, voire conflits, entre spécialistes de disciplines ou de courants
distincts. Place peut notamment être faite à des orientations qui ne sont plus guère
d’actualité.
Aussi le réseau international d’experts est-il diversifié, comprenant non seulement
des scientifiques et académiques universitaires, mais aussi des praticiens du secteur
privé comme public.
 Nous voulons rendre la revue accessible au plus grand nombre de lecteurs. Le
souci d’une large diffusion se conjugue avec celui d’une fonction pédagogique.
Nous souhaitons que les auteurs, sans sacrifier d’aucune façon les exigences de
la rigueur scientifique, veillent à la lisibilité de leurs écrits et se soucient de reca-
drer leurs préoccupations de façon suffisamment large, mettant les progrès de la
recherche à portée des responsables de la vie publique et des hommes et femmes
d’action en général.

Le Centre International de Psychologie Sociale
et le Centre de Dynamique des Groupes et d’Analyse Institutionnelle
proposent une

Formation Internationale en Science-Action Psycho-Sociale


cinquième promotion (2011-2012)
université d’été

Rétroactes
Pour la cinquième fois, est organisé un enseignement en science-action psycho-so-
ciale, à l’intention non seulement des psychologues et des sociologues, mais aussi
des acteurs de la vie publique pratiquant l’animation, la formation, l’intervention,
la gestion, la supervision psychosociales, etc.
Cet enseignement s’est substitué au « Diplôme Européen de Psychologie Sociale
Appliquée » (D.E.P.S.A.). Celui-ci, fondé au début des années 90, était l’œuvre d’un
réseau européen en psychologie sociale appliquée, constitué par les représentants
de quatorze universités, sises dans six pays. N’ayant pu être poursuivi au sein des
structures académiques traditionnelles, nous avons pris l’initiative d’en proposer
l’équivalent dans le cadre de la formation continuée.
L’ensemble de la formation, au niveau d’un troisième cycle universitaire, conduit
à un Diplôme International en Science-Action Psycho-Sociale (D.I.S.A.P.S.). Elle
totalise quatre certificats comprenant chacun trois ou quatre modules distincts, le
tout réparti sur deux sessions d’été de trois semaines, en juillet 2011 et juillet 2012.
Elle fait appel à un éventail d’experts reconnus internationalement, académiques
et/ou praticiens.

Méthodologie
Nous voulons introduire à la méthodologie d’une science actionnable en
abordant des réalités concrètes par un apprentissage inductif. Celui-ci prend
deux formes :
• des séminaires de troisième cycle au sens académique du terme : des sujets
choisis sont analysés et débattus en séance : quant aux thèmes, priorité à la
conceptualisation fondamentale et aux travaux critiques et de synthèse ;
• des modules participatifs utilisant situations miniature, exercices structurés,
jeux de rôles, analyses de cas : l’apprentissage y privilégie l’acquisition active
sur un mode expériencié.
Pour chaque activité, les participants reçoivent (en préalable) une
bibliographie fondamentale mais réduite (quelques textes de base par
activité dont plusieurs scannés). Il est conseillé d’intégrer en cours d’année
les éléments de cette bibliographie de façon à être en mesure de suivre,
avec fruit, chacun des modules prévus à la session d’été.
 Conditions d’admission 
Être porteur d’un diplôme universitaire de deuxième cycle ou faire état d’un curri-
culum approfondi de formation continue. ATTENTION : un nombre maximal de
participants étant fixé par activité, l’inscription tardive est déconseillée.
 Lieu
Parc Scientifique de l’Université de Liège, dans les locaux du Centre de Dynami-
que des Groupes et d’Analyse Institutionnelle (C.D.G.A.I.).
 Durée et validation
Le programme s’étend sur trois semaines au mois de juillet et totalise 96 heures
par an. Toutefois, le diplôme ne sera octroyé qu’à deux conditions :  avoir suivi
au moins 180 heures d’activités réparties sur deux ans ou plus ;  rédiger (ou
pouvoir faire état d’) un texte original de vingt à trente pages sur un sujet relatif
aux matières abordées. Ce travail peut prendre la forme d’une vidéo, d’un DVD,
d’une analyse de cas ou d’un outil d’animation.
 Coût
600 euros pour l’ensemble du programme 2012 ;
320 euros par certificat ; 95 euros par module isolé.
Priorité est donnée à ceux qui s’inscrivent à l’ensemble de la formation.

Modalités pratiques

Pour s’inscrire (autant que possible avant le 30 avril 2012)


• soit par courrier : C.I.P.S. (Centre International de Psychologie Sociale)
route de Liège 75, 4141 Louveigné, Belgique. Tél. 32 (0) 43 60 83 70
• soit par fax 32 (0) 43 60 95 03 ou par courriel :
<[email protected]>

Joindre un curriculum vitae abrégé


Préciser à quel(s) certificat(s) ou module(s) vous souhaitez vous inscrire.
Verser un acompte (à l’inscription) et le reliquat (au plus tard le 15 juin)
au compte C.I.P.S. 652- 4815704-27 Banque Record, Louveigné, Belgique
IBAN : BE48 6524 8157 0427 BIC : HBKABE22.
Après réception de l’acompte : vous recevrez toutes informations com-
plémentaires : dossier de lectures, possibilités et modalités diverses
d’hébergement, plans d’accès, etc.
Programme de juillet 2012

Certificat C. Science-action sociétale (48h) du 2 au 12 juillet 2012

C1. Problématique de la recherche-action


S. Baggio, Université de Genève (14h)
mardi 3 juillet 2012 : 9h00-12h30 ; 14h00-17h30
mercredi 4 juillet 2012 : 9h00-12h30 ; 14h00-17h30

C2. Créativité institutionnelle


P. De Visscher, Université de Liège (6h)
jeudi 5 juillet : 9h30-12h30 14h00-17h00 ;

C3. Initiation théorique et pratique à l’animatique


D. Faulx, Université de Liège(14h)
vendredi 6 juillet : 9h00-12h30 14h00-17h30
samedi 7 juillet  : 9h00-12h30 14h00-17h30

C4. Méthodes d’intervention psychosociale dans les organisations


S. Heunert, Syllogos, Lausanne (14h)
lundi 9 : 9h00-12h30 14h00-17h30 ; mardi 10  : 9h00-12h30 14h00-17h30

Certificat D. Science-action interpersonnelle (48h) du 13 au 20 juillet 2012

D1. Coopération, compétition, pouvoir


J.-P. Heiniger, IMD Lausanne, Terre des Hommes (14h)
mercredi 11 : 9h00-12h30 14h00-17h30 ; jeudi 12 : 9h00-12h30 14h00-17h30

D2. Analyse de processus interpersonnels et groupaux par l’étude de cas


Y. Bodart, C.D.G.A.I. (14h)
vendredi 13 : 9h00-12h30 14h00-17h30 ; samedi 14 : 9h00-12h30 14h00-17h30

D3. L’intelligence émotionnelle au service du groupe


R.-M. Dethier, C.D.G.A.I. (6h)
lundi 16 juillet : 9h30-12h30 14h00-17h00

D4. Théories des systèmes et ses applications


J.-J. Wittezaele, Centre Grégory Bateson (14h)
mardi 17 : 9h00-12h30 14h00-17h30 ; mercredi 18 : 9h00-12h30 14h00-17h30
Extraits de l’Éditorial paru en 2003 (n°59 des CIPS)
Projet d’une formation internationale en science-action psycho-sociale

par Pierre De Visscher

De l’incomplétude de la formation des psychologues sociaux


L’enseignement de la psychologie sociale au sein de la Communauté Européenne
fait l’objet de certaines réserves : de récentes interviews de personnalités recon-
nues du monde psychosocial en témoignent1. Parmi les principaux aspects contes-
tés, on peut citer :
 La discipline intitulée « psychologie sociale », actuellement aux mains de
psychologues sans réelle formation sociologique, n’aurait plus grand-chose de
« social » :
– « l’appellation psychologue social est trop psychologique à mes yeux et donc trop
individualiste... On n’a pas réussi le mariage entre une certaine forme de rigueur
conceptuelle autant que méthodologique et la pertinence sociale... Un grand nombre
de revues scientifiques considérées comme qualifiantes... sont saturées de travaux qui
ont une pertinence sociale à peu près nulle » (M. - L Rouquette).
– « ... le côté assez peu social de la psychologie sociale d’aujourd’hui... pourtant, on
peut très bien être intéressé par les processus cognitifs et avoir quand même une appro-
che psychosociale, à condition de ne pas rester confiné à un niveau intra- individuel
décontextualisé » (D. Oberlé).

 L’enseignement perd peu à peu son caractère de généralité et d’universalité.


Tout se passe comme si l’on n’avait pas besoin de généralistes pour enseigner :
l’Homme restera « cet inconnu », qu’Alexis Carrel rêvait de faire étudier par des
esprits de synthèse, rareté préhistorique au point que ceux qui la pratiquent dans
une certaine mesure sont parfois qualifiés par leurs amis de dinosaures !
– « La recherche s’industrialise et les méthodes (la statistique en première ligne) sont
des fétiches puissants. Les conséquences sont : la perte d’une vision d’ensemble, et
l’attitude renforcée de l’hyperspécialisation... La compréhension des interactions so-
ciales est réduite à l’échelle des situations sans tenir compte des antécédents plus an-
ciens qui pèsent sur l’ici et maintenant. Un cortège de micro-théories expérimentales
rétrécit le regard large que jadis on portait sur les déterminismes culturels, historiques,
et même émotionnels » (A. Dorna).

Certains chercheurs s’évertuent à accroître le savoir informationnel sur quelque


parcelle infime et capitalisent des miettes sans être jamais en mesure de les ar-
ticuler, de les synthétiser, de généraliser leur portée. À ce propos Edgard Morin2
n’hésite pas à écrire : « tout néophyte entrant dans la recherche se voit imposer le
renoncement majeur à la connaissance. On le convainc [...] qu’il est désormais
impossible de se constituer une vision du monde et de l’homme». Et pourtant [...]
dans « Université » n’y a-t-il pas « universel » ?
 Enseignement et publications psychosociales stagnent souvent dans le dérisoire
– « La logique formelle (via l’expérimentation) s’est imposée... Les résultats... sont des
souris accouchées par un montage méthodologique de plus en plus sophistiqué... C’est
un archipel d’approches minuscules et rivales. Le dialogue en quête de vérité partagée
n’a pas lieu » (A. Dorna).
– « Les critères de parution sont souvent, mais pas toujours, des critères de canonicité
pure et simple. D’un autre côté un grand nombre de travaux qui ont une énorme per-
tinence sociale... prêtent le flanc à une critique rigoureuse au plan du concept ou au
plan des méthodes. » (M. -L. Rouquette).

 L’intolérance règne en maître


– « [...] une sorte d’ ignorance mutuelle : les uns disant “mais qu’ est ce qu’ on en a
à faire de ce qu’ils font» et les autres disant « mais pourquoi travaillent-ils si mal. »
(M.-L. Rouquette).

Il est des fanatismes qui, pour affirmer importance et exclusivité, se constituent des
routines défensives, se cherchent des ennemis : citons le parfois arrogant ancrage
hypercognitivo-biologique, l’exclusivisme d’expérimentateurs trop étroitement li-
néaires, la méconnaissance de l’analyse des systèmes et de ses applications, le rejet
a priori de l’approche psychanalytique et parfois de toute perspective clinique,
l’ignorance des méthodologies qualitatives et des méthodes d’enquête si ce n’est
des techniques d’échantillonnage ou a contrario la haine de la statistique, l’oblité-
ration de toute perspective historique, le refus de l’apprentissage professionnel, la
peur des groupes, le gommage systématique de toute science-action, etc.
 La discipline manque furieusement d’applicabilité
Fréquemment,
« la psychologie sociale n’est plus suffisamment en prise avec les problèmes de son
temps... C’est une façon de regretter le peu (ou l’insuffisance) d’applicabilité de la
discipline. Le problème de la carrière prend toute la place... Les gens font leur carrière,
très bien... il se trouve qu’ils le font avec de la recherche scientifique comme d’autres
le font avec la fabrication des yaourts... Il fut un temps où certains avaient honte de
dire qu’ils intervenaient sur le terrain. Si tu avais le malheur de dire que tu faisais une
intervention à l’extérieur (du laboratoire), on te taxait de « psychosociologue » comme
si ce terme était une injure. On oublie que... de nombreux collaborateurs de Lewin...
passaient leurs étés dans les camps de vacances avec des adolescents, inventaient des
dispositifs contre le racisme, c’étaient des militants de l’action sociale... Voilà c’est une
dimension qui manque. Sur des problèmes comme le terrorisme, comme la violence
urbaine, on devrait avoir des choses à dire. » (D. Oberlé).

 La formation est rarement plurielle. L’enseignement de la psychologie sociale se


fragmenterait en isolats3
De fait, le recrutement des enseignants universitaires se fait souvent de nos jours
sur la seule base d’un mode de communication réservé aux seuls spécialistes : les
articles acceptés par les périodiques à comité de lecture. La formation des étudiants
en psychologie sociale s’axe exclusivement sur la recherche expérimentale. Ceci
serait tout à fait positif pour autant qu’on l’entende comme le fait Papastamou :
 Enseignement et publications psychosociales stagnent souvent dans le dérisoire
– « La logique formelle (via l’expérimentation) s’est imposée... Les résultats... sont des
souris accouchées par un montage méthodologique de plus en plus sophistiqué... C’est
un archipel d’approches minuscules et rivales. Le dialogue en quête de vérité partagée
n’a pas lieu » (A. Dorna).
– « Les critères de parution sont souvent, mais pas toujours, des critères de canonicité
pure et simple. D’un autre côté un grand nombre de travaux qui ont une énorme per-
tinence sociale... prêtent le flanc à une critique rigoureuse au plan du concept ou au
plan des méthodes. » (M. -L. Rouquette).

 L’intolérance règne en maître


– « [...] une sorte d’ ignorance mutuelle : les uns disant “mais qu’ est ce qu’ on en a
à faire de ce qu’ils font» et les autres disant « mais pourquoi travaillent-ils si mal. »
(M.-L. Rouquette).

Il est des fanatismes qui, pour affirmer importance et exclusivité, se constituent des
routines défensives, se cherchent des ennemis : citons le parfois arrogant ancrage
hypercognitivo-biologique, l’exclusivisme d’expérimentateurs trop étroitement li-
néaires, la méconnaissance de l’analyse des systèmes et de ses applications, le rejet
a priori de l’approche psychanalytique et parfois de toute perspective clinique,
l’ignorance des méthodologies qualitatives et des méthodes d’enquête si ce n’est
des techniques d’échantillonnage ou a contrario la haine de la statistique, l’oblité-
ration de toute perspective historique, le refus de l’apprentissage professionnel, la
peur des groupes, le gommage systématique de toute science-action, etc.
 La discipline manque furieusement d’applicabilité
Fréquemment,
« la psychologie sociale n’est plus suffisamment en prise avec les problèmes de son
temps... C’est une façon de regretter le peu (ou l’insuffisance) d’applicabilité de la
discipline. Le problème de la carrière prend toute la place... Les gens font leur carrière,
très bien... il se trouve qu’ils le font avec de la recherche scientifique comme d’autres
le font avec la fabrication des yaourts... Il fut un temps où certains avaient honte de
dire qu’ils intervenaient sur le terrain. Si tu avais le malheur de dire que tu faisais une
intervention à l’extérieur (du laboratoire), on te taxait de « psychosociologue » comme
si ce terme était une injure. On oublie que... de nombreux collaborateurs de Lewin...
passaient leurs étés dans les camps de vacances avec des adolescents, inventaient des
dispositifs contre le racisme, c’étaient des militants de l’action sociale... Voilà c’est une
dimension qui manque. Sur des problèmes comme le terrorisme, comme la violence
urbaine, on devrait avoir des choses à dire. » (D. Oberlé).

 La formation est rarement plurielle. L’enseignement de la psychologie sociale se


fragmenterait en isolats3
De fait, le recrutement des enseignants universitaires se fait souvent de nos jours
sur la seule base d’un mode de communication réservé aux seuls spécialistes : les
articles acceptés par les périodiques à comité de lecture. La formation des étudiants
en psychologie sociale s’axe exclusivement sur la recherche expérimentale. Ceci
serait tout à fait positif pour autant qu’on l’entende comme le fait Papastamou :
« On peut être expérimentaliste sans faire de l’expérimentation. C’est aussi une ques-
tion de la manière dont on envisage les choses : être sensible à la manipulation de
variables et, surtout, à la recherche de relations causales. »

Hélas, les enseignants ne sont pas toujours nommés pour leur charisme, l’étendue
de leur culture, la rigueur de leur pensée, leur maîtrise de l’ensemble de la discipli-
ne, leur capacité de développer un secteur. Ils sont définis priordialement comme
des chercheurs qui doivent publier abondamment pour survivre ou être promus.
Une fois nommés, beaucoup s’attachent avant tout, bon gré mal gré, à former et
recruter de jeunes chercheurs dans le cadre étroitement spécifique de leurs com-
pétences propres, parfois issues de leur seule thèse de doctorat.
J’ai ainsi connu, lors d’échanges Erasmus, une étudiante dont l’ignorance était
abyssale : Festinger, Lewin, connaît pas ! Or elle avait suivi, dans son université
d’origine, trois cours intitulés psychologie sociale, compléments de psychologie
sociale, questions approfondies de psychologie sociale. Interrogée quant au conte-
nu des dits enseignements, il s’est avéré que les cours traitaient tous trois et uni-
quement des stéréotypes, sujet de la thèse doctorale du professeur... Tout se passe
alors comme si la formation en psychologie sociale n’a qu’une finalité prégnante :
la reproduction, au sein de l’univers fermé et aseptisé de l’Université, d’une poi-
gnée d’enseignants-chercheurs, de par la force des choses plus chercheurs qu’en-
seignants. Ils sont d’ailleurs très seuls, la plupart du temps, avec, hélas, une charge
d’étudiants insupportable car énorme...
 Dans les contacts de la vie quotidienne, quand on apprend que vous êtes « psy-
chologue social », les gens en induisent souvent, qu’avec une telle profession, on
doit avoir de grandes facilités à communiquer avec autrui. Il m’a déjà été dit : « au
fond, vous n’avez aucun mérite à avoir un abord accueillant puisque que c’est
votre métier d’être psychologue social ! ». Le tout-venant s’attend à ce que le fait
d’être psychologue social nous amène à développer à l’égard d’autrui des attitudes
relationnelles privilégiées. Nous sommes censés être capables d’écouter, de mener
un entretien, de conduire une réunion, de parler en public, de gérer les conflits, de
négocier habilement, etc. : en définitive il nous faudrait disposer d’un éventail de
savoirs-faire « psychosociaux ».
Le développement d’une telle science actionnable, qui demande souvent un long
et patient apprentissage, impliquant un parfois difficile travail sur soi, ne figure
que très rarement au programme des universités. Le moins qu’on puisse dire est
que cette formation à être-avec-autrui n’est pas le souci premier de beaucoup d’
enseignants universitaires. Néanmoins, pour autant que l’on exerce son métier de
psychologue social dans la vie publique, un tel ensemble de « social skills » est
une nécessité.
De tout ceci il résulte qu’un complément de formation , tentant de remédier (dans
une certaine mesure) à certains manques relevés, paraît bien n’être pas superflu,
contribuant à former à une focalisation réellement psychosociale.
Un programme substitutif
Il nous semble opportun de mettre sur pied un enseignement international de troi-
sième cycle dans le cadre de la formation continuée, en parallèle aux structures
académiques traditionnelles.
L’autonomie d’une telle organisation facilite les innovations pédagogiques.
D’une part, il peut être fait appel, non seulement à des académiques de notoriété
incontestée, mais aussi à des praticiens d’expérience et de très haut niveau. D’autre
part on pourra réduire le temps d’immobilisation des participants de manière à
faciliter l’inscription non seulement d’étudiants de troisième cycle, mais de person-
nes déjà engagées dans le circuit du travail : en mettant l’accent sur la préparation
à domicile et les échanges par courriel, la présence physique sera limitée à des
modules « bloqués » lors d’ une session d’ été de trois semaines. Ceci favorisera
l’inscription de personnes issues de la Francophonie ou d’autres régions d’Europe,
d’Afrique ou d’ailleurs.

Structure et caractéristiques du projet


Le projet est élaboré à l’initiative du Centre International de Psychologie Sociale,
éditeur des Cahiers Internationaux. Plusieurs des membres du réseau européen des
C.I.P.S. ont d’ailleurs participé activement au programme Erasmus initiateur du
D.E.P.S.A.4 Le projet bénéficie de la collaboration du Centre de Dynamique des
Groupes et d’ Analyse Institutionnelle (C.D.G.A.I.) de l’Université de Liège, fondé
en 1972. 

Notes

1. Se référer à http://www.psychologie-sociale.eu/?page_id=369.
2. La Méthode... La nature de la Nature, Paris, Le Seuil, 1977, p. 12.
3. Voir le numéro spécial des Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale sur l’enseignement de la psycho-
logie sociale et la formation des psychologues sociaux, n°51-52, décembre 2001.
4. Pour plus d’informations, voir P. De Visscher : Un souci de pluralisme psychosocial, Cahiers Internatio-
naux de Psychologie Sociale, n°51-52, pp. 165-179.

Centre de Dynamique des Groupes et d’Analyse Institutionnelle, Parc Scientifique de l’Université de Liège.
ÉDITORIAL  Sylvain Delouvée

Une année se termine et une nouvelle année commence. L’année prochaine nous
atteindrons le numéro 100 en continuant à promouvoir une approche scientifique,
à la fois fondamentale et appliquée, du secteur psycho social.
Une nouvelle équipe de directrices et directeurs associés nous a rejoint pour ces
deux années qui viennent (2012-2014). Nous tenons, très sincèrement et très
chaleureusement, à remercier cette nouvelle équipe internationale composée de
Catherine AMIOT (Université du Québec à Montréal, Canada), Laurent LICATA
(Université Libre de Bruxelles, Belgique), Grégory LO MONACO (Université de
Provence, France), Gilda SENSALES (Université de Rome, Italie) et Karine WEISS
(Université de Nîmes, France). Ce seront désormais eux qui seront chargés du suivi
des manuscrits et de la gestion des expertises pour les deux années à venir. Un
grand merci à eux d’avoir accepté de rejoindre l’équipe.
Ce premier numéro de l’année est un numéro thématique portant sur la psychologie
positive. Michaël Dambrun (Clermont Université) nous a proposé l’idée de ce
projet fin 2010. Un appel à communications a été lancé et Michaël a parfaitement
géré le suivi des manuscrits et les retours d’expertises. La qualité de ce numéro, les
commentaires constructifs des experts et les délais respectés lui doivent beaucoup.
Au nom des Cahiers, je tiens personnellement à le remercier pour son travail.
Encore un mot pour vous inciter à renouveller votre abonnement ! Les Cahiers ne
peuvent continuer à paraître que grâce à votre soutien. Un bulletin d’abonnement
se trouve à la fin de ce numéro.
Vous pouvez désormais nous retrouver sur CAIRN en version électronique : <http://
www.cairn.info/revue-les-cahiers-internationaux-de-psychologie-sociale.htm>.
Enfin, nous vous rappelons que les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale
sont ouverts à toutes les personnes concernées par les pratiques, phénomènes,
processus qui participent à la fois du psychologique et du social. N’hésitez pas à
nous soumettre vos manuscrits !
14

ADDENDUM  Pierre De Visscher


NUMÉRO THÉMATIQUE
NUMÉRO THÉMATIQUE  La psychologie positive :
une approche nécessaire et complémentaire ?

Michaël Dambrun,
Clermont Université et CNRS

Traditionnellement, la psychologie est davantage enracinée dans la dimension


négative que dans la dimension positive du fonctionnement humain (Simonton
et Baumeister, 2005). Depuis déjà quelques décennies, la recherche en psycholo-
gie a mis en exergue que l’humain est biaisé en faveur de la négativité (pour une
revue, voir Baumeister, Bratslavsky, Finkenauer, & Vohs, 2001). Qu’il s’agisse par
exemple du traitement de l’information, des émotions, des renforcements ou des
relations interpersonnelles, la valence négative a un impact supérieur à la valence
positive. Baumeister et ses collègues (2001) concluent même que ce biais en faveur
de la négativité au détriment de la positivité « may be one of the most basic and
far-reaching psychological principles » (p.362). Ce n’est donc pas totalement un
hasard si une proportion importante des travaux en psychologie se focalise sur les
problèmes, les déficits, les anomalies, les «  pathologies  », qu’ils soient d’ordres
individuels, sociaux ou sociétaux. Cette tendance à sur-étudier les aspects négatifs
de la psychologie humaine en comparaison aux aspects positifs, serait, au moins
en partie, le reflet du biais en faveur de la négativité. Si cette approche est utile,
elle a pour principal inconvénient de dresser un portrait particulièrement négatif
du fonctionnement psychologique humain, qui nécessite d’être contrebalancé par
une approche plus positive. Cette sorte d’ « ancrage épistémologique par défaut »,
consubstantiel au fonctionnement psychologique humain, n’est sans doute pas
sans conséquence. En effet, ce biais en faveur de l’étude des aspects négatifs génère
une distorsion non seulement au niveau de la compréhension de la psychologie
humaine, mais également au niveau des applications visant à améliorer le devenir
de l’Homme, que l’on considère sa psychologie individuelle ou les dynamiques
plus collectives. L’approche traditionnelle offre pour principale perspective d’ave-
nir la correction des insuffisances, des défauts. Elle sous-tend implicitement la phi-
losophie selon laquelle l’amélioration, le mieux-être, passe par la « guérison » ou
la résolution des déficiences (Magyar-Moe, 2009). On aide le dépressif à guérir de
sa maladie. On aide l’élève en échec scolaire à combler ses lacunes. Mais cette
unilatéralité masque un ressort complémentaire : l’amélioration n’est-elle pas au
moins en partie contingente à notre capacité à développer nos forces, nos qualités ?
Par exemple, certaines recherches récentes révèlent que les symptômes dépressifs
disparaissent lorsque les individus sont entrainés à développer des pensées posi-
tives, l’optimisme, leurs forces, et à exprimer de la gratitude (e.g. Seligman, Steen,
18

Park, & Peterson, 2005 ; Magyar-Moe, 2009). Certains processus psychologiques


« positifs » semblent être de véritables antidotes aux processus psychologiques
«  négatifs  ». Ce changement de perspective invite à considérer l’amélioration
non pas sous l’angle de la résolution des déficiences, mais plutôt sous l’angle
du développement des potentialités, des qualités, inhérentes à chaque individu,
groupe ou système (e.g. Clifton & Nelson, 1992). Il est probable qu’aucune de
ces deux approches ne peut à elle seule assurer une réelle compréhension de la
psychologie humaine et un fonctionnement optimal. C’est plus sûrement par leur
combinaison que cet objectif est réalisable. Il semble donc important de favori-
ser l’essor d’une approche positive en psychologie qui se veut complémentaire
à l’approche traditionnelle et qui vise à étudier les conditions et les processus
qui contribuent au fonctionnement optimal des individus, des groupes, et des
institutions (Gable & Haidt, 2005 ; Martin-Krumm & Tarquinio, 2011 ; Seligman
& Csikszentmihalyi, 2000).
Dans cette perspective, il nous a semblé utile et intéressant de réunir les travaux de
plusieurs spécialistes. Ce numéro thématique offre un recueil de huit contributions
originales auxquelles quatorze auteurs francophones de plusieurs universités cana-
diennes et françaises ont participé. Ces contributions reposent sur des approches
variées et complémentaires : approche conceptuelle et théorique, synthèse d’un
champ de recherche, étude empirique quantitative et qualitative, et approche cli-
nique. Ces contributions sont articulées autour de trois principaux thèmes : (1) la
pro-socialité ; (2) le bonheur ; et (3) les forces, les vertus et la croissance post-trau-
matique ou dans l’adversité.
En guise d’introduction conceptuelle à la discipline, Jacques Lecomte, président de
l’association française et francophone de psychologie positive (APP), propose un
article sur la légitimité de l’approche positive en psychologie. L’expression « psy-
chologie positive » contrevient-elle à la règle de neutralité axiologique ? L’auteur
explore cette question et propose une réponse en mobilisant certains concepts
épistémologiques. Il défend également l’idée d’une psychologie positive ayant le
statut de discipline intégrative.
Le premier thème de ce numéro thématique, la pro-socialité, est principalement
composé de deux contributions empiriques. Tout d’abord, Jean-François Des-
champs et Rémi Finkelstein nous proposent une nouvelle approche de l’altruisme.
Plus précisément, ils explorent l’idée selon laquelle un véritable altruisme pourrait
être basé sur des valeurs personnelles. Outre la création d’une échelle permettant
de mesurer cette nouvelle forme d’altruisme, leur recherche révèle que la valeur
personnelle de véritable altruisme est centrale pour une proportion non négli-
geable des individus de l’échantillon étudié et qu’elle est positivement et signi-
ficativement corrélée avec des comportements pro-sociaux comme le bénévolat.
Dans une perspective de cognition sociale, Lubomir Lamy, Jacques Fischer-Lokou
et Nicolas Guéguen examinent les effets de l’amorçage sémantique de l’amour sur
le comportement d’aide envers un groupe stigmatisé (i.e. les réfugiés sans papiers).
Lorsque l’enquêteur arbore le mot « LOVE » sur son T-shirt, cela augmente signifi-
19

cativement le don consenti aux réfugiés. En revanche cela n’affecte nullement des
requêtes plus engageantes, suggérant ainsi que la composante motivationnelle du
concept d’amour (approche) se heurte à celle liée aux réfugiés (évitement).
L’article proposé par Rébecca Shankland se situe à l’intersection du premier thème
et du second (le bonheur). Elle tente d’élucider la question suivante: le bien-être
individuel contribue-t-il au bien-être collectif ? Plus précisément, au moyen d’une
étude corrélationnelle en milieu naturel, elle obtient un support empirique pour
l’hypothèse selon laquelle le bien-être personnel favorise le don d’argent et ré-
ciproquement. La recherche réalisée par Michaël Dambrun et Matthieu Ricard
s’intéresse directement au bonheur et plus précisément à ses déterminants. Sur la
base d’un modèle théorique récent, ils apportent un appui empirique à l’hypothèse
selon laquelle un fonctionnement de soi décentré serait positivement relié au bon-
heur authentique-durable via des affects qualitativement distincts.
Enfin, le troisième thème (les forces, les vertus et la croissance post-traumatique
ou dans l’adversité) est regroupé autour de trois principales contributions. Tout
d’abord, Charles Martin-Krumm propose une analyse synthétique des recherches
sur l’optimisme. Ce dernier a des effets bénéfiques multiples en matière de santé
mentale et physique. Après une présentation et une analyse des principales re-
cherches sur cette thématique, l’auteur présente deux stratégies d’intervention
disponibles et susceptibles d’accroitre le niveau d’optimisme des individus. La
résilience est également un concept phare de la psychologie positive. Dans une
perspective clinique et d’intervention résolument humaniste, Jocelyn Chouinard,
Gabriel Mélançon et Lucie Mandeville présentent un nouvel outil qui favorise la
résilience et la croissance post-traumatique : le fil d’ariane. Cet outil s’inspire de
l’approche narrative en privilégiant la spiritualité et la recherche de sens. Ce nouvel
outil est également exemplifié au moyen d’un cas clinique. Pour clôturer ce numé-
ro thématique, Sylvie Jutras nous propose une étude qualitative sur les bénéfices
associés à l’expérience du cancer pédiatrique auprès d’enfants, d’adultes guéris et
de parents. Cette recherche révèle des bénéfices distincts parmi lesquels figurent
plusieurs vertus répertoriées par Peterson et Seligman (2004), démontrant ainsi un
effet de croissance dans l’adversité.
Ce numéro thématique ne reflète qu’une modeste partie de la grande diversité des
thèmes étudiés en psychologie positive. Toutefois, nous espérons qu’il participera
activement à l’essor de cette discipline dans le monde francophone. Nous remer-
cions sincèrement les CIPS pour leur soutien dans cette démarche. 
20

Bibliographie
– Baumeister, R. F., Bratslavsky, E., Finkenauer, C., & Vohs, K. D. (2001). Bad is stronger than
good. Review of General Psychology, 5(4), 323-370.
– Clifton, D.O., & Nelson, P. (1992). Soar with your strengths. New York, NY: Dell Publishing.
– Gable, S. L., & Haidt, J. (2005). What (and Why) Is Positive Psychology? Review of General
Psychology, 9, 103-110.
– Magyar-Moe, J. L. (2009). Therapist’s guide to positive psychological interventions. San
Diego, CA US: Elsevier Academic Press.
– Martin-Krumm, C. & Tarquinio, C. (2011). Traité de Psychologie Positive : Fondements théo-
riques et implications pratiques. Bruxelles : De Boeck.
– Seligman, M. E. P., & Csikszentmihalyi, M. (2000). Positive psychology: An introduction.
American Psychologist. 55, 5-14.
– Seligman, M. P., Steen, T. A., Park, N., & Peterson, C. (2005). Positive Psychology Progress:
Empirical Validation of Interventions. American Psychologist, 60(5), 410-421.
– Simonton, D. K., & Baumeister, R. F. (2005). Positive Psychology at the Summit. Review of
General Psychology, 9, 99-102.
“ Est-il justifié de parler
de psychologie positive ?

 

Jacques LECOMTE
UFR de sciences psychologiques et
sciences de l’éducation, Université de Paris
Ouest Nanterre La Défense
L’expression « psychologie positive » The expression “positive psychology”
semble, de prime abord, contrevenir à may seem, at first glance, to contravene
la règle de neutralité axiologique selon to the rule of axiological neutrality, which
laquelle le scientifique doit éviter tout asserts that the scientist must avoid every
jugement de valeur dans le cadre de son value judgment within the framework of
activité professionnelle. Cet article vise à his professional activity. This article aims
montrer que la réalité est plus complexe to show that reality is more complex than
qu’on ne le pense habituellement et we think usually and it concludes that it
conclut qu’il est légitime d’utiliser is rightful using “positive psychology”
l’expression « psychologie positive ». Des expression. The article presents also some
réflexions supplémentaires sont apportées additional thoughts about the humanistic
sur le fondement humaniste de la foundations of positive psychology and
psychologie positive et sur sa place au sein on its position among different academic
des différentes disciplines psychologiques. psychological disciplines.

La correspondance pour cet article doit être adressée à Jacques Lecomte, Université de Paris
Ouest Nanterre La Défense, UFR de sciences psychologiques et sciences de l’éducation, 200
avenue de la République, 92001 Nanterre cedex 1, France. Courriel : <jacques.lecomte442@
orange.fr>.
23

U
Est-il justifié de parler de psychologie positive ?

1. Petite histoire de la neutralité axiologique


Utiliser l’expression «  psychologie positive  », c’est sous-entendre qu’il existerait
une psychologie négative. De façon plus générale, c’est, semble-t-il, introduire
un jugement de valeur dans l’univers scientifique, univers dans lequel ce type
d’approche est, par principe, exclu. En effet, une règle généralement prônée
dans l’univers scientifique est que le chercheur, dans le cadre de son activité
professionnelle, analyse des faits et se refuse à tout jugement de valeur. En d’autres
termes, son travail relève de l’objectivité scientifique et non pas des croyances
subjectives personnelles.
Au fil du temps, cette posture a été exprimée sous diverses formes et avec de
multiples appellations, reflétant certaines nuances  : distinction entre est et doit
être, distinction entre jugements de faits et jugements de valeur, distinction entre
le descriptif et le prescriptif, neutralité axiologique, critique du biais naturaliste.
Ce principe trouve son origine première dans un court passage du philosophe David
Hume. Dans son Traité de la nature humaine, il s’étonne de ce que de nombreux
penseurs constatent ce qui est (is) ou n’est pas, puis en tirent des conclusions sur
ce qui doit être (ought) ou non (Hume, 1739, p. 16). Ce glissement lui semble
totalement injustifié.
Au vingtième siècle, le sociologue Max Weber applique cette idée de Hume à
l’univers scientifique. Selon lui, «  chaque fois qu’un homme de science fait
intervenir son propre jugement de valeur, il n’y a plus compréhension intégrale
des faits.  » (Weber, 1959, p. 91). Notons au passage que Weber transgresse
fréquemment ce principe qu’il pose. A titre d’exemple, dans une seule page de la
traduction française de son texte majeur sur la neutralité axiologique, se trouvent
des expressions telles que «  très fâcheux  », «  travail modeste, mais positif  »,
« meilleurs représentants de notre éloquence parlementaire », « abus déplorable »
et « simulacre déloyal » (Weber, 1965, p. 414).
Mais l’essentiel n’est pas là. En effet, Weber introduit une nuance essentielle dans
son propos, en distinguant le jugement de valeur (Werturteil) et le rapport aux
valeurs (Wertbeziehung), ce dernier étant à ses yeux parfaitement légitime de la
part d’un chercheur. Il fournit un exemple hypothétique à ce sujet : un anarchiste
peut être un bon connaisseur du droit et, en raison même de ses convictions, peut
découvrir dans la théorie courante du droit des problématiques qui échappent à
d’autres. (Weber, 1965, p. 411).
Ceci apporte une première nuance à la distinction entre faits et valeurs en science :
le chercheur peut avoir une philosophie personnelle qui va orienter ses recherches
dans telle ou telle direction, l’essentiel étant qu’au cours de la recherche elle-
même, il soit très scrupuleux dans sa méthodologie et ses interprétations.
En 1903, le philosophe George Edwad Moore élabore et critique le concept de
sophisme naturaliste (naturalistic fallacy), qui consiste à assimiler les concepts
éthiques à des concepts naturels (Moore, 1998).
24 CIPS n°93 – 2012 – pp. 21-36

2. Les valeurs épistémiques sont-elles des valeurs morales ?


Notons tout d’abord une situation de la vie courante qui semble contrevenir au principe
de la distinction entre est et doit être. Searle (1964) fournit cependant une situation de
la vie quotidienne pour laquelle nous déduisons automatiquement un doit être à partir
d’un est. Si Jones promet à Smith de lui payer cinq dollars, c’est un fait, mais nous en
concluons immédiatement que Jones doit donc payer ces cinq dollars.
Mais qu’en est-il à propos de l’activité scientifique ? Celle-ci ne peut faire l’économie
de valeurs, ce qui se constate par exemple dans l’expression « bonne (ou mauvaise)
hypothèse  ». Mais c’est ici qu’intervient une nouvelle distinction, entre valeurs
éthiques et valeurs épistémiques (ou cognitives), ces dernières caractérisant
précisément l’activité scientifique. Les principales valeurs épistémiques sont
l’objectivité, la rationalité, la cohérence, la simplicité, l’exactitude, la plausibilité.
Or, cette distinction est artificielle aux yeux de certains auteurs, du moins sous sa
forme extrême. Ainsi, Putnam reconnaît qu’il y a une différence entre ces deux
groupes de valeurs, mais il affirme que « les jugements normatifs sont essentiels
à la pratique de la science elle-même. (…) Les jugements de “cohérence”, de
”plausibilité”, de ”simplicité” (…) sont tous des jugements normatifs au sens
de Peirce, ce sont des jugements de la forme de ”ce qui doit être” lorsqu’on a
affaire à un raisonnement. » (Putnam, 2004, p. 39). Il cite d’ailleurs un exemple
particulièrement troublant à cet égard : la théorie de la gravitation d’Einstein a
été préférée à celle de Whitehead par la communauté scientifique cinquante ans
avant qu’une observation puisse véritablement les départager, du fait que la théorie
einsteinienne était plus simple et cohérente.
Certains auteurs vont plus loin encore. Selon Brinkmann (2005, p. 762), il n’y a pas
de différence fondamentale entre les valeurs épistémiques et les valeurs morales :
« Nous leur accordons de la valeur car elles sont intrinsèques à une bonne pratique
scientifique. Ainsi, elles ne sont pas bonnes parce que nous leur accordons de la
valeur, mais nous leur accordons de la valeur pare qu’elles sont bonnes. C’est
ce que signifie le mot ”objectivité”. Je crois qu’il est possible de démontrer que
toutes les valeurs épistémiques (ou cognitives) sont en fait d’abord et avant tout
des valeurs morales. » C’est tout particulièrement lorsque des valeurs épistémiques
ne sont pas respectées que leur caractère moral s’impose avec évidence. Ainsi,
la fraude scientifique est une violation des valeurs épistémiques d’objectivité et
d’exactitude, et une violation de la valeur morale d’honnêteté.
L’inévitable enlacement des faits et des valeurs peut se constater dans certaines
interprétations de données scientifiques. Un exemple est remarquable à cet égard
(Lecomte, 2002). La plupart des enfants maltraités deviennent des parents affectueux
(80-90 % dans la majorité des études). Beaucoup de personnes pensent le contraire,
l’illusion cognitive venant du fait que la plupart des parents maltraitants ont été
maltraités. Et l’on glisse, sans s’en rendre compte, d’une démarche rétrospective
à une démarche prospective. Mais ce n’est pas le sujet qui m’intéresse dans le
contexte présent. Il est impressionnant de constater que pratiquement toutes
les études sur ce thème utilisent l’expression «  transmission (ou reproduction)
Est-il justifié de parler de psychologie positive ? 25

intergénérationnelle de la maltraitance  ». Or, il est rhétoriquement très différent


de dire qu’il y a une faible transmission intergénérationnelle de la maltraitance
ou de dire qu’il y a une forte cessation intergénérationnelle de la maltraitance,
même si les deux formules sont objectivement, scientifiquement exactes. Dans le
premier cas de figure, le propos se situe dans le paradigme de la reproduction de
la violence, et donc d’une vision négative de l’être humain. Ceci relève clairement
d’un rapport aux valeurs (selon l’expression de Max Weber), même inconscient.
Autre exemple : deux ouvrages publiés par des chercheurs en psychologie sociale
citent partiellement les mêmes études. Les deux titres sont cependant très différents,
et laissent entrevoir deux visions divergentes de l’être humain : Psychologie de la
manipulation et de la soumission (Guéguen, 2004) et Psychologie de la persuasion
et de l’engagement (Girandola, 2003).
Dans le même ordre d’idée, Joule et Beauvois (1998) montrent comment des
techniques simples peuvent facilement provoquer l’accroissement de divers
comportements positifs (trouver un emploi, économiser l’énergie, porter des
équipements de sécurité dans les BTP, avoir des préservatifs avec soi chez les
jeunes). Ils interprètent les résultats au travers de leur théorie de la soumission
librement consentie, mais on pourrait tout aussi bien les interpréter en termes
d’augmentation de l’autonomie (Deci et Ryan, 2002) ou du sentiment d’efficacité
personnelle (Bandura, 2002).

3. Quand les valeurs trouvent des applications sociales et politiques


La question de la pertinence ou non de la distinction entre faits et valeurs est
particulièrement cruciale lorsque sont abordés des thèmes de recherche pouvant
déboucher sur des applications sociales, voire politiques.
L’un des plus farouches psychologues défenseurs de la thèse de la distinction
entre faits et valeurs est Kendler (1999, 2002 a, 2002 b). Selon lui, «  il y a un
abîme infranchissable entre les faits et les valeurs  : la psychologie scientifique
est incapable de découvrir des données empiriques qui demandent l’adoption
d’impératifs moraux spécifiques.  » (Kendler, 1999, p. 829). Par conséquent,
«  la contribution des données scientifiques est parfaitement résumée dans la
prescription méthodologique selon laquelle ”notre politique est déterminée à la
lumière des faits, mais n’est pas déduite de ces derniers”. » (Kendler, 1999, p. 829).
Mais cette posture l’a conduit à des prises de position contestables. Il s’est ainsi
surtout fait connaître en dénonçant l’implication de psychologues universitaires
dans certaines causes sociales, en particulier les prises de position de l’Association
américaine de psychologie en faveur de la déségrégation scolaire aux Etats-
Unis dans les années 1950, en soulignant que ceci avait été fait sur la base de
données scientifiques insuffisantes. Or, son propos met en évidence une réelle
méconnaissance des connaissances acquises à cette époque, en omettant de
nombreuses recherches publiées à l’époque concluant aux effets négatifs de la
ségrégation (Jackson, 2003).
26 CIPS n°93 – 2012 – pp. 21-36

Schwartz (2001) propose pour sa part d’établir une distinction entre formuler
des valeurs et les imposer. Selon lui, le fait qu’un chercheur en psychologie
s’interdise d’imposer des valeurs ne l’empêche pas pour autant d’en formuler.
Il établit une analogie avec la médecine  : «  La médecine et les médecins sont
guidés par une conception de ce que signifie être en bonne santé et des types
d’activités et de choix qui permettront aux personnes de vivre en bonne santé. Il est
même difficile d’imaginer comment la médecine pourrait être pratiquée sans ces
conceptions directrices. Des médecins qui laisseraient leurs patients décider, sans
aide, quels seraient les meilleurs objectifs médicaux à viser, seraient considérés
comme irresponsables. Cependant, les médecins n’imposent généralement
pas aux individus les meilleures pratiques liées à leur santé. Ainsi, la profession
médicale exprime ses recommandations et les individus font leur choix. (…) Les
psychologues devraient se comporter comme le font les médecins. Dans la mesure
où la psychologie peut développer une vision substantive de la vie humaine
bonne (en bonne santé, productive, responsable socialement), les psychologues
devraient l’exprimer et essayer de rallier l’opinion publique autour de cela afin
d’encourager les gens à la rechercher. La “coercition“ ne viendra pas de l’Etat mais
du pouvoir des arguments, probablement incarnés par des institutions sociales non
gouvernementales majeures. » (Schwartz, 2001, p. 80).
Dans un registre proche, Masters (cité par Tullberg et Tullberg, 2001, p. 170)
souligne que «  lorsque le docteur prescrit un traitement, nous n’objectons pas
habituellement que cette pratique élimine la distinction logique entre les faits du
diagnostic et la valeur de la santé. »
Tout chercheur en psychologie a inévitablement en tête une conception de ce
qu’est le bon fonctionnement d’une personne ou d’un groupe social. Ceci a lieu
même dans des domaines de recherche ne présentant pas de lien avec la réflexion
morale. Par exemple, les nombreuses études effectuées sur les dysfonctionnements
cognitifs (dyslexie, dyspraxie, dyscalculie) ou plus banalement sur les biais cognitifs
ont pour standard de comparaison un type de processus cognitif considéré comme
pertinent et normal. Notons ici que l’ajout de guillemets au mot normal est une
stratégie sociale prudente fréquemment utilisée, mais que le sens de ce mot reste le
même, avec ou sans guillemets. Pour Brinkmann (2005, p. 760), « les jugements de
valeur sont inévitables, même dans les aspects les plus “objectifs“ et expérimentaux
de la psychologie. »
Mais que se passe-t-il lorsque l’on aborde des thématiques moralement sensibles ?

4. Des concepts moraux qui ignorent la dichotomie fait/valeur


Précisément, la principale critique faite à la thèse de la dichotomie faits/valeurs
vient de la mise en évidence de ce que les philosophes appellent les concepts
moraux épais.
Prenons comme point de départ, les concepts moraux fins  : ils appartiennent
strictement à la catégorie des valeurs morales, ce sont des termes tels que bien,
Est-il justifié de parler de psychologie positive ? 27

droit, juste, ainsi que leurs contraires. En revanche, les concepts moraux épais
expriment un enchevêtrement des faits et des valeurs. Il s’agit de termes tels que
« cruel », « fidèle », « courageux » ou encore « amical », ainsi que leurs contraires.
En fait, la plupart des mots que nous utilisons pour décrire les actions humaines
sont des concepts moraux épais.
Prenons par exemple, le mot « cruel », analysé par Putnam (2004, p. 43-44). « Le
mot “cruel“ a manifestement un usage normatif. (…) Pourtant, “cruel“ peut aussi
avoir un usage purement descriptif, comme lorsqu’un historien écrit qu’un certain
monarque était exceptionnellement cruel et que la cruauté du régime a provoqué
un certain nombre de révoltes. “Cruel“ ignore simplement la prétendue dichotomie
fait/valeur et se permet allègrement d’être utilisé parfois dans un dessein normatif,
parfois comme un terme descriptif. »
Putnam répond au passage à Hare qui prétendait maintenir la dichotomie, en divisant
les concepts moraux épais en deux composantes, l’une purement descriptive (faire
souffrir profondément), l’autre évaluative (« action qui est mauvaise »). Or, selon
Putnam (2004, p. 47), on ne peut définir le mot « cruel » simplement par le fait
de causer une profonde souffrance ; en effet, avant la découverte de l’anesthésie,
toute opération provoquait de grandes douleurs, ce qui n’impliquait évidemment
pas que les médecins étaient cruels. Inversement, un comportement peut être cruel
sans provoquer de douleur physique. Et Putnam de citer le cas hypothétique de
quelqu’un qui empêcherait une jeune personne d’accomplir un grand dessein.
Même si la victime n’en souffre jamais manifestement, cela peut-être très cruel.
Selon Putnam (2004, p. 52-53), nous sommes tentés par la dichotomie fait/valeur
parce qu’« il est beaucoup plus facile de dire : “ceci est un jugement de valeur“
que de d’examiner qui nous sommes, en quoi consistent nos convictions les plus
profondes et de soumettre ces convictions à l’épreuve d’un examen réfléchi. »
La psychologie scientifique est riche en concepts moraux épais, tels que
« maltraitance », « personnalité autoritaire », « machiavélisme », « narcissisme » ou
encore « caractère agréable » (l’une des composantes des Big Five). Ces concepts
font l’objet d’études rigoureuses, tout en étant utilisés de façon normative dans le
langage courant. Comme le souligne Brinkmann (2005, p. 760), « Dans la mesure
où la psychologie s’efforce de comprendre la façon dont les êtres humains agissent,
réfléchissent et justifient leurs actes, elle ne devrait pas éliminer de son vocabulaire
les concepts chargés de valeur, car le monde de l’action humaine qu’elle étudie est
composé de valeurs objectivement vraies. Nous avons besoin de concepts chargés
de valeur afin de comprendre un monde riche en valeur. »
Or, face à nombre de ces concepts moraux épais, les chercheurs se positionnent
clairement dans un camp. Par exemple, des recherches-actions sont menées pour
diminuer la maltraitance parentale envers les enfants, et l’on imagine mal la situation
inverse : une recherche-action menée dans le but d’augmenter la maltraitance.
Le mot « positif » fait précisément partie de la catégorie des concepts moraux épais,
qui relèvent à la fois du jugement de valeur et d’une analyse objective. Il est donc
28 CIPS n°93 – 2012 – pp. 21-36

légitime de l’employer dans un cadre scientifique, et donc de parler de « psychologie


positive ». Il en est de même pour le mot « optimal », utilisé pour la définition la plus
souvent reprise de la psychologie positive : « l’étude des conditions et processus qui
contribuent à l’épanouissement ou au fonctionnement optimal des individus, des
groupes et des institutions » (Gable et Haidt, 2005, p. 104).
C’est d’ailleurs probablement à la lumière de cette compréhension des concepts
moraux épais que l’on peut décrypter les contradictions apparentes de certains
auteurs de psychologie positive, qui font dire à Robbins : « les psychologues positifs
affirment parfois la neutralité relativement aux valeurs, mais ils semblent à d’autres
moments associer la science avec l’éthique normative. » (2008, p. 103).
C’est à propos du bonheur que cette ambiguïté est la plus notable (Martin,
2007). Dans son ouvrage sur le bonheur authentique, Seligman, chef de file de
la psychologie positive américaine, affirme être « entièrement d’accord sur le fait
que la science doit être descriptive et non normative. Ce n’est pas le travail de la
psychologie positive de vous dire que vous devriez être optimiste, ou spirituel,
ou de bonne humeur ; elle doit plutôt décrire les conséquences de ces traits
(par exemple, être optimiste diminue la probabilité d’être dépressif, améliore la
santé physique et permet de meilleurs accomplissements, avec peut-être pour
contrepartie d’être moins réaliste). Ce que vous faites avec ces informations dépend
de vos propres valeurs et objectifs. » (Seligman, 2011, p. 185). Il adopte cependant
dans ce livre une conception eudémoniste du bonheur (c’est-à-dire sous-tendu
par les vertus) plutôt qu’hédoniste (sous tendu par les plaisirs), ce qui constitue
clairement un choix de valeurs. Comme le fait remarquer Martin : « En adoptant
une conception eudémoniste de l’éthique, la psychologie positive ne peut plus se
considérer simplement comme une science descriptive et prédictive, mais devrait
aussi reconnaître qu’elle est également engagée dans l’activité d’une évaluation
prescriptive. » (Martin, 2007, p. 103). Robbins propose de la remplacer par une
vision hédoniste, sans se rendre compte que cette approche est tout autant marquée
par un choix de valeur que l’approche eudémoniste.

5. Psychologie positive, à double titre


L’attrait pour les dysfonctionnements humains se retrouve dans de multiples
disciplines et s’alimente à plusieurs sources (Lecomte, 2012 [annexe]). Deux
aspects au moins autorisent la comparaison entre une psychologie positive et une
psychologie négative : d’une part les thèmes de recherche abordés, d’autre part la
conception de l’être humain sous-jacente.

5.1. Les thèmes de recherche abordés


Myers (2000, p. 323) constate, par le biais d’une recherche sur la base de données
Psycinfo depuis 1967, que 5 548 articles ont été écrits sur la colère, 41 416 sur
l’anxiété et 54 040 sur la dépression, mais seulement 415 sur la joie, 1 710 sur
le bonheur et 2 582 sur la satisfaction à l’égard de l’existence. Le rapport est de
21 articles sur les émotions négatives pour un article sur les émotions positives.
Est-il justifié de parler de psychologie positive ? 29

La psychologie positive vise donc à rééquilibrer la situation, en s’intéressant


aux aspects positifs du fonctionnement humain, sans pour autant bien entendu,
nier l’intérêt des recherches sur les dysfonctionnements individuels et collectifs.
A ce propos, concernant l’aspect individuel, il est de plus en plus question de
psychothérapie positive ; concernant l’aspect sociétal, des recherches-actions
sont menées notamment sur la résolution des conflits ou sur l’amélioration du
fonctionnement des organisations.
Il n’est pas nécessaire de faire un calcul savant pour percevoir cette différence
quantitative d’intérêt de la psychologie pour les dysfonctionnements humains.
Pensons par exemple, au nombre d’ouvrages écrits par des chercheurs en psychologie
sur la délinquance juvénile, la toxicomanie ou l’anorexie des adolescents, etc.,
comparativement au nombre de ceux consacrés au bonheur des enfants et des
jeunes. Faut-il en conclure que tous les jeunes sont violents et dépressifs, ou
qu’il y a un décalage entre la production scientifique et la réalité psychologique
quotidienne ? Je penche plutôt pour la seconde hypothèse et donc pour la nécessité
d’un rééquilibrage, tâche que s’est précisément fixée la psychologie positive.
Un constat sémantique est troublant à cet égard : si l’on parle de « santé physique »,
on pense à quelqu’un qui se porte bien ; mais si l’on parle de « santé mentale »,
on pense généralement à la psychiatrie. D’ailleurs, les centres de santé mentale
s’occupent de personnes présentant des troubles psychiques, ce qui est assez
paradoxal. Keyes (2005) a précisément tenté de fournir une conception élargie
de la santé mentale, qui ne soit pas seulement l’absence de troubles psychiques.
Selon lui, la santé mentale positive comporte deux grandes facettes : le bien-être
(présence d’émotions positives et absence ou faible présence d’émotions négatives)
et le fonctionnement psychosocial positif (acceptation de soi, relations positives
avec autrui, croissance personnelle, sens à la vie, sentiment de compétence
personnelle, autonomie).
Notons au passage que la centration sur les aspects négatifs peut conduire à
des conclusions totalement erronées. En voici deux exemples particulièrement
significatifs :
– la crise de l’adolescence
– le syndrome du survivant des camps de concentration.
À la fin des années 50, le psychiatre Daniel Offer se sent en décalage avec ses
collègues qui, fidèles à la tradition psychanalytique, estiment que le meilleur
moyen de comprendre les humains consiste à étudier ceux qui fonctionnent de
façon pathologique. Selon lui, cette vision est erronée et donne une image faussée
de l’être humain (Offer et al., 2004, p. 102).
Une conception largement partagée à son époque (et toujours présente) est que le
jeune doit nécessairement passer par la crise d’adolescence, période d’importantes
tensions internes et interpersonnelles. Offer décide de mener une enquête de
terrain auprès d’adolescents en bon équilibre personnel et en bonnes relations
30 CIPS n°93 – 2012 – pp. 21-36

avec leur entourage. La plupart aiment faire du sport et ont souvent d’autres
activités extrascolaires (club d’échecs, association de scouts, cours de musique). Il
n’y a pas de fossé majeur entre les générations. Certes, ils ont parfois des conflits
avec leurs parents, mais sur des aspects mineurs de l’existence. Selon Offer, ces
tensions aident l’adolescent à se distancer de ses parents et à devenir une personne
indépendante.
Ces résultats ont alors conduit certains psychanalystes à déclarer qu’il est erroné de
considérer ces adolescents comme « normaux », car ils refoulent leur trouble ou
leur pathologie sous-jacente. Ceci a donc conduit Daniel Offer et ses collaborateurs
à revoir ces jeunes 34 ans plus tard. Sur les 73 du groupe initial, deux sont
décédés ; sur les 71 autres, 67 acceptent d’être interrogés, ce qui constitue un taux
de 94 %, ce qui est exceptionnel pour une durée aussi longue. Or ils n’ont pas
vécu de crise de l’adolescence à retardement, contrairement à ce que prédisaient
les détracteurs d’Offer. A l’approche de la cinquantaine, la grande majorité de
ces personnes continuent à aller bien. Ils ont tous un emploi, entretiennent de
bonnes relations avec leur épouse, leurs enfants et, dans une moindre mesure, avec
leurs parents. Ils participent à différentes activités sociales et aucun ne souffre de
trouble psychiatrique. Ils sont globalement en bonne santé physique, même si 61
% souffrent de surpoids, voire d’obésité.
Selon Daniel Offer et ses collaborateurs, « La métaphore du Ca déchaîné, à peine
contrôlé par un Moi fragile et un Surmoi rigide et vulnérable (ou conscience) ne
s’applique pas à l’existence des hommes que nous avons étudiés. (…) Nos données
ne reflètent pas le modèle d’un Moi et d’un Surmoi luttant pour maîtriser et amener
au conformisme un Ca puissant et indiscipliné. (…) Nos données suggèrent
que les personnes habituelles ne luttent pas avec des pulsions déchaînées, mais
parviennent tôt dans la vie à un équilibre entre les volontés et désirs personnels et
les exigences et les attentes de leur famille et de la société. Cet équilibre est atteint
naturellement et sans désarroi, est durable et caractérise probablement la grande
majorité des gens. » (Offer et al., 2004, p. 101-102). 
Passons maintenant au « syndrome du survivant », expression qui désigne les troubles
psychologiques éprouvés par des personnes ayant survécu à un drame collectif au
cours duquel des proches ont disparu. Ce trouble est notamment caractérisé par
la dépression, une apathie générale alternant avec des accès soudains de colère,
un sentiment d’impuissance et d’insécurité, de la culpabilité et des cauchemars.
Cette conception s’est largement diffusée chez les psychothérapeutes et dans le
grand public, au point que beaucoup de personnes pensent que la culpabilité du
survivant est presque toujours présente chez les victimes. Or, ces troubles sont
proportionnellement rares.
Résumons rapidement l’histoire de cette croyance. Après la Seconde Guerre
mondiale, certains survivants juifs de la Shoah, particulièrement traumatisés par
cette expérience, ont suivi une thérapie, au cours de laquelle ils ont exprimé leurs
souffrances. Des thérapeutes ont décrit ces symptômes, en particulier la culpabilité,
en les attribuant à l’ensemble des survivants (Niederland, 1968 ; Porot et al., 1985).
Est-il justifié de parler de psychologie positive ? 31

L’erreur fut de qualifier « syndrome du survivant » ce qui était en réalité le syndrome


de certains survivants.
Or, les enquêtes à large échelle menées auprès de membres de la population
générale des survivants aboutissent à des résultats très différents. Ainsi, l’ouvrage de
Helmreich (1996), intitulé Contre toute attente ; Les survivants de l’Holocauste et
l’existence réussie qu’ils ont menée aux Etats-Unis, présente une tout autre image.
Certains survivants ont effectivement des cauchemars ou d’autres difficultés, ce qui
est évidemment bien compréhensible, mais la plupart vont globalement bien. Ils
estiment que leur vie a du sens, que leurs relations affectives sont satisfaisantes, et
ils savent jouir des bons côtés de l’existence. Plutôt que de se plaindre, la plupart
éprouvent de la compassion pour les autres.
Il est donc dangereux de tirer des conclusions générales sur l’impact d’un traumatisme
en se basant sur les témoignages de personnes suivies en thérapie. Or, beaucoup de
théories psychologiques ont précisément été élaborées de cette façon.

5.2. La conception de l’être humain sous-jacente


L’usage du mot positive renvoie non seulement aux thèmes de recherche abordés,
mais également au regard porté sur l’être humain. J’y ai déjà fait allusion en
soulevant la question de l’interprétation des données sur la maltraitance d’une
génération à l’autre.
La conception négative de l’être humain est particulièrement présente au
sein de la psychanalyse. L’opinion de Freud a parfois varié sur certains aspects
du fonctionnement humain, mais une constante se dégage sans ambiguïté de
l’ensemble de son œuvre : son regard sur l’être humain a toujours été très négatif.
Cela commence dès le jeune âge  : «  L’enfant est absolument égoïste, il ressent
intensément ses besoins et aspire sans aucun égard à leur satisfaction, en particulier
face à ses rivaux, les autres enfants. » (Freud, 2004, p. 290).
C’est dans Malaise dans la civilisation, que Freud développe le plus clairement
l’idée selon laquelle nous ne parvenons à vivre en société que par la répression de
nos instincts : « L’homme n’est point cet être débonnaire, au cœur assoiffé d’amour,
dont on dit qu’il se défend quand on l’attaque, mais un être, au contraire, qui doit
porter au compte de ses données instinctives une bonne somme d’agressivité. (…)
L’homme est, en effet, tenté de satisfaire son besoin d’agression aux dépens de son
prochain, d’exploiter son travail sans dédommagements, de l’utiliser sexuellement
sans son consentement, de s’approprier ses biens, de l’humilier, de lui infliger
des souffrances, de le martyriser et de le tuer. Homo homini lupus : qui aurait le
courage, en face de tous les enseignements de la vie et de l’histoire, de s’inscrire
en faux contre cet adage ? (…) Par suite de cette hostilité primaire qui dresse les
hommes les uns contre les autres, la société civilisée est constamment menacée
de ruine. (…) La civilisation doit tout mettre en œuvre pour limiter l’agressivité
humaine et pour en réduire les manifestations.  » (Freud, 1981, p. 64-66). Nous
héritons donc selon Freud de nos lointains ancêtres une tendance fondamentale à
32 CIPS n°93 – 2012 – pp. 21-36

la violence. D’ailleurs, assure-t-il, l’interdiction « Tu ne tueras point » est la preuve


même que «  nous descendons d’une série infiniment longue de générations de
meurtriers qui, comme nous-mêmes peut-être, avaient la passion du meurtre dans
le sang. » (Freud, 1977, p. 262)
Jung n’est pas plus indulgent. Il considère que le mal atteint chez l’être humain des
dimensions telles qu’« on a presque l’impression d’un euphémisme lorsque l’Eglise
parle du péché originel (…). Cette tare de l’homme, sa tendance au mal est infiniment
plus lourde qu’il n’y paraît et c’est bien à tort qu’elle est sous-estimée. (…) Nous
sommes (…) en fonction de notre nature d’homme, des criminels en puissance. (…)
Que l’action abominable ait été commise il y a bien des générations, ou qu’elle se
produise aujourd’hui, elle reste le symptôme d’une disposition existant partout et
toujours. (…) Le mal a son siège dans la nature humaine elle-même. » (Jung, 1978,
p. 137, 138, 140).
En revanche, la psychologie positive s’intéresse aux aspects positifs de l’être
humain, non seulement en relation avec lui-même, mais également avec autrui, en
étudiant des thèmes tels que l’altruisme, la coopération, la gratitude, le pardon, la
résolution des conflits, etc. Elle peut le faire en posant comme postulat qu’un fond
de bonté peut exister en l’être humain. Il s’agit là incontestablement d’un rapport
aux valeurs, mais qui est tout aussi légitime que celui postulé par la psychanalyse.

6. Les fondements humanistes de la psychologie positive


Tout ce qui précède montre que les chercheurs en psychologie sont influencés par
leurs conceptions philosophiques, même si cela n’interdit pas pour autant de faire
de la recherche rigoureuse. Dès lors, je rejoins le propos de Prilleltensky qui affirme
que les psychologues devraient, par honnêteté intellectuelle, « exprimer leur vision
personnelle et collective de la vie bonne et de la bonne société. C’est-à-dire qu’ils
devraient préciser clairement les valeurs, modèles et idéaux qu’ils souhaitent pour les
individus et les sociétés. Préfèrent-ils une vision individualiste ou collectiviste de la
société ? (…) Adoptent-ils l’hédonisme ou l’altruisme ? » (Prilleltensky, 1997, p. 518).
En ce sens, on peut dire que la psychologie positive a des fondements philosophiques
humanistes (non seulement en termes de thèmes d’étude, mais aussi d’interprétation
des résultats) (cf. supra).
Il est intéressant, à cette étape de notre propos, d’examiner les liens complexes entre
la psychologie positive et la psychologie humaniste. L’article « fondateur » de la
psychologie positive est celui écrit conjointement par Seligman et Csikszentmihalyi
(2000). Les deux auteurs ne font allusion que brièvement à la psychologie
humaniste et dans un sens particulièrement critique. Ils affirment certes qu’il s’agit
d’une « vision humaniste généreuse », mais soulignent qu’elle a incité les individus
à se tourner vers eux-mêmes, en négligeant le souci du bien-être collectif et ils
laissent ensuite entendre que cette approche manque de fondements scientifiques.
Ceci a évidemment suscité des réactions dans le camp des psychologues
humanistes (voir notamment Bohart, 2001 ; Friedman, 2008, Robbins, 2008). Les
Est-il justifié de parler de psychologie positive ? 33

uns et les autres affirment que les thèmes d’étude essentiels de la psychologie
positive recoupent ceux de la psychologie humaniste. A titre d’exemple, Robbins
(2008) fait remarquer que les psychologues positifs utilisent l’expression « bien-être
eudémonique » pour décrire le même phénomène que ce que les psychologues
humanistes appellent « réalisation de soi » (self-actualization).
Friedman s’intéresse surtout à l’apparente opposition méthodologique entre la
psychologie humaniste, utilisant une méthodologie qualitative, et la psychologie positive,
utilisant une méthodologie quantitative. En fait, selon lui, cette opposition est illusoire
puisque l’on trouve des études qualitatives et quantitatives dans les deux courants.
Robbins (2008) affirme pour sa part que l’usage de l’expression «  psychologie
positive » plutôt que « psychologie humaniste » résulte surtout de considérations
stratégiques. « Apparemment, il a fallu un cheval de Troie comme Seligman pour
faire enfin sortir discrètement la psychologie humaniste par la porte principale avec
un nom et un visage différents, de telle façon que les gardiens du statu quo ne se
rendent pas compte que les barbares étaient à la porte. (…) Pour être accepté au
sein du statu quo, ils ont ressenti le besoin de prendre le vieux vin de la psychologie
humaniste et de le placer dans la nouvelle bouteille de la psychologie positive. (…)
C’était leur stratégie, et elle semble avoir remarquablement fonctionné. » (Robbins,
2008, p. 98, 100).
Au fil du temps, la critique des fondateurs de la psychologie positive s’est adoucie.
Seligman, par exemple considère que, «  fondée au début des années 1960 par
Abraham Maslow et Carl Rogers, deux individus brillants, la psychologie humaniste
a mis en évidence de nombreux fondements identiques à ceux de la psychologie
positive : la volonté, la responsabilité, l’espoir et les émotions positives. » (Seligman,
2011, p. 43). Dans un ouvrage de synthèse sur la pratique de la psychologie positive,
Linley et Joseph (2004, p. 7) considèrent que les similitudes entre ces deux courants
sont bien plus importantes que leurs différences. Plusieurs chercheurs reconnus
en psychologie positive affirment clairement leur appartenance à la psychologie
humaniste (Ryff et Keyes, 1995 ; Sheldon et Kasser, 2001).

7. La psychologie positive comme discipline scientifique


Pour conclure cet article, j’aimerais soulever une dernière question : la psychologie
positive est-elle une discipline (ou sous-discipline) scientifique  ? A priori, cela
paraît difficile : les disciplines psychologiques s’intéressent à telle ou telle facette
de l’être humain : on parle ainsi de psychologie sociale, de psychologie cognitive,
de psychologie des émotions, de comportementalisme ; la psychanalyse se focalise
essentiellement sur l’inconscient, la psychologie évolutionniste sur nos racines
biologiques, etc.
La psychologie positive est très différente à cet égard puisqu’elle étudie non pas une
seule facette, mais les multiples facettes de l’être humain (émotionnelle, cognitive,
sociale, etc.), dans une orientation positive. Dès lors, deux options théoriques
sont possibles : soit considérer que ce n’est pas une discipline, soit qu’il s’agit
34 CIPS n°93 – 2012 – pp. 21-36

d’une discipline intégrative. Pour ma part, il me semble parfaitement justifié de lui


attribuer le qualificatif de discipline intégrative. Un parallèle peut d’ailleurs être
fait avec les sciences de l’éducation : celles-ci ne constituent pas une discipline
sur un plan épistémologique car elles sont composées d’un assemblage d’autres
disciplines : psychologie de l’éducation, sociologie de l’éducation, histoire de
l’éducation, etc., mais cela n’a pas empêché d’en faire une discipline sur un plan
institutionnel. De même, on peut considérer que la psychologie positive est une
discipline qui en regroupe d’autres : la psychologie des émotions, la psychologie
cognitive, etc., dans leurs caractéristiques positives.
De nos jours, de multiples interrogations se font jour à propos de l’unité ou de
l’éclatement de la psychologie. Dans un article intitulé sobrement « La psychologie
unifiée », Sternberg et Grigorenko (2001) proposent d’abandonner ou, du moins, de
mettre de côté, trois mauvaises habitudes fréquentes chez certains psychologues :
– une dépendance (reliance) exclusive ou presque envers une seule méthodologie
pour étudier les phénomènes psychologiques ;
– l’identification de psychologues universitaires en termes de sous-disciplines
psychologiques (par exemple psychologie sociale ou psychologie clinique)
plutôt qu’en termes de phénomènes psychologiques qu’ils étudient ;
– l’adhésion à des paradigmes uniques pour l’étude de phénomènes psychologiques
(par exemple, le behaviorisme, le cognitivisme, la psychanalyse).
Selon ces auteurs, la fixation dans un champ (qu’il s’agisse de la psychologie
cognitive, la psychologie développementale, la psychologie organisationnelle,
la psychologie sociale, la psychologie de la personnalité, etc.) peut être aussi
préjudiciable à la compréhension des phénomènes psychologiques que la
fixation méthodologique. Ces auteurs proposent l’exemple de l’intelligence, qui
nécessite la collaboration de psychométriciens, de psychologues biologistes et de
psychologues culturels  ; ou encore de l’hyperactivité avec déficit de l’attention,
qui présente des aspects génétiques, neuropsychologiques, cognitifs, éducatifs,
sociaux et culturels. «  Nous croyons, écrivent-ils, qu’un moyen plus sensible et
psychologiquement justifiable d’organiser la psychologie comme discipline et
ses départements ainsi que les études universitaires est de le faire en termes de
phénomènes psychologiques – qui ne sont pas arbitraires – plutôt que de prétendus
champs de la psychologie – qui sont largement arbitraires. Selon cette approche,
un individu peut choisir de se spécialiser dans un ensemble de phénomènes liés
entre eux, tels que l’apprentissage et la mémoire, les stéréotypes et les préjugés, ou
la motivation et l’émotion, puis étudier les phénomènes à partir de multiples points
de vue. » On voit bien ici tout l’intérêt que présente la psychologie positive : elle
est susceptible de fédérer de multiples approches dans l’étude de l’être humain.
Prenons l’empathie par exemple : elle constitue aujourd’hui un objet d’études de
neurobiologistes, de psychologues sociaux, de cognitivistes, de psychanalystes,
de primatologues, etc. Travailler ensemble sur ce thème, ou sur d’autres, serait
certainement plus fructueux que de produire des recherches déconnectées les unes
des autres.
Est-il justifié de parler de psychologie positive ? 35

L’avenir nous dira si cette redistribution des frontières au sein de la grande famille
Psychologie se produira ou non. 

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– Weber M. (1965). Essais sur la théorie de la science, Paris, Plon.
“ Existe-t-il un véritable altruisme basé sur
les valeurs personnelles ?

J-F. Deschamps et
Rémi Finkelstein
Laboratoire Parisien de Psychologie Sociale
(LAPPS), Université de Paris Ouest -
Nanterre - La Défense, France
Le véritable altruisme existe-t-il ? Les Does true altruism exist? C.D. Batson’s
travaux de C.D. Batson ont mis en researches have shown the existence
évidence un altruisme basé sur l’empathie. of an empathy-based altruism. In this
Dans cette recherche, nous examinons research, we examine a new form of
une nouvelle forme de véritable true altruism that would be based on
altruisme qui serait basé sur les valeurs personal values. In a sample of volunteers
personnelles. Dans un échantillon de (N = 183), we found that the personal
bénévoles (N = 183), nous avons trouvé value True Altruism (PVTA) expressed by
que 23% des participants exprimaient 23% of the participants was very high
une valeur personnelle Véritable Altruisme (> 80%). A series of correlation analyses
(VPVA) très élevée (> 80%). Une série has shown that the PVTA was positively
d’analyses de corrélation a permis de and significantly correlated with some
mettre en évidence que la VPVA était measures of prosocial behaviour (r = .15
corrélée positivement et significativement to .22; p < .05; d = .39 to .65). These
à des mesures de comportements pro- first results support the existence of a true
sociaux (r = .15 à .22 ; p <.05 ; d = .39 altruism based on personal values and
à .65). Ces premiers résultats supportent point to the necessity of testing the causal
l’existence d’un altruisme véritable basé effect of PVTA on prosocial behaviour.
sur les valeurs personnelles et indiquent la
nécessité de tester l’effet causal de la VPVA
sur les comportements pro-sociaux.

La correspondance pour cet article doit être adressée à J.-F. Deschamps, 124 boulevard de la
République, 92210 Saint Cloud, France. Courriel : <[email protected]>.
Nous remercions tous les camarades HEC du premier auteur, membres de l’association
HEC-Bénévolat, qui ont rendue cette recherche possible par leur participation ; et plus
spécialement MM. E. de La Taille, et J.-P. Poncier, les Co-Présidents de l’association, pour leur
soutien amical ; ainsi que M. A. Didelot, Responsable Internet & Multimédia à l’association
des diplômés HEC, sans le secours duquel l’enquête web ne se serait jamais déroulée.
39

L
Existe-t-il un véritable altruisme basé sur les valeurs personnelles ?

Le véritable altruisme existe-t-il ? Ce débat a occupé le devant de la scène en psy-


chologie sociale pendant des décennies. Mais le doute n’est quasiment plus permis,
avec les travaux de C.D. Batson concernant l’altruisme basé empathie. Batson lui-
même a appelé à chercher s’il n’y avait pas d’autres formes de véritable altruisme
(Dovidio, Piliavin, Schroeder & Penner, 2006, p. 337). La présente recherche ex-
plore la possibilité d’un tel altruisme, basé sur les valeurs personnelles. En effet,
on observe que le bénévolat, une forme de comportement prosocial très répan-
due (Mallet, 2007), est plutôt un comportement durable et planifié, à la différence
des situations étudiées par Batson. Les valeurs apparaissent comme les premières
motivations des bénévoles (e.g. Clary et al., 1998). Et la quasi-totalité des cultures
contemporaines véhiculent des valeurs véritablement altruistes (Dovidio et al.,
2006, pp.17-18). N’est-il donc pas naturel de se demander s’il y a des gens pour
qui le véritable altruisme est une valeur personnelle importante ? Et si ceci explique
en partie leurs comportements prosociaux durables, et notamment le bénévolat ?

1. Altruisme véritable
1.1. Mise en évidence d’un altruisme véritable
Les recherches sur les comportements prosociaux, déclenchées par l’affaire Kitty Ge-
novese de 1964, se sont traduites par des théories (e.g. Cialdini, Kenrich & Bauman,
1982 ; Latané & Darley, 1970 ; Piliavin, Dovidio, Gaertner & Clark, 1981), qui se
fondent toutes sur des motivations finalement égoïstes (Dovidio et al., 2006, p. 130).
Batson s’en est étonné, et s’est demandé s’il ne pouvait pas y avoir des motivations
véritablement altruistes (Batson & Shaw, 1991). Dans son modèle, Batson ne conteste
ni la réalité ni l’importance des motivations égoïstes, mais il fait place à une voie
complémentaire, représentant un altruisme véritable. Dans cette voie, la perception
du besoin d’autrui suscite une réponse émotionnelle de préoccupation empathique,
puis cette réponse entraîne une motivation altruiste à diminuer le problème de l’autre
personne, et cette motivation se traduit par une aide visant à être efficace.
Le format de cet article exclut de résumer les décennies de travaux de Batson, de
ses collaborateurs, et de ses contradicteurs : pour une perspective d’ensemble, voir
par exemple Dovidio et al. (2006, pp. 136-139). On considère aujourd’hui que ces
travaux ont mis en évidence l’existence d’un véritable altruisme basé empathie, du
moins dans certaines situations (Bierhoff, 2002, p. 331 ; Dovidio et al., 2006, p. 140).

1.2 Définition de référence du véritable altruisme


Pour mettre en évidence l’existence d’un «Véritable Altruisme» fondé sur les valeurs
personnelles, il faut préciser quelle définition on donne à cet altruisme. Suite à la
création du mot «Altruisme» par Comte (1852/1966, pp. 134-145), des définitions
ont notamment été proposées par Aronson, Wilson et Akert (2004, p. 382), Macau-
lay et Berkowitz (1970), Shapiro et Gabbard (1994), et Sober et Wilson (1998).
Selon Batson et Shaw (1991, p.108 ), l’altruisme est « un état motivationnel ayant le
but ultime d’accroître le bien-être de quelqu’un d’autre » (a motivational state with
the ultimate goal of increasing another’s welfare). C’est la définition de référence
40 CIPS n°93 – 2012 – pp. 37-62

que nous avons retenue. D’une part, parce que l’altruisme qu’elle définit est le seul
qui ait autant été mis en évidence (Dovidio et al, 2006, p. 136 ; Bierhoff, 2002,
p. 331). D’autre part, parce qu’elle a été abondamment explicitée par ses auteurs
(Batson & Shaw, 1991). De plus, elle est accompagnée d’une argumentation simple
et d’une grande rationalité (Batson & Shaw, 1991, pp. 108-110). Et enfin, c’est
désormais la définition la plus utilisée en psychologie sociale (Dovidio et al., 2006,
p. 25 ; Bierhoff, 2002, pp. 191-221).
Il nous a par ailleurs semblé utile de compléter cette définition avec deux préci-
sions. D’une part, il faut envisager une dimension comportementale à l’altruisme,
pour que celui-ci puisse effectivement s’intégrer à une des catégories des compor-
tements prosociaux. D’autre part, il faut également prendre en compte l’impor-
tance relative des bénéfices personnels de toutes sortes perçus par la personne qui
aide : bien que cette considération soit considérée comme superflue par Batson et
Shaw (1991), elle traduit une opinion largement répandue, et notamment reprise
par Aronson, Wilson et Akert (2004, p. 382), et Dovidio et al. (2006, pp. 25-26).

2. Les valeurs personnelles


Les comportements planifiés et durables (de plusieurs mois à plusieurs années) ré-
sultent, plus souvent que les comportements spontanés, d’une décision prise pour
atteindre des objectifs. Les valeurs personnelles étant, par définition, ce qu’une
personne valorise le plus, il est naturel de s’intéresser à leur rôle éventuel dans
des comportements prosociaux durables. Les valeurs sont étudiées dans diverses
sciences humaines depuis plus d’un siècle, mais c’est Rokeach qui est généralement
considéré comme le fondateur de la théorie moderne des valeurs personnelles, et
le principal courant de recherche de ces deux dernières décennies correspond aux
travaux de Schwartz et de ses collaborateurs (voir par exemple les revues de Hitlin
& Piliavin, 2004 ; et de Rohan, 2000). Par rapport à nos objectifs de recherche, il
est utile de rappeler quelques points concernant la nature des valeurs personnelles,
leur formation, leur capacité à motiver, ainsi que leur mesure.

2.1 Nature des valeurs personnelles


Les valeurs personnelles sont des entités intra-psychiques. Il convient donc de les
distinguer des valeurs socio-culturelles, qui elles sont mises en avant par certaines
institutions ou les média – naturellement, sans nier les liens reliant ces deux types
de valeurs. Cette recherche est consacrée aux valeurs personnelles, et c’est d’elles
qu’il s’agit quand nous parlons de «valeurs», sans autre précision.
Selon la définition de Schwartz, les valeurs : (a) sont des concepts ou des croyances ;
(b) se rapportent à des fins ou des comportements désirables, pour soi mais aussi en
référence au groupe social ; (c) transcendent des situations spécifiques : les valeurs
ont du sens aussi bien chez soi, dans le milieu professionnel, qu’avec des amis ;
(d) sont l’expression de motivations destinées à atteindre des objectifs spécifiques
comme la sécurité, l’accomplissement, l’autonomie... ; (e) guident le choix et per-
mettent d’évaluer les comportements des personnes ou les évènements ; et enfin
Existe-t-il un véritable altruisme basé sur les valeurs personnelles ? 41

(f) sont ordonnées selon leur importance relative en tant que principes ou buts qui
guident la vie (Schwartz, 1994 ; Wach & Hammer, 2003).
En complément, pour Rokeach (1973, p. 5), une valeur est  une «croyance qu’un
certain type de comportement est à privilégier». Rohan (2000) voit dans nos valeurs
notre guide personnel pour «vivre le mieux possible», par référence à Aristote
(Circa 350 BC/1980, Livre 1, section 8). Et Hitlin et Piliavin (2004) y trouvent «une
boussole morale interne».
Les valeurs sont des attitudes générales, les attitudes ordinaires concernant un objet
spécifique (e.g. Eagly & Chaiken, 1993, 2007 ; Hitlin & Piliavin, 2004 ; Rohan,
2000). Les aspects pertinents de la recherche sur les attitudes peuvent donc être
appliqués aux valeurs (Bem, 1970 ; Schuman, 1995).
Dans la théorie de Schwartz, les valeurs ont été regroupées en un système de dix
grandes catégories, ou valeurs-types (value-types) : Autonomie, Stimulation, Hédo-
nisme, Réussite, Pouvoir, Sécurité, Conformité, Tradition, Universalisme et Bien-
veillance (Schwartz, 1994, 2006).
Par ailleurs, malgré l’expression usuelle «Normes et Valeurs», les valeurs ne sont
pas des normes (voir Marini, 2000, pour une comparaison détaillée). Par exemple,
une norme traduit une obligation ressentie comme imposée de l’extérieur alors
qu’une valeur traduit un idéal personnel (Hitlin & Piliavin, 2004 ; Rohan, 2000).

2.2 Formation des valeurs personnelles


D’où proviendraient d’éventuelles valeurs personnelles altruistes ? Les valeurs se
forment notamment par transmission et par développement personnel. Les enfants
commencent par un apprentissage assez passif des valeurs à partir de leur contexte
social (e.g. Herman, 1997 ; Hill, 1960 ; Sabatier, 2005), comme de nombreuses
études empiriques ont pu le confirmer (e.g. Hoge, Petrillo et Smith, 1982 ; Schwartz
et Sagie, 2000).
Erikson (1959) a formulé un modèle des stades du développement prosocial de la
personne, et Kohlberg (1985) a formalisé un modèle des stades du développement
moral. Herman (1997) s’appuie sur ces deux modèles pour articuler transmission
et développement personnel des valeurs. Avec l’adolescence et le développement
cognitif, les jeunes individus peuvent se livrer à une remise en question des va-
leurs apprises et se forger de nouvelles valeurs, qui pourront d’ailleurs continuer
à évoluer par la suite. Cette conception est notamment confortée par Eisenberg
(1982 ; voir également Hitlin & Piliavin, 2004 ; Schwartz & Bardi, 1997). Et cette
conception reçoit également un support empirique non négligeable (e.g. Knafo &
Schwartz, 2004 ; Kohn, Naoi, Schooler & Slomczynski, 1990 ; Ryff, 1979).
Enfin, les caractéristiques générales de l’espèce humaine, ou héréditaires d’un indi-
vidu, pourraient contribuer à la formation des valeurs, selon certains chercheurs
(e.g. Cavalli-Sforza, 1993 ; de Waal, 1993 ; Schwartz, 2006), sans toutefois que
cette hypothèse ait pu être clairement validée à ce stade.
42 CIPS n°93 – 2012 – pp. 37-62

2.3 Les valeurs peuvent motiver


La psychologie s’est intéressée très tôt aux valeurs, en espérant y trouver des moti-
vations comportementales (Spranger, 1913). De nombreuses études empiriques ont
validé cette idée depuis (e.g. Conroy, 1979 ; Kahle, 1996 ; et, plus récemment,
Oreg et Nov, 2008 ; Verplanken et Holland, 2002).
Les valeurs étant une catégorie d’attitudes, cet effet peut être expliqué par le mo-
dèle de l’action planifiée (MAP) de Ajzen (1991), où les attitudes sont médiatisées
par les intentions comportementales. Plus récemment, d’autres théories ont notam-
ment été présentées par Feather (1995), Hitlin et Piliavin (2004), Rohan (2000), et
Schwartz (1992, 2006).

2.4 Mesure des valeurs personnelles


Les différentes disciplines s’intéressant aux valeurs personnelles ont développé de
nombreux instruments pour les mesurer. On regarde la Rokeach Value Survey (RVS)
comme le premier instrument empirique d’envergure à cet effet (Feertchak, 1996,
pp. 85-86 ; Wach & Hammer, 2003, pp. 15-31). La List of Values (LOV) a également
été très utilisée (Kahle, 1983 ; Veroff, Douvan & Kulka, 1981).
Schwartz et ses collaborateurs ont développé à partir de la RVS deux instruments, la
SVS, puis le PVQ, qui sont désormais préférés pour la quasi-totalité des recherches
(Hiltin et Piliavin, 2004). Le PVQ est une version simplifiée de la RVS, reposant
sur la méthode des portraits. Voir Braithwaite et Scott (1991) pour une revue des
instruments antérieurs à la RVS ; et Wach et Hammer (2003), pour ceux de Rokeach
et de Schwartz.

3. Valeurs Personnelles et Véritable Altruisme


À notre connaissance, une petite dizaine d’études révèlent une liaison entre va-
leurs, notamment prosociales, et comportements prosociaux durables, voire «Dé-
passement de Soi» (Schwartz, 2006). Mais aucune ne s’est directement intéressée
à l’existence de valeurs personnelles véritablement altruistes, ni a fortiori à leur
liaison éventuelle avec des comportements prosociaux.
Ainsi Clary et al. (1998), Clary et Miller (1986), et Clary et Orenstein (1991) étu-
dient le rôle des valeurs dans le bénévolat, mais il s’agit de valeurs générales ou
généralement prosociales, comme pour Dlugokinski et Firestone (1974). Il en va de
même pour les études menées avec les valeurs prosociales du système de Schwartz :
«Secourable», «Responsable», «Egalité» et «Justice Sociale» (Wach & Hammer,
2003, p. 108). Ces valeurs sont d’ailleurs souvent fusionnées avec d’autres dans les
valeurs-types Bienveillance et Universalisme, voire dans leur regroupement «Dé-
passement de Soi» (Self-Transcendance) : par exemple, Caprara et Steca (2007),
Hitlin (2003), et Sagiv et Schwartz (1995). L’expression «Dépassement de Soi» fait
certes penser à l’altruisme, mais il n’y a pas de preuves qu’il s’agit bien d’altruisme.
Enfin, le très intéressant modèle de Batson (1989) reposant sur la valeur accordée
à autrui, n’a été suivi que de deux recherches empiriques (C.D. Batson, communi-
Existe-t-il un véritable altruisme basé sur les valeurs personnelles ? 43

cation personnelle, 5 mars 2009) : Batson, Eklund, Chermok, Hoyt et Ortiz (2007),
et Batson, Turk, Shaw et Klein (1995), qui n’ont pas étudié des valeurs personnelles
altruistes générales, mais l’effet des différences de valeur accordées à différentes
personnes et à leur bien-être.
Notre recherche propose ainsi de poser les premiers jalons d’une réflexion, empi-
riquement fondée, visant à prolonger les recherches classiques menées sur l’al-
truisme, dans un domaine à notre connaissance encore inexploré, celui des valeurs
personnelles.

4. Approche et Hypothèses
Cette recherche a mobilisé un échantillon de bénévoles appartenant à une asso-
ciation d’aide, et elle vise à mettre en évidence le fait que l’altruisme basé sur
les valeurs personnelles est lié positivement au comportement prosocial durable à
partir des hypothèses suivantes :
H1 : Il existe des personnes pour qui le véritable altruisme est une valeur person-
nelle importante.
Cette hypothèse se fonde sur les modes de formation des valeurs personnelles vus
plus haut, notamment la transmission et l’apprentissage, et sur le fait que la quasi-
totalité des cultures met cette valeur en avant (Dovidio et al., 2006, pp. 7-18). La
deuxième hypothèse se fonde naturellement sur la capacité motivationnelle des
valeurs personnelles.
H2 : Il existe un lien positif entre l’importance des valeurs personnelles véritable-
ment altruistes des participants, et l’importance de leurs activités bénévoles dans
la durée.

5. Méthode
5.1. Participants
Les participants étaient des adhérents du Club HEC-Bénévolat, qui recrute ses
membres parmi les quelque 30 000 anciens du Groupe HEC (HEC, ISA, CPA,
HECJF, etc.). Les adhérents de HEC-Bénévolat sont intéressés par le bénévolat à
divers degrés. Ce club comprend environ 650 adhérents. Les 501 disposant d’une
adresse email ont été sollicités, par un mail conduisant à un questionnaire en ligne,
et 37% d’entre eux (N = 183), ont fourni une réponse exploitable.
Les participants étaient tous des adultes de 42 à 86 ans (M = 68 ans ; ET = 7.5 ans).
Les hommes constituaient 93.4% de l’échantillon. Tous les participants avaient ef-
fectué des études supérieures, dont 97% : 4 ans et plus. Le revenu (fiscal net avant
impôt) de leur foyer se situait pour la plupart (49%) dans la tranche 60-120 000 €
(28% en-dessous, et 23% au-dessus).
Quatre-vingt douze pour cent des participants avaient consacré du temps à une
activité bénévole formelle ou informelle au cours des 10 mois précédant l’étude
(dont 78% au sein d’une association).
44 CIPS n°93 – 2012 – pp. 37-62

Les dirigeants du club ont estimé que ces caractéristiques étaient à peu près les
mêmes que pour le club dans son ensemble.

5.2. Instruments
Le questionnaire en ligne se composait de quatre parties à remplir séquentielle-
ment, la dernière partie étant constituée de cinq questions socio-démographiques.

5.2.1. Activité bénévole


L’étude s’est déroulée principalement dans la deuxième quinzaine de Novembre
2009, et l’activité bénévole du participant a été mesurée à l’aide des quatre ques-
tions suivantes : « Depuis le 1er Septembre dernier, combien d’heures par semaine
as-tu consacrées en moyenne à des activités bénévoles, en liaison avec une associa-
tion ? .…Heures/semaine » ; « Depuis le 1er Janvier dernier, combien d’heures par
semaine as-tu consacrées en moyenne à des activités bénévoles de toute nature,
mais en dehors de toute association ?…… Heures/semaine » ; « En dehors de tes
obligations professionnelles et familiales, tu disposes probablement de temps libre.
Cette année 2009, quel pourcentage de ton temps libre dirais-tu avoir consacré
à des activités bénévoles de toute nature ? ……. % de mon temps libre » ; et « Au
cours des 2 dernières semaines, combien d’heures au total dirais-tu avoir passées
à aider des personnes que tu connais personnellement (depuis des personnes de ta
famille, jusqu’à de vagues connaissances) ? [Les 2 dernières semaines = les 14 jours
se terminant hier soir]…… Heures / 14 derniers jours ». La courte période visée par
cette dernière question visait à minimiser les incertitudes de mémorisation.

5.2.2. Valeur personnelle véritable altruisme


La VPVA a été mesurée d’une part à l’aide d’une batterie de 6 questions-portraits,
et d’autre part grâce à une question directe.

5.2.3 Batterie de 6 portraits


Une batterie de 6 portraits au format PVQ utilisé par les études de Schwartz (voir
par exemple Wach & Hammer, 2003, pp. 83-100) a été développée pour la pré-
sente recherche. De nombreuses études menées par Schwartz et ses collaborateurs
ont validé ce format pour l’étude des valeurs personnelles (Wach & Hammer, 2003,
pp. 101-110). Par exemple, la première question-portrait utilisée pour la présente
étude  disait : «  Voici maintenant quelques portraits de personnes. SVP indiquer,
pour chacun d’entre eux, jusqu’à quel point cette personne est comme toi ou dif-
férente de toi, en cliquant le chiffre adéquat sur l’échelle accompagnant chaque
portrait : Cette personne accorde de l’importance au bien-être des autres, et fait
régulièrement des choses pour cela.  ». Chaque question-portrait était accompa-
gnée d’une échelle de Likert de 0 (« Pas du tout comme moi ») à 10 (« Tout-à-fait
comme moi »), sans étiquettes pour les valeurs intermédiaires (1 à 9).
Pour développer cette batterie, on a commencé par rédiger 16 portraits visant à
décrire au mieux une personne véritablement altruiste, en s’inspirant de la littéra-
Existe-t-il un véritable altruisme basé sur les valeurs personnelles ? 45

ture des comportements prosociaux (pour une revue, voir Dovidio et al., 2006 ; et
Bierhoff, 2002), et en se conformant à la définition du véritable altruisme par Bat-
son (Batson et Shaw, 1991), ainsi que des deux précisions apportées dans le dernier
paragraphe de la section « Définition de Référence du Véritable Altruisme » (supra).
Ces 16 portraits ont ensuite été soumis à l’appréciation de 10 juges-experts (huit
Docteurs en Psychologie - sociale ou clinique - intéressés par les comportements
prosociaux, et deux étudiants de Mastère 2 Recherche de psychologie sociale). Ils
ont été interrogés séparément, via un questionnaire écrit. La consigne y était d’éva-
luer chacun des 16 portraits pour son adéquation avec le véritable altruisme, et en
particulier avec la définition de Batson, qui accompagnait la consigne. L’évaluation
prenait la forme d’une note sur 10 (de 0/10 à 10/10), ainsi que de commentaires
facultatifs.
Parmi ces 16 portraits, nous avons retenu les 6 qui ont obtenu les meilleures notes
moyennes [ (7.1/10) ≤ M ≤ (8.4/10) ]. Celles-ci étant toutes supérieures (ou égales)
à 7.1/10, on peut considérer que ces 6 portraits offraient a priori une validité rai-
sonnable par rapport au construit qu’ils visaient à mesurer. Quatre d’entre eux ont
été affinés selon les suggestions de certains juges-experts, tout en respectant les
approbations des autres. Le questionnaire finalisé figure en Annexe. (Voir la partie
Résultats pour les analyses complémentaires sur les items finaux utilisés).

5.2.4. Question directe


Les 6 questions-portraits ci-dessus étaient suivies d’une question-portrait dans le
même format, où le portrait était simplement: « Cette personne est altruiste ».
Le premier objectif de cet item était d’obtenir une mesure directe et globale de la
VPVA du participant, en utilisant le mot lui-même, comme dans la méthode de
Rokeach (1967). Le deuxième objectif était de pouvoir vérifier s’il y avait une cohé-
rence entre les 6 items précédemment décrits, et la représentation de l’altruisme
que se font des non-spécialistes. Cette septième question-portrait a toujours été
placée, dans le questionnaire, après les 6 premières, pour ne pas influencer les
réponses à celles-ci.
5.2.5. Questionnaire de diversion
Échelle d’Auto-Efficacité Générale Perçue (Dumont, Schwarzer & Jerusalem, 2000).

5.3. Procédure
Les membres de HEC-Bénévolat disposant d’une adresse email opérationnelle ont
reçu un courrier électronique signé des deux co-présidents du club, et les invitant
à répondre à une enquête «  intéressante pour HEC-Bénévolat  », en cliquant sur
un lien figurant dans le courrier. Ce dernier indiquait que les participants seraient
tenus au courant des résultats, notamment par l’intermédiaire d’une présentation
lors d’une réunion du club. En cliquant sur le lien, le participant débouchait sur
la page d’accueil du questionnaire, installée sur un serveur web. La moitié des
personnes sollicitées a cliqué sur le lien (203 à la première sollicitation, et 48 suite
46 CIPS n°93 – 2012 – pp. 37-62

à une relance envoyée trois semaines après). Le logiciel du serveur interdisait les
participations multiples.
On a utilisé deux ordres différents dans la présentation des questions. L’ordre 1
était : 1°- activité bénévole ; 2°- questionnaire de diversion ; 3°- questions-portraits
d’altruisme ; et 4°- questions socio-démographiques. Dans l’ordre 2, les parties 1°
et 3° étaient inversées. Les participants sollicités ont été affectés à chaque ordre de
façon aléatoire.
L’administration du questionnaire par le serveur web se faisait question par question,
selon l’ordre prévu pour le participant concerné. Parmi les participants ayant cliqué
sur le lien dans l’email, 21% ont abandonné avant de répondre à la première ques-
tion. Les participants ayant répondu au questionnaire en entier (26 questions) y ont
passé en moyenne 7 minutes et 16 secondes (ET = 2 mn 21 sec.). Après que le parti-
cipant ait répondu à la dernière question, le serveur lui présentait une page de remer-
ciements en lui rappelant qu’il serait contacté pour la communication des résultats.

6. Résultats
6.1. Analyses Préliminaires
6.1.1. Observations retenues et données manquantes
L’enquête a permis de collecter 183 questionnaires exploitables. Les seules données
manquantes y étaient, pour l’un des questionnaires, une activité bénévole ; et pour 12
questionnaires (6,5% de la base retenue), certaines réponses socio-démographiques.

6.1.2. Statistiques descriptives


Le Tableau 1 (cf. ci-contre) présente les statistiques descriptives des principales variables
primaires. On y observe (Colonne 6) que 92% des participants consacrent une part de
leur temps libre au bénévolat, dont 78% en association, et 66% hors association.
Le bénévolat en association représente en moyenne 8 à 9 heures par semaine (M
= 8,46), avec une grande variation (ET = 9,62), tandis que le bénévolat hors asso-
ciation représente près de 4 heures par semaine (M = 3,80), avec une variation
proportionnellement encore plus grande (ET = 5,77). Au cours des deux semaines
précédant l’enquête, les participants ont consacré en moyenne 3,81 heures par
semaine à aider des personnes qu’ils connaissent personnellement. Ils déclarent
consacrer en moyenne 22% de leur temps libre à des activités bénévoles de toute
nature, ici encore avec une grande variation (ET = 22,4) - voir Colonne 5.
Toutes les variables ont une distribution asymétrique (Coefficient d’Asymétrie de
Fischer £ - .52 ou ≥ 1.34, col. 7). Pour toutes, l'hypothèse de normalité est rejetée
par le Test W de Shapiro-Wilk (.675 < W < .975 ; p < .01).

6.1.3. VPVA
6.1.3.1. Batterie des 6 questions-portraits
L’alpha de Cronbach de la batterie des 6 questions-portraits d’altruisme est satisfai-
sant (a = .88). Chacun des 6 items est utile, et aucun n’est divergent : (a varie entre
Existe-t-il un véritable altruisme basé sur les valeurs personnelles ? 47

Tableau 1 : Statistiques Descriptives des Principales Variables Primaires

Unité de
Variable Désignation N M (ET) %>0 Asymétrie
Mesure

Bénévolat en
B-ASSOC H/semaine 183 8,46 (9,62) 78% 1.55
Association

Bénévolat hors
B-HORS-A H/semaine 183 3,80 (5,77) 66% 2.67
Association

Aide à des
B-CONN H/semaine 182 3,81 (2,88) 85% 2.18
Connaissances

Bénévolat en %
B-%T-LI % 183 21,98 (22,44) 92% 1.34
du Temps Libre
Moyenne des
6 portraits VA-M6 0 à 10 183 7,14 (1,54) 100% - .56
d’altruisme

Portrait direct
VA-PD 0 à 10 183 6,42 (1,98) 99,5% - .52
d’altruisme

Note. Asymétrie : Coefficient d’Asymétrie de Fisher

.850 et .875 quand on retire l’un ou l’autre d’entre eux. L’analyse factorielle ACP
confirme qu’un seul facteur principal possède une valeur propre supérieure à 1. Ce
facteur unique explique 63% de la variance totale des 6 items et est saturé à peu
près uniformément par chacun d’entre eux (de .72 à .84). Les scores des 6 items de
cette batterie ont donc été synthétisés par leur moyenne arithmétique VA-M6 (M =
7,14 ; ET = 1,54).

6.1.3.2. Portrait Direct et VA-M6


Le score (VA-PD) de l’item Portait-Direct (« cette personne est altruiste ») présente
une corrélation importante avec VA-M6 : r = .79 (p < .01). L’ampleur de cette cor-
rélation conforte la validité de la batterie des 6 portraits.
La corrélation n’est toutefois pas complète. Premièrement, on observe que la
moyenne de VA-PD est significativement inférieure à celle de VA-M6 : l’écart est de
.74, soit presque un demi écart-type de VA-M6 (voir Tableau 1, Colonne 5 ; Test de
Wilcoxon pour échantillons appariés : Z = 7.16 ; p < .001). De plus, on constate
dans l’équation de régression [VA-PD = (1.002 x VA-M6) - .74], que le coefficient
de régression (1.002) est très voisin de 1, ce qui indique que la correction de la
constante (- .74) s’applique de façon quasi-uniforme sur toute l’étendue des valeurs
48 CIPS n°93 – 2012 – pp. 37-62

de VA-M6. Par ailleurs, dans l’ACP portant cette fois sur les 7 questions-portraits
prises ensemble (la batterie plus le portrait direct), on retrouve un seul facteur prin-
cipal à valeur propre supérieure à 1, expliquant quasiment la même part de va-
riance que dans l’ACP de la batterie seule (64% vs. 63%) ; et c’est le portrait direct
qui sature le plus ce facteur, à égalité avec « aider les autres à s’épanouir » : .85, vs.
.72 à .83. Le deuxième facteur principal n’explique plus que 11,9% de la variance
(vs. 13,7% pour la batterie), et le portrait direct est cette fois l’item qui le sature le
moins (.11, vs. .12 à .49). Ce deuxième facteur, comme pour la batterie, oppose
aux autres, les 3 items soulignant l’absence de bénéfice pour l’aidant.
L’ensemble de ces résultats suggère que la question Portrait-Direct («  cette per-
sonne est altruiste ») résume assez bien les résultats que l’on peut obtenir avec la
batterie de 6 portraits. Dans ce portrait direct, les participants semblent donner au
mot « altruisme » son sens véritable, et non son sens large (proche de prosocial),
puisqu’ils sont plus sévères pour eux-mêmes avec cet item qu’avec ceux de la
batterie ; et ceci avec une décote constante d’environ un demi écart-type (.74)
quel que soit le niveau de valeur altruisme qu’ils s’attribuent ; et alors même que
les items de la batterie ont été choisis pour ne refléter autant que possible que du
véritable altruisme.
Toutefois, la corrélation imparfaite entre les deux mesures (.79), et l’examen du
deuxième facteur principal de l’ACP, suggère que la batterie de 6 items com-
plète utilement cette mesure directe de la valeur altruisme. Par conséquent, c’est
la moyenne VA-MOY de ces deux mesures (VA-M6 et VA-PD) qui a été adoptée
comme mesure de la VPVA1.

6.2. Test de la Première Hypothèse


Rappel : H1 : Il existe des personnes pour qui le véritable altruisme est une valeur
personnelle importante.

6.2.1 Résultats bruts


Les participants ont accordé à la VPVA, mesurée par VA-MOY, une importance
moyenne de 6,78 (ET = 1,66) sur l’échelle de 0 à 10 utilisée dans le questionnaire :
soit, exprimé en pourcentage, 67,8% (ET = 16,6%). Dans le Tableau 2, on observe
que le seuil d’importance de 60% est franchi par 69% de l’échantillon ; le seuil de
70%, par 50% de l’échantillon ; et celui de 80%, par 23% de l’échantillon.

6.2.2. Importances comparées


La plupart des études publiées sur les valeurs ne permettent pas de comparer leur
niveau d’importance avec les résultats ci-dessus, notamment parce que dans les
études SVS, l’échelle est bipolaire et non-linéaire ; et/ou que les scores y sont trans-
formés en scores ipsatifs (voir Wach et Hammer, 2002, p. 65). Seules deux études
publiées, à notre connaissance, permettent une telle comparaison : Wach et Ham-
mer (2003, p. 113), et Caprara et Steca (2007). Chacune de ces deux études a été
réalisée avec le format PVQ, comme la présente recherche, mais avec une échelle
Existe-t-il un véritable altruisme basé sur les valeurs personnelles ? 49

Tableau 2 : Importance Accordée à la Valeur Personnelle Véritable Altruisme (VA-MOY)


Participants
Importance supérieure à : N % de l’échantillon
60% 126 69%
70% 92 50%
80% 43 23%
Note. Importance inférieure ou égale à 60% = 54 participants (30% de l’échantillon)

Tableau 3 : Importance de Certaines Valeurs dans les Etudes de Wach et Hammer (2003, p.
113) et Caprara et Steca (2007)

Importance moyenne

Pays Valeurs en % Echelle 1-6


Ensemble des valeurs « universelles » du modèle
France 59% 3.95
de Schwartz
Valeurs de Dépassement de Soi (Bienveillance +
Italie 70.6% 4.53
Universalisme)
France mettre le détail 77% 4.85

France Valeurs de la catégorie Bienveillance 80% 5.00

Note. Les données pour la France sont celles de Wach et Hammer, et celles de Caprara et Steca pour
l’Italie.

en 6 points (i.e. 5 intervalles), allant de « Pas du tout comme moi = 1 » à « Tout à
fait comme moi = 6 ». L’étude de Wach et Hammer a porté sur un échantillon de
1 799 participants représentatif de la population française de plus de 15 ans. Celle
de Caprara et Steca a porté sur un échantillon national de 1 324 italiens adultes,
représentatif des deux sexes et de chaque tranche d’âge.
Les scores de ces deux études sont aisément transposables en pourcentage, en met-
tant, comme dans la présente recherche, 0% pour « Pas du tout = 1 », et 100% pour
«  Tout à fait comme moi = 6 », chacun des 5 intervalles représentant 20 points de
pourcentage (100 / 5 = 20 ; par exemple, « 4 » devient : [4 – 1] / 5 = 3 / 5 = 60% ;
et « 4.6 » devient : [4.6 – 1] / 5 = 3.6 / 5 = 72% 2.

6.2.2.1. Comparaisons
On peut ainsi extraire des études de Wach et Hammer (2003, p.113) et Caprara et
Steca (2007), les points de comparaison présentés par le Tableau 3 (ci-dessus). On
y observe notamment que l’importance moyenne de toutes les valeurs retenues par
le modèle de Schwartz est de 59% pour un échantillon représentatif français. La
valeur-type Bienveillance, uniquement composée de valeurs prosociales, obtient
50 CIPS n°93 – 2012 – pp. 37-62

en France un score de 80%. C’est le score le plus élevé atteint parmi les 10 valeurs-
types de Schwartz, conformément à la plupart des études conduites avec ce modèle
(Schwartz, 2006 ; Wach et Hammer, 2003, pp. 111-122). Le regroupement Dépasse-
ment de Soi rassemble les deux valeurs-types Bienveillance et Universalisme ; Uni-
versalisme obtient dans l’étude française le deuxième rang parmi les valeurs-types
(comme habituellement dans cette catégorie d’études). Ainsi le score de Dépas-
sement de Soi est plus élevé que celui de n’importe quel autre regroupement de va-
leurs du modèle de Schwartz, à l’exception naturellement de Bienveillance : le score
de Dépassement de Soi est respectivement de 77% en France et de 70,6% en Italie.
En comparant les Tableaux 2 et 3, on constate que 126 participants de notre échan-
tillon (69%) accordent à la VPVA une importance supérieure à la moyenne des va-
leurs (plus de 60%, vs. 59%). Parmi ces 126 participants, 92 d’entre eux (50% de
notre échantillon) accordent à la VPVA une importance comparable ou supérieure à
celle de Auto-Transcendance en Italie (70% ou plus, vs. 70,6%). Et enfin on observe
que parmi ceux-ci, 43 participants (23% de notre échantillon) accordent à la VPVA
une importance supérieure au score de 80% obtenu dans l’échantillon représentatif
français par la Bienveillance, la valeur-type la plus importante.

6.2.2.2. Conclusions pour l’hypothèse 1


L’hypothèse 1 est vérifiée : Il existe des personnes pour qui le véritable altruisme est
une valeur personnelle importante.
C’est particulièrement le cas pour les 43 participants (23% de l’échantillon) pour
qui la VPVA obtient un score supérieur à 80%. En effet, 80% est à la fois élevé dans
l’absolu ; et supérieur au score de la Bienveillance, la valeur-type notée comme la
plus importante par un échantillon représentatif de la population française.

6.3. Étude de la Deuxième Hypothèse


Rappel : H2 : Il existe un lien entre l’importance des valeurs personnelles véritablement
altruistes des participants, et l’importance de leurs activités bénévoles dans la durée.
On observe dans le Tableau 4 (cf. ci-contre) une corrélation moyenne de la VPVA
avec le Temps de Bénévolat hors Association (r = .21 ; p < .01) et avec le Temps
d’Aide à des Connaissances (r = .22 ; p < .01), ainsi qu’une corrélation faible mais
significative avec le Pourcentage de Temps Libre consacré au Bénévolat (r = .15 ; p
< .05). En revanche, la VPVA n’a pas de corrélation avec le Temps de Bénévolat en
Association (r = .03, ns).
L’hypothèse 2 est donc vérifiée : Il existe un lien entre l’importance de la VPVA et
l’importance des activités bénévoles dans la durée pour 3 mesures sur 4.

7. Discussion
7.1. Hypothèses et Résultats
La VPVA a été mesurée par un double instrument de type PVQ (par ex., Schwartz,
2006), et sélectif. La présente recherche a montré qu’il se trouve des personnes
Existe-t-il un véritable altruisme basé sur les valeurs personnelles ? 51

Tableau 4 : Corrélations, Moyennes et Ecarts-types des Mesures d’Activité Bénévole, et de la


VPVA

Variable 1 2 3 4 5 M ET
Nom Description
1.
Bénévolat en
_ 8.46 9.62
Association
B-ASSOC
2.
Bénévolat hors
.00 _ 3.80 5.77
Association
B-HORS-A
3.
Bénévolat en %
.71** .12 _ 22.0 22.4
du Temps Libre
B-%T-LI
4.
Aide à des
.15* .20** .17* _ 3.81 2.88
Connaissances
B-CONN
5.
VPVA .03 .21** .15* .22** _ 6.78 1.66
VA-MOY

Note. * p < .05 ; ** p < .01

pour qui la valeur personnelle Véritable Altruisme (VPVA) est importante. En l’oc-
currence, 43 personnes du protocole (23%) ont une VPVA de plus de 80%, et ce
seuil de 80% est important, en particulier lorsqu’on le compare avec les valeurs
étudiées dans le système de Schwartz.
Des comportements prosociaux durables ont été mesurés de quatre façons, et la
VPVA explique une partie de leur variance, conformément à la deuxième hypo-
thèse, pour trois mesures sur quatre, pour lesquelles on a trouvé une corrélation
significative comprise entre .15 et .22.
La mesure du temps de bénévolat en association s’est révélée inopportune, pour
des participants dont le temps libre varie considérablement (58% d’entre eux ayant
plus de 65 ans, et se trouvant donc en général à la retraite). Ceci explique proba-
blement qu’on n’ait pas trouvé de lien avec la VPVA.
Les trois mesures corrélées à la VPVA sont le temps consacré au cours des 10 der-
niers mois à des activités bénévoles de toute nature mais en dehors d’une associa-
tion ; le temps passé à aider des personnes que le participant connait personnelle-
ment au cours des 14 jours précédents ; et le pourcentage du temps libre consacré
aux activités bénévoles de toute nature dans les 10 derniers mois. Cette dernière
question visait à mesurer l’ensemble des activités bénévoles, en association ou pas,
en contournant le problème de l’hétérogénéité entre les participants retraités et les
52 CIPS n°93 – 2012 – pp. 37-62

autres. La corrélation trouvée (r = .15), est significative (p < .05), mais plus faible
que pour les deux premières mesures, peut-être à cause de l’effet du bénévolat en
association, qui constitue en moyenne 70% des heures de bénévolat.
Même dans le cas des deux premières mesures, la corrélation n’est pas très élevée (r
= .21 et r = .22, respectivement), et le pourcentage de variance expliqué n’est donc
que de 4,4% et 4,8% respectivement. Ceci n’est toutefois pas surprenant. En effet,
les comportements prosociaux sont influencés par de nombreux facteurs, tant situa-
tionnels (Dovidio & al., 2006, pp.65-105), que relatifs à la personne aidante (Dovi-
dio & al., 2006, pp. 106-143 et 223-239). Pour ces derniers  facteurs, la recherche
des 40 dernières années a mis en évidence le rôle de plusieurs motivations égoïstes,
ainsi que celui de l’apprentissage, du conditionnement, des automatismes, et de
certains traits de personnalité, et aussi naturellement celui de l’altruisme basé sur
l’empathie (Bierhoff, 2002, pp. 17-250 ; Dovidio & al., 2006, pp. 33-239). De plus,
on a observé chez les bénévoles des facteurs plus particuliers, liés par exemple au
besoin d’appartenance, au désir d’entreprendre, au sens des responsabilités poli-
tiques ou sociales, etc. (Bierhoff, 2002, pp. 313-323 ; Dovidio, 2006, pp. 156-164).
Compte-tenu de ce très grand nombre de facteurs, il n’est pas étonnant que l’un
d’entre eux, ici la VPVA, n’explique qu’une faible partie de la variance.
Il est possible en outre que les 3 corrélations trouvées aient été appauvries par le
manque de précision des questions portant sur le bénévolat (voir section 2.2 infra).

7.2. Validité Interne


Les travaux de Batson et de ses collègues (Batson, 1998) montrent qu’il n’est pas
facile de cerner le véritable altruisme. La présente étude suggère donc, sans sur-
prise, quelques réserves.
7.2.1. Mesure de la VPVA
7.2.1.1 Variable VPVA
Rappelons que la mesure de la VPVA a été établie en prenant la moyenne VA-MOY
du résultat de la batterie des 6 portraits de véritable altruisme (VA-M6), et du score
du portrait direct (« Cette personne est altruiste » : VA-PD).
7.2.1.1.1. S’agit-il bien d’une valeur ?
Ce qui a été mesuré est bien une valeur, parce qu’à la fois la mesure a été effectuée
avec le format PVQ abondamment validé par Schwartz et ses collaborateurs pour
mesurer les valeurs (par ex., Wach & Hammer, 2003, pp. 83-110), et qu’en même
temps les questions portaient bien sur la « croyance qu’un certain type de com-
portement est à privilégier  », ce qui est la caractéristique-clef des valeurs, selon
Rokeach (1973, p. 5, déjà cité ).
7.2.1.1.2. Les corrélations trouvées sont-elles biaisées par la composante compor-
tementale des portraits ?
Deux des 7 portraits utilisés pour mesurer la VPVA (voir Annexe) ont une com-
posante comportementale plus forte qu’il n’est d’usage dans les portraits PVQ :
Existe-t-il un véritable altruisme basé sur les valeurs personnelles ? 53

« Cette personne accorde de l’importance au bien-être des autres, et fait réguliè-


rement des choses pour cela. », et « Cette personne aide régulièrement autrui loin
du regard des autres et sans que cela se sache ». On peut donc se demander si,
lorsqu’un participant déclare « Cette personne est tout-à-fait comme moi », il se
réfère uniquement à ses valeurs, ou bien si sa réponse est biaisée par une similitude
de comportement.
Remarquons que les portraits PVQ standards combinent des composantes cogni-
tives, affectives, motivationnelles, et pour partie comportementales. Par exemple,
« cette personne aime prendre des risques. Il/Elle recherche toujours l’aventure ».
Et l’instrument PVQ a été validé par comparaison avec le SVS, peu critiquable à cet
égard. (Voir Wach & Hammer, 2003, pp. 83-110).
De fait, dans la présente étude, les coefficients de corrélation entre la VPVA et les
trois comportements prosociaux corrélés (voir Tableau 4) ne changent pas si on
retire de la batterie utilisée, les deux portraits concernés ; - sauf très marginalement
pour l’Aide à des Connaissances : r = .21 vs. .22 ( p < .01 dans les 2 cas).
La composante comportementale des portraits ne semble donc pas poser de pro-
blème pour les conclusions formulées. Mais il serait évidemment préférable d’éli-
miner totalement cette question dans une future recherche.

7.2.1.1.3. Est-ce bien du véritable altruisme que l’on a mesuré ?


D’un côté, on peut estimer que la moyenne VA-MOY mesure assez bien le véritable
altruisme, en rejetant ce qui n’en est pas. En effet, non seulement les 6 portraits
de la batterie ont été construits à partir de la définition de Batson et Shaw (1991),
mais une notion de coût pour la personne aidante a été rajoutée pour 3 d’entre
eux (bien que ce soit, rappelons-le, jugé superflu par Batson et Shaw). Les 6 por-
traits utilisés ont obtenu de bons scores de la part des 10 juges-experts. L’alpha de
Cronbach, ainsi que l’analyse factorielle (ACP), ont confirmé l’homogénéité du
résultat obtenu avec cette batterie. Par ailleurs, le portrait direct (VA-PD : « Cette
personne est altruiste ») non seulement a permis de vérifier le bon recouvrement
de la batterie avec la notion commune d’altruisme (r = .79 ; p < .01), mais encore
s’est révélé plus strict que cette batterie. Par conséquent, on a encore renforcé le
caractère sélectif de la mesure VPVA, en y moyennant les scores de la batterie et du
portrait direct. Par exemple, la correction apportée par le portrait direct a diminué
le nombre de participants avec une VPVA supérieure à 80% (n = 43) de 14% .
Mais ce double instrument, comme déjà dit, est améliorable. Et en particulier,
puisqu’il s’agit de véritable altruisme, le Portrait Direct serait probablement un
meilleur critère sous la forme : « Cette personne est véritablement altruiste ».

7.2.1.2. Importance de la VPVA


Dans la plupart des études sur les valeurs, on considère comme importantes, celles
qui obtiennent un score supérieur à la moyenne d’entre elles ( e.g. Wach & Ham-
mer, 2003, pp. 15-31 et p. 65  ; Verplanken et Holland, 2002). Compte-tenu de
notre objectif ( montrer qu’il y a des gens dotés d’une VPVA élevée), il valait mieux
54 CIPS n°93 – 2012 – pp. 37-62

mettre la barre le plus haut possible, et c’est ce qui a été fait avec le seuil de 80%.
D’une part, ce niveau de 80% est un niveau élevé dans l’absolu, pour mesurer n’im-
porte quelle attitude ou niveau d’adhésion. D’autre part, ce critère est très sélectif,
puisque la moyenne des valeurs de l’échantillon représentatif français n’est que de
59% (voir Tableau 3), et que seule 1 catégorie de valeurs sur 10 (Bienveillance), se
situe à ce seuil de 80%. Il paraît donc légitime de conclure que la VPVA est impor-
tante pour les personnes (23% de notre échantillon) pour qui elle est supérieure à
ce niveau3.
Dans une future recherche, il serait toutefois intéressant de questionner les partici-
pants aussi sur les valeurs habituelles du système de Schwartz (par ex., 2006), pour
avoir un point de référence direct en plus des autres.

7.2.2. Mesures des activités de bénévolat


Tandis que la définition du temps de bénévolat en association est assez facile, l’ap-
préhension des efforts d’aide de toute nature (hors dons monétaires), donc y compris
ce qui se passe hors association, n’a pas beaucoup de précédents convaincants dans
la recherche. Une approche du type du Test de la Personnalité Altruiste (Rushton,
1981) sélectionne certains comportements prosociaux, et risque donc d’entraîner un
biais important en ignorant les comportements prosociaux, extrêmement diversifiés,
de certains participants, surtout quand on passe d’une société à une autre. D’un autre
côté, l’échelle utilisée par Caprara et Steca (2007) vise à être plus compréhensive -
sans l’être totalement -, mais au coût d’une appréciation très subjective par le partici-
pant de ses efforts de comportements prosociaux (auto-évaluation sur une échelle de
1 à 5). Nous avons donc souhaité appréhender toutes les activités concernées, et les
mesurer par le temps total qui leur est consacré. En contrepartie de cette approche
nouvelle, et donc exploratoire, les questions de bénévolat 2, 3 et 4 souffrent de cer-
taines imprécisions, qui ont pu introduire une marge d’erreur dans les réponses. Par
exemple, à partir de quand une activité d’aide semi-obligatoire, comme la partici-
pation aux tâches familiales, ne devrait-elle plus être comptée à proprement parler
comme une activité bénévole personnelle ? De même, différents participants ont pu
interpréter un peu différemment la frontière entre leur temps libre, et celui consacré
aux obligations familiales. Enfin, pour les activités que nous pensions pouvoir être
rares et/ou irrégulières, nous avons préféré faire porter la question sur une période
assez grande («Depuis le début de l’année»), ce qui peut évidemment rencontrer des
problèmes de mémorisation. Maintenant que nous connaissons les ordres de gran-
deur concernés, une future recherche pourrait mieux préciser ce qu’il faut prendre en
compte ; et par exemple, ne se référer qu’au mois précédent.
Par ailleurs, on peut se demander si les participants à VPVA élevée, n’ont pas exagéré
leurs déclarations de bénévolat, produisant ainsi un effet artificiel de corrélation.
Cela ne semble toutefois pas être le cas. En effet, les déclarations de bénévolat ne
semblent notamment pas influencées par les réponses préalables relatives à la VPVA.
En l’occurrence, dans l’Ordre 2, où les participants répondent d’abord aux questions
de VPVA, ils ont tendance à surestimer leur VPVA par rapport à l’Ordre 1 (M02 = 7,02
Existe-t-il un véritable altruisme basé sur les valeurs personnelles ? 55

vs. M01 = 6,53; Test U de Mann-Whitney, Z = - 1.60 ; p = .11), mais ceci n’entraine
aucune tendance générale à la hausse des déclarations d’activités bénévoles : + 3%
pour le bénévolat en association [M02 = 8,57 (10,11) vs. M01 = 8,35 (9,16)], et +
7% pour le temps libre consacré au bénévolat [M02 = 22,73 (23,27) vs. M01 = 21,24
(21,68)], mais - 5% pour le bénévolat hors association [M02 = 3,69 (6,27) vs. M01
= 3,90 (5,25)], et - 10% pour l’aide à des personnes connues [M02 = 7,22 (7,79) vs.
M01 = 8,00 (10,26)].
Enfin, les mesures de bénévolat souffrent d’être des auto-déclarations, et dans une
future recherche il serait intéressant de les rendre plus objectives, par exemple en les
recoupant avec les déclarations de l’entourage.

7.2.3. Biais d’amorçage ou de désirabilité sociale


Il n’est pas impossible que les réponses des participants, tant pour la VPVA que pour
leurs activités bénévoles, aient été tirées vers le haut, soit par un effet d’amorçage
parce qu’ils étaient visiblement contactés par leur club de bénévolat, soit par un effet
de désirabilité sociale. Pour limiter ces deux effets, les participants étaient soigneu-
sement prévenus qu’il s’agissait d’une enquête anonyme, ce qui était rendu possible
par le dispositif en ligne (vs. questionnaire par email). Par ailleurs, l’effet éventuel
de la désirabilité sociale n’a pas été recherché, pour ne pas trop alourdir le ques-
tionnaire en ligne. Cette option est confortée par les recherches de Rokeach (Wach
& Hammer, 2003, p. 27), et de Schwartz (Schwartz, Verkasalo, Antonovski & Sagiv,
1997), montrant que la désirabilité sociale joue un rôle négligeable dans les études
portant sur les valeurs. Mais on ne peut pas exclure l’éventualité d’un tel effet. En
particulier, peut-être que les valeurs étudiées par Schwartz n’y sont pas sensibles,
mais que la VPVA y est sensible.
Concernant les corrélations trouvées, l’appréciation est différente : il est difficile
d’imaginer des scénarios psychologiques et mathématiques d’effet d’amorçage ou
de désirabilité sociale, dont l’effet serait de biaiser ces corrélations. En effet, les scores
eux-mêmes peuvent être modifiés, mais les corrélations resteraient les mêmes, pour
tout effet qui, pour chaque variable, serait soit nul, soit constant en moyenne, soit
encore en moyenne proportionnel aux scores.
Une future recherche devrait néanmoins veiller à contrôler ces deux effets. L’effet
éventuel d’amorçage pourrait être éliminé en sollicitant les participants sans men-
tionner une organisation favorable (ou défavorable) par rapport au bénévolat. On
pourrait par ailleurs mesurer l’effet éventuel de la désirabilité sociale, par exemple
en manipulant la norme (induction pro-normative «Répondez à ce questionnaire en
vous présentant sous votre meilleur jour, pour vous faire bien voir», vs. induction
contre-normative, vs. sans induction).

7.3. Validité Externe


Nous avons délibérément utilisé un échantillon de participants maximisant nos
chances a priori de trouver des personnes présentant une VPVA élevée : des béné-
voles d’éducation supérieure et d’âge mûr. Le pourcentage de 23% de participants
56 CIPS n°93 – 2012 – pp. 37-62

présentant une VPVA importante (> 80%) est donc très probablement plus élevé que
ce que l’on pourrait trouver dans la population générale. Mais ceci ne remet pas en
cause la réalité mise en évidence (et la vérification de notre hypothèse) : à savoir qu’il
existe bien des gens qui ont une VPVA importante ; et que c’est donc peut-être une
motivation de véritable altruisme.
D’autre part, les participants étant des managers diplômés, leur niveau d’éducation
favorise peut-être le lien trouvé entre la VPVA et l’activité bénévole. Il serait donc
utile de voir si ce lien est par exemple modéré par ce facteur, au moyen d’études
portant sur des participants d’origines socio-culturelles différentes.

7.4. Conclusions et Suggestions de Recherche


Cette recherche présente notamment deux éléments intéressants par rapport à la
démarche de la psychologie positive.
D’une part, la conception psychologique traditionnelle suppose que l’homme n’agit
que sous l’effet de motivations égoïstes. Et cette conception semble inspirée des tra-
vaux fondateurs d’Adam Smith (1776/1997). Mais il est possible que cette concep-
tion soit trop réductrice. Smith, déjà, ne semble l’avoir adoptée que par souci de par-
cimonie, puisqu’il évoque par ailleurs les «inclinations bienveillantes» de la nature
humaine (Smith, 1759/2002). Selon la présente recherche, il y a des gens pour qui le
véritable altruisme est une valeur-clef. Ce résultat s’accorde avec la notion de valeurs
de «dépassement de soi» (Schwartz, e.g. 2006).
Les valeurs sont, entre autres, des croyances (Rokeach, 1973, p. 7, déjà cité). Si cer-
taines personnes croient au véritable altruisme, c’est notamment parce que cette va-
leur socio-culturelle est présente dans nos sociétés. Et si elle l’est, c’est parce qu’elle
a été inventée par l’humanité (Girard, 2000). La présente recherche suggère donc
que l’humanité, collectivement et chez certains de ses membres, rêve de l’altruisme
et y croit ; et que cette croyance peut influencer les pensées, les paroles, et peut-être
les comportements de certains. Ces phénomènes confirment le besoin de dépasser le
modèle réducteur habituel.
D’autre part, l’altruisme est l’un des thèmes d’étude classiques de la psychologie
positive (voir par ex. www.psychologie-positive.net), et on a ouvert ici une nouvelle
piste de recherche, qui complète les travaux de Batson (1998) sur l’altruisme ba-
sé-empathie. La présente recherche ayant trouvé un lien entre la valeur Véritable
Altruisme (VPVA), et les comportements prosociaux, il serait naturellement priori-
taire d’étudier la causalité entre ces deux facteurs. En effet, trouver un effet causal
de la VPVA sur les comportements prosociaux, validerait une nouvelle modalité de
véritable altruisme. Bien sûr, on ne peut écarter a priori que ces deux facteurs soient
uniquement influencés par un troisième, et n’aient aucun lien de causalité entre eux.
Mais il nous semble au contraire plus probable qu’on trouvera entre eux un double
lien, bidirectionnel, de causalité. En effet, les valeurs peuvent motiver des compor-
tements, mais ces derniers peuvent aussi contribuer à la formation des valeurs (e.g.
Pascarella, Ethington & Smart, 1988). 
Existe-t-il un véritable altruisme basé sur les valeurs personnelles ? 57

Notes
1. Il n’y a pas d’effet d’ordre significatif (test U de Mann-Whitney) ni pour les 4 variables de
bénévolat (- 0.11 < Z < 0.41 ; p > .68), ni pour VA-MOY (Z = - 1.60 ; p = .11). On observe
une petite tendance pour VA-MOY, la variable constituée pour mesurer la VPVA, à être moins
élevée lorsque les participants n’ont abordé les portraits d’altruisme qu’en troisième partie de
questionnaire (ordre 1), au lieu de la première partie (ordre 2), et alors que les activités béné-
voles, pour leur part, ne varient pas selon l’ordre  : Pour VA-MOY, M01 = 6,53 vs. M02 = 7,02
; Test U de Mann-Whitney, Z = - 1.60 ; p = .11. Cette petite tendance peut être expliquée par
un écart significatif dans le même sens de l’une des deux composantes de VA-MOY, à savoir
la batterie des 6 portraits d’altruisme (M01 = 6,77 vs. M02 = 7,51 ; Test U de Mann-Whitney,
Z = - 2.69 ; p < .01), alors qu’on ne retrouve pas cet effet pour l’autre composante, le portrait
direct (« cette personne est altruiste ») : M01 = 6,30 vs. M02 = 6,54 ; Z = - .60 ; p = .54. On
peut donc spéculer que, à activité bénévole égale, les participants ont spontanément une vi-
sion plus positive de leurs valeurs altruistes (Ordre 2), que lorsqu’on leur demande de décrire
d’abord leurs activités bénévoles réelles (Ordre 1), ce qui aurait pour effet de les rendre alors
plus modestes, et d’abaisser leur propre évaluation de leurs valeurs altruistes ; et supposer
que l’item Portrait Direct serait moins affecté par cet effet : soit parce qu’il n’arrive au plus
tôt qu’en septième position (Ordre 2), et qu’on y répond donc toujours de façon moins spon-
tanée ; soit que, allant droit au but, il amène les participants à être plus modestes quel que
soit l’ordre de passation. En somme, il se peut que l’Ordre 2 ait un peu poussé à la hausse le
score de la VPVA, et par conséquent le nombre de participants avec un score VPVA impor-
tant. De fait, ces derniers constituent 26% de l’Ordre 2, alors qu’ils ne représentent que 21%
de l’Ordre 1. Mais cet effet éventuel a peu de conséquences : si les participants concernés
n’étaient que 21% dans chaque cas (Ordre), ils représenteraient quand même encore 21% du
protocole, soit 38 personnes (au lieu de 43). Et ces nombres (21%, 38 personnes) restent bien
suffisants pour valider l’hypothèse 1 : il y a des personnes pour qui la VPVA est importante.
2. Contrairement à l’échelle que nous avons utilisée, chacun des points intermédiaires de
l’échelle de Wach et Hammer (2003, p. 113) et de Caprara et Steca (2007) était accompagné
d’un commentaire (par exemple : « 3 » = « un petit peu comme moi »). On pourrait se deman-
der si cela risque d’introduire un biais dans la linéarité de l’échelle. Mais toutes les statistiques
PVQ utilisant cette échelle font l’hypothèse implicite qu’elle est linéaire (voir en particulier
Wach & Hammer, 2003, pp. 83 à 122). La transposition que noue en avons faite parait donc
raisonnable. La discussion des résultats montre par ailleurs que les conclusions ne sont pas
très sensibles à cette hypothèse.
3. On peut toutefois encore se demander si la conversion de l’échelle utilisée par Wach et
Hammer (2003, p. 113 ; ainsi que Caprara & Steca, 2007) ne comporte quand même pas un
biais. En effet, cette échelle allait de « 1 = Pas du tout » à « 6 = Tout à fait », alors que la nôtre
allait de « 0 = Pas du tout » à « 10 = Tout à fait » : on peut se demander si, pour les participants
de Wach et Hammer, donner une note de « 1 = Pas du tout » revenait à donner une note
aussi basse que « 0 = Pas du tout ». Le biais potentiel de cette conversion est toutefois limité,
puisque même en supposant à l’extrême que le point zéro implicite de l’échelle de Wach et
Hammer est bien « 0 », et non « 1 », on aurait alors une échelle disposant implicitement de 6
intervalles (et non 5), et le score de 5.0/6 devrait être converti en 83% au lieu de 80%. Dans
ce cas extrême, les participants de notre échantillon dont la VPVA serait jugée importante,
pourraient être limités à ceux pour qui elle est supérieure à ce chiffre de 83%, et leur nombre
serait alors réduit de 43 à 30. Ce nombre de 30 participants (16,5% de l’échantillon) resterait
néanmoins tout à fait suffisant pour valider l’hypothèse de l’existence de personnes accordant
une importance élevée à la VPVA.
58 CIPS n°93 – 2012 – pp. 37-62

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62 CIPS n°93 – 2012 – pp. 37-62

Annexe

Questionnaire VPVA (Valeur Personnelle Véritable Altruisme) : Batterie de 6 Portraits et


Portrait Direct

Voici maintenant quelques portraits de personnes.


SVP indiquer, pour chacun d’entre eux, jusqu’à quel point cette personne est comme toi ou
différente de toi, en cliquant le chiffre adéquat sur l’échelle accompagnant chaque portrait.

Cette personne accorde de l’importance au bien-être des autres, et fait régulièrement des
choses pour cela.
Pas du tout Tout à fait
comme moi 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 comme moi
Cette personne pense qu’il est important d’aider les autres à s’épanouir, et elle aime le faire
régulièrement
Pas du tout Tout à fait
comme moi 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 comme moi
Cette personne respecte les autres, leur porte attention, et elle est généreuse.
Pas du tout Tout à fait
comme moi 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 comme moi
Cette personne est capable d’aider quelqu’un en difficulté sans attendre quelque chose en
retour.
Pas du tout Tout à fait
comme moi 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 comme moi
Cette personne peut aider quelqu’un en difficulté même si cela doit lui couter en temps et
en argent
Pas du tout Tout à fait
comme moi 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 comme moi
Cette personne aide régulièrement autrui loin du regard des autres et sans que cela se sache
Pas du tout Tout à fait
comme moi 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 comme moi
Cette personne est altruiste
Pas du tout Tout à fait
comme moi 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 comme moi
“ Induction sémantique de l’amour et
comportement d’aide envers des


réfugiés : amour + réfugiés = amour
des réfugiés ?

Lubomir LAMY*, Jacques FISCHER-


LOKOU** et Nicolas GUÉGUEN**
* Université Paris-Sud, Sceaux, France
** Université de Bretagne-Sud, France
Dans une expérience menée en milieu In an experiment conducted in a natural
naturel, des passants (n = 180) ont été setting, bystanders (n=180) were solicited
sollicités afin de donner leur opinion for their opinions about illegal refugees,
relativement à des réfugiés étrangers sans before being asked to actively help
papiers, et afin d’apporter de l’aide à ces refugees. The investigator’s T-shirt featured
réfugiés. L’enquêteur arbore, ou non, le (or not) the word LOVE. The results
mot « LOVE » sur son T-shirt. Les résultats showed that the sum of money that the
montrent que la somme d’argent que participants agreed to give for the refugee
les participants acceptent de donner en cause was significantly greater after a
faveur des réfugiés est significativement semantic induction of love occurred,
plus importante lorsqu’il y a eu induction compared to the control group. However,
sémantique de l’amour, par rapport au concerning compliance to other requests
groupe contrôle. Néanmoins, pour les for help and participants’ opinions about
autres requêtes et pour les opinions envers refugees, the effect of semantic induction
les réfugiés, l’induction sémantique n’a was not significant. These results are
pas d’effet significatif. Ces résultats sont analysed with reference to social norms
interprétés au regard des normes sociales at work in prosocial behavior. They
à l’œuvre dans les comportements pro- also highlight the opposition that exists
sociaux. Ils suggèrent en outre que la between the motivational component of
composante motivationnelle du concept the concept of love (to draw near) and
d’amour (s’approcher) se heurte à la that which is attached to the idea of illegal
composante motivationnelle attachée à refugees (to move away from).
l’idée des réfugiés sans papiers (s’éloigner).

La correspondance pour cet article doit être adressée à Lubomir Lamy, Université Paris-Sud,
IUT de Sceaux, 8 avenue Cauchy, 92330 Sceaux, France. Courriel : <[email protected]>.
65

L
amour + réfugiés = amour des réfugiés ?

L’amour est un concept qui souvent prête à sourire. Il évoque un registre de légèreté,
d’insouciance, d’idéalisme ou au contraire de manipulation à des fins personnelles.
L’amour consiste à la fois en un mythe, des espérances et des réalités (Lamy, 2006).
Les théories scientifiques des émotions ne lui accordent qu’une place marginale (voir
par exemple Ekman, 1992), alors même que les théories naïves le font apparaître
comme le meilleur exemple d’émotion (Fehr et Russell, 1984). On a pu conclure
(Aron, 2006) que l’amour est plutôt une constellation d’émotions variées (joie, inté-
rêt, jalousie, désespoir,…), ou un état motivationnel orienté vers un but à atteindre.
Nous avons récemment proposé (Lamy, 2011) un paradigme de recherche suscep-
tible de replacer l’amour parmi les concepts scientifiques, en l’opérationnalisant
en tant que variable indépendante. Ce renversement de perspective n’est possible
qu’en manipulant l’amour sous la forme d’une induction sémantique. L’amour se
trouve alors, en quelque sorte, « dématérialisé ». On passe d’une étude de l’amour
en tant qu’objet « réel » (une relation amoureuse ou un sentiment déclaré) et en
tant que conséquence (d’un degré de similitude, d’un degré de familiarité, d’un
degré d’attractivité physique,…), à l’étude de l’idée de l’amour en tant que cause
de processus cognitifs, affectifs ou comportementaux. Nous reprenons ici ce para-
digme de recherche pour explorer les conséquences possibles de l’idée de l’amour
sur des opinions et des comportements d’aide envers des réfugiés. On sait que
l’amour se porte préférentiellement vers des objets « propices » : visages souriants
et sympathiques, ambiance agréable. Qu’en sera-t-il lorsqu’il est induit simultané-
ment à une demande d’aide envers une population en difficulté et en souffrance,
que la plupart des gens fuient habituellement ? Possédera-t-il alors un pouvoir de
contamination cognitive ou émotionnelle (Fischoff, Gonzalez, Lerner et Small,
2005 ; Wilson et Brekke, 1994), propre à susciter envers cette population la géné-
rosité et la bienveillance habituellement réservés à ceux que l’on aime ?

1.1 Amorçage sémantique de l’amour et comportement d’aide


La littérature psycho-sociale a jusqu’à présent très largement éludé la possibilité
d’une induction sémantique de l’amour. Les travaux opérationnalisant des variables
à connotation émotionnelle se sont centrés sur les concepts pour lesquels un cer-
tain consensus scientifique existe quant à savoir s’il s’agit d’émotions « basiques »
(Ekman, 1992). C’est le cas de la colère, de la peur, de la tristesse, de la joie, du
dégoût, de la honte ou de la surprise. Par exemple, Zemack-Rugar, Bettman et
Fitzsimons (2007) comparent l’effet de l’induction subliminale de mots liés à l’idée
de culpabilité (par exemple coupable, blâmable, accablé) ou à l’idée de tristesse
(triste, déprimé, malheureux). Bien qu’inconscients de l’exposition à ces mots, les
participants y réagissent en répondant différemment à une demande d’aide éma-
nant d’une œuvre de bienfaisance. Ceux qui ont été exposés aux mots sémantique-
ment associés à la culpabilité acceptent d’aider dans une plus large mesure que
ceux qui ont été exposés à l’idée de tristesse, en participant bénévolement à une
étude ennuyeuse et répétitive.
Certains chercheurs ont testé l’influence, sinon de l’amour, du moins de concepts
adjacents tels que l’attachement à une personne intime, voire la simple présence
66 CIPS n°93 – 2012 – pp. 63-76

(réelle ou sous forme de photographie) d’un intime. Mikulincer et Shaver (2010)


démontrent qu’en ravivant le sentiment de sécurité émotionnelle on peut obtenir des
effets de bienveillance, de compassion et d’empathie envers la souffrance d’autrui,
ou même la décision de remplacer une personne en souffrance dans une tâche dif-
ficile. Ces effets peuvent être produits en amenant le sujet à se remémorer une per-
sonne qui lui procure un sentiment de sécurité émotionnelle, en exposant le sujet
consciemment ou de façon subliminale au nom d’un tel soutien émotionnel, ou
encore grâce à une photo rappelant le souvenir de cette relation. De façon parallèle,
divers travaux ont consisté à tester les conséquences physiologiques d’une présence
aimée. Par exemple, Master, Eisenberger, Taylor, Naliboff, Shirinyan et Lieberman
(2009) montrent que le fait d’avoir sous les yeux la photo de son conjoint atténue une
sensation de douleur. Cette approche n’explore cependant que l’impact d’un soutien
social, car l’amour n’est ni induit sémantiquement ni mesuré.
Un autre concept adjacent, celui d’amitié, a pour sa part été mis en relation avec
le comportement d’aide dans une expérience de Fitzsimons et Bargh (2003) : elle
montre que des sujets que l’on amène à former l’image mentale d’un ami, par rap-
port à un collègue, se montrent plus enclins par la suite à aider l’expérimentateur
à réaliser d’autres expériences. L’amour, à notre connaissance, a fait l’objet d’un
amorçage sémantique dans trois lignes de recherche. L’une avait pour objectif de
comparer l’effet de l’induction de l’amour, par rapport au sexe, sur le raisonnement
(Förster, Epstude et Özelsel, 2009 ; Förster, Özelsel et Epstude, 2010). Plus pré-
cisément, on demandait aux participants, dans une condition expérimentale, de
s’imaginer en promenade avec leur partenaire amoureux ; dans l’autre condition
expérimentale, d’imaginer une relation sexuelle avec une personne envers qui ils
seraient attirés mais dont ils ne seraient pas amoureux. Les résultats montrent que
l’induction sémantique de l’amour a pour effet de susciter un mode de raisonne-
ment global et créatif, plutôt qu’analytique et centré sur les détails comme lorsque
l’idée du sexe sans amour est éveillée. En outre, des résultats analogues sont obte-
nus lorsque l’induction est réalisée de manière subliminale.
Une seconde ligne de recherche a consisté à tester l’effet de l’induction sémantique
de l’amour sur le comportement d’aide. Dans le paradigme de la revue « Amour et
Sentiments », des sujets sont abordés dans une rue piétonnière afin de répondre à
quelques questions. A ceux qui acceptent, l’enquêteur demande de « se remémo-
rer une personne qui a beaucoup compté » pour eux, puis de décrire les qualités
personnelles ayant justifié qu’on lui porte autant d’amour. Dans le groupe contrôle,
les participants sont sollicités par la revue XXIeme siècle et doivent se remémorer
«  une musique qui a beaucoup compté  » pour eux, puis décrire les caractéris-
tiques de cette musique, justifiant qu’ils l’aient autant aimée. Quelques dizaines
de mètres plus loin dans la rue, le participant se voit demander de l’aide. Qu’il
s’agisse d’argent « pour acheter un ticket de bus » (Lamy, Fischer-Lokou et Gué-
guen, 2008), d’aide spontanée à un compère qui laisse tomber une pile de CD
(Lamy, Fischer-Lokou et Guéguen, 2009), ou encore du temps passé à aider une
personne égarée (Fischer-Lokou, Lamy et Guéguen, 2009), le schéma de réponses
est analogue : le fait d’avoir repensé à une relation amoureuse a bien un effet sur
amour + réfugiés = amour des réfugiés ? 67

le comportement d’aide. Mais le cas crucial est celui où l’induction sémantique de


l’amour est réalisée auprès d’hommes adultes par une expérimentatrice qui est une
étudiante âgée d’une vingtaine d’années. C’est dans ce cas seulement, dit d’ « aide
chevaleresque », que l’effet de l’induction sémantique sur le comportement d’aide
se manifeste. Les auteurs font alors l’hypothèse que l’idée de l’amour active le
réseau de significations associées, parmi lesquelles figurent les scripts relationnels
associés aux relations hommes - femmes, tels que : « un homme qui est vraiment
un homme ne devrait pas laisser une jeune femme en difficulté dans la rue ». Dans
une expérience ultérieure, ces auteurs ont montré qu’il n’est même pas nécessaire
d’activer consciemment l’idée de l’amour pour produire de l’aide chevaleresque
(Lamy, Fischer-Lokou et Guéguen, 2010). Dans un premier temps, un passant de
sexe masculin, âgé de trente à cinquante ans, est abordé par un compère qui lui
demande le chemin de la rue « Saint-Valentin » (« Saint-Martin » dans le groupe
contrôle). Quelques minutes plus tard, ce passant est abordé par une étudiante qui
le sollicite afin d’aller demander pour elle, auprès d’un groupe de quatre compères
à l’attitude menaçante, qu’ils lui restituent le téléphone portable qu’ils viennent
de lui dérober. Ici encore, la seule induction des mots « Saint-Valentin », séman-
tiquement associés à l’idée de l’amour, suffit à produire un comportement d’aide
chevaleresque.
Les deux lignes de recherche précédentes opérationnalisent l’amour dans son ac-
ception romantique, celle d’une relation privilégiée avec un partenaire amoureux.
Mais un axe de recherche différent est celui adopté par Hutcherson, Seppala et
Gross (2008). Ces auteurs mettent en effet en œuvre une technique de visualisation
/ méditation proche de celles pratiquées dans la tradition bouddhiste, où l’amour
est considéré sous un angle plus universel et compassionnel. Le participant est
chargé d’ « imaginer deux personnes qu’il aime se tenant à ses côtés et envoyant
leur amour », puis de « rediriger ces sentiments d’amour et de compassion vers
la photographie d’un étranger neutre  » tout en prononçant des vœux de santé,
bonheur et bien-être. Cette technique véhicule potentiellement les deux registres
de l’amour, romantique et compassionnel, car parmi les deux personnes aimées
initialement visualisées, pourrait bien se trouver le partenaire romantique habituel.
Il n’en reste pas moins que les participants transfèrent ensuite envers un visage
inconnu le sentiment d’être connecté à lui, semblable à lui, et tendent à le perce-
voir positivement.

1.2. Amorçage sémantique de l’amour et aide à une population discriminée


Ces recherches ont permis d’établir assez solidement l’effet de l’induction de
l’amour sur le comportement d’aide. Elles laissent cependant ouverte une ques-
tion importante : l’activation de l’idée de l’amour est-elle assez puissante pour
produire des effets même dans le cas où l’aide serait effectuée au profit d’une
cible qui lui serait cognitivement et émotionnellement opposée ? Dans les expé-
riences citées précédemment, l’aide s’exerce au profit d’étudiants (compères), ou
bien assez nombreux pour neutraliser un éventuel effet expérimentateur – chacun
participant pour une faible part à la variance totale – ou bien peu nombreux (deux)
68 CIPS n°93 – 2012 – pp. 63-76

et d’attractivité physique moyenne (proche de 11 sur une échelle variant de 0 à 20).


Dans l’un et l’autre cas, on peut considérer que la tendance altruiste suscitée par
le protocole expérimental n’est pas freinée par une répulsion due à la personnalité
du quémandeur, ni n’est favorisée par une sympathie extrême.
Dans la présente expérience, nous nous proposons de pousser à son extrémité le
paradigme de l’induction sémantique de l’amour. Pour ce faire, nous avons choisi
pour destinataires de l’aide réclamée un groupe social à même de susciter des
réactions hostiles : des réfugiés étrangers sans papiers. Nous formons l’hypothèse
que dans un contexte a priori évocateur, au moins pour une certaine frange de
la population, d’attitudes prudentes, voire hostiles, l’induction sémantique de
l’amour peut contrebalancer des attitudes initialement défavorables. Ajoutons ici
que cette recherche a été effectuée en France, dans une période que tous les ana-
lystes politiques s’accordent à considérer comme marquant un regain d’influence
du Front National, parti politique connu notamment pour son refus de l’ « immi-
gration massive ». Cette montée en puissance a du reste été ressentie sur le terrain,
durant l’expérience, nombre de passants manifestant clairement leur réprobation
dès lors qu’ils entendaient les mots « Immigrés en voie de régularisation ».
Parallèlement à ce souci de confronter des concepts potentiellement antagonistes,
nous avons choisi une nouvelle opérationnalisation de l’idée de l’amour. Dans les
expériences évoquées plus haut, celui-ci était évoqué par un appel à l’imagination
ou à des souvenirs de relations amoureuses passées ; ou par le biais des mots
« Saint-Valentin » ; ou encore, dans une expérience de Guéguen, Jacob et Lamy
(2010) prenant la réponse à une requête de séduction pour variable dépendante,
par l’audition dans une salle d’attente de la chanson de Francis Cabrel : « Je l’aime
à mourir ». Dans l’expérience présente, où la passation se fait synchroniquement à
l’induction sémantique, nous avons estimé nécessaire de procéder à une induction
visuelle, et non plus auditive. Induction (variable indépendante) et requête d’aide
(variable dépendante) peuvent par ce biais se dérouler conjointement. L’induction
de l’idée de l’amour choisie consiste en un T-shirt portant en grandes lettres majus-
cules le mot « LOVE », porté par l’étudiant chargé de solliciter une aide en faveur
de réfugiés sans papiers. Dans ce contexte, le mot LOVE peut être compris par les
participants dans le sens habituel de l’amour romantique. Il devrait alors favoriser
des réactions pro-sociales, dans la lignée des recherches présentées plus haut. Il
peut également être compris sous l’angle compassionnel, puisque le cadre asso-
ciatif dans lequel la demande est formulée, l’association fictive « France-Dignité »
qui vient en aide à des réfugiés étrangers, évoque directement l’idée de l’amour
impersonnel. Les résultats de Hutcherson et al. (2008) témoignent que l’induction
de l’amour compassionnel suscite une appréciation plus positive d’un inconnu
« neutre ». Il restera donc à démontrer que ce biais de positivité peut s’appliquer
au cas d’un inconnu susceptible de provoquer des réactions hostiles.
amour + réfugiés = amour des réfugiés ? 69

2. Méthode
2.1. Pré-test
Nous avons sollicité 90 étudiants (Hommes = 30, Femmes = 60) du Département
Techniques de Commercialisation 1 de l’IUT de Sceaux, afin de répondre à la ques-
tion suivante : « Quand vous entendez les mots : « Réfugié étranger en attente de
régularisation », à quoi cela vous fait-il penser spontanément ? Quels sont les mots
qui vous viennent à l’esprit ? »
Au total, 387 associations spontanées ont été recueillies. Parmi elles, les thématiques
les plus fréquemment évoquées sont celles de la misère (pauvreté, faire la manche,
galère,…) : 22% des réponses. Vient ensuite l’énumération des groupes stigmatisés
et des lieux où ils se rencontrent (Noirs, Roms, Clignancourt, métro,…) : 16% des
réponses. Suit le thème de l’exclusion par défaut de nationalité française (préfec-
ture, clandestin, xénophobie, charter,…) – 10% des réponses, et celui de l’exclusion
sociale (solitude, rejetés, exclus,…) – 6% des réponses. Le thème de la délinquance
(violence, dangereux, voleurs,…) représente lui aussi 6% des réponses, le thème du
travail (travail dur, travail au noir, sans travail), 2,5% des réponses. Les réponses par re-
cherche de synonymie (immigrés, homme,…) représentent 7% du total. Les 30% de
réponses restantes sont très dispersées, nombre d’associations n’apparaissant qu’une
ou deux fois (peur, incertitude, …). Nous observerons surtout que les associations
d’idées de valence positive sont très rares. Dans ce registre, on peut mentionner le
mot espoir qui apparaît deux fois, le mot courage, trois fois, nouvelle vie, deux fois ;
les mots qui témoigneraient d’une motivation à intervenir en faveur des réfugiés sont
solidarité (cité deux fois), et aide (dix fois, soit 2,5% des réponses). Pitié n’est men-
tionné qu’une fois. En marge de ces quelques associations évoquant la nécessité de
mettre fin à une injustice, la très grande majorité est porteuse de stéréotypes justifiant
la mise à l’écart de populations jugées inquiétantes : marquées par le malheur, sales,
terroristes, hors la loi, etc.
En résumé, le stéréotype du réfugié sans papiers est celui d’une altérité déran-
geante, foyer sulfureux de misère, de luttes pour survivre et, parfois, de compor-
tements anti-sociaux. En bref un monde où l’amour romantique n’est certes pas
la principale priorité, occupé que l’on est à éviter d’être expulsé, et harassé par
un emploi pénible. L’amour compassionnel, au contraire, fait partie du stéréotype
du réfugié sans papiers, tout en restant marginal parmi les associations évoquées,
comme si la répulsion l’emportait sur la compassion.
L’amour romantique se porte habituellement sur ce qui est beau, charmant, sédui-
sant, agréable. L’amour compassionnel se porte au contraire au secours de ceux
qui souffrent ; mais encore faut-il estimer que ceux-ci méritent qu’on leur vienne
en aide. Or dans le cas présent, les connotations délictueuses et/ou violentes du
stéréotype pourraient bien justifier une attitude d’indifférence. La question sera
donc à l’issue de ce pré-test, de savoir si l’idée de l’amour peut produire un surcroît
d’aide envers ceux qui ont tout, en quelque sorte, pour défier l’amour ; c’est-à-dire
pour susciter peur et rejet.
70 CIPS n°93 – 2012 – pp. 63-76

2.2 Participants
Les participants sont 180 passants (Hommes = 110, Femmes = 70), abordés dans le
centre piétonnier de Vannes, âgés environ de 30 à 50 ans.

2.3. Procédure
Vingt-deux étudiants du Département Gestion des Entreprises et des Administra-
tions de l’IUT de Vannes (Hommes = 7, Femmes = 15), âgés de 19 à 21 ans, ont
sollicité des passants de la façon suivante : « Bonjour Madame / Monsieur, je m’ap-
pelle Emilie Martin (Hugo si l’enquêteur est un garçon). Je fais partie de l’associa-
tion France-Dignité qui vient en aide à différents réfugiés étrangers en attente d’une
régularisation, et j’aimerais vous poser quelques questions ».
À ceux qui acceptent de répondre, l’étudiant pose les questions suivantes :
– Pensez-vous qu’il est important que nous aidions les autres ? (Q1)
– Pensez-vous qu’il est important de prendre en compte l’ensemble des besoins
de ces réfugiés ? (Q2)
– Par rapport à notre propre sécurité, pensez-vous qu’on doive se méfier de ces
immigrés ? (Q3)
– Parmi ces propositions, accepteriez-vous éventuellement :
- de signer une pétition pour aider ces réfugiés (Q4)
- de donner un peu d’argent pour ces réfugiés ? (Q5) Et si oui, combien exac-
tement ? (Q6)
- de distribuer des sandwichs à des réfugiés ? (Q7)
- de préparer un repas pour des réfugiés ? (Q8)
- d’en loger un ou deux chez vous pendant une nuit ? (Q9)
- de devenir un membre actif de notre association ? (Q10)
– Pensez-vous que chacun doit se dire : il est important que j’aide les autres ? (Q11)
– Avec le peu de renseignements que vous avez, quel degré de confiance ressen-
tez-vous envers notre association ? (Q12).
Les réponses aux questions 1 à 3 et 11-12 sont recueillies sur une échelle de 1 à
9, avec 1 = pas du tout d’accord et 9 = tout à fait d’accord. Les questions 4-5 et
7 à 10 sont de type Oui / Non. Pour la question 6, c’est une somme en euros qui
constitue la variable dépendante.
On voit par ailleurs que les questions 1, 2, 3, 11 et 12 ont trait à des opinions,
tandis que les questions 4, 5, 7, 8, 9 et 10 portent sur l’acceptation d’une requête.
La question 6 oblige le sujet à passer d’une déclaration de principe (« J’accepterais
de donner de l’argent ») à son application concrète (« Combien ? »). Ici, la phase
suivante aurait pu être le recueil effectif de la somme. On remarquera également
que les questions 4 à 10 sont graduées du moins engageant au plus engageant.
Dans cette expérience, la variable indépendante est opérationnalisée au moyen de
l’inscription « LOVE » figurant en grandes lettres majuscules sur le T-shirt de l’étu-
amour + réfugiés = amour des réfugiés ? 71

diant. Dans le groupe contrôle, l’étudiant porte un T-shirt identique (blanc) dénué
d’inscription. Qu’il arbore l’un ou l’autre T-shirt, l’étudiant est chargé de s’adresser
à la première personne seule âgée de 30 à 50 ans qui apparaît dans la zone où se
déroule l’expérience. Si cette personne accepte de répondre aux questions, l’étu-
diant aborde ensuite à nouveau la première personne seule âgée de 30 à 50 ans
qui pénètre dans la même zone. L’étudiant n’est donc pas laissé libre de choisir la
personne à qui il propose de répondre au questionnaire.

3. Résultats
3.1. Questions d’opinions et requêtes d’aide
Les réponses aux cinq questions d’opinions ont été traitées au moyen d’une analyse
factorielle. Un facteur unique rend compte de 51% de la variance. Une ANO-
VA : sexe expérimentateur x sexe sujet x induction sémantique, avec ce facteur
en variable dépendante, ne fait apparaître aucun effet significatif, ni interaction.
De façon semblable, une analyse log-linéaire montre que l’induction sémantique
n’a pas d’effet significatif sur l’acceptation des requêtes d’aide, ni en tant qu’effet
principal ni sous forme d’interaction.
Comme le montre le tableau 1, les opinions des participants sont, dans l’ensemble,
très favorables aux réfugiés. Sur une échelle graduée de 1 à 9, trois opinions « de
principe » génèrent un score compris entre 6.54 et 7.58. La moyenne de 5.66 obte-
nue pour la « confiance envers l’association » peut aussi être considérée comme
très élevée dans la mesure où les participants ignorent tout de cette association fic-
tive. De façon convergente, la seule moyenne qui se trouve être en retrait par rap-
port aux autres correspond à l’item inversé « pensez-vous qu’on doive se méfier de
ces immigrés ? » Les participants sont donc assez réticents à cautionner cette idée.
Quant à l’acceptation des requêtes d’aide, les résultats semblent s’échelonner en
fonction du caractère plus ou moins engageant de la requête. On se rappelle que
les requêtes avaient été ordonnées a priori selon l’enjeu qu’elles représentent. Nous
avions pensé qu’il est facile et peu engageant de signer une pétition ; moins facile
de promettre même « un peu » d’argent ; moins facile encore d’avoir un contact

Tableau 1 : Questions d’opinions : Moyenne (écart-type). N = 180

Il est important que nous aidions les autres 7.58 (1.39)

Important de prendre en compte l’ensemble des besoins de ces réfugiés 6.54 (1.87)

Pensez-vous qu’on doive se méfier de ces immigrés ? 3.79 (2.33)

Chacun doit se dire: il est important que j’aide les autres 7.19 (1.63)

Quel degré de confiance ressentez-vous envers l’association ? 5.66 (2.09)


72 CIPS n°93 – 2012 – pp. 63-76

Figure 1: Pourcentages de réponses


aux requêtes d'aide (N = 180)

90 85
82
80 72
68
70
60
60 52
48
50 Acceptent
40
40 Refusent
32
28
30
18
20 15

10
0

l'association
peu d'argent
signer une

préparer un

en loger un
sandwichs

membre de
distribuer
donner un
pétition

ou deux

devenir
repas
des

direct avec des réfugiés pour leur distribuer des sandwichs, et a fortiori pour leur
préparer un repas, acte réservé habituellement à des intimes. Quant à les héberger ou
à s’impliquer durablement dans une association, ce sont des engagements très forts.
Les pourcentages d’acceptation obtenus témoignent globalement de cette logique, à
l’exception de l’engagement à donner un peu d’argent. Les participants promettent
ainsi moins facilement de l’argent, que de préparer un repas à des inconnus.
Les taux d’acceptation des requêtes nous semblent malgré tout, dans l’ensemble,
témoigner comme c’était le cas des opinions, d’une attitude favorable envers les
réfugiés. C’est le cas par exemple lorsque 15% des participants acceptent l’idée
d’héberger un ou deux « réfugiés étrangers en attente de régularisation ». Accueillir
chez soi un inconnu est un acte rare. Aussi, les sujets qui acquiescent à cette de-
mande répondent-ils peut-être plus en raison d’une attitude d’ensemble favorable
aux réfugiés, que dans l’optique de réaliser réellement par la suite leur engagement.

3.2. Don consenti aux réfugiés


En ce qui concerner le montant du don consenti en faveur des réfugiés, celui-ci
est de 20.65€ (SD = 23.25) en condition « LOVE » tandis qu’il est de 11.45€ (SD
= 13.57) en condition contrôle. Les analyses préalables montrant que les distribu-
tions de données présentaient une hétéroscédasticité (test de Bartlett, p = .007),
les deux distributions ont été analysées au moyen d’un test non paramétrique pour
échantillons indépendants (Test de Mann-Whitney). L’analyse présente une diffé-
rence significative (U = 152.5, p = .04). L’effet de l’induction sémantique est donc
confirmé par le fait que les dons consentis en condition « Love » sont significative-
ment plus élevés qu’en condition contrôle.
amour + réfugiés = amour des réfugiés ? 73

4. Discussion
Les résultats obtenus témoignent d’un effet de l’induction sémantique, significatif
mais circonscrit au montant du don consenti en faveur des réfugiés. Les questions
d’opinions et les autres requêtes d’aide ne paraissent pas sensibles à l’induction
par le mot LOVE.
Comme nous l’avons vu, les réponses aux questions d’opinions sont globalement
favorables aux réfugiés. De même pour les requêtes non pécuniaires, dont les pour-
centages d’acceptation nous semblent témoigner plutôt d’une position de principe
que de la prévision d’un engagement réel et concret.
Il nous paraît important de souligner combien les réponses à certaines questions
d’opinions peuvent être de nature normative, ainsi qu’en attestent des moyennes
très élevées (effet plafond). Les sujets se sont sentis presque obligés d’accepter
l’idée qu’« il est important que nous aidions les autres  », et  que «  chacun doit
se dire : il est important que j’aide les autres ». En ce sens, la bienveillance obli-
gée envers des populations en difficulté, reflet d’une idéologie compassionnelle
et universaliste, ne laisse peut-être qu’un espace réduit à l’induction de l’idée de
l’amour-compassion. C’est ici, peut-être, une voie d’explication de l’absence d’ef-
fet de l’induction sémantique sur les opinions et les intentions déclarées de venir
en aide. Si le participant ressent l’injonction normative – véhiculée au sein même
de notre questionnaire par une formulation telle que « chacun doit se dire… » – ou
en quelque sorte l’obligation d’éprouver de la compassion envers des malheureux,
« ajouter » une référence à la compassion sera de peu d’effet.
Concernant les requêtes d’aide, nous avons vu qu’elles suscitent parfois peu de
réponses favorables (« en loger un ou deux pendant une nuit » ; « devenir membre
de l’association »). Mais même sur ces items, les participants surestiment à notre
sens leur propension réelle à venir en aide à autrui. Un complément à cette étude
consisterait à vérifier combien de participants s’engageraient réellement et concrè-
tement à adhérer à une association d’aide aux réfugiés, à préparer ou distribuer
des repas à des réfugiés, à en héberger à leur domicile. Les requêtes d’aide nous
semblent jouer ici un rôle analogue aux questions d’opinions, et refléter surtout
une injonction normative à être favorable aux réfugiés. En ce sens, ce n’est sans
doute pas un hasard si la seule question qui distingue les sujets exposés, ou non,
au mot LOVE, est celle qui ne comporte aucune dimension normative. Car autant
les discours médiatiques et politiques conditionnent notre vision de l’immigration,
autant le montant que nous pourrions octroyer à l’association fictive France-Dignité
échappe à tout contrôle social. Sans point de référence antérieur, le mot LOVE
modifie alors significativement les réponses des sujets
Concernant la variable sexe (sujet et expérimentateur), nous avons vu qu’elle reste
sans incidence sur les résultats. On ne retrouve donc pas ici un effet d’aide che-
valeresque comparable à celui obtenu précédemment (Lamy et al., 2008 ; 2009 ;
2010), où l’induction de l’idée de l’amour n’a d’effet que lorsque l’expérimentateur
est une femme et le participant, un homme. La raison à cela pourrait être que dans
l’expérience présente, contrairement aux autres, ce n’est pas l’expérimentateur lui-
74 CIPS n°93 – 2012 – pp. 63-76

même qui se trouve être en difficulté, mais des tiers absents physiquement. Or
l’aide chevaleresque consiste, pour un homme, à secourir une femme en difficulté,
et ce, particulièrement, dans un lieu public. Ici, l’enquêtrice elle-même n’est pas
en difficulté, mais des tierces personnes dont elle défend les intérêts. Les passants
de sexe masculin ne ressentent probablement pas, dans ce contexte, la pression
résultant d’une nécessaire conformité aux rôles sociaux de genre prescrivant aux
hommes de se montrer « héroïques et chevaleresques » (Eagly et Crowley, 1986 ;
Eagly et Koenig, 2006).

5. Conclusion
En définitive, l’induction sémantique semble exercer une influence sur les ré-
ponses des participants lorsque la question ne présente pas de caractère norma-
tif. Lorsqu’aucune réponse convenue n’existe, le mot LOVE facilite l’opinion ou
l’action pro-sociale. Dans tous les autres cas, le T-shirt « LOVE » porté par l’expé-
rimentateur rappellerait la norme sociale, l’amour dû par tout bon citoyen à des
personnes désemparées. Faute, donc, d’héberger réellement des réfugiés chez soi
ou de militer en leur faveur, on peut au moins se montrer particulièrement com-
préhensif et bienveillant à leur égard – à moindres frais puisqu’il ne s’agit que de
mots. Sauf que les sujets ayant accepté le principe d’un don en faveur des réfugiés
(28% des participants) se trouvent de fait engagés par cette acceptation, et poussés
à consentir réellement un don.
S’il est normativement bien de faire un geste pour une cause humanitaire, le mon-
tant du don, comme nous l’avons remarqué plus haut, ne présente pas de point de
référence normatif et se montre sensible à l’influence de l’induction sémantique.
Cette variable dépendante était la seule de nature comportementale et non pure-
ment verbale. Il est ainsi possible que le concept d’amour se diffuse de façon auto-
matique, inconsciente, non raisonnée (Bargh, 1994), accentuant de façon diffuse
la soumission minimaliste à la norme sociale ; mais affectant plus nettement une
décision comportementale dont la genèse reste en très grande partie inconsciente.
On se souviendra aussi de l’expression stéréotypée  : «  Quand on aime, on ne
compte pas », qui certainement, au même titre que tous les nœuds de signification
sémantiquement associés à l’amour, sera activée lorsque l’idée de l’amour est ins-
tillée dans l’esprit du participant. Si la générosité est sémantiquement associée à
l’amour, être exposé au concept d’amour rendra les dons plus conséquents.
Nos résultats, enfin, peuvent être interprétés en référence à la notion de schéma
émotionnel (Izard, 2007) associant des composantes émotionnelles, cognitives et
motivationnelles. Car si l’amour implique a priori le désir de se rapprocher de ce
(ceux) que l’on aime, notre pré-test a montré que l’idée des réfugiés sans papiers,
au contraire, est de nature à susciter crainte et défiance, et donc un souci d’évite-
ment. L’induction de l’amour par le mot LOVE aurait pu activer le versant compas-
sionnel de la représentation des réfugiés, et inciter les participants à s’approcher
des réfugiés pour leur distribuer des repas, les écouter lorsqu’ils relatent leurs dif-
ficultés, ou en les hébergeant. Mais le fait de n’obtenir aucun résultat significatif
pour ces requêtes engageantes milite plutôt pour une explication en termes d’évi-
amour + réfugiés = amour des réfugiés ? 75

tement. L’induction de l’amour n’est efficace que lorsque nous gardons l’assurance
de rester à distance des réfugiés. Donner de l’argent, c’est en quelque sorte acheter
l’assurance que l’on ne nous demandera pas de les rencontrer personnellement…
Malgré le discours compassionnel de surface, il semble que l’idée de l’amour n’ait
pas le pouvoir de renverser une représentation défavorable préexistante, ou de
contrarier un but sous-jacent (s’éloigner). Un complément à cette expérience pour-
rait alors consister à présenter une photographie d’un(e) réfugié particulièrement
attirant ou sympathique, auquel cas l’on s’attendrait à ce que l’effet de l’idée de
l’amour puisse s’exercer plus librement.
Si le T-shirt LOVE a été interprété par les participants, dans ce cadre associatif,
comme dénotant l’amour-compassion, le sentiment d’être socialement « connec-
té » (Hutcherson et al., 2008) n’aura pas été suffisamment puissant pour pousser
le participant à rencontrer réellement un étranger plus ou moins inquiétant. Si le
mot LOVE a été interprété en référence à l’amour romantique, il aura pu susciter
le désir de ne pas rencontrer ce qui s’oppose à l’amour : la vision de la laideur et
de la dureté de la vie.
Cette expérience est la première à mettre en évidence l’effet d’une induction sé-
mantique visuelle de l’amour. Contrairement à d’autres modes d’opérationnalisa-
tion de l’idée de l’amour, tels que le recours au témoignage ou à la visualisation,
elle laisse le sujet entièrement ignorant de la variable indépendante sur laquelle
le chercheur travaille. Cette méthode est garante que les résultats obtenus sont
indépendants d’une inférence consciente de la part du sujet, relativement à notre
hypothèse de recherche. 

Bibliographie
– Aron, A., Fisher, H. E. et Strong, G. (2006). Romantic love. In A. L. Vangelisti & D. Perlman
(Eds.), The Cambridge handbook of personal relationships (pp. 595-614). Cambridge:
Cambridge University Press.
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“ Bien-être subjectif et comportements


altruistes : les individus heureux sont-ils
plus généreux ?

Rébecca Shankland
Laboratoire Interuniversitaire de
Psychologie,Université Pierre Mendès
France, Grenoble, France
Le bien-être constitue l’un des objets Subjective well-being is one of the key
d’étude phare de la psychologie positive, positive psychology research subjects, but
mais peut-on considérer que le bien-être is it possible to consider that individual
individuel contribue au bien-être collectif ? well-being contributes to collective well-
Nombre de recherches ont montré que le being ? A number of research studies
bien-être est à la fois un précurseur et une have underlined that well-being is both
conséquence des conduites prosociales, an antecedent and a consequence of
en particulier concernant l’implication prosocial behaviors, particularily in what
dans le secteur caritatif (don de temps). concerns voluntary work (donation of
Cependant, peu d’études portent sur le time). However, few studies have worked
lien entre le don d’argent et le bien-être. on the link between money donation
La présente étude teste l’hypothèse selon and well-being. The present study tests
laquelle l’expérience de bien-être est the assumption according to which the
corrélée à une inclination supérieure à experience of well-being is correlated to a
faire une donation. Cette recherche a été greater inclination to make donations. This
menée dans des conditions techniques research was carried out using technical
permettant de minimiser la désirabilité conditions aimed at minimizing socially
sociale des réponses (questionnaire desirable responses by guaranteeing
informatisé en auto-passation, donc confidentiality through Computer Assisted
anonyme) auprès d’un échantillon de Self-Interviews on a representative sample
805 personnes. Les résultats indiquent of 805 individuals from two French
que plus les participants se déclaraient regions. Results show that the higher the
heureux, plus le montant de leur don self-reported well-being, the higher the
était élevé. Cette étude apporte une financial donation. This study contributes
contribution à la littérature en présentant to the literature by providing a behavioral
une démonstration comportementale de demonstration of the relationship between
la relation entre le bien-être subjectif et le subjective well-being and monetary
don d’argent. donation.

La correspondance pour cet article doit être adressée à Rébecca Shankland, Laboratoire
Interuniversitaire de Psychologie, EA4145, Université Pierre Mendès France, 1251, avenue
Centrale, BP47, 38040 Grenoble cedex 9, France. Courriel : <rebecca.shankland@upmf-
grenoble.fr>.
79

D
Bien-être subjectif et comportements altruistes

Introduction
Dans les sociétés occidentales où se développent individualisme, esprit de compé-
tition et recherche de bien-être pour soi (Lyubomirsky, Sheldon, & Schkade, 2005),
qu’en est-il du lien entre le bien-être personnel et les comportements altruistes ?
La psychologie positive s’est intéressée à la question du bien-être individuel et col-
lectif (Seligman & Csikszentmihaly, 2000), notamment en étudiant le lien entre les
émotions positives et les comportements prosociaux (e.g., Thoits & Hewitt, 2001).
Depuis plus d’un demi-siècle, avant le développement de l’orientation baptisée
« positive » en psychologie, de nombreuses études ont porté sur le bien-être sub-
jectif évalué à travers ses dimensions affectives (fréquence d’affects positifs et rareté
d’affects négatifs) et sa dimension cognitive (satisfaction par rapport à la vie, Die-
ner, 1984). Il a ainsi été montré que les personnes plus heureuses présentaient des
relations sociales plus solides que les personnes qui l’étaient moins. Par exemple,
Diener et Seligman (2002) ont mené une étude corrélationnelle auprès d’un échan-
tillon d’étudiants aux Etats-Unis, utilisant des mesures auto-rapportées régulières
sur une période de deux mois concernant les émotions et les comportements. En
comparant les 10% les plus heureux avec les 10% les moins heureux, ces cher-
cheurs ont mis en évidence que les personnes les plus heureuses éprouvaient moins
fréquemment d’émotions négatives, cela pouvant s’expliquer par différents facteurs
concourant à une meilleure adaptation aux événements stressants, notamment du
fait d’un soutien social plus satisfaisant. Il est aujourd’hui admis que la qualité des
relations sociales produit un impact sur le bien-être subjectif. Plusieurs chercheurs
ont mis en évidence un effet de contagion émotionnelle : plus les proches, amis
et surtout voisins sont heureux, plus l’on a de chances d’être soi-même heureux
(Fowler & Christakis, 2009). Est-il possible d’aller plus loin en considérant que les
personnes éprouvant un bien-être subjectif se montrent également plus portée à
réaliser des actions prosociales envers des inconnus ? Plus précisément, la contri-
bution empirique de cet article consistera dans l’étude du lien entre l’expérience
de bien-être subjectif et le don d’argent à une cause caritative.

1. Bien-être et comportements d’aide


Parmi les différents effets positifs du bien-être démontrés par les recherches trans-
versales, longitudinales et expérimentales (pour une revue, voir Lyubomirsky, King,
& Diener, 2005), on compte notamment les conduites altruistes. S’appuyant sur
plus de 20 études qu’il rapporte dans son ouvrage, Myers (1993) rapporte que
les individus heureux sont plus enclins à réaliser des comportements prosociaux :
actes réalisés dans le but de protéger ou développer le bien-être d’autrui (Schwartz
& Bilsky, 1990) comprenant principalement le fait de venir en aide à une personne
(e.g., Cialdini et al., 1987), l’implication bénévole dans des associations (e.g., Free-
man, 1997), et le don d’argent (Frey & Meier, 2004). Nombre de recherches ont
étudié les effets de l’implication bénévole sur le bien-être, en considérant plus par-
ticulièrement les bénéfices apportés par la création de liens sociaux. Par exemple,
l’implication associative contribue à réduire la souffrance psychique et les effets
négatifs des situations stressantes (Rietschlin, 1998), et augmente le bien-être phy-
80 CIPS n°93 – 2012 – pp. 77-88

sique et psychique (e.g., Young & Glasgow 1998 ; House, Landis, & Umberson
1988). Hunter et Linn (1981) ont ainsi mis en évidence que chez les personnes
âgées, les individus impliqués dans un travail bénévole avaient une satisfaction et
un désir de vivre plus élevés et moins de symptômes anxieux et dépressifs que les
individus du groupe contrôle. Leur taux de mortalité était aussi plus faible (Oman,
Thoresen, & McMahon, 1999), après ajustement sur les autres facteurs connus
ayant un impact sur la mortalité (pour une revue de question voir Wheeler, Gorey,
& Greenblatt, 1998). L’augmentation du niveau de bien-être ressenti au moment
où l’on apporte son soutien à autrui a été soulignée par plusieurs recherches et
qualifiée de «  shoot de l’aidant  » (Luks & Payne, 1991)  : 43% des aidants per-
çoivent une augmentation de leur énergie lorsqu’elles apportent de l’aide, et 13%
déclarent même que cela réduit leurs propres douleurs. Les actes altruistes peuvent
aussi avoir un impact sur la santé dite « mentale » chez les jeunes comme chez
les personnes âgées. Des recherches montrent, par exemple, que les adolescents
altruistes présentent moins de risques de dépression et de suicide que les autres
(e.g., Wilson & Csikszentmihalyi, 2007) et ces effets sur la santé physique et men-
tale perdurent 50 ans plus tard (Wink & Dillon, 2007). Plus récemment, des tra-
vaux ont porté sur les effets du travail bénévole lui-même, celui-ci pouvant être
source de bien-être au-delà des effets de la création de lien social (e.g., Grube &
Piliavin, 2000 ; O’Reilly & Chatman, 1986). Une augmentation du bien-être a été
démontrée et semble plus particulièrement liée à la possibilité de mettre en œuvre
une action qui suit une motivation intrinsèque (Weinstein & Ryan, 2010). Ainsi,
les recherches expérimentales portant sur le lien entre bien-être et altruisme ont
également pu montrer que venir en aide à autrui rendait plus heureux que lorsque
l’on ne mettait pas en œuvre ce type de comportement. D’autre part, les chiffres
répertoriés dans la base de données mondiale sur le bonheur (Veenhoven, 2003)
permettent d’observer des corrélations négatives entre le bien-être et les conduites
agressives ou délinquantes (vol, vandalisme et autres conduites antisociales plus
graves), tandis que les émotions négatives sont souvent plus associées à la violence
(Bègue, 2010), quoique dans certaines conditions elles puissent aussi favoriser les
conduites prosociales (e.g., Cialdini et al., 1987). Tout ceci participe à la confir-
mation du lien entre le sentiment de bonheur et les conduites prosociales comme
l’avait montré l’étude de Valois, Zullig et Huebner (2001) concernant les adoles-
cents. Des recherches expérimentales plus anciennes réalisées auprès d’enfants
(e.g., Isen & Levin, 1972 ; Rosenhan, Underwood, & Moore, 1974) avaient déjà mis
en évidence que lorsque l’on induisait des émotions positives chez les participants
(par exemple en donnant des biscuits ou en trouvant une pièce de monnaie), ils
étaient plus enclins à aider d’autres enfants. Ces effets de l’humeur positive ont
également été démontrés sur le lieu de travail (Forgas, Dunn, & Granland, 2008).
L’ensemble de ces travaux souligne la relation entre comportements prosociaux et
bien-être, au travers de l’étude des comportements d’aide, le bien-être étant à la
fois un antécédent et une conséquence de ce type de conduites prosociales : les
personnes présentant un niveau élevé de bien-être sont plus enclines à venir en
aide aux autres en raison de leurs ressources psychosociales, physiques et men-
Bien-être subjectif et comportements altruistes 81

tales (Thoits & Hewitt, 2001), et en retour les personnes qui mettent en œuvre des
conduites d’aide voient leur degré de bien-être augmenter, notamment en raison
du sentiment de contrôle que cela procure (théorie de l’autodétermination, Deci &
Ryan, 2002), de l’amélioration de l’estime de soi et du sentiment d’efficacité per-
sonnelle (Bandura, 1977), et des réponses apportées à des besoins fondamentaux
tels que la recherche de sens à la vie ou le sentiment d’utilité (Frankl, 1985). Mais
peut-on observer le même type d’effet lorsqu’il s’agit de comportements altruistes
réalisés sous la forme d’un don matériel ?
Selon une étude expérimentale de Dunn, Aknin et Norton (2008), utiliser une
somme d’argent qui vient d’être remise au bénéfice d’une autre personne apporte
un bien être subjectif supérieur à l’utilisation de la même somme pour des dépenses
personnelles. Récemment la Fondation pour les œuvres caritatives (Charities Aid
Foundation, 2010) a réalisé une étude corrélationnelle à très grande échelle en
utilisant les données du Gallup World View World Poll de mars 2010 portant sur le
lien entre la satisfaction de vivre et les comportements prosociaux (don de temps
ou d’argent à des associations, venir en aide à une personne inconnue dans le
besoin). L’enquête a été effectuée par téléphone ou par entretien en face à face
auprès d’échantillons représentatifs des populations de 153 pays (entre 500 et 2000
personnes selon les pays). La question posée concernait le lien entre le revenu et le
don : était-il plus important ou moins important que le lien entre le don et le bien-
être des populations interrogées ? Les résultats ont indiqué que la corrélation était
supérieure entre les comportements altruistes et le bien-être.
La présente étude vise à vérifier l’hypothèse selon laquelle le bien-être est corrélé
à une augmentation des comportements altruistes. L’une des spécificités de cette
étude est son recours à un méthode de questionnaire assisté par ordinateur ainsi
qu’à une mesure comportementale de l’altruisme (remise d’une somme d’argent à
une association) afin de pallier le biais de désirabilité sociale inhérent à la méthode
utilisée dans l’enquête précédemment citée. Il existe de nombreuses recherches
qui ont étayé l’idée d’un effet de l’humeur positive sur l’altruisme et se sont ap-
puyées sur différents procédés, parfois très imaginatifs : engager un échange social
plaisant (Forgas, Dunn, & Granland, 2008), toucher légèrement le bras ou le dos
d’un participant (Kleinke, 1977), diffuser une odeur agréable (parfum, odeur de
pizza, de café chaud ; Baron, 1997), proposer un biscuit (Isen & Levin, 1972), inci-
ter les participants à imaginer des vacances sous les tropiques (Rosenhan, Salovey,
& Hargis, 1981) ou à se rappeler un souvenir gratifiant (Rosenhan, Underwood,
& Moore, 1974), trouver de l’argent dans une cabine téléphonique (Levin & Isen,
1975), visionner un film comique (Carnevale & Isen, 1986) ou écouter une mu-
sique agréable (North, Tarrant, & Hargreaves, 2004). Cependant, les études expéri-
mentales emploient des actes qui sont généralement très peu couteux (ramasser un
objet, par exemple) et ont une validité écologique parfois limitée. La présente étude
s’intéresse aux liens entre la générosité et le bien-être : après avoir reçu une somme
d’argent en dédommagement de leur participation à une enquête, les participants
avaient la possibilité de remettre une partie de cette somme à une association
d’aide aux victimes.
82 CIPS n°93 – 2012 – pp. 77-88

2. Méthode
2.1. Procédure
Une procédure innovante a été mise en place pour le recrutement des partici-
pants : trois fourgons mobiles étaient placés dans la rue comportant de grandes
affiches de sensibilisation à l’étude, et les enquêteurs distribuaient aux passants
des feuillets à proximité du véhicule. L’étude était présentée comme une enquête
nationale portant sur les modes de vie et comportements sociaux (pour les détails
sur l’ensemble de cette enquête voir Bègue, 2012). La durée indiquée était de
1h30. La période de collecte des données s’étendait de 8h à 20h et les véhicules
stationnaient de 1 à 4 jours dans des communes sélectionnées en fonction de leur
taille. Afin de réduire le biais de désirabilité sociale et de garantir l’anonymat en
favorisant la mise confiance des participants, ces derniers étaient invités à répondre
à un questionnaire auto-administré à l’aide d’un ordinateur portable doté d’un sty-
let optique disposé à l’intérieur du fourgon. Chacun des fourgons était équipé de
quatre ordinateurs dans des espaces séparés les uns des autres afin de garantir le
confort des répondants et la confidentialité de leurs réponses. Durant la passation,
un enquêteur se trouvait à l’entrée du véhicule et apportait son aide si les partici-
pants demandaient des éclaircissements concernant les questions ou présentaient
des difficultés de lecture. A l’issue de l’enquête, un dédommagement de 8 euros
était remis aux participants.

2.2. Participants
L’enquête a été réalisée auprès d’un échantillon de 805 personnes habitant les
régions Ile-de-France ou Nord-Pas de Calais (385 hommes et 420 femmes) âgées
de 18 à 78 ans (M = 38.15, SD = 12.9). Les catégories socioprofessionnelles sont
réparties de la manière suivante : 15.2% de cadres et professions intellectuelles
supérieures, 20.9% de professions intermédiaires, 22.1% d’employés, 15.7% d’ou-
vriers, 5.5% de retraités, 17% sans activité, et 4.5% d’autres catégories.

2.3. Mesures
2.3.1. Mesure du bien-être
Comme le soulignent Bouffard et Lapierre (1997) dans leur revue de question sur les
outils de mesures du bien-être, les pionniers dans le domaine des grandes enquêtes
psychosociales ont fréquemment utilisé un questionnaire comprenant un seul item
mesurant le degré de bonheur. On retrouve également ce type d’item sur la base
de données mondiale du bonheur réalisée par Veenhoven (2003 ; pour des revues
récentes sur ces mesures voir Diener, Oishi, & Lucas, 2003 ; Inglehart, Foa, Peter-
son, & Welzel, 2008 ; Stevenson & Wolfers, 2008). Nous avons donc utilisé une
mesure du bien-être émotionnel à item unique (« Je suis heureux ») sur le modèle
d’une échelle de type Likert en 4 points. Bien que les mesures auto-rapportées du
sentiment de bonheur comportent des biais importants (les individus peuvent diffi-
cilement prendre en compte l’ensemble de leur vie, leurs défenses psychologiques
faussent le jugement, la désirabilité sociale influence les réponses…), d’autres tech-
Bien-être subjectif et comportements altruistes 83

niques utilisées telles que les entretiens ou l’analyse qualitative de journaux per-
sonnels n’ont pas fait preuve de meilleure validité (Veenhoven, 2007), l’approche
directe fournissant les mêmes informations à moindre coût (Wessman & Ricks,
1966). La revue de question réalisée par Veenhoven (1984) sur les mesures du bon-
heur indique que ces instruments ne mesurent pas autre chose que ce qu’ils sont
censés mesurer. De plus, les mesures du bien-être subjectif (êtes-vous heureux,
êtes-vous satisfaits de votre vie actuelle) sont corrélées à des mesures de bien-être
considérés comme objectifs (en lien avec la qualité de vie réelle des personnes)
issus du champ de l’économie du bonheur (Oswald & Wu, 2010).

2.3.2. Comportement altruiste


L’objectif était de mettre en place une mesure comportementale de l’altruisme afin
de pallier le biais de désirabilité sociale propre aux instruments d’auto-rapport.
Après avoir complété leur questionnaire les participants recevaient la somme de
8 euros de dédommagement pour le temps consacré à l’enquête. Ils étaient in-
formés du fait qu’ils pouvaient, s’ils le souhaitaient, déposer une partie de cette
somme dans une boite à destination d’une association loi 1901 d’aide aux victimes
d’agression. Les dons furent effectivement remis à l’association à la fin de l’étude.

3. Résultats
Les résultats préliminaires indiquent que 65.4% des individus ont donné une
somme d’argent pour l’association d’aide aux victimes, avec un montant médian
de 3.09 euros (SD = 3.23). Comparativement aux hommes, les femmes ont donné
en moyenne presque un euro de plus (M = 3.50, SD = 3.30 vs. M = 2.66, SD =
3.11, t (802,35) = 3.70, p. <.000). D’autre part, la somme donnée est positivement
corrélée à l’âge des participants (r = .18, p. <.000), à leur niveau d’éducation (r =
.19, p.<.000), et à leur degré de bien-être (r = .08, p.<.05). Une régression linéaire
pas-à-pas a été réalisée afin de déterminer le poids de chaque variable indépen-
damment des autres dans la prédiction du comportement altruiste. Les résultats
ont montré que la quantité d’argent accordée aux victimes était liée à l’âge et au
niveau d’éducation des participants (béta = .18 et .10, respectivement ; p. <.000 et
.001). Ainsi, plus l’âge et le niveau d’éducation sont élevés, plus le don est élevé et,
conformément à nos hypothèses, plus le degré de bien-être émotionnel est élevé,
plus la quantité d’argent est versée (béta = .08 ; p.<.05). Le coefficient de détermi-
nation du modèle est de .05 (R2 de Nagerkerke).

4. Discussion
Les résultats de notre étude indiquent que le lien entre bien-être et comportements
altruistes persiste même lorsqu’il s’agit d’un don monétaire : plus les participants
se déclarent heureux plus le don d’argent est conséquent. La relation observée
entre le bien-être subjectif et l’altruisme corrobore les résultats des autres études
corrélationnelles recensées sur le lien entre bien-être et don monétaire (Charities
Aid Foundation, 2010 ; Javaloy, Rodríguez-Carballeira, Cornejo, & Espelt, 1998).
Une particularité de notre étude était qu’elle a fait appel à une mesure comporte-
84 CIPS n°93 – 2012 – pp. 77-88

mentale de l’altruisme et que l’enquête s’est déroulée dans des conditions d’ano-
nymat optimales permettant de réduire davantage le biais de désirabilité sociale. En
effet, parmi les limites des études réalisées auparavant, les auteurs soulignaient le
problème de la mesure des conduites altruistes, non seulement influencées par la
désirabilité sociale, mais aussi par la difficulté à se remémorer le nombre d’heures
d’implication bénévole ou le nombre d’actes altruistes réalisés (e.g., Thoits &
Hewitt, 2001).
Cette étude s’intègre dans le champ de recherche sur le lien entre conduites proso-
ciales et bien-être qui apporte un éclairage utile à la compréhension des situations
d’aide. Les conduites d’aide apparaissent donc liées positivement au sentiment de
bien-être, vraisemblablement par le biais de l’élargissement des liens sociaux et du
sens que l’action donne à sa vie. Corollairement, lorsque qu’un individu se sent
plus heureux, il possède davantage de ressources et d’énergie pour venir en aide à
d’autres. Thoits et Hewitt (2001) ont montré par exemple que la quantité d’heures
d’implication dans des associations d’aide est proportionnelle au degré de bien-
être déclaré. Ces différents constats ont été démontrés à travers de nombreuses
études sur les comportements d’aide qui mènent à considérer un modèle intégratif
sur le bien-être et l’altruisme. Les comportements altruistes augmentent le senti-
ment de bonheur, lequel augmente les chances de mettre en œuvre des comporte-
ments altruistes. Il s’agit donc d’une spirale ascendante comme d’autres modèles
de psychologie positive ont pu le montrer concernant des émotions positives (e.g.,
Fredrickson, 2001).
Cette étude présente un certain nombre de limites qu’il est nécessaire de men-
tionner. Tout d’abord, sa nature corrélationnelle ne permet pas de conclure à un
effet causal du bien-être sur les conduites prosociales. On dispose de travaux qui
démontrent un effet du bien-être sur l’altruisme, et d’autres indiquant un effet de
l’altruisme sur le bien-être (Lalin, Aknin, Norton, & Dunn, 2011). Il est donc rai-
sonnable de faire une hypothèse de causalité récursive, quoique nos données ne
permettent évidemment de l’appuyer empiriquement. Par ailleurs, la taille de l’effet
observé indique clairement que le bien-être subjectif apporte une contribution li-
mitée aux conduites prosociales, qui sont déterminées par une myriade de facteurs
indiosyncrasiques et situationnels (Dovidio et al., 2006). Enfin, la mesure du bien-
être subjectif qui a été employée dans cette étude était fondée sur un item unique.
Il serait utile d’établir s’il existe plusieurs formes de bien-être et leurs relations avec
les conduites individuelles. 
Bien-être subjectif et comportements altruistes 85

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“ La transcendance de soi et le
bonheur : une mise à l’épreuve du


modèle du bonheur basé sur le soi
centré-décentré

Michaël Dambrun* et
Matthieu Ricard**
* Clermont Université et CNRS, France
** Mind and Life Institute et Shéchèn
Le principal objectif de cette recherche The main objective of this research was
était de tester l’une des hypothèses to test a central assumption from the
centrales du modèle du bonheur basé sur Self-centeredness/Selflessness Happiness
le soi centré-décentré (Dambrun et Ricard, Model (Dambrun & Ricard, 2011).
2011). D’après ce modèle, le bonheur According to this model, authentic-
authentique-durable serait favorisé par durable happiness is favoured by a
un fonctionnement de soi décentré (e.g. selfless psychological functioning (e.g.
ajustement harmonieux, forte connexion harmonious adjustment, strong self-
soi-autrui). Deux types d’affects seraient other connexion). Two types of affects
responsables de cet effet : la décentration would be responsible for this effect:
de soi augmenterait les affects de selflessness would increase benevolent
bienveillance (empathie, compassion) affects (empathy, compassion) and would
et diminuerait les affects afflictifs (colère, decrease afflictive affects (angry, fear,
peur, jalousie, frustration). La conjugaison jalousie, frustration). The combination of
de ces deux effets entrainerait une these two effects would result in an increase
augmentation du bonheur durable. Nous of authentic-durable happiness. We tested
avons testé cette hypothèse au moyen this hypothesis through structural equation
d’analyses de trajet sur un échantillon analysis among a heterogeneous sample
hétérogène de citoyens d’une ville of citizens from a medium size French city
provinciale française de taille moyenne (n (n = 164). The Adult Self Transcendence
= 164). L’inventaire de transcendance de Inventory (ASTI) was used as a marker of
soi pour adulte (ITSA) était utilisé comme the level of participants’ selflessness. The
un marqueur du niveau de décentration results reveal a positive and significant
des participants. Les résultats révèlent tout correlation between self-transcendence
d’abord que la transcendance de soi est and authentic-durable happiness (r = .35).
reliée positivement et significativement au Consistent with the theoretical model, this
bonheur authentique-durable (r = .35). relationship is mediated by two distinct
Conformément au modèle théorique, il variables : benevolent affects and afflictive
apparaît que cette relation est médiatisée affects.
par deux variables distinctes : les affects de
bienveillance et les affects afflictifs.

La correspondance pour cet article doit être adressée à Michaël Dambrun, Clermont
Université, Université Blaise Pascal, 34 avenue Carnot, 63037 Clermont-Ferrand, France.
Courriel : <[email protected]>.
91

A
Transcendance de soi et bonheur

Avec l’essor de la psychologie positive, l’étude du bien-être et du bonheur s’affirme


aujourd’hui comme une thématique incontournable de la recherche en psycholo-
gie (e.g. Csikszentmihalyi & Hunter, 2003 ; Diener, 2000 ; Lyubomirsky, Sheldon, &
Schakde, 2005). Dans cette perspective, Dambrun et Ricard (2011) ont récemment
proposé le Modèle du Bonheur basé sur le Soi Centré-Décentré (MBSCD ou « Self-
centeredness/Selflessness Happiness Model  » , SSHM). L’objectif de la présente
étude est de tester l’une des hypothèses centrales de ce modèle selon laquelle le
bonheur authentique durable serait favorisé par un fonctionnement de soi décentré
(ajustement harmonieux, forte connexion soi-environnement, pleine conscience).
Voyons maintenant plus en détails les fondements théoriques de cette hypothèse.
D’après le modèle proposé par Dambrun et Ricard (2011), il existerait au moins
deux types de bonheur qui seraient reliés et sous l’influence de deux types de fonc-
tionnement psychologique relativement opposés : le fonctionnement psycholo-
gique du soi-centré (« Self-centeredness ») et le fonctionnement psychologique du
soi-décentré (« Selflessness »). Ces deux types de fonctionnement se positionnent
sur les deux pôles opposés d’un même continuum, mais se caractérisent toute-
fois par des fonctionnements qualitativement distincts. La propension à adopter un
style de fonctionnement plutôt que l’autre serait dépendant de plusieurs variables
telles que l’influence culturelle, le style d’éducation et d’attachement parental, le
style d’éducation scolaire, les rôles sociaux et l’environnement professionnel, la
religiosité et la spiritualité, la pratique de certaines formes d’entraînement mental,
des expériences de vie particulières, et des facteurs liés à l’âge et au développe-
ment (pour plus de détails, voir Dambrun & Ricard, 2011).
Le premier style de fonctionnement psychologique est qualifié de soi-centré. Ce
style de fonctionnement est étroitement relié aux concepts d’intérêts personnels,
d’égoïsme, ou d’égocentrisme. Dans ce type de fonctionnement, le soi est le point
de référence qui conditionne les différentes activités psychologiques (i.e. conation,
motivation, attention, cognition, émotion et comportement). Il s’accompagne éga-
lement d’une importance exagérée donnée au soi par rapport à autrui. Ce style de
fonctionnement serait fortement gouverné par le principe hédonique qui consiste
en l’approche des choses et des expériences attractives et gratifiantes et en l’évite-
ment des choses et des expériences désagréables et/ou socialement dévalorisées.
D’après le modèle, ce fonctionnement serait sous tendu par la perception et l’expé-
rience d’un «  soi entité  » relativement indépendant (faible connexion soi-autrui
et soi-environnement) et permanent. En favorisant excessivement le mécanisme
d’approche et d’évitement (i.e. principe hédonique ; e.g. Higgins, 1997), la centra-
tion sur soi influence les activités à tous les niveaux psychologiques. Par exemple,
les conations sont fortement orientées vers le désir de stimuli plaisants et l’évite-
ment de stimuli déplaisants. L’attention est également orientée vers ces objectifs.
Les expectations et cognitions (e.g. croyance que l’acquisition de stimuli agréables
est indispensable pour son bien-être) orientent les comportements. Deux types de
réactions affectives sont associées à ce style de fonctionnement psychologique : les
plaisirs transitoires et les affects afflictifs. Premièrement, lorsque les objectifs sont
atteints (i.e. obtention d’un stimulus positif et/ou évitement d’un stimulus négatif),
92 CIPS n°93 – 2012 – pp. 89-102

cela favorise un sentiment de plaisir, de joie et de satisfaction. Toutefois, ce type de


sentiment reste transitoire. En effet, par exemple, dès que le stimulus positif dispa-
raît ou est supplanté par un nouveau stimulus convoité, le plaisir qui lui est associé
diminue. De plus, le processus d’adaptation hédonique implique que le plaisir lié à
l’obtention d’un stimulus positif peut perdre assez rapidement de son intensité (eg.
Argyle, 1986 ; Brickman & al., 1986 ; Steger, Kashdan, & Oishi, 2008). Par consé-
quent, ce type de plaisir ne peut être que transitoire. Lorsqu’il s’avère impossible
de satisfaire le désir (e.g. obtention d’une chose agréable et/ou évitement d’une
chose désagréable), cela génère des affects qualifiés d’afflictifs tels que la frustra-
tion, la colère ou encore la jalousie. Ces affects sont qualifiés d’afflictifs pour deux
principales raisons : premièrement, ils ont un effet délétère sur la santé physique
et mentale. Plusieurs travaux révèlent par exemple que l’affectivité négative et
l’hostilité ou la colère sont associés à l’anxiété et la dépression (Watson, Clark &
Carey, 1988), ainsi qu’à la morbidité coronarienne (Miller, Smith, Turner, Guijarro
& Hallet, 1996). Deuxièmement, ces affects sont afflictifs dans la mesure où ils
sont auto-renforçateurs. En effet, ils tendent à renforcer le principe hédonique. Par
exemple, la frustration liée à l’impossibilité de satisfaire un désir peut accroitre
ce dernier et renforcer le processus d’approche. Au final, la conjugaison de ces
deux types d’affects favorise ce que nous appelons le bonheur fluctuant qui se
caractérise par l’alternance répétée de phase de plaisir et de déplaisir (Dambrun,
Ricard, Després, Drelon, Gibelin, Gibelin, Loubeyre, Py, Delpy, Garibbo, Bray,
Lac, & Michaux, 2012).
Dambrun et Ricard (2011) proposent un deuxième style de fonctionnement psy-
chologique relié au soi: la décentration de soi ou soi-décentré («  selflessness »).
Ce style de fonctionnement est lié à des caractéristiques comme l’altruisme, le
respect, l’empathie, la compassion (incluant le soi ; e.g. Neff, 2003) et la recherche
d’harmonie. Contrairement au fonctionnement soi-centré, « selflessness » est basé
sur une faible distinction entre soi et l’environnement dans son ensemble, incluant
autrui (e.g. Leary, Tipsord, & Tate, 2008). Le fonctionnement du soi-décentré est
intimement lié à la transcendance de soi (e.g. Cloninger, Svrakic, & Przybeck,
1993 ; Levenson, Jennings, Aldwin, & Shiraishi, 2005 ; Piedmont, 1999), à la sa-
gesse (Ardelt, 2008) et un ego calme (e.g. Bauer & Wayment, 2008 ; Leary, 2004).
Le fonctionnement de type décentré serait principalement guidé par le « principe
d’harmonie » dans le sens où l’individu serait orienté vers un ajustement harmo-
nieux optimal avec les différents éléments de l’environnement incluant autrui et les
différentes formes de vie (Leary & al., 2008), ainsi qu’avec ses aspirations person-
nelles profondes. Ce principe guiderait l’ensemble des activités psychologiques (i.e.
conation, motivation, attention, émotion, cognition, comportement). Par exemple,
au niveau émotionnel, le principe d’harmonie est lié à des affects de bienveillance
comme l’empathie, la compassion ou le respect. Or ce type d’affect semble avoir
un effet salutogène. Par exemple, plusieurs travaux révèlent que si les comporte-
ments pro-sociaux, dont les affects de bienveillance sont moteurs (e.g. Dovidio &
Penner, 2001), sont bénéfiques pour autrui, ils sont également bénéfiques pour la
personne elle-même. Par exemple, ils sont associés à un meilleur bien-être (e.g.
Transcendance de soi et bonheur 93

Weinstein & Ryan, 2010), à des émotions positives (Fredrickson, Cohn, Coffrey,
Pek, & Finkel, 2008) et à une diminution de la détresse psychologique (Carson,
Keefe, Lynch, Carson, Goli, Fras & Thorp, 2005). D’après le modèle de Dambrun et
Ricard (2011), au moins deux processus pourraient expliquer ce phénomène. Tout
d’abord, les affects de bienveillance sont peu sensibles aux variations de l’envi-
ronnement. Comme le notent Sprecher et Fehr (2005) : « compassionate love may
be experienced for someone to whom love is not reciprocated » (p. 228). Ce type
d’affect serait donc relativement stable et contribuerait à une stabilité émotionnelle
source de bonheur stable et durable. Les travaux révélant un lien entre la stabilité
émotionnelle et le bien-être corroborent cette analyse (e.g. Hills & Argyle, 2001).
De plus, Dambrun et Ricard proposent que les affects de bienveillance favorisent
le sentiment d’être en harmonie avec l’environnement. Par exemple, le sentiment
de compassion peut favoriser le sentiment d’être en harmonie avec autrui. Ce type
de ressenti serait intimement lié avec les caractéristiques du bonheur durable et
authentique telles que la sérénité ou la paix intérieure.
Le principal objectif de la présente recherche est de tester l’hypothèse centrale de
ce modèle selon laquelle la décentration de soi serait reliée positivement au bon-
heur durable-authentique. D’après le modèle, cette relation devrait être médiatisée,
d’une part, par une faible fréquence d’affects afflictifs et, d’autre part, par une forte
fréquence d’affects de bienveillance. Cette hypothèse reçoit un certain support
empirique dans une recherche récente. Wayment, Wiist, Sullivan et Warren (2011)
trouvent une corrélation positive entre un ego calme (e.g. sagesse, altruisme, senti-
ment d’interdépendance, etc.) et une bonne santé auto-rapportée (r = .24, p < .01).
Toutefois, cette étude souffre d’au moins deux limites importantes : premièrement,
l’échelle d’affectivité négative (recodée en absence d’affects négatifs) était intégrée
à la mesure d’ego calme, ayant pour conséquence d’augmenter artificiellement la
corrélation entre l’ego calme et la santé auto-rapportée (l’affectivité négative est un
fort prédicteur de la santé psychologique, voir par exemple Watson, Clark, & Carey,
1988). Deuxièmement, aucun élément ne permet de comprendre et d’expliquer le
lien entre ego calme et santé. Par conséquent, notre objectif sera d’examiner dans
quelle mesure les affects afflictifs et de bienveillance médiatisent la relation entre
la décentration de soi et le bonheur authentique-durable.

1. Méthode
1.1. Participants
Cent soixante quatre adultes ont participé à cette étude. Ils étaient âgés de 18 à
87 ans (moyenne = 40.98; SD = 17.89). L’échantillon était composé de 94 femmes
et de 63 hommes. Huit participants étaient de nationalité étrangère et tous les
autres étaient de nationalité française. Concernant le niveau d’étude, 57 partici-
pants avaient un niveau inférieur au baccalauréat. Tous les autres avaient un niveau
d’étude équivalent ou supérieur au baccalauréat. Cent deux participants étaient
athées, et 54 étaient catholiques. Enfin, sur une échelle en 5 points allant de 1
(classe sociale très faible) à 5 (classe sociale très élevée), les participants se si-
tuaient en moyenne à 2.82 (SD = 0.55).
94 CIPS n°93 – 2012 – pp. 89-102

1.2. Matériel
Le questionnaire était principalement composé de cinq échelles : l’inventaire
de transcendance de soi pour adulte, l’échelle de bonheur authentique-durable,
l’échelle de bonheur fluctuant et des échelle d’affects afflictifs et de bienveillance.
Ces différentes échelles sont présentées plus en détails ci-dessous.
L’inventaire de transcendance de soi pour adulte (ITSA). Cette échelle proposée par
Levenson et al. (2005) est composée de 10 items (e.g. « Ma tranquillité d’esprit est
moins facile à perturber qu’elle ne l’était » ; « Je sens davantage que ma vie indivi-
duelle fait partie d’un vaste tout »). Chaque individu devait se prononcer pour cha-
cun des items sur une échelle de 1 (pas du tout d’accord) à 7 (totalement d’accord)
en comparant la façon dont ils voyaient la vie au moment de la complétion par
rapport à cinq années en arrière. Cette échelle a une fiabilité satisfaisante (α = .75).
L’échelle de bonheur authentique-durable et de bonheur fluctuant. Ces deux com-
posantes du bonheur étaient mesurées à l’aide des échelles développées par Dam-
brun et al. (2012). Concernant l’échelle de bonheur authentique durable (α = .93)
qui est composée de 13 items regroupés en deux facteurs, les participants devaient
indiquer leur niveau régulier de bien-être général, de bonheur, de plaisir, de féli-
cité, de satisfaction, de béatitude, d’épanouissement, de joie (facteur 1  : «  être
heureux ») et de quiétude (tranquillité d’esprit), de sérénité, de paix intérieure, de
calme intérieur et de plénitude (facteur 2 : « paix intérieure ») sur une échelle en 7
points allant de 1 (très faible) à 7 (très élevé). Concernant le bonheur fluctuant (α
= .94), les participants devaient répondre à 10 items (e.g. « je passe souvent d’un
niveau de plaisir assez élevé à un niveau de plaisir assez faible » ; « je connais
des alternances entre des moments de plénitude totale et des moments beaucoup
moins satisfaisants ») sur une échelle en 7 points allant de 1 (pas du tout d’accord)
à 7 (totalement d’accord).
L’échelle d’affects afflictifs et l’échelle d’affects de bienveillance. Concernant tout
d’abord l’échelle d’affects afflictifs, les participants devaient indiquer, en général,
quel était leur niveau pour treize affects sur une échelle de 1 (très faible) à 7 (très éle-
vé). Les affects sont : hostilité envers les autres, dégoût des autres, colère envers les
autres, frustration personnelle, jalousie, désir et envie pour des choses qui ont une
valeur sociale importante dans la société d’aujourd’hui, attachement incontrôlable
pour les gens que j’aime, regret et culpabilité, orgueil, peur, sentiment de menace,
de jalousie de ce que les autres ont, de rancœur. La fiabilité de cette échelle est
satisfaisante (α = .85).
L’échelle des affects de bienveillance est identique à la précédente, seuls les affects
changent. Ils sont au nombre de onze : compassion pour autrui, empathie pour les
autres, affection et amour pour n’importe qui (i.e. « amour altruiste »), envie d’aider
autrui, sympathie pour les autres, respect pour les autres, familiarité pour les autres,
harmonie avec les autres, proximité affective avec les autres, bienveillance altruiste
pour les autres, envie de partager avec les autres. La fiabilité de cette échelle est
également satisfaisante (α = .90).
Transcendance de soi et bonheur 95

Ces deux échelles ont été construites dans des études antérieures. Elles mesurent
des construits indépendants et non corrélés. Par exemple, dans cette étude, la cor-
rélation entre l’échelle d’affects afflictifs et l’échelle d’affects de bienveillance est de
-.02, p > .85. De plus, une analyse factorielle révèle que chacun des items charge
de manière appropriée sur deux facteurs indépendants (KMO = .85 ; 45.7% de
variance expliquée par les deux facteurs).
1.3. Procédure
Soixante dix étudiants à l’université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand ont été mis-
sionnés pour faire passer chacun trois questionnaires dans leur entourage proche et/
ou éloigné. Chaque étudiant avait pour mission de faire passer un questionnaire à
un adulte âgé entre 18 et 30 ans ; à un adulte âgé entre 30 et 50 ans ; et à un adulte
âgé de plus de 50 ans. Les étudiants avaient pour consigne de laisser le question-
naire 24 heures au domicile du participant afin que ce dernier puisse y répondre
seul au calme et de manière anonyme. Au final, 164 adultes ont dûment complété
le questionnaire.

2. Résultats
2.1. Les relations entre la transcendance de soi, les affects et le bonheur
Dans un premier temps, nous avons calculé les corrélations de Pearson entre nos
différentes mesures. Ces corrélations sont présentées dans le tableau 1. Il apparaît
tout d’abord que la transcendance de soi est reliée positivement aux affects de bien-
veillance (r = .36, p < .001) et négativement aux affects afflictifs (r = -.29, p < .001).
Comme prédit, l’inventaire de transcendance de soi est corrélé positivement avec le
bonheur authentique-durable (r = .35, p < .001). Une analyse plus détaillée révèle
que la transcendance de soi est plus fortement corrélée au facteur « paix intérieure »
du bonheur authentique-durable (r = .41, p <.001) qu’au facteur « être heureux »

Tableau 1 : Les corrélations entre les différents construits psychologiques mesurés

α 1 2 3 4
1- Inventaire de transcendance de soi .75 -
pour adulte (ITSA)
2- Affects Afflictifs (AA) .85 -.29*** -
3- Affects de bienveillance (AB) .90 .36*** -.02 -
4- Bonheur fluctuant .94 -.01 .49*** .11 -
5- Bonheur stable et durable .93 .35*** -.31*** .29*** -.46***
Dimension 1 : « être heureux » .92 .25*** -.21** .25*** -.42***
Dimension 2 : « paix intérieure » .90 .41*** -.37*** .29*** -.43***

Note : *** p < .001 ; ** p < .01 ; n = 164


96 CIPS n°93 – 2012 – pp. 89-102

(r = .25, p < .001). Cette différence de corrélation est statistiquement significative (t


> 3.1, p < .01). En revanche, le bonheur fluctuant et la transcendance de soi ne sont
pas reliés (r = -.01).
Concernant les liens entres les affects et le bonheur, comme prédit par le modèle
théorique, alors que les affects afflictifs sont corrélés négativement avec le bonheur
authentique-durable (r = -.31, p < .001), les affects de bienveillance sont corrélés
positivement avec cette même mesure (r = .29, p < .001). Une analyse de régression
multiple révèle que ces deux liens sont robustes. En effet, lorsque les deux types
d’affects sont rentrés simultanément comme variables indépendantes dans une ana-
lyse de régression avec le bonheur authentique-durable en variable dépendante, les
deux relations restent statistiquement significatives (respectivement, α = -.30, p <
.001 pour les affects afflictifs et α = .28, p < .001 pour les affects de bienveillance).
Enfin, le bonheur fluctuant est corrélé significativement uniquement avec les affects
afflictifs (r = .49, p < .001).
Analyses de trajet : les affects de bienveillance et afflictifs médiatisent-ils la relation
entre la transcendance de soi et le bonheur authentique-durable?
Nous avons testé le modèle prédit par notre modèle théorique à l’aide du logiciel
d’équation structurale AMOS. D’après le modèle théorique, bien que nous ne puis-
sions pas tester ici le sens de la causalité, la transcendance de soi devrait être reliée à
une baisse des affects afflictifs et à une augmentation des affects de bienveillance. La
conjugaison de ces deux effets serait à l’origine d’un lien positif avec le bonheur. Au-
trement dit, la relation entre la transcendance de soi et le bonheur serait médiatisée,
au moins en partie, par les affects de bienveillance et les affects afflictifs. L’inventaire
de transcendance de soi étant relié plus fortement au facteur « paix intérieure » qu’au
facteur « être heureux » de la mesure de bonheur authentique-durable, nous avons
conduit des analyses séparées pour chacune de ces sous-dimensions.
Analyses concernant la dimension « être heureux » du bonheur durable. Le modèle
présenté en Figure 1 (sans la ligne en pointillés) a été testé à l’aide du logiciel AMOS.
Il apparaît que ce modèle est valide (X2 (2) = 3.78, p > .10 ; X2/df = 1.89) et adéquate
(CFI = .97, NFI = .94 ; RMSEA = .07). Une fois les deux types d’affects statistiquement
contrôlés, la relation entre la transcendance de soi et la dimension « être heureux »
du bonheur stable et durable devient non significative. Nous avons évalué la signifi-
cativité de cette médiation ainsi que le poids respectif des deux médiateurs à l’aide
de la procédure de « bootstrapping » proposée par Preacher et Hayes (2008). Cette
analyse, réalisée sur 5000 échantillons et un intervalle de confiance à 95%, révèle
que lorsque les affects afflictifs et les affects de bienveillance sont statistiquement
contrôlés, la relation entre la transcendance de soi et la dimension « être heureux »
est significativement réduite (b = .14, z = 2.88, p < .004). De plus les affects afflictifs
(b = .06, z = 1.89, p < .06), ainsi que de bienveillance (b = .08, z = 2.27, p < .02)
médiatisent respectivement tendanciellement et significativement cette relation. Le
pourcentage de variance médiatisée est non négligeable puisqu’il est de 50%. Nous
n’avons pas trouvé de modèle alternatif plus en adéquation avec les données que le
modèle présenté en Figure 1.
Transcendance de soi et bonheur 97

Figure 1 : Les affects afflictifs et de bienveillance comme médiateurs de la transcendance de


soi sur la dimension « être heureux » de l’échelle de bonheur authentique-durable

X2 (2) = 3.78, p > .10 ; X2/df = 1.89 ; CFI = .97, NFI = .94 ; RMSEA = .07
Pourcentage de variance médiatisée : 50%

Figure 2 : Les affects afflictifs et de bienveillance comme médiateurs de la transcendance de


soi sur la dimension « paix intérieure » de l’échelle de bonheur authentique-durable

X2 (1) = 1.57, p > .10 ; X2/df = 1.57 ; CFI = .99, NFI = .98 ; RMSEA = .06
Pourcentage de variance médiatisée : 38%
98 CIPS n°93 – 2012 – pp. 89-102

Analyses concernant la dimension « paix intérieure » du bonheur durable. Le mo-


dèle testé est présenté en Figure 2. Le modèle a tout d’abord été testé sans la flèche
en pointillés entre la transcendance de soi et la dimension « paix intérieure » du
bonheur. Ce premier modèle n’est pas valide (X2 (2) = 12.52, p < .002 ; X2/df =
6.26). De plus, les différents indices indiquent la nécessité de l’améliorer (CFI =
.87, NFI = .86 ; RMSEA = .18). Nous avons donc testé un modèle similaire en ajou-
tant simplement la ligne en pointillés (voir Figure 2). Ce nouveau modèle est valide
(X2 (1) = 1.57, p > .10 ; X2/df = 1.57) et en adéquation avec les données (CFI = .99,
NFI = .98 ; RMSEA = .06). Ce modèle indique que la médiation de la transcendance
de soi sur la dimension «  paix intérieure  » par les affects est partielle. En effet,
lorsque les deux types d’affects sont statistiquement contrôlés, la relation entre la
transcendance de soi et la paix intérieure diminue substantiellement (pourcentage
de variance médiatisée = 38%), mais demeure statistiquement significative. Nous
avons évalué la significativité de cette médiation ainsi que le poids respectif des
deux médiateurs à l’aide de la procédure de « bootstrapping » proposée par Prea-
cher et Hayes (2008). Cette analyse (5000 échantillons et intervalle de confiance
à 95%) révèle que lorsque les affects afflictifs et les affects de bienveillance sont
statistiquement contrôlés, la relation entre la transcendance de soi et la dimension
« paix intérieure» est significativement réduite (b = .20, z = 3.62, p < .001). De
plus les affects afflictifs (b = .11, z = 2.83, p < .01), ainsi que de bienveillance (b
= .09, z = 2.34, p < .02) médiatisent tous les deux significativement cette relation.
Confirmant la validité de ce modèle, nous n’avons pas trouvé un modèle alternatif
davantage en adéquation avec les données.

3. Discussion
Le principal objectif de cette étude était de tester l’une des hypothèses centrales du
modèle du bonheur basé sur le soi centré/décentré (Dambrun et Ricard, 2011) se-
lon laquelle la décentration de soi (« selflessness ») favoriserait le bonheur durable-
authentique via une diminution des affects afflictifs et une augmentation des affects
de bienveillance. Les résultats de la présente recherche supportent cette hypothèse.
En effet d’une part, la corrélation entre la décentration de soi, mesurée à l’aide de
l’inventaire de transcendance de soi, et le bonheur authentique-durable est positive
et significative. D’autre part, cette relation est médiatisée par les affects afflictifs et
les affects de bienveillance. Les résultats sont toutefois à nuancer en fonction de
la composante du bonheur authentique-durable mesurée. Alors que les deux types
d’affects médiatisent entièrement la relation entre l’échelle de transcendance de
soi et la composante « être heureux » du bonheur durable, ils ne médiatisent que
partiellement la relation entre la transcendance de soi et la composante «  paix
intérieure ». Ce dernier résultat suggère l’existence de variables médiatrices com-
plémentaires non mesurées dans la présente étude. Si l’on se réfère au modèle de
Dambrun et Ricard (2011), la présence d’affects de bienveillance serait l’un des
principaux médiateurs de l’effet de la décentration de soi sur le bonheur authen-
tique-durable incluant des dimensions telles que la sérénité ou la plénitude (i.e.
dimension paix intérieure). Toutefois, comme nous l’avons évoqué en introduction,
la décentration favoriserait le bonheur authentique-durable par l’augmentation de
Transcendance de soi et bonheur 99

la stabilité émotionnelle et également via le sentiment d’être en harmonie avec soi


et avec l’environnement incluant les autres. Il serait par conséquent souhaitable de
mesurer ces deux dimensions dans une prochaine étude afin de déterminer dans
quelle mesure elles médiatisent les relations entre la décentration de soi, les affects
de bienveillance et le bonheur authentique-durable.
La présente étude repose sur un dispositif corrélationnel et un échantillon hétéro-
gène de citoyens français. Cet échantillonnage a l’avantage d’accroitre la validité
écologique des résultats de cette étude. En revanche, le dispositif corrélationnel
ayant pour principale limite de ne pas permettre d’identifier de liens causaux entre
les différentes dimensions mesurées, il conviendrait de compléter cette première
étude par une recherche expérimentale dans laquelle le niveau de centration-dé-
centration des participants serait manipulé expérimentalement. Nous travaillons
actuellement en ce sens. Toutefois, dans la mesure où nous n’avons pas trouvé de
modèle alternatif davantage en adéquation avec les données que le modèle dérivé
de la théorie, nous pouvons être relativement confiants concernant la validité des
modèles présentés en Figures 1 et 2.
Le modèle du bonheur basé sur le soi centré-décentré est un modèle à deux voies.
Or, dans la présente étude nous avons principalement exploré la validité de la
voie « selflessness », c’est-à-dire la relation entre la décentration de soi et les dif-
férents construits psychologiques impliqués. Il conviendrait dans une prochaine
étude d’examiner conjointement les effets de la décentration et de la centration sur
soi. En effet, ce dernier devrait être relié au bonheur fluctuant et principalement
médiatisé par une augmentation des affects afflictifs.
Nous avons évoqué en introduction que la propension à adopter un style de fonc-
tionnement psychologique basé sur le soi dépendait d’une variété importante de
facteurs. Plus spécifiquement, le modèle du bonheur basé sur le soi centré-dé-
centré propose l’influence de deux niveaux complémentaires  : (1) la tendance
dominante d’un individu, son tempérament et sa personnalité. Plusieurs facteurs
comme l’enculturation, la socialisation, voire même l’acculturation peuvent gran-
dement affecter la tendance dominante d’un individu à opérer de manière centrée
ou décentrée. (2) L’influence contextuelle et situationnelle. Ici encore plusieurs fac-
teurs comme des états de conscience altérés, l’usage de certaines drogues peuvent
affecter de manière transitoire la propension à adopter un style de fonctionnement
plutôt qu’un autre. Nous menons actuellement plusieurs études dans cette perspec-
tive. Plus spécifiquement, plusieurs variables aussi variées que les valeurs cultu-
relles, le style d’attachement parental, les buts d’accomplissements scolaires, la
religiosité, l’entraînement mental à la pleine conscience font actuellement l’objet
d’études spécifiques afin de déterminer leur impact sur le style de fonctionnement
psychologique basé sur le soi et, par conséquent, in fine, sur le bonheur.
Les résultats de la présente étude viennent s’ajouter au nombre croissant de travaux
qui suggèrent que la quête excessive de satisfaction personnelle égoïste et maté-
rialiste n’est pas nécessairement bénéfique pour le bien-être (e.g. Cohen & Cohen,
1996 ; Kasser & Ryan, 1993). A contrario, la décentration de soi, impliquant un
100 CIPS n°93 – 2012 – pp. 89-102

ego calme, la transcendance du soi, une perception de forte connexion avec l’envi-
ronnement incluant les autres, la prosocialité, un degré élevé de pleine conscience
(i.e. Mindfulness) et la sagesse, apparaît comme un facteur salutogène (e.g. Ardelt,
1997 ; 2008 ; Brown & Ryan, 2003 ; Le, 2010 ; Leary, Tipsord, & Tate, 2008 ; Way-
ment, Wiist, Sullivan, & Warren, 2010 ; Weinstein & Ryan, 2010). Cette dichotomie
n’est pas sans rappeler le débat philosophique déjà ancien entre hédonisme et
eudémonisme (voir par exemple Ryan & Deci, 2001). En effet, si l’hédonisme au
sens où l’entend Schwartz (1992), à savoir prendre plaisir à la vie ou rechercher à
prendre plaisir à la vie, semble un marqueur évident de bien-être ou un antidote à
la dépression, en revanche la maximisation des plaisirs et l’évitement des déplaisirs
comme prolongement de l’ego (e.g. quête de l’argent, du pouvoir, du prestige,
etc.), via les affects afflictifs, ne sont pas nécessairement bénéfiques en termes de
bien-être personnel. Les résultats de la présente recherche corroborent donc les
travaux qui confèrent un certain support empirique à la philosophie eudémoniste
selon laquelle le bonheur authentique et durable ne consiste pas simplement à
maximiser les plaisirs et à éviter les déplaisirs, mais se produit plutôt lorsque l’on
transcende l’ego. 

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“ L’optimisme : une analyse synthétique

Charles Martin-Krumm
Centre de recherche sur l’éducation, les
apprentissages et la didactique (CREAD),
IUFM de Bretagne, Université de Bretagne
Occidentale, Rennes, France
Alors que l’usage courant veut While the current usage wants that
qu’optimisme et pessimisme soient optimism and pessimism are considered
considérés comme étant aux extrémités as being at the extremities of the
d’un même continuum, les résultats de same continuum, the results of recent
recherches récentes révèlent que leur researches reveal that their reality is much
réalité est beaucoup plus complexe, more complex, much more than lets it
bien plus que le laisse entendre leur understand their common usage. The aim
usage courant. L’objet de cet article est of this article is to present their various
de présenter leurs différentes facettes facets and conceptions, their definitions
et conceptions, leurs définitions et and measures, their consequences and
mesures, leurs conséquences et leurs potential origins, even the available
antécédents potentiels, voire les stratégies strategies of intervention to increase the
d’intervention disponibles pour augmenter level of optimism and\or reduce the level
le niveau d’optimisme et/ou réduire le of pessimism. The questions, which arouse
niveau de pessimisme. Les questions que these concepts, will be put, possible
suscitent ces concepts seront posées, answers evoked and perspectives in terms
des pistes de réponses évoquées et des of further researches envisaged.
perspectives de recherche envisagées.

La correspondance pour cet article doit être adressée à Charles Martin-Krumm, IUFM de
Bretagne - UBO, 153 rue de Saint Malo, BP 54310, 35043 Rennes cedex, France. Courriel :
<[email protected]>.
105

O
L’optimisme : une analyse synthétique

Introduction
On entend régulièrement dans les médias que les français sont optimistes ou qu’ils
sont pessimistes. Fondant ses propos sur des données de Gallup International ayant
réalisé une enquête dans 51 pays, le Parisien titrait le 23 décembre 2011 que les
Français sont les plus pessimistes du monde. Mais qu’est-ce qu’une personne pes-
simiste ? Qu’une personne optimiste ? Est-ce que l’optimisme est l’absence de pes-
simisme ? Est il plutôt question d’équilibre entre les deux tendances ? L’optimisme
ne présente t’il que des vertus ? Le pessimisme que des inconvénients ? Peut-on être
optimiste ou pessimiste en fonction des contextes ? L’objectif ici est d’apporter des
éléments de réponse à ces questions, en empruntant des arguments aux différents
cadres théoriques de référence, selon que l’approche de l’optimisme sera directe
ou indirecte.
De manière traditionnelle, être optimiste c’est être confiant dans l’issue positive
d’un événement, alors que le pessimisme, c’est plutôt s’attendre au pire, d’où la
nécessité, selon Chang (2001a), de bien faire la différence entre l’optimisme et
les notions de contrôle interne, même s’il est probable qu’elles soient liées. Pour
le Style Attributionnel, exemple de conception indirecte de l’optimisme qui sera
développée ultérieurement, Peterson et Stunkard (1992) précisent qu’il s’agit d’un
construit proche de celui de Locus Of Control (LOC) développé par Rotter (1966,
voir Nicole Dubois, 1987 pour une revue). Les deux construits sont des variables
de « personnalité », et portent sur les perceptions des individus relatives aux liens
existants entre leurs comportements et les résultats. Toutefois, chaque construit
possède des caractéristiques propres. Le LOC est plutôt une expectation (donc
tourné vers le futur), alors que le style porte sur l’identification des causes à un
ensemble d’événements passés. D’autre part, le style attributionnel différentie trois
dimensions explicatives, et sépare les causes apportées aux événements positifs de
celles formulées pour les événements négatifs ; précautions qui ne sont pas prises
dans la théorie du LOC selon laquelle, lorsqu’un individu perçoit que les renfor-
cements qu’il reçoit de l’environnement ne sont pas déterminés par une certaine
action de sa part, il s’agit d’une croyance en un contrôle externe. Si au contraire, la
personne considère que l’événement dépend de son propre comportement ou de
ses caractéristiques personnelles relativement stables, nous disons qu’il s’agit d’une
croyance en un contrôle interne (Rotter, 1966). Au même titre, le pessimisme ne
doit pas être confondu avec le manque de contrôle ou l’effacement personnel (self-
effacement, Chang, 2001a, p. 5). Par ailleurs, quand il est question d’optimisme ou
de pessimisme, tout semble être affaire d’équilibre entre deux pôles qui seraient à
l’opposé l’un de l’autre. De cet équilibre dépendrait la qualité de vie quotidienne
des individus. L’un des objectifs de cet article sera de définir ce qu’est l’optimisme
en fonction de différentes approches, de préciser ses conséquences sur différentes
variables cognitives, affectives ou comportementales, et de montrer qu’aussi para-
doxal que cela puisse sembler, il est possible d’être à la fois optimiste et pessimiste.
Un certain nombre de recherches ont mis en évidence une tendance des individus
à plutôt s’attendre à des événements positifs qu’à des événements négatifs, comme
106 CIPS n°93 – 2012 – pp. 103-133

s’il y avait un biais d’optimisme qui les poussait à « voir la vie en rose », biais d’op-
timisme pouvant aller jusqu’à un optimisme irréaliste (Sharot, 2011, pour une re-
vue). Il est défini ici comme la croyance erronée selon laquelle les propres risques
de la personne d’être confrontée à des problèmes sont inférieurs à ceux des autres
personnes (Weinstein, 1980). Cette croyance doit se solder par une erreur pour
être qualifiée d’optimisme irréaliste. A titre d’exemple, les individus s’attendent
à vivre plus longtemps que la moyenne et ils sous-estiment les risques de divorce
les concernant (Weinstein, 1980), ou surestiment leurs chances sur le marché de
l’emploi (Hoch, 1984). Ces illusions positives, lorsqu’elles sont modérées, ont un
impact bénéfique sur les comportements adaptatifs quant à l’atteinte de buts et
ont un effet à la fois sur les santés mentale (Taylor & Brown, 1988) et physique
(Scheier & Carver, 1987). Une étude récente révèle comment l’optimisme irréa-
liste est maintenu même lorsque la personne est confrontée à la réalité. Il y aurait
notamment des différences dans l’encodage de l’information qui joueraient dans
l’ajustement des croyances maintenant le niveau d’optimisme irréaliste (Sharot,
Korn, & Dolan, 2011). Sous-estimer le risque d’être confronté à des événements
négatifs peut avoir une fonction adaptative destinée à stimuler les comportements
exploratoires de la personne. L’intérêt peut également être de réduire le stress et
l’anxiété susceptibles d’être associés au fait de s’attendre à des événements négatifs
(Sharot et al., 2011 ; Taylor et al., 2000 ; Varki, 2009).
On peut également considérer que l’optimisme est une variable de personnalité
commune aux personnes, toutes la possédant mais à des degrés divers. Les tra-
vaux s’inscrivent alors dans le cadre d’une psychologie différentielle. On relève
une certaine uniformité dans les résultats publiés. Ceux-ci mettent en évidence
qu’invariablement, quel que soit le type de mesure, l’optimisme est associé à des
caractéristiques désirables telles le bonheur, la persévérance, l’accomplissement
et la santé (Peterson, 2000, p. 47), ou qu’il est l’un des facteurs protecteurs face
aux troubles de l’adaptation (Southwick, Vythilingam, & Charney, 2005). Compte
tenu du fait qu’il est associé à de nombreuses variables sans que les raisons de
cette association soient expliquées, Peterson le qualifie de construit « velcro » sur
lequel tout s’accroche (2000, p. 47). Dès lors il est possible d’envisager l’opti-
misme et le pessimisme sous différents angles, avec des conceptualisations variées
sans qu’il y ait forcément de désaccords marqués entre les différents courants de
recherche. Toutefois, c’est dans la mesure de ces variables que les différences sont
plus flagrantes. En effet, c’est parce que les outils psychométriques s’appuient sur
des cadres théoriques précis que des différences dans la mesure peuvent engen-
drer des différences significatives dans leur opérationnalisation. Par contre, des
corrélations ou des tendances ont pu être observées dans les scores obtenus à
différents questionnaires (Martin-Krumm, 2010), sur les styles (l’Echelle Sportive
de Mesure du Style Attributionnel ; Martin-Krumm, 2010), le pessimisme défensif
(Questionnaire de Présélection des Optimistes et des Pessimistes ; Pérès, 2001), et
l’optimisme dispositionnel (LOT-R ; Sultan & Bureau, 1999). Pour Chang (2001a),
d’un côté les multiples angles d’attaque sont une richesse pour comprendre ce qui
peut se jouer avec cette variable, mais d’un autre côté, la mise en commun des
L’optimisme : une analyse synthétique 107

données et la comparaison des résultats sont rendues plus problématiques. C’est la


raison pour laquelle des outils de mesure seront rapidement présentés afin que les
différences et les points communs puissent être mis en avant.
Si les contours de ce construit commencent à se dessiner, notamment quant à cer-
taines vertus qui lui sont associées, il convient aussi de s’interroger sur la nature
même de cette variable. Au quotidien, chacun d’entre nous vit des hauts et des
bas. Ils peuvent autant survenir au cours de la journée que sur un plus long terme.
Alors l’optimisme et le pessimisme relèvent-ils d’un trait de caractère ou d’un état
plus labile  ? Les travaux traitant spécifiquement de cette variable confirment sa
stabilité, qu’ils s’inscrivent dans le cadre des conceptions directes comme l’opti-
misme dispositionnel, ou indirectes comme les modes explicatifs, conceptions qui
seront développées dans la suite de cet article. Invariablement, la stabilité tempo-
relle éprouvée par des procédures test-retest sont relevées (i.e., Trottier, Mageau,
Trudel, & Halliwell, 2008 ; Dember & Brooks, 1989  ; Norem, 2001  ; Peterson,
Semmel, Von Baeyer, Abramson, et al., 1982 ; Snyder, Harris, Anderson, Holle-
ran, et al., 1991) confirmant par conséquent l’hypothèse développée selon laquelle
avec l’optimisme et le pessimisme, on aurait effectivement affaire à des traits de
caractère stables, ou à des dimensions de personnalité qui le seraient relativement
(i.e., O’Connor & Cassidy, 2007, p. 597). Ces aspects seront toutefois également
discutés ultérieurement.
De manière schématique, deux types de conceptions co-existent. Dans l’une, qua-
lifiée de conception directe, l’optimisme et le pessimisme sont fondés directement
sur les attentes de l’individu. Si celles-ci sont plutôt positives (e.g., Je crois en mes
chances de réussite ; Quand je vis des moments difficiles, je pense toujours que cela
va s’arranger) il sera considéré comme étant plutôt optimiste. Par contre, lorsque
la valence est plutôt négative (e.g., Je pense surtout à la possibilité d’échouer ;
En général, je pense que les choses vont mal tourner pour moi), alors il est plutôt
considéré comme étant pessimiste.
Dans l’autre conception, qualifiée d’indirecte, l’optimisme et le pessimisme ne
sont pas mesurés directement, mais par l’intermédiaire d’autres indicateurs. Le
positionnement de l’individu dans l’une des deux catégories passe par exemple par
la mesure de variables telles sa volonté à mobiliser ses ressources pour atteindre
les buts qu’il se fixe et la confiance en les moyens qu’il pense avoir de les atteindre
(e.g., Je cherche activement à atteindre mes buts ; Même quand les autres montrent
des signes de découragement, je sais que je peux trouver une solution au pro-
blème), ou les attributions « trait » selon leur caractère interne ou externe, stable
ou instable, général ou spécifique.
Ces différentes conceptions ont donné lieu à l’élaboration de cadres théoriques
spécifiques et à des outils de mesures particuliers. L’objectif de cette analyse est
donc de développer les conceptions directes de l’optimisme, plus particulièrement
celle de Carver et Scheier, puis une conception indirecte, « la théorie des Styles
Explicatifs » ou attributions « trait ». Les outils d’évaluation seront présentés, les
relations avec des variables cognitives, affectives ou comportementales mises en
108 CIPS n°93 – 2012 – pp. 103-133

évidence ainsi que les antécédents potentiels. Enfin, des limites et des perspectives
de recherches seront proposées.

1. Qu’entend-on par conceptions directes de l’optimisme ?


Plusieurs théories envisagent l’optimisme selon une approche directe à l’instar
de celles développées par Dember dans les années 1970, par Norem et Cantor
(1986a, 1986b) ou par Carver et Scheier (1982). C’est cette dernière approche qui a
suscité le plus de travaux aussi est-ce ce modèle qui sera développé. Une concep-
tion directe de l’optimisme consiste à s’attendre à vivre des événements positifs
et à ne pas vivre d’événements négatifs. Il s’agit de la prise en compte directe des
attentes positives de l’individu.

1.1. L’  « Optimisme Dispositionnel » de Carver et Scheier.


Quels fondements théoriques ?
Selon Carver et Scheier (2001), « les optimistes sont les personnes qui s’attendent
à vivre des expériences positives dans le futur. Les pessimistes sont celles qui
s’attendent à vivre des expériences négatives » (p. 31). L’optimisme est ici conçu
comme une variable cognitive qui consiste en une confiance générale à avoir des
résultats positifs, cette confiance étant fondée sur une estimation rationnelle des
probabilités de réussite de la personne et la confiance en son efficacité personnelle.
Cette disposition à l’optimisme fondée sur les attentes générales de la personne a
des conséquences sur la façon dont elle régule ses actions face à des difficultés
ou des situations stressantes. Ces attentes peuvent être généralisées à travers des
situations variées et stables dans le temps. C’est dans ce contexte que l’optimisme
dispositionnel est défini comme la tendance stable des participants à penser qu’ils
vivront globalement plus d’expériences positives que négatives au cours de leur vie
(Carver, & Scheier, 1982). Selon cette perspective, lorsqu’un individu commence à
être conscient des contradictions entre ses buts comportementaux ou standard et sa
situation présente, une procédure d’évaluation est amorcée. Il y aurait une boucle
de feed-back qui permettrait de progresser vers le but. Cette boucle a quatre sous-
fonctions : une entrée, une valeur de référence, une comparaison et une sortie.
Selon Carver et Scheier (2009), «  un écart, ou discrépance, détecté entre entrée
et sortie au travers de cette comparaison est souvent appelée « signal d’erreur »
et la sortie est alors une réponse à l’erreur détectée » (p. 209). Si l’individu pense
qu’il est probable que les contradictions entre ses buts et la situation présente ou la
valeur de référence soient réduites, il produira un nouvel effort pour les atteindre.
Un optimiste saura tenir tête, affronter les problèmes auxquels il est confronté,
donner le meilleur de lui-même et persévérer. Plutôt que d’ignorer les difficultés,
il acceptera la réalité et se centrera sur la résolution des problèmes afin de trouver
des solutions. Ces problèmes auront en retour moins d’impact sur les plans phy-
sique et émotionnel que pour un individu pessimiste. Si l’espérance est plus néga-
tive, les efforts sont réduits ou une cessation des tentatives d’efforts additionnels
s’ensuit. « C’est à la jonction de cette évaluation que les différences individuelles
apparaissent distinctement en importance » (Grenon, 2000, p. 17). Il y aurait donc,
selon ce modèle, une disposition des individus à être optimistes ou pessimistes.
L’optimisme : une analyse synthétique 109

1.1.2. Comment mesurer la disposition à l’optimisme ?


Afin de mesurer l’optimisme, le Life Orientation Test a été créé par Scheier et Car-
ver (1985) puis révisé (LOT-R ; Scheier, Carver, & Bridges, 1994). Il est utilisé dans
une version française validée par Sultan et Bureau (1999), ou par Trottier, Trudel,
Mageau et Halliwell (2008). Le Test d’Orientation de Vie (TOV) est reconnu comme
le meilleur instrument pouvant mesurer l’optimisme (Marshall, Wortman, Kusulas,
Hervig, & Vickers, 1992). Le TOV dans sa version originale est composé de huit
items. Quatre items mesurent le pessimisme et les quatre autres items mesurent
l’optimisme. Les huit items sont réunis afin de mesurer un construit unidimension-
nel soit l’optimisme dispositionnel. Les réponses sont apportées sur une échelle de
type Likert avec des choix de réponses variant de 0 (fortement en désaccord) à 4
(fortement d’accord). Scheier et Carver (1985) rapportent une cohérence interne
(alpha de Cronbach, α) de .76 et une fidélité test-retest (r de Pearson) de .79 sur
une période de plus de quatre semaines. Dans sa version révisée, il comprend
six énoncés d’évaluation personnelle et quatre leurres. Avec une consistance de
α = .78 et des analyses confirmatoires attestant d’une adéquation du modèle aux
données recueillies, les qualités psychométriques sont jugées satisfaisantes (voir
Trottier, Trudel, & Halliwell, 2007, pour une revue). Ce questionnaire a également
été adapté aux enfants (Youth Life Orientation Test ; Ey, Hadley, Allen, Palmer, et al.,
2005) et existe aussi dans une version plus longue, Extended Life Orientation Test
(ELOT ; Chang, Maydeu-Olivares, & D’Zurilla, 1997).

1.1.3. Quelles sont les conséquences de la disposition à l’optimisme ?


Dans cette perspective, face aux problèmes l’individu optimiste devrait dévelop-
per des stratégies de coping, alors que le pessimiste devrait adopter une approche
plus passive et fataliste. Plus précisément, les optimistes adopteraient des stratégies
« vigilantes » (i.e., attitude non défensive, coping « actif », implication) alors que
les pessimistes seraient plutôt enclins à adopter des stratégies «  évitantes  » (i.e.,
évitement, déni, fatalisme, résignation ; voir Bruchon-Schweitzer, 2001, pour une
revue sur le coping). Scheier et Carver (1987) soutiennent que plus les stratégies
cognitives de l’optimiste sont efficaces, plus cela doit réduire les effets négatifs
potentiels des stresseurs sur la santé physique et émotionnelle. Il est possible de
croire que l’optimisme serve de facteur de protection quand une personne fait face
à des difficultés dans sa vie (Scheier & Carver, 1985). Plusieurs études ont donc per-
mis d’établir un lien entre l’optimisme et la santé. Il favoriserait la santé physique et
psychologique (e.g., Scheier & Carver, 1987 ; Carver, Pozo, Harris, Noriega, et al.,
1993). L’optimisme se révèle être un prédicteur important de l’ajustement positif ou
du bien-être subjectif (Diener, Emmons, Larsen, & Griffin, 1985). Lai (1997) a éga-
lement démontré que l’optimisme favorise le bien-être psychologique et physique.
Ceux qui sont plus optimistes envers la vie sont moins prédisposés à la dépression
et à la solitude. A noter par ailleurs que les femmes sont significativement plus
optimistes que les hommes (Sahin, Batigun, & Sahin, 1998).
Dans une méta-analyse qui incluait 56 études, Andersson (1996) a démontré que
l’optimisme est associé de manière hautement significative aux mesures de stra-
110 CIPS n°93 – 2012 – pp. 103-133

tégies cognitives, de symptômes rapportés et d’affects négatifs. Il a conclu que


l’association la plus élevée est la relation négative entre l’optimisme et les affects
négatifs. Chang (1998a) a réalisé une étude auprès de 726 étudiants. Les résultats
ont démontré que l’évaluation du stresseur est associée avec l’optimisme, les stra-
tégies cognitives et l’ajustement. Il a été démontré que l’optimisme augmente de
manière significative le pouvoir prédictif du modèle qu’il a testé.
Une étude réalisée par Grenon (2000) a permis de mettre en évidence les liens
qu’il était possible d’établir entre optimisme et idéation suicidaire auprès d’étu-
diants québécois. De cette étude, on retiendra que plus une personne est motivée
face à la vie, plus elle est optimiste, et moins elle risque d’entretenir des idéations
suicidaires. Cette hypothèse est reprise par O’Connor et Cassidy (2007) en conclu-
sion d’une étude ayant mis en lumière un processus dans lequel l’optimisme dispo-
sitionnel est impliqué dans la prédiction du désespoir.
Les recherches ne se sont pas seulement orientées vers le domaine de la santé à
l’instar de celle de Robbins, Spence et Clark (1991) dont les résultats ont démontré
qu’un optimisme élevé est positivement corrélé à un haut niveau de réussite aca-
démique chez des étudiants inscrits au collège. Dans le domaine du sport, Grove
et Heard (1997) ont pu mettre en évidence que la disposition à l’optimisme et
la confiance en soi étaient positivement corrélées avec l’utilisation de stratégies
pour composer avec la difficulté, mais négativement avec l’utilisation de stratégies
destinées à maîtriser les émotions. Dans le même domaine, selon Ford, Eklund et
Gordon (2000), le niveau d’optimisme et d’estime de soi globale seraient associés
à la capacité à faire face au stress lié à des changements de vie, réduisant la vul-
nérabilité aux blessures et le temps de récupération. Plus récemment, Gould, Dief-
fenbach et Moffett (2002) ont pu montrer auprès d’athlètes américains champions
olympiques que ceux-ci possédaient plusieurs habiletés psychologiques comme la
gestion et le contrôle de l’anxiété, la confiance, la résilience, l’intelligence sportive,
le pouvoir de concentration, la gestion des distractions et l’esprit compétitif, une
habileté à se fixer des buts et à les réaliser, une grande capacité d’apprendre et un
haut niveau de disposition à l’espoir, tout en étant optimistes et en ayant un niveau
de perfectionnisme approprié.

1.1.4. Quelles sont les antécédents de la disposition à l’optimisme ?


Comment devient-on optimiste ? Est-il question de génétique ? D’éducation ? La
question des antécédents de l’optimisme est posée. Les réponses semblent com-
plexes à apporter. Pour Plomin, Scheier et al. (1992), la part du facteur génétique
dans l’optimisme dispositionnel est estimée à 25% de la variance. Le manque de
relations significatives entre le niveau d’optimisme des adolescents et celui de leurs
parents qui a été mis en évidence dans des recherches ultérieurs (Ben-Zur, 2003)
peut être attribué aux changements liés à l’âge vers l’individualisation et l’autono-
mie (voir Laursen & Collins, 1994) plus qu’à un manque de transmission génétique.
Par contre, avec des enfants plus jeunes, Heinonen, Raïkkönen et al. (2006) ont pu
montrer que le niveau d’optimisme des parents allait influencer le contexte dans
lequel leurs enfants allaient grandir, que ce contexte allait influencer leurs chances
L’optimisme : une analyse synthétique 111

de succès, qui en retour augmentent leurs chances d’avoir un haut niveau d’opti-
misme dispositionnel. Il y aurait donc un impact sur le niveau d’optimisme des
enfants à la fois dû au facteur génétique et à l’éducation apportée par les parents à
travers leur propre niveau d’optimisme. Pour Scheier et Carver (1985), l’optimisme
des individus provient également de leur histoire personnelle, de leurs succès au
cours desquels ils ont pu faire la démonstration de leurs capacités propres au tra-
vers différents types de situations. Sohl, Moyer, Lukin et Knapp-Oliver (2011) se
sont livrés à une analyse plus fine dans laquelle ils ont cherché à comprendre
comment les personnes expliquaient leur niveau d’optimisme dispositionnel. A
terme, leur objectif était d’avoir une meilleure compréhension de la cristallisa-
tion de cette variable de personnalité, et pouvoir mettre au point des stratégies
d’intervention destinées à augmenter le niveau d’optimisme. Leurs résultats ont
révélé différentes sources à l’optimisme dispositionnel (e.g., la croyance en ses
capacités, la foi religieuse, la croyance en un monde juste, etc.). Par contre, des
recherches complémentaires sont nécessaires pour comprendre les processus qui
sont en œuvre quant à d’autres influences possibles liées à l’environnement, les
autrui significatifs, l’impact des médias ou des événements vécus par les individus.

1.2. L’Optimisme dispositionnel, comment conclure ?


Pour certains auteurs, à l’instar de Smith, Pope, Rhodewalt et Poulton (1989), le
pessimisme n’est qu’une facette du névrosisme, trait reflétant l’instabilité émotion-
nelle, l’anxiété tempéramentale, l’irritabilité, la dépressivité, la nervosité et plus
globalement la susceptibilité aux affects négatifs (Pelissolo & Montefiore, 2008).
Ils ont pu montrer que les corrélations entre les scores du LOT, la santé et les
stratégies de coping, ou les affects négatifs n’étaient plus significatives dès lors
que le névrosisme était contrôlé. Les résultats ont montré que dans cette étude, le
pessimisme mesuré avec le LOT ne peut pas être distingué du trait de personnalité
qu’est le névrosisme. Scheier et al. (1994) ont pu répondre à ces arguments en
démontrant que l’association entre l’optimisme et à la fois la dépression et le coping
demeuraient significatives même après avoir contrôlé à la fois le névrosisme, mais
aussi l’anxiété de trait, la maîtrise de soi et l’estime de soi. Leurs résultats ont en
outre permis de montrer que parmi plusieurs prédicteurs potentiels (i.e., optimisme,
labilité émotionnelle, inquiétude) l’optimisme semblait être le seul à prédire les
formes les plus actives de coping. Plusieurs autres études ont testé l’indépendance
entre optimisme et les affects négatifs dans des domaines variés et n’ont pas permis
d’obtenir des preuves consistantes. D’ailleurs, selon Benyamini et Roziner (2008)
il y aurait redondance entre l’optimisme dispositionnel et les mesures d’affectivité
positive ou négative. Toutefois, il n’y a pas non plus forcément contradiction avec
la possibilité que pour certains événements nécessitant la capacité à faire face de
manière active, dans des conditions de stress par exemple, l’optimisme disposi-
tionnel contribue de manière distincte de l’affectivité positive ou négative ainsi
que cela est présumé dans le cadre de l’optimisme dispositionnel. Les réponses à
ces questions théoriques sont loin d’être tranchées et sont autant de perspectives
de recherche.
112 CIPS n°93 – 2012 – pp. 103-133

Sur un autre plan, théorique lui aussi, un individu ne devrait pas être optimiste
et pessimiste à la fois. Il devrait être l’un ou l’autre. Or les éléments qui ont été
développés attestent du contraire, tant dans le cadre développé par Dember (2001)
qui a pu observer un haut niveau en pessimisme et en optimisme pour des tra-
vailleurs sociaux ou des « business leaders », que dans celui de Norem et Cantor
(1986a, 1986b), les individus pouvant recourir à la stratégie de l’optimisme ou du
pessimisme défensif en fonction des contextes, ou que dans le cadre d’un opti-
misme plus proche d’un trait de personnalité à l’instar de l’optimisme disposition-
nel (Carver & Scheier, 1982). En effet, Benyamini (2005) a pu montrer que dans
certaines conditions un haut niveau d’optimisme et de pessimisme pouvaient co-
exister. Autrement dit, et pour reprendre les termes de Verhliac et Meyer (2009), à
la fois Candide et Cassandre semblent coexister chez l’individu. Considérant qu’ils
sont susceptibles d’expliquer des choses différentes, certains chercheurs ont d’ail-
leurs fait le choix de les considérer comme deux variables distinctes (e.g., Chang,
1998b  ; Hazlett, Molden, & Sackett, 2011  ; Kubzansky, Kubzansky, & Maselko,
2004). Ce phénomène a suscité diverses questions (i.e., Peterson, 2006), au delà
de l’évocation de simples biais liés aux conditions de passation des questionnaires.
Les nombreuses personnes s’attendant à la fois à des événements positifs et à des
événements négatifs vivent-elles pleinement leur vie ou sont-elles ambivalentes ?
Les effets de l’optimisme sont-ils supérieurs à l’absence de pessimisme ? (Peterson,
2006, p. 125). Ces questions méritent une attention particulière en termes de pers-
pectives de recherche.
Ensuite, le pessimisme n’est pas forcément associé à des performances de moins
bon niveau, et l’optimisme à des performances de haut niveau. En effet, Dember
(2001) a pu montrer que le pessimisme pouvait être une variable de personnalité
plus adaptative dans certaines conditions, notamment pour les pilotes de lignes
commerciales. De même dans le cadre des stratégies de l’optimisme ou du pessi-
misme défensif, la première n’est pas forcément associée au succès, ni la seconde
à l’échec.
Mais s’il en est ainsi des conceptions directes de l’optimisme ou du pessimisme,
qu’en est-il des conceptions indirectes ? Dans les cadres théoriques de références,
ces éventualités sont-elles envisagées ? Avant de répondre à ces questions, les
cadres vont être présentés en développant plus particulièrement celui des Styles
Explicatifs, avec des exemples de travaux réalisés tant dans le développement des
outils, que des conséquences, des antécédents, ou des stratégies d’intervention.

2. En quoi consistent les conceptions indirectes de l’optimisme ?


L’Espoir n’est pas l’optimisme. Mais selon Le Dictionnaire Hachette, l’espoir est
« le fait d’espérer » atteindre ses buts, et peut être défini comme « ce en quoi on
met sa confiance  » ce qui est finalement proche de la définition proposée pour
l’optimisme, « confiance en l’issue positive d’un événement particulier ». Dans une
première conception indirecte de l’optimisme, Snyder, Sympson, Michael et Chea-
vens (2001) mettent bien en relation à la fois les points communs avec l’optimisme
L’optimisme : une analyse synthétique 113

dispositionnel tel qu’il a été conceptualisé par Carver et Scheier (1982), mais aussi
les différences. Les points communs sont d’ailleurs suffisamment nombreux pour
que ce cadre théorique figure dans l’ouvrage général sur l’optimisme présenté par
Chang (2001a), et qu’ils soient associés dans la transcendance, valeur développée
dans le modèle défini par Peterson et Seligman (2004) sur les valeurs et les forces
de caractère. Ce cadre a certes fait l’objet de travaux très prometteurs, notamment
dans le contexte de l’éducation, mais choix oblige, c’est celui des styles explicatifs
qui sera développé.

2.1. La vision du monde ou la théorie des Styles Attributionnels ou Explicatifs


2.2.1. Quelle définition ?
M. E. P. Seligman a abordé le concept d’optimisme sous l’angle des caractéristiques
individuelles en termes de style explicatif : la manière dont un individu explique les
événements positifs ou négatifs auxquels il est confronté (Buchanan & Seligman,
1995). Cette théorie a été initialement formulée par Abramson, Seligman, et Teas-
dale (1978) et tire ses racines de la théorie de la résignation apprise (learned hel-
plessness). Elle correspond à une perception d’indépendance entre comportements
et résultats, à l’origine d’une expectation d’incontrôlabilité qui peut s’étendre au-
delà même de la situation qui en a généré l’apprentissage. Mais les recherches
autour du concept de style explicatif ou mode explicatif se sont progressivement
émancipées des problèmes stricts de résignation apprise et contribuent aujourd’hui
aux problématiques relatives à l’orientation optimiste ou pessimiste d’une personne
(e.g., Chang, 2001a). Le style explicatif est donc « la tendance d’une personne à
donner le même type d’explications aux différents événements auxquels elle est
confrontée  » (Peterson, Buchanan, & Seligman, 1995, p. 1). C’est une manière
relativement stable d’expliquer – en termes d’internalité1, de stabilité, et de globa-
lité – une variété d’événements négatifs ou positifs qui surviennent et dans lesquels
l’individu est impliqué. Il s’agit par exemple de l’incapacité à suivre un entraîne-
ment, une lourde défaite, une réprimande d’enseignant, une dispute avec un ami,
une note importante pour la suite de l’année scolaire, etc. Avec la naissance du
concept de style explicatif, certains auteurs (e.g., Buchanan & Seligman, 1995  ;
Peterson, 1991 ; Seligman, 2008) ont commencé à utiliser les termes « optimisme »
et « pessimisme » pour qualifier certains styles explicatifs. Un « style explicatif »
ne signifie pas forcément grand chose pour la plupart des gens, mais une vision
« optimiste » ou « pessimiste » des causes des événements a probablement plus de
sens (Peterson & Park, 1998). Comme le présente le tableau 1, inspiré de Seligman
(2008), une personne qui attribue – de manière récurrente – ses échecs à un facteur
considéré comme interne (« c’est de ma faute »), stable (« il n’y a aucune raison
que cela change »), et global (« c’est pareil dans tout ce que j’entreprends »), et/ou
ses succès à un facteur considéré comme externe (« je n’y suis pour rien »), instable
(« j’ai eu de la chance aujourd’hui »), et spécifique (« c’est bien la première fois »),
est qualifié de pessimiste. À l’inverse, celui qui attribue ses échecs à un facteur ex-
terne, instable, et spécifique, et/ou ses succès à un facteur interne, stable et global,
est qualifié d’optimiste. Ce ne sont donc pas les attentes qui jouent le rôle principal
114 CIPS n°93 – 2012 – pp. 103-133

Tableau 1 : Définition de l’optimisme et du pessimisme en fonction des explications appor-


tées aux événements positifs et négatifs (d’après Seligman, 2008)

Styles explicatifs
Pessimiste Optimiste
Echec Succès Echec Succès
Locus de Interne Externe Externe Interne
causalité (personnalisation) (extériorisation) (extériorisation) (personnalisation)

Stabilité Stable Instable Instable Stable


(permanence) (transitoire) (transitoire) (permanence)

Globalité Global Spécifique Spécifique Global


(général) (particulier) (particulier) (général)

dans cette conception mais les attributions formulées de manière récurrente.

2.2.2. Comment mesurer le style explicatif ?


Le style explicatif a engendré des recherches propres à partir du moment où ont
commencé à se développer des mesures de cette propension personnelle. Plusieurs
outils existent à présent (pour une discussion plus détaillée sur ces mesures, voir
Reivich, 1995).
D’abord des questionnaires à l’instar du premier qui a été développé l’Attributional
Style Questionnaire ou ASQ (Peterson, et al., 1982 ; Seligman, Abramson, Semmel,
& von Baeyer, 1979). Dans l’ASQ, il est demandé aux sujets d’imaginer qu’ils sont
confrontés à un ensemble d’événements hypothétiques positifs (e.g., «  Imaginez
que vous obteniez une promotion ») et négatifs (e.g., « Imaginez qu’un de vos amis
vous dise qu’il ne peut pas avoir confiance en vous  ») pour lesquels ils doivent
à chaque fois mentionner la «  cause principale  » de celui-ci. Ensuite, les sujets
doivent indiquer sur une échelle en 7 points pour chaque scénario, le degré avec
lequel la cause est interne versus externe (e.g., « Est-ce que la cause du manque
de confiance de votre ami est due à quelque chose qui vient de vous ou à quelque
chose qui vient d’autres personnes ou des circonstances ?), stable versus instable
(e.g., « Dans le futur quand vous interagirez avec vos amis, est-ce que cette cause
sera toujours présente  ?  »), et globale versus spécifique («  Est-ce cette cause est
quelque chose qui influence uniquement vos interactions avec vos amis, ou est-elle
susceptible d’influencer d’autres domaines de votre vie ? »).
Plusieurs variantes de l’ASQ existent adaptées aux publics auxquelles sont suscep-
tibles d’être administrées, dans le domaine académique (e.g., Expanded-ASQ de
L’optimisme : une analyse synthétique 115

Peterson & Villanova, 1988 ; ASQ for general use de Dykema, Bergbower, Doctora,
& Peterson, 1996) pour des enfants (e.g., Children’s ASQ ; Kaslow, Tannenbaum, &
Seligman, 1978, validé en français par Salama-Younès, Martin-Krumm, Le Foll, &
Roncin, 2008 ; Forced-Choise ASQ ; Reivich & Seligman 1991) le domaine scolaire
(e.g., Academic ASQ ; Peterson & Barrett, 1987), celui de la finance (e.g., Financial
Service ASQ ; Proudfoot, Corr, Guest, & Gray, 2001), ou le sport (e.g., Sport Attribu-
tional Style Scale ; Hanrahan, Grove, & Hattie, 1989 ; Échelle Sportive de Mesure
du Style Explicatif, ÉSMSE, Martin-Krumm, Sarrazin, Fontayne, & Famose, 2001).
Il convient de noter que ces différentes versions attestent du fait que petit à petit,
cette variable initialement envisagée comme ayant un fort niveau de généralité, est
maintenant considérée comme étant plutôt liée à un contexte particulier.
Une manière différente de mesurer le style explicatif est d’utiliser une méthode
d’analyse de contenu à partir d’un matériel écrit ou oral faisant état d’explications
causales pour des événements quelconques. Cette technique – dénommée anal-
yse de contenu des explications textuelles (Content Analysis of Verbatim Explana-
tions ou CAVE ; Peterson, Schulman, Castellon, & Seligman, 1992) ou Analyse du
Contenu des Explications Spontanées (ACES ; Seligman, 2008) – comprend deux
étapes : extraire les événements rapportés par l’individu, ses attributions les concer-
nant, et repérer ce qui relève du locus de causalité, de la stabilité et de la globalité.
Petit à petit, le concept de style explicatif s’est affranchi de la théorie de l’impuis-
sance acquise (learned helplessness) avec laquelle il y a pourtant une filiation di-
recte. La notion de contrôle est certes présente dans certains outils comme le SASS
développé par Hanrahan et al. (1989), mais d’une manière générale, elle a été
supprimée. Des avancées tendent pourtant à considérer qu’elle est incontournable
tant dans la mesure des attributions état (i.e., Rees, Ingledew, & Hardy, 2005) que
dans le domaine plus particulier des styles explicatifs ou attributions trait (i.e., Mar-
bach, 2009). Des outils sont en cours d’élaboration dans lesquels les dimensions
de contrôlabilité, mais aussi d’universalité sont réintroduites.

2.2.3. Quelles sont les conséquences du style ?


Un domaine de recherche ayant pour objet l’étude des conséquences du style expli-
catif sur différentes variables cognitives, motivationnelles, émotionnelles, ou com-
portementales s’est progressivement développé. Il a même tendance aujourd’hui à
s’émanciper des problématiques initiales sur la résignation apprise. Ainsi, de nom-
breuses études ont été réalisées dans lesquelles le style a été considéré comme un
corrélat de nombreuses manifestations de la résignation apprise comme la dépres-
sion, la maladie, ou l’échec. De manière systématique, les personnes au style pes-
simiste manifestent davantage de symptômes de la résignation apprise par rapport
à celles au style optimiste (voir Peterson & Park, 1998, pour une synthèse). Par
exemple, un style pessimiste est lié à de plus faibles performances scolaires (e.g.,
Nolen-Hoeksema, Girgus, & Seligman, 1986 ; Peterson & Barrett, 1987) ou profes-
sionnelles (e.g., Schulman, 1995), à une moins bonne santé physique ou mentale
(e.g., Peterson & Bossio, 2000), à davantage de symptômes dépressifs (e.g., Gill-
ham, Shatté, Reivich, & Seligman, 2000), et de moins bonnes stratégies de coping
116 CIPS n°93 – 2012 – pp. 103-133

chez des patients victimes d’un infarctus du myocarde (Sanjuan, Arranz, & Castro,
2011). Plus généralement, le style explicatif est associé à des variables comme
l’efficience du système immunitaire (Brennan & Charnetsky, 2000), les blessures
(Peterson, Bishop, Fletcher, Kaplan, et al., 2001), les pensées irrationnelles (Ziegler
& Hawley, 2001), la satisfaction conjugale (e.g., Fincham, 2000), la victoire poli-
tique (e.g., Zullow, 1995), et différents types d’anxiétés (e.g., Mineka, Pury, & Lu-
ten, 1995). Le style explicatif est également impliqué dans la performance sportive
(e.g., Prapavessis & Carron, 1988  ; Rettew & Reivich, 1995  ; Seligman, Nolen-
Hoeksema, Thornton, & Thornton, 1990). D’un point de vue théorique, le style
explicatif n’est pas considéré comme la cause immédiate et inévitable des prob-
lèmes, mais plutôt comme une variable distale (e.g., Peterson & Steen, 2002) ou
un facteur dispositionnel de risque (Peterson & Park, 1998). Pourtant, la plupart des
études réalisées dans ce cadre n’ont appréhendé que les corrélats du style, en ex-
aminant les liens que cette variable entretient avec d’autres comme la dépression,
la maladie ou l’échec.
Une étude a testé le caractère modulateur du style explicatif (Jackson, Sellers, &
Peterson, 2002). Les auteurs de cette étude ont pu mettre en évidence les effets né-
fastes du stress sur la maladie, alors qu’un style optimiste « immunise » l’individu de
ces conséquences délétères. Dans le domaine du sport, deux études ont – à notre
connaissance – testé le caractère distal du style. Les résultats de Martin-Krumm,
Sarrazin, Peterson et Famose (2003) montrent, qu’alors que tous les participants
ont été confrontés à une condition d’échec dans une tâche expérimentale, ceux
au style pessimiste ont connu (1) une forte baisse dans leurs attentes de réussite,
(2) une anxiété plus importante à l’approche d’une seconde passation sur la même
tâche, et (3) une stagnation de leur performance. A l’inverse, ceux au style opti-
miste ont montré une moindre baisse dans leurs attentes de réussite, une moindre
élévation de leur fréquence cardiaque, et une augmentation sensible de leurs per-
formances au second test. L’analyse des processus a confirmé le rôle médiateur des
attentes de réussite et de l’anxiété somatique, entre le style explicatif et la faculté
de rebond après échec. Une deuxième étude réalisée en Education Physique et
Sportive (EPS) (Martin-Krumm, Sarrazin, & Peterson, 2005) était destinée à éprou-
ver le caractère modulateur du style, sur une variable qui intervient fortement dans
la réussite à l’école : la compétence perçue (Pajares & Schunk, 2001). Comme dans
l’étude précédente, les auteurs ont testé l’existence de variables médiatrices entre
le style et la réussite en EPS. Conformément au modèle expectation-valeur d’Eccles
et Wigfield (2002 ; voir aussi Fontayne & Sarrazin, 2001), les attentes de réussite et
la valeur de la discipline constituent les variables les plus proximales responsables
de la réussite dans un domaine d’accomplissement. Les auteurs ont donc émis
l’hypothèse selon laquelle le style explicatif interagissait avec la compétence per-
çue pour prédire à la fois les attentes de réussite et la valeur de l’EPS. En retour, ces
deux dernières variables étaient censées prédire la note obtenue par l’élève dans
cette discipline (fig. 1).
Les résultats ont révélé que pour les pessimistes, la compétence perçue a eu un
impact significatif sur la valeur de l’EPS : plus elle est faible, plus la valeur de la
L’optimisme : une analyse synthétique 117

Figure 1 : Modèle conceptuel de l’étude de Martin-Krumm, Sarrazin, et Peterson (2005)

discipline est faible. Par contraste, pour les optimistes, la compétence perçue n’a
pas d’impact significatif sur la valeur de l’EPS : une faible compétence perçue n’est
pas associée à une dévalorisation particulière de l’EPS. Il est donc vraisemblable
que la spécificité des causes évoquées par les individus optimistes pour expliquer
un échec n’affecte pas leur estime de soi (Seligman, 2008). Par conséquent, ceux-
ci n’éprouveraient pas le besoin de développer des stratégies de protection de
l’estime de soi, telle que la dévalorisation de l’activité (e.g., Harter, 1990). Concer-
nant les attentes de réussite, les résultats montrent que la compétence perçue prédit
d’autant plus fortement les attentes de réussite que le style explicatif de l’élève est
optimiste. Autrement dit, si le style n’exerce aucune influence quand la compé-
tence perçue est faible ou moyenne, les conséquences d’une compétence perçue
élevée sur les attentes de réussite sont d’autant plus fortes que l’élève est optimiste.
Enfin, les résultats de cette étude ont confirmé le caractère distal du style explica-
tif, sur la réussite en EPS. Des analyses par équations structurelles ont montré que
quand les attentes de réussite et la valeur de l’EPS sont contrôlées, le style expli-
catif n’a plus d’effet sur la note. Autrement dit, l’influence du style explicatif sur la
note s’exerce par l’intermédiaire de variables plus proximales présumées par Eccles
(e.g., Eccles & Wigfield, 2002) : les attentes de réussite et la valeur de l’activité.

2.2.4. Quelles sont les antécédents du style et comment évolue t’il ?


Il semble important à présent de s’interroger sur l’origine de cette caractéristique
personnelle. D’où provient cette manière relativement stable que les individus ont
d’expliquer les événements auxquels ils sont confrontés ? Le style est-il stable ou
susceptible d’évoluer dans le temps ? Il est possible de regrouper les antécédents
118 CIPS n°93 – 2012 – pp. 103-133

du style en trois grandes catégories : les facteurs génétiques, les expériences sin-
gulières, et les facteurs sociaux (voir Martin-Krumm & Sarrazin, 2004, pour une
revue). Selon Buchanan et Seligman (1995), il est possible qu’il puisse y avoir
une composante génétique dans la genèse du style explicatif. Toutefois, il semble
plus probable que les facteurs génétiques n’aient qu’une influence indirecte sur
le style explicatif (Peterson & Park, 1998), en prédisposant l’individu à vivre cer-
taines expériences positives ou négatives. Les qualités physiques, psychologiques,
morphologiques etc., déterminées par des facteurs génétiques, peuvent amener
les individus à faire certaines expériences heureuses ou malheureuses, qui in-
fluenceront en retour leur style. Quelles sont les conséquences d’un traumatisme
important sur le style explicatif des individus ? Les études montrent que les expé-
riences singulières telles les maladies, les traumas, les négligences ou les échecs
cuisants dans des domaines importants, peuvent avoir des conséquences sensibles
sur la genèse d’un style explicatif pessimiste (e.g., Nolen-Hoeksema, Girgus &
Seligman, 1991). Enfin, les facteurs sociaux comme les autrui significatifs (i.e.,
les personnes importantes pour l’individu comme ses parents, son/sa meilleur(e)
ami(e), les enseignants etc.) ou les médias semblent contribuer à forger un style
explicatif particulier. Selon Peterson et Park (1998) les feed-back des parents au
regard des comportements de leur(s) enfant(s) modèleraient de manière durable sa
manière d’expliquer et d’interpréter les événements auxquels il est confronté tout
au long de sa vie. Un autre type d’influence concerne l’impact de la confiance
que les autrui significatifs accordent à l’enfant. Selon Eisner (1995), un manque de
confiance de leur part peut entraîner le développement d’un style pessimiste, alors
que leur confiance entraînerait plutôt un style optimiste. Enfin, certains travaux se
sont penchés sur l’influence des médias télévisés (e.g., Hearn, 1991). Les scènes
répétées de violences dans les fictions ou les journaux télévisés, exacerberaient un
sentiment d’insécurité susceptible de générer le pessimisme (e.g., Hearn, 1991) ;
ceci d’autant plus quand les événements violents sont présentés comme durables
et omniprésents, et que les téléspectateurs sont jeunes (Peterson & Steen, 2002).
En résumé, la question des antécédents du style amène des réponses multiples.
Le style semble être le résultat de facteurs biologiques, psychologiques et sociaux,
chacun contribuant vraisemblablement à cristalliser en l’individu une manière de
percevoir le monde qui l’entoure, sans qu’il soit possible à l’heure actuelle de pré-
ciser le rôle et la nature de chacun d’entre eux. D’autre part, il est probable qu’un
processus complexe s’engage dans lequel les événements influencent autant la
construction du style, que ce dernier n’influence les événements (Peterson et al.,
1993). Le style explicatif peut donc être à la fois une cause et une conséquence
(Nolen-Hoeksema et al., 1986). Par exemple, un style explicatif pessimiste maxi-
mise la probabilité d’occurrence d’événements négatifs, qui en retour renforcent
le style pessimiste de l’individu.
Le style évolue-t-il en fonction de l’âge ? Y-a-t il des différences en fonction du sexe ?
Il semblerait que oui. Selon Nolen-Hoeksema et Girgus (1995), le style semble se
cristalliser vers l’âge de 9 ans, mais certains événements peuvent encore le faire
évoluer jusqu’à 13-14 ans. D’autre part, le style explicatif des garçons semble
L’optimisme : une analyse synthétique 119

évoluer différemment de celui des filles. Les premiers deviennent de plus en plus
optimistes après 13 ans, alors que les filles deviennent de plus en plus pessimistes
entre 11 et 13 ans, et n’évoluent plus par la suite. L’existence d’un style plus pessi-
miste (ou moins optimiste) chez les filles a été confirmée dans les domaines sportif
(Seligman et al., 1990), ou scolaire (e.g., Nolen-Hoeksema, 1987). Plusieurs hypo-
thèses ont été émises pour expliquer ces différences. Les biais évaluatifs dont sont
victimes les filles (e.g., Basow, 1986) ont été mis en cause, en particulier l’interpré-
tation de leurs succès et échecs par les autrui significatifs. Par exemple, les succès
sont davantage expliqués en termes de causes internes et stables (e.g., l’aptitude)
pour les garçons, et en termes de causes instables (e.g., l’effort, l’aide de l’entou-
rage) pour les filles. À l’inverse, les échecs sont davantage expliqués en termes
de causes instables (e.g., le manque de travail) pour les garçons, et en termes de
causes internes et stables (e.g., la manque d’aptitudes) pour les filles (e.g., Dweck,
Davidson, Nelson, & Enna, 1978). Dans le même ordre d’idée, l’attitude des pa-
rents, qui ont tendance à pousser les garçons et à freiner les filles dans leurs expé-
riences, a aussi été invoquée (e.g., Firth,1982). Enfin, la manière dont les garçons
et les filles perçoivent leurs changements morphologiques à l’adolescence peut
aussi expliquer leurs différences au niveau du style explicatif. Si les garçons ont
plutôt tendance à apprécier ces changements (le développement morphologique et
des caractéristiques sexuelles secondaires, la prise de masse musculaire etc., leur
permettant de se rapprocher des « canons » de la virilité), les filles semblent davan-
tage souffrir de la modification de leur silhouette, notamment de l’augmentation
des masses graisseuses qui les éloigne des canons en vigueur de la féminité (e.g.,
Simmons, Blyth, Van Cleave, & Bush, 1979). Cette frustration de ne pas pouvoir
contrôler les changements de silhouette qu’elles subissent (en association avec la
valeur sociale accordée à la minceur) contribue à renforcer une vision pessimiste
des événements, plus fréquente chez les filles (e.g., McCarthy, 1990).

2.2.5. Comment passer d’un style pessimiste à un style optimiste ?


Les résultats présentés ont souligné les bienfaits d’un style optimiste et les mé-
faits d’un style pessimiste pour les individus. La vie étant parsemée de succès,
mais aussi de désillusions profondes, la capacité à gérer les échecs et à repartir de
l’avant semble constitutive de la personnalité de ceux qui réussissent. Mais que
faire, lorsqu’une personne présente un style explicatif pessimiste ? Est-il possible de
« rééduquer » un tel style, afin de le transformer en style plus optimiste ?
À la différence de l’optimisme dispositionnel, dans le domaine des styles un pan
de la recherche est consacré depuis longtemps au développement de l’optimisme
chez les individus. Certaines se sont déroulées dans le cadre de programmes plus
vastes destinés à lutter contre la dépression (e.g., Jaycox, Reivich, Gillham, & Selig-
man, 1994). Des sessions d’enseignement à la Psychologie Positive, fondées aussi
sur une modification des styles, sont actuellement conduites dans des programmes
plus larges d’éducation positive à l’école (i.e., White, Levin, Randolph, Reivich, &
Layards, 2009). Différents programmes ont été mis au point. A titre d’exemples, deux
seront présentés, le Penn Resiliency Programme (PRP), et le programme SPARKS.
120 CIPS n°93 – 2012 – pp. 103-133

Le PRP se présente sous la forme d’interventions conçues pour augmenter la ré-


silience et promouvoir l’optimisme, les compétences de coping et de résolution
de problèmes. Il s’agit de permettre aux enfants  d’apprendre à identifier leurs
émotions ; la tolérance à l’ambiguïté ; à développer un style explicatif optimiste ; à
analyser les causes des problèmes, à apprendre l’empathie ; à augmenter leur auto-
efficacité ; et la façon de prendre des initiatives ou d’essayer de nouvelles choses.
Ce programme leur permet d’apprendre à remettre en cause leur style explicatif en
mettant en évidence des preuves destinées à modifier les attributions pessimistes
habituellement formulées, et en considérant ce qui est réaliste tout en évitant un
optimisme irréaliste. Le PRP est dispensé dans les classes entre les classes de CM1
et 5ème (de la 5ème à la 8ème année des écoles américaines, soit les 10-14 ans) selon
12 sessions de 90-120 minutes. Trois collectivités locales du Royaume-Uni ont éga-
lement pris l’initiative de l’instaurer pour des enfants scolarisés en 6ème (7ème année
dans le système anglais, 11-12 ans). Le développement et l’exploration scientifique
du PRP depuis plus de 16 ans lui ont conféré une base scientifique solide (Selig-
man, 2002, 2007 ; Reivich & Shatté, 2003 ; Reivich et al., 2007) qui suggère une
prévention à la fois de l’anxiété et de la dépression, ainsi que des effets à long
terme (voir Boniwell, 2011, pour une revue). Le même type de programme de
développement de la résilience a été développé pour lutter contre le stress post-
traumatique chez des soldats américains de retour du front (Casey, 2011 ; Reivich,
Seligman, & McBride, 2011).
Le programme SPARK Resilience Programm (Boniwell & Ryan, in press) a été mis
au point au Royaume-Uni. Il constitue un nouvel apport au monde de l’éducation
positive préventive. Il a été développé pour les élèves des quartiers défavorisés de
Londres Est et dispensé en ces mêmes lieux. Ce programme exploite les résultats de
recherches de quatre champs d’études : les thérapies cognitivo-comportementales,
la résilience, la croissance post-traumatique, et la psychologie positive. Formé sur
l’acronyme SPARK, il enseigne aux élèves à décomposer des situations simples et
complexes en éléments gérables. L’acronyme correspond aux éléments suivants :
Situation (Situation), pilote Automatique (Autopilot), Perception (Perception), Réac-
tion (Reaction) et Savoir (Knowledge). Les élèves apprennent comment une situa-
tion de tous les jours peut enclencher chez eux une sorte de pilote automatique
dans la manière de la gérer en termes d’émotions. Ces pilotes automatiques varient
selon les individus et les circonstances en raison de la façon dont chacun perçoit
ces situations. Nous réagissons alors à la situation et en tirons un enseignement,
c’est-à-dire que nous acquérons un savoir sur notre manière d’être, ou celle des
autres, voire des connaissances sur le monde. Afin d’aider les élèves à comprendre
ces concepts, ils sont initiés à cette méthode d’analyse des situations auxquelles
ils sont confrontés grâce à un travail imagé destiné à représenter les distorsions
courantes de la cognition et de la pensée humaines. Le programme enseigne aux
élèves comment remettre en question leur interprétation ou toute situation de vie,
comment considérer des alternatives en mettant leurs « manières de réagir stéréo-
typées » à l’épreuve, à comprendre leurs réponses émotionnelles automatiques et
apprendre à contrôler leurs réactions comportementales spontanées lorsque celles-
L’optimisme : une analyse synthétique 121

ci ne sont pas adaptées. Les élèves sont en outre initiés à des compétences relatives
à l’affirmation de soi et à la résolution de problèmes. Ils apprennent à identifier
leurs forces, les réseaux de soutien social, les sources d’émotion positive et les
expériences de résilience antérieures. L’analyse de données statistiques a montré
des scores de résilience, d’estime de soi et d’auto-efficacité significativement plus
élevés dans l’évaluation post-programme par comparaison à la mesure pré-pro-
gramme. Une diminution légèrement significative pouvait être observée au niveau
des symptômes de dépression (Boniwell et al., en préparation). C’est dans la ma-
nière d’analyser la situation qu’un travail spécifique sur l’optimisme, via justement
les styles explicatifs, est réalisé dans ce programme.
Une seconde ligne de recherche a été conduite spécifiquement au domaine de la
performance sportive. Rascle, Le Foll, et Cabagno (2009) présentent des résultats
encourageants de programmes de réattribution en termes de durée et de généra-
lisation des effets. Une troisième ligne de recherche est actuellement développée
par Laizeau, Tarquinio et Martin-Krumm (2011). Les résultats d’une étude pilote
réalisée ont révélé que le fait de stimuler le style explicatif d’athlètes grâce à un
nouveau protocole d’Eye Movement Desensitization Reprocessing (EMDR) per-
met effectivement d’en améliorer le niveau d’optimisme (Laizeau, Chakroun, &
Nousse, 2008).
Ces différents programmes, qu’ils soient conçus pour le domaine de l’école, du
travail ou du sport, permettraient d’acquérir des techniques limitant l’impact des
événements négatifs, comme par exemple les performances décevantes ou les bles-
sures, sur la vie des individus. Ces approches bénéficient d’une attention particu-
lière et ouvrent des perspectives de recherche prometteuses dans leurs applications.

2.6. La théorie des Styles Explicatifs : conclusion


La théorie des Style Explicatifs repose sur les attributions que l’individu peut être
amené à formuler de manière récurrente. Ces styles permettent à l’individu de
développer une vision du monde selon qu’il aura une manière plutôt optimiste ou
plutôt pessimiste de voir les causes des événements auxquels il est confronté. Il est
possible de mesurer les styles explicatifs et d’étudier les conséquences qu’ils ont
sur des variables cognitives, affectives ou comportementales. Certains travaux ont
permis de mettre en évidence les antécédents de cette variable de personnalité,
ainsi que de mettre au point des programmes destinés à faire passer les indivi-
dus d’un mode pessimiste à un mode optimiste. Seulement est-il pertinent de ne
raisonner qu’en termes de style optimisme ou pessimisme ? Les choses sont-elles
aussi tranchées ou est-ce qu’à l’instar du cadre de l’optimisme dispositionnel, il
est possible d’envisager qu’un individu puisse être à la fois l’un et l’autre ? Le fait
que la majorité des sujets qu’il a sollicités aient obtenu des scores positivement
et significativement corrélés avait conduit Martin-Krumm (2002) à envisager cette
hypothèse. Elle a été reprise (Martin-Krumm, Sarrazin, Peterson, & Salama-Younès,
2006), et partiellement validée (Salama-Younès, Martin-Krumm, Le Foll, & Ron-
cin, 2008). Selon cette hypothèse, des individus pourraient présenter des scores
élevés aux deux sous-échelles composant l’échelle de mesure du style explicatif,
122 CIPS n°93 – 2012 – pp. 103-133

qu’elle soit spécifique au contexte sportif ou à tout autre contexte (ÉSMSE ; Martin-
Krumm, Sarrazin, Fontayne, & Famose, 2001  ; QEMEE-R ; Salama-Younès et al.,
2008). Les individus peuvent également obtenir des scores faibles aux deux sous-
échelles, ou des scores élevés à l’une et faible à l’autre. Par conséquent, il serait
possible de relever quatre profils au lieu des deux plus communément admis dans
la littérature. Cela impliquerait donc qu’un style optimiste relèverait à la fois de
la présence de l’optimisme et de l’absence du pessimisme, et vice et versa, mais
que deux autres profils puissent être considérés. Ainsi, des études expérimentales
pourraient avoir pour objet de tester les effets de ces quatre profils sur différents
types de variables, qu’elles soient cognitives, affectives ou comportementales, ce
qui permettrait d’apporter des éléments de réponse aux questions posées par Peter-
son sur ce qu’est l’optimisme (2006, p. 124). Par ailleurs, le style explicatif était
envisagé sous l’angle d’une variable plutôt générale, or de récentes propositions
tendent plutôt à considérer qu’il pourrait s’agir d’une variable de personnalité qui
serait hiérarchiquement organisée comme cela a été proposé (e.g., Martin-Krumm
& Le Foll, 2005 ; Martin-Krumm et al., 2006) et démontré (Martin-Krumm & Sa-
lama-Younès, 2008). Cette hypothèse mérite à son tour d’être vérifiée en raison
des implications pratiques qu’elle pourrait présenter notamment dans le cadre des
programmes destinés à développer un style optimiste. En effet, il serait dès lors
possible d’envisager un pouvoir de généralisation des styles optimistes propres à
certains contextes. Leurs effets pourraient se faire ressentir dans d’autres contextes
dans lesquels la personne serait susceptible d’avoir un style plus pessimiste. Une
autre voie serait alors ouverte dont les effets seraient eux aussi à tester. Pour finir,
les devis expérimentaux ont surtout eu pour objet de tester les effets des styles lors
de situations d’échec. Leurs effets mériteraient d’être également étudiés en situa-
tion de réussite afin de tester leur impact sur les personnes. Vont-elles par exemple
toutes revoir leurs attentes de réussite à la hausse ou seules les personnes optimistes
vont-elles se montrer plus ambitieuses ? Observera t’on des effets sur l’anxiété ? Sur
la performance ?

3. Discussion générale
Qu’est-ce que l’optimisme ? Comment le mesurer ? Quelles sont ses consé-
quences et comment peut-il être impliqué dans des processus affectant des va-
riables cognitives, affectives ou comportementales ? Quels sont ses antécédents ?
Comment le modifier ? L’objet des cadres théoriques proposés et des études évo-
quées dans les conceptions directes et indirectes était d’apporter des éléments
de réponse à ces questions. Mais il est difficile de conclure. Comme cela a déjà
été évoqué, l’optimisme est-il vraiment « un construit velcro » (Peterson, 2000,
2006) auquel tout s’accroche sans que l’on sache toujours bien pourquoi ? Fait-il
partie de la nature humaine à l’instar des propositions de Taylor et Brown (1988)
ou plus récemment de Sharot (2011) pour qui il pourrait relèver d’un biais nous
poussant à voir les choses en rose, sortes d’illusions positives aussi signe de bien-
être ? Fait-il plutôt partie des conséquences de facteurs biologiques comme cela a
été proposé par Tiger (1979) ? Est-il plutôt une stratégie destinée à nous permettre
de nous présenter sous notre meilleur jour ? Toutes ces questions trouvent des
L’optimisme : une analyse synthétique 123

éléments de réponse au fur et à mesure que des études sont élaborées à l’instar
de celles qui ont été évoquées.
Toutefois, les différentes questions que pose ce construit trouvent aussi des éclai-
rages nouveaux au fil des recherches qui sont réalisées. Celles de Tali Sharot ac-
créditent par exemple la thèse de l’implication d’un facteur neuro-physiologique.
Pourquoi les personnes espèrent-elles vivre plus longtemps que la moyenne de
la population, sous-estimer le risque de divorce les concernant, surestimer leurs
chances de réussite sur le marché de l’emploi ? Il pourrait y avoir un biais d’opti-
misme dû à la chimie dans l’implication des cortex cingulaire et antérieur rostral,
d’une partie du cortex frontal lié à la régulation des réactions émotionnelles, et de
l’amygdale (Sharot, Riccardi, Raio, & Phelps, 2007). L’activité dans ces zones parti-
culières reflèterait une attitude optimiste (Schacter & Addis, 2007). Les résultats ont
permis de mettre en évidence que les individus les plus optimistes connaissaient
un niveau d’activation de ces zones plus élevé lorsqu’elles imaginaient des événe-
ments futurs positifs que lorsqu’elles imaginaient des événements futurs négatifs.
Ces résultats montrent que les zones impliquées dans les réactions émotionnelles
voient leur niveau d’activité réduit quand les personnes pensent de manière né-
gative à leur futur, mais qu’elles sont activées en synergie quand elles pensent
de manière positive, les effets étant plus marqués chez les optimistes. Les mêmes
zones seraient impliquées à la fois dans la fonction mnésique, et dans la simulation
d’événements futurs en termes de planification et de prédictions (i.e., Gilbert &
Wilson, 2007 ; Schacter, Addis, & Bruckner, 2007). Ces résultats sont prometteurs
et apportent un éclairage nouveau justifiant la volonté de l’International Positive
Psychology Association de développer l’apport des Neurosciences dans les thèmes
abordés par la Psychologie Positive (Philadelphie, juin 2009).
Mais ces résultats, aussi prometteurs soient-ils, posent également le problème
du développement de l’optimisme. En effet, s’il est sous le contrôle de proces-
sus neuro-physiologiques, alors dans quelle mesure l’acquisition par l’individu de
techniques ou d’habiletés destinées à développer son niveau d’optimisme est elle
efficace ? Faut-il envisager des traitements pharmacologiques ? Faut-il forcément
associer les facteurs physiologiques et psychologiques ? Les premiers sont-ils sous
contrôle du second ou inversement ?
Compte tenu de son impact sur les différentes variables qui ont été abordées, le
concept d’optimisme a donc généré un intérêt pour la recherche dans le secteur de
la personnalité, dans les secteurs social, de l’éducation, du sport ou de la psycho-
logie de la santé (e.g., Norem, & Cantor, 1986a ; Peterson, Seligman, & Vaillant,
1988, Weinstein, 1980). Seulement être optimiste peut aussi être intéressant pour
se présenter sous son meilleur jour. Du coup, comment le fait de sembler optimiste
peut-il être perçu par les autres personnes ? Selon Le Barbenchon et Milhabet
(2007), il est question de désirabilité sociale.
Une dernière question a attiré l’attention des chercheurs. Peut-on observer des
différences de niveau d’optimisme en fonction des cultures ? Les populations de
l’Ouest sont-elles plus optimistes ou plus pessimistes que celles de l’Est ? Est-
124 CIPS n°93 – 2012 – pp. 103-133

ce qu’il y a des différences en fonction de l’origine ethnique ? De nombreuses


études s’appuyant sur les deux cadres théoriques présentés ont été réalisées. A titre
d’exemples, Chang (2001b) a mis en évidence des différences significatives entre
des nord américains d’origine européenne et d’autres d’origine asiatique en termes
de niveau d’optimisme dispositionnel et de pessimisme. Ce résultat a été répli-
qué en comparant le niveau d’optimisme dispositionnel d’étudiants américains et
d’étudiants jordaniens (Khallad, 2010). Celui des premiers s’est révélé être supé-
rieur à celui des seconds. Dans une autre étude, You, Fung et Isaacowitz (2009)
ont comparé les scores obtenus en termes d’optimisme dispositionnel chez des
participants américains et chinois, jeunes et plus âgés. Leurs résultats ont révélé
que les américains plus âgés obtenaient un niveau d’optimisme supérieur à celui
des américains plus jeunes, alors que chez les participants chinois, les résultats ont
montré des résultats inverses. La question de différences entre les cultures a égale-
ment été explorée dans le domaine des styles explicatifs. En ayant recours à l’ana-
lyse de contenu, Oettingen et Seligman (1990) ont par exemple pu montrer que les
habitants de Berlin Est révélaient un niveau de pessimisme supérieur en termes de
style explicatif que ceux de Berlin Ouest (voir Satterfield, 2000, pour une revue).
Lee et Seligman (1997) ont montré pour leur part qu’il y avait des différences dans
les niveaux d’optimisme et de pessimisme entre occidentaux et orientaux, notam-
ment entre des américains blancs et d’autres d’origine asiatique. Les différences
inter-culturelles se révèlent très fructueuses en termes de recherches potentielles.

4. Le futur de l’optimisme
L’optimisme n’est pas que la confiance en l’avenir, il peut être stratégique mais il
ne se limite pas non plus à cela. Il peut dépendre du type de buts fixés. La manière
dont la personne explique ce qui lui arrive, surtout si ces manières sont récurrentes,
peut également intervenir dans la définition de l’optimisme. Des facteurs neuro-
physiologiques peuvent être impliqués, mais pour la personne, il peut aussi refléter
une manière de se présenter aux autres. Il est possible que l’optimisme fluctue
selon les moments et selon les contextes. Il se révèle être un construit complexe. Il
est possible que des individus soient à la fois optimistes et pessimistes, ou ni l’un ni
l’autre. Selon l’approche, des stratégies peuvent être disponibles pour l’entretenir
ou en modifier le niveau. L’optimisme a un impact sur un ensemble de variables,
qu’elles soient cognitives, affectives, ou comportementales, dans les domaines de
la santé, du travail, de l’école, des relations sociales, etc. En revanche, s’il présente
de nombreux avantages, des inconvénients ont également été mis en évidence.
L’optimisme peut révéler un côté plus obscure, en reprenant les termes de Dillard,
Midboe et Klein (2009). En effet, les résultats d’une étude qu’ils ont réalisée ont per-
mis de mettre en évidence que l’optimisme, quand il est irréaliste, pouvait conduire
des étudiants à adopter des conduites à risque pour leur santé, notamment en
termes de consommation d’alcool. L’optimisme est l’une des variables faisant l’ob-
jet de recherches dans le domaine de la psychologie positive, qu’elle soit envisagée
comme force ou comme élément impliqué dans des processus plus complexes liés
au bonheur ou à la résilience par exemple (voir Gaucher, 2010 ; ou Martin-Krumm
& Tarquinio, 2011). Mais est-il une solution à tous les maux ? Permet-il d’expliquer
L’optimisme : une analyse synthétique 125

pourquoi les uns sont heureux et d’autres pas ? Certains en bonne santé et d’autres
pas ? Capables de faire preuve de résilience ou pas ? Masque t’elle une autre va-
riable ? Une variable physiologique ? On a vu que l’optimisme ne garantissait pas le
succès ou la réussite, ni le pessimisme l’échec et le désespoir. Des recherches sont
donc encore nécessaires afin d’apporter des réponses à ces questions explicites et
à celles qui sont sous-jacentes, ainsi que pour mettre en évidence les processus
dans lesquels il est impliqué. Pour finir, la question de l’utilité de l’optimisme n’a
pas été posée. Quelle réponse apporter ? A priori, compte tenu des nombreuses
conséquences positives sur le bonheur, le bien-être, la santé, la performance, etc.,
grande est la tentation de considérer qu’il est très utile de l’être. Mais jusqu’à quel
point ? En effet, le pessimisme n’est pas forcément associé à de moins bonnes
performances. Par contre, dans les trois études qu’ils ont réalisées, Helweg-Lar-
sen, Sadeghian, et Webb (1999) ont pu mettre en évidence un phénomène de
rejet social lié au niveau de pessimisme des personnes. Alors jusqu’à quel point
être pessimiste ? Là aussi, l’identification de ce point d’équilibre va nécessiter des
investigations complémentaires. Au final, optimisme et pessimisme, lorsqu’ils sont
évoqués dans les médias, révèlent effectivement une bien plus grande complexité
que l’on pouvait penser au premier abord. 

Note
1. Dans des articles empiriques et théoriques (e.g., Abramson, Metalsky, & Alloy, 1989 ; Dy-
kema, Bergbower, Doctora, & Peterson, 1996 ; Peterson, 1991 ; Peterson, Bishop, Fletcher,
Kaplan, et al., 2001 ; Peterson & Vaidya, 2001), la dimension internalité a progressivement
été délaissée car sa mesure semble moins fiable, et ses corrélats (avec les expectations par
exemples) moins consistants, que ceux obtenus avec la stabilité ou la globalité.
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“ Le Fil d’Ariane : un outil favorisant la
résilience en réadaptation

Jocelyn Chouinard*, Gabriel G.
Mélançon** et Lucie Mandeville**
* Centre de réadaptation Estrie

** Département de psychologie, Université


de Sherbrooke, Québec, Canada
Concept fort de la psychologie positive, Key concept of positive psychology,
la résilience est le résultat d’un processus resilience is the result of an adaptative
adaptatif d’une personne qui maintient un process of a person who maintains
niveau de fonctionnement relativement stability and healthy functioning after
stable et sain après avoir été exposée à having been exposed to adversity. This
l’adversité. Deux facteurs clés favorisent paper explores two key factors related
la résilience : la spiritualité et la recherche to resilience: spirituality and search for
de sens. Dans le prolongement des meaning. In the wake of some recent
études récentes sur le sujet, le Centre studies on the subject, the Centre de
de réadaptation Estrie s’est intéressé à la réadaptation Estrie is interested in the
résilience chez les patients ayant vécu un patient’s resilience following traumatism
traumatisme. Adhérant à la philosophie from a car accident.  Wondering how
Planetree, le Centre de réadaptation Estrie to integrate resilience into its current
s’est s’interrogé sur la façon d’intégrer la intervention strategies, the Centre de
résilience dans ses modes d’intervention Réadaptation Estrie created a tool called
actuels. Cela l’a amené à construire “Fil d’Ariane”, whose purpose is to
un outil, le Fil d’Ariane permettant de bring meaning to the patient’s life and to
donner un sens à la trajectoire de vie du orient the rehabilitation’s objectives. “Fil
patient, afin d’orienter ensuite ses objectifs d’Ariane” is an interview guide inspired
de réadaptation. Ce guide d’entrevue by the narrative approach and based on
s’inspire de l’approche narrative, en spirituality and search for meaning. This
privilégiant la spiritualité et la recherche article talks about resilience and presents
de sens. Cet article discute de la résilience the tool “Fil d’Ariane”.
et présente le Fil d’Ariane.

La correspondance pour cet article doit être adressée à Lucie Mandeville, Département
de psychologie, Faculté des lettres et sciences humaines, Université de Sherbrooke, 2500
boulevard Université, Sherbrooke, Québec Canada, J1K-2R1. Courriel : <Lucie.mandeville@
usherbrooke.ca>.
137

D
Le Fil d’Ariane

Depuis la fin des années 90, la psychologie positive s’intéresse à un sujet depuis long-
temps négligé en se posant des questions au sujet du «meilleur» chez les personnes
(Joseph & Linley, 2005). Sans négliger l’apport des études sur la maladie mentale et
l’intervention curative, elle prétend qu’il est nécessaire de revisiter l’ensemble des
domaines (neuropsychologie, psychologie du développement, psychologie sociale,
etc.) de la discipline afin de favoriser une compréhension plus complète et intégrée
de l’expérience humaine (Seligman, 2002). Cette perspective « positive » permet de
prévenir et de traiter différentes problématiques psychologiques, mais plus encore,
elle permet de favoriser la croissance des personnes et des communautés. Partant de
l’étude des gens sains, créatifs et productifs elle propose d’apprendre quoi « faire »
au lieu de se demander quoi « ne pas faire » (Quale & Shanke, 2010).

1. La résilience
Plusieurs études ont été conduites afin de décrire et de comprendre les aptitudes
qui contribuent au bien-être psychologique, notamment comment des personnes
ayant fait face à l’adversité continuent de s’épanouir (Ehde, 2010). En ce sens, la
résilience est considérée comme une force positive et elle représente un concept
central de la psychologie positive (Linley & Joseph, 2004; Pan & Chan, 2007; Yates
& Masten, 2004)1.
L’étude de la résilience s’est initialement penchée sur les enfants à risque de déve-
lopper une psychopathologie suite à des conditions défavorables en termes d’héri-
tage biologique, de conditions périnatales, d’environnement ou de circonstances
(Richardson, 2002). Les chercheurs ont été surpris de constater que la plupart de ces
enfants se développaient relativement bien malgré les conditions d’adversité (Mas-
ten, Cutuli, Herbers, & Reed, 2009), suggérant qu’ils soient « invulnérables » ou «
résilients ». De nombreuses recherches ont été conduites sur le sujet permettant de
conclure que la résilience n’est pas l’exception, mais plutôt la norme chez les enfants
qui font face à l’adversité (Bonanno, 2004). Devenu un domaine largement étudié en
psychologie, elle s’est ensuite intéressée au même phénomène chez l’adulte.

1.1. La définition de la résilience


Plusieurs auteurs s’entendent pour dire que la résilience est le résultat d’un pro-
cessus adaptatif (Kent & Davis, 2010). Selon ces auteurs, ce processus adaptatif est
composé d’une interaction dynamique positive entre différentes caractéristiques
individuelles (flexibilité cognitive, altruisme, spiritualité, recherche de sens, etc.) et
des conditions externes favorables (support des pairs, programmes sociaux, institu-
tions religieuses, etc.). Présentée plus loin, l’histoire de Mathilda illustrera l’impor-
tance du soutien affectif dans l’émergence et le développement de la résilience.
De plus, il est précisé que les caractéristiques individuelles ne sont pas fixes, mais
peuvent plutôt être apprises et développées (White, Drive, & Warren, 2008).
La résilience signifie qu’une personne ayant été exposée à l’adversité peut mainte-
nir un niveau de fonctionnement relativement stable et sain (Bonanno, 2004). Une
personne qui fait preuve de résilience n’est pas à l’abri d’une certaine forme de
138 CIPS n°93 – 2012 – pp. 135-157

détresse (Quale & Schanke, 2010), elle peut vivre un déséquilibre face à l’adversité
qui demeure toutefois transitoire. D’autre part, une personne résiliente dans une
situation adverse peut ne pas l’être dans une autre, ou pour la même situation sur-
venant à un autre moment de sa vie (Lepore & Revenson, 2006).
L’adversité est ici définie comme une situation stressante et perturbatrice (Quale
& Schanke, 2010), aussi appelée «événement traumatisant » (Bonanno, 2004).
L’éventail de situations est très large, comme l’indiquent Yates et Masten (2004),
elles peuvent être ponctuelles et aigues (ex : désastre naturel, viol) ou chroniques
(ex : abus sexuels répétés, pauvreté). Elles peuvent provenir de l’environnement
(ex : décès d’un enfant, situation de guerre) ou survenir chez la personne (ex :
cancer, handicap physique). Par ailleurs, Janoff-Bulman (2006) propose l’idée
qu’une expérience d’adversité ne serait pas déterminée en fonction de l’ampleur
des conséquences externes et observables qu’elle a sur la personne et sur son envi-
ronnement, mais plutôt sur la désorganisation de ses schémas fondamentaux, c’est-
à-dire ce qui constitue la façon dont elle se représente le monde et elle-même.
Le concept de résilience ne doit pas être confondu avec un autre qui lui est proche:
la récupération. Bonanno (2004) précise que la récupération constitue une étape
du processus d’adaptation, alors qu’une personne constate que son fonctionne-
ment normal est altéré suite à l’adversité, la conduisant à vivre une certaine forme
de dysfonction. Cet état demeure ainsi durant un certain temps jusqu’à ce que la
personne retrouve son état psychologique initial précédant l’événement. À cette
différence près, la résilience empêche non seulement d’éprouver une dysfonction
psychologique, mais permet de vivre des émotions positives et des expériences
satisfaisantes. De plus, la personne intègre l’événement adverse dans ses schémas
fondamentaux de manière à éviter la désorganisation.
Une personne confrontée à l’adversité peut non seulement faire preuve de rési-
lience, elle peut se servir de cette occasion pour améliorer son fonctionnement
psychologique à un niveau supérieur à ce qui prévalait avant l’événement (Linley et
Joseph ; 2004). Ce phénomène appelé la croissance post-traumatique correspond
à une reconfiguration positive et améliorée des cognitions, des croyances et des
comportements en réaction à l’adversité (Ehde, 2010; Lepore & Revenson, 2006;
Tedeschi & Calhoun, 2004). Quoique la résilience se distingue généralement de
la croissance post-traumatique, Lepore et Revenson (2006) prétendent que cette
dernière est un type de résilience, car la reconfiguration schématique positive qui
survient alors permet à la personne de s’adapter à l’adversité.
Selon Ehde (2010), la croissance post-traumatique peut se manifester par une plus
grande appréciation de la vie, une redéfinition des priorités, un approfondissement
des relations interpersonnelles significatives, ainsi qu’un changement positif sur le
plan spirituel et la découverte d’un nouveau sens à sa vie. Ces deux derniers fac-
teurs sont très importants lorsqu’il est question de résilience.
Le Fil d’Ariane 139

1.2. La spiritualité et la recherche de sens


Par l’étude de la résilience, la psychologie positive veut mieux comprendre com-
ment une personne peut dépasser l’adversité en s’appuyant sur ce qu’il y a de
mieux chez elle-même. Il ne s’agit pas seulement de savoir ce que celle-ci ne
doit « pas faire » pour éviter d’être malade, mais aussi de savoir ce qu’elle peut
« faire » pour être en santé psychologique (Dunn, Uswatte, & Elliott, 2009). Pour
le découvrir, il importe de considérer deux éléments clés de la résilience et la
croissance post-traumatique qui sont intimement liés l’un à l’autre: la spiritualité et
la recherche de sens.
La spiritualité est définie comme une démarche visant à attribuer un sens aux dif-
férents aspects qui constituent la vie quotidienne (Vrklja, 2000). Au cours sa vie,
la personne est ainsi amenée à construire une représentation de son monde et
d’elle-même, et ce, au fur et à mesure qu’elle vit ses expériences personnelles
(Janoff-Bulman, 2006). Bien que la spiritualité et la religion puissent se manifester
en parallèle, il faut toutefois les distinguer. Vrkljan (2000) précise que la religion fait
référence à des pratiques liturgiques officielles fondées sur des croyances partagées
par les personnes y adhérant. Contrairement à la spiritualité, la religion serait plutôt
institutionnelle et moins liée à une démarche personnelle et subjective.
La spiritualité joue un rôle important dans des situations d’adversité et elle est pro-
pice à l’amélioration du mieux-être (Elkins, 1995). En ce sens, elle est considérée
comme un facteur de résilience (Pargament, Desai, & McConnell, 2006). La spiri-
tualité peut être vue comme une dimension favorisant directement l’interprétation
des situations traumatisantes, en leur donnant une cohérence qui pouvait échapper
sur le coup à la personne (Peres, Moreira-Almeida, Nasello, & Koenig, 2007). Gal-
lagher (1999) précise que les situations d’adversité ébranlent les représentations
initiales du monde et de la personne, ce qui la laisse avec une impression de désor-
ganisation interne. Afin de retrouver sa cohérence, elle recherche un sens nouveau
à son existence et renforce en retour la dimension spirituelle de sa vie.
Comment la spiritualité peut-elle contribuer à dépasser les impacts négatifs d’un
événement traumatisant ? Essentiellement, en misant sur la recherche de sens qui
permettrait un meilleur ajustement face à l’adversité (Johnson, 2010).
Steger (2009) définit la recherche de sens comme une démarche visant à trouver
une utilité, une mission, un but ou une importance à son existence. Comme le
propose Frankl (1967 ; 2006), de façon générale, la recherche de sens est à la base
même de la motivation quotidienne à agir. La personne est motivée par le désir de
trouver un sens à ses différentes expériences, activités, occupations ou relations
avec les autres. Autrement, elle serait amenée à se désengager et éventuellement à
développer un trouble psychologique. Par exemple, selon Keesee, Currier et Nei-
meyer (2008), les parents ayant trouvé aucun ou peu de sens à la mort de leur
enfant seraient ceux qui rapportent la plus grande détresse.
À l’opposé, les patients2 ayant subi eux-mêmes un traumatisme qui trouvent un
sens à leur « nouvelle » existence seraient éventuellement plus heureux et satis-
140 CIPS n°93 – 2012 – pp. 135-157

faits, auraient un plus grand sentiment de contrôle sur leur vie, seraient plus enga-
gés dans leur travail, éprouveraient moins d’émotions négatives, de dépression,
d’anxiété, d’idéations suicidaires, feraient moins d’abus de substance et auraient
un moins grand besoin de psychothérapie (Steger, 2009). Des études récentes sur
la résilience peuvent expliquer pourquoi il en est ainsi.

1.3. Les études sur la résilience en réadaptation


Dans le domaine de la réadaptation, Quale et Schanke (2010) ont identifié un
manque d’études sur les trajectoires d’adaptation. C’est dans cette optique qu’ils
ont conduit une recherche visant à estimer la prévalence de différentes trajectoires,
soit celle de la résilience, de la récupération, ou, au contraire de la détresse chez
les patients bénéficiant d’une réadaptation suite à une blessure sévère.
Quatre-vingt patients âgés entre 16 et 68 ans ont été recrutés. Ces derniers souf-
fraient de traumas multiples, de blessures à la colonne vertébrale ou des deux.
Afin de classer les patients selon une des trois trajectoires (résilience, récupéra-
tion, détresse), les chercheurs ont d’abord procédé à des entrevues semi-structu-
rées visant à obtenir une vision globale de la situation de chaque participant, en
plus d’obtenir des variables démographiques, dont l’âge, le sexe, le statut civil, le
niveau d’éducation, ainsi que le statut professionnel. Ensuite, les chercheurs ont
administré des questionnaires standardisés. Chaque questionnaire suivant - Im-
pact of Event Scale-Revised (symptômes du TSPT), Anxiety and Depression Scale
(symptômes d’anxiété et de dépression), Positive Affect and Negative Affect Sche-
dule (présence d’affects positifs et négatifs), Life Orientation Test-Revised (niveau
d’optimisme/pessimisme) - a été administré entre une et trois semaines après
l’admission aux soins (ou dès que la condition physique du patient le permettait),
puis à la dernière semaine du traitement.
La classification obtenue a été déterminée selon la définition de chaque concept.
Ainsi, la résilience a été conceptualisée en fonction d’un bas niveau de détresse et
un haut niveau d’affects positifs, tant à l’admission qu’au terme du traitement. La
récupération a été définie en fonction d’une baisse de détresse ou de l’amélioration
des affects positifs, entre le premier et le dernier temps de mesure. La détresse a été
opérationnalisée en fonction d’un haut niveau de détresse, plusieurs affects négatifs
ou un bas niveau d’affects positifs, autant à l’admission qu’à la fin du traitement.
Quale et Shanke (2010) ont observé que la trajectoire la plus commune était la
résilience, pour 54 % des patients contre 25% qui répondaient aux critères de la
récupération et 21% à ceux de la détresse. Toutefois, les chercheurs notent des
difficultés à la conceptualisation des différentes trajectoires, notamment celle de
la résilience. Comme ils l’indiquent, il pourrait être pertinent de reconduire des
études similaires en utilisant un outil de mesure spécifique au concept de rési-
lience. Cela s’avère d’autant plus pertinent que la résilience ne se limite pas qu’à
l’absence de symptômes (Bonanno, 2004) et qu’elle peut être marquée par une
détresse transitoire.
Le Fil d’Ariane 141

Une autre étude de White, Driver et Warren (2010) a cherché à identifier les chan-
gements sur le plan de la résilience durant le processus de réadaptation de patients
ayant subi des blessures à la colonne vertébrale. Diverses variables spécifiques
d’ajustement ont été étudiées et mises en relation : les symptômes dépressifs, la
satisfaction par rapport à la vie, la spiritualité et l’autonomie fonctionnelle.
Quarante-deux participants âgés entre 16 et 60 ans ont été recrutés. Tous avaient
subi une blessure à la colonne vertébrale suggérant qu’ils ne pourraient plus mar-
cher au terme du traitement. Des questionnaires ont été administrés à la première
semaine d’admission, à la troisième semaine après l’admission, et à la dernière
semaine du traitement : le CD-RISC pour évaluer la résilience ; le Patient Health
Questionnaire (symptômes dépressifs), le SWLS (composantes cognitives du bien
être subjectif ; satisfaction par rapport à la vie), le Functional Independance Mea-
sure (niveau de capacités fonctionnelles des patients en réadaptation), et le ISS
(spiritualité).
Au terme du traitement, le niveau de résilience des participants n’avait pas changé.
White et al. (2010) expliquent ce résultat parce qu’aucune intervention spécifique
durant le processus de réadaptation ne visait le développement de la résilience.
De plus, ils précisent que le CD-RISC est généralement utilisé pour évaluer l’état
de résilience des patients au cours du dernier mois. Étant donné les mesures prises
aux trois semaines, il se peut que le test n’ait pas été suffisamment sensible pour
identifier un changement significatif dans cet intervalle. Néanmoins, des résultats
positifs ont été observés pour chacune des autres variables d’ajustement, soit une
diminution des symptômes dépressifs, une plus grande satisfaction face à la vie,
une augmentation de l’autonomie fonctionnelle ainsi qu’une plus grande place
accordée à la spiritualité.
D’autre part, cette recherche démontre une relation notable entre la résilience et
la spiritualité ; plus les patients font preuve de résilience, plus leur niveau de spi-
ritualité est élevé, vice versa. Ce résultat supporte l’idée selon laquelle la spiritua-
lité est un facteur de la résilience (Peres & Moreira-Almeida, 2007). Toutefois, les
chercheurs ont remarqué un accroissement de l’importance de la spiritualité en
début de traitement, puis un retour au niveau précédent au terme du traitement. Il
semble qu’en étant confronté à l’adversité, la dimension spirituelle chez un patient
puisse s’élever puis revenir au niveau initial (Hodge ; 2003). White et al. (2010)
suggèrent alors de développer des interventions visant à promouvoir la spiritualité
chez les patients atteints d’un handicap permanent, afin de favoriser positivement
le processus de réadaptation.
Considérant la notion de spiritualité intimement liée à la notion de recherche de
sens, il est pertinent de citer l’étude de Keesee, Currier et Neimeyer (2008). Ces
chercheurs se sont intéressés à l’impact de la recherche de sens chez des parents
suite à la mort de leur enfant. Cent cinquante sept parents endeuillés ont été éva-
lués à l’aide des instruments suivants : le Core Bereavement Items (questionnaire
mesurant les éléments personnels, cognitifs et émotionnels du deuil sain) et l’Inven-
tory of Complicated Grief (questionnaire évaluant les réactions mésadaptées du
142 CIPS n°93 – 2012 – pp. 135-157

deuil). La recherche de sens et la recherche de gains ont été évaluées à partir d’une
question de type qualitatif (question ouverte) et d’une mesure quantitative à l’aide
d’une échelle de type Likert.
Cette recherche conclut que la capacité de donner un sens à un tel événement trau-
matisant est de loin le plus grand prédicteur du niveau d’adaptation. Sans toutefois
être capable de démontrer que la recherche de sens favorise le deuil des parents, elle
révèle que les parents ayant été incapables de donner un sens (30 % des participants)
ou très peu de sens (17 %) à la mort de leur enfant rapportent une détresse plus
intense que les autres participants.
Dans cette optique, Chan, Chan et Ng (2006) ont proposé un programme d’interven-
tion dont le but est de favoriser la recherche de sens et l’identification de forces chez
des personnes atteintes d’une maladie. Le programme nommé Strength-focused and
meaning-oriented Approach to Resilience and Transformation (SMART) se distingue
des procédés orientés vers la pathologie par l’accent mis sur la résilience et la crois-
sance post-traumatique. Il consiste en une approche multimodale guidée par le prin-
cipe que la personne est formée d’une synthèse du corps et de l’esprit. Les patients
sont amenés à rechercher du sens à leur expérience grâce à l’enseignement spirituel
issu des traditions orientales. De plus, une version simplifiée de différentes pratiques
(ex : Tai-chi, Yoga, etc.) leur permet de s’exprimer physiquement, de réduire leur
stress et de redonner un sentiment de contrôle sur leur corps. Ensuite, la psychoé-
ducation est utilisée afin de favoriser la résilience et la croissance post-traumatique,
notamment par l’identification de leurs forces, la compréhension de la relation entre
la spiritualité et le bien-être, l’appréciation des petits bonheurs quotidiens, ainsi que
le développement de la compassion envers eux-mêmes et les autres. Enfin, le pro-
gramme propose aux patients d’explorer leur histoire de vie afin de se remémorer
leurs anciens rêves et buts, d’identifier les différents épisodes où ils ont fait preuve de
résilience, ainsi que leurs exploits et victoires personnelles. Cet aspect du programme
accroît la confiance en leurs capacités à affronter l’adversité. Dans l’étude que les
chercheurs ont réalisée, la recherche de sens a été envisagée comme une stratégie
d’adaptation, mais aussi comme une voie à la croissance.
Afin de vérifier l’efficacité de leur programme, les chercheurs ont conduit une
recherche auprès de 24 patients chinois souffrants du syndrome respiratoire aigu
sévère (SRAS) qui ont suivi le programme durant une journée. Quoiqu’il s’agisse
d’un petit échantillon, les résultats préliminaires ont permis de constater que l’état
psychologique des patients s’était amélioré et maintenu ainsi même après un mois
grâce au programme. Par ailleurs, ce programme développé pour une culture orien-
tale s’appuie sur des pratiques bouddhistes ou confucianistes qui sont plus ou moins
accessibles à notre culture occidentale. De plus, il semble y avoir une ambiguïté sur
la durée du programme ; il n’est pas clair qu’il soit appliqué sur une durée d’une
journée ou au cours d’une période de six semaines. Malgré le manque de support
empirique, le programme SMART montre que des efforts déployés pour favoriser la
résilience, et plus spécifiquement la recherche de sens, chez une population clinique
québécoise peuvent être bénéfiques. C’est le but du Fil d’Ariane.
Le Fil d’Ariane 143

2. Le Fil d’Ariane : un outil pour soutenir la résilience en réadaptation


En faisant émerger les dimensions porteuses de sens de son existence, le Fil d’Ariane
vise à favoriser la résilience du patient admis au Centre de réadaptation Estrie.

2.1. Le Centre de réadaptation Estrie


Le Centre de réadaptation Estrie est un établissement public dont le mandat est de
donner des services d’adaptation, de réadaptation et d’intégration sociale à des
personnes qui ont des incapacités découlant d’une déficience physique congéni-
tale ou acquise. Établi depuis plus de 30 ans à Sherbrooke, agglomération québé-
coise de près de 200000 habitants, il dessert une clientèle composée d’enfants et
d’adultes et leur offre la possibilité de demeurer actifs et impliqués dans leur milieu
de vie.
Vers la fin des années 90, le Centre de réadaptation Estrie a traversé une période
intense de remise en question suite à des années de gestion centrée sur des préoc-
cupations administratives, au détriment des ressources humaines et des services à
la clientèle. Forcée par son personnel de revoir ses valeurs et ses façons de faire, la
direction entreprend alors un virage majeur visant à revaloriser la qualité des rela-
tions interpersonnelles. S’appuyant sur le postulat que des employés qui se sentent
bien dans leur milieu de travail offrent des services de meilleure qualité à leurs
patients, les dirigeants choisissent d’implanter une philosophie de soins favorisant
le mieux-être et la santé globale de la clientèle et du personnel : la philosophie
Planetree.

2.2. Planetree
Mis sur pied aux États-Unis au début des années 1980, Planetree est un organisme
qui fait la promotion d’une philosophie intégrée de soins et de gestion dans les
milieux hospitaliers. Appliquée principalement aux États-Unis, mais aussi dans
quelques établissements à travers le monde, elle met de l’avant des pratiques axées
sur la dignité, la bonté et la compassion, non seulement dans les soins offerts aux
patients et à leurs familles, mais aussi dans les relations avec les employés. L’ap-
proche globale de soins centrée sur le patient se préoccupe de ses dimensions
physique, psychologique, spirituelle et sociale en :
– valorisant les interactions entre elles;
– impliquant la famille du patient et son réseau social ;
– informant et éduquant le patient sur sa condition de santé ;
– créant des espaces physiques favorisant la santé et le bien-être des personnes ;
– offrant des aliments aux propriétés nutritives saines ;
– faisant place aux arts dans les approches de soins ;
– offrant la possibilité de thérapies complémentaires ;
– accordant de l’importance au toucher dans la relation thérapeutique ;
– donnant de l’importance aux ressources intérieures (spiritualité) dans le traitement ;
– impliquant la communauté environnante.
144 CIPS n°93 – 2012 – pp. 135-157

Une étude indépendante (Stone, 2008) réalisée en 2008 dans des hôpitaux amé-
ricains révélait que le modèle Planetree avait des impacts positifs non seulement
sur l’expérience de soins (augmentation du niveau de satisfaction) mais aussi sur
les coûts et la durée de séjour des patients admis pour chirurgies de remplacement
de la hanche ou au niveau du genou. Le Centre de réadaptation Estrie a aussi fait
l’objet d’une étude non publiée faite par les professeurs Michel Coulmont et Chan-
tale Roy de la faculté d’administration de l’Université de Sherbrooke. Cette étude
a démontré des impacts positifs de l’implantation du modèle Planetree sur des
variables en ressources humaines: la diminution des frais d’utilisation de services
professionnels par les employés, la diminution des coûts de la Commission de
santé et sécurité au travail (CSST), la diminution des coûts de l’assurance salaire.
Dès 2004, le Centre de réadaptation Estrie a entrepris une démarche d’agrément,
pour devenir en 2008 le premier centre de réadaptation à se voir attribuer la dési-
gnation Planetree. Dans la foulée de ce changement, la direction a commencé
à se préoccuper de la façon d’intégrer la dimension spirituelle dans les soins de
réadaptation. Optant pour une conception inclusive de la spiritualité qui rejoigne
les valeurs de sa culture, l’établissement s’est largement inspiré des travaux de
l’Association canadienne des ergothérapeutes du Canada pour définir la spiritua-
lité autour de la notion de sens de la vie (Law, Polatajko. Baptiste, & Townsend,
2002). Comme le mentionne Steeve Jeffers dans la seconde édition du livre Putting
Patients First (Frampton et Charmel, 2009), la spiritualité devient le cadre de réfé-
rence qui permet de comprendre non seulement le sens mais la finalité de la vie,
fournissant aux personnes un cadre explicatif aux événements de la vie comme la
maladie et la mort.
Ainsi définie autour de la notion de sens, la spiritualité peut être considérée comme
un important facteur de soutien à la résilience, permettant à la personne de sur-
monter une période d’adversité et d’atteindre un niveau d’ajustement et d’accom-
plissement satisfaisant (Bonanno, 2004, Thompson, Coker, Krause, & Henry, 2003).
Mais comment transformer un épisode de maladie ou d’incapacité en une occa-
sion de croissance et de développement personnel (Black et Lobo, 2008)?

2.3. L’approche narrative


Le Centre de réadaptation Estrie s’est inspiré de l’approche narrative pour le dévelop-
pement du Fil d’Ariane. Cette approche s’intéresse à l’histoire de vie des personnes
comme moyen permettant d’identifier la composante spirituelle de leur existence
(Kirsh, 1996). Raconter son histoire vie donne l’occasion au patient de prendre du
recul face à ses difficultés et d’y trouver du sens, de se reconstruire et s’engager dans
un futur mieux adapté à sa nouvelle identité (Brown & Augusta-Scott, 2007).
Plutôt que de limiter l’intervention à l’examen et au traitement de la psychopatho-
logie (Kirsh, 1996), l’approche narrative tente de saisir l’essence de l’expérience
subjective du patient et le contexte dans lequel son expérience s’inscrit (Mattingly,
1991). L’histoire de vie, telle qu’elle la construit et la raconte, lui donne l’impres-
sion que sa vie est prévisible et a du sens.
Le Fil d’Ariane 145

Une situation d’adversité (un traumatisme par exemple) peut altérer de façon si-
gnificative cette histoire et en fragiliser la structure, amenant ainsi la personne à
éprouver de la difficulté à en intégrer les différentes facettes (Neimeyer & Stewart,
2000). Pour cette raison, d’une même situation d’adversité peut résulter plusieurs
expériences diverses selon l’histoire racontée (aussi appelée «récit de vie») par un
patient (Mattingly, 1998).
L’exploration structurée de l’histoire de vie du patient permet d’en identifier les
éléments clés qui seront ensuite réutilisés dans les plans d’intervention, particu-
lièrement les dimensions qui ont du sens pour lui (Kirsh, 1996). Selon Mattingly
(1991), tout type d’intervention devient un court épisode au sein de l’histoire de
vie du patient et le thérapeute doit en arriver à s’y inscrire, pour ensuite négocier le
rôle qu’il jouera dans le processus de traitement. Par exemple, l’utilisation de l’his-
toire de vie avec un jeune homme peu collaboratif au processus de réadaptation, a
permis à l’équipe d’intervention d’utiliser des éléments de son histoire et d’ajuster
le plan de traitement, ce qui favorisa l’alliance thérapeutique, sa collaboration, et
augmenta l’efficacité du processus de réadaptation (Chouinard et Tardif  ; 2008).
C’est de cette façon que le processus de traitement a pu prendre du sens pour lui
en le rendant cohérent avec son récit.

2.4. Le Fil d’Ariane : une expérience de transformation et de soutien de la résilience


L’intérêt pour cette approche a servi de prélude au développement d’un outil appe-
lé Le Fil d’Ariane (Chouinard et Tardif, 2005). Dans la mythologie grecque, Thésée
avait réussi à vaincre le Minotaure et à trouver son chemin hors du labyrinthe grâce
à un fil de soie qu’Ariane avait eu la prévoyance de lui remettre. Cette expression
a traversé les âges et suggère aujourd’hui l’existence d’un fil conducteur qui joint
les différentes expériences de vie d’une personne. Le Fil d’Ariane a été construit
afin d’aider les intervenants à cerner ce fil conducteur dans la vie de leurs patients.
Son contenu a été influencé par les travaux sur la logothérapie du psychiatre autri-
chien Viktor Frankl (2006) qui s’est beaucoup intéressé à cette notion de sens de la
vie dans son approche thérapeutique. Frankl considère que la personne est motivée
par un désir et une volonté de donner du sens à son expérience plutôt que par la
recherche de plaisir ou de pouvoir. Le travail thérapeutique consiste à l’aider à
prendre conscience de ses valeurs et des événements qui ont contribué à tracer la
trajectoire de sa vie.
La forme narrative du Fil d’Ariane est suggérée par l’anthropologue Cheryl Mat-
tingly (2007) qui affirme que le récit de sa propre histoire à un tiers, donne à la
personne qui vit des problèmes de santé, l’occasion de créer de la cohérence et de
retrouver du sens à sa vie, là où la maladie n’avait engendré que confusion et cha-
os. En reconstituant et organisant son parcours de vie, le patient prend position au
centre de sa propre histoire, et met en évidence ses perceptions, ses croyances, ses
forces, les valeurs qui l’animent, de même que les liens qui peuvent exister entre
son passé et ce qu’il vit au présent. De plus, le récit de sa propre histoire peut lui
faire prendre conscience d’une certaine continuité sur laquelle il pourra s’appuyer
146 CIPS n°93 – 2012 – pp. 135-157

pour interpréter ses nouvelles expériences, allant même jusqu’à susciter l’espoir de
créer un nouveau projet de vie (White, 2008). D’autre part, le récit fournit aux thé-
rapeutes un portrait de leur patient qui est rarement accessible via les outils d’éva-
luation clinique conventionnels. Kirsh (1996) suggère de réutiliser certains éléments
clés de l’histoire dans les plans d’intervention de façon à permettre aux patients de
s’engager dans des occupations plus significatives pour eux.

3. Un guide d’entrevue
Le Fil d’Ariane est construit comme un guide d’entrevue semi-structurée où le thé-
rapeute aborde des questions touchant sept thématiques différentes (voir l’annexe).
Ces thèmes sont présentés au patient sous forme d’illustrations : l’enfance et l’adoles-
cence, les motivations de fond, les aspirations, les défis relevés, les expériences de
transformation, les connexions, le bien-être. Sans aborder de front la spiritualité et la
recherche de sens, le Fil d’Ariane est une occasion de découvrir le sens que donne
le patient à différents aspects de sa vie. Par exemple, le thème « bien-être » permet
d’identifier des images ou des souvenirs qui pourraient être ravivés et utilisés comme
refuge pendant les moments difficiles. Quant à l’objet symbolique, il sert à conclure
l’entrevue, mais peut aussi donner des indications sur la façon de rédiger le récit du
patient à l’aide de métaphores. Le thérapeute invite le patient à aborder les thèmes
dans l’ordre de son choix, en effectuant des retours en arrière au besoin pour com-
pléter une information. Les questions sont posées uniquement si nécessaire, pour
initier ou supporter la poursuite du récit.
Comme la perspective du Fil d’Ariane est résolument orientée vers les forces et les
ressources de la personne, il est préférable de ne pas laisser le narrateur s’arrêter trop
longuement sur la dimension négative des expériences vécues, mais plutôt l’aider
à identifier un élément positif qui pourrait s’y rattacher. L’entrevue est filmée»3 et
le contenu repris par le thérapeute qui en rédige une courte synthèse en mettant
en lumière les forces de la personne et sa trajectoire de vie. Contenu et forme sont
ensuite validés par le patient et certains éléments peuvent être repris dans son plan
d’intervention. Le contenu du Fil d’Ariane est alors discuté et présenté de façon à
orienter les objectifs de réadaptation en tenant compte de cette ligne de sens, de ce
Fil d’Ariane, de nature à susciter un meilleur engagement et une pleine collaboration.
L’histoire de Mathilda permettra d’illustrer l’utilisation du Fil d’Ariane.
L’illustration qui suit est tirée de l’expérience clinique de l’un des auteurs (Jocelyn
Chouinard). Elle met en relief la situation d’une usagère admise en réadaptation à
la suite d’un accident de voiture, mais pour qui se réadapter n’a que très peu de
sens, jusqu’au moment où elle a l’occasion de raconter son histoire dans le cadre
de l’entrevue Fil d’Ariane. Le compte-rendu de la travailleuse sociale lui permet de
mettre en lumière un facteur de résilience jusque là occulté par une série d’événe-
ments malheureux, dont le dernier épisode d’adversité vécu (accident) et l’abus dont
elle a été victime par son père. Ce facteur symbolise le sens que pourrait prendre
la vie de Mathilda à partir de ce qu’elle a raconté sur elle-même. Et c’est ce facteur
de résilience qui peut nourrir sa motivation à se réadapter et à formuler un nouveau
projet de vie, comme le lui propose l’intervenante.
Le Fil d’Ariane 147

4. L’histoire de Mathilda
Mathilda est une jeune femme âgée de 35 ans4 qui a été admise au programme
de neurotraumatologie du Centre de réadaptation Estrie environ six mois après
avoir été victime d’un accident de voiture. Depuis cet accident, elle se sent très
différente : elle a l’impression de tourner en rond, se sent désorganisée, sans but
ni attentes. Elle est plus ou moins convaincue des bienfaits qu’elle peut retirer de
la réadaptation. Invitée à se raconter dans le cadre de l’entrevue Fil d’Ariane, elle
prend conscience malgré son histoire d’abus, de négligence et de violences à répé-
tition, de ses forces et de la ligne de sens qui pourrait être mise à profit pour donner
du sens à sa réadaptation.
D’abord, Mathilda est débrouillarde. Elle l’a prouvé pendant son enfance lorsqu’elle
usait de divers stratagèmes pour se protéger et protéger ses sœurs de la violence
de son père. De plus, l’école lui a appris qu’elle est intelligente et vive. Elle y a
vécu ses premières réussites et ses premières expériences positives avec des adultes
qui ne sont pas des abuseurs. Mathilda a aussi appris qu’elle peut s’ouvrir et faire
confiance aux adultes. Lors d’une journée particulièrement difficile au secondaire,
elle déballe un après-midi durant, toute son histoire d’abus à une enseignante qui
l’écoute sans la juger. Cette rencontre devient un point tournant de sa vie : après
plusieurs années d’échecs, elle retrousse ses manches et affronte avec courage et
détermination les années d’études qui vont lui permettre d’accéder au CEGEP et à
l’université.
C’est pendant cette période de sa vie qu’elle découvre sa vocation d’aidante : elle
choisit d’étudier plus en profondeur le phénomène de la violence faite aux enfants
afin de faire en sorte que moins de petites filles aient à subir les comportements
violents des adultes. Presqu’arrivée au fil d’arrivée, elle abandonne brusquement
ses études: une grossesse non désirée, un conjoint violent et plusieurs démêlés
avec les policiers et les services de protection de l’enfance vont la précipiter dans
un nouveau cauchemar qui la mènera cette fois jusqu’à la tentative de suicide.
C’est au cours d’une lente remontée qu’elle reprendra contact avec sa mère. Plu-
sieurs mois à reconstruire ses forces, à refaire un tant soit peu confiance à la vie, à
réapprendre à fonctionner, à se débrouiller avec les comptes, l’épicerie, le ménage,
et surtout, à se défaire de l’emprise de son ex-conjoint et à prouver aux services
sociaux qu’elle peut encore être une bonne mère malgré ses antécédents.

4.1. Le Fil d’Ariane de Mathilda


Après avoir recueilli les propos de Mathilda, voici le récit que lui présente l’inter-
venante du programme de réadaptation.
« Ton histoire, Mathilda, c’est l’histoire du courage, de la ténacité et de la persévé-
rance. C’est l’histoire d’une toute petite fleur qui s’accroche au rocher, malgré les
vents et les fortes pluies. C’est l’histoire d’une petite fille qui a choisi de défier son
père et sa destinée, pour s’accrocher à un rêve et devenir quelqu’un. Tu as appris
pendant ton enfance la débrouillardise lorsque tu t’enfuyais de la maison avec
148 CIPS n°93 – 2012 – pp. 135-157

ton chien pour te réfugier dans la forêt, là où tu savais que ton père ne pouvait te
rejoindre. Ce chien qui est devenu ton confident, et avec qui tu as appris la parole.
L’école t’a ensuite révélé ta valeur et la force intérieure qui t’animaient. La présence
chaleureuse des enseignantes, la fierté que tu pouvais lire dans leurs yeux, leurs
encouragements à poursuivre tes études, tout ça était tellement contraire à l’image
que ton milieu familial te renvoyait, que tu avais même du mal à y croire. À un tel
point que tu as décidé de faire passer un test de confiance à tous ces adultes pen-
dant ces années de décrochage au secondaire. Puis il y a eu Hélène, une ancienne
enseignante du primaire, qui a reconnu en toi la petite fille à qui elle aimait tant
enseigner. Cet après-midi-là, tu as repris contact avec la parole libératrice et c’est
au cours de cette rencontre que naquit ton projet de vie : tu allais devenir celle
qui empêcherait les petites filles de se laisser abuser par leur père. Ce tournant
eut un impact déterminant pour les années suivantes. Tu t’es presque rendue à la
ligne d’arrivée de ce diplôme qui t’aurait permis d’exercer un métier et de rendre
de précieux services à la société. Le hasard et une série d’événements malheureux
ont voulu que tu rechutes, jusqu’à vouloir en finir avec la vie. Alors que tu ne t’y
attendais plus, c’est ta mère qui a repris contact avec toi. C’est avec elle que tu as
entrepris cette longue remontée de l’abîme. Aujourd’hui, un autre défi t’attend  :
celui de donner un nouveau sens à ta vie malgré tout ce qui est arrivé. À la lecture
de ce que tu m’as raconté, ton désir d’aider et de protéger les autres semble être
demeuré intact. Peut-être est-ce là le sens de ta vie jusqu’ici ? Peut-être est-ce là
ton fil conducteur, le Fil d’Ariane de ta vie ? Si tu acceptes, nous allons t’aider par
nos interventions à trouver une façon de concrétiser ce désir dans quelque chose
de bien réel, un projet à ta portée, dans lequel tu pourras te réaliser et donner du
sens à tes actions ».

4.2. Validation du Fil d’Ariane


Mathilda répond ceci : « On dirait que ce n’est pas de moi qu’il s’agit dans cette
histoire. Pourtant, tous les faits sont exacts. Ça m’est bien arrivé, vous n’avez rien
inventé, mais je n’arrive pas à comprendre que vous puissiez parler de moi en ces
termes, alors que je me perçois tellement à l’opposé de ça! On dirait que vous
racontez mon histoire, mais avec des lunettes différentes de celles des autres. J’ai
toujours cru que j’étais une ratée — mon père me l’a dit tellement souvent — alors
que vous me dites que je suis quelqu’un, je n’arrive pas à croire que vous pensez
vraiment ça de moi… Mais ça me fait du bien d’entendre cette histoire, ça me
donne même le goût de continuer. J’ai envie de la relire encore pour m’assurer que
c’est bien de moi qu’il s’agit… ».

5. Limites
Le Fil d’Ariane a été utilisé à plusieurs reprises par les intervenants du Centre de
réadaptation Estrie, mais n’a jamais fait l’objet d’étude ni de compte-rendu démon-
trant sa pertinence comme outil pour favoriser le processus de résilience. Deux
projets de recherche ont pour objectif de pallier en partie cette lacune. Le premier,
réalisé par des étudiants de la faculté de médecine et des sciences de la santé de
Le Fil d’Ariane 149

l’Université de Sherbrooke, cherche à comprendre l’impact du Fil d’Ariane sur la


pratique des intervenants de réadaptation, notamment sur la qualité de la relation
thérapeutique avec l’usager. Le second projet soumis par des chercheurs du Centre
de recherche interdisciplinaire en réadaptation de Montréal, vise cette fois à véri-
fier l’impact du Fil d’Ariane sur le processus de résilience d’usagers participant à
un programme de réadaptation physique.

6. Conclusion
L’étude récente de la résilience chez l’adulte donne l’occasion aux chercheurs et
aux cliniciens de développer des programmes et des outils de prévention et d’inter-
vention favorisant le bien-être des personnes ayant fait face à de l’adversité (Yates
& Masten, 2004). Dans sa dimension quête de sens, la spiritualité peut représenter
un puissant facteur de résilience pouvant soutenir la personne en réadaptation et
l’aider à « rebondir et à s’adapter en dépit de l’adversité » (Rutter, 1985). L’épisode
de réadaptation a le potentiel de devenir une expérience significative de crois-
sance, en autant qu’il s’inscrive dans un projet de vie qui lui donnera du sens.
C’est dans cette perspective positive que le Centre de réadaptation Estrie poursuit
le développement du Fil d’Ariane. 

Notes
1. La résilience constitue un élément important des premiers chapitres de l’ouvrage de
Peterson et Seligman (2004), elle n’est toutefois pas retenue dans leur classification des forces
du caractère.
2. Dans le texte, le terme « patient » est préféré à celui d’ « usager », toutefois ce dernier est
plus souvent utilisé dans les centres de réadaptation du Québec.
3. Facultatif. Une copie de l’enregistrement peut être remise à la personne avec le récit.
4. Plusieurs détails de l’histoire de cette femme ont été modifiés afin de ne pas permettre son
identification.

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Le Fil d’Ariane 153

ANNEXE 

CONSIGNES À L’INTERVENANT
Vous invitez la personne à aborder les thèmes dans l’ordre de son choix, sans obligation
d’aborder tous les thèmes, en revenant en arrière au besoin pour compléter une information.
Chaque thème cible un objectif plus ou moins spécifique. Vous n’avez pas à lire cet objectif
à l’usager. Nous vous suggérons des questions qui peuvent servir d’amorces à la narration :
sentez-vous à l’aise de les adapter. Au besoin, expliquez le sens du thème en vous servant du
rationnel fourni. Dans la mesure du possible, il est préférable de ne pas terminer un thème sur
une note négative, mais plutôt d’aider la personne à identifier un élément positif qui pourrait
se rattacher à son expérience. L’objet symbolique n’est pas considéré comme un thème du Fil
d’Ariane. C’est une façon que nous vous proposons de terminer l’entrevue.

CONSIGNES À L’USAGER
« Vous êtes le personnage principal d’une histoire unique. L’expérience que nous allons vivre
ensemble va permettre de dégager les grandes lignes de cette histoire pour mieux vous connaître
et mieux vous aider. Chacun des cartons qui se trouvent devant vous illustre un thème particu-
lier. Ces thèmes ont été choisis afin de mettre en lumière différents aspects de vous.
J’aimerais que vous choisissiez un de ces thèmes et je vous poserai des questions sur ce sujet.
Je reviendrai sur ce que vous avez bien voulu me dire et j’en ferai un récit, une brève histoire.
Lors d’une prochaine rencontre, nous reprendrons cette histoire ensemble de façon à ce que
vous puissiez en valider le contenu. Si vous le désirez, ce récit sera présenté au reste de
l’équipe de réadaptation et à vos proches.
L’entrevue sera filmée. Nous vous remettrons le document en souvenir de votre réadaptation.
Avec lequel des dessins qui se trouvent devant vous aimeriez-vous commencer votre histoire? »

THÈMES
1. Enfance et adolescence
Disposez les photos devant la personne.
Rationnel : L’enfance et l’adolescence sont la période de la vie souvent représentée par un
creuset. L’évocation de cette période par l’usager doit permettre de dégager des moments
déterminants qui ont pu influencer son parcours de vie et lui donner une couleur particulière.
Objectif : avoir accès aux souvenirs importants vécus pendant cette période de la vie.
Amorces suggérées :
Choisissez une photo parmi celles-ci et dites-moi ce qu’elle évoque pour vous.
Y a-t-il des événements particuliers qui ont été déterminants dans votre vie?
Quel était votre principal passe-temps (jeu, activité)?
Dans quelle activité étiez-vous bon?
Quel est le plus beau cadeau que vous avez reçu?
Comment se passaient les Fêtes dans votre famille?
Aviez-vous un héros? Comment vous inspirait-il?
154 CIPS n°93 – 2012 – pp. 135-157

2. Motivations de fond
Rationnel : ce thème réfère aux forces qui déterminent le comportement de la personne, ce
qui influence ses choix, son engagement, son actualisation, les raisons pour lesquelles sa vie
vaut d’être vécue.
Objectif : identifier les raisons profondes (valeurs, croyances, besoins) qui ont déterminé les
choix de vie et qui pourraient aider à établir de nouveaux projets.
Questions suggérées :
Reportez-vous lorsque vous étiez adolescent ou plus tard dans votre vie de jeune adulte
et dites-moi ce qui vous animait, vous motivait tout particulièrement? À quoi rêviez-vous?
Quelles étaient vos valeurs, vos croyances?
Est-ce que ces valeurs ou croyances ont orienté ce que vous avez fait par la suite?
Aujourd’hui, avez-vous les mêmes valeurs ? Quelle place occupent-elles dans votre vie?
Qu’est-ce qui donne du sens à votre vie?
Dans quoi êtes-vous engagé?
Qu’est-ce qui vous passionne? Pourquoi?

3. Défis
Rationnel : la personne se construit à travers les défis qu’elle relève et les épreuves qu’elle tra-
verse. Pendant la réadaptation, ce thème lui donne l’occasion de prendre du recul par rapport
à ses difficultés actuelles et de reprendre contact avec ses forces et ses réussites.
Objectif : faire ressortir et reconnaître les forces intérieures (ex : sensibilité, humour, opti-
misme, persévérance, réalisme, courage, combativité, etc.) qui pourraient être utilisées dans
le cadre de la réadaptation.
Questions suggérées :
Y a-t-il une ou des réalisations, des défis que vous avez relevés et dont vous êtes particu-
lièrement fier? Qu’est-ce que cela vous a demandé?
Vous souvenez-vous de moments particulièrement difficiles dans votre vie?
Comment vous en êtes-vous sorti? Seul ou avec l’aide de quelqu’un d’autre?
Est-ce que vos croyances vous ont aidé à affronter et à surmonter ces difficultés?
Quelle est votre attitude face aux défis ou aux épreuves de la vie?

4. Expériences de transformation
Rationnel : certaines expériences de vie touchent davantage et induisent des changements
fondamentaux au niveau des rôles, des relations, et même du sens de la vie. Ces expériences
agissent comme révélateurs de ce qui est important pour la personne.
Objectif : faire ressortir le potentiel de transformation de l’usager, sa capacité à entrevoir sa
réadaptation comme un point tournant dans sa vie, ce qui nécessite de l’ouverture à changer,
la capacité à s’abandonner, à prendre du recul.
Questions suggérées :
Y a-t-il un ou des événements ou encore une ou des expériences qui ont influencé le cours
de votre vie (ex : naissance, rencontres, autres)? Décrivez cette expérience et ce que vous
en avez dégagé?
Le Fil d’Ariane 155

Depuis cet événement particulier, vos croyances ont-elles changé? Votre façon de voir le
monde? Vos relations avec les autres? Vos pratiques religieuses? Le sens de votre vie?
Aviez-vous une idole? Un héros? Un mentor? Comment vous inspire-t-il?
Qu’est-ce que cette expérience vous révèle de vous-même

5. Aspirations
Rationnel : l’être humain est mû par un élan qui le pousse à croître et à actualiser son poten-
tiel vers la réalisation d’un objectif de vie.
Objectif : faire ressortir les passions, les rêves, les raisons qui font que la personne se mobilise
et se dépasse. La façon de se positionner face à ses propres rêves donne une idée du senti-
ment de sécurité personnelle de l’individu, sur ses façons de réagir à l’inconnu. Ces éléments
pourraient guider la personne dans le choix d’un projet de vie et donner une couleur particu-
lière à son plan d’intervention.
Questions suggérées :
Aussi loin que vous pouvez remonter dans votre enfance, y a-t-il quelque chose que vous
auriez toujours voulu faire ou accomplir?
Êtes-vous animé par une cause?
Avez-vous toujours des rêves, des projets que vous aimeriez réaliser?
Dans votre vie, avez-vous fait quelque chose d’un peu fou, qui sortait de l’ordinaire, ou
quelque chose que vous aimeriez faire dans le futur?
Si on vous disait que vous partez en voyage bientôt vers l’accomplissement de cette mission,
à quoi ressemblerait ce voyage? (développer sous forme d’imagerie).

6. Connexions
Rationnel : l’être humain a besoin d’être en relation : c’est l’un des facteurs de sens à sa vie.
Objectif : dégager les forces découlant de la capacité à se connecter avec les autres, avec la
nature, avec une force supérieure (capacité à aimer, espoir, sensibilité, générosité, etc.).
Questions suggérées : lien avec les autres
Qui sont les personnes les plus importantes ou significatives dans votre vie ? Pourquoi le
sont-elles ? Comment décrieriez-vous vos relations avec ces personnes ?
Vous sentez-vous appartenir à une communauté ? Laquelle ? Qu’est-ce que cette commu-
nauté vous apporte ?
Dans quels moments avez-vous l’impression d’appartenir à la communauté humaine ?
Questions suggérées : lien avec la nature 
Quels sont les moments où vous vous sentez lié à la nature ? Comment vous sentez-vous
lorsque vous êtes en nature ?
Avez-vous un animal de compagnie ? Quelle importance les animaux ont-ils dans votre vie ?
Questions suggérées : lien avec une force supérieure 
Vous décrieriez vous au sens le plus large du terme comme une personne croyante, spiri-
tuelle ou religieuse ?
En qui ou en quoi croyez-vous ? Actuellement, quelle est la place de cette croyance dans
votre vie ?
156 CIPS n°93 – 2012 – pp. 135-157

7. Bien-être
Rationnel : les moments de bien-être peuvent servir de refuge ou d’ancrage pour la personne
qui traverse une période d’adversité
Objectif : faire ressortir la façon de prendre soin de soi, la façon d’être présent à soi-même 
Questions suggérées :
Qu’est-ce qui vous procure des moments de bonheur? Qu’est-ce qui vous fait du bien?
Quelle est votre activité préférée? Votre musique préférée?
Avez-vous un passe-temps?
Avez-vous déjà ressenti le plaisir de créer quelque chose ?
Pratiquez-vous un art ? Si oui, quelles sont vos sources d’inspiration?
Si vous étiez un artiste, qui seriez-vous ? Pourquoi ?
Dans quels moments vous sentez-vous en harmonie avec vous-mêmes ?
Qu’est-ce qui vous aide à atteindre une paix intérieure ?
Que faites-vous pour vous recentrer sur vous-mêmes ?

Un objet symbolique
Rationnel : un objet peut traduire différents aspects de la personne et jeter un éclairage sur sa
façon de se représenter.
Objectif : conclure l’entrevue, faire ressortir la perception que la personne a d’elle-même
(son regard), mais sous une forme imagée.
Questions suggérées :
Y a-t-il un objet qui vous représente?
Que représente-t-il pour vous ?
C’est possible que cet objet évolue au fil du temps que vous passerez avec nous. Nous
pourrons alors en discuter.

GUIDE DE RÉDACTION DU Fil d’Ariane


Vous avez en main les informations vous permettant de rédiger le Fil d’Ariane de l’usager.
Cette histoire doit faire ressortir, comme son nom l’indique, le fil conducteur ou la ligne direc-
trice qui a contribué à donner du sens à la vie de l’usager avant son arrivée en réadaptation.
Cela vous oblige à porter une attention particulière aux thèmes Aspirations et Motivations de
fond, sans toutefois délaisser les autres qui pourront apporter un éclairage sur les forces et
les facteurs de protection personnels et environnementaux de la personne. Cette notion de fil
conducteur est centrale à la démarche, et pourra servir à ajouter du sens à la réadaptation et
en augmenter l’efficacité.
Le ton du Fil d’Ariane se doit d’être résolument positif : rappelez-vous que ce court récit
représente le regard que vous portez sur votre usager, et que ce regard se mêlera au sien pour
le faire grandir et l’aider à traverser sa réadaptation, voire même en faire une expérience de
transformation.
La forme du récit peut varier d’un usager à l’autre. Il s’agit d’adapter le texte à l’usager, à son
âge, à son niveau de langage et d’abstraction. Vous pouvez construire votre texte autour d’une
Le Fil d’Ariane 157

métaphore (inspirée ou non des images de l’usager) si vous croyez que ce langage est sus-
ceptible d’être mieux compris. L’important, c’est que vous puissiez cerner en quelques lignes
(environ une page) l’essence de l’histoire de vie de cet usager. Un truc : essayez de trouver un
mot, un verbe d’action qui pourrait résumer le fil conducteur.
Enfin, la dernière étape consiste à valider votre écrit par l’usager. À noter que cette validation
porte davantage sur le contenu (les faits) que sur votre perception, celle-ci étant de par sa
nature subjective. Ne soyez pas étonné si l’usager a du mal à se reconnaître dans votre récit :
s’il admet les faits que vous rapportez, il aura peut-être besoin d’une période de temps pour
s’approprier le traitement que vous en avez fait.
C’est maintenant le temps de vous mettre à la rédaction. Laissez-vous guider par ce qui vous a
le plus touché, ce qui vous a impressionné chez l’usager. C’est probablement ce qui donnera
une couleur particulière à votre narration. Faites-vous confiance…
“ Les bénéfices associés à l’expérience
du cancer pédiatrique


Le point de vue d’enfants, d’adultes
guéris et de parents

Sylvie Jutras
Département de psychologie, Université
du Québec à Montréal, Montréal,
Québec, Canada
Les personnes qui ont dû faire face au Do people confronted with pediatric
cancer pédiatrique perçoivent-elles en cancer perceive that they have benefited
avoir retiré des bénéfices? Nous avons in certain ways from their illness
examiné cette question en nous inspirant experience? We examined this question
des travaux sur les répercussions positives in light of current research on the positive
de la maladie et de la classification consequences of illness experience and
des vertus et forces de caractère. Des the Classification of Character Strengths
enfants et des adultes guéris du cancer and Virtues. Children and adults who
pédiatrique, de même que des parents, survived pediatric cancer, as well as
ont été interrogés sur leurs perceptions parents, were interviewed about their
d’éventuels bénéfices associés à perceptions of possible benefits associated
l’expérience du cancer pédiatrique. Leurs with their experience. Interview data were
propos ont fait l’objet d’une analyse de content analyzed. Ten distinct benefits
contenu. Les participants ont évoqué dix were evoked by participants, including five
bénéfices distincts, dans lesquels figurent virtues. While most participants named at
cinq vertus. Pour la majorité des bénéfices, least one benefit, different participants
leur évocation varie selon le statut du named different types of benefits. These
participant, vraisemblablement en differences may be related to participants’
relation avec le développement cognitif, roles, their level of cognitive development,
l’expérience intime de la maladie et le their individual experiences with cancer,
recul du temps. and the passage of time.

La correspondance pour cet article doit être adressée à Sylvie Jutras, Département de
psychologie, Université du Québec à Montréal, C.P. 8888 ; Succursale Centre-Ville, Montréal
(Québec) Canada H3C 3P8. Courriel : <[email protected]>.
L’auteure remercie Jean Bégin, Delphine Labbé, Valérie Lafrance, Coralie Lanoue, Christiane
Lauriault, Geneviève Lepage et Anne-Marie Tougas pour leur aide précieuse lors de la
collecte et de l’analyse des données. Nous témoignons notre gratitude à notre partenaire
Leucan, de même qu’aux personnes qui ont généreusement participé à l’étude en s’exprimant
sur leur expérience du cancer pédiatrique. La recherche a été réalisée grâce à une subvention
accordée à l’auteure par le Fonds québécois de recherche sur la société et la culture.
161

U
Les bénéfices associés à l’expérience du cancer pédiatrique

Une adolescente vient de recevoir un diagnostic de cancer. Un père attend les


résultats des tests que son bambin a passés en oncologie. Dites-leur que le cancer
leur apportera éventuellement quelque chose de positif : vous risquez de provo-
quer une violente réaction, un sentiment intolérable de solitude, d’accablement ou
d’injure. Et pourtant, cette adolescente et ce père pourront vous dire, dans quelques
années, que cette expérience les a fait croître et leur a apporté une richesse qu’ils
n’auraient jamais soupçonnée. Effectivement, plusieurs personnes qui ont eu un
cancer ou une maladie grave perçoivent éventuellement en retirer des bienfaits,
principalement sur les plans de la qualité de vie, des relations interpersonnelles,
des valeurs et priorités (Aspinwall & MacNamara, 2005 ; Lechner, Tennen, & Af-
fleck, 2009 ; Taylor & Sherman, 2004).
Les transformations favorables réalisées en traversant l’adversité retiennent l’atten-
tion de chercheurs depuis plusieurs années. En particulier, l’intérêt pour la percep-
tion de bénéfices s’est consolidé avec le développement de la psychologie positive,
qui met l’accent sur les aspects positifs de l’existence et l’épanouissement de l’être
humain (Seligman & Csikszentmihalyi, 2000). La présente étude porte sur la per-
ception de bénéfices liés au cancer pédiatrique chez des personnes qui en ont gué-
ri, des enfants et des adultes, et chez des parents dont l’enfant a eu cette maladie.
Ces différents groupes vivent chacun à leur façon les effets du cancer. Partagent-ils
des vues semblables ou différentes sur les éventuels bénéfices de la maladie? Nous
avons cherché à établir quels sont ces bénéfices à partir des perceptions des uns
et des autres. Tout bénéfice perçu par les acteurs nous semblait important ; cepen-
dant, nous avons porté une attention particulière aux caractéristiques individuelles
positives présentes dans ces bénéfices. Dans ce but, la classification des vertus et
forces de caractère proposée par Peterson et Seligman (2004) paraissait hautement
pertinente. Ce regroupement traite en effet des caractéristiques individuelles qui
font que l’on vit, comme l’expriment Seligman et Csikszentmihalyi (2000), « une
vie qui vaut la peine d’être vécue ».
Dans les paragraphes suivants, nous établirons d’abord ce qu’implique le cancer
pédiatrique sur les plans médical et psychosocial, à court et à long terme. Puis,
considérant ce que cette maladie représente pour les personnes concernées, nous
examinerons la question des répercussions positives du cancer pédiatrique et de
leur mesure. Selon la pratique usuelle au Québec dans les groupes concernés, le
terme guéri est employé de préférence à celui de survivant pour faire référence à un
état postérieur à la maladie sans présumer de la guérison effective ou de récidives
éventuelles. Dans ce texte, nous désignerons par adultes guéris les participants
adultes qui ont eu un cancer pédiatrique, tandis que nous emploierons simplement
le terme enfants pour désigner les participants de moins de 18 ans qui ont eu cette
maladie.

1. Le cancer, un événement majeur


Le cancer chez un enfant est un événement grave, aux conséquences nombreuses,
variées et pénibles, pour le jeune atteint comme pour sa famille. Le cancer est
la maladie responsable du plus grand nombre de décès chez les enfants de plus
162 CIPS n°93 – 2012 – pp. 159-180

d’un mois (Société canadienne du cancer & Institut national du cancer du Canada,
2008)1. Une majorité de jeunes survivent aujourd’hui grâce aux progrès médicaux ;
cependant, ils rencontrent de grandes difficultés. Les jeunes atteints doivent se sou-
mettre à des traitements durs, invasifs et prolongés de chimiothérapie, de chirurgie,
de radiothérapie ou de greffes. Ils éprouvent souvent de la douleur, des nausées, de
la fatigue. Leur apparence peut être grandement modifiée par la perte des cheveux,
un gain de poids, un gonflement du visage, des cicatrices, une croissance entravée,
une amputation. La maladie et les traitements bouleversent la vie des enfants et
celle de leur famille. Les jeunes doivent être traités dans des centres d’oncologie
pédiatrique parfois éloignés de leur domicile, les séparant de leur famille et de leurs
pairs. Cela impose aux parents des déplacements, et pour plusieurs, d’importants
frais de transport, de logement ou de subsistance. Le parcours scolaire du jeune est
perturbé, tandis qu’un des parents doit souvent réduire ses heures de travail, voire
cesser de travailler. Les parents doivent gérer le suivi médical du jeune, assurer
une présence et le réconforter, entreprendre de multiples démarches auprès des
services médicaux, sociaux et scolaires, tout en s’occupant de leurs autres enfants
et des tâches familiales. Cela se vit souvent dans un contexte de tensions, de soucis
financiers ou professionnels et d’épuisement.

2. Les séquelles du cancer


Les séquelles du cancer pédiatrique ou de son traitement sont importantes et
touchent plusieurs survivants (Buizer, de Sonneville, & Veerman, 2009  ; Dicker-
man, 2007  ; Laverdière et al., 2009  ; Ness & Gurney, 2007  ; Seigneur, 2004  ;
Trocmé, Vaudre, Landman-Parker, Dollfus, & Leverger, 2006 ; Zeltzer et al., 2009).
Divers effets négatifs peuvent se manifester, tôt ou plusieurs années après la fin
des traitements. Ils concernent des aspects physiques, psychologiques, sociaux,
scolaires ou professionnels. Des complications hormonales ou métaboliques, des
dysfonctionnements organiques ou cognitifs sont susceptibles d’entraver le fonc-
tionnement quotidien, le vécu scolaire, la vie reproductive. Les survivants du can-
cer pédiatrique risquent de développer un autre cancer.
Les jeunes comme les adultes survivants d’un cancer pédiatrique sont nombreux
à souffrir de problèmes psychologiques. Notons la tristesse, la peur de mourir, la
crainte d’être rejeté de ses pairs, les inquiétudes quant à une rechute, la stérilité,
l’avenir scolaire et professionnel, les tracas pour obtenir une assurance-vie (Heds-
tröm, Skolin, & von Essen, 2004 ; Mattsson, Ringnér, Ljungman, & von Essen, 2007 ;
Novakovic et al., 1996 ; Ozono, Saeki, Mantani, Ogata, Okamura, & Yamawaki,
2007 ; Sundberg, Lampic, Björk, Arvidson, & Wettergren, 2009 ; Whyte & Smith,
1997). Quant aux parents d’enfants qui ont survécu au cancer, ils peuvent éprou-
ver des difficultés persistantes après la rémission. Selon Van Dongen-Melman, Van
Zuuren et Verhulst (1998), plusieurs déplorent avoir perdu leur regard positif envers
la vie, se sentir plus vulnérables devant les événements traumatiques, ressentir des
tensions sur le plan conjugal, avoir renoncé à voir son jeune se développer et vivre
son enfance normalement, être obsédés par la peur de la rechute.
Les bénéfices associés à l’expérience du cancer pédiatrique 163

3. Des répercussions positives au cancer ?


La description précédente montre à quel point le cancer a d’importantes réper-
cussions négatives. Cependant, le cancer pédiatrique pourrait avoir des effets
bénéfiques. Trois sources d’informations appuient cela. Considérons d’abord les
travaux réalisés avec notre population : les personnes touchées par le cancer pédia-
trique. Mattsson et al. (2007) rapportent que des jeunes de 15 à 21 ans ont énoncé
quelques aspects positifs de l’expérience du cancer pédiatrique : une vision plus
positive de la vie, une meilleure estime de soi, des connaissances liées à la maladie
et de bonnes relations interpersonnelles. Chez les adultes guéris, les répercussions
positives sont décrites sur différents plans : maturité, croissance, valeurs et priorités,
compassion ou empathie (Novakovic et al., 1996 ; Parry & Chesler, 2005) ; concept
de soi, vision de la vie, interactions interpersonnelles (Novakovic et al., 1996  ;
Sundberg et al., 2009). Van Dongen-Melman et al. (1998) rapportent que quelques
parents d’enfants atteints perçoivent mieux relativiser les choses et accorder plus
d’importance à vivre et à être heureux dans le moment présent.
D’autres études, réalisées auprès de diverses populations adultes touchées par un
événement grave, reposent sur des conceptualisations plus organisées et des mesures
plus standardisées. L’un des concepts étudiés est la perception de bénéfices à la
suite d’un traumatisme, d’une maladie ou d’un événement de vie très stressant. Les
gens rapportent ainsi de meilleures relations interpersonnelles, des opportunités nou-
velles, une plus grande appréciation de la vie ou des changements sur le plan spiri-
tuel ou religieux, etc. (voir la revue de Lechner et al., 2009). L’individu fait un constat
de résultats pendant ou au terme d’un processus dans lequel il travaille à chercher et
construire du sens pour faire face à l’adversité. La perception de bénéfices est voisine
du dépassement de soi, de l’adaptation positive, de la croissance post-traumatique,
concepts que Linley & Joseph (2004) désignent par la croissance dans l’adversité
(adversarial growth). La perception de bénéfices a fait l’objet d’échelles de mesure
standardisées utilisées surtout chez les adultes et, depuis peu, chez les enfants tou-
chés par le cancer (Currier, Hermes, & Phipps, 2009).
Considérons une troisième source d’inspiration conceptuelle pour examiner les
perceptions de conséquences positives du cancer chez les jeunes : les vertus et
forces de caractère. Peterson et Seligman (2004) ont élaboré une classification sys-
tématique et exhaustive des traits positifs de l’être humain dans le but de proposer
un vocabulaire commun pour les désigner et les mesurer. Cette classification, qui
sur le plan conceptuel emprunte à diverses traditions, repose sur la notion de car-
actère. Le caractère est vu comme un ensemble de traits individuels positifs qui se
reflètent dans la façon dont les gens pensent, ressentent des émotions et se compor-
tent. Il s’agit de traits stables, mais susceptibles de changer. Les chercheurs ont or-
ganisé leur classification autour de six grandes vertus : la sagesse et connaissance,
le courage, l’humanité, la justice, la tempérance et la transcendance. À chacune
des vertus, se rattachent plusieurs forces de caractère vues comme les processus ou
les mécanismes qui les définissent. Les 24 forces de caractère établies par Peterson
et Seligman sont généralement mesurées par le VIA Survey of Character2. Utilisant
ce questionnaire autorapporté, Peterson, Park et Seligman (2006) ont comparé des
164 CIPS n°93 – 2012 – pp. 159-180

adultes sans problème de santé antérieur et des adultes guéris d’une maladie phy-
sique grave. Les chercheurs ont constaté que les personnes guéries obtenaient des
scores plus élevés pour dix forces de caractère : l’appréciation de la beauté, la bra-
voure, la curiosité, l’équité, le pardon, la gratitude, l’humour, la gentillesse, l’amour
de l’apprentissage et la spiritualité. Guse et Eracleous (2011) ont comparé les forces
de caractère d’une vingtaine d’adolescents guéris d’un cancer et d’une vingtaine
d’adolescents en santé. Utilisant la version pour enfants de l’instrument employé
dans l’étude précédente, le Values in Action Inventory for Youth (Park & Peterson,
2006), Guse et Eracleous n’ont constaté aucune différence entre les deux groupes.

3.1. La difficulté de mesurer les conséquences psychologiques du cancer pédiatrique


Étudier les conséquences psychologiques, tant positives que négatives, du can-
cer pédiatrique pose des défis méthodologiques. L’hétérogénéité des échantil-
lons, les biais dans la sélection des participants, l’inadéquation des mesures, le
manque de données médicales sont évoqués (Eiser, Hill, & Vance, 2000). Il est
aussi difficile d’interpréter les résultats en raison de variables qui interviennent
dans l’appréciation des séquelles par les individus (McDougall & Tsonis, 2009).
Il peut s’agir de déni ou au contraire d’une plus grande appréciation de la vie ou
encore d’une capacité accrue de faire face aux difficultés. La désirabilité sociale
peut poser problème (Lechner et al., 2009). L’individu qui a survécu au cancer peut
croire qu’il vaut mieux faire état de ce qui va bien que de se plaindre. Pour un in-
dividu, établir les bénéfices retirés d’un événement stressant ou traumatique exige
un traitement complexe de l’information, loin d’être évident. Comme l’exposent
Lechner et ses collègues (2009), les gens doivent évaluer leur état actuel quant à
une série d’aspects présentés (par exemple, « le cancer m’a appris à être patient »),
se rappeler comment ils se situaient sur chaque aspect avant l’événement perturba-
teur, comparer les deux états, évaluer le degré de changement et déterminer dans
quelle mesure ce changement peut être attribué à l’événement.
Des échelles de mesure pourraient indûment suggérer au répondant des bénéfic-
es qui relèvent des a priori des chercheurs et auxquels le répondant n’aurait pas
pensé. Pour éviter cela, Thornton (2002) recommande une approche qualitative.
Cependant, au vu des questions posées dans quelques études, cette solution n’est
pas sans défaut. Des chercheurs s’adressent parfois au répondant en laissant en-
tendre qu’il serait normal qu’il voit du positif dans son expérience : Is your present
life in any way positively affected by having been treated for cancer as a child?
(Sundberg et al., 2009, p. 165) ou What, if anything, is good for you due to the
cancer? (Mattsson et al., 2007, p. 1004). La portée des précautions oratoires (in
any way, if anything) semble bien mince. Les efforts de neutralité inscrits dans les
questions suivantes adressées aux jeunes ne sont guère plus utiles : Has there been
anything distressing/positive for you about (a) being told the diagnosis? (b) receiv-
ing chemotherapy? (c) being admitted to the ward (Hedström et al., 2004, p. 8).
Considérant la description précédente sur ce que vit un jeune atteint du cancer,
comment concevoir qu’il y a du positif à recevoir un tel diagnostic, à subir de la
chimiothérapie et à être hospitalisé? Pour sonder les aspects positifs d’un événe-
Les bénéfices associés à l’expérience du cancer pédiatrique 165

ment pénible, l’intervieweur doit respecter et reconnaître l’expérience globale de


la personne. L’interviewé, se percevant compris de l’intervieweur, partagera alors
avec plus d’authenticité sa vision des choses. Enfin, peu importe si l’approche est
qualitative ou quantitative, dans une étude où l’âge des participants varie, choisir
des mesures qui conviennent à tous est délicat (Eiser et al., 2000).

3.2. Bilan
Même si les conséquences du cancer pédiatrique sont pénibles pour les survivants
comme pour les parents, des effets positifs pourraient en être retirés. Cependant, la
mesure des bénéfices perçus rencontre divers obstacles. Si le chercheur témoigne
aux intéressés une vision désincarnée de l’expérience du cancer pédiatrique, igno-
rant l’importance des difficultés vécues, il risque de faire évoquer des perceptions
peu valides. Un répondant peut se braquer si on lui demande de parler des béné-
fices du cancer sans empathie pour les difficultés éprouvées. La désirabilité sociale
peut aussi contaminer les mesures, en particulier la croyance qu’il faut absolument
se montrer positif lorsque tant d’efforts ont été déployés pour amener une guérison.
De plus, les bénéfices sont peut-être encore insuffisamment circonscrits pour les
proposer dans une liste prédéterminée d’affirmations à évaluer sur une échelle de
type Likert. Des spécialistes croient aussi peu réaliste d’établir les bénéfices perçus
en demandant à un répondant un travail cognitif trop complexe. L’accentuation
de vertus et forces de caractère semble une variable d’intérêt pour étudier les bé-
néfices associés à l’expérience de la maladie. Enfin, aucune étude n’a comparé
comment des enfants et des adultes guéris, de même que des parents perçoivent
des bénéfices associés à l’expérience du cancer pédiatrique. Cette comparaison
permettrait d’en mieux saisir la spécificité, mais suppose une approche des répon-
dants qui soit appropriée à leur âge et à leur statut.

4. Objectifs de l’étude
Reposant sur le bilan précédent, l’étude poursuit trois objectifs : (a) déterminer
les éventuels bénéfices associés à l’expérience du cancer pédiatrique, perçus par
des enfants et des adultes guéris, de même que par des parents ; (b) vérifier si des
vertus et forces de caractère font partie des bénéfices ; et (c) comparer les bénéfices
perçus par les trois groupes de participants.

5. Méthode
5.1. Participants
Les participants de l’étude ont été recrutés, à travers six régions du Québec, par
l’intermédiaire d’une association bien établie qui vise le mieux-être des enfants at-
teints de cancer. L’échantillon se compose de trois groupes. Le premier comprend
52 enfants de 7 à 17 ans (M = 11,5 ; É.T. = 3,3). Ces 23 filles et 29 garçons ont eu
une leucémie, diagnostiquée en moyenne six ans plus tôt. Le deuxième groupe
se compose de 18 adultes guéris d’un cancer pédiatrique, âgés de 20 à 33 ans
(M = 25,4 ans ; É.T. =3,5). Ces 15 femmes et 3 hommes ont eu différents types de
cancer, en moyenne 16 ans plus tôt. Le groupe des parents compte 37 mères et 10
166 CIPS n°93 – 2012 – pp. 159-180

pères. La procédure de recrutement initiée par l’association ne permettait pas de


connaître le taux d’acceptation des personnes sollicitées ni de détecter un profil
particulier chez ces participants volontaires.

5.2. Procédure
La démarche méthodologique a été approuvée par un comité d’éthique de la re-
cherche dûment mandaté. La procédure comprenait le rappel aux participants des
objectifs de l’étude et de leurs droits, de même que la signature d’un formulaire de
consentement, contresigné par les parents dans le cas des enfants.
Les participants ont été interviewés dans le cadre d’une étude sur les difficultés
et l’adaptation scolaires après un cancer pédiatrique (Jutras, Tougas, Lauriault, &
Labonté, 2008). Une question supplémentaire leur a été posée pour connaître leur
perception des éventuels bénéfices associés à l’expérience du cancer pédiatrique.
Des prétests ont été effectués pour déterminer comment aborder le sujet sans être
blessant et pour être bien compris de participants d’âge et de statut différents. Pour
bien formuler la question, quatre jalons ont été posés : (a) pour ne pas offenser
le participant, l’assurer de la reconnaissance des difficultés associées au cancer,
(b) aborder les bénéfices par une expression équivalente moins abrupte, (c) énon-
cer le constat que, malgré les difficultés, certaines personnes ont rapporté des
bénéfices associés à l’expérience, (d) inviter le répondant à donner son opinion sur
ce constat en ce qui le concerne. Il s’agissait par la suite de traduire ces principes
dans une question construite pour qu’elle soit comprise de façon équivalente par
les participants des trois groupes et pour que les réponses obtenues puissent être
l’objet de comparaisons valables. Les prétests ont montré la nécessité de formuler
la question de façon légèrement différente pour chacun des groupes. Le tableau 1
présente le libellé de la question posée aux participants de chaque groupe.
Pour s’adresser à des enfants aussi jeunes que sept ans, les mots devaient être
simples et les formulations, concrètes. Les bénéfices ont été désignés avec eux par :
« avoir trouvé quelque chose de bon dans leur situation ». Avec les adultes, une

Tableau 1 : Libellé de la question selon le groupe de participants

Groupe Libellé
Enfants C’est certain que le cancer amène toutes sortes de difficultés. Malgré ça,
il y a des jeunes qui disent avoir trouvé quelque chose de bon dans leur
situation. Est-ce que c’est vrai pour toi?
Adultes guéris Le cancer amène toutes sortes de difficultés. Malgré tout, certaines
personnes disent avoir retiré des choses positives de leur expérience.
Qu’est-ce que tu en penses?
Parents Le cancer d’un enfant amène toutes sortes de difficultés pour chacun
des membres d’une famille. Malgré tout, certaines personnes disent
avoir retiré des choses positives de leur expérience. Qu’est-ce que vous
en pensez?
Les bénéfices associés à l’expérience du cancer pédiatrique 167

formulation moins élémentaire ne risquant pas d’être perçue comme infantilisante


a été retenue : « avoir retiré des choses positives de leur expérience ». Les adultes
étaient invités à dire ce qu’ils « pensaient » du constat proposé, tandis que nous
avons demandé plus concrètement aux enfants si le constat « était vrai » pour eux.
Par ailleurs, les prétests ont montré que si les bénéfices évoqués par les enfants et
les adultes guéris se rapportaient à eux-mêmes, plusieurs parents se prononçaient
pour différents membres de leur famille. Afin de respecter au mieux la façon dont
les parents percevaient l’impact du cancer, la reconnaissance des difficultés a porté
sur tous les membres de la famille. Enfin, le vouvoiement a été employé avec les
parents, et le tutoiement avec les enfants et les adultes guéris (dont l’âge était sem-
blable à celui des intervieweuses).

6. Analyse
6.1. Analyse de contenu
Les réponses ont été transcrites intégralement dans une base de données (FileMaker
Pro©) permettant une analyse de contenu thématique et quantitative suivant des
procédés classiques inspirés de L’Écuyer (1990) et en accord avec l’intérêt de la
quantification en recherche qualitative (Onwuegbuzie, 2003). L’analyse de con-
tenu reposait sur l’association d’unités de sens présentes dans les réponses à des
catégories d’une grille de codage préétablie. Une unité de sens correspond à la
plus petite unité d’information significative en soi dans une réponse. La grille de
codage a été construite à partir d’un thésaurus du bien-être développé dans notre
laboratoire, de l’examen des réponses des participants de chaque groupe et de
la classification des vertus et forces de caractère, telles que définies par Peterson
et Seligman (2004). La grille de codage comprenait 11 catégories de bénéfices :
l’amélioration des habitudes de vie, l’élévation des valeurs, les gains matériels, le
soi adaptatif et le soutien reçu, de même que les six vertus de la classification de
Peterson et Seligman (2004) : le courage, l’humanité, la justice, la sagesse et con-
naissance, la tempérance, la transcendance. Le tableau 2 (page suivante) présente
la grille de codage des bénéfices, accompagnés de leur description.
Travaillant de façon indépendante, deux assistantes ont segmenté et codé les
réponses des participants de chaque groupe. Elles ont par la suite comparé leur
segmentation et les codes attribués à chaque unité de sens. En cas de disparité dans
la segmentation ou dans les codes, les assistantes et une coordonnatrice discutaient
du cas et établissaient par consensus les segments à retenir et leurs codes associés.

6.2. Analyses statistiques


Afin de déterminer l’importance d’évocation de chaque bénéfice et les différences
entre les groupes de participants, trois variables ont été définies. Pour chaque par-
ticipant, ont été établis : la présence (ou l’absence) de mention de chaque bénéfice,
la présence (ou l’absence) de mention d’au moins un bénéfice et le nombre total
de bénéfices évoqués. Des analyses du khi carré ont été effectuées pour les deux
premières variables. Pour les résultats significatifs, des analyses a posteriori ont
168 CIPS n°93 – 2012 – pp. 159-180

Tableau 2 : Grille de codage des bénéfices associés au cancer pédiatrique

Bénéfice Description
1. Amélioration des Comportements préventifs dans le but de maintenir ou améliorer
habitudes de vie son état de santé physique ou mentale.

2. Couragea Forces émotionnelles impliquant l’exercice de la volonté pour


poursuivre un but malgré l’adversité externe ou interne : bravoure,
persistance, intégrité, vitalité.
3. Élévation des Meilleur jugement sur ce qui est vrai, juste et bon ; accroissement
valeurs de l’idéalisme ; changement positif dans ses priorités.
4. Gains matériels Avantages matériels liés à sa situation.
5. Humanité a
Forces interpersonnelles poussant à apporter du soutien, à s’occu-
per d’autrui : amour, gentillesse, intelligence sociale.
6. Justicea Forces civiques qui sous-tendent une vie communautaire saine :
citoyenneté, équité, leadership.
7. Sagesse et Forces cognitives liées à l’acquisition et l’utilisation de connais-
connaissancea sances : créativité, curiosité, ouverture d’esprit, amour de l’appren-
tissage, perspective.
8. Soi adaptatif b Adaptation fondée sur un jugement à l’égard de soi ou des actions
posées pour maintenir, promouvoir ou défendre son soi.
9. Soutien reçu Assistance tangible ou intangible reçue de son réseau social.
10. Tempérance a
Forces qui protègent contre l’excès : pardon, humilité, prudence,
autocontrôle.
11. Transcendancea Forces qui relient à l’univers et qui apportent du sens : appréciation
de la beauté et de l’excellence, gratitude, espoir, humour, spiritualité.

Note. a Vertu selon Peterson et Seligman (2004) ; b Description inspirée de L’Écuyer (1975).

été effectuées au seuil a = 0,05 de façon à déterminer la contribution de chaque


groupe. Les résidus standardisés ajustés qui, en valeurs absolues, étaient supérieurs
ou égaux à 1,96 ont été considérés statistiquement significatifs. Pour le nombre
total de bénéfices évoqués, une analyse de variance à un facteur a été effectuée.
Pour comparer les trois groupes, une analyse a posteriori selon la procédure HSD
de Tukey a été faite.

7. Résultats
7.1. Présence de bénéfices associés à l’expérience du cancer pédiatrique
Le premier objectif de l’étude était de déterminer les éventuels bénéfices associés à
l’expérience du cancer pédiatrique perçus par les participants. Le tableau 3 présen-
te les bénéfices selon le pourcentage de participants qui les ont rapportés dans
chaque groupe. À l’exception de la justice, chaque catégorie de bénéfices a été
Les bénéfices associés à l’expérience du cancer pédiatrique 169

Tableau 3 : Bénéfices rapportés par les participants de chaque groupe (%)

Bénéfices Total Enfants Adultes guéris Parents c2

n = 52 n = 18 n = 47 (2, N = 117)
Humanité a 36,8 26,92 38,89 46,81 ns
Élévation des valeurs 26,5 5,77â 38,89 44,68­á 20,87***
Sagesse et connaissance a 23,9 26,92 44,44­­á 12,77â 7,64*
Transcendance a
23,9 9,62â 38,89 34,04­­á 10,71**

Courage a
15,4 7,69â 33,33­­á 17,02 6,92*
Soutien 13,7 25,00­­á 5,56 4,26â 10,19**
Gains matériels 12,8 21,15­­á 16,67 2,13â 8,28*
Soi adaptatif 9,4 9,62 22,22 4,26 ns
Tempérance a 6,0 3,85 22,22­­á 2,13 10,10**
Amélioration des 7,7 3,85 16,67 8,51 ns
habitudes de vie
Justice a 0,0 0,0 0,0 2,13 –
Note. Vertu selon Peterson et Seligman (2004).
a

Le signe á indique que le groupe est proportionnellement surreprésenté par rapport aux autres groupes,
tandis que le signe â indique que le groupe est proportionnellement sous-représenté, selon le calcul des
résidus standardisés ajustés.
* = p < 0,05. ** = p < 0,01. *** = p < 0,001.

mentionnée par au moins 15 % des participants d’un groupe. Le deuxième objectif
était de vérifier la présence de vertus parmi les bénéfices ; c’est le cas de cinq des
six vertus de la classification de Peterson et Seligman (2004). La vertu de justice,
mentionnée par un seul parent, ne fait donc pas partie des bénéfices perçus.
La liste des bénéfices est présentée dans le tableau selon leur ordre décroissant
d’évocation par l’ensemble des répondants. Cependant, comme nous le verrons,
l’évocation de plusieurs de ces bénéfices varie selon le groupe de participants.

7.2. Exemples de réponses associées aux bénéfices


Examinons comment les participants des différents groupes s’expriment à propos
des dix bénéfices répertoriés. De façon à ne pas s’attarder à des perceptions contin-
gentes, des exemples (présentés en italique et identifiés par le code du répondant
[E : enfant, AG : adulte guéri, P : parent]) seront donnés pour les groupes dont au
moins 15 % des participants ont évoqué le bénéfice.
170 CIPS n°93 – 2012 – pp. 159-180

Humanité. Plusieurs enfants évoquent l’humanité, notamment en ce qui con-


cerne la gentillesse, le souci des autres. Ça m’a fait connaître le milieu des enfants
malades (…). Tu sais, ça m’a amené dans le milieu de tout ce qu’ils pouvaient
vivre, ça m’a fait comprendre ce que c’était, parce qu’avant, ça ne me préoccupait
pas vraiment, je me disais, bien, il y a quelqu’un d’autre qui va le faire [E34]. Les
adultes guéris verbalisent aussi l’humanité sous l’angle de la gentillesse. L’extrait
d’une réponse d’un adulte guéri illustre comment l’expérience du cancer peut être
lié au développement de l’intelligence sociale. Mon cancer, il m’a ouvert d’autres
portes, on dirait que ça m’a permis d’être plus éveillé, d’être plus conscient de mon
entourage, je veux dire, j’ai l’impression que je me préoccupe beaucoup plus des
autres, je veux que tout soit correct. C’est avec tout le monde, autant ma famille
que mes amis, puis, les autres que je rencontre à l’école. On dirait que c’est un
sixième sens, là, je suis rendu que quand quelque chose va pas chez quelqu’un,
je le sais [AG09]. Les parents rapportent aussi des bénéfices liés à la gentillesse, à
l’amour accru à la suite du cancer de leur enfant. L’amour qu’on a, les uns envers
les autres, sur toute la terre entière, même avec le poisson rouge, tu sais… On est
vraiment des êtres sensibles à n’importe quoi, on ramasse des chats égarés dans la
rue,(…) on va les porter [P48].
Élévation des valeurs. L’élévation des valeurs est évoquée par les adultes guéris,
témoignant parfois d’un certain idéalisme, comme dans l’extrait suivant. Mon cas
s’est élargi envers la planète, quand il y a des problèmes environnementaux, ça
me touche un petit peu plus que les autres… [AG09]. Plusieurs parents soulignent
le changement apporté par le cancer dans leurs priorités. Ça m’a fait regarder les
choses autrement dans la vie. Parfois des chicanes ou des choses comme ça, il
n’y a pas de raison (de s’en faire) pour ça. Les maladies et la mort, je trouve que
c’est ça (qui compte). Quand on disait, ah, j’ai mal à la tête, on donnait beaucoup
d’importance à ces choses-là, maintenant, je trouve, tu sais, c’est rien ces petites
affaires [P40]. 
Sagesse et connaissance. La vertu de sagesse et de connaissance s’exprime dans
les réponses d’enfants qui traitent de ce que le cancer leur a permis d’apprendre.
Je voulais tout le temps savoir quelle chose ils vont me faire, parce que je voulais
apprendre beaucoup sur comment ils fonctionnent avec ça. Je leur demandais tout
le temps «  qu’est-ce que vous allez me faire  » tout ça [E59]. Les apprentissages
réalisés sont aussi présents chez les adultes guéris ; l’extrait suivant illustre une
autre facette de la sagesse et de la connaissance, davantage liée à ce que Peterson
et Seligman (2004) nomment la perspective. Ceux qui ont jamais été malades, il y
a des choses qu’ils peuvent pas comprendre, ou qu’ils peuvent pas nécessairement
accepter, qu’ils trouvent banales, tandis que toi, quand tu l’as vécu, tu le sais c’est
quoi. Puis vice-versa, il y a des choses que les gens trouvent tellement terribles ou
importantes que, toi, qui as été malade, tu fais comme, c’est rien ça, ou tu sais, c’est
pas si grave que ça [AG13].
Transcendance. La transcendance se retrouve dans les réponses des adultes gué-
ris. Dans l’exemple suivant, trois des forces de caractère associées à cette vertu
Les bénéfices associés à l’expérience du cancer pédiatrique 171

sont présentes : la gratitude, l’espoir et l’appréciation de la beauté. J’en ressors ga-


gnante, puis peut-être avec une nouvelle force puis justement, une nouvelle façon
de voir les choses. Souvent, tu sais, il y a des obstacles qui arrivent, puis je me dis
toujours, « ah, ça va se régler », on dirait que je remarque que ça se règle tout le
temps finalement, puis pour le mieux, tu sais, des fois la vie est plus belle après ces
obstacles-là que ce qu’elle aurait été sans les obstacles [AG15]. La transcendance
est aussi évoquée chez les parents, notamment sous l’angle de la gratitude. Le posi-
tif dans tout ça, c’est qu’elle est guérie, que les séquelles c’est pas grave, elle est en
vie, elle réussit bien à l’école, on s’en est sorti toute la famille, on est pas séparé, on
s’est rapproché au contraire [P57].
Courage. Avoir surmonté le cancer peut apporter le courage, la force pour faire
face à d’autres difficultés. C’est ce que pensent plusieurs adultes guéris. Peut-être
que ce qui m’est arrivé, ça m’a préparée pour tout ce que je vis en ce moment,
mon accident, puis toutes les choses qui sont arrivées dans ma vie, peut-être que
je ne serais pas aussi forte ou que je n’aurais pas passé au travers aussi facilement
[AG16]. Quelques parents évoquent aussi le courage ; en voici un exemple : On
(réalise qu’on est capable de) passer à travers des épreuves [P58].
Soutien reçu. Ce sont surtout les enfants qui rapportent le soutien reçu comme bé-
néfice de leur expérience. J’ai eu plus d’attention, là, pendant les dernières années,
aujourd’hui encore ils me demandent ce qui s’est passé [E19].
Gains matériels. Les avantages matériels apportés par le cancer se retrouvent sur-
tout dans les propos des enfants. J’ai eu une piscine [E38]. Ils sont très rarement
mentionnés par les adultes guéris. En voici un exemple : Étant donné (…) que
j’ai eu (le cancer), le gouvernement versait une rente (…) et mes parents (…) n’y
ont jamais touché, ont toujours déposé cet argent-là, et ça a fait une jolie somme
[AG19].
Soi adaptatif. Le soi adaptatif est un bénéfice retrouvé chez les adultes guéris.
L’extrait suivant illustre bien ce jugement à l’égard de soi ou des actions que l’on
peut poser pour maintenir ou défendre son soi. Après tout ce que j’ai passé, je sais
que, peu importe ce qui m’arrive, je vais être capable de m’en sortir [AG01].
Tempérance. La tempérance est évoquée par des adultes guéris. L’extrait suivant té-
moigne de la prudence acquise au travers de l’expérience. Avant de faire n’importe
quelle niaiserie, dans la vie, bien, tu y penses à deux fois, puis, tu te dis, tu sais, j’ai
été malade, il faudrait pas que, ça, ça arrive [AG14].
Amélioration des habitudes de vie. L’amélioration des habitudes de vie est ra-
rement évoquée. Quelques adultes guéris y font référence, par exemple en ces
termes : J’essaye d’avoir une alimentation (…) bien pour la santé [AG08].

7.3. Comparaison des bénéfices perçus selon le statut du participant


Sur un plan quantitatif global, les enfants, les adultes guéris et les parents diffèrent
quant à l’évocation de bénéfices. D’une part, la proportion de participants qui
172 CIPS n°93 – 2012 – pp. 159-180

Tableau 4 : Participants de chaque groupe rapportant au moins un bénéfice (%)

Enfants Adultes guéris Parents χ2


n = 52 n = 18 n = 47 (2, N = 117)
Au moins 1 bénéfice 71,15â 100,00­á 87,23 8,99**

Note. Le signe á indique que le groupe est proportionnellement surreprésenté par rapport aux autres
groupes, tandis que le signe â indique que le groupe est proportionnellement sous-représenté, selon le
calcul des résidus standardisés ajustés.
** p = 0,011.

Tableau 5 : Nombre de bénéfices rapportés par les participants de chaque groupe

Enfants Adultes guéris Parents ANOVA


n = 52 n = 18 n = 47

M (É.T.) M (É.T.) M (É.T.) F(2, 114)


Nombre de bénéfices 1,40b (1,32) 2,78a (1,31) 1,77b (1,07) 8,46***
rapportés

Note. Les moyennes présentant le même indice ne sont pas statistiquement différentes à a = 0,05 selon la
procédure HSD de Tukey.
*** = p < 0,001.n.

mentionnent au moins un bénéfice varie selon le groupe, χ2(2, N = 117) = 8,99,


p = 0,011 (voir le tableau 4). Les résultats des tests a posteriori montrent que les
adultes guéris sont plus nombreux à évoquer au moins un bénéfice et que les
enfants sont moins nombreux à le faire. Notons que tous les adultes guéris ont
mentionné au moins un bénéfice.
D’autre part, comme le montre le tableau 5, le nombre moyen de bénéfices rap-
portés est associé au statut du répondant, F(2, 114) = 8,46, p < 0,001. Les analyses
a posteriori effectuées selon la procédure HSD de Tukey révèlent que les adultes
guéris rapportent un nombre plus élevé de bénéfices que les enfants et les parents.
En ce qui concerne la perception de chaque bénéfice, les trois groupes de répon-
dants diffèrent-ils? Le tableau 3 présente les résultats des analyses permettant de vé-
rifier l’association entre chaque bénéfice et le statut du participant. Proportionnel-
lement autant d’enfants, d’adultes guéris que de parents mentionnent l’humanité.
Pour les autres bénéfices, plusieurs différences significatives sont à signaler. L’éléva-
tion des valeurs est liée au statut du répondant, χ2(2, N = 117) = 20,87, p < 0,001.
Les résultats des tests a posteriori montrent que plus de parents et moins d’enfants
ont mentionné ce bénéfice. La sagesse et connaissance est un autre bénéfice lié
au statut, χ2(2, N = 117) = 7,64, p = 0,022. Ce bénéfice est davantage évoqué par
Les bénéfices associés à l’expérience du cancer pédiatrique 173

les adultes guéris que par les parents. La transcendance est liée au statut , χ2(2,
N = 117) = 10,71, p = 0,005. Plus de parents et moins d’enfants mentionnent ce
bénéfice. Le courage, associé au statut, χ2(2, N = 117) = 6,92, p = 0,032, a été da-
vantage mentionné par les adultes guéris et moins par les enfants. Le soutien reçu
est associé au statut, χ2(2, N = 117) = 10,19, p = 0,006. Les enfants ont été plus
nombreux à mentionner ce bénéfice, tandis que moins de parents l’ont évoqué. Il
existe une différence entre les groupes en ce qui concerne les gains matériels, χ2(2,
N = 117) = 8,28, p = 0,016, davantage évoqués par les enfants et moins par les
parents. Enfin, le statut du répondant est associé à l’évocation de la tempérance,
χ2(2, N = 117) = 10,10, p = 0,006 : les adultes guéris ont été plus nombreux à
mentionner ce bénéfice. Pour le soi adaptatif et l’amélioration des habitudes de vie,
aucune différence significative n’apparaît entre les groupes.

8. Discussion
8.1. Bénéfices associés à l’expérience du cancer pédiatrique
Le premier objectif de l’étude était de déterminer les bénéfices associés à
l’expérience du cancer pédiatrique perçus par des enfants et des adultes guéris, de
même que par des parents. Parmi les dix bénéfices rapportés, cinq correspondent
à des conclusions d’études antérieures. Ainsi, l’humanité, évoquée par plusieurs
répondants dans tous les groupes, est un bénéfice perçu par des adultes guéris sous
les aspects de compassion (Parry & Chesler, 2005) et de relations interpersonnelles
(Novakovic et al., 1996 ; Sundberg et al., 2009). L’élévation des valeurs est rap-
portée par les adultes guéris et les parents de notre étude, tout comme par d’autres
adultes guéris (Parry et Chesler, 2005) et d’autres parents (Van Dongen-Melman
et al., 1998). Les connaissances liées à la maladie sont un bénéfice décrit par des
adolescents guéris (Mattsson et al., 2007) et cadrent avec la sagesse et connais-
sance présente dans les bénéfices évoqués par les enfants et les adultes guéris de
notre échantillon. La transcendance, évoquée par les adultes guéris et les parents,
concorde avec des propos de parents sur l’appréciation de ce qui est beau ou bon
dans l’instant présent (Van Dongen-Melman et al., 1998). À l’instar des adultes
guéris de notre étude, d’autres adultes guéris ont perçu des bénéfices liés au soi
adaptatif (Novakovic et al., 1996 ; Parry & Chesler, 2005 ; Sundberg et al., 2009).
L’étude fait ressortir cinq bénéfices absents des travaux antérieurs : le courage chez
les adultes guéris et les parents ; le soutien reçu chez les enfants ; les gains maté-
riels chez les enfants et les adultes guéris ; la tempérance chez les adultes guéris ;
l’amélioration des habitudes de vie chez les adultes guéris.

8.2. Présence des vertus et forces de caractère dans les bénéfices perçus
Parmi les bénéfices les plus prégnants, trois sont des vertus : l’humanité, la sag-
esse et connaissance, la transcendance. Les vertus de courage et de tempérance
sont présentes, essentiellement chez les adultes guéris. En fait, la seule vertu
absente est la justice. Chez des adultes guéris de maladies variées, Peterson et ses
collègues (2006) avaient constaté des forces de caractère plus accentuées pour
174 CIPS n°93 – 2012 – pp. 159-180

les six vertus, y compris la justice. Utilisant la version pour enfant de l’instrument
utilisé par Peterson et ses collègues, Guse et Eracleous (2011) n’ont rapporté
pour leur part aucune différence entre des adolescents guéris d’un cancer et des
adolescents en santé.
Dans les trois groupes, les vertus ne sont pas autant évoquées. Seules l’humanité,
et la sagesse et connaissance sont mentionnées par plusieurs enfants. Chez les
adultes guéris, cinq vertus le sont : la sagesse et connaissance, l’humanité, la tran-
scendance, le courage, la tempérance. Uniquement les vertus d’humanité et de
transcendance ont été mentionnées par plusieurs parents.
Les vertus et forces indiquées étaient-elles présentes avant la survenue du can-
cer? Leur présence antérieure aurait-elle contribué à surmonter les épreuves de
la maladie, voire même à guérir pour les jeunes? Le plan transversal de l’étude
ne permet pas de le déterminer. Selon Peterson et Seligman (2004), les forces de
caractère sont des traits stables, susceptibles d’évoluer en fonction des conditions
dans lesquelles se trouve l’individu. Indépendamment de leur présence antérieure,
il est vraisemblable que les forces aient été activées par la recherche d’un équilibre
psychologique perturbé par le cancer. Dans des conditions qu’il reste à établir,
des vertus et forces de caractère pourraient se révéler ou croître en faisant face
à l’adversité. Le cancer est une expérience très menaçante dont l’issue est incer-
taine. Comme l’exposent Park, Edmonston, Fenster et Blank (2008), constater des
preuves de croissance en soi pourrait aider à restaurer le sentiment que la vie est
cohérente, a un sens, et que le monde est prévisible et juste. Beaucoup reste à faire
pour élucider les processus sous-jacents au développement des vertus et forces de
caractère. Si, comme l’affirment Peterson et Seligman (2004), elles favorisent une
vie heureuse, saine et droite, il s’agit d’une avenue de recherche prometteuse pour
aborder l’expérience de la maladie sous un jour positif.

8.3. Bénéfices perçus selon le statut du participant


En accord avec le troisième objectif de l’étude, la comparaison des bénéfices per-
çus par les trois groupes de participants permet d’en faire ressortir les spécificités.
Tout d’abord, seule l’humanité figure parmi les bénéfices les plus mentionnés dans
les trois groupes. Pour ce bénéfice, aucune différence n’apparaît selon le statut
des participants ; ce n’est pas le cas pour la majorité des autres bénéfices. En plus
de l’humanité, les principaux bénéfices évoqués par les enfants sont la sagesse et
connaissance, le soutien et les gains matériels. Les enfants se démarquent en étant
plus nombreux à parler de bénéfices manifestes : le soutien et les gains matériels,
et moins nombreux à évoquer des bénéfices intangibles : l’élévation des valeurs,
la transcendance et le courage. Pour les parents, en sus de l’humanité, l’élévation
des valeurs et la transcendance constituent les principaux bénéfices, pour lesquels
ils se démarquent. En revanche, les parents sont moins nombreux à évoquer la
sagesse et connaissance, le soutien et les gains matériels. Comparativement aux
autres groupes, tous les adultes guéris rapportent au moins un bénéfice, évoquent
un nombre plus élevé de bénéfices et se démarquent pour trois d’entre eux  : la
sagesse et connaissance, le courage et la tempérance.
Les bénéfices associés à l’expérience du cancer pédiatrique 175

Le niveau de développement cognitif pourrait expliquer que des bénéfices plus


concrets caractérisent les perceptions des enfants et des bénéfices plus abstraits,
celles des adultes (adultes guéris et parents). La sagesse et connaissance caractérise
les propos des adultes guéris et constitue un des deux bénéfices les plus fréquem-
ment évoqués par les enfants. L’expérience de la maladie pourrait agir comme
catalyseur du développement. Le cancer pédiatrique enseigne très tôt des leçons
saisissantes, variées, dépassant les occasions et lieux d’apprentissage habituels des
jeunes. Par contraste, lorsque le cancer de son enfant survient, un adulte a déjà ac-
quis un bagage considérable de connaissances. Le cancer ne stimule probablement
pas autant les apprentissages chez les parents que chez les enfants.
L’évocation du courage caractérise les adultes guéris, alors que les enfants en par-
lent peu. Le temps est nécessaire pour que les bénéfices acquis du combat anté-
rieur se révèlent dans l’affrontement de nouvelles adversités. De même pour le
bénéfice lié au soi adaptatif : il faut avoir l’occasion d’être confronté à des situ-
ations difficiles pour faire le constat de sa capacité d’adaptation. La tempérance,
abordée sous l’angle de la prudence par les adultes guéris, est aussi acquise avec
la maturité et à travers l’expérience de la maladie potentiellement létale. Constater
chez soi le courage, la capacité d’adaptation et la tempérance exige un certain
degré de développement cognitif, l’expérience intime de l’adversité et le recul du
temps pour que ces bénéfices se manifestent. Comparativement aux enfants et aux
parents, les adultes guéris répondent précisément à ces conditions.
La procédure pour aborder la question des bénéfices visait à respecter le répondant
en reconnaissant les difficultés éprouvées et à être bien compris des participants
peu importe leur âge et leur statut. Nous croyons qu’elle a porté ses fruits. Par ex-
emple, nous avons pu constater que les enfants évoquent des bénéfices bien con-
crets, cohérents avec leur niveau de développement cognitif. Se mettre au diapason
des jeunes et poser une question amenant des réponses libres permet vraisem-
blablement le rappel d’expériences réelles et concrètes.

9. Contributions de l’étude
Avant de souligner les contributions de l’étude, il convient de reconnaître que,
comme dans toute étude avec échantillon non probabiliste, le niveau de générali-
sation des résultats est limité. À l’exception des études de cohorte multicentrique,
il est souvent difficile d’obtenir la participation de jeunes qui ont survécu au cancer
pédiatrique (Guse & Eracleous, 2011). Il est possible que nos participants volon-
taires se distinguent de ceux qui n’auraient pas voulu prendre part à l’étude. Dans
le cas des adultes guéris, il ne s’agissait pas cependant d’individus sans séquelles
puisque la majorité avait un problème de santé chronique et une incapacité phy-
sique ou cognitive attribuables au cancer pédiatrique (Jutras et al., 2008). Les en-
fants et les parents ne rapportaient pas ce niveau de problèmes de santé.
Les constats concernant la présence accrue de forces de caractère chez soi repo-
sent sur les perceptions des répondants. Il serait intéressant de savoir si des mem-
bres de l’entourage ont noté de telles transformations chez les jeunes. Cependant,
176 CIPS n°93 – 2012 – pp. 159-180

les proches risquent aussi d’être subjectifs en raison de leurs efforts pour composer
avec la maladie de la personne aimée. De plus, ils peuvent eux-mêmes avoir chan-
gé ; effectivement, les parents de la présente étude se sont reconnu de nouvelles
forces. Il est difficile d’établir un plan de recherche qui pare ces problèmes. Deux
éléments concourent néanmoins à voir de l’authenticité dans les autoévaluations
des vertus et forces de caractère en relation avec l’adversité. D’une part, Peterson
et al. (2006) ont constaté des forces élevées chez des répondants qui ignoraient
que leurs autoévaluations des forces seraient mises en relation avec leur maladie
surmontée. D’autre part, les répondants de notre étude ont spontanément parlé de
leurs forces acquises ou accrues au travers de l’expérience du cancer en réponse
à une question qui ne faisait pas allusion à de telles forces. Ces mises au jour de
vertus et forces de caractère appuient l’affirmation de Seligman et Peterson (2004) :
leur déploiement serait un moteur important dans l’adaptation et la recherche
d’équilibre psychologique.

9.1. Apport à l’étude de la perception de bénéfices associés au cancer pédiatrique


L’étude contribue de diverses façons aux travaux sur la perception de bénéfices
associés au cancer pédiatrique. La procédure a sondé les perceptions en attestant
des difficultés vécues par le répondant. Témoigner de l’empathie est une approche
respectueuse, qui concorde avec les principes éthiques et qui crée une relation in-
tervieweur-interviewé plus propice à l’évocation de propos authentiques. De plus,
elle a une valeur heuristique en aidant le répondant à départager les répercussions
positives des négatives. La procédure d’évocation, moins marquée d’un a priori
adulte ou de chercheur, a permis de retracer tous les bénéfices antérieurement
rapportés et en a suscité de nouveaux. Comme souligné précédemment, les listes
fermées d’aspects à évaluer par les répondants semblent incomplètes au regard des
bénéfices que les personnes concernées auraient à faire valoir. À notre connais-
sance, il s’agit de la première étude comparant les perceptions des trois groupes.
Un soin particulier a été apporté à formuler les questions de façon équivalente,
mais adaptée à l’âge et au statut du répondant. Cela a probablement contribué
à faire évoquer des bénéfices dans tous les groupes, mais distincts et cohérents
avec le statut et l’âge des répondants. Ainsi l’évocation plus importante de cer-
tains bénéfices dans un groupe semble s’expliquer par le développement cognitif,
l’expérience personnelle du cancer pédiatrique ou le passage du temps.

9.2. Apport à la psychologie positive


La psychologie positive s’intéresse à l’épanouissement de l’être humain (Seligman
& Csikszentmihalyi, 2000). C’est dans cet esprit que se sont développées les re-
cherches sur la perception de bénéfices liés à la maladie, de même que sur les
vertus et forces de caractère. La présente étude met en valeur les bénéfices perçus
comme associés à l’expérience du cancer pédiatrique, dans lesquels les vertus
occupent une place importante. La perception des bénéfices associés à un évé-
nement traumatique, loin d’être monolithique, pourrait varier grandement selon
les acteurs qui en font l’expérience. En particulier, l’expérience personnelle, le
Les bénéfices associés à l’expérience du cancer pédiatrique 177

développement cognitif, l’âge et le passage du temps devront être davantage pris


en considération pour mieux comprendre les processus de transformation et ap-
profondir le sens des bénéfices pour les différents acteurs concernés par la maladie.
Ce que l’on peut gagner à travers l’adversité est une question des plus fascinantes
en psychologie positive. La présente étude apporte des éléments pour mieux com-
prendre la perception de bénéfices liés au cancer pédiatrique et invite à entrepren-
dre des recherches avec des échantillons plus grands et plus représentatifs. Il faudra
bien sûr poursuivre les travaux pour examiner comment la culture, le système de
santé, le niveau socioéconomique et la maladie elle-même influent sur les bé-
néfices perçus. En particulier, des études longitudinales permettraient de voir les
transformations positives se profiler. L’extrait suivant d’une chanson, composée en
hommage à un jeune combattant le cancer, illustre bien le processus de transfor-
mation à explorer, à comprendre et à soutenir.
J’ai en moi cette vieille âme
De ceux pour qui la sagesse
A remplacé la jeunesse
Et qui m’a fait garder espoir
Dans les moments les plus noirs
Et qui a aussi tempéré
Mes victoires à l’arrachée
Je me serai tenu comme un roi
Face à ce cheval de Troie
Sans me plaindre de la douleur
Et sans pleurer sur mon malheur
Que je survive ou que je meure
Maintenant je n’ai plus peur

« La tête haute » (Les Cowboys Fringants, 2008, piste 9)


178 CIPS n°93 – 2012 – pp. 159-180

Notes
1. Le lecteur intéressé aux informations médicales et épidémiologiques consultera avec
intérêt la section Le cancer chez les adolescents et les jeunes adultes d’un document produit
par le Comité directeur de la Société canadienne du cancer (2009).
2. Pour plus d’informations sur les instruments de mesure des forces de caractère, consulter :
https://www.viacharacter.org/www/en-us/home.aspx

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Consignes aux auteurs

Tout manuscrit ne respectant pas scrupuleusement les présentes consignes sera renvoyé à son auteur.
Nous sommes à votre disposition pour toute question relative à ce document.

LONGUEUR
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exception qui requiert l’accord du Comité éditorial. Les notes de recherche sont acceptées mais ne
dépasseront pas 10 pages (environ 20 000 signes).

FORME ET NOMBRE DE COPIES


Un exemplaire papier ainsi qu’une version électronique seront envoyés. Les documents électroniques
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les subsidiations et sponsorings éventuels sont mentionnés sur une page à part, de façon à garder la
confidentialité de l’expertise du texte. Les pages suivantes ont un titre d’article en tête ou en pied de page
mais ne portent aucune indication d’auteur(s). Pour conserver l’anonymat des expertises on évitera toute
auto-citation du genre « dans notre précédent article »…

DEUXIÈME MOUTURE
Dans l’hypothèse où une version remaniée est demandée, l’auteur accompagne cette seconde version
d’un justificatif détaillé explicitant les modifications effectuées et, le cas échéant, justifiant pour quelle
raison il reste en désaccord avec les lecteurs.

AUTEURS
S’il y a plus de deux auteurs, le rôle respectif de chacun sera précisé en bas de page.

RÉSUMÉ
Les textes d’articles seront accompagnés, sur feuilles séparées, d’un résumé de 120 mots au maximum,
en français et en anglais, axé sur les intentions, les objectifs, les résultats et conclusions, en évitant
d’alourdir le texte par des références d’auteurs. Y sont joints un maximum de cinq mots-clés.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES EN COURS DE TEXTE


Limitées au nom de l’auteur et à la date de publication, elles sont citées entre parenthèses. Elles sont
réduites au strict minimum pour ne pas entraver la continuité du discours. S’il y a deux auteurs, les citer
tous deux ; s’il y en a trois ou plus, les citer tous lors d’une première référence, ne reprendre que le pre-
mier auteur « et coll. » dans les références ultérieures.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES HORS TEXTE


La liste est établie par ordre alphabétique. L’auteur est invité à en vérifier scrupuleusement l’exactitude.
Les références suivent les normes de l’American Psychological Association (5ème édition).

TABLEAUX, PHOTOGRAPHIES, GRAPHIQUES, FIGURES


Présentés chacun, dans les dimensions adéquates, sur une feuille distincte de façon nette, précise et
effectivement reproductible, évitant lignages, pattern de fond ou ombrage superflus, ils doivent être
numérotés, précédés d’un titre et dotés d’une légende autosuffisante. L’auteur en vérifiera minutieuse-
ment l’exactitude et précisera l’endroit d’insertion dans le texte. Toutes instructions à leur sujet figureront
sur une feuille distincte. Le coût d’éventuelles photos ou illustrations couleurs est à charge de l’auteur.
182

RECOMMANDATIONS MÉTHODOLOGIQUES
Les présentes recommandations reprennent des remarques maintes fois émises, au cours de ces dix derniè-
res années, par les experts d’articles proposés.

1. Définir avec précision le sens des concepts et vocables utilisés, en se référant aux dictionnaires étymo-
logiques ou aux études taxinomiques appropriés ; préciser le sens des abréviations éventuelles.

2. Rendre justice aux sources : ne pas s’en tenir aux publications les plus récentes des seuls périodiques
anglo-saxons ou non ; privilégier les ouvrages fondamentaux originaux.

3. Préciser les objets ou plans de focalisation et formuler avec rigueur les modes d’approche envisagés.

4. Élaguer l’information en la dépouillant du superflu ostentatoire. Les données statistiques seront exclu-
sivement en rapport avec l’objet de l’article, évitant les précisions excessives (ex. : limiter les résultats
statistiques à deux décimales).

5. Traiter avec clairvoyance les modalités quantitatives :

• privilégier l’analyse quantitative factuelle des données, évitant tout étalage de formules superfétatoires
et une sophistication mathématique ne concernant pas le psychologue social ; pour ce faire, le choix des
outils statistiques utilisés se doit d’être dûment justifié par son appropriation au problème posé ;
• circonscrire avec précision la population étudiée, préciser le mode d’élaboration probabiliste ou non
de l’échantillonnage, décrire avec exactitude la composition de l’échantillon ;
• éviter (entre autres) : de tirer des inférences de données quantitatives insuffisantes (ex. : un r de .30
n’exprime que 9% de la variance commune entre les variables) ; de recopier de façon automatique
certains listings informatique (ex. : si .0001 exprime une probabilité, .000 est une certitude), d’utiliser
des statistiques incorrectes (ex. : les c2 calculés au départ de cellules dont les fréquences théoriques
sont inférieures à cinq) ; etc.

6. Le détail des travaux statistiques ou des programmes informatiques, les protocoles des études de cas,
les attendus des observations et entretiens, de façon générale l’ensemble des données de base ne seront
pas publiés mais doivent pouvoir être communiqués sur demande des évaluateurs, éventuellement par
attaché.

CONSIDÉRATIONS DÉONTOLOGIQUES
1. Les données susceptibles d’être combinées et présentées conjointement devraient autant que possible
faire l’objet d’une publication unique. Leur fragmentation en plusieurs rapports, par petits paquets, n’est
pas désirable ; sera notamment évitée toute découpe arbitraire de l’échantillon à seule fin de multipli-
cation de publications.

2. Par souci de transparence et d’équité, la contribution effective de chacun gagne à être mise en évi-
dence, proscrivant les listes d’auteurs cités de façon indifférenciée alors que leur rôle respectif est varia-
ble, parfois dérisoire. On diminue de ce fait la reconnaissance des mérites de l’auteur effectif tout en
élargissant, parfois à bon compte, le dossier scientifique d’aucuns.

Il y a lieu de ne mentionner comme tels que le ou les auteurs effectifs, quitte à préciser « sous la direction
de », « avec l’aide technique de », « bénéficiant de l’expertise statistique ou informatique de », voire « avec
l’approbation de » lorsque plusieurs collègues se rallient au texte d’un auteur initial.
ABONNEMENT 2012

Institution Particulier Étudiant

Europe : 95 euros Europe : 68 euros Europe : 55 euros

sur copie de la carte d’étudiant(e)


Monde : 99 euros Monde : 72 euros
pour l’année en cours

Remarque : les commandes sont servies après réception des paiements.

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À retourner à Céfal Diffusion, 31 boulevard du Frère Orban, 4000 Liège, Belgique

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1. Toute commande est soumise à l’acceptation expresse des présentes


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2. Les marchandises sont livrées sans faculté de retour ni d’échange, elles
voyagent aux risques et périls du client, même en cas de livraison franco.
3. Les marchandises demeurent propriété du vendeurjusqu’à paiement intégral
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4. Pour tous travaux à façon, le client qui donne un ordre d’exécution ou de
reproduction est censé en avoir les droits.
5. Sauf dérogation, les factures sont payables au comptant. Tout retard de
paiement pourra donner lieu, de plein droit et sans mise en demeure :
– à une majoration de 15% du montant dû (avec minimum de 10 euros)
– à la prise en charge par l’acheteur de l’ensemble des frais exposés dans le
cadre du recouvrement de la créance.
6. Pour être valable, toute réclamation doit parvenir au céfal asbl Liège sous
pli recommandé endéans les quinze jours qui suivent la réception de la
marchandise.
7. En cas de litige, les tribunaux de Liège sont seuls compétents.

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