HGGSP Thème 3 Corrigé
HGGSP Thème 3 Corrigé
Thème
Histoire et mémoires
La logique du thème
Le programme de HGGSP de Terminale n’a pas pour vocation de suivre un ordre déterminé. Mais
faire suivre le thème « Faire la guerre, faire la paix » par « Histoire et mémoires » semble obéir
à une triple logique intellectuelle qui permet une incarnation pédagogique liée au monde très
contemporain :
1) La paix n’est pas la non-guerre. La guerre peut se maintenir par des symboles, des tensions,
des coopérations, qui transcendent les territoires et les générations. La paix vit, apaise et parfois
souffle sur les braises d’un souvenir de la guerre qui devient mémoire collective et s’incarne dans
une mémoire individuelle. Les causes de la Première Guerre mondiale (Axe 1, Jalon 1) sont un sup-
port politique autant que générationnel : le débat incarne un regard que la mémoire, en Europe
comme aux États-Unis ou dans l’Empire ottoman, vient conforter ou remettre en cause, apaiser ou
recréer. Si la mémoire de la Grande Guerre est pour l’essentiel apaisée, celle de la guerre d’Algérie
(Axe 1, Jalon 2) montre comment la mémoire individuelle, les tensions nationales et les mémoires
collectives s’interpénètrent et se modifient les unes les autres.
2) La paix peut éviter le retour à la guerre par l’action d’une justice consentie dont l’objectif n’est
pas le pardon individuel mais l’apaisement collectif. Les jeux d’échelles peuvent montrer les choix
politiques et les réalisations sociales : à l’échelle mondiale, les tribunaux internationaux ont une
histoire récente, des tribunaux de Nuremberg et Tokyo jusqu’au Tribunal pénal international pour
l’ex-Yougoslavie (TPIY, Axe 2 Jalon 2) ou à l’idéal d’une justice internationale (Cour pénale inter-
nationale). La comparaison avec les tribunaux gacaca (Axe 2, Jalon 1) créés pour juger les respon-
sables du génocide des Tutsis permet de mettre en avant des valeurs, des acteurs, des réalisations,
et de s’interroger sur l’échelle la plus efficace selon les contextes.
3) Mémoire et justice s’incarnent dans un sujet que nos élèves ont pu aborder avant la Terminale :
« L’histoire et les mémoires du génocide des Juifs et des Tsiganes ». Le temps long de la mémoire et
sa relation aux travaux des historiens et de la justice depuis les années 1970, mais sans cesse renou-
velé et réinterrogé, permettent de poser les fondements des Axes précédents (mémoire des conflits,
action de la justice) en les incarnant autour de ce qui construit une part très forte de l’identité euro-
péenne : le génocide des Juifs et des Tsiganes, son histoire, ses mémoires souvent troublées et pro-
gressivement judiciarisées. En relation avec les enseignements de la spécialité en Première, cet
objet de travail conclusif interroge le citoyen : que dit l’historien de la construction de la preuve ?
comment construire la paix par le droit ? comment faire mémoire par l’histoire ? comment lutter
contre les faussaires de l’histoire ?
Comme l’écrit l’historien Johann Chapoutot dans son introduction à La Loi du sang. Penser et agir
en nazi (Gallimard, 2014) : « L’époque qui a vu l’émergence du nazisme a été en effet travaillée en
profondeur par la question des valeurs et des impératifs moraux ». L’histoire ne donne pas de leçon,
mais son étude permet à nos élèves d’interroger leur époque.
1. Jacques Chirac consacre la première partie de ce Les notions de crime contre l’humanité
discours à la mémoire avec plusieurs passages : « des
moments qui blessent la mémoire et l’idée que l’on se
et de génocide
fait de son pays » (lignes 1-2) car la rafle du Vel d’Hiv Le juriste Raphaël Lemkin a joué un rôle capital pour
va à l’encontre des valeurs de la République française ; penser et qualifier les crimes relevant du génocide. S’il
« trouver les mots justes pour rappeler l’horreur, pour n’est pas nécessaire d’énumérer tous les génocides en
dire le chagrin de celles et ceux qui ont vécu la tragé- introduction, il peut être utile de rappeler que le pre-
die » (lignes 4-5), le Président est ici dans le registre du mier perpétré est celui des Hereros et des Namas de
souvenir ; « ces journées de larmes et de honte » (ligne 6), Namibie (alors Sud-Ouest africain ou Südwestafrika) en
l’historien doit essayer, autant que faire se peut, d’éviter 1904-1905 dans le cadre d’une colonisation allemande
une approche sentimentale, ce qui n’est pas le cas ici. brutale. Si le génocide arménien conduit de nombreux
La seconde partie se détache de l’émotion pour poser penseurs à réfléchir à une nouvelle catégorie de crimes,
des faits précis et incontestables sur le plan historique : c’est la Seconde Guerre mondiale qui amène le concept
« Il y a cinquante-trois ans, le 16 juillet 1942, 450 poli- de génocide, d’autant plus que Raphaël Lemkin est polo-
ciers et gendarmes français, sous l’autorité de leurs nais et juif. Cette double page doit permettre de suivre,
chefs, répondaient aux exigences des nazis » (lignes 10 à de façon succincte, comment a été élaboré le concept
12), Jacques Chirac insiste ici sur la responsabilité fran- et la complexité à qualifier, ou non, certains crimes de
çaise, ce sont des fonctionnaires français qui ont commis masse de génocides.
la rafle à la demande de leurs supérieurs hiérarchiques ;
« près de dix mille hommes, femmes et enfants juifs
furent arrêtés à leur domicile au petit matin, et rassem-
Éléments de réponse aux questions p. 172
blés dans les commissariats de police » (lignes 14 à 17), 1. Les crimes contre l’humanité et les génocides sont
le Président donne ici un chiffre, l’identité des victimes et principalement l’assassinat, l’extermination, la réduc-
les lieux, il pose donc des faits historiques. tion en esclavage et la déportation de populations
civiles. Dans le cadre du génocide, ces mêmes crimes
2. Plantu montre d’un côté l’église d’Oradour-sur-Glane sont commis contre un groupe social précis dans le but
pour rappeler la violence du massacre. Dans l’église de le faire disparaître.
avaient été enfermés les femmes et enfants avant que
les SS de la division Das Reich n’y mettent le feu. Près 2. À Nuremberg, les responsables nazis sont accusés
de 70 ans plus tard, Plantu y représente une commémo- de crimes contre l’humanité et non de génocide car la
ration avec les Présidents allemand et français, devant répression de ce dernier n’entre en vigueur qu’en 1948.
un public. Il caricature le tout en y rajoutant des larmes
aux deux Présidents, les cœurs et la colombe. Il y a donc 3. La Haye, aux Pays-Bas, apparaît comme la ville
un contraste entre l’aspect inhumain du massacre et la accueillant la plupart des tribunaux compétents pour
volonté des deux hommes d’avancer ensemble. juger les génocides. La Cour pénale internationale y est
la seule juridiction pénale permanente pouvant juger les
responsables de génocides, crimes contre l’humanité et
3. La caricature de Plantu n’en est pas moins une crimes de guerre. Les autres tribunaux sont temporaires
condamnation. En effet, au moment où les deux Prési-
afin de juger un génocide précis comme le Tribunal
dents commémorent le massacre d’Oradour-sur-Glane,
pénal international pour l’ex-Yougoslavie à La Haye qui
la communauté internationale laisse Bachar El-Assad
devait juger les responsables de crimes de guerre dans
bombarder son peuple en Syrie. La scène est représentée
cet espace. Il a été dissous en 2017. Le Tribunal pénal
dans une télévision pour montrer que le monde entier
international pour le Rwanda a été installé à Arusha en
est informé de la situation mais demeure passif. Si les
Tanzanie. Il devait juger les personnes responsables de
Allemands et Français commémorent le massacre d’Ora-
génocide et autres violations graves du droit internatio-
dour, ils en laissent un se dérouler sous leurs yeux.
nal humanitaire commis au Rwanda au cours de l’année
1994 contre les Tutsis. Il a été dissous en 2015.
4. L’historien Henry Rousso explique que le « devoir de
mémoire » est un mythe, selon lui, car les sociétés, mal- 4. Les trois génocides ayant provoqué le plus de victimes
gré leur bonne volonté, ne peuvent réparer le passé. De sont ceux des Juifs et Tsiganes (1941-1945), le génocide
plus, elles se trompent, car la reconnaissance des crimes des Arméniens en 1915 et celui des Tutsis en 1994. Les
commis par leurs prédécesseurs ne leur permet pas de trois génocides reconnus officiellement par l’ONU sont
devenir meilleures. celui des Juifs et Tsiganes, celui des Tutsis et celui des
musulmans à Srebrenica.
Bibliographie
–– R. Branche, La Guerre d’Algérie : une histoire apaisée ?, Gallimard, coll. Folio, 2014.
–– H. Rousso, Vichy. L’événement, la mémoire, l’histoire, Gallimard, coll. Folio, 2001.
–– B. Stora, La Gangrène et l’oubli. La mémoire de la guerre d’Algérie, La Découverte,
2005.
p. 180-181 Jalon 1B 3. Fritz Fischer s’est concentré sur les sources alle-
mandes, il est donc normal qu’en ressorte avant tout la
responsabilité de l’Empire allemand. Il faudrait complé-
Document 1 ter son travail par des sources françaises, britanniques et
Pierre Renouvin est le premier historien français à avoir russes pour voir dans quel état d’esprit la Triple Entente
travaillé sur les causes du conflit. Il a participé à la a abordé les mois de juin et juillet 1914.
guerre et perdu un bras au Chemin des Dames. Si son
objet d’étude ne porte pas sur cette question, le ministre 4. Christopher Clark fait des Russes les principaux res-
de l’Instruction publique André Honnorat le charge de ponsables de la guerre. Ils ont encouragé la Serbie à
mener une enquête sur les causes de la guerre. Il devient rejeter l’ultimatum de l’Autriche-Hongrie. Leur but était
dès lors l’un des plus grands spécialistes de la Première d’intervenir pour s’étendre dans les Balkans. Les Russes
Guerre mondiale. avaient été également rassurés par le soutien français.
Comme la Russie est la première à avoir mobilisé son
armée, l’Empire allemand était obligé d’attaquer rapide-
Document 2 ment et a donc déclaré la guerre à la Russie.
L’étude des manuels permet de montrer l’état d’esprit
des deux pays. En France, la ligne défendue par Jules Synthèse
Isaac l’emporte pour réconcilier les deux pays en pas-
sant par l’éducation alors qu’en Allemagne les manuels Responsables Lacunes
Auteur
présentent le traité de Versailles comme une injustice et de la guerre de leurs travaux
certains en ont fait un argument permettant de justifier
Pierre Plusieurs responsables, Il s’interroge
une revanche.
Renouvin mais l’Autriche-Hongrie peu sur le rôle
et l’Empire allemand de la France
Document 3 ont la plus grande part
de responsabilité
Le livre de Christopher Clark, Les Somnambules, paru
juste avant le centenaire, montre que le débat sur les Auteurs Responsabilités La volonté de
causes est loin d’être terminé. Les somnambules seraient de manuels partagées réconciliation
les différents chefs d’États européens qui ont avancé en franco- peut l’emporter
se trompant sur les intentions de leurs adversaires. Par allemands sur l’analyse des
un solide travail sur les sources, il replace l’attentat de faits historiques
Sarajevo dans un cadre plus global et insiste sur le rôle
Fritz Empire allemand Sources
de la Russie, soutenue par la France, qui voulait la guerre
Fischer allemandes.
des Balkans. L’Empire allemand a, selon lui, tenté de dis-
suader les Russes, mais ces derniers sont les premiers à Christopher Principalement la Minimise
avoir mobilisé et ont donc mis l’Allemagne devant le fait Clark Russie, puis la France la responsabilité
accompli. de l’Allemagne
Travailler autrement
Document 4 L’historien allemand Gerd Krumeich revient sur les
Nicolas Offenstadt présente ici les idées de Fritz Fischer causes de la Première Guerre mondiale à l’occasion du
qui, en 1961, a créé, avec son livre, une polémique centenaire. Il montre que les puissances européennes
L’histoire et les mémoires ont d’abord été prisonnières Longtemps sujet tabou, la torture a été peu à peu mise
des enjeux immédiats de 1914 à 1945 car les archives en lumière par des témoins, des chercheurs et des per-
n’étaient pas toutes accessibles et l’ensemble des acteurs sonnalités politiques. Symbole de la réalité de la guerre,
essayaient de rejeter la responsabilité de ce conflit sur le il était nécessaire que les autorités françaises recon-
camp adverse. De 1947 à 1991, la guerre froide a faci- naissent ce système pour faciliter la réconciliation pro-
lité le rapprochement entre la France et la RFA, ce qui gressive entre les deux pays.
s’est ressenti dans les mémoires. Depuis 1991, l’histoire
n’a cessé de se renouveler et de progresser alors que les
mémoires ont oscillé entre unité et diversité.
Exercice 3
1. La source du document est un mensuel allemand paru
en février 2014.
Exercice 2
2. Cet article est publié à l’occasion du centenaire de la
Pendant la guerre d’Algérie (1954-1962), les différentes Grande Guerre.
parties impliquées ont pratiqué la torture contre leurs
adversaires. Si certains intellectuels tels que Pierre 3. Courrier international est un hebdomadaire français
Vidal-Naquet ont dénoncé cette pratique dès les années qui traduit des articles issus de la presse internationale.
1950, elle a pourtant été tue en France pendant près Il s’agit ici de montrer les débats sur les causes de la
d’un demi-siècle par les autorités politiques. Reconnaître guerre en Allemagne 100 ans après le début du conflit.
la torture était aussi une façon de reconnaître que les
« événements » d’Algérie étaient bien une guerre. Des 4. Au lendemain de la guerre, les Allemands récupèrent
travaux d’historiens et historiennes, des témoignages et l’argument du Premier ministre britannique David Lloyd
des gestes politiques ont été nécessaires pour mettre en George selon lequel aucun État n’a voulu la guerre. Un
lumière cette question sensible. Comment la question de ensemble de circonstances auraient conduit les Euro-
la torture pendant la guerre d’Algérie est-elle passée de péens dans la guerre.
l’ombre à la lumière en France depuis 1962 ?
La question de la torture a longtemps été occultée car 5. L’auteur contredit cela car l’Allemagne était dominée
la Ve République refusait de qualifier ce conflit comme par les milieux militaires, liés aux élites. Ensemble, ils ont
une guerre. De plus, la loi d’amnistie de 1964 a empê- délibérément provoqué la guerre en sachant la forme
ché toute poursuite judiciaire et témoigne de la volonté qu’elle prendrait et sans écouter les discours pacifistes.
du politique de ne pas aborder cette question. L’étude
des témoignages et l’ouverture des archives en 1992 6. Wolfram Wette met en avant la grande responsabilité
ont permis aux historiens de rédiger de solides travaux allemande. À l’occasion du centenaire et au moment où
sur la question. L’historienne Raphaëlle Branche a ainsi les personnalités politiques françaises et allemandes
réalisé sa thèse au cours des années 1990 et publié ses consolident les liens entre les deux pays, puis gardent
travaux en 2001 dans son ouvrage La Torture et l’armée un discours modéré, il cherche à pointer la responsabi-
pendant la guerre d’Algérie (1954-1962). Elle y décrit lité allemande. D’autant plus, qu’au même moment, les
de façon complète la pratique de la torture par les sol- idées de Christopher Clark, minimisant la responsabi-
dats français. D’un autre côté, des témoins et des acteurs lité de l’Empire allemand, sont diffusées dans les pays
prennent la parole, aussi bien des victimes que des bour- d’Europe centrale et occidentale.
Bibliographie
–– I. Delpla et M. Bessone (dir.), Peines de guerre, la justice pénale internationale et
l’ex-Yougoslavie, Éditions de l’EHESS, 2010. Un livre de synthèse sur le sujet, publié
avant que le tribunal ait fermé ses portes en 2017.
–– P. Hazan, La Paix contre la justice, comment reconstruire un État avec des criminels
de guerre ?, André Versaille Éditeur, 2010. De nombreux exemples concrets sur le rôle
de la justice dans la construction de la paix.
–– P. Hazan, Juger la guerre, juger l’histoire, PUF, 2007. Une synthèse et une définition
de ce qu’est la justice transitionnelle, le livre date un peu mais il éclaire bien cette
notion.
–– F. Piton, Le Génocide des Tutsi du Rwanda, La Découverte, 2018. Une belle synthèse
récente sur le génocide rwandais, qui tente d’éclairer de manière équilibrée le rôle
qu’a joué la France dans cet événement.
–– O. Rovetta, Un Génocide au tribunal, Le Rwanda et la justice internationale, Belin,
2019. Un travail récent sur le rôle du tribunal pénal international pour le Rwanda mais
peu d’informations sur les tribunaux populaires, les gacaca.
Sitographie
–– Le site officiel du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, on y trouve
une documentation très riche sur les procès, les dossiers tes condamnés : https://www.
icty.org/fr
–– Le site du Tribunal pénal international pour le Rwanda fournit lui aussi de précieux
documents, tels que la liste des accusés, des condamnés et des fugitifs. https://unictr.
irmct.org/fr/tribunal
–– Deux vidéos intéressantes sur le TPIR d’Arusha (https://enseignants.lumni.fr/fiche-
media/00000001174/le-tribunal-penal-international-tpi-d-arusha-pour-le-rwanda.
html) et le siège de Sarajevo (https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000207/
le-siege-de-sarajevo.html).
2. Il s’agit de troupes paramilitaires, les Tigres d’Arkan 2. Les commémorations œuvrent généralement pour la
que le photojournaliste Ron Haviv a suivi en 1992. Ces réconciliation. Elles permettent de rappeler la vérité his-
supplétifs de l’armée serbe s’occupaient des tâches les torique et de rendre hommage aux victimes.
Bibliographie
–– G. Bensoussan, Atlas de la Shoah. La mise à mort des Juifs d’Europe, 1939-1945,
Autrement, 2014. En une centaine de cartes et d’infographies, cet atlas permet une ap-
préhension globale de cet événement, ses origines, sa chronologie, son déploiement
géographique et ses conséquences démographiques.
–– V. Duclert, « Les Génocides », La Documentation photographique, n° 8127, mars 2019,
CNRS Éditions. Un numéro qui rend compte des êtres humains qui ont conçu les pro-
jets génocidaires et les ont mis en œuvre, de l’histoire des victimes à qui tout a été
soustrait jusqu’à leur mort même et dont on continue pour beaucoup d’ignorer le nom
et le passé, de l’histoire des rares témoins et sauveteurs…
–– M. Moutier-Bitan, Les Champs de la Shoah. L’extermination des Juifs en Union sovié-
tique occupée, 1941-1944, éditions Passés composés, 2019. L’historienne Marie Mou-
tier-Bitan amène son lecteur sur les lieux de l’extermination des Juifs dans le contexte
de l’avancée allemande en URSS.
–– C. Ingrao, La Promesse de l’Est : espérance nazie et génocide (1939-1943), éditions
du Seuil, 2016. Christian Ingrao revient sur l’histoire de l’utopie nazie, de sa conception
à ses tentatives de mise en œuvre et de ses rapports intimes avec le génocide des Juifs
et des Tsiganes. Il décrit l’hallucinant projet qui devait vider les territoires de l’Europe
de l’Est de ses millions d’habitants pour les remplacer par des colons allemands.
–– « Les écrans de la Shoah », Revue d’Histoire de la Shoah, n° 195, 2011. La télévision
et le cinéma construisent un savoir sur la destruction des Juifs d’Europe largement
partagé. Pourtant, ce rôle dévolu aux images animées ne va pas de soi et il alimente
débats et polémiques. Ce recueil offre un état de la question et de ses enjeux de 1941
à nos jours, aussi bien en Europe qu’aux États-Unis.
–– G. Steinacher, Les Nazis en fuite, Perrin, 2015. Comment certains sbires d’Hitler ont-
ils échappé à la justice après la chute du IIIe Reich ? Gerald Steinacher démêle ici le
vrai du faux, laissant de côté fantasmes et théories du complot.
Sitographie :
–– Les ressources documentaires proposées par le site Mémoires tsiganes : http://www.
memoires-tsiganes1939-1946.fr/accueil.html
–– Les ressources documentaires du United States Holocaust M useum Memorial :
https://www.ushmm.org/fr
–– Les ressources documentaires proposées par le site du Mémorial de la Shoah : http://
www.memorialdelashoah.org/
THÈME 3 Étude conclusive L’histoire et les mémoires du génocide des Juifs et des Tsiganes 16
p. 214-215 O u ve r t u r e rien n’était prévu pour les abriter, moins encore pour les
nourrir ne serait-ce que 24 heures. Il s’agit donc plutôt
de centres de mise à mort que de camps. Indépendants
Éléments de réponse aux questions p. 214 du système concentrationnaire nazi, ils échappaient à
1. Cette photographie fixe la mémoire de la Shoah son système d’inspection, à l’exception d’Auschwitz et de
d’abord car elle témoigne d’un des moments du proces- Majdanek, initialement « simples » camps de concentra-
sus, l’arrestation dans les ghettos avant la déportation tion avant de devenir mixtes (camp de concentration, de
dans les centres de mise à mort. Elle est ainsi utilisée travail et centre d’extermination).
comme preuve à charge lors du procès de Nuremberg.
Mais cette photographie fixe aussi la mémoire car son
impact visuel la rend emblématique. Enfin, reprise dans Éléments de réponse aux questions p. 217
des films ou dans de nombreux manuels scolaires et 1. Les Juifs sont d’abord concentrés dans des ghettos,
publications, elle devient « iconique ». notamment en Pologne, où la mortalité est forte de par
la faim ou la maladie. Les Einsatzgruppen ont assassiné
Éléments de réponse aux questions p. 215 des Juifs et des Tsiganes, essentiellement sur le front
russe. L’expression « Shoah par balles » est utilisée pour
1. Les historiens peuvent contribuer à faire mieux cette phase du génocide. Mais la « Solution finale » est
connaître les évènements passés par leurs recherches surtout mise en œuvre avec les camps d’extermination
et leurs publications, mais aussi parfois en témoignant ou centres de mise à mort, où environ 3 millions de Juifs
lors de procès mémoriels comme ici Jean-Pierre Azéma et Tsiganes sont morts.
lors du procès de Maurice Papon, haut fonctionnaire du
régime de Vichy, ayant activement participé à la collabo- 2. L’Europe de l’Est est de loin l’espace le plus concerné
ration et la déportation. Cependant, certains historiens par le génocide. La Pologne est le pays le plus touché
sont en désaccord sur ce rôle de témoin pour l’historien, en valeur absolue (3 millions de morts) et en pourcen-
comme Henry Rousso car selon lui « la capacité d’exper- tage (plus de 80 % de morts pour les Juifs, plus de 60 %
tise de l’historien s’accommode mal des règles et des pour les Tsiganes). L’URSS est le 2e pays le plus touché
objectifs d’un tribunal ». en nombre.
THÈME 3 Étude conclusive L’histoire et les mémoires du génocide des Juifs et des Tsiganes 17
semblant de parler avec Hitler mais attendait la réac- dont le procès s’ouvre après la mort de Mitterrand. Les
tion de De Gaulle. Aron s’appuie sur des arguments de la propos de Marine Le Pen sont qualifiés de « révision-
défense de Pétain pendant son procès. Pour l’historien, nistes », en lien avec les thèses de Robert Faurisson à par-
les responsables de la collaboration sont Pierre Laval et tir de 1978, ou la déclaration de Jean-Marie Le Pen en
les chefs de la Milice qui ont arrêté les Juifs et les résis- 1987 qui parle des chambres à gaz comme d’un « point
tants. Face à cette thèse aucune réaction officielle n’est de détail de l’histoire ». En 1990, le législateur réagit avec
faite car cela permet d’oublier et de continuer à conser- la loi Gayssot qui réprime le négationnisme autour de
ver l’unité nationale. la Shoah.
En 1964, de Gaulle propose d’organiser une cérémonie
en l’honneur de Jean Moulin. Il décide de faire transfé-
Documents 4 et 5
rer les cendres de celui-ci au Panthéon le 19 décembre.
La cérémonie est grandiose et le discours de Malraux, Ces documents permettent de montrer que les « lieux
ministre de la Culture, est célèbre notamment par la de mémoire » et commémorations ne suffisent pas pour
phrase suivante : « entre ici Jean Moulin, avec ton terrible entretenir un « devoir de mémoire » autour de la Shoah.
cortège ». Mais dans ce discours, les Juifs, les travailleurs Sans explications, cela reste vain. Les historiens cri-
du STO ou encore les prisonniers de guerre ne sont pas tiquent le manque d’informations face aux évènements
mentionnés. Il n’y a toujours pas de place pour les autres et l’inutilité de ces commémorations si l’on n’en connaît
victimes. Le réveil d’une mémoire du sort spécifique pas le sens. Ici, dans le document 4, Auschwitz n’est qu’un
réservé aux Juifs, se produit lors du procès du respon- lieu touristique parmi d’autres, et le souvenir de la Shoah
sable nazi Adolf Eichmann en 1961-1962 à Jérusalem. s’efface. Dans le document 5, Auschwitz est utilisé à
Suivent d’autres procès comme ceux de Klaus Barbie en contre-emploi par l’extrême droite polonaise, pour mini-
1987 ou de Maurice Papon en 1997-1998, « procès mémo- miser la place de Shoah dans l’histoire polonaise.
riels » qui permettent une réflexion sur le rôle de Vichy
et de l’administration française dans les déportations. Un
autre tournant majeur a lieu en 1973 avec Robert Paxton, Éléments de réponse aux questions p. 219
historien américain et donc plus neutre par rapport aux
mémoires concurrentielles. Il travaille sur les archives 1. La mémoire de la Shoah a eu du mal à s’exprimer, car
allemandes et remet en cause la thèse de Robert Aron le pays avait besoin d’union nationale, et les résistants
dans son ouvrage La France de Vichy. Il affirme que Vichy devaient donc être mis en avant et non les victimes du
a sa propre dynamique idéologique et politique c’est-à- conflit ou Vichy : « Buchenwald symbolisait la réalité
dire indépendamment des Allemands, avec un rôle actif concentrationnaire. ». « Auschwitz l’incarne doréna-
et volontaire notamment dans la déportation des Juifs. vant » car une mémoire spécifique de la Shoah est pos-
Pétain n’a pas répondu à la pression d’Hitler de dépor- sible grâce au retentissement mondial du procès d’Adolf
ter mais c’est une initiative qu’il a eue de lui-même (ex : Eichmann à Jérusalem en 1961, et en France après la
le Statut des Juifs dès octobre 1940). Cet ouvrage et ces publication en 1973, par l’historien américain Robert
procès remettent au cœur de l’actualité et du débat Paxton, d’un ouvrage mettant en avant la collaboration
public ces mémoires et ces questionnements autour de du régime de Vichy et son rôle dans la déportation. Des
Vichy, occultés par le résistancialisme. lieux de mémoire apparaissent partout en Europe, le
premier étant Auschwitz. Le Vél’ d’Hiv, où plus de 13 000
Juifs avaient été entassés avant d’être, pour la plupart,
Document 2 déportés puis exterminés dans des camps nazis, est un
lieu important en France.
Jacques Chirac est le Président qui a reconnu officielle-
ment la responsabilité de l’État français dans le géno- 2. C’est là, au Vél’ d’Hiv, que Jacques Chirac a choisi de
cide des Juifs en 1995. Simone Veil est une déportée prononcer son discours sur « les fautes du passé ». C’est
victime de ce « grand silence », comme elle en témoigne la première fois qu’il y a une reconnaissance officielle
dans son autobiographie. Ils se rendent tous deux ici à que l’État français porte une part de responsabilité dans
une commémoration faite à Auschwitz. les déportations et les crimes commis sous l’Occupation.
Jacques Chirac participe aussi à d’autres commémora-
tions, notamment celle du 60e anniversaire de la libéra-
Document 3 tion du camp d’Auschwitz, en 2005.
La campagne présidentielle de 2017 a été une nouvelle
occasion de relancer les polémiques autour du devoir de 3. Jacques Chirac est gaulliste et sa reconnaissance offi-
mémoire et de la responsabilité de l’État français. Nico- cielle de la responsabilité de l’État français n’a que plus
las Sarkozy remettait déjà en cause la « repentance » en de poids après la promotion du résistancialisme par le
2007. Et il avait ensuite insisté sur la Résistance avec la général de Gaulle. Pour Marine Le Pen, candidate du FN
dernière lettre de Guy Môquet à lire devant les élèves. à l’élection présidentielle, la France n’était « pas respon-
Marine Le Pen invoque ici de Gaulle et Mitterrand, qui sable » de la rafle du Vél’ d’Hiv. Elle refuse les critiques
avait des difficultés à se positionner sur la mémoire de envers les pages sombres du passé, rappelant les figures
Vichy. En effet, comme l’a analysé le journaliste Pierre de De Gaulle et de Mitterrand, avec un argumentaire
Péan dans Une Jeunesse française, en 1994, Mitterrand reprenant celui du résistancialisme.
est un ancien fonctionnaire du régime de Vichy. Il col-
labore jusqu’en 1943 puis devient résistant. Il a protégé Synthèse L’objectif, en mobilisant ici les documents 4
certaines personnalités vichystes comme Maurice Papon et 5, est d’analyser comment les lieux de mémoire et
THÈME 3 Étude conclusive L’histoire et les mémoires du génocide des Juifs et des Tsiganes 18
commémorations permettent d’entretenir le devoir de tration. Mais des lieux spécifiques sont réservés aux Juifs
mémoire. Mais il faut aussi montrer que, sans explications, et aux Tsiganes, avant leur déportation. Il y a des camps
ces lieux peuvent être utilisés à mauvais escient et récu- dans la zone occupée, notamment le plus célèbre, celui
pérées pour faire passer un message politique ou pour de Drancy, en banlieue parisienne. Mais il y en a aussi
participer à un révisionnisme voire un négationnisme, qui dans la zone libre, montrant le rôle actif du régime
permet d’occulter les pages sombres de certaines his- de Vichy dans l’internement de ces populations. Cer-
toires nationales, en France ou en Europe de l’Est. tains camps enferment à la fois les Juifs et les Tsiganes,
comme celui de Rivesaltes.
Travailler à l’oral
Les élèves peuvent ici élargir les bornes du sujet et ana- 2. La mémoire du génocide des Tsiganes a d’abord été
lyser la montée du révisionnisme en Europe de l’Est, refoulée, comme celle de la Shoah, après le conflit.
notamment en Pologne, en Hongrie ou en Russie. Mais cet article de 2007 montre que les lieux du géno-
cide n’ont pas été préservés pour en faire des lieux de
Quelques liens pour orienter leur travail :
mémoire et que des commémorations n’ont pas été
–– http://www.rfi.fr/fr/europe/20180321-pologne-fierte-
organisées. De plus, les historiens ont tardé à s’emparer
nationale-pis-histoire-shoah-mars-1968-andrzej-duda
de cet objet d’étude. Ainsi, la mémoire commune, celle
–– https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2020/04/12/orban-
des ouvrages de vulgarisation et des manuels scolaires,
reecrit-lhistoire-de-la-shoah-en-hongrie/
ne permet pas d’y inclure celle du Porajmos.
–– https://www.lemonde.fr/culture/article/2012/05/17/
holocauste-ne-se-dit-pas-en-russe_1703190_3246.html
3. L’État allemand a reconnu officiellement le génocide
en 1982. En France, en octobre 2016, François Hollande
reconnaît la responsabilité du régime de Vichy dans l’in-
p. 220-221 Jalon 1B ternement de Tsiganes lors d’une cérémonie d’hommage
sur le site d’un ancien camp à Montreuil-Bellay, le plus
Document 1 grand des 31 camps gérés par les autorités françaises.
« L’amnésie républicaine » face au sort des Tsiganes
Cette carte permet de rappeler les conséquences du pourrait ainsi être remise en cause avec la valorisation
conflit sur le territoire français, et de visualiser la géo- ce lieu de mémoire et les dernières recherches des his-
graphie des camps en France, ceux des Juifs et ceux des toriens.
Tsiganes.
Synthèse L’objectif est de continuer le parallèle et la
comparaison entre la construction des mémoires de la
Document 2 Shoah et du Porajmos, en se concentrant spécifique-
Le mémorial pour les Sintis et Roms d’Europe, inauguré ment sur l’utilisation des lieux de mémoire cités dans les
par Angela Merkel en 2012 rappelle le Porajmos, qui deux doubles pages, et leur fonction dans les politiques
est reconnu par l’État allemand depuis 1982. Il est situé mémorielles en France et ailleurs.
face au Reichstag et consiste en un bassin d’eau circu-
laire au milieu duquel se trouve une stèle en pierre de la Travailler autrement
forme d’un triangle, comme ceux de couleurs différentes Cette recherche peut permettre de réfléchir au concept
qui ornaient les vêtements des détenus pour les iden- de concurrence mémorielle. Elle permet aussi d’aborder
tifier. Sur le bord de la fontaine, on peut lire le poème la mémoire des républicains espagnols dans cette région
« Auschwitz » du Rom italien Santino Spinelli. Le docu- de France.
ment peut permettre de faire le point sur les différentes Un lien pour orienter le travail des élèves : http://
dénominations associées à ce peuple (Roms, Tsiganes, www.slate.fr/story/164894/societe-histoire-camp-rive-
Sintis, mais aussi les noms péjoratifs Gitans, Gipsys, etc.) saltes-stele-soldats-nazis-prisonniers-guerre-alle-
mands-memoire
Documents 3 et 4
Ces deux textes peuvent permettre de faire le parallèle p. 222-223 Jalon 2A
et de comparer la construction des mémoires de la Shoah
et du Porajmos. Le chancelier allemand Helmut Kohl a
reconnu officiellement le génocide en 1982. En France,
Juger les crimes nazis après Nuremberg
à partir de 2007, une première proposition de loi visait à L’objectif de ce Jalon est de montrer comment la justice
la reconnaissance du génocide tzigane. En octobre 2016, et ses acteurs (juges, avocats, témoins, accusés) ont per-
François Hollande reconnaît la responsabilité du régime mis de construire la mémoire du génocide, le plus sou-
de Vichy dans l’internement de Tsiganes de 1940 à 1946 vent à travers les procès mémoriels.
lors d’une cérémonie d’hommage sur le site d’un ancien
camp à Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire), le plus grand
des 31 camps gérés par les autorités françaises. Document 1
Du 20 novembre 1945 au 1er octobre 1946, 24 criminels
nazis sont jugés à Nuremberg. Le lieu du procès est sym-
Éléments de réponse aux questions p. 221 bolique car Nuremberg était la « capitale idéologique »
1. Des opposants à l’Occupation nazie comme les résis- du Reich où se déroulaient les congrès du parti nazi. Les
tants peuvent être internés dans les camps de concen- accusés ont tous ont occupé des fonctions politiques ou
THÈME 3 Étude conclusive L’histoire et les mémoires du génocide des Juifs et des Tsiganes 19
économiques importantes. Ce sont donc les principaux nombreux responsables nazis ont fui à l’étranger pour
chefs nazis capturés. Ils sont accusés de crimes contre la éviter les procès et condamnations. Eichmann se réfugie
paix, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Les en Argentine. Le Mossad monte une opération pour le
magistrats chargés de ce procès sont des juges des 4 puis- capturer en pleine rue à Buenos Aires, bafouant la souve-
sances vainqueurs. Le procès est retransmis en direct à la raineté de l’Argentine. Pour sortir le prisonnier du pays,
radio et couvert par plus de 400 journalistes. Ses réper- le commando d’agents secrets se déguise en stewards et
cussions sont nationales et internationales. Il est donc un drogue Eichmann ce qui permet de l’amener à son pro-
instrument de la dénazification et une œuvre de répa- cès. Cette exfiltration reste très polémique. En suivant le
ration vis-à-vis des victimes qui vise à « ne pas oublier » procès, Hannah Arendt parle de « banalité du mal ». Mais,
« la barbarie qui (a) horrifié le monde ». Mais la justice de ce procès donne aussi pour la première fois la parole aux
Nuremberg est celle des vainqueurs. Le rôle de l’URSS témoins : 111 témoins vont se succéder à la barre. Cela
dans l’entrée en guerre ou les massacres en Pologne permet de libérer la parole des victimes, qui se sentent
(Katyn) n’apparaissent pas et sont pour elle, un « terrible légitimes pour parler, raconter leur expérience person-
non-dit de Nuremberg ». La seconde imperfection est nelle qu’il ne faut plus refouler. Les victimes retrouvent
l’indifférenciation entre « les camps de concentration et une identité, celle de victimes mais également de sur-
les camps d’extermination » même si les crimes contre vivants de la Shoah. C’est le début de la mémoire de
les Juifs d’Europe sont au centre du procès. La définition la Shoah.
du crime contre l’humanité et la dimension internatio-
nale du tribunal ont ouvert la voie à l’idée d’une justice
pénale internationale qui existe aujourd’hui avec la CPI Document 4
qui siège à La Haye. Ce document permet d’insister sur un aspect qui précède
la tenue de ces procès, la poursuite des criminels nazis.
Simon Wiesenthal, rescapé des camps, a consacré sa vie
Document 2 à la traque de 1 100 criminels de guerre nazis en fuite. Il
a créé un centre en 1977 à Los Angeles qui œuvre pour
Hannah Arendt évoque ici la difficile poursuite de la
la mémoire de la Shoah, mais qui est surtout connu pour
dénazification après Nuremberg. Pour sortir le pays du
publier chaque année une liste des criminels nazis les
conflit, notamment après la partition RFA/RDA, l’admi-
plus recherchés. En 2002, le nouveau directeur du centre,
nistration a pu employer des fonctionnaires au passé
Efraim Zuroff, lance l’opération « Dernière chance » pour
compromettant. Mais le chancelier Adenauer, à la façon
accélérer la traque des anciens nazis avant qu’ils ne
de De Gaulle et son résistancialisme, voyait cela comme
meurent de vieillesse.
un mal nécessaire pour permettre la reconstruction du
pays. Ainsi, le 3e chancelier de la RFA, Kurt Georg Kie-
singer (1966-1969, CDU) est un ancien membre actif du
parti nazi. À la défaite du Troisième Reich, il est empri-
Éléments de réponse aux questions p. 223
sonné dans un camp d’internement de 1945 à 1946 avant 1. Le lieu du procès est d’abord symbolique car Nurem-
d’être libéré en 1948. La publication tardive en 1966 par berg était la « capitale idéologique » du Reich. Ce pro-
le Spiegel des archives du NSDAP saisies par les Amé- cès a aussi un but pédagogique car pour la première
ricains, confirme la défense de Kiesinger selon laquelle fois dans l’histoire, la procédure est filmée pour que
il n’avait jamais entretenu de sentiment antisémite. Il les crimes ne tombent pas dans l’oubli. La définition
y était expressément dénoncé par ses collaborateurs du crime contre l’humanité et la dimension internatio-
auprès de la SS en 1944, comme principal responsable nale du tribunal ont ouvert la voie à l’idée d’une justice
faisant obstacle à la mise en œuvre de la politique antisé- pénale internationale incarnée aujourd’hui dans la CPI
mite au sein de son département. Sa nomination comme qui siège à La Haye.
chancelier n’en fut pas moins controversée. Il fut publi-
quement giflé par Beate Klarsfeld, le jeudi 7 novembre 2. Hannah Arendt évoque ici la difficile poursuite de la
1968. Dans la zone soviétique, l’impact de la dénazifica- dénazification après Nuremberg. Pour sortir le pays du
tion est également limité pour plusieurs raisons : le souci conflit, notamment après la partition RFA/RDA, l’admi-
est moins de punir les nazis que d’asseoir solidement le nistration a pu employer des fonctionnaires au passé
pouvoir communiste et l’interprétation communiste, qui compromettant. Mais le chancelier Adenauer voyait cela
fait du fascisme un produit du capitalisme. Cela amène comme un mal nécessaire pour permettre la reconstruc-
les autorités à cibler la répression sur les hommes d’af- tion du pays.
faires et les fonctionnaires soupçonnés d’avoir servi les
intérêts de la classe dirigeante. Au début des années 3. Des civils, anciens déportés, et les services secrets
1960, 10 % des parlementaires communistes est-alle- israéliens poursuivent la traque des responsables nazis.
mands sont d’anciens nazis et beaucoup de cadres de Cela permet la tenue de plusieurs procès dont celui
la Stasi, la police politique communiste, sont d’anciens d’Adolf Eichmann en 1961-1962 à Jérusalem. Ce procès
membres de la Gestapo. permet de libérer la parole des victimes, qui retrouvent
une identité. Cela marque le début de la mémoire de la
Shoah, qui permet aux États de ne plus oublier et d’ad-
Document 3 mettre leurs responsabilités passées.
Ce texte évoque le moment majeur pour le réveil de Synthèse L’objectif est, après avoir utilisé les lieux de
la mémoire de la Shoah : le procès du responsable mémoire, de montrer comment les procès de criminels
nazi Adolf Eichmann en 1961-1962 à Jérusalem. De nazis permettent aussi de retrouver les différentes étapes
THÈME 3 Étude conclusive L’histoire et les mémoires du génocide des Juifs et des Tsiganes 20
de la construction de la mémoire de la Shoah, d’abord rejoint l’idée du « grand silence ») et finalement le réveil
avec Nuremberg, puis avec la difficile dénazification (qui de cette mémoire avec le procès Eichmann.
Travailler autrement
Accusations
Accusé Crimes Crimes Crimes Verdict
Complot
contre la paix de guerre contre l’humanité
Martin Bormann Acquitté Non inculpé Coupable Coupable Condamné à mort par
contumace
Karl Dönitz Acquitté Coupable Coupable Non inculpé 10 ans de prison
Hans Frank Acquitté Non inculpé Coupable Coupable Peine de mort
Wilhelm Frick Acquitté Coupable Coupable Coupable Peine de mort
Hans Fritzsche Acquitté Acquitté Acquitté Non inculpé Acquitté
Walther Funk Acquitté Coupable Coupable Coupable Prison à perpétuité
Hermann Göring Coupable Coupable Coupable Coupable Peine de mort
Rudolf Hess Coupable Coupable Acquitté Acquitté Prison à perpétuité
Alfred Jodl Coupable Coupable Coupable Coupable Peine de mort
Ernst Acquitté Non inculpé Coupable Coupable Peine de mort
Kaltenbrunner
Wilhelm Keitel Coupable Coupable Coupable Coupable Peine de mort
Gustav Krupp Inculpé Inculpé Inculpé Inculpé Considéré comme
von Bohlen und médicalement inapte à
Halbach être jugé
Robert Ley Inculpé Inculpé Inculpé Inculpé Mort avant le verdict
Konstantin von Coupable Coupable Coupable Coupable 15 ans de prison
Neurath
Franz von Papen Acquitté Acquitté Non inculpé Non inculpé Acquitté
Erich Raeder Acquitté Coupable Acquitté Non inculpé Prison à perpétuité
Joachim von Coupable Coupable Coupable Coupable Peine de mort
Ribbentrop
Alfred Rosenberg Coupable Coupable Coupable Coupable Peine de mort
Fritz Sauckel Acquitté Acquitté Coupable Coupable Peine de mort
Hjalmar Schacht Acquitté Acquitté Non inculpé Non inculpé Acquitté
Baldur von Coupable Non inculpé Non inculpé Coupable 20 ans de prison
Schirach
Arthur Seyss- Acquitté Coupable Coupable Coupable Peine de mort
Inquart
Albert Speer Non inculpé Non inculpé Coupable Coupable 20 ans de prison
Julius Streicher Acquitté Non inculpé Non inculpé Coupable Peine de mort
THÈME 3 Étude conclusive L’histoire et les mémoires du génocide des Juifs et des Tsiganes 21
de nombreux personnages ont été poursuivis en justice Travailler autrement
grâce à l’initiative des époux Klarsfeld comme René Quelques pistes pour orienter les élèves dans leurs
Bousquet (1991), Paul Touvier (1994) et Maurice Papon recherches : le livre Gérald Steinacher, Les Nazis en
en 1997-1998. fuite, Perrin, 2015 ; un dossier de L’Express : https://www.
lexpress.fr/actualite/societe/la-derniere-traque-des-na-
zis_1297589.html
Document 3
Ce texte permet de réfléchir au sens de ces procès de
criminels nazis aujourd’hui. Leur médiatisation qui reste
p. 226-227 J a l o n 3A
importante reflète une demande sociale. Mais quel sens
y a-t-il à poursuivre des criminels présumés plus de 70
ans après les faits ? Pour le professeur Jérôme Vaillant,
Le génocide dans la littérature
directeur de la revue Allemagne d’aujourd’hui (Presse et le cinéma
universitaire du Septentrion, Villeneuve-d’Ascq), la por- L’objectif de ce Jalon est de montrer si la littérature et
tée de cet acte est « moins judiciaire que pédagogique ». le cinéma sont des médias pertinents pour permettre de
Surtout dans une Europe où les idées d’extrême droite rendre compte de la réalité du génocide et ainsi partici-
restent encore présentes. per à la construction de sa mémoire.
Document 4 Document 1
Tous ces procès sont permis par la loi de 1964 sur l’im-
Le film documentaire Nuit et Brouillard, réalisé à la
prescriptibilité des crimes contre l’humanité, contraire-
demande d’une association de déportés résistants, est le
ment aux autres crimes prescriptibles après 20 ans. Ces
premier à prendre pour objet le système concentration-
procès, surtout celui de Maurice Papon, permettent de
naire nazi. Le film connaît un grand succès à sa sortie.
réfléchir à la responsabilité des fonctionnaires, qui exé-
Cependant une critique est faite, car Alain Resnais ne
cutent des ordres immoraux sans se soucier des consé-
parle pas de la spécificité du cas des Juifs par rapport
quences de leurs actes administratifs. La parcellisation
aux résistants. Mais surtout, la censure frappe le film car
du processus permet aux exécutants de se déresponsa-
une image y apparaissait montrant un gendarme fran-
biliser, au point qu’à la Libération beaucoup ne verront
çais et son képi gardant le camp de Pithiviers (Loiret).
même pas ce qu’on pourrait leur reprocher. Lors du pro-
Une bande noire apposée sur cette scène du film per-
cès Maurice Papon, haut fonctionnaire sous l’occupation,
met d’oublier cette image de la complicité française qui
est mise en avant la notion de « crime de bureau ».
dérange. En 1987, Henry Rousso parle de « syndrome de
Vichy » pour désigner les difficultés de la société fran-
Éléments de réponse aux questions p. 225 çaise à assumer ses années sombres dans les années
1950-1960. Il faut attendre 1997 pour que le film soit dif-
1. En 1979, Serge Klarsfeld créé l’association « Fils et filles fusé sans cette bande.
de déportés de France » pour la mémoire des victimes
de la Shoah. Avec sa femme Beate, ils vont chercher à
démasquer des anciens nazis. Cette chasse va permettre Document 2
de révéler le passé du chancelier allemand Kurt Georg
Ce texte permet d’opposer deux points de vue d’histo-
Kiesinger, et amener la tenue de procès comme celui
riens. D’abord celui d’Annette Wieviorka, qui parle de
de Klaus Barbie. Tous ces procès sont permis par la loi
« grand silence » après la Libération car les sociétés n’au-
de 1964 sur l’imprescriptibilité des crimes contre l’hu-
raient pas été prêtes à écouter les rescapés des camps.
manité, contrairement aux autres crimes prescriptibles
La littérature et le cinéma n’auraient fait que répondre
après 20 ans.
à cette demande sociale et politique d’oubli, célébrant
plutôt la Résistance comme dans l’immense succès en
2. Leur médiatisation importante reflète une demande
salles qu’est La Grande Vadrouille en 1966. Mais François
sociale. Ces procès hautement symboliques permettent
Azouvi relativise ce « grand silence » dans un ouvrage de
de réfléchir un peu plus profondément à la question de
2012. Pour lui, au moment même où se déroule à Jéru-
l’antisémitisme de Vichy. Le procès Barbie a un retentis-
salem le procès Eichmann, en France l’opinion est ins-
sement national.
truite sur ce que les nazis ont fait aux Juifs. Il montre
qu’en 1957, la sortie parisienne au théâtre Montparnasse
3. Selon Eva Kor, ces procès ont une utilité moins judi-
de la pièce tirée du Journal d’Anne Frank et la réédition
ciaire que pédagogique. Le négationnisme est ainsi com-
à cette occasion du livre lui-même témoignent que le
battu par le témoignage, ce qui demeure nécessaire
génocide des Juifs est connu de la presse populaire de
dans une Europe où les idées d’extrême droite restent
grande diffusion.
encore présentes.
THÈME 3 Étude conclusive L’histoire et les mémoires du génocide des Juifs et des Tsiganes 22
que celle des documentaires ou des livres d’histoires, dans ce nouveau contexte mémoriel, et qu’il soit traduit
entraînant des réactions fortes en Allemagne, entre en français en 1987.
menaces de l’extrême droite et catharsis pour les autres.
Documents 2 et 3
Document 4 Le premier document permet de réfléchir aux débats
On pourra compléter l’évocation de ce film par le vision- nombreux entre réalisateurs et critiques de cinéma pour
nage de quelques extraits. savoir s’il faut rendre compte de la réalité du génocide
par la rigueur documentaire, comme Claude Lanzmann
dans Shoah, ou par le drame historique hollywoodien
Éléments de réponse aux questions p. 227 grand public comme Steven Spielberg dans La Liste de
Schindler (1993). Le deuxième document montre que ce
1. Le film documentaire Nuit et Brouillard, réalisé par débat et ces controverses tendent à s’apaiser, et que la
Alain Resnais est marqué par ce « résistancialisme » et
mémoire de la Shoah devient une mémoire grand public.
ce « syndrome de Vichy » décrits par Henry Rousso car il
ne parle pas de la spécificité du cas des Juifs par rapport
aux résistants. Mais surtout, la censure frappe le film car Document 4
une image montrant un gendarme français et son képi
gardant le camp de Pithiviers est masquée d’une bande Le positionnement et le rôle de l’Église catholique pen-
noire. dant la Seconde Guerre mondiale sont un sujet tou-
jours très sensible aujourd’hui. Le cinéaste Costa-Gavras
2. Le Journal d’Anne Frank, publié en français en 1950, relance la polémique sur le silence du pape Pie XII face
porté à la scène en 1957 et au cinéma en 1959, fait péné- au génocide avec son film Amen, et cette affiche provo-
trer le drame juif chez un large public. Au moment même catrice. La papauté s’est clairement positionnée face à
où se déroule à Jérusalem, en 1961, le procès Eichmann, Hitler avec le Pape Pie XI, qui en 1937 fait lire l’encycli-
en France l’opinion est largement instruite sur ce que les que Mit brennender Sorge (« Avec une brûlante inquié-
nazis ont fait aux Juifs. tude ») critiquant l’idéologie nationale-socialiste. Il
meurt au début de l’année 1939 et son successeur, Pie XII,
3. Holocaust choisit de parler du génocide à travers des observe un lourd silence pendant la guerre. Son attitude
personnages auquel le public peut s’identifier. La charge ambiguë peut aussi s’expliquer par une peur du commu-
émotionnelle est beaucoup plus forte que celle des nisme. Il faut aussi rappeler le rôle trouble d’Alois Hudal
documentaires ou des livres d’histoires. Shoah de Claude (évêque des Allemands en Italie) et de prélats croates à
Lanzmann choisit de rendre compte du génocide avec Rome dans la « route des rats », qui a permis l’exfiltra-
minutie. Il met 12 ans à réaliser le film, qui dure près de tion de responsables nazis vers l’Amérique latine et le
dix heures, le rendant plus complet mais peu accessible Moyen-Orient. Aujourd’hui, la Papauté empêche l’ouver-
à une partie du public. Les deux œuvres ont cependant ture totale des archives du Vatican, notamment celles de
connu un grand succès critique à leur sortie, participant Pie XII. Mais des traces du rôle de la Papauté peuvent
à la dénomination du génocide. être retrouvées dans les archives argentines (ouvertes
en 2000) et celles des services de renseignement amé-
Synthèse Il faut montrer comment le cinéma et la télé- ricains (où l’on y voit aussi rôle des États-Unis dans ces
vision ont répondu à une demande d’oubli, par le « résis- exfiltrations, avec l’opération Paperclip et la récupéra-
tancialisme » et le « grand silence » auprès du grand tion de scientifiques nazis comme Wernher von Braun
public, même si la spécificité du sort réservé aux Juifs qui travailla ensuite sur les fusées pour la NASA).
est connue dans les foyers de ceux qui lisent et vont au
cinéma. Le nouveau contexte mémoriel des années 1970
montre la modification de cette demande du public avec Document 5
les grands succès de Holocaust ou Shoah. Tony Gatlif est né d’un père kabyle et d’une mère gitane.
Après une enfance à Alger, il arrive en France en 1960
Travailler autrement durant la guerre d’Algérie. S’ensuit un parcours difficile
L’objectif est ici de sortir des exemples proposés par le et éclaté, qui ira d’une maison de redressement à une
manuel pour que l’élève trouve des exemples personnels rencontre avec l’acteur Michel Simon en 1966, en pas-
parlants. sant par des cours d’art dramatique. Il joue dans des
pièces de théâtre puis réalise son premier film en 1975.
À partir de 1981, il aborde le thème qu’il approfondira de
p. 228-229 film en film : les Roms du monde entier.
Jalon 3B
THÈME 3 Étude conclusive L’histoire et les mémoires du génocide des Juifs et des Tsiganes 23
2. La Shoah est utilisée par Steven Spielberg pour faire Asie du Sud-Est lui donnent un vaste empire organisé en
un drame historique hollywoodien grand public dans La « sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale », en
Liste de Schindler (1993). Cette démarche est critiquée théorie libéré de la tutelle coloniale européenne mais
par Claude Lanzmann et Tom Segev car pour eux la soumis à une administration particulièrement brutale.
Shoah ne peut être dramatisée, elle ne doit être abordée
que comme un événement unique sous forme documen- 2. Conflits territoriaux avec la Chine (îles de la mer de
taire. Chine), la Russie (Sakhaline et Kouriles) et la Corée (îles
de la mer de l’Est/du Japon).
3. Depuis 1993, le traitement de la Shoah a fait l’ob- • Conflits mémoriaux liées au passé militariste nip-
jet d’autres polémiques, mais elles tendent à s’apaiser, pon : femmes de réconfort coréennes, sac de Nankin et
comme le montre la sortie du film Le Fils de Saul du Hon- brutalité de l’occupation en Chine, mauvais traitement
grois Laszlo Nemes en 2015. des prisonniers occidentaux ou chinois et des travail-
leurs asiatiques, recherches bactériologiques criminelles
4. Le génocide des Tsiganes reste très peu abordé par menées par l’Unité 731.
la littérature et le cinéma, tout comme par les histo- • Traumatisme du bombardement atomique.
riens. La mémoire du génocide des Tsiganes reste encore • Action des nationalistes japonais qui refusent de
aujourd’hui marginale car elle a une faible visibilité dans reconnaître l’ampleur des crimes de guerre commis
l’espace public, dans les discours politiques ou les créa- en Asie.
tions culturelles.
3. Les questions de souveraineté territoriales génèrent et
se nourrissent des tensions tandis que l’action des natio-
Synthèse En se concentrant sur le cinéma, il faut mon-
nalistes contribue à jeter de l’huile sur le feu des pas-
trer comment il a facilité l’émergence de cette mémoire
sions.
auprès du grand public, par-delà les critiques de cer-
taines victimes, lorsque le traitement de l’événement
paraissait trop « trivial ».
p. 234-235 Exercices Bac
Travailler à l’oral
Pour orienter les élèves sur le génocide arménien, deux
liens : http://ecrannoir.fr/blog/blog/2015/04/24/7-films-
Exercice 1
pour-ne-pas-oublier-le-genocide-armenien/ et http:// Une proposition de plan chronologique :
ecrannoir.fr/blog/blog/2015/04/24/7-films-pour-ne-pas- I. L’impossible émergence face à la mémoire
oublier-le-genocide-armenien/ « résistancialiste »
A. Des procès de Nuremberg sans lendemain.
B. La Résistance héroïsée.
p. 230-231 C. Le « grand silence ».
Grand angle
II. La lente reconnaissance de ces mémoires
L’histoire et les mémoires A. Une prise de conscience dès les années
1950-1960.
des crimes de guerre en Asie de l’Est B. Les tournants Eichmann et Paxton.
Cet exposé doit permettre de montrer que la mémoire C. La Shoah présente dans les arts.
est loin d’être apaisée sur ce sujet de la Seconde Guerre III. Le « devoir de mémoire » actuel
mondiale de l’autre côté de la planète, en Asie de l’Est. Le A. Le temps de la reconnaissance officielle.
Japon n’a toujours pas exprimé officiellement envers ses B. Le temps des procès mémoriels.
voisins les regrets que ceux-ci attendent. Cela engendre C. Une mémoire dans la culture commune ?
aujourd’hui encore des tensions, largement perceptibles
dans les polémiques récurrentes autour du sanctuaire
Yasukuni, des « femmes de réconfort », du contenu des Exercice 2
manuels japonais, ou des litiges frontaliers persistants et Les élèves doivent montrer les étapes progressives qui
plus tendus depuis que la Chine cherche à imposer ses ont mené au génocide depuis les premiers interne-
vues sur la mer de Chine. ments dans les camps de concentration de Dachau et de
Buchenwald pour « insociabilité » entre 1933 et 1936.
Éléments de réponse aux questions p. 231
1. On insistera sur le projet expansionniste du Japon,
Exercice 3
entamé à la fin du xixe siècle avec les guerres contre la 1. C’est l’avant-propos à la seconde édition de l’ouvrage
Chine, puis contre la Russie et l’annexion de la Corée. de Robert Paxton, La France de Vichy, 1940-1944. La pre-
Le développement du militarisme dans les années 1930 mière édition date de 1973, la 2e édition de 1997.
s’accompagne de l’invasion de la Mandchourie et de la
création d’un quasi-État dans l’État : l’armée du Kwan- 2. Paxton est un historien américain qui souhaite travail-
tung, bastion de militaires radicaux n’hésitant pas à ler sur le régime de Vichy.
fomenter des « incidents » pour forcer la main du gouver-
nement. La guerre sino-japonaise, à partir de 1937, est 3. Un avant-propos permet à l’auteur d’ajouter des élé-
pour certains historiens le véritable début de la Seconde ments d’informations au lecteur, par exemple ici sur les
Guerre mondiale. Bientôt, les conquêtes japonaises en conditions de rédaction de l’ouvrage.
THÈME 3 Étude conclusive L’histoire et les mémoires du génocide des Juifs et des Tsiganes 24
4. En 1973, le syndrome de Vichy est encore bien pré- 7. Robert Paxton, historien américain, est neutre par rap-
sent, et le Président Pompidou reste attaché au « résis- port aux mémoires concurrentielles. Il travaille sur les
tancialisme ». Paxton ne pouvait ainsi pas accéder aux archives allemandes pour pouvoir remettre en cause la
archives françaises, closes pour 50 ans. Il se tourne vers thèse de Aron dans son ouvrage La France de Vichy. Il
les archives allemandes. affirme que Vichy a sa propre dynamique idéologique
et politique indépendamment des demandes des Alle-
5. La seconde édition de l’ouvrage a lieu dans le contexte mands, avec un rôle actif et volontaire dans la déporta-
du début du procès Papon (1997-1998), avec la mémoire tion des Juifs sans répondre à la pression d’Hitler. Ainsi,
de Vichy au cœur de l’actualité. Pétain n’a pas été le « bouclier » comme le présentait
Robert Aron. Pétain a aggravé la vie des Français en
6. Les archives étaient closes (classifiées 50 ans) contrai- livrant les matières premières des Français. Il n’y a pas
rement à celles des Allemands. L’influence du résis- de « double jeu » comme cela a été défendu par Robert
tancialisme et les thèses de Robert Aron empêchent le Aron car il espère obtenir une place pour la France dans
travail sur la mémoire de l’Occupation. l’Europe façonnée par l’Allemagne victorieuse.
Le contexte de 1945 • Victoire des alliés • Arrestation et poursuite des dignitaires nazis
• Découverte des crimes perpétrés durant • Ouverture des camps par les troupes américaines,
la guerre films et photographies
Le tribunal militaire • Mise en place par les États-Unis • Un tribunal qui se tient en Allemagne, dans la ville
de Nuremberg des grands rassemblements nazis.
• Les juges • 4 juges un pour chaque puissance : EU, URSS, RU
et France
• Les accusés • 24 inculpés, et des organisations politiques (NSDAP,
SA, SS) ou militaires (État-major)
• De nouveaux chefs d’inculpation • Crimes de guerre, crimes contre la paix et crimes
• Les condamnés contre l’humanité
• 12 condamnations à mort
Le tribunal militaire • Juger les criminels japonais • 11 juges de 11 États dont les EU, URSS, RU, France
de Tokyo Avec les mêmes chefs d’inculpation qu’à Nuremberg
• 28 prévenus mais l’empereur n’est pas • 7 condamnations à mort
inquiété
2.
II. Les années 1990 : la justice internationale, une réponse à des crimes de guerre
Les progrès de l’idée de justice internationale dans un contexte favorable : la fin
de la guerre froide, l’affaiblissement de la Russie. Quelques victoires diplomatiques
du multilatéralisme (guerre du Golfe) et les États-Unis, hyperpuissance qui est assez
favorable à cette idée.
A. La mise en place du TPIY : rendre justice
1. La guerre en ex-Yougoslavie, des crimes de guerre pour un « nettoyage ethnique »
• La complexité du conflit, dislocation de l’ex-Yougoslavie, les nationalismes
s’expriment dans tous les nouveaux États notamment en Serbie : des États
multinationaux et une volonté de séparer les populations : « nettoyage ethnique »
• Une stratégie de guerre contre les civils : massacres, viols, crimes de guerre
2. Instauration d’un Tribunal pénal international entre 1999 et 2017
• Une justice difficile à passer : 169 personnes mises en accusation, 90 condamnés,
4 650 témoins. Les principaux criminels sont condamnés
• Une justice qui n’empêche pas les crimes : massacre de Srebrenica en 1995 alors que
le TPIY est déjà en place
• Des acquittements qui fragilisent la réputation du tribunal.
B. Le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda), une réponse incomplète
1. Des crimes qui impliquent une grande partie de la population
• « Génocide des voisins »
• Seulement 93 personnes inculpées, le TPIR ne répond pas aux attentes de justice
2. Mise en place des gacaca, tribunaux traditionnels
• 2 millions d’affaires sont alors traitées par ces tribunaux inédits
• Échec relatif du TPIR
D’autres tribunaux temporaires voient le jour le Tribunal spécial pour la Sierra Leone
en 2002 et le Tribunal spécial pour le Liban en 2009.
THÈME 3 BAC 26
B. Les premiers résultats et critiques de la jeune institution
1. Seulement 60 États ratifient le traité d’adhésion, de nombreux États importants ne sont
pas membres, les États-Unis, la Chine, la Russie, l’Inde.
2. La jeune institution a certes jugé quelques chefs d’États, quelques ministres et surtout
des miliciens mais son action se limite à des puissances secondaires. Les grandes
puissances tombent d’une certaine manière dans l’impunité.
3. Les poursuites se concentrent essentiellement en Afrique et parfois les jugements
prononcés sont contestés : ex. de l’acquittement de l’ex-Président ivoirien,
Laurent Gbagbo pourtant accusé de crime contre l’humanité.
3.
Idées Exemples
Réponse à Une justice internationale qui s’est 1946 : Tribunaux de Nuremberg et
la problématique mise en place en deux temps, d’abord Tokyo
après la Seconde Guerre mondiale 1993-1994 : TPI ex-Yougoslavie et TPI
puis dans les années 1990 Rwanda
2002 : Cour Pénale internationale
Élargir le sujet/voir Une CPI fragilisée par le retrait de La politique de désengagement
les perspectives nombreux États. de Trump au sein des instances
Des régimes autoritaires et populistes internationales
ne souhaitant rendre aucun
compte à la justice internationale :
la démarche unilatérale l’emporte sur
le multilatéralisme
Conclusion
Une justice internationale s’est mise en place en deux temps : après la Seconde Guerre
mondiale et dans les années 1990. La création de la Cour pénale internationale marque
une victoire de l’idée d’une justice internationale.
Néanmoins, les résultats de cette justice internationale sont limités. Les grandes
puissances, grandes contributrices à l’ONU ne sont jamais inquiétées.
Les populismes et l’unilatéralisme des États-Unis ne renforcent pas l’idée de justice
internationale, bien au contraire.
p. 240-241 Dissertation : sujets d’entraînement
SUJET 1 : Les enjeux mémoriels de la guerre d’Algérie
Les mémoires de la guerre d’Algérie peuvent-elles devenir un instrument de réconciliation ?
I. Des mémoires longtemps contenus par les États
B. Pour la France, une guerre qui ne porte pas son nom, la pratique de la torture oubliée
C. Pour l’Algérie une guerre de libération héroïque
II. Des mémoires qui tardent à s’apaiser
A. Des mémoires officielles qui résistent à la vérité
B. Des communautés qui agissent sur la mémoire : pieds-noirs, harkis, anciens combattants
français ou algériens
THÈME 3 BAC 27
SUJET 3 : La justice est-elle suffisante pour réconcilier un peuple ?
Vous vous aiderez en particulier du cas du Rwanda.
La justice peut-elle réconcilier seule un peu déchiré par un génocide ?
I. Un « génocide des voisins » qui impliquent une grande partie de la population rwandaise
A. Deux communautés antagonistes avant même l’époque coloniale
B. Un génocide orchestré par une partie de la population hutue.
II. Une justice internationale d’exception
A. Le Tribunal pénal international pour le Rwanda juge les principaux responsables
B. Une réponse incomplète, des milliers de coupables non jugés.
III. Une justice traditionnelle pour juger des milliers de coupables
A. Deux millions d’affaires jugées mais une réconciliation difficile à imposer
B. Une justice transitionnelle qui s’appuie sur des commémorations et la réussite
économique
p. 242-243 Étude de document : sujet guidé
SUJET 1 : Histoire et mémoire de la Shoah
1. Nature des documents :
Le 1er document : deux couvertures de livre sur l’histoire de Vichy dont les auteurs
sont Robert Aron et Robert Paxton. Le second document est un extrait d’un entretien
de Ginette Kolinka rescapée des camps.
Résumé et contexte :
Les deux couvertures témoignent du débat historiographique sur le rôle du régime de
Vichy, notamment sur sa participation au génocide des Juifs. Robert Aron évoque dès
1954 dans son essai, l’idée d’un double jeu du maréchal Pétain. Mais cette hypothèse sera
complètement remise en cause, presque vingt ans plus tard par l’historien Robert Paxton.
Après 1973, le contexte change, les voix, les témoignages de déportés se multiplient, le
mythe résistancialiste s’effondre. Ginette Kolinka, 94 ans fait partie des derniers témoins
et publie ses mémoires. Elle souhaite désormais faire œuvre utile en allant dans les écoles
et raconter son expérience dans les camps.
2.
Connaissances du cours
Idée Citation du document
pour enrichir le commentaire
Robert Aron « Son ouvrage incite à une certaine La volonté des gouvernements d’après-guerre d’éviter
alimente le mythe indulgence pour le maréchal, héros la guerre civile, des jugements cléments, des amnisties.
du bouclier de Verdun » Reconstruire la France
La question « notamment l’envoi de 76 000 Politique antisémite du régime de Vichy qui exclut les Juifs
de la complicité Juifs français dans les camps de nombreuses professions. Port de l’étoile jaune, rafles,
du régime d’extermination » déportation
dans la Shoah
Le rôle déterminant « Il critique la vision française d’Aron Paxton montre qu’en comparant les États européens
de Robert Paxton et le mythe du bouclier » occupés, les Juifs de France n’ont pas moins souffert.
et la fin du mythe
résistancialiste
La culpabilité du « La responsabilité écrasante 76 000 Juifs français ont été assassinés avec la complicité
régime de Vichy du régime de Vichy » du régime de Vichy. La police, la gendarmerie française ont
participé aux rafles des Juifs.
3.
A. Cinquante ans de silence dans le contexte du mythe résistancialiste, du « bouclier »
de Pétain.
« Ce que les survivants des camps ont le mieux partagé, à leur retour, c’est le silence ».
Dans l’immédiat après-guerre, même si beaucoup parlent et que l’idée d’un silence
général et volontaire est fausse, un grand nombre de déportés n’ont qu’une envie :
oublier, réintégrer la société, travailler. Le retour des déportés se fait à l’hôtel Lutetia,
un peu dans l’indifférence. Les déportés, les prisonniers, les STO, les malgré-nous :
les mémoires se mélangent et les parcours ne sont pas très étudiés avant les années
THÈME 3 BAC 28
1980. « Je n’ai jamais rien raconté de l’univers concentrationnaire à ma mère ni à ma
sœur », le traumatisme, l’incompréhension et la nécessité de tourner la page ont contribué
à ce silence des témoins.
B. Une parole libérée tardivement
Ginette Kolinka avec l’aide de Marion Ruggieri publie Retour à Birkenau en 2019.
Les témoignages se multiplient entre les années 1990 et 2010. Mais les premiers textes
sur les camps sont apparus plutôt autour des années 1960 : Primo Levi publie une
première édition de Si c’est un homme en 1947, sans réel succès, puis une seconde
en 1958, puis La Trève en 1963.
« Bientôt, il n’y aura plus personne pour témoigner ». Ginette Kolinka publie également
à 94 ans parce qu’elle fait partie des derniers témoins encore vivants. Elle succède
d’une certaine manière aux témoignages de ses amies déportées, Simone Veil et
de Marcelin Loridan-Ivens.
C. Une transmission à la jeunesse
« C’est pourquoi il est si important de le transmettre aux jeunes générations ». On voit
ici que la mémoire, le témoignage a toute sa place dans notre société, notamment
à l’école. Malgré son grand âge, Ginette Kolinka arpente les écoles et les établissements
secondaires pour faire passer un message humaniste.
« Méfiez-vous de la haine, et combattez-la dès qu’elle pointe, sous quelque forme
que ce soit, car c’est la haine qui conduit tout droit à Birkenau ». Son message semble
clair, Ginette Kolinka fait œuvre de sagesse, d’exemple pour la jeune génération.
Elle peut convaincre par son exemplarité, par son expérience vécue. On s’interrogera
malgré tout sur les limites de cette démarche. Les moteurs des haines, de l’intolérance
et de l’antisémitisme ont la vie dure.
p. 244-245 Étude de documents : sujets d’entraînement
SUJET 1 : Génocides et justice internationale
I. Le TPIY, une justice internationale sous mandat de l’ONU
A. Le contexte d’une mise en place
B. La victoire du principe d’une justice internationale
II. Poursuivre les criminels de guerre et les convoquer au tribunal à La Haye
A. La poursuite des criminels
B. Des crimes reconnus
III. Rendre justice aux victimes du « nettoyage ethnique » notamment en Bosnie
A. Des victimes qui témoignent, une vérité qui s’impose
B. Une réconciliation qui tarde
p. 248-249 Vers le Sup’ : Rédiger une note de synthèse
Ce dossier rassemble plusieurs documents sur les mémoires de la guerre d’Algérie.
Il permet de constituer un dossier autour de trois thèmes : La mémoire des rapatriés
d’Algérie, La mémoire des autres victimes de la guerre (harkis et nationalistes algériens)
et la délicate politique mémorielle de la France (commémorations, conflits mémoriels
autour d’une date de célébration).
THÈME 3 BAC 29