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MA 1 1934 PRIX: 2 Francs

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BULLETIN THÉORIQUE MENSUEL DE LA


FRACTION DE GAUCHE DU P. C. 1.

Rédaction-Administration (France) : 1 Administration (Belgique) :


G. Davoust, 26, rue des Plantes, Paris 14e A. Honinckx, 41,r.J.d' Ardenne. Bruxelles
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Bulletin théorique rrr e n e u e l de la
Gaston DAVOUST, 26, rue des Plantes, 26, PARIS-14•, (France) F r e ot l o rr de Gauche du P C. 1 .
Compte Ch. Postaux Davoust-Paris No 851.91
Administr.: 1Belgique) A. HONINCKX, 41, rue J. d'Ardenne, Bruxelles
Compte chèques postaux 766.82, Bruxelles
L' ANTIFASCISME : Formule de ·confusion
SOMMAIRE
Fort probablement, la situation actuelle dépasse, par l'ampleur de la coufu-
sion , toutes les situations précédentes de reflux révolutionnaire. Cela découle,
L'Antifascisme : formule de confusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221 d'une part, de l'éYolution contre-révolutionnaire des points d'appui conquis de
haute lutte par le prolétariat dans I'après-guerre : l'Etat, russe, la 11Ie Internatio-
La grève de Verviers, A. Hennaut ························ 227 nale, et, d'autre· part, de l'incapacité des ouvriers à opposer à cette évolution un
front de résistance idéologique et révolutionnaire. L'entrecroisement de ce phéno-
Parti, Internationale, Etat : Classe et Etat . . . . . . . . . . . . . . . 231 mène et de l'offensive brutale du capitalisme, s'orientant vers la formation des
constellations en vue de la guerre, détermine des réflexes de lutte, de la part des
La gestion nationale, A. Bordiga 239 ouvriers et parfois aussi des batailles grandioses (Autriche). Mais ces batailles ne
parviennent pas à ébranler la puissance du centrisme, seule organisation politique.
Une quatrième internationale ou une réplique de la de masse et désormais acquis aux forces de la contre-révolution mondiale.
Troisième (suite), A. Soep 248 La confusion. dans un pareil moment de défaites, n'est donc qu'un résultat
obtenu par le capitalisme, incorporant l'Etat ouvrier, le centrisme, aux besoins de
A propos de Staline et du Stalinisme 255 'sa conservation, les orientant là où agissent, depuis 1914_, les forces insidieuses de
la social-démocratie, agent, principal de la désagrégation dé la conscience des mas-
La catastrophe de Pâturages, 3e page couverture. ses et porte-parole qualifié des mots d'ordre des . défaites pi·olétariennes et des
victoires capitalistes.
Dans cen article. nous. examinerons une formule-type de confusionnisme, ce
que l'on appelle même, dans des milieux ouvriers qui s'intitulent de gauche ( 7) :
« l'antifascisme ».
· N eus ne nous attellerons pas à faire une analyse de la situation de pays telles
POUR LE RETOUR DE TROTSKY la France, la Belgique (pays où ce problème se pose tout particulièi·ement), ana-
lyse qui aurait pour but d'établir sil existe ou non une perspective d'attaque fas-
EN RUSSIE ciste imminente; de même, nous n'examinerons pas la conception qui veut qu'ac-
La bourgeoisie française veut reléguer le camarade Trotsky sur l'ile d'Aix. Il tuellement s'ouvre, à L'échelle internationale, la perspective d'une extension des
s'agit tout bonnement de le mettre dans l'impossibilité de suivre le mouvement régimes fascistes clans tous les pays. D'autre part, nous n'analyserons pas ici les
révolutionnaire, de lui donner une prison assez « démocratique » où ses moindres problèmes théoriques reliés à la signification du fascisme, les positions que le nro-
gestes pourraient être surveillés. La bourgeoisie est pleinement justifiée dans son Iétauiat devra adopter envers les institutions démocratiques, au moment de l'a-tta-
action: Trotsky symbolise la révolution russe de 1917, c'est elle qu'elle voudrait que fasciste. Tous ces problèmes, nous les étudierons dans d'autres articles. Nous
frapper en lui. Les communistes comprennent ce sens de classe qui anime le eapl- nous bornerons. pour la clarté de notre exposé, à ne traiter qu'un problème: l'anti-
talisme français ; ils savent que le droit d'asile pour la révolution russe n'est qu'un fascisme et le front de lutte que l'on prétend pouvoir réaliser autour de cette for-
plat sophisme: c'est une question de force entr-e la bourgeoisiê" et nous, C'est pour- mule.
quoi ils exigeront la rentrée immédiate de Trotsky en Russie afin qu'il puisse Il est élémentaire - ou plutôt il l'était auparavant - d'affümer qu'ayant
prendre place à nouveau parmi les ouvriers russe, qu'avec Lénine il conduisit à la d'entamer une bataille de classe, il est nécessaire d'établir les objectifs que l'on
victoire, s'assigne, les moyens à employer, les forces de classe qui peuvent intervenir favo-
rablement. Il n'y a rien de « théorique » dans ces considérations, et par là nous
entendons qu'elles ne s'exposent pas à la critique facile de tous ces éléments blasé
de « théories ». dont la règle consiste, au-delà de toute clarté théorique, à·tripa-
LISTE DE SOUSCRIPTION touiller dans des mouvements avec n'importe qui, sur la base de n'importe quel
programme, pourvu que subsiste « l'action ». Nous sommes évidemment de ceux
Liste n° 2, Bruxelles: Mitchell, 20; Dina, 6; Jean, 5; Max, 2; Husda, 6; Palia,
20. Total fr. belges, 57 = fr. français 40.65. - Liste n° 3, Paris: Nero, 10; Moro et
qui pensent que l'action ne découle pas des « coups de gueule » ou de bonnes vo-
Mora, 6 ; Magnelli, 01. - Total 26. - Liste n° 8, Bruxelles: Hollande, 3 ; Anonyme, lontés individuelles, mais des situations elles-mêmes. En outre, pour l'action, le
4; Antoine, 2.50; N.N., 1.50; Jacquemaine, 1.50; Pour « Bilan» 2.30; Manfre, 5; travail théorique est indispensable afin de préserver la classe ouvrière de. nouvelles
Marguerite, 2.50; Riccio, 6. Total fr. belges, 27.30 = fr. frança.'is 19.50. - Report défaites. Et on doit bien saisir la signification du mépris affecté par tant de mili-
n° 6: fr. 199.05. - Total à reporter: 284.20. tants, po111" le travail théorique. car il s'agit toujours, en réalité. di ntroduire, en
222 223
catimini, à la place des g..os1L10ns prolétariennes, les conceptions principielles de sir analogue d'échapper à la mort, dans un front commun antifasciste. Cependant,
l'ennemi: de la social-démocratie, au sein des milieux révolutionnaires tout en pro- l'analyse la plus superficielle prouve que la simplicité idyllique de cette proposition
clamant l'action à tout prix pour une « course de vitesse » avec le fascisme. cache en réalité, l'abandon total des positions fondamentales du marxisme la
Ainsi, pour ce qui est du problème de l'antilascisnie, ce u'est pas seulement Je négation des expériences du passé et de la signification des événements actuels,
mépris du travail théoiiquê qui guide ses nombreux partisans, mais la s o tt e manie Bien sûr, il est facile de clamer qu'Herriot a tort de fa~:e partie du gouvernement
de créer et de répandre la confusion indispensable pour' constituer un large front issu de « l'émeute » du 6 février et qu'il devrait se souvenir qu'en Italie le libéral
de résistance. Aucune délimitation préjudicielle a îin de ne perdre aucun allié. au- Amendola faisant partie du ministère qui transmit le pouvoir au fascisme, fut as-
cune possibilité de lutte: voilà le mot d'ordre de l'antifascisme. Et nous voyons ici sassiné par ce dernier. Il est tout aussi _f~cile d'affirmer qu'à Clermont-Ferrand, le
que, pour ce dernier, la confusion est idéalisée et considérée comme u11 élèmenr de part.i radical-socialiste a fait acte de suicide en sanctionnant «la trève des partis» :
victoire. Nous rappelons qu'il y a plus d'un demi-siècle Marx disait à Weii ling que l'expérience allemande prouvant qus la « trève » de Brüning servit admirablement
l'ignorance n'a jamais servi le mouvement ouvrier. . le fascisme qui n'épargna pas les partis démocratiques. Et, enfin, l'on pourrait,
Actuellement, au lieu d-établir les objectifs de la lutte, les moyens à mettre en avec la même désinvolture, conclure en affirmant que les socialistes français, bel-
œuvre, 'les programmes nécessaires, la quintessence suprême de la stratégie mar- ges, doivent trouver dans les événements _d'Allemagne et cl' Autriche des ensei-
xiste (Marx dirait de l'ignorance) est présentée ainsi: s'accoler des adjectifs. dont gnements définitifs pour les préserver d'une . mort certaine et pratiquer, en réac-
le plus courant sera évidemment « léniniste », et réévoquer à tout moment. et tel- tion, une politique révolutionnaire. Les centristes devront, à leur tour, -- toujours
lement hors propos, la situation de 1917 en Russie, l'attaque de septembre de Kor- selon le même évangile- trouver dans le sort de Thaelman et les camps de concen-
nilov. Il fut, hélas! un temps où les militants prolétariens avaient encore leur tête tration, le besoin d'abandonner la tactique du front unique visant, non à la lutte
sur les épaules et où ils analysaient les expériences historiques. A ce moment, de la classe ouvrière, mais à la « destruction du parti socialiste » pour revenir à
avant d'établir des analogies entre les situations de leur époque et ces expériences, une pratique « honnête » de ce dernier, comme le droitier et philo-social-démocrate
ils recherchaient d'abord si un parallèle politique entre le passé et le présent était. Doriot le demande en s'appuyant sur les ouvriers de Saint-Denis et en canalisant,
possible; mais ce temps paraît révolu, surtout si l'on s'en tient à la phraséologie dans l'impasse de la confusion, leur désir de lutte et de réaction au centrisme.
courante des groupes prolétariens. Mais toutes ces considérations sur ce que radicaux, socialistes, centristes au-
Inutile, entend-on dire, d'établir la comparaison entre le tableau de la lutte des ront à faire pour sauvegarder leurs personnes et leurs institutions, tous les ser-
classes en 1917 en Russie, et la situation d'aujourd'hui des différents pays; de mons prononcés « ex cathedra » à ce sujet, ne sont, en aucun cas, susceptibles de
même, inutile de voir si le rapport de force entre les classes d'alors présente cer- modifier le cours des situations, car le problème revient à ceci: transformer radi-
taines analogies avec aujourd'hui. La victoire d'Octobre 1917 est un fait historique, caux, socialistes et centristes en des communistes, la lutte contre le taseisme ne
il n'y a donc qu'à copier la tactique des bolchéviks russes et surtout à en donner pouvant s'établir que sur le front de la lutte pour la révolution prolétarienne. Et,
une très mauvaise copie, laquelle changera suivant les différents milieux qui inter- malgré les sermons, la social-démocratie belge n'en lancera pas moins ses plans de
prètent ces événements sur la base de conceptions de principe opposées. renflouement du capitalisme, n'hésitera pas à torpiller tous les conflits de classe,
Mais qu'en Russie le capita.lisme faisait, en 1917, ses premières expériences au livrera, en un mot et sans hésiter, les syndicats au capitalisme. Doumergue, d'au-
pouvoir étatique, alors qu'à l'opposé le fascisme surgit d'un capitalisme qui détient tre part, ne fera que recalquer Brüning, Blum suivra les traces de Bauer et Cachin
le pouvoir depuis des décades, que, d'autre part, la situation volcanique et révolu- celles. de Thaelmann.
tionnaire de 1917 en Russie soit à l'opposé de la situation réactionnaire actuelle, Encore une fois, nous le répétons, nous ne rechercherons pas, dans cet article,
cela n'inquiète nullement ceux qui s'intitulent aujourd'hui «léninistes». Au con- si l'axe de la situation en Belgique, en France, peut être comparé aux circonstan-
traire, leur admirable sérénité ne sera pas troublée par l'inquiétude de confronter ces qui déterminèrent la montée et la victoire du fascisme en Italie et en Allema-
les événements de 1917 avec la e.tuation actuelle, en se basant sérieusement sur gne. Notre analogie porte surtout sur le fait que Doumergue recalque Brüning, au
l'expérience italienne et allemande. Kornilov suffit à tout. Et la victoire de Musso- point de vue de la fonction qu'ils· peuvent avoir dans deux pays capitalistes tonciè.
lini et d'Hitler sera uniquement imputable à de prétendues déviations, effectuées rements différents, fonction qui consiste, comme pour Blum et pour Cachin, à im-
par les partis communistes, par I apport à la tactique classique des bolchéviks en mobiliser le prolétariat à désagréger sa conscience de classe et à permettre l'adap-
1917, alors que par un jeu d'acrobaties politiques, on assimilera les deux situation tation de son appareil étatique aux nouvelles circonstances de la lutte inter-impé-
opposées: la révolutionnaiTe et la réactionnaire. rialiste. Il y a de bonnes raisons pour croire qu'en France, particulièrement,
*** l'expérience de Thiers, Clémenceau, Poincaré se répète sous l'expression de Dou-
Pour ce qui est de I'antifasci-nne, les considérations politiques n'entrent pas en mergue, que nous assisterons à la concentration du capitalisme autour de ses for-
jeu. Ce dernier se donne pour bi t de regrouper tous ceux qui sont menacés par mations de droite, sans que cela comporte l'étranglement des formations radicales
l'attaque du fascisme en constituant un cc syndicat des-menacés ». . socialistes et socialistes de la bourgeoisie. D'autre part, il est profondément erroné
La social-démocratie dira am: radicaux-socialistes de veiller à leur propre sécu- de baser la tactique prolétarienne sur des positions politiques que l'on fait décou-
rité et de prendre immédiatement des mesures de défense contre les menaces du ler d'une simple perspective.
fascisme: Herriot et Daladier pouvant, eux aussi, être victimes de la victoire de ce· Ainsi, le problème n'est pas daffirmer: le fascisme est menaçant, dressons le
dernier. L. Blum ira même plus loin: il avertira _solennellement Doumergue que s'il front unique de I'antifascisme et des antifascistes, mais il faut, au contraire, dé-
ne prend pas garde ,au fascisme, _le _sort de Brüning l'attend. Le centrisme, pour sa terminer les positions autour desquelles le prolétariat se rassemblera pour sa lutte
part, s'adressera « a la base socialiste » ou inversement la S.F.I.O. s'adressera au contre le capitalisme. l'oser le problème de la sorte, signifie exclure du front de
centrisme, afin de réalise_r le front unique: socialistes et communistes étant. mena- lutte contre le capitalisme des forces antifascistes et même arriver à cette conclu-
cés par l'attaque du fascisme. Il reste encore les bolchéviks-léninistes qui. dressé sion (qui pourrait sembler paradoxale) qÛe s'il se vérifie une orientation définitive
sur leurs ergots, proclameront avec grandiloquence être prêts à constituer un front du capitalisme vers le fascisme, la condition du succès réside dans l'inaltérabilité
·de lutte en dehors de toute considération politique, sur la base d'une solidarité du programme et des revendications de classe des ouvriers, alors que la condition
permanente entre toutes les formations «ounières»( 7) contre les menées fascistes. de la défaite certaine consiste dans la dissolution du prolétariat dans le marais
La considération qui anime toutes ces spéculations est certes très simple - antifasciste.
trop simple pour être vraie - : rassembler tous les « menacés » animés d'un dé-
224 225
L'action des individus et des forces sociales n'est pas régie par des lois de con- voir est « d'utiliser la moindre fissure dans le but de gagner une position d'avan-
sorvation des individus ou des forces, en dehors des considérations de classes: Brü- tage pour le prolétariat ». Evidernment.: les événements d'Allemagne, où les « fis-
ning ou l\fatteoti ne pouvaient pas agir en considération de leurs intérêts person- sures » que pouvaient représenter d'abord, fe gouvernement de Prusse, ensuite
nels ou des idées qu'ils soutenaient, c'est-à-dire emprunter le chemin de la l'évolu- Hindenburg-von Schleicher, n'ont été, en définitive, qu'autant d'échelons permet-
tion prolétarienne qui, seul, les aurait préserver de l'étranglement fasciste. Indi- tant l'ascension du fascisme, sont de simples bagatelles dont il ne faut pas tenir
vidu et force agissent en fonction .des classes dont ils dépendent. Cela explique compte. Il est entendu que nos objections seront taxées d'antiléninistes ou d'anti-
pourquoi les personnages actuels de la politique française ne font que suivre les marxistes; on nous dira que, pour nous, il est indifférent qu'il y ait un gouverne-
traces laissées par leurs prédécesseurs des autres pays, et cela même dans l'hypo- ment de droite, de gauche ou fasciste. Mais, à ce dernier sujet, nous voudrions, une
thèse d'une évolution du capitalisme français vers le fascisme. fois pour toutes, poser le problème suivant: tenant compte des modifications sur-
La base de la formule de l'antifascisme (ie syndicat de tous les menacés) se venues dans les situations de l'a-près-guerre, la position de nos contradicteurs qui
révèle donc d'une inconsistance absolue. Si, d'autre part, nous examinons de quoi demandent au prolétariat d'intervenir pour choisir entre les formes d'organisation
procède - du moins dans ses affirmations programmn tiques - l'idée de l'antifas- de l'Etat capitaliste, la moins mauvaise, ne reprociuit-elle pas la même positinn
cisme, nous constaterons qu'elle dérive d'une dissociation du fascisme et du capita- défendue par Bernstein appelant le prolétariat à réaliser la me illeure forme de
lisme. Il est vrai que si l'on interroge, à ce sujet, un socialiste, un centriste ou un l'Etat capitaliste? L'on nous répondra peut-être que l'on ne demande pas au pro-
bolchévik-léniniste, tous affirmeront qu'effectivement le fascisme c'est le capita- létariat d'épouser la cause du gouvernement pouvant être considérée comme la
lisme. Seulement, le socialiste dira: « nous avons intérêt à défendre la Constitution meilleure forme de domination, .. au point de vue prolétarien, mais que l'on se pro-
et la République afin de préparer le socialisme »; le centriste affirmera qu'on réa- pose simplement de renforcer les positions du prolétariat, à tel point d'imposer au
lise plus facilement l'unité de lutte de la classe ouvrière autour de l'anlifascisme, capitalisme une forme de gouvernement démocratique. Dans ce cas, l'on ne ferait
qu'autour de la lutte contre le capitalisme; ie bolchévik-léniniste affirmera qu'il que modifier les phrases et le contenu resterait le même. En effet, si réellement
n'existe pas de meilleure base pour le rassemblement et pour la lutte, que la dé- le prolétariat est en condition d'imposer une solution gouvernementale à la bour-
fense des institutions démocratiques que le capitalisme n'est plus capable d'assu- geoisie, pourquoi devrait-il se borner à un tel objectif au lieu de poser ses reven-
rer à la. classe ouvrière. Il s'avère donc que l'affirmation générale « le Iascisme dications centrales pour la destruction de l'Etat capitaliste? D'autre part, si sa
est le capitalisme » peut conduire à des conclusions politiques pouvant seules ré- force ne lui permettrait pas encore de déclencher son insurrection, l'orienter vers
sulter de la dissociation du capitalisme et du fascisme. un gouvernement démocratique, n'est-ce pas l'aiguillonner sur une voie permettant
L'expérience démontre, et cela anéantit la possibilité de distinction entre fas- la victoire de I'ennemi î

cisme et capitalisme, que la conversion du capitalisme en fascisme ne dépend pas Le problème n'est certainement pas comme le voient les partisans du « meil-
de la volonté de certains groupes de la classe bourgeoise, mais répond à des néces- leur choix»: le prolétariat a sa solution du problème de l'Etat, et il n'a aucun
sités qui se rattachent à toute une période historique et aux particularités propres pouvoir, aucune initiative en ce qui concerne les solutions que donnera le capita-
à la situation d'Etats se trouvant dans une situation de moindre résistance aux lisme au problème de son pouvoir. Il est évident que. logiquement .il y aurait avan-
phénomènes de la crise et de l'agonie du régime bourgeois. Les expériences d'Ita- tage à trouver des gouvernements bourgeois très faibles permettant l'évolution de
lie et d'Allemagne peuvent - dans la mesure où une séparation étanche est possi- la lutte révolutionnaire du prolétariat ; mais il est tout aussi évident que le capita-
ble - nous mener à cette conclusion: lorsque le capitalisme se voit obligé de pas- lisme ne constituera des gouvernements de gauche ou d'extrême-gauche, qu'à la
ser à l'organisation fasciste de sa société, les bataillons fascistes fournissent les condition que ces derniers représentent la meilleure forme de sa défense dans une
troupes de choc qui se dirigent contre les organisations de classe du prolétariat. ituation donnée. En 1917-21, la social-démocratie accédant au gouvernement réa-
Les formations politiques démocratiques de la bourgeoisie affirment alors une op- lisa la défense du régime bourgeois et fut la seule forme permettant I'écrasement
position au fascisme, laquelle a pour but d'appeler le prolétariat à confier la, dé- de la révolution prolétariene. En considérant qu'un gouvernement de droite aurait
fense de ces institutions aux lois démocratiques et la Constitution. En outre la
à
pu directement orienter les masses vers l'insurrection, les marxistes devaient-ils
social-démocratie, qui agit dans le même sillon que les forces libérales et dérnocra- préconiser un gouvernement réactionnaire? Nous formulons cette hypothèse pour
tiques appelle également le prolétariat à poser comme revendication centrale le prouver qu'il n'existe pas de notion de forme de gouvernement meilleure ou mau-
recours à l'Etat pour obliger les formations fascistes à respecter la légalité pour vaise valable en général pour le prolétariat. Ces notions existent seulement pour
les désarmer ou même pour les dissoudre. Ces trois courants politiques agissent sur le capitalisme et suivant les situations. La classe ouv riè re a, par contre, le devoir
une ligne parfaitement solidaire : leur source se retrouve dans la nécessité pour le absolu de se regrouper sur ses positions de classe pour combattre le capitalisme
capitalisme d'aboutir au triomphe du fascisme, là où l'Etat capitaliste a pour but sous la forme qu'il revêt concrètement: fasciste, démocratique ou social-démocra-
d'élever le fascisme jusqu'à en faire la forme nouvelle d'organisation de la société tique.
capitaliste. . - La première c onsidération essentielle que nous ferons en regard des si-
Puisque le fascisme répond à des exigences fondamentales du capitalisme, tuations actuelles, sera la proclamation ouverte que le problème du pouvoir ne se
c'est sur un autre front opposé que nous pourrons trouver une possibilité de lutte pose pas aujourd'hui d'une façon immédiate pour la classe ouvrière, et qu'une des
réelle contre lui. Il est vrai qu'aujourd'hui, nous nous exposons souvent à voir falsi- manifestations les plus cruelles de cette caractéristique de la situation est le dé-
fier des positions que nos contradicteurs ne veulent pas combattre politiquement. clenchement de l'attaque fasciste, ou l'évolution de la démocratie vers les pleins
Il suffira, par exemple, de s'opposer h la formule de l'antifascisme (qui n'a aucune pouvoirs. Dès lors, il s'agit de déterminer sur quelles bases pourra s'effectuer le
base politique), parce que les expériences prouvent que. pour la victoire du fas- rassemblement de la classe ouvrière. Et ici une conception vraiment curieuse va
cisme, les forces an~ifascistes du capitalisme ont été aussi nécessaires que les for- séparer les marxistes de tous· les agents de l'ennemi et des confusionnistes qui
ces fascistes elles-mem.es, pour s'entendre répondre: « peu importe d'analyser la agissent au sein de la classe ouvrière. Pour nous, le rassemblement des ouvriers
substance prog rarnmat ique et politique de l'antifascisme ce qui nous intéresse est un problème de quantité: le prolétariat ne pouvant s'assigner pour but immé-
c'est que Dal:J:dier est préférable à Doumergue, que ce dentier est préférable à diat la conquête du pouvoir, se rassemble pour des objectifs plus limités, mais ton-
Maurras, et, des lors, nous avons mtérêt à défendre Daladier contre Doumergue jouvs tle classe: les luttes partielles. Les autres, qui afficheront un extrémisme de
ou Doumergue contre Maurras. Ou, scion les circonstances Daladier ou Doumer- bluff, altèreront la substance de classe du prolétariat et affirmeront qu'il peut lut-
gue, puisqu'ils représentent un obstacle à la victoire de M~urras et que notre de- ter pour le pouvoir à n'importe quelle époque. Ne pouvant poser ce problème sur
226 227
des bases de classe, c'est-à-dire sur la base prolétarienne, ils l'émasculeront subs-
tantiellement en posant le problème du gouvernement antifasciste. Nous ajouterons
encore que les partisans de la dissolution du prolétariat dans le marais de l'anti-
fascisme, sont évidemment ceux-là mêmes qui empêchent la constitution d'un LA GRÈVE DE VERVIERS
front de classe du prolétariat, pour ses batailles revendicatives.
Les derniers mois, en France, ont bien connu une efflorescence extraordinaire Depuis plus de quatre années, le prolétariat belge, marchant de défaite en
de programmes, de plans, d'organismes antifascistes, mais cela n'a nullement em- défaite, a vu ses conditions d'existence avilies dans des proportions effrayantes.
pêché Doumergue d'aboutir à une réduction massive des traitements, des pensions, Dans l'industrie charbonnière, selon des estimations modérées - puisqu'elles éma-
signal pour les diminutions de salaires que le capitalisme français a bien l'inten- nent des dirigeants réformistes de la, Centrale des Mineurs - les diminutions de
tion de gfoéraliser. Si la centième partie de l'activité déployée autour de I'anti- salaires successives appliquées atteigneraient 40 p.c. des taux de 1930. En métal-
lurgie, les diminutions atteignent 30 p.c. Dans l'industrie du textile, elles les è i-
fascisme avait été dirigée vers la constitution d'un front solide de la classe ouvrière
passent. Dans le bâtiment, elles sont quelque peu inférieures à ce chiffre. Mais ces
pour le déclenchement d'une grève générale pour la défense des revendications
chiffres sont loin de donner une image exacte de l'abaissement du niveau de v.e
immédiates, il est absolument certain que, d'une part, les menaces répressives
que l'ouvrier belge s'est vu imposé. D'abord, les chiffres publiés dans les statisti-
n'auraient pas suivi leur cours, et que, d'autre part, le prolétariat, une fois re-
ques gouvernementales ou syndicales ne concernent, le plus souvent, que les dimi-
groupé pour ses intérêts de classe, aurait repris confiance en lui-même, opérant
nutions officiellement enregistrées. Bien souvent, les ouvriers ont dû accepter de
ainsi une modification de la situation d'où serait surgi, à nouveau, le problème du
l'embauche en dessous des taux contractuels. On enregistre au chômage complet
pouvoir, dans la seule forme où il peut se poser pour la classe ouvrière: la dicta-
près de 15 p.c. des travailleurs et près de 25 p. c. de chômeurs partiels. Dès lors,
ture du prolétariat.
on peut se faire une idée de l'abaissement brutal du standard de vie des ouvriers.
De toutes ces considérations élémentaires, il découle que l'antifascisme, pour La grande grève des ouvriers du textile de Verviers, qui englobe plus de 16,000
être justifié, devrait procéder de l'existence d'une classe antifasciste: la politique ouvriers et ouvrières, n'a pas pour cause principale une menace patronale de dimi-
antifasciste devrait découler d'un programme inhérent à cette classe. Qu'il ne soit nution des salaires. Mais, comme on le pense bien, c'est à cela que, nécessairement,
pas possible d'arriver à de telles conclusions, cela ne résulte pas seulement des plus devrait aboutir une défaite des grévistes, qui luttent depuis le 22 février avec un
simples formulations du marxisme, mais aussi des éléments tirés de la situation courage et une unanimité qui forcent l'admiration. Par ces temps de nationalisme
actuelle en France. En effet, le problème se pose immédiatement des limites à assi- économique, où les diverses puissances capitalistes se livrent une guerre à coups de
gner à l'antifascisme. A qui devrait-il se limiter à sa droite 7 A Doumergue, qui est tarifs et de contingentements, dans le but de s'arracher, les unes aux autres, les
là pour défendre la République, à Herriot qui participe à la « trève » pour préser- débouchés, de plus en plus rares, nécessaires à leur exportation, c'est nécessaire-
ver la France du fascisme, à Marquet qui prétend représenter « I'œil du socia- ment par de nouveaux avilissements des salaires que se traduisent toutes les mesu-
lisme » dans l'Union Nationale, aux Jeunes Turcs du parti radical, simplement aux res de défense capitaliste. Et, dans cette lutte du capitalisme, il arrive un moment
socialistes, ou enfin, même, avec le diable, pourvu que l'enfer soit pavé d'anti- où, sous peine de rester stériles, les efforts doivent se concentrer vers la modifica-
fascisme 7 Une position concrète du problème prouve que la formule de l'antifas- tion profonde des rapports entre patrons et ouvriers, rapports qui donnèrent de
cisme ne sert que les intérêts de la confusion et prépare la dérou~ certaine de la bons résultats à d'autres moments, mais qui, pour I'instant, sont devenus un obs-
classe ouvrière. tacle aux visées patronales.
Au lieu de procéder à des modifications substantielles des revendications de la C'est le cas dans l'industrie textile de Verviers. C'est à cela que songeait
classe ouvrière, le devoir impérieux des communistes consiste à déterminer le ras- l' « Etoile Belge », un des organes de combat du patronat belge, lorsqu'il affirmait,
semblement de la classe ouvrière autour de ses revendications de classe et au sein s'adressant au gouvernement, qu'il était temps de « réagir, de réagir avec vigueur
de ses organismes de .classe: les syndicats. Pour ce qui concerne la C.G.T. (la C.G. contre ... les menaces que fait courir à la collectivité le développement de la puis-
T. U. ayant perdu tout caractère syndical pour ne devenir que l'appendice du cen- sance syndicale ».
trisme), nous assistons - et cela est un autre fait caractéristique de la désagréga- Il ne faut pas croire que les syndicats verviétois constituent une menace révo-
tion de la classe prolétarienne - à un processus de modification fondamentale qui lutionnaire quelconque. Il ne faut pas croire non plus que le patronat se méprend
en fait un autre parti politique, se donnant pour but, et sur la base du programme sur le compte de ce mouvement syndical et de ses dirigeants. Il sait, pour avoir
des Etats généraux, d'une modification de la structure de la société sur des bases collaborer avec eux pendant de longues années, que rien n'est plus étranger aux
inter-classes. On voit donc qu'à la faveur de toute l'idéologie de l'antifascisme chefs syndicaux de Verviers comme d'ailleurs, que l'idée d'attenter au régime capi-
disparaît le syndicat, l'organe même qui pourrait regrouper le prolétariat dans la taliste et à ses représentants, mais ... Il y a un mais. Le voici: Les ouvriers de Ver-
situation actuelle où seules les revendications immédiates sont susceptibles de viers ont conquis, de haute lutte, des conventions, des règlements, certains droits .
.reconstruire l'unité des luttes de la classe ouvrière. Nous dirons également, pour En plus ils disposent, pour les faire respecter, d'organisations syndicales où la
terminer, que la nécessité de s'appuyer sur les organisations syndicales résulte bureaucratisation n'a pas encore tué complètement I'esprit d'initiative des masses.
d'une donnée historique qui ne peut pas être écartée en considération de la faible Les droits et les règlements favorables à l'ouvrier, qui sont actuellement remis
influence des syndicats en France. En effet, nous ne nous basons pas sur la notion en discussion, provoquent, de la part des patrons, la volonté d'introduire les réfor-
formelle du syndicat, mais sur la considération fondamentale que - ainsi que nous mes suivantes:
l'avons déjà dit - le problème du pouvoir ne se posant pas, il faut choisir des 1° ,La réduction du personnel des équipes dans les filatures du peigné qui, en
objectifs plus limités, mais toujours de classe pour la lutte contre le capitalisme, France, comptent un rattacheur en moins et, exceptionnellement, deux pour cer-
Et l'antifascisme détermine des conditions où la classe ouvrière non seulement va tains articles spéciaux ;
être noyée pour ce qui est de ses moindres revendications économiques et pc liti- » 2° Au retordage, la possibilité de faire suivre au personnel un nombre plus
ques, mais où .elle verra aussi toutes ses possibilités de lutte révolutionnaire com- élevé de broches;
promises et se trouvera exposée à devenir la proie du précipice des contrastec du 3° En filature cardée, la possibilité de proportionner le nombre des ouvriers à
capitalisme : de la guerre, avant de retrouver la possibilité de livrer la bataille la difficulté technique que présente la matière à filer au lieu de s'en tenir à la règle
révolutionnaire pour l'instauration de la société de demain. immuable d'un homme pour 90 à 210 broches;
» 4° Au tissage, la généralisation du travail à deux métiers, comme cela se pra-
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tique à l'étranger et non plus uniquement à un métier, comme c'est l'usage à Ver- Mais il n'est pas étonnant que le patronat verviétois, ii la vue de l'impuissance
viers· des travailleurs du Nord de la France, rêve également d'imposer à ses ouvriers les
» '5° L'augmentation de la production des ourdisseurs; conditions de travail que les premiers se sont vus imposer à la suite d'échecs reten-
» 50 La suppression des 20 p.c, d'augmentation de salaire à la seconde équipe; tissants. Et il se peut que ce soit une indication dans ce sens, que c'est précisé-
» 70 Le maintien, en cas de chômage, du partage du travail entre tous les ou- ment un industriel de nationalité française, le sieur Flippo, qui a aussi de gros
vriers de l'usine (roulement). intérêts clans le Nord, qui se montre un des plus ardents à aboyer aux chausses des
» Les patrons déclarent aux : ournalistes, écrit le « Peuple », à qui ces rensei- ouvriers verviétois,
gnements sont empruntés, qu'ils n'ont pas l'intention de modifier, en ce moment du Les dirigeants syndicaux verviétois, l'auraient-ils voulu, auraient difficilement
moins, les salaires de base et qu'ils veulent simplement mettre fin au système pu empêcher celte grève. L'unanimité des 16,000 syndiqués - soi c donc des person-
établi par la convention de 1919 et qui consiste à payer à la. seconde équipe ( éqi.;ipe nels tout entier - était si complète~ les provocations des patrons avaient tellement
de nuit), laquelle travaille quarante heures par semaine (de 14 h. 30 à 23 heures), îait mousser l'indignation ouvrière, qu'ils ne songèrent certainement pas à s'oppo-
le même salaire qu'à l'équipe de jour, qui travaille de 6 heures ~ 14 h. 30. ser à la volonté des ouvriers. Mais qu'est-ce qu'une direction social-démocrate d'un
. » Les patrons ajoutent qu'ils ne désirent pas supprimer le roulement, cc mais mouvement de grève est d'autre - même quaud les dirigeants acceptent le prin-
bien en adapter le principe aux circonstances du moment ». Ils maintiendraient le cipe de la, lutte - qu'un sabotage savant de la combativité des travailleurs et qu'un
roulement dans le cadre du personnel strictement nécessaire ». torpillage certain de toute initiative des masses. Opposition passive, quand il le
C'est contre ln. prétention des patrons d'introduire ces réformes que les ouvriers faut, active lorsque c'est possible, soutien apparent quand c'est nécessaire, mais le
sont partis en grève. Les droits auxquels les pa.trons prétendent mettre fin mainte- mobile. instinctif est toujours le même: mettre le cap vers la conciliation, endiguer,
nant ont été conquis de haute lutte, avons-nous dit. Certains sont très importants, canaliser le mouvement, lasser, saigner la résistance ouvrière, pour poser en sau-
notamment celui qui permet aux travailleurs de répartir, en cas de ralentissement veur du mouvement, lorsqu'à la suite des tergiversations et des vaines palabres et
dans le travail, la besogne entre eux. Ils datent de Hl06, année où les ouvriers ver- faute d'avoir été dirigée clans la bonne direction, la résistance agonise.
viétois eurent à soutenir un lock-out général de six semaines. Cet engagement qui Ici il faut poser la question: dans la période que nous traversons, où le capi-
dressa, d'une part, l'ensemble des patrons fortement coalisés et, d'autre part, les talisme est décidé à ne reculer devant aucun moyen pour faire réussir son pro-
ouvriers, qui avaient substitué à leurs anciens syndicats de métier leur Confédéra- gramme de réarmement économ ique, les grèves économiques dans une corporation
tion Générale, se termina par un compromis. Les ouvriers y obtinrent la reconnais- ou dans une industrie peuvent-elles être profitables au prolétariat, si on n'est pas
sance syndicale. Mais cette reconnaissance fut obtenue, en somme, par la renon- résolu d'en accepter toutes les conséquences, c'est-à-dire d'avoir recours à la grève
ciation des syndicats à l'organisation de la résistance spontanée des ouvriers. Oe générale, même aux solutions les plus extrêmes, si le développement de la lutte
dont les patrons se plaignaient le plus, c'était de la multiplicité des grèves et de l'exige 7 Nous répondons: non! Mais, alors, nous dira-t-on, vous voulez que toute
I'impuissance de la Confédération à y mettre fin. Il se créa donc des Fédérations grève économique serve de prétexte ii une grève générale et que toute grève géné-
d'industries responsables de leurs membres vis-à-vis des patrons. Des conventions rale se transforme en insurrection 7 Et, du coup, on ressuscite toutes les plaisante-
s'élaborèrent. Les syndicats obtenaient l'affichage, dans les usines, des convoca- ries et les sarcasmes qui ont servi à justifier l'action « pacifique », « méthodique »,
tions dassemblées et autres avis. Mais on créait une commission mixte, Chambre « constructive » et à condamner les méthodes cl' action directe et de lutte révolu-
de Conciliation, qui devait être saisie de tout conflit, dans le but de le résoudre tionnaire du prolétariat. Les succès sont très faciles pour ceux qui se contentent
pacifiquement. Les Fédérations s'engagèrent 2 ne soute nir aucune grève dont les d'un examen de surface des événements ou qui acceptent comme critère pour les
mobiles n'auraicnt pas préalablement fait l'objet d'un examen de la part de cette intérêts profonds des masses, l'amour-propre des bureaucrates. Il est évident
commission. Inutile de dire que l' « union sacrée » scellée en 1918 nar le Parti que pour ceux-là, par exemple, une reconnaissance syndicale par le patronat qui
Ouvrier Belge et la Commission Syndicale renforcèrent le système des -conventions. aurait sa contre-partie dans une baisse catastrophique des conditions de travail,
A tel point qu'il détermina une scission: la Fédération du Peigné qui, en 1906 déjà, des salaires, vaudrait rnieux qu'une solution laissant intactes, ou à peu près, les
avait commencé par repousser le compromis, se détacha de la Centrale du Textile. conditions de salaires des ouvriers, mais mettant fin, par contre, à la pratique
Ces temps qui furent témoins de l'ascension graduelle des orgauisaticns, ou- d'une convention et qui rornprait la collaboration entre patrons et dirigeants syn-
vricres verviétoises, ressemblent peu à ceux que nous traversons maintenant. La dicaux. Une pareille situation nous ramènerait aux temps où les ouvriers devaient,
crise générale du capitalisme n'a pas été sans laisser son empreinte sur l'industrie par la, seule force de leur action, sauvegarder leurs conditions d'existence. Il fau-
dR la laine vervi étoise. Quoique produisant, en grande prutie, une spéc alité, les drait à nouveau laisser la parole à l'initiative des masses. Ce serait des grèves à
bons tissus et les « fantaisies ». ce qui fait la renommée de la place, V c.rviers a jets continus, détalant par des incidents d'atelier pour atteindre les dimensions de
souffert de la généraLlsation d'une technique plus perfectionnée. Certaines produc- grèves et de lock-out généraux. Au lieu de mouvements pacifiques, ce seraient des
tions, telle celle des « serges », ne s':y font .plus. Elles soaë-a llécs là où la force actions tumultueuses prenant le earactèr« d'émeutes et de soulèvements populaires.
syndicale n'est pas '.-i forte. L'industrie lainière doit importer ses matières pre- Il est clair que les dirigeants réformistes ne redoutent rien plus que le retour
mières de l'étranger. A Anvers, quelques fabriques s'appliquent au lavage des à de pareilles situations. Les luttes où la parole est aux masses et non aux diri-
laines brutes qui y arrivent, ce qui diminue les frais de transports vers les centres geants stylés ne sont pas le fort des syndicats réformistes. Aussi ont-ils fait tout
où elles seront travaillées. Près de la moitié des laines filées sont exportées telle CP, qui était possible avant, pendant et après le déclanchement de la grève pour
que, l'autre partie passe aux tissages qui sont établis un peu partout dans le pays. tendre au patronat le rameau d'olivier de la paix sociale. A la revendication patro-
Seule:_ la filature est concen~rée i>, Verviers. Les tissages se déplacent de plus en nale de réduction des équipes en filature et du travail à deux métiers, ainsi qu'à
plus._ li y en a dans la provmce d'Anvers: Hoboken, Malines, dans la région bru- la suppression des 20 p.c. de sursalaire pour l'équipe de nuit, les dirigeants syndi-
xelloiso et le Brabant, dans les deux Flandres. Le centre Roubaix-Tourcoing est un caux n'ont pas répondu par un « non » catégorique. Ils ont, au contraire, affirmé
concurrent de Verviers. Les patrons font fortement état des conditions misérables leur volonté de discuter, à la seule condition que les patrons continuent à traiter
de travail qu'ils ont pu imposer aux ouvriers du Nord et des Flandres. Malo-ré tout avec eux. Ce qu'ils réclamaient, c'étaient des discussions et des enquêtes hi-laté-
Verviers conserve de fortes positions à cause de ses spécialités de tissus de bo111,; rales. A. Duchesne, secrétaire général des Unions textiles (ouvrières), dans son
qualit-é. pour_-lesquels, u_nc main d'~uvre spécialisée et experte, difficile à former, interpellation à la Chambre et ailleurs, déclara qu'il n'était « pas adversaire de
reste nécessaire en dépit dP!': progres de la technique. l'adaptation de l'industrie textile aux conditions nouvelles, créées par la concur-
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rence intérieure et extérieure ». Il disait que cette adaptation ne pouvait se faire
au détriment du standard de vie de la classe ouvrière. Paroles sybillines dont le
« Peuple » donna la réelle signification - en plein accord avec les dirigeants du
textile - en faisant écrire ostentatoirement par son envoyé spécial que les Unions
Textiles (lisez leurs dirigeants) étaient prêts à mettre de l' « eau dans leur vin ». PARTI-INTERNATIONALE ETA-T
Qu'est-ce que cela peut signifier d'autre que les dirigeants sont prêts à faire des
concessions aux revendications patronales, à condition, bien entendu, que les CHAPITRE II
patrons reconnaissent leur autorité. Mais les patrons n'en veulent pas et c'est pour
cela qu'il ne reste rien d'autre à faire aux dirigeants syndicaux que de soutenir la CLASSE ET ETAT
grève, tout en s'efforçant de la maintenir dans les cadres stricts. qui lui sont assi- Dans son livre « -L'Etat et-la Révolution », Lénine, s'appuyant sur les enseigne-
gnés: celle d'une lutte pour imposer au patronat le maintien de la pratique des ments d'Engels, précisait l'idée fondamentale du marxisme touchant le rôle histo-
commissions de conciliation, de la convention collective, de la reconnaissance syn- rique et la signification de l'Etat qui « est le produit et la manifestation de l'anta-
dicale. Les efforts financiers sérieux seront consentis par l'ensemble du mouvement gonisme inconciliable des classes. L'Etat apparaît là où les contradictions de classe
syndical et socialiste belge, tant que la grève se tiendra dans ces limites et qu'elle ne peuvent être objectivement conciliés, et dans la mesure où elle ne peuvent
ne revêtera pas de caractère de lutte violente. La déconfiture de la Banque Belge !"être. En inversement: l'existence de l'Etat prouve que les contradictions de clas-
du Travail, qui aurait entraîné le « congellement » d'un avoir de trois millions de ses sont inconciliables ». En plus de cette idée essentielle, le livre de Lénine con-
francs appartenant aux Unions Textiles, impose de réels « sacrifices ». tient des idées fondamentales quant au rôle de l'Etat, idées que les événements de
Mais ces « sacrifices » - qui ne sont, en réalité, qu'une restitution (et encore l1après-guene pa.raissent., à première vue, démentir et qui, pour cela, doivent à
bien par d'autres, puisque c'est sur les cotisations des syndiqués que sont préle- nouveau être mises en lumière.
vés les versements syndicaux aux grévistes) de fonds détournés de leur véritable Il serait possible, en effet, d'affirmer que l'Etat Soviétique, dans la mesure
destination par le P. O. B. - ne peuvent nous empêcher de constater que la direc- même où il « marche à grands pas » vers la réalisation du socialisme et vers la
tion réformiste, par sa conduite de la grève, prépare la défaite. Il est clair que les Liquidation des classes », renforce - au lieu de le voir dépérir, suivant l'expression
travailleurs de Verviers ne peuvent gagner dans le cadre de la lutte corporative. d'Engels - son appareil administratif, répressif et militaire. Par ailleurs, le phé-
L'effort du capitalisme belge est d'empêcher de se souder, en un seul bloc, le pro- nomène de la conversion (violente ou non) de la forme démocratique de l'Etat
létariat, qu'il prétend réduire à la famine. La Commission Syndicale de Belgique capitaliste en forme fasciste, qui peut s'effectuer sur la base de forces sociales
et le P. O. B. l'y aident merveilleusement en empêchant que les luttes que les radicalement opposées à la bourgeoisie (petite-bourgeoisie et couches proléta-
diverses corporations menacées mènent, chacune de leur côté: les ouvriers textiles, riennes) semblerait, à son tour, faire apparaître l'impossibilité - apparente évi-
les métallurgistes, les mineurs, les ouvriers du bâtiment ne se rejoignent dans une demment - de maintenir les formulations du marxisme pour l'explication des évé-
grève générale qui réduirait à néant les calculs des exploiteurs. Les piquets de nements actuels.
grève pour la chasse aux supplanteurs sont l'œuvre des grévistes eux-mêmes et L'on pourrait, il est vrai, opposer à ces considérations quant au rôle et à la
sont vus d'un mauvais œil par la bureaucratie syndicale. Cependant, malgré l'ac- fonction actuelle de l'Etat, hi. pensée exprimée par Engels dans son livre sur
tion des ouvriers verviétois, la grève est sabotée. Une partie de la laine préparée « l'Origine de la Famille, de la Propriété Privée et de l'Etat » : « par exception,
à Verviers est expédiée vers d'autres centres où elle est travaillée. Les entrepre- cependant, dit Engels, il se produit des périodes où les classes en lutte sont si
neurs de Verviers louent, dans d'autres régions du pays, des usines entières pour .r prêtes à s'équilibrer que le pouvoir de l'Etat acquiert, comme médiateur en appa-
faire manipuler leur laine. La lutte syndicale pour enrayer ce sarrasinage est nulle. rence, une certaine indépendance momentanée vis-à-vis de l'une ou de l'autre ».
La véritable fonction de la gauche socialiste est apparue dans les hésitations Mais cette image d'Engels ne peut se rapporter à la situation actuelle où les clas-
qu'elle a observées tout au cours de ce conflit. Les syndicats bruxellois, sur les- ses, loin de piétiner dans un certain «. équilibre », sont poussées aux limites extrê-
quels elle s'appuie, n'observent pas une attitude difiérente des autres orgau.sa- mes de leur lutte. L'éventualité émise par Engels ne nous permet donc pas
tions syndicales. Il est vrai que des timides paroles en faveur de la grève générale d'éclaircir les problèmes de la situation d'aujourd'hui. Au surplus, prise comme
se sont élevées aux syndicats du Bâtiment, du Vêtement et des Employés. Les justification des différentes phases de la situation de I'après-guerre, cette éven-
dirigeants de ces organisations peuvent se risquer d'une pareille audace parce que, tualité représenterait plutôt un démenti très vif à la théorie marxiste sur l'Etat.
en d'autres circonstances, ils aidèrent à. briser la volonté de lutte des travailleurs. Si, depuis Lénine, rôle et signification de l'Etat ont été précisés dune façon
Leurs appels à la grève tombent maintenant dans une indifférence quasi générale. définitive, il n'en est pas de même pour ce qui est de la position occupée par les
Le Parti Communiste, lui aussi, s'inscrit au passif dans cette lutte ouvrière. classes envers l'Etat, dans l'époque des guerres et des révolutions prolétariennes,
Son influence est certainement grandissante. Il group.e...les ouvriers les plus impa- ainsi que par l'Etat ouvrier envers l'évolution de la révolution prolétarienne mon-
tients et les plus combattifs. Mais son action jette le trouble dans le mouvement. diale.
Au moment où, dans les syndicats réformistes, grandissent les facteurs pro- Notre étude a pour but d'indiquer, sur la base des rapports existant entre
pices à l'éclosion d'un formidable courant contre le réformisme, le Parti Commu- l'Etat et la classe, les raisons pour lesquelles la doctrine marxiste ne souffre actuel-
niste s'employe à consolider indirectement ses positions. Il crfo une diversion en lement aucun démenti, alors que les situations nous permettent déjà de centraliser
instituant un comité central de grève en dehors et contre les syndicats. Les préoc- en des formulations fondamentales, les nouvelles données programmatiques pour la
cupations de sectarisme s'affirment tout au long de son action et ils empêchent victoire du prolétariat.
les travailleurs de reconstituer leurs forces sur des bases saines.
Tels sont les facteurs qui pèsent sur la classe ouvrière de Verviers et du pays ·* * *
et qui empêchent les travailleurs de retrouver leur unité de lutte autour d'objectifs ous avons mis en lumière, dans le premier chapitre, le fait que la classe, tout
révolutionnaires. Ce n'est qu'en surmontant les obstacles créés par la politique du en étant le reflet du mécanisme productif n'accède au rôle de force historique qu'à
réformisme et du centrisme, tant communiste que social-démocrate, qu'ils pourront hi. condition d'être appelée à réaliser une forme particulière d'organisation de la
utiliser, pour leur émancipation, une situation objective qui autorise de grands
société. Ainsi, nous avons pu réfuter « l'automatisme économique » et mettre en
espoirs révolutionnaires. Malheureusement, le retard de la conscience ouvrière sur
évidence le fait qu'aujourd'hui encore, la partie se joue entre le capita1isme qui
cette situation travaille en sens contraire. A. HENNAVT.
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entend conserver ses privilèges par le maintien de la société bourgeoise, et le pro- éanmoins, nous pensons que la définition: « l'Etat est l'organe d'une classe»
létariat qui combat pour l'instauration de la société communiste. La lutte se livre garde encore toute sa signification historique. Dans le premier chapitre de cette
donc entre deux formes de sociétés radicalement opposées et non entre deux clas- étude (nous nous excusons auprès de nos lecteurs de devoir y revenir si fréquem-
ses luttant dans le cadre exclusif limité par leurs intérêts économiques spécifi- ment), nous avons indiqué que, non seulement la classe est une notion inséparable
ques. Les deux classes fondamentales antagonistes de la société actuelle ne se dis- de la forme d'organisation sociale vers laquelle elle tend, et que l'évolution des
putent pas un organe de domination (l'Etat), parce qu'une fois conquis il per- forces productives lui permet de réaliser; mais aussi que la classe est une notion
mettra à la classe victorieuse d'imposer violemment sa souveraineté (dans sa signi- mondiale rattachant aux intérêts de sa conservation et à celle de la société où elle
fication de seule expansion illimitée de ses besoins économiques particuliers), mais règne, tous les phénomènes qui se produisent, même dans les pays où elle est loin
la bataille s e mène sur un front bien plus large: la construction d'une nouvelle so- .d'avoir triomphé, et, enfin, même là où elle a été écrasée par son ennemi, le pro-
ciété ou le maintien de l'ancienne. L'expérience de la domination capitaliste est létariat. - -
d'ailleurs la meilleure confirmation de cette affirmation. Sa société ne résulte pas Ces prémisses doivent être constamment considérées afin de ne pas nous éga-
d'une simple coordination des multiples intérêts économiques des composants de rer dans les dédales propres aux situations actuelles. D'ailleurs, c'est sur une telle
sa classe, mais d'une coordination qui embrasse toute la société et qui oblige des base que toutes les écoles historiques (et non seulement la marxiste) opèrent la
éléments de la classe exploiteuse dominante, à réfréner l'expansion de leurs inté- classification entre les différentes périodes: barbarie, antiquité, moyen-âge, capi-
rêts contingents en vue de la survivance de la société dans son ensemble. Les inter- talisme, prolétariat en stades où la société ne connaît pas encore de classes, où elle
ventions de l'Etat dans le domaine économique qui, actuellement, se font jour dans se concentre dans la domination des propriétaires d'esclaves, dans celle des sei-
tous les grands Etats impérialistes, ont précisément pour but de sauvegarder la gneurs féodaux et des propriétaires fonciers, de la bourgeoisie, et, enfin, de la
société capitaliste toute entière en contrôlant - pour la discipliner - la liberté classe prolétarienne. Ainsi, toute cette immense multiplicité de phénomènes histo-
d'action économique de certains groupes - et non des moindres - du capitalisme. riques qui illustrent l'ascension de l'humanité entière pendant des millénaires,
Dans cette lutte impitoyable autour du maintien ou de la fondation d'une nou- peut se résumer dans l'idée maîtresse de la classe dominante au point de vue his-
velle société, les formations intermédiaires, que nous avons appelées des forma- torique, et qui va faire refluer autour d'elle toutes les manifestations de la vie
tions de classe dans le premier chapitre, en opposition avec l'appellation de classe, sociale, et cela sur l'échelle mondiale.
sont inévitablement balayées soit par leur adjonction au capitalisme, auquel aucun Envisagée ainsi, l'idée fondamentale que l'Etat reste l'instrument d'une classe
intérêt réel ne les relie, soit par le prolétariat victorieux qui peut, seul, leur assu- ne souffrira aucun démenti. Et lorsque nous aurons précisé les positions, le chemin
rer une existence meilleure: celle du salarié ayant ses intérêts garantis par l'Etat. que l'Etat prolétarien doit adopter et parcourir pour ne pas déroger à sa fonction,
Par contre, la faillite momentanée du prolétariat à réaliser sa mission historique, à son but, il nous sera possible de déduire des expériences de l'après-guerre, les
ce qui caractérise la situation actuelle, correspondra inévitablement à son incapa- éléments permettant la reprise de la lutte révolutionnaire et, au-delà de toute con-
cité de défendre même ses intérêts économiques limités. Cela prouve que le prolé- fusion, il nous sera possible de comprendre pourquoi la doctrine marxiste conserve
tariat lui aussi, peut défendre victorieusement ses intérêts économiques seulement sa valeur inaltérable.
à la c~ndition d'être suffisamment capable de lutter pour la fondation de la so-
ciété communiste, de mobiliser, pour cette forme, toutes les couches exploitées de
la société capitaliste. La demière phase de la barbarie (Morgan et Engels divisent la phase de la
Dans le chapitre déjà cité, nous nous sommes également efforcés d'établir des barbarie en trois périodes dont la dernière connaît une extension de l'échange,
prémisses qui prouvent que l'on peut parler de «classe» là, et seulement là, où l'introduction de la monnaie et, enfin, la désagrégation 'des liens consanguins in-
existe la possibilité historique, pour une formation de classe, d'identifier son évo- compatibles avec une économie monétaire) pourrait, à première vue, infirmer
lution ses intérêts économiques et sociaux avec le développement de la société l'idée que l'Etat est l'instrument d'une classe. En effet, à cette époque, la consti-
elle-même. L'Etat qui surgit dans ce milieu historique, comme expression de cette tution gentilice (1) ne coïncide pas encore avec l'existence d'une classe exploi-
identité, est et reste évidemment « l'Etat de la classe la plus puissante, la classe ~teuse, bien qu'une réglementation de la vie sociale soit déjà établie, qu'une cer-
économiquement dominante qui, grâce à lui, (c'est-à-dire de l'Etat) devient égale- taine hiérarchie des fonctions existe au sein de la gens, et qu'il y ait une conti-
ment la classe politiquement dominante et acquiert ainsi de nouveaux moyens nuité manifeste dans l'attribution des fonctions occupées par les membres de
d'opprimer et d'exploiter la classe dominée ». (Engels). celle-ci. Ainsi, les fonctions militaires (le Basileüs chez les Grecs), de direction, de
Il est certain que l'énonciation sèche et sommaire de la formule el.'Engels: travail (2) étaient attribuées d'abord par voie démocratique, ensuite transmises
« l'Etat est l'organe d'une classe >l semblerait conduire, à l'heure actuelle, à des héréditairement aux éléments qui se trouvaient soit dans la gens, soit dans les fa-
énigmes, pour la Russie Soviétique d'une part, et les Etats fascistes de l'autre. On milles rle la gens. Engels, à qui nous nous rapportons, remarque qu'avant cette
pourrait facilement, à ce sujet, argumenter de ,la sorte : ou bien l'Etat Russe est époque, il s'était déjà effectué une évolution de la constitution gentilice, son pas-
l'Etat de la classe prolétarienne et puisque son activité intérieure et extérieure sage du droit maternel au droit paternel - enfin sa dissociation et la constitution
rompt avec les bases élémentaires de la lutte révolutionnaire: la construction de collectivités de familles où certaines d'entr'elles concentrent bientôt, grâce à
d'une société sans classe et sans Etat, la théorie de la mission historique du prolé- l'accroissement des richesses matérielles, un pouvoir de plus en plus étendu.
tariat, se trouve être détruite; ou bien l'Etat russe n'est pas un Etat ouvrier et, Afin de démontrer pour quelles raisons la constitution gentilice ne put enfan-
dans ce cas, la théorie marxiste de la classe, en tant que formation sociale ~'ap- ter un appareil étatique, même rudimentaire, et afin de démontrer que ce dernier
propriant les moyens de production et instituant, pour leur conservation l'organe
de sa domination: l'Etat, serait à son tour démentie. ' (1). - Constitution gentilicc : basée sur la gens, c'est-à-dire sur des groupes consanguins
L'on pourrait raisonner de même pour les Etats fascistes: ou ce sont des Etats se réclamant d'une descendance commune et formant une tribu à forme de vie communiste.
capitalistes et alors l'opposition que leur font des forces sociales et politiques net- (2). - « Toute fonction chez les barbares tend à s'immobiliser dans une même famille :
tement contre-révolutionnaires, telles la social-démocratie et même les droites libé- on est tisserand, forgeron, maqicien ou prêtre de père en fils : de cette manière naissent les
rales, devient incompréhensible; ou bien encore, la théorie marxiste qui nous per- castes. Le chef chargé du maintien de l'ordre intérieur et de la défense extérieure était choisi
met de parler de capitalisme après un examen de la forme en cours de la propriété parmi tous les habttantsr mais peu à peu on prit l'habitude de l'élire dans la même farniÏle qui
finit par désigner elle-même le chef de la communauté sans qu'on passât à la formalité de
privée, doit, elle aussi, être revisée dans ses fondements. l'élection. ~ (Lafargue : « Origines de la propriété».)
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l'usage, propriété privée) était lè reflet direct de cette situatjon où le caractère
surgit seulement de la désagrégation des liens consanguins, nous étabiirons rapi-
encore primitf des moyens de production (chasse, pêche) ne laissait entrevoir
dement quelle fut la signification de la constitution gentilice. aucun besoin dépassant les nécessités d'une alimentation rudimentaire. C'est en
La gens représentait une unité économique, où l'attribution des travaux neces-
conséquence de l'apparition de l'industrie, de l'échange, de la monnaie, qu'une
saires à la collectivité se faisait par la dévolution des charges de direction à des
vision de besoins plus étendus apparut en correspondance avec l'impossibilité d'en
individus qui, loin d'acquérir une position de privilège et d'aisance, se trouvaient
faire bénéficier l'ensemble de la société; et parallèlement à la volonté de certaines
exposés aux plus graves dangers (1) alors que le mode de production, c'est-à-dire
familles d'abord, de classes ensuite, de monopoliser les instruments de production.
le rapport entre l'homme, la société et les forces de production reste régi par le ne fois dépassée cette phase, le mode de production change radicalement.
principe de la propriété commune. Dans la constitution gentilice, nous assistons, .
Les nouvelles formes de la production ne permettent plus d'établir entre l'homme
par conséquent, à l'attribution du pouvoir non suivant les intérêts d'un privilège,
et les moyens de production un lien direct. Ce n'est plus qu'une minorité qui
mais suivant une ligne opposée: certains de ses composants sont obligés d'occuper
pourra bénéficier de la production de tous, et ainsi apparaît la nécessité d'un
les postes les moins enviés. ·
organe destiné à consacrer la domination de la classe maîtresse et d'assujettir
La constitution gentilice n'a donc rien à voir avec une organisation étatique
toutes les autres formations sociales. Voilà les conditions sociales qui engendi·ent
qui présuppose l'utilisation de cette dernière dans le but de garder et d'accroitre
une certaine domination au sein de la société. l'Etat.
Mais, comme l'écrivait Lafargue, les forces économiques qui ont conduit à la
division de la société en classes, à la domination du capitalisme, portent en elles
les conditions d"un «• communisme en retour }', car, écrivait-il. « l'humanité ne pro-
Dans le chapitre destiné à la genèse de l'Etat Athénien, Engels, qui le qualifie gresse pas en ligne droite, comme le pensait Saint-Simon; ainsi que les corps cé-
« de modèle particulièrement typique de la formation de l'Etat en général, parce lestes autour de leur centre d'attraction et que les feuilles sur la tige, elle -décrit
que, d'une part, elle s'accomplit en pleine pureté sans immixtion de violence inté- dans sa marche une spirale dont les -cercles vont continuellement en s'élargissant.
rieure ou extérieure - l'usurpation de Pisistrate ne laissa pas derrière elle trace Elle arrive nécessairement à des points correspondants et l'on voit alors reparaître
de sa courte durée; - parce que, d'autre part, elle fait surgir immédiatement des formes antérieures que l'on croyait éteintes à :amais; mais elles ne reparais-
de la constitution gentilice, un Etat d'une forme très perfectionnée: la république sent que profondément modifiées par la succession ininterrompue des phénomènes
démocratique » ; Engels fait donc remarquer qu'un « caractère essentiel de l'Etat économiques et sociaux qui se sont produits dans le cours du mouvement. La civi-
consiste dans une force publique distincte de la masse du peuple ». Par ailleurs, il. lisation capitaliste; qui a réintroduit le collectivisme, achemine fatalement l'huma-
montre aussi la nécessité, pour ce dernier, de prendre pour base d'organisation nité vers le communisme. L'homme, parti d'un communisme simple et grossier
sociale la subdivision du territoire et non plus le groupe consanguin. Cette évolu- des temps primitifs, retourne à _ un .communisme complexe et scientifique;
tion, en particulier,- s'effectua au travers des trois constitutions de l'Etat Athé- c'est la civ:ilisation capitaliste· qui en élabore les éléments après avoir enlevé
nien. Celle de Thésée, qui commence par réglementer l'évolution des gentes, qui à la propriété son caractère personnel. Les instruments de production, qui, pen-
perdent déjà leur caractère de groupe consanguin, celle de Solon qui, sous l'effet dant la période de la petite industrie, étaient disséminés et possédés individuelle-
de l'économie monétaire passe, mais toujours sur la base de la survivance· des qua- mentrnent par les artisans, arrachés de leurs mains; sont centralisés, mis en com-
tre vieilles tribus consanguines, à la division de la population en quatre classes, mun dans de gigantesques fabriques et dans de colossales fermes. Le travail a
division basée sur la propriété foncière, et, enfin, celle de Clysthène, qui, dans sa perdu son caractère individuel. L'nrtisan ouvrait chez lui individuellement; le pro-
constitution nouvelle, veut ignorer les quatre anciennes tribus fondées sur les gen- létaire travaille en commun dans l'atelier; le produit, au lieu d'être individuel, est
tes et les phrateries (confédérations de gentes et de tribus) et les remplace par 'cune œuvre commune » .
. une organisation toute nouvelle ayant pour base la répartition des citoyens ( déjà Ces considérations historiques nous permettent de fixer deux principes qui
divisés en nautraries, c'est-à-dire en petites circonscriptions militaires et territo- nous paraissent fondamentaux dans la doctrine marxiste de l'Etat: 1°) c'est l'ins-
riales à raison de 12 par tribus) uniquement d'après leur lieu de résidence. Et trument du travail qui pose les conditions pour la division de la société en classe;
Engels dit à ce propos: « Ce ne fut plus le fait d'appartenir au groupe consanguin·
2°) ce sont ensuite les classes qui donnent vie à l'Etat.
qui décida, mais le seul domicile; ce ne fut pas le peuple, mais le sol qu'on subdi- Le caractère « en dehors des classes » que revêt l'Etat ne découle pas d'une
visa; les habitants devinrent politiquement simple appartenance du territoire ». possibilité qu'offre la classe dominante (évidemment celle-ci profitera de cette
Pour que l'Etat put se développer, il fallut donc briser les liens gentilices incom- apparence pour tromper les exploités), ni d'une vertu intrinsèque de l'Etat -Iui-
patibles avec une économie monétaire et avec la domination de groupes sur d'au- même, mais, comme Engels le releva pour l'Etat Athénien considéré en général,
tres et c'est à quoi aboutirent ces différentes constitutions. résulte directement de l'impossibilité d'établir un lien entre l'homme et les moyens
de production, dès que l'industrialisation de ceux-ci détermine les deux effets con-
*** tradictoires qui sont l'élargissement de la production d'une part et la possibilité
L'époque de la barbarie est révolue et avec elle ce mode de production qui pour une minorité de la population seulement de s'approprier cette production
permet à l'homme de se relier directement aux moyens de production. La propriété élargie. ·
commune de cette époque (les biens mobiliers très peu nombreux étaient, par La fi!ia'tion qui fait découler la classe de l'Etat, n'est donc pas seulement une
coïncidence ou une simple donnée historique intervertible, de telle sorte qu'il soit
( 1). - Dans son livre sur la propriété, Lafargue démontre : <! qu'on serait dans l'erreur
possible de parler d'un Etat engendrant la classe; mais, comme nous l'avons déjà
de croire que les fonctions de chef constituaient au début un privilège enviable : elles étaient fait remarquer dans le ·chapitre premier, la classe précède l'Etat en tant que pro-
au contraire des charges lourdes et dangereuses, Les chefs étaient rendus responsables de tout. duit direct de cette phase de.l'évolution de la société humaine où le monopole des
Une disette, était pour les Scandinaves, le siqne certain du courroux des dieux : ils en fai- moyens de production devient une nécessité pour asseoir un privilège et conformer,
saint Porter la faute à leur Roi oui était déposé et parfois mis à mort. Ces fonctions étaient dans le sens de son maintien, l'organisation de la société toute entière. Il est évi-
si peu recherchées que l'élu de l'Assemblée populaire ne pouvait s'y soustraire sans encou- dent que l'Etat est un instrument nécessaire pour l'instauration et le maintien
rir le bannissement et la peine qrave devoir démolir sa maison; le bien sacré et inviolable de d'une classe au pouvoir. Mais, si sous prétexte que la réalité historique n'est qu'un
la famille.» (Voir aussi à ce sujet, le chapitre concernant les tribus iroquoises dans le livre composé, un processus unitaire, où l'on peut indif-féremment intervertir les rôles
d'Enqels : <r Oriqines de la famille, de la propriété privée et de l'Etat»).
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des composants, on. transposait cette filiation en affirmant que la classe est un ins- que, politique, et à y conformer des types de sociétés: « l'Etat est l'organe de ces
trument de l'Etat on bafouerait non seulement la théorie marxiste dans sou en- classes »dans la mesure où il concrétise la domination de ces dernières.
semble ( « L'histoire de toute société jusqu'à nos jours u· a été que l'histoire des Pour le prolétariat, le problème se pose sur de toutes autres bases. En effet, si
luttes de classes » - Manifeste Communiste), mais la -réalité actuelle deviendrait l'on pouvait admettre cette éventualité toute abstraite que le prolétariat puisse
un galimatias incompréhensible. Il faudrait, dans ce cas, admettre que s'il existe réali.ser son insurrection à une époque où, grâce à une évolution industrielle pous-
un Etat fasciste, démocratique soviétique, il existe aussi une classe Iasciste, démo- sée extrêmement loin; on puisse passer, du : our au lendemain, de la société capita-
cratique, soviétique, et que le mode de production n'est pas déterminé par les rela- liste à la société communiste (la répartition de la masse des produits permettant à
tions existant entre les rapports sociaux, juridiques et les moyens de production, tous les producteurs d'assouvir la pleine et libre satisfaction de leurs besoins), si
mais par la relation existant entre les classes et l'Etat. donc pareille éventualité était possible, il n'y aurait aucune nécessité de fonder un
Au reste, le caractère « en dehors des classes » dé l'Etat est permanent pour Etat prol'étarien. Mais l'époque de transition entre la société capitaliste et la so-
ciété c.o.mmuniste, l'époque de la dictattïfè du prolétariat, est caractérisée par la
toute forme étatique: c'est la résultante directe de ce vide qui sépare l'eusemble
nécessité de discipliner et de réglementer I'évolution de la production (qui reste
de la population de la masse des produits, vide qui va être occupé par la classe qui,
insuffisante, même après I'écnasement du capitalisme), de l'orienter vers un épa-
s'appropriant les moyens de production, contrôle cette masse de produits. Cette
distinction de l'Etat par rapport aux classes est, d'autre part, comme Engels l'a nouissement qui permettra l'établissement de la société communiste. Les menaces
prouvé, la forme exclusive sur laquelle peut être construit un Etat. En elfet, histo- de restauration bourgeoise sont également en fonction de cette insuffisance de la
riquement les liens de la consanguinité sont remplacés par ceux du territoire, non production et des forces de production - même dans la période de la dictature du
parce que la gens se transforme formellement en une collectivité de ramilles ou en prolétariat - et non pas en unique fonction des velléités réactionnaires des classes
une circonscription territoriale, mais parce que la substance même de la nouvelle dépossédées.
organisation sociale a changé. Avant, il s'agissait d'une division· du travail qui Par conséquent, le rôle du prolétariat ne pourra être compris dans son ensem-
s'effectuait spontanément entre les membres de la gens, par après il s'agira d'im- ble, qu'à la condition de considérer qu'à l'opposé des classes qui l'ont précédé, les
poser une coërcition qui ne peut· plus s'effectuer sur la base de la consanguinité et fondements de son programme aussi bien que la politique de son Etat, instrument
de la propriété communistes: l'unité économique de la gens ayant été détruite de sa domination, ne peuvent être trouvés et réalisés que dans la vision constante
pour toujours. Et puisque le lien consanguin ne peut donner naissance aux classes, du processus de l'évolution progressive de la révolution internationale. Pour le
c'est dans le mécanisme économique que ces dernières trouveront leurs sources. capitalisme, par contre, la substitution de son privilège au privilège féodal, l' épo-
que des révolutions bourgeoises, pouvait s'accompagner d'une coexistence perma-
Dans les conclusions de son livre sur l'origine de la famille, Engels parle égale-
nente entre les Etats capitalistes et les Etats féodaux et même pré-féodaux. lJe
ment,-comme nous l'avons déjà dit, de l'éventualité « Olt les classes en lutte sont
plus, Marx a mis en lumière le fait que l'une des conditions pour la fondation et le
si près de s'équilibrer ». Engels ne reporte pas cette pensée pour déterminer une
possibilité (soit-elle contingente), Olt l'Etat ait ùne fonction médiatrice, mais, à maintien du régime capitaliste consiste justement dans la coexistence entre des ré-
notre avis ,pour mettre en évidence des situations Olt, provisoirement, les intérêts gimes bourgeois et des colonies qui permettent un investissement de la plus-value
des classes se trouvent en équilibre, -l'Etat peut apparaître comme l'organe média- ne donnant pas lieu aux phénomènes et aux contrastes propres de l'économie capi-
-teur. Mais, chez Engels, il ne s'agit certes pas d'une phase particulière de la vie · taliste. La vision historique du capitalisme ne peut donc, en aucun cas, être em-
de l'Etat, mais bien d'une phase particulière de la vie des classes. Ce qui est d'ail- pruntée par le prolétariat, car ce dernier ne peut triompher qu'à la condition d'op-
leurs prouvé par le fait qu'il parle de l'Etat qui acquiert une indépendance comme poser à la société bourgeoise 1111e société basée sur d'autres principes; et nous
·« médiateur » en apparence, alors qu'il parle des « classes en lutte et prêtes à avons déjà expliqué que ces principes ne peuvent s'accompagner que de l'épanouis.
s'équilibrer ». .• sement du caractère collectif revêtu par les instruments de production, vers la so-
On sait que certains groupes, se réclamant de la gauche communiste, interprè- ciété communiste.
tent ce passage 'de Engels de telle sorte qu'il puisse servir à donner une explicu-
tion théorique du fascisme et du soviétisme, ainsi que des formes gouvernement.a-
les qui ont précédé la victoire du fascisme. Que cela soit en contradiction flagrante Le rôle du capitalisme, son but, suffisent à indiquer le rôle et le but de ses dif-
avec la pensée véritable d'Engels, est prouvé par cette considération essentiihe : férentes formes d'Etat: maintenir l'oppression au profit de la bourgeoisie. Pour ce
nous ne traversons nullement aujourd'hui une période Olt les classes s'équilibrent. qui est du prolétariat, c'est encore une fois le rôle et le but de la classe ouvrière
Par contre, nous connaissons une situation tout à fait opposée Olt les contrastes de qui détermineront le rôle et le but de l'Etat prolétarien. La bourgeoisie pourra
classe mûrissent continuellement des antagonismes toujours plus âpres. avoir une série d'orientations politiques contradictoires, par exemple l'Etat fas-
ciste et celui dit .démocratique. Mais, en définitive, pour déterminer si certains
Pour la compréhension de la situation actuelle, et nous réservant de traiter pays sont capitalistes ou non, nous n'examinerons· pas si la nature de la politique
dans les chapitres ultérieurs les problèmes relatifs. aux différentes-formes étatiques qu'ils appliquent .est capitaliste: il nous suffira d'établir si ces Etats se fondent
existantes, nous considérerons que la formule « l'Etat est l'organe d'une classe » sur le principe de la propriété privée pour reconnaître qu'effectivement ils sont
n'est pas, d'un point de vue formel, une réponse en soi aux phénomènes qui se dé- capitalistes; et cela malgré les contradictions au point de vue de l'espace (SÎl;nul-
terminent, la pierre philosophale qui doit être recherchée au travers des faits, mais tanéité d'un Etat démocratique et fasciste - pat· exemple: la France et l'Italie)
qu'elle signifie qu'entre la classe et l'Etat se déterminent des. rapports qui dépen- et dans le temps (rupture des progràmmes rattachés aux formulations démocrati-
dent de la fonction d'une classe .donnée. En particulier, pour ce qui est du proléta- ,·
riat qui ne fonde pas son Etat dans le but s'assujettir dautres classes le problème ques du siècle passé).
Pareillement le rôle et le but du prolétariat, c'est-à-dire la révolution mon-
réside dans la détermination des positions politiques sur lesquelles devra être fondé diale, conditionnent aussi le programme, le rôle et le but de l;Etat prolétarien. lei
l'Etat prolétarien par rapport à la Révolution mondiale.
le critère de la politique menée par l'Etat n'est plus un élément indifférent pour
Ainsi que nous l'avons déjà expliqué, chaque période historique est caractéri- déterminer son rôle (comme c'est le cas pour la bou·rgeoisie et pour toutes les clas-
sée par la classe qui se trouve au pouvoir. Etant donné que la fonction de l'Etat ses précédentes), mais un élément d'ordre capital dont va dépendre le rôle de
découle du rôle de la classe et, qu'en général, pour toutes les classes qui ont pré- l'Etat prolétarien et, en définitive, sa fonction d'appui à la Révolution mondiale.
cédé le prolétariat, leur rôle consista toujours à asseoir leur domination économi- Tenant compte que l'Etat n'est, en ~éfinitive, que l'instrument de la classe,

l
238 ·239
que le prolétariat ne peut rtaliser sa mission que sur la base de son triomphe à
l'échelle internationale, nous comprendrons mieux que la nature de classe de l'Etat
prolétarien ne garantit nullement le rôle prolétarien de cet Etat. Il laut considérer
qu'en définitive l'Etat ne reste qu'un des instruments de la lutte du prolétariat,
Le Communisme
bien qu'il en soit un des instruments des plus imporcants. D'autres instruments de
la lutte prolétarienne offrent l'apparente contradiction entre leur nature de classe
et la Question nationale
et la politique qu'ils appliquent. Ainsi en est-il, abstraction faite du parti dont au
point de vue concret matériel, il est difficile d'indiquer les bases de classe, des syn- Les discussions au sein du prolétariat révolutionnaire et communiste gravitcnt
dicats fondés sur des principes de classe et gardant cetï:e nature, bien qu'ils appli- .souvent autour de la question des « principes »; d'un prétendu dualisme entre ces
quent, sous la direction réformiste, une politique opposée aux intérêts du proléta- derniers et l'action: en un mot, entre la théorie et la pratique. Il n'est pas facile
riat et à la révolution. Ce qui arriva avant la guerre, et ce qui se répète actuelle- de s'entendre avec clarté sur-ce problème. Cependant, si l'entente ne se réalise
ment pour les syndicats, s'est vérifié pour l'Etat Soviétique. Le syndicat, malgré pas ace sujet, toute critique et polémique deviennent confusion stérile.
sa nature prolétarienne, avait devant lui une politique de classe qui l'aurait mis L'opportunisme ancien et nouveau, en déplaçant la portée de la thèse mar-
en opposition constante et progressive avec l'Etat capitaliste et une politique marxiste qui condamne et balaye toutes les idées innées et éterneJJes (qu'on pré-
d'appels aux ouvriers afin qu'ils attendent I'amélioration de leur sort de la con- tend mettre à la base de la conduite humaine), parlent souvent d'une politique
quête graduelle (réformes) de « points d'appui » au sein de l'Etat capitaliste. Le dépourvue de princijies fixes. Le révisionnisme classique de Bernstein, qui se su-
passage ouvert des syndicats, en 1914, de l'autre côté de la barricade, prouva que perposait habilement au mouvement prolétarien, tout en simulant laisser debout
la politique réformiste conduisait justement à l'opposé du but qu'elle affichait : la doctrine révolutionnaire de Marx, proclamait : « le mouvement est tout, le but
c'était l'Etat qui gagnait progressivement les· syndicats jusqu'à en faire des instru- n'est rien ». Nous verrons immédiatement ce que signifie le « but n'est rien », et
ments pour le déclencheme,nt de la guerre impérialiste. Il en est de même pour qu'il puisse être possible de se passer des « principes » ; nous verrons aussi pour-
l'Etat ouvrier, face au système capitaliste mondial. Encore une fois, deux chemins: quoi les principes, pour le communisme marxiste, ne sont que des « fins », c'est-à-
celui d'une politique réalisant sur son territoire, et à l'extérieur, en fonction de dire des points d'arrivée dans I'action. Et que l'on ne considère pas comme para-
doxale l'opposition entre « principes » et « fins ». Une fois enlevée la vision d'une
l'Internationale Communiste, des positions toujours plus avancées dans la lutte
vaste finalité, et que la doctrine du mouvement est reléguée dans un grenier, le
dirigée vers l'écrasement du capitalisme international ou bien la politique opposée,
réformisme opportuniste parle chaque fois et uniquement de problèmes actuels à
consistant à appeler le prolétariat russe, et de tous les pays, à appuyer la pénétra-
résoudre, par des procédés empiriques, en vue de l'avenir immédiat.
tion progressive de l'Etat russe au sein du système capitaliste mondial, ce qui amè-
Mais, si on supprime toute règle et guide permanents, quel sera donc le cri-
nera inévitablement l'Etat ouvrier à joindre son sort à celui du capitalisme, lors de
tère qui conseillera le choix du moyen d'action 1 Voilà ce que l'on pouvait deman-
l'aboutissant des situations: la guerre impérialiste.
der hier, comme aujourd'hui, à ces formes de falsifications qui n'ont pas fini de se
Dans Je chapitre dédié à la classe, nous avons mis en lumière le caractère mon-
.rénover et de se représenter devant nous 1 Quel sera le « sujet » dans l'intérêt
dial de la classe. Cela nous permet ainsi de comprendre comment il est possible
que l'Etat russe, tout en exerçant sa domination sur un territoire où, suivant le duquel devra être menée l'action 1 Et l'opportunisme (qui fut et est un plat « ou-
« Manifeste Communiste », est réalisée « la formule unique, pouvant résumer la
vriél'Ï'ste-·» substitué à la pratique et à la doctrine de la révolution prolétarienne)
théorie communiste : abolition de la propriété privée », que cet Etat puisse exer- répondait qu'il fallait inspirer l'action prolétarienne en se plaçant sur la base des
cer un rôle contre-révolutionnaire, pour ce qui est des intérêts du prolétariat russe intérêts ouvriers, signifiant chaque fois par là les intérêts de groupes particuliers
et du prolétariat mondial. Dans la situation actuelle, il est évident que la · classe et de catégories de travailleurs, au point de vue de la satisfaction la plus facile, la
qui domine au point de vue mondial est le capitalisme. L'Etat ouvrier, s'il avait plus prochaine et dans le plus bref délai. Ainsi, les solutions des problèmes d'ac-
appliqué la politique qui découlait du programme dOctobre 1917, aurait déterminé tion ne résultaient plus de l'ensemble du mouvement prolétarien et de son chemin
dans les moindres fibres de la vie des sociétés capitalistes, arriérées et coloniales·, historique, mais chaque lois du terrain borné à de petites portions de la classe
une opposition entre deux types de sociétés, entre deux mondes. Et cela aurait ouvrière et aux étapes les plus réduites de son chemin. En agissant ainsi, le révi- _
abouti à l'éclosion d'une guerre de classe mondiale pouvant s'appuyer sur l'Etat sionnisme pouvait se .délivrer de toute discipline aux principes et, même sous ses
ouvrier. La politique contre-révolutionnaire sanctionnée en 1927, après l'exclusion formes plus ou moins accentuées, n'en proclamer pas moins sa fidélité à l'esprit
des gauches marxistes, ne pouvait que déterminer cette autre issue: dans toutes véritable du marxisme, consistant dans le plus ample galvaudage de doctrine et
les sociétés capitalistes, aussi bien que dans la société soviétique elle-même, les éclectisme de mouvement.
oppositions de classe aboutirent à l'écrasement du prolétariat international l'évo- La lutte contre ces déviations revêt et revêtira, au travers des expériences
lution du monde capitaliste vers la guerre, entraînant. à sa suite, l'Etat ~uvrier complexes des travaileurs, des aspects très importants dans le développement du
arrivant an dernier échelon de sa politique: la trahison. - mouvement prolétarien; car si cette façon de présenter et de résoudre les questions
a été critiquée maintes fois; elle trouvera toujours des formes plus insinuantes
pour abreuver l'action du prolétariat. Nous n'exposerons pas ici sa réfutation en
général, mais seulement celle d'un problème particulier: ce qui rendra aussi notre
position plus intelligible.
ERRATA: Dans le chapitre « La classe et, sa signification» lire à la page 205, Plusieurs fois, de notre part, c'est-à-dire de la gauche marxiste, a été dévoilé
2e paragraphe, 5e ligne: « polarisation au lieu de prolétarisation ». - Lire p. 207, le truc vulgaire de l'opportunisme: sa prétendue aversion des principes, des
19e ligne: « surtravail » au lieu de << surprofit ». « dogmes », comme on disait bêtement, se réduisant simplement à une observance
obstinée et aveugle de « 'principes » propres à l'idéologie bourgeoise et contre-
révolutionnaire. Les praticiens, les positifs, les blasés du mouvement prolétarien,
se révèlent au moment suprême comme les plus bigots fauteurs d'idées bourgeoi-
ses, auxquelles ils prétendaient subordonner le mouvement prolétarien et tous les
fotérêts des travailleurs.
240· 241
La critique théorique qui met en relief ce fait caractéristique procède pa.rallè- juridique. Sa dé molition théorique s'accompagne, dans la conception communiste,
dement au démasquement politique de l'opportunisme socialiste, en tant que forme d'un programme politique du prolétariat qui liquide toute illusion sur la possibi-
d'action bourgeoise, et des chefs en tant qu'agents du capitalisme dans les rangs lité d'appliquer des moyens libéraux et libertaires pour sa fin révolutionnaire: la.
du prolétariat. Au commencement de la guerre mondiale, la faillite bruyante de suppression de la division de la société en classe. Le prétendu droit égal de tous
l'internationale opportuniste se défendit (théoriquement) par des arguments qui, les citoyens dans ,l'Etat bourgeois n'est que la traduction du principe économique-
au point de vue de la théorie comme à celui de la propagande socialistes, sem- « de la libre concurrence \) et de la parité sur le marché des vendeurs et des ache-
blaient être des surprises, des révélations inattendues, des « découvertes » sensa- teurs de marchandises. Ce nivellement signifie, en réalité, la consolidation _des
tionnelles. Ceux qui avaient contesté au socialisme de posséder des principes doc- positions les plus opportunes afin que l'exploitation et l'oppression capitalistes.
trinaux et programmatiques, affirmaient soudainement que le socialisme ne gar-. s'instaurent et se conservent. En rapport direct avec cette critique fondamentale
dait même pas l'originalité d'être ce mouvement sans principes, mais qu'il fallait. pour la pensée socialiste, S_!ê trouve la démonstration que l'invocation du degré de
le subordonner, lui faire donner son adhésion inconditionnelle à certaines thèses qui _ plus ou moins de « liberté démocratique » atteint par les pays en guerre comme
avaient jusqu'ici été considérées É.trangères à la pensée socialiste et méritant une· • guide de la politique prolétarienne et socialiste en face de la guerre, signifie tout.
démolition polémique définitive. Le socialieme se réduisait à une « sous-école » du. simplement s'en rapporter à des critères bourgeois et autiprolétarieus ! Nous nin-
mouvement de la gauche bourgeoise, s'affiliait à l'idéologie de la dite démocratie, sisterons donc pas sur le premier des trois principes énoncés plus haut. Les deux.
présentée brusquement non comme le marxisme la considère ,dans ses affirmations. autres principes sont en fonction du même travestissement théorique: parler de
les plus élémentaires, c'est-à-dire comme la doctrine politique appropriée aux inté- guerre juste et injuste, suivant qu'elle soit d'agression ou de défense ou qu'elle ait,
rêts des classes bourgeoises, mais comme quelque chose de progressif par rapport l'objectif de donner aux populations le gouvernement que l'on affirme voir désirer-
à la politique dominante du capitalisme. Les traitres de l'Internationale « décou- par elles en majorités, présuppose une croyance en un principe de démocratie ins-
vrirent » alors des principes qu'ils nous jetèrent dans les jambes et avec lesquels tauré dans les relations entre les Etats ainsi qu'entre les individus.
ils prétendirent préjuger inéluctablement l'action du prolétariat. Ils affirmaient; Ces principes sont ceux que la bourgeoisie brandit clans le but précis de créer;
qu'il fallait inexorablement sacrifier tous les intérêts, même immédiats et de grou- au sein des masses populaires, une idéologie favorable à sa domination et dont elle
pes particuliers que jadis ils prétendirent défendre. Trois de çes principes furent. préfère ne pas avouer les déterminants impitoyablement égoïstes. Alors que, pour-
surtout agités: le principe de la liberté démocratique, celui de la guerre défensive, la vie intérieure de l'Etat capitaliste moderne, la démocratie élective correspond,
celui des nationalités. en fait, à. un système de sanctions juridiques et à des normes constitutionnelles.
Les opportunistes avaient, jusqu'alors, trompeusement simulé une orthodoxie sans constituer - à notre point de vue - aucune garantie effective pour le prolé-
théorique, parlant toujours aux masses de lutte de classes, de socialisation des. tariat qui, dans les moments décisifs de la lutte de classes, trouvera contre lui la.
. moyens de production, d'abolitiDn de l'exploitation du travail. La « découverte »· machine armée de l'Etat), il n'existe pas dans les rapports internationaux des.
soudaine de nouveaux· principes devaient servir à surprendre le prolétariat, à bou- sanctions et des conventions qui répondent à une application formelle des princi-
leverser sa conscience de classe et l'idéologie révolutionnaire, sabotant la possibi- pes qui dérivent de la théorie démocratique.
lité de sa mobilisation idéologique clans un sens de classe, ainsi que, parallèle- Pour le régime capitaliste, l'instauration de la démocratie clans l'Etat fut une
ment, à couvrir le passage évident des cadres dirigeants des grandes organisations. nécessité inhérente à son développement; il n'en est pas de même pour toutes les.
ouvrières dans une alliance avec la bourgeoisie, enlevant d'un coup toute plate- formules déduites de la théorie démocratique au sujet des rapports internationaux,
forme de réajustement et de liaison pour une action socialiste de la classe ouvrière, formules qui sont brandies par les idéologues fauteurs de la paix universelle basée
mondiale. sur l'arbitrage, de la réglementation des frontières suivant les uationalités, etc ...
On enseigna alors (et bien peu de militants surent, bien moins encore purent, Apparemment, c'est là un argument qui se prête au jeu des opportunistes qui
exprimer leur indignation et leur protestation) que le prolétariat socialiste devait. présentent les groupes capitalistes comme adversaires de ces revendications poli-
se passer de principes, tant qu'il s'agissait des principes de la doctrine des classes, tiques ; alors qu'en réalité ces défenseurs de théories purement bourgeoises veu-
mais devait, par contre, s'incliner devant eux comme devant choses sacrées, lors- lent les accréditer parmi le prolétariat. Mais ·l'argument se retourne plusieurs fois.
qu'il s'agissait des principes de lidéologie bourgeoise, des idées fondamentales. contre les opportunistes.
que les classes dominantes transforment en une religion· pour jmt-ifier Jeurs. En effet, il est absurde de croire que l'Etat bourgeois modifie sa position in-
intérêts. ternationale du seul fait que le prolétariat socialiste en cessant, au nom de
La trahison au contenu de la critique marxiste ne pouvait ne pas être plus. « l'Union Sacrée », son opposition et en brisant son indépendance, lui laisse les
cynique. mains bien plus libres pour agir suivant l'intérêt de sa conservation. En. second
Pour donner une idée du procédé employé dans cette superposition effrontée lieu, le jeu criminel des social-traîtres se démontre encore plus impudent: ils ont
d'éléments étrangers et opposés aux plus simples formulations de la doctrine so- opposé aux prétendus « utopismes » des programmes révolutionnaires la nécessité
cialiste, nous citerons un seul exemple. Nous avons natu~ment invoqué le pas- de se poser des buts immédiats, d'adhérer aux possibilités réelles .. Et voilà qu'on
sage très connu "du «Manifeste Communiste » suivant lequel le prolétariat n'a pas fait entrer en ligne de compte, à l'improviste, et pour y subordonner l'orientation
de patrie et peut se considérer constitué en Nation, - dans un sens bien différent du mouvement prolétarien, des buts qui, non seulement u'ont aucune nature de
d'ailleurs de celui de la bourgeoisie - seulement quand il a conquis le pouvoir classe et de socialisme, mais qui se démontrent, au surplus, tout à fait irréels .et
politique. Et bien, un des propagandistes-les plus connus du parti socialiste italien, illusoires. Ils accréditent des idées. que la bourgeoisie ne réalisera [amais, mais
le « technicien » de la propagande du vieux parti, Paolini, répondit à cette argu- auxquelles elle a intérêt de voir les masses donner leur confiance. Donc, la politi-
mentation en affirmant ceci : la condition pour conquérir le pouvoir politique con- que des opportunistes ne permet pas de faire avancer, soit même à « petits pas»,
sistait dans la conquête du ... suffrage démocratique; et là, où le prolétariat jouis- l'évolution effective et pratique des situations, mais se révèle comme la mobilisa-
ait du droit électoral, il avait en même temps une patrie et des devoirs nationaux, tion idéologique des masses, dans un intérêt bourgeois et contre-révolutiorman-e.
Cette thèse, qui n'a pas besoin- de commentaires, démontre que cëux à qui on con- Et rien de plus! . ,
fiait, au sein de la Ile Internationale, la propagande du marxisme, étaient incroya- .Pour ce qui concerne le principe des nationalités, il n'est pas di.ffieile de prou-
blement bêtes ou incroyablement effrontés. ver qu'il n'a jamais été autre chose qu'une phrase pour l'agitation des masses, et
Nous ne prenons pas au sérieux la philosophie bourgeoise et son égalita-rj.sl!].e dans la meileure des hypotlhèses, une illusion de certaines couches inteflectuellea


petites-bourgeoises. Si pour le développement du capitalisme, le déYeloppcrnent
des grandes unités étatiques fut une nécessité, il est tout aussi vra i qu'aucune sur la base des situations contingentes et exempt de préoccupations de fins et de
d'entre elles ne se constitua sur la base du fameux principe national, qu'il est principes généraux. De cela, ils arrivaient à des conclusions purement bourgeoi-
d'ailleur s très difficile à définir concrètement. Un écrivain, qui ne peut certaine- ses, d'autant plus que, d:111s l'appréciation des situations, ils ne s'en tenaient nulle-
ment pas être taxé de révolutionnaire, Vilfredo Pareto, dans un article paru en ment à des critères marxistes, mettant en relief le jeu des facteurs économiques
1918, a fait la critique du « supposé principe des nationalités »~ Il a montré 1 'im- et sociaux et des contrastes surgissant des intérêts de classe. L'on pourrait arfir-,
possibilité qu'il y a de trouver une définition satisfaisante ainsi que l'insuf- mer, à ce propos, que la juste ligne communiste consiste à assurer, dans l'analyse
fisance flagrante des nombreux critères qui paraissent servir à pouvoir le caracté- des situations, une stricte fidélité à la méthode marxiste de la critique des faits,
riser ( ethnique, linguisn.que, religieux, historique, etc ... ). En définitive, tous· se et, par là, arriver librement aux conclusions sans avoir besoin de les délimiter par·
contredisent entre eux ou dans leurs résultats. Pareto fait aussi l' évidente obser- des idées préconçues, Mais, à notre avis, une telle réponse garde en elle-même
vation, que nous avons d'ailleurs énoncée dans les polémiques de l'époque de la tous les. dangers de l'opportunisme acause de son excessive indétermination !
_gue>n'=', que pour indiquer la solution des problèmes nationaux, ce ne sont certai- -D'~tre part, l'on pourrait nous objecter qu'il est nécessaire d'a;outer à un exa-
nen.ent pas les plébiscites qui représentent un moyen certain, parce qu'on établit men marxiste et de classe des contingences données l'application de princi-
préventivement les limites du territoire où I' on appliquera la votation majoritaire pes et de formules générales obtenus par un renversement presque mécanic_ue des
et la nature des pouvoirs qui organiseront le contrôle. On en arrive clone ainsi à formules bourgeoises; nous admettons volontiers qu'on pêche en cela par un sim-
un cercle vicieux. plicisme grossier et par un radicalisme erroné. Certaines formules simples sont
Il n'est pas nécessaire de reporter ici tout le contenu des polémiques d'il .r a indispensables pour l'agitation et la propagande de notre parti. Et elles contien-
neuf ans. Il nous fut facile, à cette époque, à nous internationalistes, de prouver nent, en tout cas, des dangers moindres que l'excessive élasticité. Mais ces for-
comment les fameux principes invoqués par les social-patriotes se prêtaient à des mules doivent être des points d'arrivée, des résultats et non des points de départ
.applications tout à fait contradictoires. Tout Etat peut, en cas de guerre, invoquer dans l'examen des questions, dont parfois le parti doit aborder la critique et la
une situation de défensive: I'ugresseur peut être celui dont le territoire sera 'délimitation dans ses organes suprêmes afin de donner, en des termes clairs et
« foulé par l'invasion étrangère »; ·en tout cas, une attitude révolutionnaire du mou- explicites. des conclusions aux dispositions de la masse des militants. Ainsi, pour
vement socialiste arrivera à des conclusions analogues, soit qu'il s'agisse d'offen- ne prendre qu'un exemple, l'on pourrait appliquer cette pensée à la formule
sive ou de défensive militaire; cela parce qu'il suHit et parce que les Etats capi- « contre toutes les guerres » qui, en une période historique donnée, sépare très
talistes en guerre sont capables de transformer la première en la seconde. Quant bien les véri tables révolutionnaires des opportunistes subtilisant sur la distinction
aux questions nationales et séparatistes, elles sont si nombreuses et si complexes entre guerre et guerre, et arrivant à la justification de la politique de chaque
qu'on peut les employer à justifier des formations d'alliances toutes autres que bourgeoisie. Mais cette formule: « contre toutes les guerres », est certainement
.insuffisante comme énonciation de doctrine, ne fut-ce que parce-qu'elle pourrait,
celles qui se sont déterminées lors de la guerre mondiale.
par son radicalisme formel qui renverse grossièrement l'attitude opportuniste,
Les trois fameux principes énumérés se contredisaient donc singulièrement nous conduire à une idéologie bourgeoise autre: au pacifisme du style tolstoyen.
dans leur application. Nous demandions alors aux social-patriotes s'ils admettaient On tomberait ainsi en contradiction avec notre postulat fondamental de l'emploi
qu'un peuple plus démocratique ait le droit d'attaquer et de s'assujettir un peuple de la violence armée.
moins démocratique, si, pour la libération des régions annexées par d'autres pays, Le chemin marxiste, qui se montre adéquat pour la réponse à ces problèmes,
on pouvait admettre l'agression militaire, et ainsi de suite. Et ces contradictions n'est ni l'un ni l'autre. Il mérite d'être bien mieux précisé par le parti du proléta-
logiques se traduisaient dans la possibilité de justifier - une fois ces thèses falla- riat révolutionnaire, bien qu'il en existe déjà des exemples très brillants, comme
-eieuses adoptées - l'adhésion socialiste à toute guerre: ce qui arriva en fait. Et I'admirabls édifice de la critique marxiste-léniniste aux doctrines démocratiques
la tactique de la social-trahison qui s'appuie sur les mêmes arguments dans tous bourgeoises et dans la définition de notre programme à l'égard de l'Etat.
Ies pays, parvint, au travers des conditions, les plus disparates, à entraîner les
uns contre les autres les travaiUeurs des deux côtés du front de guerre. Pour indiquer brièvement la solution qui nous paraît la meilleure, nous dirons
Il nous fut également facile de prévoir que les gouvernement bourgeois vain- que la thèse suivant laquelle la politique marxiste se contente d'un simple examen
-queurs quels qu'ils furent, ne se seraient jamais préoccupés d'appliquer, après la des situations successives (par une méthode bien entendu déterminée), et sans
guerr< les r-ritères où, suivant les social-nationaux, se trouvaient contenus, non exiger d'autres éléments, est à repousser. Quand nous aurons étudié les facteurs
·seulement Je motif de l'adhésion du prolétariat à la guerre, mais aussi la garantie de caractère économique et le développement des contrastes de classé qui se prè-
-que la guerre aurait abouti aux fins présentées aux travailleurs trompés par leurs sentent dans l'appréciation de tels problèmes, nous aurons fait quelque chose
d'indispensable, mais nous n'aurons pas encore tenu compte de tous les éléments.
chefs indignes. Il y aura certainement d'autres critères dont il faut tenir compte, qui peuvent
Il n'y a donc pas d'arguments nouveaux quant. à la_c.ri.tique des déviations
s'appeler « principes » révolutionnaires, à la condition que ces principes ne con-
.social-nationalistes et quant à leur réfutation ; mais moins facile se présente et se
sistent pas dans des idées immanentes et données à priori, fixées une fois pour
présentait surtout au moment de la fondation de la IIIe Internationale, la solu-
toutes dans des tables « trouvées» quelque part et à jamais incrustées, Si l'on
tion positive à apporter à la question nationale au point de vue communiste. Le
veut, on peut renoncer au mot principe pour parler de postulats programmatiques:
problème ne peut être considéré liquidé par les thèses du lle Congrès (1920),
on peut toujours mieux préciser, on doit le faire, en tenant présentes les nécessités
d'autant plus que même le Ve Congrès prochain devra s'en occuper.
linguistiques d'un mouvement international: notre terminologie ..
Il est clair que l'I. C. ne va pas, pour la solution des problèmes liés à son atti-
A tous ces critères, l'on arrive par une considération où réside toute la force
tude politique et tactique, emprunter des théories et des formules bourgeoises et
révolutionnaire du marxiste. Nous ne pouvons ni ne devons résoudre les ·problèmes
--petites-bourgeüises. L'Internationale Communiste a restauré les valeurs de la
doctrine et de la méthode marxiste, en inspirant son programme et,,a tactique. de par exemple, des dockers anglais ou des travailleurs de la Finlande, par les seuls
éléments tirés de l'étude, par une méthode de déterminisme, par des considérations
-eette dernière. d'espace et de temps qui se posent d'une iaçon immédiate à la solution du pro-
Srur de telles bases, quel est donc le chemin pour arriver à la solution de pro-
blèmes . comme celui national par exemple 7 Nous voulons l'indiquer dans ces lignes blème. Il y a un intérêt supérieur qui guide notre mouvement révolutionnaire où
très élémentaires. Les révisionnistes parlaient d'un examen conduit chaque fois les intérêts partiels ne peuvent pas contraster si l'on considère tout le développe-
ment historique. Mais l'indication de cet intérêt général ne surgit pas immédiate-

t
,(
244 245
ment des problèmes particuliers concernant certains groupes du prolétariat et Cet ensemble de faits doit être examiné en tenant compte du bilan général de
certains moments des situations. Cet intérêt général est, en un mot, l'intérêt. de la lutte révolutionnaire. Un fait fondamental est celui que le prolétariat mondial
la révolution prolétarienne. C'est-à-dire l'intérêt du prolétariat considéré comme possède désormais, en- plus de son armée, les partis communistes de tous les pays,
classe mondiale douée d'une unité et de tâches historiques, tendant à un objectif une citadelle dans l'Etat ouvrier: la Russie. Le •capitalisme a, lui, ses fortifications
révolutionnaire: au renversement de l'ordre bourgeois. Nous pouvons et devons dans les grands Etats et surtout dans ceux vainqueurs de la guerre mondiale dont
résoudre les problèmes particuliers en fonction de cette finalité suprême. un petit groupe contrôle la politique internationale. Ces Etats luttent contre les
La manière de coordonner les solutions particulières avec cette finalité géné- conséquences du déséquilibre général déterminé dans l'économie bourgeoise par la
rale se concrétise par des fondements acquis par le parti et qui se présentent .grande guerre impérialiste et contre les forces révolutionnaires qui s'assignent
comme les pivots de son programme et de ses moyens tactiques. Ces fondements comme but d'abattre leur pouvoir.
ne sont pas des dogmes immuables et révélés mais sont, à leur tour, la conclusion Une des ressources oontre-révolutitmnaires des plus importantes et dont dis-
d'un examen général et systématique de la situation de toute la société humaine, posent les grands Etats bourgeois dans leur lutte contre le déséquilibre général de
dans la période historique actuelle, où il faudra tenir compte de toutes les données la production capitaliste, est leûr influence sur deux groupes de pays: d'un côté,
qui tombent sous notre expérience. Nous ne nions pas que cet examen soit en Jeurs colonies doutre-mer; d'un autre côté, les petits pays à race blanche d'écono-
progression continuelle et que les conclusions acquises se réélaborent à nouveau, mie arriérée. La grande guerre, présentée comme le mouvement historique abou-
mais il est certain que nous ne pourrions exister en tant que parti mondial au cas titfant à l' émancipation des petits peuples et à la libération des minorités natio-
où l'expérience historique que le prolétariat possède déjà, ne permettrait à notre nales, a bruyamment démenti cette idéologie à laquelle les socialistes de la He In-
critique de construire un programme et un ensemble de règles de conduite poli- ternationale crurent ou feignirent croire. Les nouveaux Etats surgis en Europe
tique. Nous n'existerions pas sans cela, ni comme parti, ni le prolétariat comme centrale ne sont que des vassaux de la France et de l'Angleterre, alors que les
classe historique, possédant une conscience doctrinale et une organisation de lutte. Etats-Unis et le Japon consolident touours plus leur hégémonie sur les pays moins
puissants de leur continent respectif.
Là où se présentent des lacunes dans nos positions de tactique et où l'on pré- Il ne peut y avoir de doute à ce sujet: la résistance à la révolution proléta-
voit des révisions partielles pour l'avenir, il serait erroné de les combler par une rienne est concentrée clans le pouvoir de quelques grands Etats capitalistes: une
renonciation à la mise en avant de fondements ou de principes qui apparaissent fois ces derniers abattus, tout le reste s' écroulerait devant le prolétariat vain-
certainement comme une « limitation l> d'actions pouvant être suggerees queur. Si, dans les colonies et les pays arriérés, il y a des mouvements sociaux et
par les situations snccessives dans les différents pays. Une erreur infiniment politiques dirigés contre les grands Etats et dans lesquels sont englobés des cou-
moindre résiderait dans l'élaboration, même imparfaite, de formulations positives ches bourgeoises, des partis bourgeois et semi-bourgeois, il est certain que le suc-
parce que la clarté et la précision en même temps que le maximum possible de ces de ces mouvements, au point de vue du développement de la situation mon-
continuité de telles formulations d'agitation et d'action, sont une condition indis- diale, est un facteur révolutionnaire, et cela parce qu'il contribue à la chute des
pensable au renforcement du mouvement révolutionnaire. A cette affirmation, qui principales forteresses du capitalisme. Si donc survivait quand même à l'écrase-
pourrait paraître risquée, nous ajouterons, sans vouloir insister sur cette impor- ment des grands Etats, un pouvoir bourgeois dans les petits pays, ce dernier serait
tante question qui paraîtra excessivement abstraite pour d'aucuns, que les don- emporté par la puissance du prolétariat des pays plus avancés, même si localement
nées que l'histoire de la lutte de classes nous fournit jusqu'à la guerre et la révo-
le mouvement prolétarien et communiste paraît faible et seulement à ses débuts.
lution russe, permettent au parti communiste mondial de remplir toutes les lacunes
Un développement parallèle et simultané de la force prolétarienne et des rap-
par des solutions satisfaisantes: ce qui ne veut évidemment pas dire que nou
ports de classes et de partis dans chaque pays, n'est pas du tout un critère révo-
n'aurons rien à apprendre de I'avenir et de la continuelle contre-épreuve de nos
lutionnaire. 11 se rapporte plutôt à la conception opportuniste sur la prétendue
positionn dans leur application politique. Se refuser à « codifier » sans hésitation
simultanéité de la révolution au nom de laquelle on niait, à l'époque de la révolu-
le programme et les règles de tactique et d'organisation de I'Lnternationals ne
pourrait avoir, aujourd'hui, d'autre sens que celui d'un danger opportuniste, tion russe, jusqu'à son caractère prolétarien. Les communistes ne croient pas du
parce que notre action courrait le risque d'aller demain se réfugier dans des prin- tout que le développement de la lutte dans tous les pays doive suivre le même che-
cipes et des règles bourgeois, complètement erronés et ruineux pour la « liberté l> min. Ils se rendent compte des différences qui se présentent dans la considération
-de notre action. des problèmes nationaux et coloniaux, mais ils coordonnent leur solution à l'unique
Nous concluerons ainsi: les éléments d'une solution marxiste des problèmes intérêt du mouvement de destruction du capitalisme mondial.
-de notre mouvement sont l'ensemble des positions comprises dans notre vision La thèse politique de I'Tnteruaaionale Communiste, pour permettre au prolé-
générale du processus historique, positions orientées vers la réalisation du succès tariat communiste mondial et à son premier Etat de guider le mouvement de ré-
bellion des colonies et des petits peuples. contre les métropoles du capitalisme,
révolutionnaire final et général: étude marxiste des faits qui-tombent sous notre
apparaît donc comme le résultat d'un vaste examen de la situation et d'une mise
examen. Cet ensemble de positions dérive dialectiquement d'un examen des faits
en valeur du processus révolutionnaire, bien conforme à notre programme mar-
mais de l'examen de tous les faits historiques et sociaux qui nous sont accessibles'.
xiste, Elle se situe bien eu dehors de la thèse opportuniste et bourgeoise, suivant
Pour le .parti révolutionnaire, cet ensembl.e re:7êt non pas un caractère dogmati-
laquelle les problèmes nauonaux doivent être résolus préjudiciellement avant que
que, mais un. degré éle".é de permane~ce historique, degré qui nous sépare de tous
l'on puisse parler de lutte de classes et où, par cons{quent, le principe national
les opportumstes et qm, autrement dit, est également représenté par notre cohé-
rence doctrinale ét de tactique, que l'on peut même qualifier de monotone mais sert à justifier la collaboration de classes, cela dans les pays arriérés aussi bien
qui sert à nous distinguer des traîtres et des rénégats à la cause révolutionnaire. que dans ces pays avancés du capitalisme, une fois admis le concept du maintien
ou du recouvrement de l'intégrité de la liberté nationale. La méthode communiste
*** ne dit pas banalement: les communistes doivent agir en sens opposé, partout et
Nous parlerons maintenant. de. la question nationale, surtout à titre d'exemple toniouzs, au courant national: ce qui ne signifierait rien et serait la négation
<i.e la méth?de '.lue nous avons indiquée, L'examen de cette question et la descrip- métaphysique du critère bourgeois. La méthode communiste s'oppose à ce dernier }
tion des faits ~u elle se condense, s~m~ contenus dans les thèses du IIe· Congrès qui « dialectiquement », c'est-à-dire u'elle art d'un facteur de classe pour juger et
se rapportent Justement à I'uppréciation de la situation du capitalisme mondial et irésou re e pro ème national. appui aux mouvements co oruaux, par exemp e,
de la phase impérialiste qu'il traverse. a tellement peu la saveur de la collabora.tion de classes, que lorsque nous recom-
~ - -

246 247.
mandons le développement autonome et indépendant dès partis communistes dans action ccutre-révolutionnaire ; alors que le mouvement nationaliste est alimenté
les colonies, afin qu'ils soient prêts-à dépasser les alliés momentanés - par une par les couches petites-bourgeoises mécontentes et tracassées, elles aussi, ÉC0110-
œuvre indépendante de formation idéologique et organisatoire - nous demandons miquement, par la préparation de cette solution capitaliste. Le pl'oblème de la.
~tout « au parti communiste de la métropole » d'appuyer les mouvements de révolution déclanchée /!, Berlin ne peut se voir qu'en sen rapportant - et cela est
rébellion. Et cette tactique a tellement peu une saveur collaborationniste qu'elle réconfortant - à Moscou, mais, d'autre part, à Paris et à Londres également. Les
est qualifiée, par la bourgeoisie, d'antinationale, défaitiste et jugée comme haute forces fondamentales sur lesquelles nous devons compter pour combattre l'entente
trahison. capitaliste entre l'Allemagne et les Alliés, sont non seulement l'Etat Eoviétique,
La thèse 9 (IIe Congrès) dit que, sans de telies conditions, la lutte contre mais aussi, en première ligne, l'alliance du prolétariat allemand avec celui des
l'oppression coloniale et nationale· reste un drapeau trompeur comme pour la pays d'Occident. Ce dernier est un facteur d'autant plus important pour le déve-
Ile Intemationale, et la, thèse 11, paragraphe E, insiste et dit« qu'il est nécessaire loppement révolutionnaire mondial-qu'il serait faux et-très grave de le compro-.
de mener une lutte décidée contre la tentative de couvrir d'un· habit communiste mettre, dans des moments difficiles, pour l'action révolutionnaire en France et en
le mouvement révolutionnaire séparatiste, non réellement communiste, des pays Angleterre, Et cela arriverait en faisant, fut-ce en partie, de la question de la ré-
arriérés ». Ceci suffit pour sanctionner la fidélité de notre interprétation. volution allemande une question de libération nationale, soit même sur un plan qui
La nécessité de détruire l' équilibre des colonies résulte d'un examen stricte- exclut la collaboration avec la grande bourgeoisie, car la disproportion de mâtu-
ment marxiste de la situation du capitalisme, parce que l'exploitation et l'oppres- (rité entre la base d'action du parti communiste allemand et celui de France et
sion des travailleurs de couleur deviennent des moyens d'aigrir l'exploitation du d'Angleterre, déconseille une position erronée, consistant à opposer ~' l'antipa-
prolétariat de la métropole. foi ressort encore la différence radicale entre notre triotisme de la bourgeoisie allemande un programme nationaliste de la révolution
critère et celui des réformistes. Ces derniers essayent de démontrer que les colo- prolétarienne. L'aide de la petite-bourgeoisie allemande, (qu'il faut certainement
nies sont aussi une source de richesses pour les travailleurs de la métropole parce utiliser pat· une autre tactique que celle du « bolchevisme national » et en tenant.
qu'elles offrent un débouché pour les produits. Ils retirent de cela d'autres motifs compte de la situation économique ruineuse des couches moyennesj , serait annulée
pour la collaboration de classes, en soutenant, en bien des cas, que le principe des complètement dans une situation où le capitalisme français et britannique se sen-
nationalités peut être violé dans l'intérêt de la « diffusion de la civilisation » tiraient incérieurernent le? mains libres pour agir au-delà des frontières allemandes;
bourgeoise et pour accélérer l'évolution du capitalisme. Il y a ici un autre essai de ce qui ne peut être seulement évité que par une position internationaliste du pro-
travestissement du marxisme révolutionnaire qui se réduit à accorder au capita- blème révolutionnaire allemand. Le cas échéant, c'est en France que nous devons.
lisme des prorogations toujours plus longues, au moment de sa fin et de l'attaque nous préoccuper le plus de I'att itude des couches petites-bourgeoises que l'aggra-
révolutionnaire, en lui attribuant encore une longue tâche historique que nous vation du nationalisme allemand remettrait, encore une fois, à la merci des forces
lui contestons. bourgeoises locales. Et une chose analogue peut se dire pour l' Angleterre où le
Les communistes utilisent les forces qui envisagent la rupture du patronage labourisme se proclame effrontément nationaliste, maintenant que, pour compte.
des grands Etats sur les pays arriérés et coloniaux, parce quils considèrent pos- et dans l'intérêt de la bourgeoisie britannique, il est au gouvernement.
sible de renverser ces forteresses de la bourgeoisie et de confier au prolétariat Voilà comment, en oubliant les origines de principe des solutions politiques
socialiste des pays plus avancés, la tâche historique de conduire à un rythme accé- communistes, on peut arriver à les appliquer là où manquent les conditions qui les.
léré le processus de modernisation des . pays arriérés, non pas en les exploitant, ont suggérées. .
mais en obtenant l'émancipation des travailleurs locaux contre l'exploitation exté- On doit considérer comme un phénomène qui présente certaines analogies.
rieure et intérieure. avec les entreprises du social-nationalisme, le fait que le camarade Radek, soute-
Voilà, dans ses grandes lignes, la juste position de l'L C., devant le problème nant dans une réunion internationale la tactique qu'il préconise, « découvrit » que-
dont nous nous occupons. Mais il importe de voir clairement le chemin par lequel le sacrifice du nationalisme dans la lutte contre les Français de la Rhur, doit être
on arrive à de telles. conclusions, afin d'éviter que l'on puisse les relier à cette exalté par les communistes, et cela au nom du· principe, nouveau pour nous et
phraséologie surannée de la bourgeoisie, sur la liberté 'nationale et l'égalité natio- vraiment inouï, qu'au-dessus des partis il faut soutenir quiconque se sacrifie pour·
nale, bien dénoncée dans la première des thèses citées. comrno un succédané du son idée!
concept capitaliste sur l'ép;rtlité des citoyens de toutes les classes. Cela parce que Un déplorable rabaissement est celul qui réduit la tâche du grand prolétariat
dans les nouvelles conclµsions (nouvelles en un certain sens) du marxisme révolu- d'Allemagne à une émancipation nationale. Nous attendons de ce prolétariat et de
tionnaire se présente parfois le danger d'exagérations et de déviations. son parti révolutionnaire qu'il parvienne à vaincre non en son nom, mais pour
Pour rester sur le terrain des exemples, nous nions I'admissibilité, sur les sauver l'existence et l'évolution économique de la Russie des Soviets, et pour dé-
bases indiquées, du critère de rapprochement, en Allemagne, entre le mouvement verser contre les forteresses capitalistes d'Occident le torrent de la révolution,
communiste et le mouvement nationalist~. et patriotique.-- mondiale, en éveillant les travailleurs de tous les pays qui, pour un moment, ont.
La pression exercée sur l'Allemagne par les Etats de l'Entente, même sous les été immobilisés par les derniers sursauts de la réaction bourgeoise.
1ormes aiguës et vexatoires qu'elle a prises dernièrement, n'est pas un élément Les déséquilibres nationaux entre les grands Etats avancés sont des facteurs.
capable de nous faire considérer l'Allemagne comme un petit pays de capitalisme que nous devons étudier et examiner très atten'tivement. Mais, à l'opposé des so-
arriéré. L'Allemagne reste un très grand pays formidablement outillé au point de cial-nationaux, nous excluons nettement qu'ils puissent se résoudre par un chemin
vue capitaliste et où le prolétariat, socialement et politiquement, est plus autre que la guerre des classes contre tous les Etats bourgeois. Les survivances
qu'avancé. Il est donc impossible de confondre sa situation avec les conditions patriotiques et nationalistes dans ce domaine sont considérées par nous comme
effectives considérées plus haut. Qu'il nous suffise de cette affirmation pour nous des manifestations réactionnaires qui ne peuvent avoir aucune prise sur les partis
épargner un ample examen de cette grave question, examen qui pourra être fait. révolutionnaires du prolétariat, appelés dans ces pays à un héritage riche de pos-
une autre fois et non sommairement. . sibilités véritablement et nettement communistes, à la tâche très avancée d'avant-
Il ue suffit pas non plus, pour modifier notre appréciation d'affirmer qu'en garde de la révolution mondiale.
Allemagne l'alignement des forces politiques se présente de telle sorte que la 1924. Amedeo BORDlGA
grande bourgeoisie n'a pas une attitude nationaliste accentuée mais tend à se
coaliser aux forces de l'Entente, aux dépens du prolétariat allemand et pour une
248 249
Iabrique de Bradfort et même avant le fameux soulèvement des canuts de Lyon, en
1881, les travailleurs industriels de Russie livraient un nombre considérable de
grèves. Nous indiquons ce fait pour marquer que le mouvement ouvrier russe avait
Une quatrième internationale un long passé de bataille.
Notre but nest pas de faire ici l'histoire de la prise du pouvoir par le parti
ou _une réplique de la Troisième bolchevique en octobre 1917. La méthodologie marxiste n'exige pas seulement une
analyse de la structure des classes, mais elle commande aussi de désigner les re-
(Première suite)
flexes subjectifs tels qu'ils se cristallisent dans la conscience des masses à des
époques déterminées, mais surtout à des moments historiques. Aucun révolution-
LA TROISIEME INTERNATIONAL.E ET L'ETAT SOVIETIQUE n aire ne restreignera l'immense portée de l'ac1:ë immortel d'octobre- 1917. Il fut
grandiose, quoique ceux qui le dirigèrent n'auraient pu l'accomplir dans les cir-
Depuis plus de 35 ans, nous suivons le cours des idées révolutionnaires en constances de l'Europe occidentale. Ce que le parti socialiste révolutionnaire
Russie, tout au moins ce qui en est accessible en fait de littérature économique et abandonna de son programme classique historique: la terre au paysan. la politique
historico-politique en Occident. A la fin de 1904, nous provocârnes des rires chez léniniste le réalisa pour la première fois dans l'histoire de la Russie. ·
quelques menchéviques néerlandais en écrivant une brochure sur « La Révolution L'aide effective donnée aux paysans - et qu'on n'avait. cessé de faire miroiter
en Russ.ie », révolution qui n'avait pas encore YU le jour, mais dont les clameurs à lems yeux depuis 1861 - est la grande stratégie sociale réaliste qui rallia la so-
du mouvement ouvrier (grèves, a-Clion politique et syndicale, etc.) annonçaient la ciété russe à la révolution des bolchéviks. La terre aux paysans: le moujik devenait
venue prochaine. La brochure parut peu de temps après la fameuse journée du propriétaire. La « révolution française » des paysans russes avait fait pencher la
22 janvier 1905. La révolution de 1905 changea l'hilarité des très savants dirigeants balance du côté de la, révolution; les ouvriers industriels, en tant quavaur-garde,
social-démocrates en mépris hautain ; une hirondelle ne faisait pas encore le prin- animés de l'idéal socialiste, accomplirent le grand geste.
temps et cette révolution n'était tout de même qu'une révolution bourgeoise. Et Si on se remémore l'atmosphère d'exaltation révolutionnaire des années de fin
nous, de répondre: « Certes, il se peut que cette révolution ne soit qu'une révolu- de guerre, o.i comprendra l'enthousiasme qui l'accueillit. Jamais les cœurs des révo-
tion bourgeoise pour autant que le libéralisme ait négligé les tâches historiques lutionnaires du monde entier n'avaient été aussi chauds et les sens aussi passionnés.
bourgeoises qui lui étaient dévolues, notamment l'organisation des classes en grou- Les soviets plus la dictature du prolétariat étayés par la destruction de la pro-
pements, mais tout laisse prévoir que le mot que Plekhanov prononça au premier priété pri vée ; les ouvriers industriels dans leurs syndicats et les paysans formaient.
Congrès de la IIe Internationale (Paris 1889) se réalisera; la révolution russe sera dans les soviets, la, structure du pouvoir politique, de la dictature du prolétariat.
prolétarienne ou ne sera pas ». Telle était la théorie !
L'exactitude de cette prévision se réalisa à neuf pour cent. La Révolution de Mais la pratique répondait-elle à la théorie? Marx a bien enseigné que. pen-
mars était déjà prolétarienne, quoiqu'elle se donna pour but un compromis petit- dant la période de transition qui va de la destruction de la société capitaliste à
bourgeois entre l.:!. bourgeoisie acculée à une capitulation et l'idéologie petite-bour- celle de l'érection de la société sans classe, le prolétariat doit, en t aut que classe,
geoise des socialistes révolutionne.ires et des menchéviques. exercer sa dictaturo, afin de préparer et de bâtir l'ordre éconornique et moral de
Nous n'acceptons pas seulement la légitimité sociale et politique de la Révo- la société socialiste. Il n'a pas été donné à Marx de décrire minutieusement les
lution de mars, mais aussi celle d'octobre. La thèse soutenue !1ar Trotsky («His- formes et le caractère de cette politique de dictature. En cela Kautsky eut raison
toire de la Révolution », tome I) selon laquelle la nécessité sociale-psychologique - textuellement, non principiellement - contre Lénine. Trotsky a mis, dans ces
de la révolution prolétarienne devait surgir de l'atmosphère de pétrification et du dernières années, ses brillantes qualités littéraires et ses grandes ressources de
conservatisme vermoulu, est aussi partagée par nous. La vie n'est pas un calcul dialecticien à. rechercher et à dévoiler les éléments néfastes de 12. bureaucratie
mécanique et le matérialisme dialectique de Marx n'enseigne pas que la vie obéit russe. Sans doute, il le fit avec beaucoup de clairvoyance. Après de longues hési-
à des recettes préparées d'avance, même si leurs auteurs s'appellent Karl Kaustky, tations, il affirme que le droit historique à l'existence d'une IVe Internationale
Otto Bauer ou Georges Plekhanov. i:..e schéma mécanique, mort donnant la répar- existe. Il est venu à cette constatation, après avoir YU s'accomplir l'effondrement
tition d'autant du capitaux en autant de mains, autant de membres des partis so- catastrophique du mouvement ouvrier allemand. La création d'une organisation
cialistes ou communistes n'est pas un baromètre juste pour la mesuration du degré internationale dcc travailleurs n'est pas une partie de bridge, qu'on joue quand
de maturité ou de la force du processus révolutionnaire. Bien entendu, nous ne on le veut. Non seulement il faut que se soient formées les conditions historiques,
parlons pas de la révolution en tant qu'acte politique; il va sans dire qu'à une révo- politiques et sociales, ainsi que les éléments psychologiques nécessaires dans les
lution économique et morale certains potentiels économiques, tels un certain degré masses, mais encore faut-il que ces raisons fondamentales soient tellement urgen-
de développement de la technique e.t de la production, ainsi que l~>t-istence d'un tes qu'elles appellent delles-mêrues une nouvelle organisation et un nouveau foyer
vigoureux courant au sein des masses en faveur de l'ordre nouveau, sont nécessai- d'attraction.
res En reconnaissant les lois historiques particulières régissant le devenir social La déclaration de principe des Bolcheviques-Léninistes (1), votée à Paris en
en Russie, on saisit l'énigme des situations psychologiques particulières des masses, août 1933, dit dans son troisième paragraphe: « La IIIe Internationale... tomba
qui ont permis d'y accomplir là-bas une révolution avec si peu, quand on le mesure » victime de sa dépendance servile envers la bureaucratie soviétique qui dégénéra
à l'échelle de l'histoire mondiale. Ce« peu» ce fut: premièrement, les masses pay- » dans l'esprit du nationalisme et du centrisrne n. Un marxiste pose immédiatement
sannes dépourvues de toute propriété, le moujik ravagé de scorbut pour qui la la question : pourquoi et quels sont les facteurs qui la firent dégénérer et en firent
« paix et la terre » était un salut indispensable, et, deuxièmement, les masses des la victime du nationalisme et du centrisme 7 Fût-ce seulement par le comportement
prolécaires industriels chez qui l'esprit de résistance anticapitaliste remontait, non subjectif d'une personne, ou d'un groupe de personnes (Staline et son appareil
à l'époque de l'apparition d'un mouvement théorique développé, mais bien au-delà,
au temps où ces ouvriers n'étaient encore que des serfs livrés par l'Etat aux fabri-
(1) Il s'agit en réalité de la « déclaration commune». votée à la Conférence des partis
cants pour les travaux i ndust i-iels (1). Du temps déjà des grèves des ouvriers de socialistes n'appartenant ni à la IIe ni à la IIIe Internationale. par le Secrétariat International
---- de I'Opposltion Communiste de Gauche, le S.A.P. (Allemagne), le P.S.R. et le O.S.P. (Hol-
( 1) Voir à ce propos Fuçau Barcnovsky dans son « Histoire de la fabrique russe». lande). Note du traducteur.
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bureaucratique) 7 Et après: ces symptômes nationalistes et centristes ne sont-ils. Russie (1). La formation à tout prix de partis de masses était en contradiction fla-
apparus qu'en 1924, après que le conflit Trotsky-Staline fut devenu aigu 7 On est grante avec le plan d'organisation de Lénine avec lequel, si souvent, il avait fustigé
en droit d'attendre qu'un dialecticien matérialiste de la taille d'un Trotsky rejette la social-démocratie ! Les fruits de la lutte contre les « économistes » (les syndica-
une telle mesure subjectiviste des événements. Et ensuite, si cette manière de juger listes, Martynov et autres) et contre Martov - auxquels se joignait parfois Trotsky
se révèle sociologiquement juste, n'est-on pas en droit d'en conclure que les masses - furent réduits en miettes. Les thèses de la « Maladie infantile >> découlaient des
russes ne sont pas encore mûres pour la construction du socialisme, parce que tolé- intérêts étatiques de la Russie d'alors. Bien qu'ils prirent une position politique
rant sans résistance une pareille politique criminelle 7 Quelle différence y aurait-il personnelle non conformiste, Goster et Pannekoek ne sentirent pas les motifs
alors entre la mentalité des masses fascistes italiennes et allemandes et celles de objectifs généraux de cette volte-face; en tout cas ils ne les firent pas valoir.
Russie 7 Le fameux troisième Congrès de la IIIe Internationale connut autant de dra-
peaux et de fanfares que le IIIe Empireën Allemagne. Les jeunes délégués révo-
V. -- TROTSKY DEVANT LE MIROIR DE SON PASSE Iutionaires de l'Occident, manquant parfois d'expérience historique et souvent de
Ce furent les théoriciens du Parti Communiste Ouvrier Allemand (que Trotsky, vue théorique, y vinrent comme vers une Mecque rouge, pour y apporter leur salut
en ce moment en pleine gloire, ridiculisa et insuli:a), ce fut Herman Goster (de et leurs hommages et pour y écouter bouche bée l'oracle Lénine (loin de nous, bien
l' « école hollandaise» - comme Trotsky ajoutait sarcastiquement) - : Goster ne entendu, de prétendre que Lénine recherchait· lui-même cet effet). Il n'était pas
fut pas un styliste aussi brillant que Trotsky, mais, par son cœur sans souillure et question d'analyse-critique des vingt et une conditions, des résolutions kilométri-
par son attachement indéfectible à la cause du socialisme révolutionnaire, il appar- ques, qui, selon les paroles de Lénine lui-même, avaient des dimensions russes et
teuait à la lignée des Rosa Luxembourg, Karl Liebknecht et Lénine. Ce fut lui une valeur russe, mais qui ne pouvaient être ni comprises ni appliquées. Rentrés
qui, dans sa lettre ouverte à Lénine en réponse au, certes pas le plus génial de -ehez eux, ces délégués atteints par le mal russe, ne pouvaient que suivre les publi-
ses ouvrages, « La Maladie infantile du Communisme », mit à nu les symptômes du cations russes, les répéter et les rabâcher, sans pouvoir les vérifier sur leur propre
mal qui devait engendrer l'abcès nationaliste et centriste de maintenant. Nous milieu ou de voir les facteurs historiques propres, autres, qui s'y étaient déve-
nous rappelons une parole de Lénine en 1921 disant: « Nous ne pouvons pas forcer loppés.
» le prolétariat européen à sortir du marasme de son esclavage pour nous aider ... , Les principes communistes essentiels furent ainsi altérés et ridioulisés par les
>> mais nous nous maintiendrons jusqu'à ce que le prolétariat mondial ait accompli
perroquets moscovites. Après le putsch de Kapp, le Parti Communiste Allemand
>> sa révolution ».
construisit , sur le modèle du Parti Socialiste, un appareil bureaucratique, 01.1 des
Lénine fut, sans conteste, un grand meneur; il osait avouer et reconnaître ses bureaucrates, grands et petits, portaient l'insigne avec la faucille et le marteau,
erreurs..., mais Lénine n'était qu'un simple mortel. Il faut laisser aux épigones la. bien plus pour les avantages matériels qu'elle leur apportait que pour autre chose.
triste tâche de la déification du nom de Lénine; ce nom leur est un symbole néces- Ce n'était pas une organisation homogène d'une avant-garde révolutionnaire éprou-
saire et doit servir de couverture à leur marchandise malodorante. C'est ici que vée, mais c'était un « parti de masse». Et que d'éléments douteux n'hébergeait-il
l'observation marxiste peut nous être d'utilité, en ce qu'elle nous permet d'ëclai- pas! Ce qu'Arthur Rosenberg, un ancien membre du bureau exécutif du P. O. A.,
rer un développement objectif contre lequel des sujets aussi grands que ceux qui écrivit ( «Geschichte der Bolchevismus », Berlin, 1932), est tout à fait juste: parallè-
portent nom de Lénine et Trotsky ne pouvaient rien. L'appréciation que Frédéric lement à l'ascension économique et politique en Russie se vérifiaient le recul et la
Engels porta à propos de Thomas Menzer ( et qui souvent fut redite à propos des. destruction des sections communistes en Europe Occidentale. La discipline de
')D.inistres social-démocrates)) trouve ici une nouvelle application: « C'est le pire cadavre, d'essence russe-germanique, - et contre laquelle Marx déjà pesta si sou-
)> qui puisse arriver au chef d'un parti extrême que d'être obligé de prendre le
vent - considérait toute critique comme un crime de lèse-majesté. Le maintien de
» pouvoir en mains, à une époque 01.1 le mouvement n'est pas encore mûr pour la. l'Etat soviétique dans n'importe quelle circonstance amena - surtout après la mort
» domination de la classe qu'il représente et pour l'application des mesures de Lénine - l'idéologie de la construction nationale du socialisme en Russie.
>> qu'exige la domination de cette classe ... Ce qu'il peut faire contredit toute son Les principes du « Manifeste Communiste», qui considéraient le socialisme
>> action passée, ses principes et les intrêts immédiats de son parti, et ce qu'il doit non pas comme une question locale ou nationale, mais comme une question sociale
» faire est irréalisable >>. En dépit du caractère révolutionnaire sublime de I'Octo- et internationale, furent abandonnés. Les dettes de l'Etat annulées furent, sinon
bre l 917, il advint à Lénine et Trotsky ce qu'il était advenu au héros d'Engels. reconnues, tout au moins présentées comme appât pour l'obtention d'emprunts. La
Pour pénétrer à fond ce procès, il faudrait démêler le jeu formidable des for- thèse de la permanence de la révolution, qui veut que tant que celle-ci n'a pas
ces et motifs contradictoires suivants: triomphé matériellement et moralement, dans les parties les plus importantes du
a) La lutte pour le maintien de ce qui avait été conquis par la révolution; monde, l'Etat ouvrier russe a comme tâche de hâter la révolution à l'échelle inter-
b) Le souci d'établir un contrôle rigoureux par l'affirmation d'une autorité nationale, - cette thèse entra en conflit avec le bolchevisme national russe. La
nationale (par exemple, par la répression du soulèvement de-cronstadt) ; classe ouvrière de l'Europe Occidentale fut sacrifiée à ce dernier.
c) L'enthousiasme du pays pour le but final: socialisme nlus communisme; La déclaration de Lénine, dont nous faisions état ci-dessus : « Nous nous main-
d) La remise de concessions aux techniciens étrangers; - tiendrons jusqu'à ce que le orolétariat mondial ait fait sa révolution », devient
e) La lutte pour la reconnaissance « de jure» de l'U. R. S. S. et I'ohligatron ainsi la clef psychologique (2) du dévelo!'.lpement nationaliste et centriste auquel
faite aux communistes étrangers de réclamer cette reconnaissance dans tous les Trotsky aussi aida.
parlements ; · D'une brochure éditée en 1921 par le Parti Communiste Ouvrier Allemand,
f) La lutte avec les paysans, la famine de 1921 et le reflux de la vague révolu- intitulée: « Le gouvernement soviétique et la IIIe Internationale à la remorque de
tionnaire en Europe Occidentale ; · la bourgeoisie internationale », nous reproduisons les passages suivants :
g) L'appel à la vie de partis ou de petits partis communistes orthodoxes diri-
gés contre les courants plus extrêmes, tels le K.A.P.D. et les œillades lancées aux
social-démocrates de gauche: les Crispien, Levien, en Allemagne et les Frossards {l) Nous avions, en 1921, pris position contre les dangers de cette nouvelle orientation,
en France. mais le mémoire rédigé par nous fut excamoté.
La « Maladie infantile du Communisme >> de Lénine était un exemple frappant (2) Cette déclaration fut naturellement faite avec la meilleure intention. Avec la perspec-
de la modification de ses idées, modification surgissant des besoins d'Etat de la. tive et l'espoir que le prolétariat mondial allait livrer l'assaut au capitalisme.
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a) « La position du gouvernement soviétique dans la lutte des classes à l'inté- mais qu'il n'y a qu'une paire pour cent habitants. Ces ceuc personnes désirent
rieur de la Russie Soviétique ». toutes cette paire unique et adressent <les demandes correspondantes au service
« La masse paysanne força le gouvernement soviétique à accomplir une modifi- compétent. Aux cents demandes il faut répondre, vu qu'elles ne peuvent être satis-
cation profonde de sa politique économique à la campagne, ensuite aussi clans faites; c'est là la tâche des autorités et l'origine de la création d'une formidable
l'industrie des villes. L'organisation économique implantée par le gouvernement bureaucratie.
des soviets par la contrainte étatique, devenait un facteur qui barrait la route au » Cette bureaucratie, siégeant là où on dispose des moyens de subsistance, a
développement de la jeune classe des petits paysans, pénétrée du désir de s'élever. eu une énorme influence sur tout le développement des rapports sociaux en Russie.
Elle réclamait, en remplacement de cette organisation économique, l'organisation Cette bureaucratie dispose même, de par sa position et par ses rapport s entre
capitaliste de la production et du commerce. ses composants. d'un pouvoir sur ceux qui produisent les moyens de subs.sta nce,
« Jusqu'alors, le gouvernement soviétique avait réquisitionné les produits des c'est-à-dire le prolétariat. Ce fut-le point de-départ de l'aulagonisme entre le gou-
paysans selon les besoins de l'année et de l'autre population. La libre disposition vernëmcnt soviétique et le prolétariat russe, qui s'étala au grand jour au début de
des paysans sur les produits de leur travail était abolie; le gouvernement prenait celle année (1921). Le pouvoir glisse de plus en plus des mains du pruléi.ariat à
tout lorsqu'il le jugeait nécessaire. Au début de 1921, ·le gouvernement substitua. le celles de la bureaucratie, donc de la petite bourgeoisie.
régime de l'impôt au régime du réquisitionnement. 11 céda, en cela, à l'opposition b) Le commencement de l'antagonisme entre le gouvernement soviétique et le
des paysans, qui réclamaient parce que :amais ils ne recevaient aucun produit prolétariat russe.
d' échange, tels des vêtements, des souliers, des outils, des machines, etc. » Ces antagonisrues se manifestèrent théoriquement, pour la première fois, à
» A partir de ce moment, les paysans ne furent plus obligé:; de céder leurs pro- la fin de l'an dernier (1920), et ils firent leur apparition à. propos d'une question et
visions entières, seulement une partie proport.ionnellc. Il leur était libre de prati- sous une forme inopinée pour les dirigeants communistes,
quer, avec l'excédent, le commerce libre dans les grandes villes. Ainsi, le gouver- » Tel un coup cl' éclair, la question des syndicats russes éclaira les Io rmi da.b les
nement soviétique reconnut légalement aux paysans russes 1e droit à la propriété antagonismes qui existaient au sein du parti et qui amenèrent les débats les plus
privée. vifs, au cours desquels Bouckharinc, par exemple, fut taxé de syndicaliste par
» Cela signifiait la reconnaissance du système lucratif capitaliste dans les cam- Lénine. Près d'une douzaine de courants se formèrent, parmi lesquels trois ten-
pagnes russes et, comme conséquence, l'introduction d'un pareil système de lucre dances pi incipnles se dessinèrent bientôt.
dans les grandes villes. » Le problème avuib trait aux tâches présentes et le rôle futur des syndicats
» Le gouvernement soviétique dut, comme conséquence de cette concession, russes.
renoncer à la direction qui avait prévalu jusqu'alors dans l'industrie de la ville, et » De par la manière selon laquelle la production était dirigée et commandée
il vit forcé de l'enlever des mains des possesseurs actuels, notamment des mains de (à l'aide de spécialistes et d'hommes de confiance du parti), les syndicats étaient
la classe des prolétaires, pour la. confier, pour ce qui concerne la direction, ladmi- voués au chômage et étaient aiguillés sur une voie de garage.
nistration et la conduite de l'entreprise, i•. des capitalistes particuliers. » Leurs effectifs, qui atteignaient à peine 1,500 en 1917, se chiffraient, malgré
» Il dut c;onsentir à libérer l'industrie art.isana.le, du payement de primes aux tout, par millions. Que faire de ces organismes ? Lem fonction d'antan, et d'ailleurs
travailleurs induscriels, du libre échange de produits industriels contre des vivres, originale, qui consistait à mener la lutte contre le patronat pour la conquête de
échange que toutes les usines ayant accompli les minima exigés purent pratiquer. meilleures conditions de salaires et de travail, semblait avoir pris fin par la des-
Ensuite, il dut également libérer, en grande partie, le commerce capitaliste. truction du patronat, consécutive à la révolution. Unanimement, on repoussa l'idée
Le capitalisme était donc reconnu, quelles qu'en soient les conséquences comme la de dissoudre ces organisations de millions de prolétaires. Chlapnikov était d'avis
forme économique courante, aussi dans les villes. que l'entière direction de la production devait être enlevée au parti pour être re-
» Cette politique économique, en apparence tout à fait neuve, avait déjà été mise entre les mains des syndicats, afin de leur donner une vie nouvelle. L'écra-
préparée, dans une certaine mesure, par des actes antérieurs du gouvernement sante majorité des syndiqués se prononça en îaveur de cette solution (la soi-disant
soviétique. La position actuelle s'annonçait <léjà dans la dissolution, en 1918, des opposition ouvrière).
oi-disant comités de pauvres, formés par les bolchéviques après la prise du pou- » Par contre, Trotsky, comme représentant, du priucipo « militaire », déclarait
voir, dans le but de procéder à la socialisation des terres. dans ses directives, que la direction devait rester sous la dictature la plus rigide du
)' Et le premier pas vers la politique intérieure actuelle dans l'industrie fut déjà parti, et, qu'en tout cas, les syndicats avaient à se soumettre aux ordres du parti.
prise, lorsqu'au lieu de diriger les entreprises à l'aide du personnel et des comités Cette tendance ne trouva que peu d'adeptes dans les syndicats. Lénine, fidèle à sa
de fabriques, elle en confia la ,direction à des commissions spécialement instituées politique du centre, proposait dans sa résolution de ne pas changer provisoirement
à cet effet et composées de spécialistes (techniciens sortant de la masse bour- les rapports entre gouvernement, parti et syndicats, de ne permettre aux syndicats
geoise) et de communistes. de prendre part, que jusqu'à une certaine limite seulement, à la direction de la
» Ces mesures avaient déjà eu certaines répercussions qui faisaient présager le production, notamment en déléguant des me~11bres de leur comité central à la
début d'un changement de position de la part du gouvernement soviétique par commission centrale des commissariats économiques!
rapport an t:Ïrolétariat russe. L'appareil économique et étatique fut de plus en plus » Au surplus. les syndicats devaient être considérés comme des « écoles du com-
pénétré d'éléments bureaucratiques, engendrant les conséquences connues. Il en munisme», où des membres du parti devaient faire du prosélytisme pour Je parti.
affluait des cercles de la petite bourgeoisie, des commerçants, des anciens fonc- La manière de voir de Lénine n'était partagée que par un faible pourcentage des
tionnaires, des ouvriers manuels, de toute part. Ces gens appartenaient au petit membres des syndicats.
nombre en Russie qui sait lire et écrire et qui, seuls, entraient en ligne de compte » Mais que se passa-t-il 1 La question de l'avenir des syndicats ne fut pas solu-
pour ces fonctions, car la plus grande partie de la population russe était et est r tionnée par les six à. sept millions de syndiqués, clans le sens indiqué par Chlapni-
encore illettrée. kov, mais par le demi-million de membres du parti, et ce la dans le sens indiqué
» La cause de l'apparition de la bureaucratie est due uniquement au manque par Lénine.
de produits de consommation et ne peut être écartée que par l'augmentation de la » Cela signifiait, en réalité, la domination illimitée du parti sur le reste du
production. U n exemple éclaire cette affirmation : la population a besoin de chaus- prolétariat.
sur=s. Il se fait qu'il n'y a pas autant de paires de souliers qu'il y a dhabitants, » La revcndicat.ion de Chlapnikov et de ses camarades était-elle contre-révolu-
254 255
tionnaire i Quelle était le mobile des communistes russes? Nous verrons plus loin ., Le gouvernement soviétique · a lancé un appel à l'aide au monde entier ...
-quelles étaient les causes réelles qui les faisaient agir de la sorte. :> L'appel du gouvernement a éclairé d'un coup toute la situation.
» Mais qu'exprimait l'adhésion formidable du prolétariat à la résolution de ·> Le gouvernement soviétique livre son pays, sa révolution et son prolétariat à
Chlapnikov l C'était plus que le simple vœu de choisir lui-même la direction de la la bourgeoisie internationale ... »
production. C'était le besoin urgent, criant du prolétariat de se rendre indépen- Ainsi on fait droit aux « gauches » plus de dix ans a9rès les avertissements
dant, d'échapper à la tutelle de quelques-uns; c'était un vigoureux réveil de la quils lancèrent. Complétons encore ce tableau par le jugement que Goster formula
conscience prolétarienne qui avait grandi dans les dernières années d'une façon en 1921 : ·
inouïe. L'enjeu véritable de ces débats se réflétait le mieux dans les thèses d'Ix- « Le t roisièrne Congrès de l'Internationale de Moscou a provisoirement tï'anché
gnatov, qui exigeait, tout comme Chlapnikov et Boukharine, la «démocratisation » le sort de la révolution mondiale. Le courant qui veut la révolution mondiale, c'est-
des institutions du parti et de l'Etat. à-dire, en tout premier lien, la i:é,·olution en Allemagne et par là en Europe Occi-
»Les démêlés du gouvernement avec le prolétariat devinrent encore plus ou- ctentiïle, est exclu de l'Internationale russe. Et les partis communistes de l'Europe
verts et plus critiques, lorsqu'en février, quelques milliers de prolétaires maniîes- Occidentale et des autres parties du monde. qui restent à l'intériem de cette In-
.tèrent, réclamant l'augmentation de la ration alimentaire et lorsqu'à Pétrograd ternationale, se trouvent dégradés au niveau d'instrnments devant servir au main-
aussi. le mécontentement des masses grandit et le soulèvement de Cronstadt éclata. tien de la révolution russe et des républiques soviétiques. La révolution en Europe
»· Le soulèvement de Cronstadt fut loin d'avoir l'importance des événements Occidentale et clans le monde est . écartée afin de tenir en vie la révolution russe
dans les capitales et dans la population paysanne. Les préambules du soulèvement pendant quelque temps encore. Ainsi on a voué pour longtemps la révolution mon-
de Cronstadt dataient déjà de quelques mois et avaient, à l'origine, les conflits de diale à l'impuissance ».
Trotsky avec les matelots. Ces derniers s'accommodaient difficilement de la « dic- I' Du point de nie du marxisme, c'est donc un non-sens de vouloir charger la ten-
tature d'en haut» et exigeaient pour eux des pouvoirs plus étendus. 'I'rotsky dance stalinienne et la personne de Staline de tous les péchés de l'Etat soviétique
coupa l'envoi d'habillements. Les matelots préparèrent alors le soulèvement russe et du Komintern. Lénine lui-même a disparu trop tôt pour ne pas se voir
qui éclata peu de temps après et qui fut, pour les dirigeants russes, une véritable forcé, par les nécessités sociales, de se transformer en un Staline. Et s'il n'avait
surprise. pas voulu le devenir, il n'aurait connu d'autre sort que celui de Trotsky.
Tels furent les premiers événements des antagonismes perçant entre le gouver- )fous rejetons résolument la déclaration de la Ligue Communiste Internationa-
nement soviétique et le prolétariat russe et, depuis lors, l'opposition ei. Ia rebel- liste de Trotsky. qui déclare accepter les enseignements des 3e et 4e Congrès com-
lion ouverte contre ce gouvernement n'ont plus jamais cessé. me base de la IVe Internationale. Dans les travaux de ces Congrès résident les
« c) La politique étrangère du gouvernement soviétique, Le mouvement de germes qui devaient faire dégénérer les partis communistes de l'Europe Occiden-
soutien à la Russie soviétique. tale. A. SOEP.
» La politique étrangère, que le gouvernement mène actuellement, débuta par (A suivre).
la reconnaissance du traité de Brest-Litowsk ; ce fut une controverse à propos de
laquelle différents courants se manifestèrent au sein du parti communiste. 11 n'est,
pour le surplus, pas juste d'affirmer que dans les campagne de Denikine, Koltchak, •
le comte \\1 rangel, etc., la bourgeoisie étrangère était le facteur le plus agissant.
La direction de la lutte était entre les mains de l'ancienne noblesse, dont le but
A propos de Staline et du Stalinisme
était le rétablissement de la grande propriété foncière. Ceci explique pourquoi les
Les grandes défaites prolétariennes ont lems tragédies historiques et, bien
paysans cédèrent avec empressement, jusqu'à leurs dernières réserves, au gouver- souvent aussi, leurs parodies lamentables. L'un ne va pas sans l'autre. D'un côté,
nement, aussi longtemps qu'il s'agissait de les défendre contre les féodaux, mais des milliers de prolétaires battus, torturés, abattus comme des chiens; le désarroi,
que ces mêmes paysans refusèrent toute aide à l'armée rouge dès que les nobles la pornographie, la confusion enlevant tout espoir d'un regroupement salutaire de
furent battus.
forces révolutionnaires. D'autre part, le triomphe sanglant du capitalisme, l'épa-
>> Les guerres du pouvoir soviétique de ces dernières annécs ont le même con-
nouissement impudent des forces sociales qui l'ont si bien servi. Le centrisme,
tenu que les guerres révolutionnaires de la France bourgeoise révolutionnaire à la pour enlever la vision de la réalité aux masses en déroute, pour souder les ouvriers
fin du XVIIIe siècle. Le but de guerre du pouvoir soviétique était déjà, en réalité, et paysans russes à sa politique de pénétration « pacifique » au sein du système
la défense de la propriété parcellaire capitaliste des paysans contre les attaques de capitaliste, ce qui veut dire afin de justifier son intégration à un des deux blocs
la noblesse visant au rétablissement de la grande propriété foncière, quoique les impérialistes, est obligé de créer une psychose d'agression universelle contre
formations de combats étaient composées de prolétaires.
J'"C.R.S.S., psychose ayant pour axe la vénération du chef Staline, concrétisant la.
» Dans ces dernières semaines (juillet 192_1), la politique-étrangère des soviets
réaction soviétique au monde bourgeois, et enfin, comme conclusion, l'intronisation
est entrée dans une phase nouvelle et décisive. La Russie a été frappée par une
du « stalinisme ».
catastrophe naturelle, terrible dans ses conséquences. Une sécheresse de plusieurs
Que l'on comprenne bien: tant que le prolétariat eut la possibilité d'inten·enir
mois a détruit toutes les récoltes dans diverses régions de la Volga, du Don, du
internationalement, le centrisme, incrusté dans l'Etat Soviétique, se' para de l'om-
Caucase septentrional et en Ukraine. La chaleur torride a brûlé les épis et la mois-
bre de Lénine pour accomplir sa fonction de dispersement des forces révolution-
son est ici totalement, là partiellement, anéantie. En même temps, le choléra sévit,
naires au grand profit du renforcement de l'Etat prolétarien. Plus s'accentuèrent
entrainant chaque jour des milliers de gens et d'animaux dans la mort. La Russie
les défaites, plus se concrétisa la ,« notion du socialisme en un seul pays » et moins
Soviétique est quasi impuissante .devant ce terrible fléau. Tout manque, même le
il devint nécessaire d'employer le nom de Lénine. Le problème essentiel, dès Jors,
plus nécessaire. A cause de l'état arriéré de la technique et à cause des consé-
quences de la guerre, il n'est guère possible de sauver les récoltes. Aucun moyen fut la mobilisation effective des ouvriers et paysans russes autour du centrisme
de transport pour les conduire vers les villes, aucun moyen non plus d'évacuer engageant !'U.R.S.S. dans le· jeu d'alliances impérialistes et non plus l'appel aux
les masses humaines, fuyant des régions atteintes et de les transporter vers des ouvriers de tous les pays. Pour cela, Staline convenait évidemment mieux que Lé-
régions plus fertiles. Pas d'instruments, par de médicaments pour combattre le nine. dont le souvenir et les enseignements restent profondément internationalis-
choléra qui cause d'immenses ravages. Tout cela devait être envoyé du dehors. tes. Et, depuis le XVIIe Congrès du parti bolchévik russe, fort de l'appui de l'im-
périalisme yankee. l'Etat ouvrier, pour qui le prolétariat international battu en
256
Allemairre et en Autriche est devenu t cut au plus un instrument d'appoint pour
reulorcor ses positions diplomat.ques, a accentué sa politique d'incorpuration au
capitalisme et, para llèlement, a déterminé. en guise d'explication, une campacne
aussi stupide que grotesque autour de f:ita!ine et du Stalinisme. Il ne faut point s'y
_:,._,.-

LA CATASTROPHE DE PATURAGES
-----· -- ·--------····
!-
Le Borinage vient de vivre un événement des plus douloureux: 57 mineurs ont
méprendre. cette eampagne fait paicio de la mohilisation des ouvriers russes au- péri, victimes d'un coup de grisou, au Fief de Lambrechies. Quatorze d'entre eux
·. tour de la politique actuelle du centrisme et. pour cela, il faut absolument « trou- périrent en tentant vainement de ramener à la surface le corps de leurs camarades
ve!' , le s éléments apportés par {ital.111e au marxisme et à, la révolution internatio- de misère. Solidarité qui fut payée bien cher: ·ils multiplièrent les deuils, eux qui
na!e , éléments qui font rle lui l'égal - que disons-nous, le génie supérieur - à voulaient les limiter. Bien vite, tout espoir de ramener les corps dut être aban-
Lénine et t ort au moins légal de Marx. Sans la réalité terrible que cache cette donné et l'immense cerceuil de houille confondant hommes et charbon, fut fleuri
campagne idiote, il y aurait vraiment de quoi rire. hypocritement par les représentants du capitalisme, désireux d'effacer l'obsession
Ainsi, de tristes bureaucrates, dont le métier consiste à écrire des platitude de Ta mort que les mineurs borains auront dans le cœur, lorsque demain ils descen-
et des panégyriques sur commandes, ont le Iront d'affirmer, sans rougir mille fois dront à nouveau dans la mine meurtrière.
de honte, que l'essai de vulgarisation du léninisme que Staline fit dans ses -confé- Extraire du charbon, toujours et toute leur vie, ce charbon grisouteux dont
rences à l'Université de Sverdlov « pour faire pénétrer dans les masses la con- chaque explosion fera des victimes, travailler dans des fosses au remblayage et
science socialiste et la théorie marxiste-léniniste, 11e peut êtré comparée qu'à l'im- boisage défectueux, et crever la faim comme c'est le cas au Borinage. Ceux du
portance du Manifeste Communiste, du Capital, de la Cl"itique du progr_amme de Fief de Lambrechies ne pourront pas se plaindre: les patrons ont ccgénéreusement»
Gotha, de Que faïre?, de l'Etat et la Révolution et de la Maiadie infantile du Com- décidé de réouvrir le puit afin de ne pas priver de nombreuses familles de pain,
munisme de cc gauche ». Déjà les fleurs jetées sont oubliées: demain il faut extraire dq charbon, reprendre
Le nrmmé Kncrine, père de cette prose éloquente, s'efforce même de démon- les outils et descendre, car il faut que les barons de la gaillette aient les bras né·
trer que des brochures Écrites par Staline en 1912 - restées hélas inconnues jus- cessaires pour l'exploitation du charbon, cette richesse nationale.
qu'à cc jour - méritent, par leur profondeur, de se trouver à côté des meilleures Les coups de grisou se succéderont encore dans ces fosses grisouteuses et les
œuvres écrites _par Lénine .à l'époque. Fort probablement, puisque selon c:e même sombres terrils verront les mêmes cortèges hypocrites, la même comédie de la dou-
biographe impudent. Staline a déjà, au « IVe Congrès des bolchéviks, remplaçant leur, Mais la douleur véritable des familles prolétariennes frappées terriblement,
Lénine en qualité de rapporteur du Comité Central, donné une interprétation de leur vie de fam·ine, de travail, ne fera que s'approfondir.
problèmes fondamentaux du bolchevisme et des perspectives de sa lutte pour le Les fleurs, les lamentations universelles, les télégrammes de condoléances,
pouvoir et, le eocialisme, qu.i est devenu la base de toute l'activité ultérieure de seront vite oubliés et bientôt déferlera la lutte des mineurs ne voulant pas com-
notre parti ». découvrira-t-on demain que, somme toute, Lénine fut LH1 bon bougre, prendre que « l'intérêt commun » exige des salaires de famine, repoussant du pied
mais sans Staline que serait-il bien devenu? les clameurs de ceux qui disent que le patronat se « sacrifie » en ma·intenant quand
même l'exploitation des mines.
La campagne du centrjsrue tend à mettre en évidence les réalisations de « ·dix La catastrophe de Pâturages n'est pas le fait du « hasard »: c'est le fruit du
années d'appréciations staliniennes de la situation internationale. >,. Par interna- régime capitaliste et non la rançon que la nature oppose au travail humain, fa.
tionale ie centrisme èntend évidemment les succès des plans quinquennaux en talité devant laquelle la technique et la science sont impuissantes. Quand les trusts
U.R.S.S. et comme ces succès furent obtenus grâce aux défaites ouvrières dans parviennent à réduire la production, à conclure des accords pour trouver un remède
tous les pays, le stalinisme consacré aujourd'hui est donc la théorie des défaites à leur lutte cc fratricide », on parle de victoire, de succès, de garantie de paix entre
proléca.ricnnes et du national-bolchevisme. Jusqu'ici, nous avions repoussé le « sta- les Etats, de remède à la crise économique. Et c'est pourtant grâce à cela que les
linisme ;- en considérant que les événements qui amenèrent le triomphe du cen-• catastrophes minières sont possibles, La technique actuelle permettrait peut-être
trisme dans l'L C. et en Russie, ne sont pas fonction de Staline ou de Trotski. Il d'abandonner pour toujours l'exploitation des mines: le pétrole et ses succédanés
s'agit du choc: de forces sociales: I'histoire étant l'histoire des luttes de classe et pouvant remplacer le charbon. Mais la Royal,Deutsch et la Standard-Oil luttent
non dindividus isolés La victoire du centrisme était pour nous un ren îorcernen avec acharnement pour fermer des puits de pétrole. L.e capitalisme de chaque pays
du capit a lisme i nterna.tional obtenu grâce à la faiblesse du mouvement révolution- trouvant une planche de salut dans une production limitée aux « 6esoins » Inté-
naire dans tous les pays et non le résultat de l'influence machiavélique de Staline. rieurs du pays ainsi qu'aux nécessités de la lutte inter-impérialiste,
Auourdhui le centrisme, procédant à la mobilisation des masses russes, des prolé- Les chefs réformistes belges, dans ces circonstances, restent fidèles à leur
taires encore rattachés au centrisme autour des réalisations obtenues au tours de
misérable fonction: leurs gémissements dépassent ceux de la bourgeoisie et positi-
ces dernières années au prix de· la débâcle des partis communistes, cert aius de
vement leurs solutions consistent à demander à l'Etat de restreindre les importa-
l'impuissance des rares noyaux marxistes qui maintiennerrt;-malgré tout, le dra-.
tions de charbon allemand, sans examiner si les mines allemandes n'offrent pas de
peau véritable de I'Internaticna.lismc, passe. à la déification de Staline, c:e qui re-
meilleures conditions d'exploitation. C'est là leur seule réponse à la tragédie de la
présente, somme toute, une idéalisation cle la situation coutre-révolutionnaire
actuelle: un appel aux masses à suivre le centrisme dans le chemin de la trahison mine, aux menaces de diminutions de salaire annoncées.
jalonné par l'apport spécifique des théories que· le centrisme appelle aujourd'hui!· Mais le patronat minier a jugé opportun, après la catastrophe, de reculer de
atalinienncs : la construction du socialisme en un seul pays. quinze jours la diminution des salaires: quinze jours doivent suffir pour faire
La pornographie politique du centrisme déifiant son idéologie de défai tes, oublier les victimes actuelles. En juin, la bataille de classe se posera à nou-
chargeant quelques obscures Knorine de ramasse; coûte que coûte des é!éments de veau. Alors, sur la base de leur lutte contre la famine, les mineurs du Borinage,
déification des « grands chefs », la crasseuse ignorance "de ces gens, pourrait prê- qui, déjà en juillet 1932, ont donné le signal, voudront lutter contre la mort qui,
ter à rire si, comme nous l'avons dit, il ne s'agissait· de préparatifs infiniment sé- chaque jour, les guette, contre le régime capitaliste.
rieux de mobilisation contre-révolutionn,.aire· des ouvriers. Pour se défendre, ils n'auront que leur force, ils n'auront qu'une seule voie: la
C'est dans ce sens que nous réa.girons contre ceux qui « sont Iiers d'être stali- révolution prolétarienne contre laquelle montent la garde armée toutes les forces
niens » et qui sont aujourd'hui, après la social-démocratie, une des forces essen- de l'ennemi dont les représentants ont paradé lors des funérailles des victimes.
tielles di..mmobilisation du proléta.riat révolutionnaire,
- SOMMAIRE
des deux derniers numéros
=-i
·
N° 5 - MARS 1934.

1 Les principes: Armes de la Révolution


Parti. - 1 nternationale. - Etat: Prémisses .
. 149
160
1
Le Plan De Man (suite et fin) . 166
Organisation et discipline communiste -= Pré·
misses du problème, A. Bordiga . 180
Les difficultés de !'Opposition russe: Rakowsky
dépose les armes . 184
Le cas Calligaris (voir 3e page couverture) . j

N° 6. - AVRIL 1934.
1er MAI 1934 185
La bourgeoisie française expulse Trotsky ...... 187
Problèmes du front unique: Manœuvres ou uni-
tés d'action . 188
Où va l'impérialisme français, par Mitchell . 195
Parti • 1 nternationale • Etat: La classe et sa
signification . 204
Une quatrième ·internationale ou une réplique
de la troisième, par A. Soep . 210
Salut à la cc Verità » . 216
Maximo rejoint le front de la contre révolution
centriste . 219

Paraîtra prochainement
Démocratie, fascisme, communisme, par Vercesi.
Problèmes d'Extrême-Orient : La situation de la
classe ouvrière japonaise, par G. Mammone.
La Chine Soviétique, par G. Mammone.
Le problème des Jeunes, par Hilden.

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Les Arts Graphiques, aor, chaussée de r-raecnt , Bru xenea-g. Gér J. Vnn Trier

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