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L'antifascisme À Liège
L'antifascisme À Liège
CRÉDITS ICONOGRAPHIQUES
ALPHAS - Atelier Liégeois pour la Promotion de l’Histoire et des Archives
Sociales (Liège) • Boos, Alain • Gomez Garcia, Antonio • IEV - Bibliothèque et
Archives de l’Institut Émile Vandervelde (Bruxelles) • IHOES - Institut
d’histoire ouvrière, économique et sociale (Seraing) • Krasnyi Collective /
Fred Hérion • Kroll, Pierre
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PHOTO DE COUVERTURE
Manifestation du 29 mai 2019 dans les rues de Liège
© Krasnyi Collective / Fred Hérion
1
Par souci de clarté, précisons que l’auteur est militant antifasciste et qu’il a participé à la relance
d’un front antifasciste à Liège en 2019, dont la première assemblée a eu lieu le 30 janvier.
2
Julien Dohet, « Balises sur l’antifascisme à Liège dans l’entre-deux guerres » et « Les fronts anti-
fascistes à Liège après la guerre », Aide-mémoire [revue de l’ASBL Territoires de la Mémoire], no 89,
juillet-août-septembre 2019, p. 5-7, [En ligne] tinyurl.com/aidememoire89.
L’ANTIFASCISME À LIÈGE • 5
Cet antifascisme s’illustre notamment lors du 1er Mai 1926 à Liège4 par
la présence d’un groupe de travailleurs italiens portant une banderole
au message explicite :
Début des années 1930, un autre 1er Mai, celui de 1933, sera le théâtre
d’une démonstration symbolique qui restera dans les annales. Les cor-
tèges socialistes et communistes font jonction devant le consulat du
Troisième Reich dont le drapeau à croix gammée est arraché de la fa-
çade. Julien Lahaut, nouveau député communiste, l’emportera avec lui
et le déploiera quelques jours plus tard à la tribune du Parlement en
clamant :
« Voilà le drapeau nazi qu’à Liège, ont arraché les ouvriers com-
munistes et socialistes unis. Quoi que vous fassiez, ils continue-
ront, dans le pays, la lutte contre les menées des traîtres et des
valets d’Hitler.10
»
L’année suivante, les événements en France vont donner du souffle et
Le fascisme c’est la guerre, affiche des Jeunes Gardes socialistes (JGS),
Liège, [1935-1936]. Coll. ALPHAS (Liège).
En Belgique, une section se constitue en juin 1935. Le CVIA « belge » Si des tensions apparaîtront entre les différentes composantes du CVIA
tient son premier congrès en octobre, en présence du dirigeant de l’or- dès 1936 autour de la liaison entre antifascisme et pacifisme dans un
ganisation-mère française, Paul Rivet. « Le cœur du CVIA bat à l’Univer- contexte international de plus en plus guerrier19 et si l’existence de ce
sité de Bruxelles, bastion de la bourgeoisie libérale, étroitement lié à la comité de vigilance prendra fin en 1939, il n’en apporte pas moins plu-
Franc-Maçonnerie. Celle-ci réunit par ailleurs des universitaires liégeois sieurs éléments-clés :
qui bâtissent leur CVIA à contre-courant d’une université où sévissent
1 Se rassembler au-delà des clivages et chercher à surpasser les
quelques beaux esprits ouvertement fascistes. »16 divergences, y compris stratégiques.
2 Réagir au danger d’une extrême droite offensive et en progression.
À Liège, c’est plus précisément la loge Hiram qui sera le moteur du
3 Témoigner d’une volonté de s’opposer à elle, tant intellectuellement
CVIA. Une brochure éditée dans cette ville en 1936 précise à cet égard :
que matériellement.
20
« Des coups de feu sont tirés sur un groupe Rexiste à Liège », Le Peuple, 16 septembre 1936,
p. 4.
12 • L’ANTIFASCISME À LIÈGE
manifestation, mais pas le même jour. C’est ainsi que le 11 octobre, une logistiques. D’août 1936 à mars 1939, plus de 200 sorties-collectes se-
concentration antifasciste rassemble entre 40 000 et 50 000 personnes. ront officiellement organisées dans l’arrondissement de Liège, aux-
Cette manifestation est l’occasion de mettre au pilon des centaines de quelles il faut ajouter les meetings, les sorties d’usines… de plus en plus
ballots d’exemplaires du « pourri réel »21 collectés depuis plusieurs se- organisés avec camions, sonos et brassards d’identification. Il arrive
maines. Le produit de cette vente de papier (qui sera revendu à des même que les encaissements financiers soient gérés par des délégués
chiffonniers) est destiné à financer la propagande antirexiste. Le meeting des administrations communales socialistes. Les Femmes prévoyantes
place Saint-Lambert est présidé par Joseph Bondas (dirigeant syndical socialistes (FPS) et la guilde des coopératrices organisent, en septembre
liégeois ayant dès ce moment un rôle national)22. 1936, une opération de confection de tricots pour les miliciens espa-
gnols. La laine est partiellement fournie par l’Union coopérative et on
La lutte antifasciste prend une nouvelle dimension durant la seconde organise des séances collectives dans les maisons du peuple. Début
moitié des années 1930 après le coup d’État militaire de Franco contre 1937, via l’Internationale ouvrière socialiste et la Fédération syndicale
la république espagnole. Rapidement, une solidarité internationale se internationale, une aide à la création d’un hôpital pour les miliciens ré-
met en place. Elle prendra plusieurs formes. Si la plus médiatique et publicains à Ontinyent s’ajoute au dispositif, et via le Service sanitaire
connue est le départ de volontaires au sein des Brigades Internatio- ouvrier international (Sersano), on envoie des médicaments mais aussi
nales23, des actions qui dépassent la « simple » conscientisation sur ce des voitures sanitaires. C’est ainsi que le 27 février 1937, la première
qui se passe en Espagne seront également menées en Belgique. Très voiture de ce type, achetée grâce à une souscription nationale des
vite, on assiste à la création de comités locaux d’aide à l’Espagne24. Jeunes Gardes socialistes, est présentée lors d’un rassemblement à
Ceux-ci organisent des manifestations et des collectes d’argent, de vê- Liège. D’autres suivront. Mais l’aspect le plus marquant, qui laissera
tements et de vivres qui sont envoyés aux Républicains25. La Fédération beaucoup de traces émotionnelles dans de nombreuses familles26, sera
générale des Syndicats de Liège (ancêtre de la FGTB) s’implique direc- l’accueil d’enfants de Républicains espagnols. Quelque 5 000 enfants
tement et collecte également des fonds via notamment l’édition de tim- seront accueillis dans des familles belges, souvent de la classe ouvrière
bres syndicaux spéciaux, tandis que les coopératives servent de points et de condition modeste. En région liégeoise, c’est via le centre coopératif
21
de Micheroux qu’ils arriveront en train. Leur accueil fut complexe, car
Cela désigne en réalité le périodique Le pays réel, le « quotidien de combat » de Rex qui reprend
là une distinction faite par Charles Maurras entre le « pays légal » et le « pays réel ». beaucoup avaient la gale, ce qui entraînait évidemment des complica-
22
« Quarante mille liégeois ont envoyé au pilon, hier matin, des dizaines de milliers de kilos de “pays tions sanitaires. Ces enfants, le régime franquiste les réclamera et ils
réel pour rien”. Les travailleurs confiants et dignes refusent la saleté rexiste. » Le Peuple, 12 octo-
repartiront à partir de la fin avril 1939.
bre 1936, p. 1.
23
Voir : Tant pis si la lutte est cruelle. Volontaires internationaux contre Franco, Paris, Syllepse,
2008, et plus particulièrement l’article de José Gotovitch aux pages 257-266, qui montre la com- L’antifascisme des années 1930 n’échappera évidemment pas aux dé-
posante très ouvrière et largement communiste des 2 400 brigadistes venant de Belgique. bats, tensions et concurrences entre les différentes tendances de la
24
Voir la brochure : Guerre civile d’Espagne. 1936-1939. La solidarité des socialistes (POB) lié-
geois : hébergement à Liège des enfants - Los niños de la guerra - des différentes régions d’Es-
gauche, particulièrement entre socialistes et communistes. Ceux-ci
pagne 1937-1939 arrivés à Micheroux, [Soumagne], 1999. oscilleront entre affrontement et alliance, comme avec la création à la
25
Par exemple, 3 camions avec 10 tonnes de vivres et de tissus partent de Seraing le 23 mars 1938,
rejoignent Liège puis Bruxelles pour former un convoi national ; le 8 mai 1938, ce sont 15 camions
qui sillonnent Seraing et récoltent 18 tonnes de vivres qui partent en chemin de fer vers Barcelone
26
Nous détaillerons un cas concret dans une prochaine analyse consacrée à Gisèle Paffen.
le 27 mai ; fin 1938, ce sera du charbon qui sera chargé…
Plus largement, la région de Liège Ourthe-Amblève constitue un foyer III. L’ANTIFASCISME À LIÈGE
de résistance important32. Une résistance multiforme comprenant des
réseaux de renseignements, une large activité de presse clandestine33, DEPUIS LA GUERRE
des réseaux de solidarité (pour aider les militant·es passé·es dans la
clandestinité, mais aussi les Juifs, les aviateurs alliés…) et évidemment A. Près de trente ans d’accalmie ?
l’action armée via de nombreuses unités dont les Partisans armés. Cette
résistance, de par ses multiples formes et son envergure, explique que La question d’intégrer à la lutte antifasciste le mouvement de la grève
c’est à Liège, sur le boulevard d’Avroy, que fut installé le monument na- de l’été 1950 contre le retour du Roi Léopold III et l’ensemble de la
tional à la Résistance. question royale, si elle mérite d’être posée, nous semble sortir du cadre
de la présente étude. L’assassinat du député communiste Julien Lahaut,
au paroxysme de cette séquence, étant aujourd’hui clairement attribué
à un groupement anticommuniste d’extrême droite34, aura son impor-
tance dans l’histoire de la reconstitution des partis d’extrême droite,
tout comme la renaissance de liaisons entre anciens collaborateurs
dans le contexte des luttes de décolonisation. Mais ces partis restent
totalement groupusculaires et ne reviendront en Belgique sur le devant
de la scène que dans le milieu des années 1970. Notons néanmoins que
l’après-Mai 1968 est une période de renaissance de quelques groupes
fascistes sous de nombreux noms, dont le Front de la Jeunesse35 (qui
sera central dans la création, en 1985, du Front National belge par
31
Sur tous ces aspects, voir : Pierre Tilly, André Renard, Bruxelles, FAR-Le Cri, 2005.
32
Hors du pays l’occupant. Sur la résistance au fascisme 1940-1945. Le Front de l’Indépendance
Daniel Féret).
dans la région de Liège Ourthe/Amblève, Seraing, IHOES, 1993.
33
Micheline Zanatta, Jeanne-Marie Noiroux, Lily Rochette-Russe, sous la direction de Michel 34
Emmanuel Gérard, Widukind de Ridder, Françoise Muller, Qui a tué Julien Lahaut ? Les ombres
Hannotte, La presse clandestins de Seraing 1940-1944, Cuesmes, Éditions du Cerisier, 2006. Voir de la guerre froide en Belgique, Waterloo, CEGES-Renaissance du Livre, 2015.
aussi en complément : Ludo Bettens, « Contribution à l’étude de la presse clandestine dans la région 35
Philippe Brewaeys, Véra Dahaut et Anaïs Tolbiac, « L’extrême droite francophone face aux élec-
de Huy-Waremme », Analyse de l’IHOES, no 8, 6 novembre 2006, [En ligne] tinyurl.com/IHOES8. tions », Courrier hebdomadaire du CRISP, no 1350, Bruxelles, CRISP, 1992, p. 5-6.
20 • L’ANTIFASCISME À LIÈGE
PAGE PRÉCÉDENTE : « Portugal, Espagne, Grèce », affiche éditée à l’initiative de la FGTB et
de la CSC, Liège, [1969]. Fonds André Beauvois, dossier H1/023. Coll. IHOES (Seraing).
C. Face au retour de l’extrême droite
Aujourd’hui encore, à Liège, la résistance à Franco continue de faire l’objet de depuis les années 1990
commémorations. À ce sujet, voir notamment : Maite Molina Mármol, « Le patrimoine
au prisme de l’immigration : le cas de la présence espagnole en Belgique », « Après le “dimanche noir” de 1991, plus de 200 000 personnes défilent
Analyse de l’IHOES, no 141, 6 juillet 2015, [En ligne] tinyurl.com/IHOES141.
dans les rues de Bruxelles contre l’extrême droite et le racisme. »41 Les
élections législatives du 25 novembre 1991 voient en effet une première
La liste des organisations mentionnées comme soutenant le front n’est
percée du Vlaams Blok avec l’obtention de 12 sièges et d’un élu du côté
pas inintéressante car, bien que clairement située politiquement, elle
francophone via le FN. Les années 1990 sont aussi marquées par la
couvre un champ assez large :
présence de l’extrême droite dans plusieurs conseils communaux42, no-
À Liège, un Front AntiFasciste (FAF) est déjà créé fin 1991-début 1992.
Un groupe permanent décide de s’organiser pour contrer les fascistes,
estimant insuffisantes les réactions individuelles d’arrachage d’affiches
de partis d’extrême droite. « Contrairement à l’AFF [Anti-Fascistisch
Front] d’Anvers, qui s’était constitué sur base d’adhésion d’organisations,
Liège a opté pour un Front d’individus. L’idée d’un FAF est née d’une ac-
tion organisée par le PTB [Parti du Travail de Belgique] : un barrage
d’un meeting fasciste en Outre-Meuse. Il s’agissait de ne pas laisser
l’initiative antifasciste au seul PTB, mais de créer des structures plus
larges. Le premier acte de structuration du FAF a été la rédaction d’un
Tract « Front AntiFasciste [national] : informez-vous… Rejoignez-nous », Anvers, s.d. communiqué de presse appelant à une mobilisation la veille des élec-
Dossier « Tracts Antifascisme », I/S01/D4. Coll. IHOES (Seraing). tions. La médiatisation a ainsi créé une base militante. »44
PAGE DE DROITE : autocollant de la Coordination antifasciste de Belgique (CAF)
avec la mention « Nous sommes partout ! », Saint-Gilles, s.d.
44
Fonds Jacques Yerna. Coll. IHOES (Seraing). Note intitulée « Bilan de fonctionnement de l’exécutif », contenant un historique préparatoire à
l’AG du 3 avril 1997 relançant le FAF. Archives personnelles de France Arets.
« [le FAF] est un front de militants individuels, soutenu par des or-
ganisations[,] et a pour but de combattre sur tous les terrains la
montée des organisations et des idées fascistes en stimulant une
Dans son éditorial « Contre la démagogie, faisons front » publié dans le
deuxième numéro de son bulletin de liaison, le FAF précise ceci : « Nous
ne prétendons pas détenir la vérité absolue ni encore moins avoir le
mobilisation de masse contre le retour de la peste brune.46
Durant ce début des années 1990, il est notable que le mot d’ordre
d’une des manifestations organisées par le Front AntiFasciste était :
« Pas de racisme, pas de fascisme, des emplois ! »52 Et qu’il proclamait
clairement que « [l’]antifascisme, ce n’est pas seulement empêcher les
fascistes et leurs organisations de manifester, c’est aussi lutter contre
les causes du fascisme, à savoir les exclusions sociales »53.
51
En effet, étaient conviés : le Front National (France), le MSI (Italie), le Parti Nationaliste (Écosse),
le Parti Populaire (Autriche), le Front National (pour l’Espagne) et Comice (pour le Luxembourg).
Voir le feuillet indépendant intitulé « Appel contre le meeting du Front National à Liège le 12-12-
92 », inséré dans : Liaison antifasciste, bulletin bimestriel du Front AntiFasciste, no 11, décembre
1992.
52
Liaison antifasciste, bulletin mensuel du Front AntiFasciste, no 17, juin 1993, [p. 2-3].
53
Liaison antifasciste, bulletin mensuel du Front AntiFasciste, no 19, septembre 1993, [p. 3].
54
Le REF est aussi parfois qualifié de mouvement « de discrimination et de ségrégation raciale ».
Voir : « Condamné pour racisme à Liège Hubert Defourny plaide l’acquittement en appel », Le Soir,
21 septembre 1999, [En ligne] tinyurl.com/LeSoir-Defourny.
55
Le guide indispensable des antifascistes : dictionnaire de l’extrême droite francophone, [En ligne]
www.resistances.be/r0201.html.
«
quartier des Vennes d’un local accueillant des réunions de groupes
le groupe de renseignement […] constitue la banque de données
d’extrême droite (REF, FNB pour Front nouveau de Belgique et le grou-
du FAF-Liège. Il est en rapport avec ses équivalents aux niveaux
puscule néonazi L’Assaut). Fin mars, 80 membres du FAF et des habi-
belges et européens et agit en interface avec eux. Son objet prin-
tant·es du quartier empêchent un meeting du FN de s’y tenir. Le 9 no-
cipal est d’établir le cadastre des forces et activités de l’extrême
vembre, la traditionnelle concentration part du monument de la droite en région liégeoise en recueillant le plus d’informations, y
Résistance pour se rendre devant ce local qui continue, l’année suivante, compris très techniques, sur les partis et mouvements d’extrême
à accueillir des réunions liées au mouvement Skinhead. Toujours en droite et leurs diverses nébuleuses, ainsi que des renseignements
1996, le FAF réussit à faire échouer l’organisation de « la nuit la plus précis et réactualisés en permanence sur les élus et les militants
courte » à Vielsam le 22 juin, à l’occasion du solstice d’été, dans une des partis, mouvements ou groupes de choc de l’ED [extrême
base d’entraînement paramilitaire possédée par un ancien de la Hitler droite]. [Tandis que le groupe Sécurité doit] organiser le service
Jugend passé par Agir. En juillet, un tract est diffusé dans cette com- d’ordre dans les manifestations et contre-manifestations orga-
nisées par le FAF [mais aussi] mener une réflexion de fond sur
»
mune. C’est aussi en 1996 qu’à notre connaissance, a lieu la seule at-
tout ce qui concerne la sécurité.
taque d’un lieu associatif progressiste à Liège par l’extrême droite. Dans
la nuit du 4 au 5 septembre 1996, la Casa Nicaragua est incendiée et
Enfin au sein de ce groupe, on prévoit une personne de contact avec la
des croix gammées sont peintes dans le quartier de Pierreuse.
police, qui soit aussi en lien avec un homologue du groupe de rensei-
gnement59. Mais dès l’AG suivante, qui se tient dans les locaux de l’as-
Malgré ces différentes activités, la survie du Front AntiFasciste à la fin
sociation Barricade, un constat doit être dressé : les groupes ne fonc-
des années 1990 est loin d’être garantie. Les AG des 3 et 28 avril ainsi
tionnent pas, faute de candidat·es. Du débat émerge malgré tout le fait
que celle du 17 juin 1997, destinées à le relancer, démontrent que les
que « la spécificité du FAF est de réagir régulièrement face à l’existence,
difficultés sont tangibles et la force militante réduite. L’ambition de
aux initiatives publiques de l’extrême droite, à sa propagande, et d’en-
mieux se structurer est réelle, comme en témoignent notamment l’éla-
traver ainsi son développement »60. Cette spécificité est à nouveau réaf-
boration de statuts, la mise sur pied d’instances et le fait de demander
firmée lorsque, après plus d’un an sans réunion, une nouvelle assemblée
des cotisations aux membres. De plus, l’instauration de deux groupes
générale se réunit :
est envisagée par l’article 3 des statuts :
»
candidats les membres du groupe Renseignement et les membres
les lois et conventions antiracistes.
du groupe Sécurité. Ces deux groupes revêtant beaucoup
d’importance, les membres devront y être élus par au moins 66%
des membres du FAF présents lors de l’Assemblée générale
statutaire.
»
59
Statut du FAF validé par l’AG du 17 juin 1997, Archives personnelles de France Arets.
60
PV de l’AG du FAF du 1er octobre 1997, Archives personnelles de France Arets.
Le 13 mars 1999, la mobilisation de 300 personnes et l’interdiction de Lancée à la suite d’un appel de plusieurs personnalités qui soulignent
manifester prise par le bourgmestre empêchent REF de s’attaquer aux que « l’ouverture d’un local fasciste est une première, non seulement
sans-papiers installés au Jardin botanique. Début mai 1999, dans le pour le quartier d’Outremeuse mais aussi pour la ville de Liège », le
cadre de la campagne électorale, le FAF organise un grand nettoyage collectif se réunit pour la première fois le 16 mars au café-restaurant
des inscriptions que l’extrême droite, principalement REF, a laissées « Tchantchès » (rue Grande Bèche). Quatre décisions sont prises :
sur les berges de la Meuse. L’opération est couverte par la presse et
1° concevoir une campagne d’information/sensibilisation via un tract ;
est une réussite. Après des élections qui voient un effondrement de
2° organiser une manifestation ;
l’extrême droite, le Front dénonce le crime à l’encontre d’Elie Fares,
3° interpeller les autorités communales et inciter un maximum d’as-
agressé avec deux autres jeunes, dans la nuit du 13 au 14 août 1999,
sociations à le faire ;
rue Saint-Gilles par quatre skinheads gravitant autour d’Agir et de REF.
4° examiner les voies juridiques avec la Ligue des Droits de l’Homme
Fares décède le 1er septembre et un rassemblement qui regroupe 300
pour faire fermer ce lieu de rassemblement.65
personnes est organisé le 8 octobre place Saint-Lambert pour dénoncer
ce crime raciste. Dès le 7 mai 1994, la manifestation contre la présence du local a lieu et
parvient à mobiliser 1 000 personnes dans les rues de Liège66. Le 11
En dépit de ses actions, le FAF perd de la vigueur : il est vrai que la pré-
juin, une fête rassemble 600 personnes. Les différentes activités per-
sence aux assemblées générales descend en deçà des 10 personnes et
mettent de déposer une pétition de 10 000 signatures au bourgmestre
qu’en 2000 il ne compte plus que 36 membres cotisants62.
le 5 juillet. Lors de cette rencontre, celui-ci signale qu’il refusera le
permis de bâtir et prendra un arrêté d’interdiction d’utilisation du rez-
• LE COLLECTIF D’OUTREMEUSE CONTRE L’EXTRÊME DROITE
de-chaussée de l’immeuble pour des raisons de sécurité67.
À côté du FAF, un autre collectif voit le jour en 1994. Cette année-là, 64
Les premiers signataires qui convient à se réunir pour la première fois le 16 mars 1994 sont :
c’est la mobilisation contre l’ouverture du local du groupe d’extrême « André Beauvois, secrétaire de la C.G.S.P., Jean-Paul Brillmaker, Président de la section de Liège
de la Ligue des droits de l’homme, Marc Dehin, secrétaire de la section Liège-Ville du PS, Irène De-
droite Agir rue Surlet (près du Musée Tchantchès en Outremeuse) qui voghel, Alberto Gabbiadini, Roberto Giarrocco, président du PAC d’Outremeuse, Guy Moreau, Éche-
donne naissance au « Collectif d’Outremeuse contre l’extrême droite »63. vin de Liège, Dominique Pirson, membre du Front antifasciste, Jean-Marie Schreuer, secrétaire du
M.O.C., Alphonse Wilslez, secrétaire fédéral de la C.S.C., Jacques Yerna, Président de l’U.S.C. de
Liège, Jean-Luc Rongé du Cirque Divers, Jean-Louis Collinet, Directeur du théâtre de la Place, Luc
Borlée, Directeur du Centre de promotion sociale pour éducateurs ». Appel à participation à la réu-
nion du 16 mars 1994, Archives personnelles de France Arets.
65
PV de la réunion du 16 mars 1994, Archives personnelles de France Arets.
66
61 SONUMA. Les archives audiovisuelles [de la RTBF], Paul Galopin (journaliste), « Liège : manifes-
PV de l’AG du FAF du 26 novembre 1998, Archives personnelles de France Arets.
62 tation anti-fasciste », Bulletin d’information, 7 mai 1994, [En ligne] tinyurl.com/SONUMA-7-5-1994
PV de l’AG du FAF du 21 mars 2000, Archives personnelles de France Arets.
63 et Daniel Conraads, « Le front antifasciste de Liège s’alarme, un local pour l’extrême droite en Ou-
Nous retraçons brièvement ci-dessous un historique de ce collectif sur base des archives de
tremeuse ? », 17 mars 1994, [En ligne] tinyurl.com/Soir-17-3-1994.
France Arets contenant l’ensemble des procès-verbaux des réunions ainsi que des tracts édités.
67
PV de la réunion du 11 juillet 1994.
34 • L’ANTIFASCISME À LIÈGE L’ANTIFASCISME À LIÈGE • 35
Tout comme le conseil communal de Verviers qui l’avait fait le 27 juin mondes ». Or, cette dernière, dans la dynamique globale du succès de
1994, celui de Liège adopte un arrêté le 19 juillet interdisant « tout éta- l’altermondialisme au début des années 2000, regroupe l’ensemble du
blissement d’un groupement ou association de personnes prônant la monde associatif militant liégeois, rôle que ne peut (plus) revendiquer
discrimination raciale ou diffusant des thèses à caractère racial ou xé- le collectif. C’est également en septembre 2003 que Michèle Marteaux,
nophobe »68. La mobilisation continue, notamment par une lettre type qui assurait jusque-là le secrétariat72, succède à la présidence à
qui est proposée à toutes les associations du quartier d’Outremeuse à Jacques Yerna (décédé le mois précédent). Financièrement, le collectif
la veille des festivités du 15 août qui s’y déroulent et qui peuvent être n’aura jamais de moyens propres. Dans les faits, c’est le Rassemblement
explosives. liégeois pour la Paix qui paie les différents frais liés aux activités orga-
nisées. La présence aux réunions tournera autour d’une quinzaine de
En réalité, la réprobation est unanime, comme le démontre la plainte personnes. Le renouvellement sera compliqué, d’autant que le groupe
déposée par le Parti réformateur libéral (PRL) contre le mouvement fonctionne par cooptation.
Agir auprès de la députation permanente69. Finalement, c’est un incendie
qui mettra définitivement fin aux activités de ce local. Notons que l’année Au niveau de ses missions, le collectif estime que la lutte contre l’extrême
précédente, en 1993, un Collectif contre l’extrême droite est constitué droite ne doit pas se limiter à l’antiracisme mais qu’elle doit aussi veiller
à Verviers, regroupant une dizaine d’organisations afin également de à ne pas se dissoudre dans une lutte trop large contre l’exclusion73.
protester contre l’ouverture d’un local d’Agir dans cette ville70. Notez qu’il joue aussi le rôle d’« observateur vigilant » quant à l’activité
des élus d’extrême droite au sein des conseils communaux de la région
Au-delà de la mobilisation contre le local de la rue Surlet, le Collectif liégeoise et surtout au sein du conseil provincial (ainsi, il apportera son
d’Outremeuse contre l’extrême droite sera actif de 1994 à 2005. Aux soutien à Gérard Georges, alors président de ce conseil, attaqué en
origines, ce collectif (qui sera du début à la fin une association de faits) justice par Hubert Defourny)74. Pendant de nombreuses années, le Col-
organise des réunions tournantes en différents lieux du quartier d’Ou- lectif va vivre autour de l’organisation de deux événements liés à des
tremeuse. Il s’établit définitivement en septembre 1995 au Centre de dates symboliques : le 8 mai (marquant la victoire face au nazisme) et le
Recherche et de Rencontre (CRR)71 de la rue Puits-en-Sock. Les réunions 9 novembre, commémorant la nuit de Cristal (avec souvent une marche
y ont d’abord lieu tous les deux mois, avant de devenir mensuelles à aux flambeaux). Les personnes mobilisées y varieront de près de 800 à
partir de février 1995. À partir de ce moment, les rendez-vous sont une petite centaine, avec un constat récurrent que les associations
fixés chaque quatrième mercredi du mois. Il en sera ainsi jusqu’en sep- membres sont finalement peu présentes.
tembre 2003, où il est alors décidé de se réunir les troisièmes mercredis
72
du mois. Cette modification est due au fait que le quatrième mercredi Ce secrétariat était établi à son domicile, après avoir été au tout début hébergé place Sainte-
Véronique au siège du PS.
du mois est le jour de rassemblement choisi par la Coordination « Autres 73
PV du 25 janvier 1995.
74
H. Defourny accuse G. Georges d’abus de pouvoir et de dénis de démocratie, entre autres parce
68
Ibidem. qu’il a fait exclure un conseiller du REF lors d’une séance du conseil provincial de Liège, alors qu’il
69
Liaison antifasciste, bulletin bimestriel du Front AntiFasciste, no 27, octobre 1994, [p.2-3]. allait tenir des propos homophobes. Il lui reproche aussi de rejeter systématiquement ses propo-
70
L’antifach. Journal du front antifasciste de Liège, no 2, novembre 1993. Il s’agit d’un organe à sitions « au motif injustifié qu’elles ne seraient pas de compétences provinciales ». Sur ce procès
vocation plus large que le bulletin de liaison, qui n’est à destination que des membres. et sur un autre concernant le premier tract du collectif en 1994, les archives Jacques Yerna,
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Ce centre existe depuis 1979, il entend contribuer à l’avènement d’une société plus juste et plus conservées à l’IHOES, contiennent un gros dossier (dont quelques articles de presse). Voir aussi :
solidaire et il est reconnu en éducation permanente. Voir : https://crrliege.wordpress.com. Julien Dohet et Jérôme Jamin, La Belgique de Jacques Yerna, Bruxelles, Labor-IHOES, 2003.
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Le « “Mouvement autonome” (ou “mouvance autonome”) est une expression qui désigne un cou-
rant politique classé à l’extrême gauche et qui lutte pour l’autonomie du prolétariat par rapport
Manifestation du 29 mai 2019 dans les rues de Liège.
au capitalisme, par rapport à l’État, mais également par rapport aux partis et aux syndicats. Il se
Photographie © Krasnyi Collective / Fred Hérion. caractérise par le rejet des normes politiques dominantes et le refus de laisser d’autres penser et
décider à sa place. Comme les anarchistes, les autonomes prônent un “communisme immédiat”,
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« Qui était vraiment à la conférence avortée de Théo [sic] Francken à Verviers ? », article et photos c’est-à-dire sans phase de transition. » « Mouvement autonome », définition du Toupiedictionnaire :
publiés sur le blog Veille Antifa Liège, 23 février 2019, [En ligne] tinyurl.com/VA-Francken. le dictionnaire politique, [En ligne :] tinyurl.com/toupie-autonome.
L’information a été relayée par la page Facebook du Front AntiFasciste de Liège 2.0. 95
Voir notamment à ce propos : Julien Dohet, « L’ère du numérique sera-t-elle une ère pauvre en
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Pour être complet, signalons l’existence d’une page Facebook « Action antifasciste Liège », archive ? », Contemporanea, BVNG-ABHC, tome XXXVIII, année 2016, numéro 1, [En ligne]
essentiellement gérée par une seule personne. https://www.contemporanea.be/fr/article/aan-het-woord-dohet.
Puisse cette brochure participer, à son échelle, à cet enjeu fondamental Quelques références pour aller plus loin...
pour la défense de notre démocratie.
• Jacques Droz, Histoire de l'antifascisme en Europe (1923-1939),
Paris, La découverte, 2001 (réédition de 1985).
• Mark Bray, L’Antifascisme, son passé, son présent et son avenir,
Lux, 2018.
• Bernd Langer, Histoire du mouvement antifasciste allemand,
Libertalia, 2018.
Du CVIA au Front AntiFasciste 2.0 en passant par les JGS, l’USAF, les
« comités des travailleurs antifascistes » et le Collectif d’Outremeuse
contre l’extrême droite, cette brochure vous invite à parcourir une
lutte qui se renouvelle à chaque génération.
L’AUTEUR
Julien Dohet est licencié et agrégé en histoire de l’Université
de Liège. Secrétaire politique au SETCa Liège-Huy-Waremme,
il est également l’un des administrateurs de l’IHOES.
Ses études portent principalement sur le mouvement ouvrier
© Antonio Gomez Garcia.