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SECRÉTARIAT DE RÉDACTION

Institut d’histoire ouvrière, économique et sociale (IHOES)


Avenue Montesquieu 3, B-4101 Seraing
www.ihoes.be – [email protected]
Rédaction de l’étude : Julien Dohet (administrateur de l’IHOES),
avec la collaboration de Dawinka Laureys (IHOES)
Recherches archivistiques et documentaires : Christel Mawet (IHOES)
Sélection iconographique : Camille Baillargeon, Dawinka Laureys (IHOES)
Relecture : Ludo Bettens, Isabelle Skrzypczak et Lionel Vanvelthem (IHOES),
Loïc Decamp Ancia et Françoise Depaix
Mise à disposition d’archives complémentaires : France Arets

CRÉDITS ICONOGRAPHIQUES
ALPHAS - Atelier Liégeois pour la Promotion de l’Histoire et des Archives
Sociales (Liège) • Boos, Alain • Gomez Garcia, Antonio • IEV - Bibliothèque et
Archives de l’Institut Émile Vandervelde (Bruxelles) • IHOES - Institut
d’histoire ouvrière, économique et sociale (Seraing) • Krasnyi Collective /
Fred Hérion • Kroll, Pierre

MISE EN PAGE ET MAQUETTE DE COUVERTURE


Lionel Vanvelthem (IHOES)

IMPRESSION
AZ Print

PHOTO DE COUVERTURE
Manifestation du 29 mai 2019 dans les rues de Liège
© Krasnyi Collective / Fred Hérion

L’éditeur s’est efforcé d’appliquer les prescriptions légales concernant le


copyright. Quiconque se considérerait autorisé à faire valoir des droits est prié
de s’adresser à l’éditeur.
Cet ouvrage ne peut être reproduit, même partiellement, par quelque moyen
que ce soit, sans l’autorisation écrite de l’éditeur.

© 2019 • Institut d’histoire ouvrière, économique et sociale


ISBN 978-2-9600582-3-9
L
e présent texte a pour origine une intervention faite lors de l’as-
Manifestation du 29 mai 2019 dans les rues de Liège. semblée de lancement du « Front AntiFasciste Liège 2.0 »1 visant
Photographie © Krasnyi Collective / Fred Hérion. à montrer dans quelle continuité s’inscrivait l’émergence de cette
nouvelle initiative de 2019. Il est l’approfondissement d’une première
ébauche de l’histoire de l’antifascisme à Liège parue dans le numéro
89 de la revue Aide-mémoire de juillet-septembre 20192 et a pour am-
bition de retracer les différents moments où une résistance structurée
a existé contre les partis d’extrême droite et leurs idées et d’ainsi poser
les balises d’une première recherche rétrospective sur le sujet. En
guise d’avertissement, signalons que nous faisons le choix de nous pen-
cher sur la situation de la région liégeoise, sans nier que des mobilisa-
tions antifascistes ont eu lieu en d’autres endroits du pays. Une étude
complète reste à réaliser à ce niveau.

1
Par souci de clarté, précisons que l’auteur est militant antifasciste et qu’il a participé à la relance
d’un front antifasciste à Liège en 2019, dont la première assemblée a eu lieu le 30 janvier.
2
Julien Dohet, « Balises sur l’antifascisme à Liège dans l’entre-deux guerres » et « Les fronts anti-
fascistes à Liège après la guerre », Aide-mémoire [revue de l’ASBL Territoires de la Mémoire], no 89,
juillet-août-septembre 2019, p. 5-7, [En ligne] tinyurl.com/aidememoire89.

L’ANTIFASCISME À LIÈGE • 5
Cet antifascisme s’illustre notamment lors du 1er Mai 1926 à Liège4 par
la présence d’un groupe de travailleurs italiens portant une banderole
au message explicite :

« Travailleurs, en ce jour, saluons les héros de la cause proléta-


rienne. Lavigni et Matteotti[5], assassinés par les chemises noires.
Que le souvenir de la terreur de Turin et le carnage de Florence
puisse vous unir dans la lutte contre le fascisme assassin. Vive le
Premier Mai antifasciste.6
»
Mais cette lutte antifasciste n’est pas purement idéologique et ne s’ex-
prime pas uniquement via des slogans : elle est aussi physique, dans la
rue. C’est ainsi que le défilé du 1er Mai fut l’occasion d’une grande pre-
mière : la présence des Milices de défense ouvrière (MDO). Créées peu
avant, les MDO sont des formations à l’allure paramilitaire destinées à
défendre les meetings et manifestations du Parti ouvrier belge (POB),
Manifestation antifasciste des Jeunes Gardes socialistes à Liège, photo parue principalement contre la Légion nationale et d’autres groupes fascistes,
dans La Jeune Garde : revue mensuelle illustrée de la Fédération Nationale des mais aussi contre les communistes. Dissoutes par la loi du 29 juillet
Jeunes Gardes Socialistes, n° 9, septembre 1934, p. 3. Coll. IHOES (Seraing). 1934 sur l’interdiction des milices privées, les MDO furent intégrées au
sein des Jeunes Gardes socialistes (JGS)7. Ces dernières, fondées à
l’automne 1886, se caractériseront durant toute leur existence au sein
I. L’ANTIFASCISME À LIÈGE DANS du POB par une radicalité incarnée dans l’antimilitarisme, auquel l’an-
tifascisme viendra se greffer dans l’entre-deux-guerres8. Les JGS joue-
L’ENTRE-DEUX-GUERRES ront également un rôle important dans l’aide à l’Espagne républicaine
(voir infra).
Dès le début des années 1920, un antifascisme, au sens premier du 4
Voir : Julien Dohet, « “Qu’on réduise les dividendes et non les salaires”, l’un des slogans du 1er Mai
terme, se manifeste à Liège au sein de la communauté des migrant·es 1926 à l’écho contemporain », Analyse de l’IHOES, no 130, 25 septembre 2014, [En ligne]
italien·nes ayant fui le régime de Mussolini. La majorité de ces Italien·nes tinyurl.com/IHOES130.
5
Matteotti est un député socialiste dont l’assassinat à l’été 1924 (il est enlevé en juin mais son
sont antifascistes comme en témoignent plus de trente titres édités en
corps est retrouvé le 16 août) par des miliciens fascistes suscitera de nombreuses réactions. L’évé-
italien par et pour la communauté. La plupart sont de tendance nement est considéré comme un tournant important dans l’histoire du régime.
6
antifasciste comme Il Riscatto tiré à 3 000 exemplaires, chiffre important La Wallonie, lundi 3 mai 1926, p. 1, col. 3.
7
Sur ces dernières, voir le mémoire de Pierre Lemaire, Les milices de Défense ouvrière en Belgique
quand on sait que, femmes et enfants compris, il y a alors moins de francophone (1926-1934), ULg, 2007, cité dans l’article de Catherine Lanneau, « La Légion nationale
30 000 Italien·nes en Belgique3. face à la législation belge sur les milices privées (1933-1936) », Le phénomène ligueur en Europe
et aux Amériques, Metz, Presses Universitaires de Metz, 2011, p. 205-226.
3
Anne Morelli, « L’immigration italienne en Belgique avant 1946 », Siamo tutti neri ! Des hommes 8
Alain Colignon, « Les Jeunes Gardes socialistes, ou la quête du Graal révolutionnaire, 1930-1935 »,
contre du charbon, Seraing, IHOES, 1998, p. 16-25. Cahiers d’histoire du temps présent, no 8, 2000, p. 181-224.

6 • L’ANTIFASCISME À LIÈGE L’ANTIFASCISME À LIÈGE • 7


Au-delà de ces affirmations dans le cortège du 1er Mai, une opposition
concrète aux groupements fascistes a lieu lorsque quelques jours plus
tôt, le 25 avril, les communistes sabotent un meeting que la Légion na-
tionale9 a organisé au Cirque des Variétés, situé rue Longienne (au cen-
tre de Liège).

Début des années 1930, un autre 1er Mai, celui de 1933, sera le théâtre
d’une démonstration symbolique qui restera dans les annales. Les cor-
tèges socialistes et communistes font jonction devant le consulat du
Troisième Reich dont le drapeau à croix gammée est arraché de la fa-
çade. Julien Lahaut, nouveau député communiste, l’emportera avec lui
et le déploiera quelques jours plus tard à la tribune du Parlement en
clamant :

« Voilà le drapeau nazi qu’à Liège, ont arraché les ouvriers com-
munistes et socialistes unis. Quoi que vous fassiez, ils continue-
ront, dans le pays, la lutte contre les menées des traîtres et des
valets d’Hitler.10
»
L’année suivante, les événements en France vont donner du souffle et
Le fascisme c’est la guerre, affiche des Jeunes Gardes socialistes (JGS),
Liège, [1935-1936]. Coll. ALPHAS (Liège).

une nouvelle dimension à l’antifascisme. Le 6 février 1934, l’extrême


En réaction est créé, en mars 1934, le Comité de vigilance des intellec-
droite de l’époque décide de montrer sa force lors d’une manifestation
tuels antifascistes (CVIA)12. Ce comité est placé sous le patronage des
colossale regroupant de 30 à 50 000 personnes, dont près de 6 000
trois principales tendances de la gauche française de l’époque : les so-
participeront à la séquence la plus violente. Celle-ci se termine en effet
cialistes, les radicaux13 et les communistes. Le texte fondateur, qui est
par un affrontement sur le pont situé entre la place de la Concorde et le
un manifeste adressé aux travailleurs, reçoit un bon accueil et une
Palais Bourbon (nom du bâtiment abritant le Parlement). Cette mobili-
adhésion importante. Dans une de ses premières brochures, le comité
sation au caractère insurrectionnel, à laquelle se réfèrent d’ailleurs
exprime clairement son but :
encore aujourd’hui les récits de l’extrême droite11, marque profondé-
ment les esprits.
« [le CVIA] assume une double tâche : vigilance à l’égard du
fascisme, lutte intellectuelle contre la démagogie fasciste.14
»
9
Créée en 1922 comme association d’anciens combattants, la Légion nationale évoluera rapide-
12
ment vers la formation d’un parti politique se basant sur le modèle du parti fasciste de Mussolini. Nicole Racine-Furlaud, « Le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (1934-1939). An-
Voir : Julien Dohet, « Un résistant d’extrême droite », Aide-mémoire, no 67, janvier-mars 2014, p. 11. tifascisme et pacifisme », Le Mouvement social, no 101, octobre-décembre 1977, p. 87-113.
13
10
Jules Pirlot, Julien Lahaut vivant, Cuesmes, Éditions du Cerisier, 2010, p. 70. Parti fondé en 1901, républicain et laïque, il est devenu dans l’entre-deux-guerres le parti pivot
11
Voir notamment : Julien Dohet, « La cohérence d’un engagement », Aide-mémoire, no 40, avril- qui occupe une place centrale dans la vie politique de la IIIe République.
14
juin 2007. La jeunesse devant le fascisme, Paris, Comité d’action antifasciste et de vigilance, juin 1934, p. 1.

8 • L’ANTIFASCISME À LIÈGE L’ANTIFASCISME À LIÈGE • 9


Et de préciser plus loin : Cette brochure s’inscrit bien dans le cadre donné :

« non, les fascistes ne sont pas des révolutionnaires. Ce sont de


faux révoltés, des hommes de domination et de servitude. C’est
seulement dans les rangs de l’antifascisme que l’on trouve les
« Le comité de vigilance des intellectuels antifascistes, fidèle à son
programme, qui est de mettre à la disposition des travailleurs
manuels toutes les forces dont il dispose pour combattre avec
véritables insurgés, ceux qui sont résolus à ne jamais abdiquer, eux le fascisme et la guerre, n’a pas voulu faire œuvre de polé-
ceux qui dénoncent sans compromission les gouvernements miste. Instruit par les tragiques expériences de l’Étranger, il s’est
même de gauche, toujours si disposés à pactiser avec les forces efforcé de déceler dans le mouvement de Rex les caractères d’un
de la réaction.15
» fascisme naissant. Il met cette brochure à la disposition de tous,
persuadé que pour bien combattre un ennemi, il faut bien le
Le CVIA publiera un bimensuel (Vigilance) et de nombreuses brochures
(Les prétentions sociales du fascisme en juillet 1934 ; Les croix de feu.
Leur chef. Leur programme en 1935 ; La France en face du problème
connaître.18
»
Et ensuite de détailler, à l’aide de nombreuses citations, le programme
colonial et Non la guerre n’est pas fatale en 1936…). et les prises de position de Rex sur le racisme, les femmes, la guerre…

En Belgique, une section se constitue en juin 1935. Le CVIA « belge » Si des tensions apparaîtront entre les différentes composantes du CVIA
tient son premier congrès en octobre, en présence du dirigeant de l’or- dès 1936 autour de la liaison entre antifascisme et pacifisme dans un
ganisation-mère française, Paul Rivet. « Le cœur du CVIA bat à l’Univer- contexte international de plus en plus guerrier19 et si l’existence de ce
sité de Bruxelles, bastion de la bourgeoisie libérale, étroitement lié à la comité de vigilance prendra fin en 1939, il n’en apporte pas moins plu-
Franc-Maçonnerie. Celle-ci réunit par ailleurs des universitaires liégeois sieurs éléments-clés :
qui bâtissent leur CVIA à contre-courant d’une université où sévissent
1 Se rassembler au-delà des clivages et chercher à surpasser les
quelques beaux esprits ouvertement fascistes. »16 divergences, y compris stratégiques.
2 Réagir au danger d’une extrême droite offensive et en progression.
À Liège, c’est plus précisément la loge Hiram qui sera le moteur du
3 Témoigner d’une volonté de s’opposer à elle, tant intellectuellement
CVIA. Une brochure éditée dans cette ville en 1936 précise à cet égard :
que matériellement.

« Le CVIA n’est certes pas un groupe confessionnel. Les croyants,


jusqu’ici tout au moins, y sont en minorité. Pour la plupart, les
membres de notre association admettent et pratiquent la formule
4 Incarner un esprit antifasciste devant perdurer au-delà de sa propre
existence.

bien connue “la religion est une affaire privée”.17


» Bref, dans sa dimension rassembleuse, le CVIA est précurseur du Front
populaire et il s’inscrit dans la ligne de l’action antifasciste allemande
du début des années 1930 et dans la volonté de constituer un front uni
15
contre le nazisme.
Idem, p. 9.
16
José Gotovitch, « Histoire du Parti communiste de Belgique », Courrier hebdomadaire du CRISP,
1997/37, no 1582, Bruxelles, CRISP, p. 20. 18
Idem, p. 7.
17
Pourquoi nous combattons REX, [Liège], Comité de vigilance des travailleurs intellectuels contre 19
Certains considèrent que les pacifistes font le jeu des fascistes en refusant de s’opposer à la
la guerre et le fascisme, 1936, p. 25.
guerre.

10 • L’ANTIFASCISME À LIÈGE L’ANTIFASCISME À LIÈGE • 11


PAGE DE DROITE : couverture d’Antidote, organe hebdomadaire de défense
des libertés publiques, Liège, no 4, 1er octobre 1936. Coll. IHOES (Seraing).

En plus des publications du CVIA, un hebdomadaire, Antidote, organe


hebdomadaire de défense des libertés publiques, est lancé par « les
démocrates liégeois » en septembre 1936. Imprimé par La Wallonie, il
vise, par des articles au ton souvent ironique, à dénoncer les mensonges
des discours de Rex et à mobiliser contre ce parti.

Dès cette époque, l’antifascisme à Liège ne se limite pas à une simple


lutte idéologique à travers la diffusion de brochures et l’organisation
de conférences, mais revêt déjà un aspect plus concret. Ainsi, par exem-
ple, la dérouillée subie le 15 septembre 1936 par Léon Degrelle, chef de
Rex qui, par provocation, tenait à faire un meeting au cœur de la ville
ouvrière de Seraing. Le meeting ayant été interdit par le bourgmestre,
Degrelle loue un bateau-mouche pour remonter la Meuse et y haranguer
la foule. Massés sur les berges, les travailleurs bombardent l’embar-
cation, forçant le bateau à faire demi-tour vers le pont d’Ougrée où il
est à nouveau canardé. Outre le lancement de barres de fer, de briques,
de bouteilles, etc., des coups de feu sont même tirés, blessant trois
rexistes dont le chef de Rex à Liège, Gérard Willems. L’article du Peuple
qui relate les événements se termine par ces mots :

« Elles [les violences] sont intolérables dans un pays démocratique


comme le nôtre. Mais il faut bien dire aussi que les violences fré-
quentes des rexistes et les excitations constantes du sieur
Degrelle irritaient depuis longtemps la classe ouvrière et ne pou-
vaient manquer de provoquer, tôt ou tard, une réaction.20

Quinze jours plus tard, Degrelle parvient à tenir un meeting à Liège.


»
Afin d’éviter des affrontements inutiles, la Fédération générale des Syn-
dicats avait pris la décision d’organiser systématiquement une contre-

20
« Des coups de feu sont tirés sur un groupe Rexiste à Liège », Le Peuple, 16 septembre 1936,
p. 4.

12 • L’ANTIFASCISME À LIÈGE
manifestation, mais pas le même jour. C’est ainsi que le 11 octobre, une logistiques. D’août 1936 à mars 1939, plus de 200 sorties-collectes se-
concentration antifasciste rassemble entre 40 000 et 50 000 personnes. ront officiellement organisées dans l’arrondissement de Liège, aux-
Cette manifestation est l’occasion de mettre au pilon des centaines de quelles il faut ajouter les meetings, les sorties d’usines… de plus en plus
ballots d’exemplaires du « pourri réel »21 collectés depuis plusieurs se- organisés avec camions, sonos et brassards d’identification. Il arrive
maines. Le produit de cette vente de papier (qui sera revendu à des même que les encaissements financiers soient gérés par des délégués
chiffonniers) est destiné à financer la propagande antirexiste. Le meeting des administrations communales socialistes. Les Femmes prévoyantes
place Saint-Lambert est présidé par Joseph Bondas (dirigeant syndical socialistes (FPS) et la guilde des coopératrices organisent, en septembre
liégeois ayant dès ce moment un rôle national)22. 1936, une opération de confection de tricots pour les miliciens espa-
gnols. La laine est partiellement fournie par l’Union coopérative et on
La lutte antifasciste prend une nouvelle dimension durant la seconde organise des séances collectives dans les maisons du peuple. Début
moitié des années 1930 après le coup d’État militaire de Franco contre 1937, via l’Internationale ouvrière socialiste et la Fédération syndicale
la république espagnole. Rapidement, une solidarité internationale se internationale, une aide à la création d’un hôpital pour les miliciens ré-
met en place. Elle prendra plusieurs formes. Si la plus médiatique et publicains à Ontinyent s’ajoute au dispositif, et via le Service sanitaire
connue est le départ de volontaires au sein des Brigades Internatio- ouvrier international (Sersano), on envoie des médicaments mais aussi
nales23, des actions qui dépassent la « simple » conscientisation sur ce des voitures sanitaires. C’est ainsi que le 27 février 1937, la première
qui se passe en Espagne seront également menées en Belgique. Très voiture de ce type, achetée grâce à une souscription nationale des
vite, on assiste à la création de comités locaux d’aide à l’Espagne24. Jeunes Gardes socialistes, est présentée lors d’un rassemblement à
Ceux-ci organisent des manifestations et des collectes d’argent, de vê- Liège. D’autres suivront. Mais l’aspect le plus marquant, qui laissera
tements et de vivres qui sont envoyés aux Républicains25. La Fédération beaucoup de traces émotionnelles dans de nombreuses familles26, sera
générale des Syndicats de Liège (ancêtre de la FGTB) s’implique direc- l’accueil d’enfants de Républicains espagnols. Quelque 5 000 enfants
tement et collecte également des fonds via notamment l’édition de tim- seront accueillis dans des familles belges, souvent de la classe ouvrière
bres syndicaux spéciaux, tandis que les coopératives servent de points et de condition modeste. En région liégeoise, c’est via le centre coopératif
21
de Micheroux qu’ils arriveront en train. Leur accueil fut complexe, car
Cela désigne en réalité le périodique Le pays réel, le « quotidien de combat » de Rex qui reprend
là une distinction faite par Charles Maurras entre le « pays légal » et le « pays réel ». beaucoup avaient la gale, ce qui entraînait évidemment des complica-
22
« Quarante mille liégeois ont envoyé au pilon, hier matin, des dizaines de milliers de kilos de “pays tions sanitaires. Ces enfants, le régime franquiste les réclamera et ils
réel pour rien”. Les travailleurs confiants et dignes refusent la saleté rexiste. » Le Peuple, 12 octo-
repartiront à partir de la fin avril 1939.
bre 1936, p. 1.
23
Voir : Tant pis si la lutte est cruelle. Volontaires internationaux contre Franco, Paris, Syllepse,
2008, et plus particulièrement l’article de José Gotovitch aux pages 257-266, qui montre la com- L’antifascisme des années 1930 n’échappera évidemment pas aux dé-
posante très ouvrière et largement communiste des 2 400 brigadistes venant de Belgique. bats, tensions et concurrences entre les différentes tendances de la
24
Voir la brochure : Guerre civile d’Espagne. 1936-1939. La solidarité des socialistes (POB) lié-
geois : hébergement à Liège des enfants - Los niños de la guerra - des différentes régions d’Es-
gauche, particulièrement entre socialistes et communistes. Ceux-ci
pagne 1937-1939 arrivés à Micheroux, [Soumagne], 1999. oscilleront entre affrontement et alliance, comme avec la création à la
25
Par exemple, 3 camions avec 10 tonnes de vivres et de tissus partent de Seraing le 23 mars 1938,
rejoignent Liège puis Bruxelles pour former un convoi national ; le 8 mai 1938, ce sont 15 camions
qui sillonnent Seraing et récoltent 18 tonnes de vivres qui partent en chemin de fer vers Barcelone
26
Nous détaillerons un cas concret dans une prochaine analyse consacrée à Gisèle Paffen.
le 27 mai ; fin 1938, ce sera du charbon qui sera chargé…

14 • L’ANTIFASCISME À LIÈGE L’ANTIFASCISME À LIÈGE • 15


PAGE DE GAUCHE : un groupe de militants de l’Union socialiste antifasciste pose
devant un wagon de vivres à destination de l’Espagne républicaine. Photographie
vraisemblablement prise à Seraing le 27 mai 1938 (voir note 25, p. 14).
Coll. Institut Émile Vandervelde (Bruxelles).

II. L’ACTION ANTIFASCISTE DURANT


LA SECONDE GUERRE MONDIALE
Avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, l’antifascisme
prend évidemment une nouvelle dimension. Nombre de militant·es, iden-
Noël 1936 de la Jeune Garde socialiste unifiée regroupant socialistes tifié·es pour leurs activités antifascistes dans les années 1930, sont
et communistes (une histoire déjà étudiée et qui dépasse l’objet de la surveillé·es voire arrêté·es. Cela n’empêche pas certaines actions spec-
présente étude). Soulignons simplement que Liège était un des endroits taculaires d’être menées comme la manifestation organisée conjointe-
importants d’expérimentation d’un front populaire « à la belge »27. Une ment par la JGS et le PCB28, le 5 janvier 1941, contre le meeting que De-
autre trace témoigne de cette histoire qui fut bien plus complexe que sa grelle veut tenir au palais des Sports de Coronmeuse. Elle rassemble
linéarité ici décrite : il s’agit d’un tract édité le 1er Mai 1936 par l’Union 7 000 personnes ; la voiture de Degrelle est lapidée et celui-ci est obligé
socialiste antifasciste (USAF) dénonçant le fait que les instances du POB de fuir29. Des arrêts de travail sont observés dans les mines de la région
niaient son existence alors qu’elle était active depuis trois ans et qu’il liégeoise dès septembre 1940 et une première grève importante a lieu
lui semblait absolument nécessaire de fortifier le POB en accordant une fin janvier 1941. Mais c’est évidemment la grève des 100 000, du 8 au
place pour les combattants antifascistes au sein du parti. L’USAF, qui 17 mai 1941, qui marque l’apogée de ces luttes. Si la revendication est
reprenait la triple flèche de la JGS, sera également active dans l’aide à d’abord matérielle et liée à la sous-alimentation (comme dans d’autres
l’Espagne républicaine. Enfin, si à la base les choses n’étaient pas tou- régions du pays d’ailleurs), oser braver l’occupant de cette manière
jours simples, les aléas des structures nationales et internationales n’est évidemment pas anodin, d’autant que les mouvements clandestins
n’ont rien facilité : ainsi, pour les socialistes, la reconnaissance par de Résistance n’en sont encore qu’à leurs balbutiements30.
Paul-Henri Spaak – en tant que ministre des Affaires étrangères – du
28
Selon Milou Rikir du CArCoB, jusqu’en 1943, le parti communiste belge se nomme « Section belge
gouvernement franquiste avant la fin de la guerre civile alors qu’il est
de l’Internationale communiste » ou « Parti communiste SBIC ». Il naît en septembre 1921 de la fu-
toujours implanté à Burgos ; ou, pour les communistes, la signature du sion du Parti communiste belge, qui voit le jour fin mai 1921 à l’initiative des Amis de l’Exploité (Jo-
Pacte germano-soviétique. seph Jacquemotte), et du Parti communiste de Belgique, fondé en octobre 1920 à l’initiative de la
Fédération communiste de Wallonie (War Van Overstraeten).
27 29
Cela s’observe en particulier avec l’alliance des jeunes socialistes et des jeunes communistes : Jules Pirlot, Julien Lahaut vivant…, op. cit., p. 93.
30
la JGSU (pour Jeune Garde socialiste unifiée) était particulièrement active sur Liège. Rouge Métal…, op. cit., p. 102-108.

16 • L’ANTIFASCISME À LIÈGE L’ANTIFASCISME À LIÈGE • 17


D’autres grèves et actions syndicales marqueront la période d’occupa-
tion (novembre 1942, janvier-février 1943…), prouvant par là une
conscience et une force des travailleurs, qui s’expriment entre autres
à travers la reconstitution de l’organisation syndicale dans la clandes-
tinité autour des noyaux socialistes et communistes. Liège aura cette
particularité de voir se développer à l’initiative d’André Renard, qui avait
rejoint avant-guerre les Brigades internationales, une synthèse inédite,
qualifiée de « renardiste », au sein du Mouvement syndical unifié (MSU)31.

Plus largement, la région de Liège Ourthe-Amblève constitue un foyer III. L’ANTIFASCISME À LIÈGE
de résistance important32. Une résistance multiforme comprenant des
réseaux de renseignements, une large activité de presse clandestine33, DEPUIS LA GUERRE
des réseaux de solidarité (pour aider les militant·es passé·es dans la
clandestinité, mais aussi les Juifs, les aviateurs alliés…) et évidemment A. Près de trente ans d’accalmie ?
l’action armée via de nombreuses unités dont les Partisans armés. Cette
résistance, de par ses multiples formes et son envergure, explique que La question d’intégrer à la lutte antifasciste le mouvement de la grève
c’est à Liège, sur le boulevard d’Avroy, que fut installé le monument na- de l’été 1950 contre le retour du Roi Léopold III et l’ensemble de la
tional à la Résistance. question royale, si elle mérite d’être posée, nous semble sortir du cadre
de la présente étude. L’assassinat du député communiste Julien Lahaut,
au paroxysme de cette séquence, étant aujourd’hui clairement attribué
à un groupement anticommuniste d’extrême droite34, aura son impor-
tance dans l’histoire de la reconstitution des partis d’extrême droite,
tout comme la renaissance de liaisons entre anciens collaborateurs
dans le contexte des luttes de décolonisation. Mais ces partis restent
totalement groupusculaires et ne reviendront en Belgique sur le devant
de la scène que dans le milieu des années 1970. Notons néanmoins que
l’après-Mai 1968 est une période de renaissance de quelques groupes
fascistes sous de nombreux noms, dont le Front de la Jeunesse35 (qui
sera central dans la création, en 1985, du Front National belge par
31
Sur tous ces aspects, voir : Pierre Tilly, André Renard, Bruxelles, FAR-Le Cri, 2005.
32
Hors du pays l’occupant. Sur la résistance au fascisme 1940-1945. Le Front de l’Indépendance
Daniel Féret).
dans la région de Liège Ourthe/Amblève, Seraing, IHOES, 1993.
33
Micheline Zanatta, Jeanne-Marie Noiroux, Lily Rochette-Russe, sous la direction de Michel 34
Emmanuel Gérard, Widukind de Ridder, Françoise Muller, Qui a tué Julien Lahaut ? Les ombres
Hannotte, La presse clandestins de Seraing 1940-1944, Cuesmes, Éditions du Cerisier, 2006. Voir de la guerre froide en Belgique, Waterloo, CEGES-Renaissance du Livre, 2015.
aussi en complément : Ludo Bettens, « Contribution à l’étude de la presse clandestine dans la région 35
Philippe Brewaeys, Véra Dahaut et Anaïs Tolbiac, « L’extrême droite francophone face aux élec-
de Huy-Waremme », Analyse de l’IHOES, no 8, 6 novembre 2006, [En ligne] tinyurl.com/IHOES8. tions », Courrier hebdomadaire du CRISP, no 1350, Bruxelles, CRISP, 1992, p. 5-6.

18 • L’ANTIFASCISME À LIÈGE L’ANTIFASCISME À LIÈGE • 19


Le jeudi 12 juin 1969, un meeting rassemble 400 personnes au théâtre
Le Trocadero à Liège, sous la présidence de Jean Gayetot (FGTB) et
René Desamore (CSC). Il a été précédé d’une manifestation dans les
rues de la ville. Cette action est « la première manifestation anti-fasciste
organisée par le Front Commun syndical et regroupant Grecs, Espagnols
et Portugais »36. Ceci permet de souligner combien la lutte antifasciste
est alors surtout le fait des immigré·es, regroupé·es au sein de « comités
des travailleurs antifascistes » issus des pays toujours sous une
dictature d’extrême droite. Liège sera aussi une terre d’accueil pour
les militant·es chilien·nes fuyant leur pays après le coup d’État d’extrême
droite de Pinochet, soutenu par les États-Unis, contre le gouvernement
démocratiquement élu de Salvador Allende (11 septembre 1973).

B. Réemploi du terme « antifasciste »


au milieu des années 1970
Il faut cependant attendre le milieu des années 1970 pour retrouver la
première trace d’une structure liégeoise d’après-guerre se qualifiant
clairement d’antifasciste. Il s’agit du « Front antifasciste et démocratique
de Liège » dont le premier numéro de son mensuel, Lutte démocratique,
est daté d’octobre 1975. Ce front se forme pour réagir à l’ouverture, à
Liège, d’un local du Mouvement social italien (MSI), créé pour succéder
au parti fasciste interdit37. Celui-ci se situe au 125, rue de Serbie. Le
1er Mai 1975, 300 personnes manifestent et poussent le bourgmestre
de l’époque (le socialiste Charles Bailly) à fermer le local provisoirement.
36
Courrier 6905/JG.NL signé Jean Gayetot, secrétaire régional, du 2 juin 1969 « aux secrétaires
de secteur “CGSP” ». Tous les éléments sur cette manifestation proviennent du dossier « Comité
antifasciste » (réf. H1/023) des archives André Beauvois conservées à l’IHOES. Ce dossier contient
également un document de janvier 1981 d’un « groupe d’intervention anti-fasciste » basé à
Bruxelles appelant à boycotter la publication Le Moniteur de l’Indépendant, organe du « syndicat
des indépendants et artisans », qualifié de « poujadiste » et qui émanerait du Front de la Jeunesse.
37
Le MSI est créé dès décembre 1946. Cette date relativise la fin du fascisme en Europe avec la
victoire des Alliés en 1945. Son symbole était une flamme tricolore qui servira de modèle au FN de
Jean-Marie Le Pen. Ce parti se scindera en 1995 entre une aile « modérée », l’Alliance Nationale,
qui entrera au gouvernement italien en 2001, et une aile radicale minoritaire, le Mouvement So-
cial-Flamme tricolore.

20 • L’ANTIFASCISME À LIÈGE
PAGE PRÉCÉDENTE : « Portugal, Espagne, Grèce », affiche éditée à l’initiative de la FGTB et
de la CSC, Liège, [1969]. Fonds André Beauvois, dossier H1/023. Coll. IHOES (Seraing).
C. Face au retour de l’extrême droite
Aujourd’hui encore, à Liège, la résistance à Franco continue de faire l’objet de depuis les années 1990
commémorations. À ce sujet, voir notamment : Maite Molina Mármol, « Le patrimoine
au prisme de l’immigration : le cas de la présence espagnole en Belgique », « Après le “dimanche noir” de 1991, plus de 200 000 personnes défilent
Analyse de l’IHOES, no 141, 6 juillet 2015, [En ligne] tinyurl.com/IHOES141.
dans les rues de Bruxelles contre l’extrême droite et le racisme. »41 Les
élections législatives du 25 novembre 1991 voient en effet une première
La liste des organisations mentionnées comme soutenant le front n’est
percée du Vlaams Blok avec l’obtention de 12 sièges et d’un élu du côté
pas inintéressante car, bien que clairement située politiquement, elle
francophone via le FN. Les années 1990 sont aussi marquées par la
couvre un champ assez large :
présence de l’extrême droite dans plusieurs conseils communaux42, no-

« Groupement progressiste de Mons-Lez-Liège[38], Rassemblement


des progressistes d’Angleur, Comité de réintégration des 7 délégués
de Cockerill, Bureau CGSP-RTB Liège, Groupe politique des travail-
tamment en région liégeoise, et au conseil provincial. Plusieurs mobili-
sations auront lieu, comme par exemple le 2 janvier 1995 devant l’hôtel
de ville de Liège à l’occasion de l’installation des nouveaux mandataires
leurs chrétiens, Mouvement chrétien pour la paix, Union générale communaux, dont huit représentants de l’extrême droite43.
des étudiants de l’université de Liège, Comité antifasciste de Huy,
Mouvement pour l’autogestion socialiste, Groupement anarchiste C’est dans ce contexte particulier que plusieurs collectifs vont voir le
Provo, Lutte communiste, Parole au Peuple, Ligue révolutionnaire jour et que des associations instituées vont prendre position au cœur
des Travailleurs, Union des Communistes marxistes léninistes de
du combat antifasciste. C’est particulièrement vrai à Liège et dans sa
Belgique, [ainsi que] des militants antifascistes, des délégués syn-
dicaux FGTB [ou] CSC, d’anciens maquisards partisans italiens.39

Fin 1979 à La Roche, une mobilisation contre la présence de groupes


» région, comme nous le détaillerons ci-après.

Au préalable, au niveau global, signalons que le 13 avril 1993 est mis


en place un Front anti-fasciste de Belgique composé des fronts anti-
paramilitaires se fait à l’appel des « associations patriotiques », déno-
fascistes (FAF) d’Anvers, de Bruxelles, de Louvain, de Gand et de Liège.
mination qui désigne significativement à l’époque les groupes
Ceux de Charleroi et Verviers le rejoindront ensuite.
d’ancien·nes Résistant·es (et non des groupes d’extrême droite), dont le
Front de l’Indépendance (présidé par le dirigeant communiste Théo De-
jace). Durant la même période, des métallurgistes verviétois et des « pa-
triotes de Pépinster » montent la garde au château de Franchimont
41
« pour empêcher que les fascistes puissent mettre à exécution leur me- Manuel Abramowicz, « Plus de vingt-cinq ans d’extrême droite et de résistance(s) », Aide-mé-
moire, no 87, janvier-février-mars 2019, [En ligne] tinyurl.com/AM87HD.
nace de rassemblement au château », et ce, « malgré l’arrêté d’inter- 42
Suite aux élections communales d’octobre 1994, le Front national est présent dans trente-six
diction pris par le bourgmestre »40. communes (contre quatre en 1988). Il obtient vingt-six élus en région wallonne, dont six dans qua-
tre communes liégeoises (Liège, Verviers, Seraing, Dison). Quant à Agir, son implantation reste lar-
38
gement liégeoise. Il obtient huit élus, dont deux à Liège et un à Mouscron, Herstal, Dison, Oupeye,
Mons-Lez-Liège est la commune de la personne de contact du front, Pierre Petit.
39
Seraing et Verviers. Voir : Évelyne Lentzen et Xavier Mabille, « Les résultats des élections commu-
Lutte démocratique. Mensuel du front antifasciste et démocratique de Liège, no 1, 10 octobre
nales du 9 octobre 1994 (I) », Courrier hebdomadaire du CRISP, 1994/32-33, no 1457-1458,
1975.
40
[En ligne] tinyurl.com/CRISP1457.
Lettre de Théo Dejace datée du 21 octobre 1979 à Jacques Yerna, secrétaire régional de la FGTB. 43
Voir note précédente.
Archives Jacques Yerna, carton « extrême droite 2/2 Action ». Coll. IHOES (Seraing).

22 • L’ANTIFASCISME À LIÈGE L’ANTIFASCISME À LIÈGE • 23


Plus tard, via une réunion le 25 avril 1996 au foyer
culturel de Ganshoren, une coordination sera re-
tentée sous le nom de « Coordination antifas-
ciste de Belgique » qui, malgré son nom, ne
couvrait que la partie francophone du pays
(son sous-titre était d’ailleurs Fédération
francophone des fronts de lutte contre
l’extrême droite), mais qui avait des liens
avec des organisations flamandes. Il
existe par ailleurs à cette époque une
« interrégionale du front antifas-
ciste » et une tentative d’associer
celle-ci et la Coordination. À noter
que la situation est compliquée,
notamment à Bruxelles où coexistent deux fronts antifascistes qui sont
en désaccord sur la tactique de la lutte antifasciste (front large ou pas).

• LE FRONT ANTIFASCISTE (FAF)

À Liège, un Front AntiFasciste (FAF) est déjà créé fin 1991-début 1992.
Un groupe permanent décide de s’organiser pour contrer les fascistes,
estimant insuffisantes les réactions individuelles d’arrachage d’affiches
de partis d’extrême droite. « Contrairement à l’AFF [Anti-Fascistisch
Front] d’Anvers, qui s’était constitué sur base d’adhésion d’organisations,
Liège a opté pour un Front d’individus. L’idée d’un FAF est née d’une ac-
tion organisée par le PTB [Parti du Travail de Belgique] : un barrage
d’un meeting fasciste en Outre-Meuse. Il s’agissait de ne pas laisser
l’initiative antifasciste au seul PTB, mais de créer des structures plus
larges. Le premier acte de structuration du FAF a été la rédaction d’un
Tract « Front AntiFasciste [national] : informez-vous… Rejoignez-nous », Anvers, s.d. communiqué de presse appelant à une mobilisation la veille des élec-
Dossier « Tracts Antifascisme », I/S01/D4. Coll. IHOES (Seraing). tions. La médiatisation a ainsi créé une base militante. »44
PAGE DE DROITE : autocollant de la Coordination antifasciste de Belgique (CAF)
avec la mention « Nous sommes partout ! », Saint-Gilles, s.d.
44
Fonds Jacques Yerna. Coll. IHOES (Seraing). Note intitulée « Bilan de fonctionnement de l’exécutif », contenant un historique préparatoire à
l’AG du 3 avril 1997 relançant le FAF. Archives personnelles de France Arets.

24 • L’ANTIFASCISME À LIÈGE L’ANTIFASCISME À LIÈGE • 25


Dès le départ, on assiste à deux débats concernant l’utilisation de la tout en dénonçant les dérives racistes, sécuritaires et autoritaires au
croix gammée dans son logo, mais surtout autour de l’élargissement le sein des partis et organisations traditionnels, mais également de l’État
plus large possible des enjeux d’engagement du front. L’une des sources lui-même. Le FAF souhaite donc déployer plusieurs modes opératoires,
de désaccord porte sur la nécessité ou non de lier l’antifascisme à la parmi lesquels on peut encore ajouter la volonté de « promouvoir, dans
défense des droits des étrangers (passant par celle du droit d’asile et les mouvements de travailleurs, les organisations de jeunes et d’immi-
celle du droit de vote des immigrés, y compris des sans-papiers)45. Le grés et les associations démocratiques et antiracistes, une dynamique
Front se réunissait dans les locaux de l’ASBL Carlo Levi, au début de la porteuse de propositions propres à résoudre les problèmes sociaux,
rue Saint-Léonard. Le tract de présentation explicite bien sa ligne poli- économiques et politiques qui nourrissent l’essor des groupes et des
tique : idées fascistes »48.

« [le FAF] est un front de militants individuels, soutenu par des or-
ganisations[,] et a pour but de combattre sur tous les terrains la
montée des organisations et des idées fascistes en stimulant une
Dans son éditorial « Contre la démagogie, faisons front » publié dans le
deuxième numéro de son bulletin de liaison, le FAF précise ceci : « Nous
ne prétendons pas détenir la vérité absolue ni encore moins avoir le
mobilisation de masse contre le retour de la peste brune.46

Le Front entend combattre la propagande raciste et fasciste, mais aussi


» monopole de la lutte anti-fasciste ». Il constate que le mouvement contre
l’extrême droite et contre le racisme englobe d’importants secteurs de
la société et s’avère pluraliste. Cette diversité des combattants étant
l’atteinte au droit d’asile, tout en revendiquant l’égalité de droits entre
établie, il précise : « Nous souhaitons engager avec d’autres un profond
Belges et immigré·es et en se positionnant « pour la défense des droits
débat sur ce thème ». Et il conclut :
démocratiques et syndicaux », dans une logique de « lutte pour la justice
sociale »47.

Le combat sera donc mené sous plusieurs angles complémentaires : en


« Pour faire barrage à l’extrême droite, il faut que dans les faits se
constitue un large front qui regroupe toutes les forces démocra-
tiques opposées à l’extrême droite y compris les mouvements as-
faisant disparaître des murs les affiches des partis d’extrême droite ; sociatifs et socio-culturels mais aussi tous les citoyens conscients
en empêchant la tenue de leurs réunions publiques ou de toute mani-
festation raciste ; en informant, le plus largement possible, sur la nature
réelle des partis d’extrême droite et des organisations qu’ils contrôlent ;
de leurs responsabilités dans cette lutte […].49

Comme en 1975 pour le Front antifasciste et démocratique de Liège, le


»
en démontant systématiquement leurs « arguments » ; en appelant à la FAF se constitue entre autres pour réagir à l’annonce de réunions pu-
défense des réunions « des associations immigrées et démocratiques » ; bliques de l’extrême droite. En effet, celle-ci tente à plusieurs reprises
d’organiser des meetings au Palais des Congrès. Le premier devait se
tenir le 25 mars 1992 à l’initiative du groupe Agir avec le groupe para-
45
militaire L’Assaut pour en assurer le service d’ordre50.
Ibidem.
46
Tract au format A4 intitulé « FRONT ANTIFASCISTE. Qui sommes-nous ? Que voulons-nous ? »,
dossier « Antifascisme I/S01/04 ». Coll. IHOES (Seraing). On y apprend également que ce front dif-
48
fuse la revue Résistances ainsi que les pin’s « triangle rouge », et qu’il est membre de la Coordina- Ibidem.
49
tion antifasciste de Belgique. Liaison antifasciste, bulletin bimestriel du Front AntiFasciste, no 2, février 1992, p. 2.
50
47
Ibidem. Liaison antifasciste, bulletin bimestriel du Front AntiFasciste, no 4, 31 mars 1992, [p. 2].

26 • L’ANTIFASCISME À LIÈGE L’ANTIFASCISME À LIÈGE • 27


PAGE DE DROITE : affiche appelant à manifester le 22 mars 1992 à Bruxelles :
C’est à la misère qu’il faut s’attaquer pas aux immigré(e)s, éditée par
le mensuel Alternative libertaire, Bruxelles, [1992]. Coll. IHOES (Seraing).

Le deuxième devait se dérouler le 12 décembre de la même année à


l’initiative du Front National-Belgique et devait avoir une dimension in-
ternationale51. Meetings qui ne se tiendront pas, grâce à la mobilisation.
L’autre grande raison de la fondation du FAF tient à la volonté de ras-
sembler les « forces vives » pour la manifestation contre le racisme or-
ganisée le 22 mars 1992 à Bruxelles, qui remportera un grand succès.

Durant ce début des années 1990, il est notable que le mot d’ordre
d’une des manifestations organisées par le Front AntiFasciste était :
« Pas de racisme, pas de fascisme, des emplois ! »52 Et qu’il proclamait
clairement que « [l’]antifascisme, ce n’est pas seulement empêcher les
fascistes et leurs organisations de manifester, c’est aussi lutter contre
les causes du fascisme, à savoir les exclusions sociales »53.

Au milieu des années 1990, dans le contexte de la construction du


centre fermé de Vottem, le FAF organise une action contre un meeting
du mouvement d’extrême droite REF (pour « Référendum »54, groupe
dissident d’Agir, fondé et présidé par Hubert Defourny55), de plus en
plus présent dans l’espace public.

51
En effet, étaient conviés : le Front National (France), le MSI (Italie), le Parti Nationaliste (Écosse),
le Parti Populaire (Autriche), le Front National (pour l’Espagne) et Comice (pour le Luxembourg).
Voir le feuillet indépendant intitulé « Appel contre le meeting du Front National à Liège le 12-12-
92 », inséré dans : Liaison antifasciste, bulletin bimestriel du Front AntiFasciste, no 11, décembre
1992.
52
Liaison antifasciste, bulletin mensuel du Front AntiFasciste, no 17, juin 1993, [p. 2-3].
53
Liaison antifasciste, bulletin mensuel du Front AntiFasciste, no 19, septembre 1993, [p. 3].
54
Le REF est aussi parfois qualifié de mouvement « de discrimination et de ségrégation raciale ».
Voir : « Condamné pour racisme à Liège Hubert Defourny plaide l’acquittement en appel », Le Soir,
21 septembre 1999, [En ligne] tinyurl.com/LeSoir-Defourny.
55
Le guide indispensable des antifascistes : dictionnaire de l’extrême droite francophone, [En ligne]
www.resistances.be/r0201.html.

28 • L’ANTIFASCISME À LIÈGE L’ANTIFASCISME À LIÈGE • 29


Le Front reprécise, dans son bulletin d’avril 1996, tant sa « plate-
forme »56 que ses statuts57. En matière de modes d’action, il entend
relier le volet information/conscientisation, qui ne se limite pas au dé-
cryptage des messages des partis d’extrême droite mais vise aussi à
« dénoncer les dérives racistes et sécuritaires au sein des partis tradi-
tionnels et de l’État », avec un volet plus activiste visant à « empêcher
les fascistes de répandre leur propagande haineuse en faisant dispa-
raître des murs leurs affiches, en empêchant la tenue de leurs réunions
publiques et de toute manifestation raciste et en appelant à la défense
des réunions des associations d’immigrés et démocratiques ». Enfin, il
souhaite déployer un troisième volet en cherchant à promouvoir « une
dynamique porteuse de proposi-
tions propres à résoudre les pro-
blèmes sociaux, économiques et
politiques qui nourrissent l’essor
des groupes et des idées fas-
cistes ». Justice sociale, égalité et
solidarité avec les immigrés sont donc
au cœur de la lutte antifasciste. Les
statuts nous apprennent qu’une cotisa-
tion existe pour être membre, en plus de
l’adhésion à la plate-forme, et que si l’As-
semblée générale débat et décide de
nombreuses choses, c’est un comité exé- Logo du Front AntiFasciste,
cutif qui dirige effectivement le Front. Un figurant sur chacun de ses
bulletins de liaison, dont
an plus tard, en 1997, un appel est lancé
plusieurs exemplaires sont
pour redynamiser le Front AntiFasciste conservés à l’IHOES.
car « [il] est temps de sortir de nos petits
Le 24 octobre 1993 à Bruxelles, le FAF de Liège organise un groupe
souliers et de relancer un mouvement an-
pour défiler au cœur de la manifestation ayant pour mots d’ordre :
« Marche des jeunes. Pas de racisme. Pas de fascisme. Des emplois », tifasciste conséquent »58.
comme en témoigne ce feuillet inséré dans Liaison antifasciste,
bulletin mensuel du Front AntiFasciste, no 18, septembre 93.
56
« La plate-forme » est le texte politique qui décrit les buts et la vision du groupe.
Coll. IHOES (Seraing). 57
Liaison antifasciste, bulletin mensuel du Front AntiFasciste, no 32, avril 1996, [p. 2-3].
58
Bulletin de liaison du FAF : nouvelle série, no 1, avril-mai-juin 1997, [p. 3].

30 • L’ANTIFASCISME À LIÈGE L’ANTIFASCISME À LIÈGE • 31


En 1996, plusieurs actions sont menées contre la présence dans le Les groupes sont définis de la manière suivante :

«
quartier des Vennes d’un local accueillant des réunions de groupes
le groupe de renseignement […] constitue la banque de données
d’extrême droite (REF, FNB pour Front nouveau de Belgique et le grou-
du FAF-Liège. Il est en rapport avec ses équivalents aux niveaux
puscule néonazi L’Assaut). Fin mars, 80 membres du FAF et des habi-
belges et européens et agit en interface avec eux. Son objet prin-
tant·es du quartier empêchent un meeting du FN de s’y tenir. Le 9 no-
cipal est d’établir le cadastre des forces et activités de l’extrême
vembre, la traditionnelle concentration part du monument de la droite en région liégeoise en recueillant le plus d’informations, y
Résistance pour se rendre devant ce local qui continue, l’année suivante, compris très techniques, sur les partis et mouvements d’extrême
à accueillir des réunions liées au mouvement Skinhead. Toujours en droite et leurs diverses nébuleuses, ainsi que des renseignements
1996, le FAF réussit à faire échouer l’organisation de « la nuit la plus précis et réactualisés en permanence sur les élus et les militants
courte » à Vielsam le 22 juin, à l’occasion du solstice d’été, dans une des partis, mouvements ou groupes de choc de l’ED [extrême
base d’entraînement paramilitaire possédée par un ancien de la Hitler droite]. [Tandis que le groupe Sécurité doit] organiser le service
Jugend passé par Agir. En juillet, un tract est diffusé dans cette com- d’ordre dans les manifestations et contre-manifestations orga-
nisées par le FAF [mais aussi] mener une réflexion de fond sur

»
mune. C’est aussi en 1996 qu’à notre connaissance, a lieu la seule at-
tout ce qui concerne la sécurité.
taque d’un lieu associatif progressiste à Liège par l’extrême droite. Dans
la nuit du 4 au 5 septembre 1996, la Casa Nicaragua est incendiée et
Enfin au sein de ce groupe, on prévoit une personne de contact avec la
des croix gammées sont peintes dans le quartier de Pierreuse.
police, qui soit aussi en lien avec un homologue du groupe de rensei-
gnement59. Mais dès l’AG suivante, qui se tient dans les locaux de l’as-
Malgré ces différentes activités, la survie du Front AntiFasciste à la fin
sociation Barricade, un constat doit être dressé : les groupes ne fonc-
des années 1990 est loin d’être garantie. Les AG des 3 et 28 avril ainsi
tionnent pas, faute de candidat·es. Du débat émerge malgré tout le fait
que celle du 17 juin 1997, destinées à le relancer, démontrent que les
que « la spécificité du FAF est de réagir régulièrement face à l’existence,
difficultés sont tangibles et la force militante réduite. L’ambition de
aux initiatives publiques de l’extrême droite, à sa propagande, et d’en-
mieux se structurer est réelle, comme en témoignent notamment l’éla-
traver ainsi son développement »60. Cette spécificité est à nouveau réaf-
boration de statuts, la mise sur pied d’instances et le fait de demander
firmée lorsque, après plus d’un an sans réunion, une nouvelle assemblée
des cotisations aux membres. De plus, l’instauration de deux groupes
générale se réunit :
est envisagée par l’article 3 des statuts :

« l’Assemblée générale statutaire désigne parmi ses membres


« un des objectifs du FAF – qui lui est spécifique – est d’arriver à in-
terdire toute forme d’expression des partis fascistes en utilisant

»
candidats les membres du groupe Renseignement et les membres
les lois et conventions antiracistes.
du groupe Sécurité. Ces deux groupes revêtant beaucoup
d’importance, les membres devront y être élus par au moins 66%
des membres du FAF présents lors de l’Assemblée générale
statutaire.
»
59
Statut du FAF validé par l’AG du 17 juin 1997, Archives personnelles de France Arets.
60
PV de l’AG du FAF du 1er octobre 1997, Archives personnelles de France Arets.

32 • L’ANTIFASCISME À LIÈGE L’ANTIFASCISME À LIÈGE • 33


Cette AG est par ailleurs l’occasion d’un débat sur l’« image du FAF, qui La liste des premiers signataires montre toute la diversité qui y était
apparaît à certaines personnes comme une “milice privée” » et la né- rassemblée : mouvements politiques et syndicaux, monde associatif et
cessité de modifier certains comportements si on veut élargir la base61. culturel, chrétiens et laïques, etc.64

Le 13 mars 1999, la mobilisation de 300 personnes et l’interdiction de Lancée à la suite d’un appel de plusieurs personnalités qui soulignent
manifester prise par le bourgmestre empêchent REF de s’attaquer aux que « l’ouverture d’un local fasciste est une première, non seulement
sans-papiers installés au Jardin botanique. Début mai 1999, dans le pour le quartier d’Outremeuse mais aussi pour la ville de Liège », le
cadre de la campagne électorale, le FAF organise un grand nettoyage collectif se réunit pour la première fois le 16 mars au café-restaurant
des inscriptions que l’extrême droite, principalement REF, a laissées « Tchantchès » (rue Grande Bèche). Quatre décisions sont prises :
sur les berges de la Meuse. L’opération est couverte par la presse et
1° concevoir une campagne d’information/sensibilisation via un tract ;
est une réussite. Après des élections qui voient un effondrement de
2° organiser une manifestation ;
l’extrême droite, le Front dénonce le crime à l’encontre d’Elie Fares,
3° interpeller les autorités communales et inciter un maximum d’as-
agressé avec deux autres jeunes, dans la nuit du 13 au 14 août 1999,
sociations à le faire ;
rue Saint-Gilles par quatre skinheads gravitant autour d’Agir et de REF.
4° examiner les voies juridiques avec la Ligue des Droits de l’Homme
Fares décède le 1er septembre et un rassemblement qui regroupe 300
pour faire fermer ce lieu de rassemblement.65
personnes est organisé le 8 octobre place Saint-Lambert pour dénoncer
ce crime raciste. Dès le 7 mai 1994, la manifestation contre la présence du local a lieu et
parvient à mobiliser 1 000 personnes dans les rues de Liège66. Le 11
En dépit de ses actions, le FAF perd de la vigueur : il est vrai que la pré-
juin, une fête rassemble 600 personnes. Les différentes activités per-
sence aux assemblées générales descend en deçà des 10 personnes et
mettent de déposer une pétition de 10 000 signatures au bourgmestre
qu’en 2000 il ne compte plus que 36 membres cotisants62.
le 5 juillet. Lors de cette rencontre, celui-ci signale qu’il refusera le
permis de bâtir et prendra un arrêté d’interdiction d’utilisation du rez-
• LE COLLECTIF D’OUTREMEUSE CONTRE L’EXTRÊME DROITE
de-chaussée de l’immeuble pour des raisons de sécurité67.
À côté du FAF, un autre collectif voit le jour en 1994. Cette année-là, 64
Les premiers signataires qui convient à se réunir pour la première fois le 16 mars 1994 sont :
c’est la mobilisation contre l’ouverture du local du groupe d’extrême « André Beauvois, secrétaire de la C.G.S.P., Jean-Paul Brillmaker, Président de la section de Liège
de la Ligue des droits de l’homme, Marc Dehin, secrétaire de la section Liège-Ville du PS, Irène De-
droite Agir rue Surlet (près du Musée Tchantchès en Outremeuse) qui voghel, Alberto Gabbiadini, Roberto Giarrocco, président du PAC d’Outremeuse, Guy Moreau, Éche-
donne naissance au « Collectif d’Outremeuse contre l’extrême droite »63. vin de Liège, Dominique Pirson, membre du Front antifasciste, Jean-Marie Schreuer, secrétaire du
M.O.C., Alphonse Wilslez, secrétaire fédéral de la C.S.C., Jacques Yerna, Président de l’U.S.C. de
Liège, Jean-Luc Rongé du Cirque Divers, Jean-Louis Collinet, Directeur du théâtre de la Place, Luc
Borlée, Directeur du Centre de promotion sociale pour éducateurs ». Appel à participation à la réu-
nion du 16 mars 1994, Archives personnelles de France Arets.
65
PV de la réunion du 16 mars 1994, Archives personnelles de France Arets.
66
61 SONUMA. Les archives audiovisuelles [de la RTBF], Paul Galopin (journaliste), « Liège : manifes-
PV de l’AG du FAF du 26 novembre 1998, Archives personnelles de France Arets.
62 tation anti-fasciste », Bulletin d’information, 7 mai 1994, [En ligne] tinyurl.com/SONUMA-7-5-1994
PV de l’AG du FAF du 21 mars 2000, Archives personnelles de France Arets.
63 et Daniel Conraads, « Le front antifasciste de Liège s’alarme, un local pour l’extrême droite en Ou-
Nous retraçons brièvement ci-dessous un historique de ce collectif sur base des archives de
tremeuse ? », 17 mars 1994, [En ligne] tinyurl.com/Soir-17-3-1994.
France Arets contenant l’ensemble des procès-verbaux des réunions ainsi que des tracts édités.
67
PV de la réunion du 11 juillet 1994.
34 • L’ANTIFASCISME À LIÈGE L’ANTIFASCISME À LIÈGE • 35
Tout comme le conseil communal de Verviers qui l’avait fait le 27 juin mondes ». Or, cette dernière, dans la dynamique globale du succès de
1994, celui de Liège adopte un arrêté le 19 juillet interdisant « tout éta- l’altermondialisme au début des années 2000, regroupe l’ensemble du
blissement d’un groupement ou association de personnes prônant la monde associatif militant liégeois, rôle que ne peut (plus) revendiquer
discrimination raciale ou diffusant des thèses à caractère racial ou xé- le collectif. C’est également en septembre 2003 que Michèle Marteaux,
nophobe »68. La mobilisation continue, notamment par une lettre type qui assurait jusque-là le secrétariat72, succède à la présidence à
qui est proposée à toutes les associations du quartier d’Outremeuse à Jacques Yerna (décédé le mois précédent). Financièrement, le collectif
la veille des festivités du 15 août qui s’y déroulent et qui peuvent être n’aura jamais de moyens propres. Dans les faits, c’est le Rassemblement
explosives. liégeois pour la Paix qui paie les différents frais liés aux activités orga-
nisées. La présence aux réunions tournera autour d’une quinzaine de
En réalité, la réprobation est unanime, comme le démontre la plainte personnes. Le renouvellement sera compliqué, d’autant que le groupe
déposée par le Parti réformateur libéral (PRL) contre le mouvement fonctionne par cooptation.
Agir auprès de la députation permanente69. Finalement, c’est un incendie
qui mettra définitivement fin aux activités de ce local. Notons que l’année Au niveau de ses missions, le collectif estime que la lutte contre l’extrême
précédente, en 1993, un Collectif contre l’extrême droite est constitué droite ne doit pas se limiter à l’antiracisme mais qu’elle doit aussi veiller
à Verviers, regroupant une dizaine d’organisations afin également de à ne pas se dissoudre dans une lutte trop large contre l’exclusion73.
protester contre l’ouverture d’un local d’Agir dans cette ville70. Notez qu’il joue aussi le rôle d’« observateur vigilant » quant à l’activité
des élus d’extrême droite au sein des conseils communaux de la région
Au-delà de la mobilisation contre le local de la rue Surlet, le Collectif liégeoise et surtout au sein du conseil provincial (ainsi, il apportera son
d’Outremeuse contre l’extrême droite sera actif de 1994 à 2005. Aux soutien à Gérard Georges, alors président de ce conseil, attaqué en
origines, ce collectif (qui sera du début à la fin une association de faits) justice par Hubert Defourny)74. Pendant de nombreuses années, le Col-
organise des réunions tournantes en différents lieux du quartier d’Ou- lectif va vivre autour de l’organisation de deux événements liés à des
tremeuse. Il s’établit définitivement en septembre 1995 au Centre de dates symboliques : le 8 mai (marquant la victoire face au nazisme) et le
Recherche et de Rencontre (CRR)71 de la rue Puits-en-Sock. Les réunions 9 novembre, commémorant la nuit de Cristal (avec souvent une marche
y ont d’abord lieu tous les deux mois, avant de devenir mensuelles à aux flambeaux). Les personnes mobilisées y varieront de près de 800 à
partir de février 1995. À partir de ce moment, les rendez-vous sont une petite centaine, avec un constat récurrent que les associations
fixés chaque quatrième mercredi du mois. Il en sera ainsi jusqu’en sep- membres sont finalement peu présentes.
tembre 2003, où il est alors décidé de se réunir les troisièmes mercredis
72
du mois. Cette modification est due au fait que le quatrième mercredi Ce secrétariat était établi à son domicile, après avoir été au tout début hébergé place Sainte-
Véronique au siège du PS.
du mois est le jour de rassemblement choisi par la Coordination « Autres 73
PV du 25 janvier 1995.
74
H. Defourny accuse G. Georges d’abus de pouvoir et de dénis de démocratie, entre autres parce
68
Ibidem. qu’il a fait exclure un conseiller du REF lors d’une séance du conseil provincial de Liège, alors qu’il
69
Liaison antifasciste, bulletin bimestriel du Front AntiFasciste, no 27, octobre 1994, [p.2-3]. allait tenir des propos homophobes. Il lui reproche aussi de rejeter systématiquement ses propo-
70
L’antifach. Journal du front antifasciste de Liège, no 2, novembre 1993. Il s’agit d’un organe à sitions « au motif injustifié qu’elles ne seraient pas de compétences provinciales ». Sur ce procès
vocation plus large que le bulletin de liaison, qui n’est à destination que des membres. et sur un autre concernant le premier tract du collectif en 1994, les archives Jacques Yerna,
71
Ce centre existe depuis 1979, il entend contribuer à l’avènement d’une société plus juste et plus conservées à l’IHOES, contiennent un gros dossier (dont quelques articles de presse). Voir aussi :
solidaire et il est reconnu en éducation permanente. Voir : https://crrliege.wordpress.com. Julien Dohet et Jérôme Jamin, La Belgique de Jacques Yerna, Bruxelles, Labor-IHOES, 2003.

36 • L’ANTIFASCISME À LIÈGE L’ANTIFASCISME À LIÈGE • 37


En 2001, le constat est tiré que ce sont à présent les Territoires de la
Mémoire qui organisent l’activité principale du 8 mai. Le collectif décide
donc de s’y associer et de se concentrer sur le 9 novembre75. Par ail-
leurs, il soutiendra des activités contre le centre fermé de Vottem, et
ce, dès 1996, ainsi que la création du CHOC (Comité herstalien d’oppo-
sition à l’ouverture du centre de Vottem) puis du CRACPE (Collectif de
résistance aux centres pour étrangers)76. À ses yeux, la lutte contre
l’extrême droite est indissociable du combat antiraciste et elle doit né-
cessairement passer par des démarches de soutien aux immigré·es.

Mais en définitive, le 21 septembre 2005, « le collectif d’Outremeuse


s’est apparemment achevé là où il avait commencé »77 : ce jour-là, malgré
plusieurs rappels, seules trois personnes se réunissent pour finalement
boire un verre au Tchantchès. L’année précédente déjà, le collectif avait
dû constater qu’il n’était plus en capacité de porter une organisation
propre mais qu’il était plutôt devenu un groupe de réflexion78.

• AUTRES ASSOCIATIONS ET ACTIONS DE RÉSISTANCE FACE AU FASCISME

Si l’objet de cet article n’est pas de retracer l’histoire des différentes


associations ayant travaillé sur le thème de la lutte contre les idées
d’extrême droite en région liégeoise, la place prise par certains acteurs
mérite d’être soulignée, tout comme le fait que nombre d’entre eux, ins-
titutionnalisés ou non, comme les syndicats, les mutualités, etc. mènent
des actions de sensibilisation autour de cet enjeu. C’est pourquoi nous
épinglons ici quelques exemples.

Le 8 mai 1996, le Rassemblement liégeois pour la paix (RLP) et le


Collectif d’Outremeuse contre l’extrême droite organisent une
soirée d’information-débat, avec le soutien du Centre culturel
75
PV du 21 mars et du 17 avril 2001.
espagnol de Liège et le Front de l’Indépendance de Liège-Verviers et 76
Voir notamment : Dawinka Laureys, Solidarité avec les sans-papiers : plus de vingt ans de mobi-
de l’Ourthe-Amblève. Ce dessin de Pierre Kroll illustre la face avant
lisation à Liège, [Seraing], IHOES, 2014.
du programme inséré dans : Liaison antifascite, bulletin mensuel 77
Lettre aux membres du 12 octobre 2005.
du Front AntiFasciste, no 32, avril 1996. Coll. IHOES (Seraing). 78
PV du 22 septembre 2004.

38 • L’ANTIFASCISME À LIÈGE L’ANTIFASCISME À LIÈGE • 39


Dès le début des années 1990, le symbole du triangle rouge79, déjà fascistes qui finiront par se « retourner politiquement et physiquement
utilisé par des groupes antifascistes, est produit et distribué sous forme contre le mouvement ouvrier et ses organisations »81. Outre l’information
de pin’s. C’est une manière de porter le message de la nécessité de ré- et la dénonciation des idées d’extrême droite, il s’agit aussi de « pro-
sister aux menaces pesant sur le respect des libertés fondamentales mouvoir, dans notre organisation syndicale, une dynamique porteuse
qui sera repris ensuite par les Territoires de la Mémoire. Cette asso- de propositions propres à résoudre les problèmes sociaux, économiques
ciation est fondée en 1993 dans le même contexte que le Front antifas- et politiques qui nourrissent l’essor des groupes et idées fascistes »82.
ciste et, depuis, elle diffuse ce symbole en ayant créé une campagne
spécifique sur le sujet qu’elle relance au moins à chaque période élec- D’autres prises de position révèlent encore cet « antifascisme liégeois »
torale… Geste discret, mais clair, pour dire « non » à l’extrême droite et comme lorsque, le 19 février 2000, une manifestation réagit à l’arrivée
à ses idées. Au fil du temps, les Territoires de la Mémoire ont développé au pouvoir de l’extrême droite en Autriche. Le 24 février, les partis PS,
une expertise et un grand nombre d’animations et d’outils pédagogiques, Ecolo, PRL et PSC signent un appel commun, à l’attention du Conseil
dont le parcours d’exposition « Plus jamais ça », à destination prioritai- provincial, pour dénoncer ce qui se passe en Autriche. En août, à l’oc-
rement d’un public scolaire. casion des 50 ans de l’assassinat de Julien Lahaut, une manifestation
est organisée lors du Conseil communal de Liège pour obtenir l’inter-
Autre illustration : le 18 avril 1998, une action regroupe 250 personnes diction des manifestations publiques des partis fascistes dans la com-
pour s’opposer aux réunions de REF dans un local de la rue Pont d’Avroy. mune, mais aussi toute ouverture de locaux de partis racistes et fas-
La création d’un « collectif contre les partis fascistes » est annoncée cistes, ce à quoi s’engage le bourgmestre Willy Demeyer d’après le tract
dans la foulée, mais nous n’en avons trouvé aucune autre mention80. diffusé à cette occasion. Le début des années 2000 voit encore l’orga-
Quelques jours plus tard, le 1er Mai, une « fédération Front National- nisation annuelle d’un « festival antifasciste » aux alentours de la date
Agir » tente de récupérer cette date symbolique en annonçant un ras- du 8 mai. C’est l’occasion de conférences-débats, mais aussi de concerts,
semblement et un meeting. Au final, elle est obligée de se réfugier à de rencontres… Le 6 mai 2004, un important événement est organisé
l’hôtel Mercure du boulevard de la Sauvenière pour y tenir une réunion, au Vertbois par les Territoires de la Mémoire et le Front avec comme
alors que des militant·es antifascistes dénoncent cette présence à l’ex- question : « Faut-il interdire les partis d’extrême droite ? » Deux jours
térieur. Cette réunion sera l’occasion pour les Métallos de la FGTB de plus tard, le 8 mai 2004, le Front exprime la volonté de déclarer « Liège,
signifier à ce groupe hôtelier, qui gère alors également le Castel de territoire antifasciste ».
Pont-à-Lesse dont ils sont propriétaires, que tous contrats seraient an-
nulés si une telle location avait encore lieu. À la même période, même si Citons encore ici, juste pour l’exemple, l’ASBL « La Cible » qui organise
nous n’avons pu en identifier précisément la date, est diffusé un appel à les « Nuits blanches contre listes noires », dont la huitième édition s’est
un « syndicalisme anti-fasciste » qui considère « urgent de créer un tenue à la veille des élections de mai 2019. Tirer un bilan de tous les ou-
large mouvement syndical anti-fasciste » à la veille d’élections commu- tils, formations, conférences, etc. organisés par ces différentes struc-
nales (celles de 2000) qui risquent de voir une montée des mouvements tures mériterait une étude spécifique qui n’entre pas dans le cadre du
présent texte.
79
Jonathan Lefèvre, « Triangle rouge : les origines ouvrières d’un symbole antifasciste », Solidaire,
29 juillet 2019, [En ligne] tinyurl.com/Solidaire-triangle-rouge.
81
80
Dossier de documents liés au Front antifasciste, consulté dans les archives de France Arets. Tract « Appel à un syndicalisme anti-fasciste », [2000 ?], Archives personnelles de France Arets.
82
Ibidem.
40 • L’ANTIFASCISME À LIÈGE L’ANTIFASCISME À LIÈGE • 41
D. Constitution du Front AntiFasciste Liège 2.0
En 2007, alors que le danger semblait s’être éloigné
au vu des résultats électoraux des partis (ou
plutôt des groupuscules) d’extrême droite,
l’ouverture d’une librairie en Hors-Châ-
teau par l’éditeur d’extrême droite
français Philippe Randa remobilise
l’ensemble des forces antifascistes
liégeoises. Plusieurs actions, dont
une grande manifestation, sont orga-
nisées qui poussent au renoncement
du bail locatif et à la disparition de ce
lieu de diffusion d’ouvrages d’extrême
droite qui aurait pu rapidement devenir un
point de ralliement pour les militant·es de cette
mouvance. Un court répit trompeur d’une dizaine d’années débute alors.
Si le travail de conscientisation, de veille et d’éducation permanente se
poursuit, tout comme la protestation contre le centre fermé de Vottem
et des manifestations pour la régularisation des sans-papiers, une lutte
contre la présence publique de l’extrême droite dans les rues de Liège
n’est plus nécessaire.

Notons cependant qu’en 2011, suite à la création du groupe « Vigies »


composé de plusieurs militant·es d’extrême droite83, recommencèrent,
au sein des milieux anarchistes et plus particulièrement dans le « mou-
Tract de promotion du colloque « Soumission et
résistance : de la servitude volontaire à la résistance vement squat liégeois », des activités antifascistes que ce soit en
active citoyenne… » organisé à l’initiative des Territoires
de la Mémoire le 26 novembre 2008 au Vertbois (Liège).
Dossier « Tracts Antifascisme », I/S01/D4. 83
Le 2 novembre 2001, deux jeunes braqueurs s’en prennent à une bijouterie : l’un d’eux, Jordy
Coll. IHOES (Seraing). Makono, est tué par le commerçant. Ses proches organisent une « marche blanche » en sa mé-
moire, et ce, malgré l’interdiction du bourgmestre. « Vigies » se forme alors pour clamer son indi-
gnation devant cette « marche blanche organisée en l’honneur d’un voyou ». Plusieurs membres
de ce groupe sont issus des partis d’extrême droite dont Dany Simal, un ancien du Parti Populaire.
Voir : « Liège, chaudron des extrêmes droites », publié sur le site myeurope.info, le lundi 28 novem-
bre 2011, [En ligne] tinyurl.com/myeurop3952.

42 • L’ANTIFASCISME À LIÈGE L’ANTIFASCISME À LIÈGE • 43


matière d’actions (contre-manifestations, manifestations contre le
racisme, actions directes contre des responsables d’extrême droite)
mais aussi de rencontres autour des « Cafés antifa » qui se dérouleront
sous différentes formes dans le milieu squat et au centre de cultures
alternatives La Zone. Entre 2011 et 2019, c’est plus d’une quinzaine
d’activités publiques qui seront mises en place/soutenues par ce
réseau antifasciste/anarchiste autour de l’outil de diffusion d’informa-
tions et d’analyses Veille Antifa Liège84. Outre une dizaine de
manifestations et contre-manifestations, y compris en Allemagne avec
les squatteurs anarchistes de l’AZ de Aachen, deux festivals (un à La
Zone et un au Hangar) sont organisés, ainsi que des projections
publiques et des rencontres. Citons également la réalisation et l’accro-
chage dans l’espace public de plusieurs campagnes de calicots pour
dénoncer la présence de Nation à Liège, ainsi que des regroupements
en vue de les « virer ». Il y a également eu tout un travail concernant la
scène musicale où des groupes fascistes ou proches des fascistes se
retrouvèrent refusés grâce au travail de sensibilisation auprès de
salles et d’organisateurs (La Legia, La Zone, etc.)85. Rappelons que
durant ces années-là, Nation fit plusieurs apparitions pour intimider les
militant·es du CRACPE, amenant la présence de militant·es anarchistes
et antifascistes lors des principales manifestations organisées par ce
collectif défendant les sans-papiers.

En 2016, tentant de surfer sur la vague du succès d’un mouvement


anti-immigration en Allemagne, des militant·es d’extrême droite tentent
de lancer un « Pegida belge »86. Ce dernier appellera à deux reprises
(en avril, puis en novembre) à un rassemblement à Liège. À chaque fois,
Manifestation organisée le 29 mai 2019 dans les rues de Liège
« contre le fascisme et les extrêmes-droites », à l’invitation du Collectif
84
Voir leur blog : https://veilleantifaliege.noblogs.org/contact-et-participation/.
85
« Et ta sœur ? ». Un peu moins de mille personnes (représentant entre
Voir notamment : « Aachen : manifestation néonazie », court article publié sur le site Veille Antifa
autres 25 collectifs) ont répondu à l’appel et se sont rassemblées au centre
Liège, 15 mars 2014, [En ligne] https://veilleantifaliege.noblogs.org/page/10/, et « Conncerts [sic]
NSBM à Liège », sur ce même site, 20 octobre 2017, [En ligne] tinyurl.com/VA-NSBM. de Liège avant de partir en manifestation à l’appel du Front AntiFasciste, afin de
86
Le mouvement « Les Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident » (en allemand, « Pa- dénoncer la présence d'un local de Nation dans le quartier Saint-Léonard.
triotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes », abréviation PEGIDA) est lancé en Cette information et plusieurs photos sont relayées sur la page Facebook du
octobre 2014 à Dresde et s’étendra rapidement avant de connaître un reflux tout aussi rapide. Front AntiFasciste de Liège 2.0. © Krasnyi Collective / Fred Hérion.
Voir : https://veilleantifaliege.noblogs.org/post/tag/pegida/.

44 • L’ANTIFASCISME À LIÈGE L’ANTIFASCISME À LIÈGE • 45


les réseaux antifascistes liégeois (dont Veille Antifa Liège) seront, malgré
une absence de coordination structurée, en capacité de mobiliser un
nombre de militant·es suffisant pour empêcher l’extrême droite de pa-
rader en Cité ardente87. Il en ira de même concernant la tentative de
Nation d’organiser à hauteur de l’hôtel de ville une concentration « Re-
fugees NOT welcome », le 30 septembre 201788.

Malgré la réussite des mobilisations contre ces deux initiatives, plu-


sieurs militant·es partagent le sentiment qu’il est nécessaire de relancer
une coordination des diverses sensibilités de la lutte antifasciste. Cer-
tain·es sont alerté·es par la présence d’un café servant de local de réu-
nion au mouvement Nation en plein cœur du quartier populaire de Saint-
Léonard89 et ce sentiment est accentué par la séquence électorale de
2018-2019 après cinq années d’un gouvernement ayant vu la parole Manifestation antifasciste à Liège du 29 mai 2019, organisée trois jours après les
élections fédérales. Sur cette photo, on peut observer la solidarité affichée par des
raciste se libérer, notamment dans le chef du secrétaire d’État à l’Asile
Bruxellois, avec la présence de représentants de RésistanceS, le Web-journal de
et à la Migration Theo Francken. C’est ainsi que le mercredi 30 janvier l’Observatoire belge de l’extrême droite. Photo © Antonio Gomez Garcia.
2019, une assemblée réunit plus de 250 personnes au Manège de la
caserne Fonck, dont des représentant·es de 40 associations et groupes des années sur Liège et qu’il a significativement empêché l’extrême
organisés. Il peut s’agir de structures institutionnalisées comme les droite de se structurer dans la région. Aujourd’hui encore, l’antifascisme
syndicats, mais également de groupes affinitaires en passant par des y demeure vivant, même s’il n’existe plus de réelle coordination. Or, ces
associations culturelles, d’éducation permanente, ou encore du noyau dernières années, le danger a repris vigueur (même s’il n’a jamais tota-
antifasciste des supporters du Standard et de représentants des Gilets lement disparu). C’est pourquoi dans cet appel du 20 décembre 2018, il
jaunes par exemple. Ce jour-là, tous actent la constitution du Front est proposé de relancer un front « regroupant le plus largement possible
AntiFasciste de Liège 2.090. Le texte de son appel est clair dans ses in- toutes les sensibilités de l’antifascisme, sans jugement de valeurs sur
tentions et s’inscrit dans l’histoire décrite dans cette étude. Il rappelle les méthodes ou les degrés d’engagements mais ayant un objectif clair
qu’un Front antifasciste, composé d’acteurs multiples, a été actif pendant et précis : la lutte contre les propos, idées, actions de personnes ou de
87
groupements d’extrême droite »91.
Précisons que les autorités communales avaient refusé à chaque fois d’autoriser les rassem-
blements.
88
Voir : tinyurl.com/VA-rassemblement. Quinze jours seulement après sa création, ce nouveau Front mettra ses
89
Il est intéressant de noter qu’en 2019, comme en 1975 pour le Front antifasciste et démocratique intentions en pratique en mobilisant contre la venue de Theo Francken
de Liège ou en 1994 pour le Collectif d’Outremeuse contre l’extrême droite, c’est l’ouverture d’un
à Verviers pour une conférence organisée par une « simple citoyenne »
local d’un mouvement d’extrême droite qui est l’un des moteurs de la remobilisation et de la création
du nouveau front, avec la volonté constante d’empêcher une structuration et une implantation de (qui depuis a fondé un groupuscule intitulé « Freedom pour la Wallonie »)
l’extrême droite à Liège.
91
90
« Front AntiFasciste Liège 2.0 », voir : https://liege-antifascisme.be. Cette appellation souligne le « Appel : Front AntiFasciste Liège 2.0. Jeudi 20 décembre 2018 », figurant sur la page d’accueil
rôle nouveau joué par les réseaux sociaux dans cette lutte. du site du Front Antifasciste Liège 2.0, [En ligne] https://liege-antifascisme.be.

46 • L’ANTIFASCISME À LIÈGE L’ANTIFASCISME À LIÈGE • 47


et à laquelle venaient assister toutes les composantes de l’extrême
droite, comme l’a démontré une série de photos publiées par les anti-
fascistes92. La mobilisation sera un succès puisque la conférence ne
pourra se tenir et que ce qui devait être un regroupement de différents
groupes d’extrême droite et de sympathisant·es se transformera en
une zizanie. Une autre action sera le sabotage de l’affichage des diffé-
rents partis d’extrême droite lors des élections de mai 2019, ainsi que
la diffusion d’un visuel, réalisé en collaboration avec « La Cible » et
À chaque fois, l’anticorps a repris des couleurs, s’est mobilisé et a
diffusé sur les réseaux sociaux, clarifiant quels sont les partis considé-
empêché la structuration de l’extrême droite.
rés comme d’extrême droite.93
Bien des aspects de cette étude mériteraient des développements (pour
les années 1945 à 1975, mais aussi pour les années 1980, période du-
rant laquelle aucun collectif antifasciste identifié comme tel ne semble
exister en région liégeoise). Notons aussi que le mouvement
autonome/libertaire94 est porteur d’une tradition d’action antifasciste
qui échappe pour une grande part à tout radar car lui-même ne souhaite
pas en rendre compte. Il est donc difficile d’en retracer l’histoire dès
lors que l’accès aux sources s’avère impossible (pour l’instant). Car, en
effet, dresser un bilan rétrospectif dépend inévitablement de la sauve-
garde d’archives95. Cette brochure fut ainsi l’occasion d’une première
utilisation de documents sauvés lors de la fermeture de l’ASBL Carlo
Levi, ainsi que des archives de la militante France Arets. C’est la raison
pour laquelle les parties consacrées au Front AntiFasciste (FAF) et au
Collectif d’Outremeuse contre l’extrême droite sont proportionnellement
plus développées, puisqu’il s’agit d’une recherche totalement inédite.

94
Le « “Mouvement autonome” (ou “mouvance autonome”) est une expression qui désigne un cou-
rant politique classé à l’extrême gauche et qui lutte pour l’autonomie du prolétariat par rapport
Manifestation du 29 mai 2019 dans les rues de Liège.
au capitalisme, par rapport à l’État, mais également par rapport aux partis et aux syndicats. Il se
Photographie © Krasnyi Collective / Fred Hérion. caractérise par le rejet des normes politiques dominantes et le refus de laisser d’autres penser et
décider à sa place. Comme les anarchistes, les autonomes prônent un “communisme immédiat”,
92
« Qui était vraiment à la conférence avortée de Théo [sic] Francken à Verviers ? », article et photos c’est-à-dire sans phase de transition. » « Mouvement autonome », définition du Toupiedictionnaire :
publiés sur le blog Veille Antifa Liège, 23 février 2019, [En ligne] tinyurl.com/VA-Francken. le dictionnaire politique, [En ligne :] tinyurl.com/toupie-autonome.
L’information a été relayée par la page Facebook du Front AntiFasciste de Liège 2.0. 95
Voir notamment à ce propos : Julien Dohet, « L’ère du numérique sera-t-elle une ère pauvre en
93
Pour être complet, signalons l’existence d’une page Facebook « Action antifasciste Liège », archive ? », Contemporanea, BVNG-ABHC, tome XXXVIII, année 2016, numéro 1, [En ligne]
essentiellement gérée par une seule personne. https://www.contemporanea.be/fr/article/aan-het-woord-dohet.

48 • L’ANTIFASCISME À LIÈGE L’ANTIFASCISME À LIÈGE • 49


On le voit par ces brefs flashs historiques, la lutte antifasciste n’a jamais
vraiment disparu dans la région liégeoise. Elle a connu des hauts et des
bas et s’est réactivée avec force et vigueur quand l’extrême droite tentait
de s’implanter et de se structurer, via une expression publique ou l’éta-
blissement d’un local. C’est à notre sens l’une des raisons importantes
de l’absence d’une présence pérenne de l’extrême droite sur le territoire
liégeois. Tout comme l’existence d’un maillage très important d’acteurs
associatifs et culturels progressistes, qui figurent parmi les nombreux
signataires lors de la constitution des différents fronts ou plate-formes.

On note aussi la présence, tout au long de cette histoire, de l’organisation


syndicale et un rôle moteur de la gauche radicale. Si les mobilisations
ont toujours été des succès, les membres actifs au sein des différents
collectifs se sont avérés nettement moins nombreux et ont principale-
ment été le fait de quelques militant·es souvent très politisé·es.

Loin d’être un hasard ou une sorte de miracle, l’absence de présence


structurée de l’extrême droite sur le territoire liégeois est donc le fruit
Manifestation antifasciste à Liège. Photographie prise place
de nombreux facteurs (parmi lesquels on peut citer les traditions et la Cathédrale, le cortège sortant de la place Saint-Paul, [années 1990].
force du mouvement ouvrier), dont l’antifascisme militant et actif est Coll. IHOES (Seraing). © Alain Boos. Fonds La Wallonie-Le Matin.
une constante. Une constante qui connait des périodes d’interruptions
et dont l’importance est liée à un travail de fond, qui doit sans cesse
être renouvelé et passer par la transmission d’une génération militante
à l’autre.

Puisse cette brochure participer, à son échelle, à cet enjeu fondamental Quelques références pour aller plus loin...
pour la défense de notre démocratie.
• Jacques Droz, Histoire de l'antifascisme en Europe (1923-1939),
Paris, La découverte, 2001 (réédition de 1985).
• Mark Bray, L’Antifascisme, son passé, son présent et son avenir,
Lux, 2018.
• Bernd Langer, Histoire du mouvement antifasciste allemand,
Libertalia, 2018.

50 • L’ANTIFASCISME À LIÈGE L’ANTIFASCISME À LIÈGE • 51


C’est à la découverte d’une histoire traversant près d’un siècle (des
années 1920 à aujourd’hui) que nous convie cette brochure qui tente
pour la première fois une synthèse de l’histoire de l’antifascisme à
Liège, à travers notamment l’exploitation de sources inédites.

Une histoire riche et variée, illustrative de la diversité d’un


mouvement qui reprendra force et vigueur à chaque fois que la
menace de l’extrême droite se fera plus précise. Une histoire
constamment marquée par la volonté d’allier travail de décryptage
et d’analyse, de mener une lutte effective quand celle-ci devient
indispensable, mais aussi de mettre en place des projets pour une
société plus juste.

Du CVIA au Front AntiFasciste 2.0 en passant par les JGS, l’USAF, les
« comités des travailleurs antifascistes » et le Collectif d’Outremeuse
contre l’extrême droite, cette brochure vous invite à parcourir une
lutte qui se renouvelle à chaque génération.

Puisse-t-elle participer, à son échelle, à la transmission aux


nouvelles générations militantes d’un passé riche d’une tradition de
défense active de la démocratie.

L’AUTEUR
Julien Dohet est licencié et agrégé en histoire de l’Université
de Liège. Secrétaire politique au SETCa Liège-Huy-Waremme,
il est également l’un des administrateurs de l’IHOES.
Ses études portent principalement sur le mouvement ouvrier
© Antonio Gomez Garcia.

et ses luttes, ainsi que sur l’extrême droite, au sujet de


laquelle il tient depuis 18 ans une chronique de décryptage
dans la revue Aide-mémoire et a publié plusieurs articles et
un livre (Le Darwinisme volé, 2010). Il participe au Front
AntiFasciste Liège 2.0.
Ses conférences et écrits sont notamment accessibles sur :
www.juliendohet.blogspot.com.

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