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Pèlerins musulmans à Mina, près de la ville sainte de La Mecque, en Arabie saoudite, le 18 juin 2024. AP Photo/Rafiq Maqbool

À la Mecque, vivre le Hadj par une chaleur écrasante

Au moins 1 300 personnes sont mortes à cause de la chaleur extrême pendant le Hadj en juin 2024. Ce n’est pas la première fois qu’une telle tragédie se produit durant le pèlerinage. Plus d’un millier de personnes sont décédées lors d’une vague de chaleur en 1985, et des morts dus à des bousculades et à d’autres catastrophes liées aux mouvements de foule ont été signalés au cours des années précédentes.

Malgré les risques, des millions de musulmans effectuent le pèlerinage au moins une fois dans leur vie ; rien que cette année, quelque 1,8 million d’entre eux y ont participé.

J’étais l’un d’eux. J’ai effectué le voyage pour l’Arabie saoudite depuis les États-Unis, ce qui m’a permis non seulement d’accomplir mon devoir religieux en tant que musulman, mais aussi d’observer la diversité des sociétés musulmanes en tant que chercheur en sciences sociales étudiant les relations entre l’islam et la politique.

Si les décès provoqués par la vague de chaleur ont été au centre de la couverture médiatique, le Hadj de 2024 a, comme chaque année, revêtu bien d’autres dimensions. Le Hadj est un voyage spirituel individuel qui implique également la rencontre d’autres musulmans, d’origines diverses. Mais ces derniers temps, la gestion de ce rassemblement par le gouvernement saoudien a été critiquée, non seulement en ce qui concerne la réaction aux périodes de chaleur extrême, mais aussi pour la destruction du patrimoine historique de La Mecque.

Signification religieuse

Le Hadj est l’un des cinq piliers de l’islam – avec la déclaration de foi, les prières quotidiennes, le jeûne et l’aumône. Les musulmans qui ont les moyens financiers et physiques d’entreprendre le pèlerinage sont tenus de l’accomplir au moins une fois dans leur vie.

Pendant la plupart des rituels du Hadj, les hommes portent deux vêtements blancs non cousus, représentant l’humilité et l’égalité, tandis que les femmes peuvent porter n’importe quel vêtement dès lors qu’il est « modeste ». Ensemble, hommes et femmes font sept fois le tour de la Kaaba, la structure cubique considérée comme la « maison de Dieu » à La Mecque. Les musulmans du monde entier se tournent vers la Kaaba lors de leurs cinq prières quotidiennes.

Le Hadj comporte de nombreuses dimensions spirituelles, telles que la contemplation, la demande de pardon et la supplication, mais il implique également une dimension physique. Par exemple, l’une des exigences essentielles du Hadj est de se rendre au mont Arafat, qui se trouve à environ 24 kilomètres de la Kaaba, pour une prière d’une journée.

Pèlerins au mont Arafat, 26 février 2024. Cindhyade/Shutterstock

Les pèlerins doivent également dormir dans des tentes à Mina, à environ 8 kilomètres de la Kaaba, pendant trois à quatre jours, et passer une nuit à la belle étoile à Mouzdalifa, à environ 13 kilomètres de la Kaaba.

Se rendre dans tous ces lieux, en plus d’accomplir les rituels à La Mecque, implique de beaucoup marcher. J’ai calculé que j’avais parcouru environ 129 kilomètres au cours de mon pèlerinage. Cette année, la chaleur extrême a rendu ces efforts particulièrement difficiles.

Un islam mondial et multiracial

Le Hadj reflète la diversité raciale et socio-économique des quelque 2 milliards de musulmans que compte le monde. Malcolm X, activiste et intellectuel afro-américain de premier plan, a souligné l’importance du Hadj pour les relations interraciales.

Une femme à la tête et au cou couverts lève les mains en regardant le ciel
Des pèlerins prient au sommet de la colline rocheuse connue sous le nom de Montagne de la Miséricorde pendant le pèlerinage annuel du Hadj, près de la ville sainte de La Mecque, en Arabie saoudite, le 15 juin 2024. AP Photo/Rafiq Maqbool

Le Hadj effectué par Malcolm X en 1964 a joué un rôle majeur dans son évolution : lui qui s’était longtemps défini comme nationaliste noir a alors adopté la vision islamique d’après laquelle il ne faut pas opérer de distinction entre les races. Dans une lettre adressée à ses disciples, Malcolm X explique que ses interactions avec les pèlerins blancs ont été très positives :

« Il y a ici des musulmans de toutes les couleurs et de toutes les parties de la terre. Je pouvais regarder dans leurs yeux bleus et voir qu’ils me considéraient comme l’un des leurs (Frères), parce que leur foi en un Dieu unique (Allah) avait de fait éliminé le mot “blanc” de leur esprit. »

Cette année, des pèlerins venus faire le Hadj venaient de 180 pays, où les écoles islamiques de théologie et de droit dominantes sont parfois très différentes.

Il est difficile de distinguer les pèlerins qui suivent les interprétations sunnites, chiites ou autres de l’islam, étant donné qu’il n’y a pas de différences substantielles entre leurs rituels du Hadj. J’ai discuté avec des pèlerins américains, norvégiens, finlandais, albanais, turcs, maliens, indiens, malaisiens et indonésiens sans savoir à quelle école religieuse ils se rattachaient.

Néanmoins, on peut encore observer certaines différences. Pendant le tour de la Kaaba, par exemple, j’ai vu une douzaine d’Iraniens réciter à haute voix le « Jawshan » – un livre de prières chiite rarement adopté par les sunnites.

Perspectives critiques

Les érudits de l’islam encouragent généralement les pèlerins à se concentrer sur la dévotion personnelle et les rituels. Cela n’empêche pas certains pèlerins de critiquer la gestion du Hadj par le gouvernement saoudien, et notamment ses tentatives de commercialisation de ce rassemblement religieux.

Dans son livre de 2014, fondé sur ses multiples pèlerinages, l’intellectuel britannique Ziauddin Sardar déplore le fait que le gouvernement saoudien ait détruit des tombes historiques, des sanctuaires et d’autres bâtiments à La Mecque, pour les remplacer par des hôtels et des centres commerciaux imposants, y compris la Tour de l’Horloge, le quatrième bâtiment le plus haut du monde. La Tour de l’Horloge est située juste à côté de la Kaaba et éclipse la structure sacrée.

La Tour de l’Horloge, haute de 611 mètres, surplombe la Kaaba. Samareen/Shutterstock

La destruction par les Saoudiens des bâtiments historiques de La Mecque était fondée sur leur crainte que ces sites historiques ne deviennent des objets de culte, au détriment du culte de Dieu. En conséquence, il ne reste plus aucun bâtiment historique à La Mecque, à l’exception de la Kaaba.

Il est intéressant de noter que la maison des Saoud semble avoir enfin reconnu son erreur. À La Mecque et à Médine, j’ai vu des musées récemment ouverts, signe d’une attitude nouvelle à l’égard de la préservation de l’histoire.

Cependant, de nombreux pèlerins font abstraction de ces problèmes et se concentrent sur la dimension spirituelle de leur séjour. Le Hadj est une expérience unique qui permet de rencontrer et même de vivre avec des personnes d’horizons radicalement différents. Même quand il est endeuillé par une catastrophe aussi épouvantable que cette année, il reste un événement unique qui reflète la diversité raciale, ethnique et socio-économique de la communauté musulmane mondiale.

This article was originally published in English

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