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Des résidents de la Bérarde de retour sur les lieux de la catastrophe qui a dévasté leur hameau le 21 juin 2024. ARNAUD FINISTRE/AFP

Crues dévastatrices en Isère : l’urgence de mieux s’adapter aux risques naturels

On tend à l’oublier, et pourtant : la planète est en activité géologique constante. Pas seulement à travers les spectacles terrifiants du volcanisme et des séismes, mais également à travers l’érosion et la sédimentation. Des mécanismes dont l’eau est un vecteur et qui sont tellement banals qu’on leur prête peu d’attention, sauf peut-être lorsqu’il est question du recul du trait de côte. Ou lorsque des événements météorologiques soudains occasionnent inondations, crues torrentielles ou glissements de terrain.

Comme le 22 juin dernier, où la crue du Vénéon a emporté le hameau de la Bérarde et a isolé le village de Saint-Christophe-en-Oisans, en Isère. De quoi rappeler que les différentes modalités de chute d’eau (pluie, grêle ou neige) façonnent en permanence les paysages, parfois violemment.

Les régions montagneuses en sont fréquemment le siège. On peut se rappeler de l’éboulement d’août 2023 en Maurienne qui avait bloqué l’autoroute A43, ou, plus récemment, de pluies torrentielles qui on fait des ravages en Suisse et en Italie.

S’agissant de la catastrophe de la Bérarde, certains scientifiques incriminent la fonte des glaciers. Quoi qu’il en soit, le dénominateur commun de ces catastrophes reste l’existence de pentes : quelle que soit leur taille : toutes les régions sont concernées, en particulier celles aménagées par l’espèce humaine car elles ne résultent pas d’un équilibre dynamique, mais d’un forçage.

Comment l’eau grignote peu à peu les roches

En l’absence d’intervention humaine sur le paysage, la distribution de l’eau qui tombe s’organise d’elle-même en ruissellements hiérarchisés puis s’infiltre vers les nappes souterraines. Les ruisselets suivent la pente locale la plus forte, et se connectent peu à peu en descendant, jusqu’à déterminer, par convergence, des cours d’eau permanents.

En dépit de sa taille minuscule (de l’ordre de 0,1 nanomètre), la molécule d’eau joue un rôle considérable sur toute la planète. C’est elle qui facilite tous les mouvements relatifs des roches, même à la base du manteau, à 2 900 km de profondeur. Elle intervient entre les cristaux et dans certains réseaux cristallins (notamment les minéraux hydratés). En abaissant leur seuil de comportement visqueux, elle permet à la tectonique des plaques de s’initier

Revenons au niveau du sol, là où les gouttes d’eau rencontrent les roches.

L’action de la molécule est double : chimique et/ou mécanique. Ses propriétés lui permettent de découper certaines molécules (le sel de cuisine par exemple, ou le sucre : on parle de dissolution. Sur le terrain, ce processus affecte tous les calcaires et toutes les roches salines. L’eau circule dans la moindre fissure et l’élargit peu à peu. Il s’ensuit que davantage d’eau peut y pénétrer, ce qui accroît l’efficacité du processus. En analyse systémique, on parle de boucle de rétroaction positive.

Aujourd’hui, il est démontré que le rôle de l’eau infiltrée dans les falaises calcaires (craies du Pays de Caux, calcaire des calanques méditerranéennes…) joue un rôle prépondérant dans le recul de celles-ci avec le temps.

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L’autre mécanisme physique, qui agit en surface jusqu’à une profondeur d’environ un mètre sous nos latitudes, est lié à l’alternance entre gel et dégel. La glace occupant davantage de volume que l’eau liquide, chaque épisode met en pression les fissures où s’est infiltrée l’eau ayant gelé par la suite, comme le ferait un coin enfoncé de force. Après de nombreux cycles, cela conduit à une fragmentation du matériau rocheux (ce qu’on appelle gélifraction). Ce mécanisme agit sur toutes les pentes exposées au gel/dégel, quelle que soit la nature des roches.

Sur les terrils miniers, il prépare d’ailleurs à la revégétalisation. En quelques années, une surface formée de schistes abandonnés s’émiette au point de pouvoir retenir, par capillarité, de l’eau qui contribuera à la germination de mousses et lichens, puis d’autres végétaux, et peut même aboutir au développement d’une forêt. Le même mécanisme construit peu à peu les cônes d’éboulis qui s’accumulent au pied de toute pente.

Petit cône d’éboulis sur talus schisteux en Ardenne. Francis Meillez, Fourni par l'auteur

A fortiori si cette pente est artificiellement entaillée (comme sur la photo ci-contre, prise en Ardenne). On y voit le début de l’évolution de la pente, à peine deux mois après l’ouverture du sentier.

Ce mécanisme d’érosion façonne toutes les vallées, qu’elles soient ou non en montagne ; dans ce dernier cas, leurs flancs sont décorés de spectaculaires cônes de déjections sédimentaires, qui peuvent évoluer en prairies au bout de quelques siècles, par le même procédé que celui qui affecte les terrils.


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Des mécanismes identiques des Alpes aux Ardennes

Dans le massif des Ardennes, on peut trouver la trace de coulées torrentielles comparables à celle qui s’est produite fin juin en Isère.

Discordance de Semoy, dans les Ardennes. Francis Meillez, Fourni par l'auteur

Près de la confluence de la Semoy, en rive droite de la Meuse, se trouve une falaise perdue dans la forêt, bien connue des écoles d’escalade : la Roche aux Corpias (corbeaux, en picard ardennais). C’est le témoin d’une catastrophe qui a scalpé le terrain il y a quelque 400 millions d’années.

Ces coulées ont abandonné des galets, des blocs rocheux (les plus gros observés sont d’ordre métrique), dont certains étaient encore anguleux, mais d’autres déjà bien usés, démontrant qu’ils avaient déjà participé à plusieurs coulées du même genre.

Autre vue de la coulée torrentielle vieille de 400 millions d’années (appelée formation de Fépin). Francis Meillez, Fourni par l'auteur

À l’époque il n’y avait qu’une végétation très basse et rare, et donc rien pour freiner l’écoulement. Les galets sont emballés dans un mélange de sable et d’argile, ce qui démontre la simultanéité du transport et du dépôt. Par opposition, les galets de pied de falaise (cordon littoral) sont en contacts mutuels. On peut penser qu’un événement aussi violent ne se reproduit qu’un petit nombre de fois dans un millénaire. Leur préservation, au moins partielle, contribue à témoigner de la permanence des mécanismes géologiques.

Les Ardennes sont un « jeune massif ancien ». Elles sont constituées de terrains dont les âges s’étagent entre 540 et 300 millions d’années, selon les mêmes principes qui ont abouti aux Préalpes d’aujourd’hui. Les coulées torrentielles dont il est question correspondent aux niveaux déposés il y a environ 400 millions d’années.

L’indispensable adaptation au risque naturel

Revenons en Isère. Comment a-t-on pu ne pas prévoir la catastrophe et ne pas anticiper les protections nécessaires ? Il ne s’agit pas seulement d’un problème technique d’aménagement du territoire. Ces questions interpellent aussi les sciences humaines, et il convient de développer une culture du risque plus systémique, qui mobiliserait tous les savoirs.

Les effets des instabilités du sol varient localement en fonction du relief (pente, orientation…), de la composition (nature, structure) des terrains de surface (perméable ou imperméable) et de l’état de couverture de cette surface : (sol végétalisé, sol nu, étendue d’eau, surface artificialisée (revêtement routier, bâti…). Diverses spécialités scientifiques analysent ces effets : géomorphologie, géologie, hydrologie… Toutes sont nécessaires et pour autant, aucune n’est suffisante à elle seule. La coopération est indispensable.

S’il est un pays qui a des leçons à donner en culture du risque, c’est probablement le Japon. Le pays connaît des séismes très fréquents et intenses, avec des dégâts souvent spectaculaires et pourtant peu de victimes. Là où dans d’autres régions (Asie Mineure, Maghreb…), des séismes plus modestes occasionnent davantage de victimes. La différence tient essentiellement à la stratégie de préparation des populations.

Il est d’autant moins facile de dénombrer à l’avance ces événements potentiels qu’ils font interagir les interventions humaines et l’aléa naturel. La catastrophe de Fukushima en est un exemple extrême. Les prévisions météorologiques progressent, certes, mais pas à ce point.

Trop souvent on entend l’alibi : « C’est la faute au réchauffement climatique ! », qui permet de se défausser. Il ne faut pas que cela occulte un questionnement crucial : l’ouvrage aurait-il pu être construit à un endroit moins exposé ? Chacun peut réfléchir à la façon dont son habitat ou ses installations, sont exposés. Pour cela, on peut non seulement suivre les prévisions météorologiques, mais aussi et surtout observer les sites d’implantation.

Et trois évidences s’imposent :

  • Ne rien construire de nouveau dans des zones dont on sait qu’elles sont exposées par nature, sauf en développant, en connaissance de cause, pour un aménagement (surélévation, digues…) dont l’enjeu est crucial pour la collectivité : une usine qui ne peut être placée ailleurs par exemple, mais pas un lotissement !

  • Commencer à déplacer ou à repenser les aménagements anciens qui sont épisodiquement affectés de nos jours,

  • Hors des zones habitées, autant que faire se peut, tenter de restaurer les procédés qui permettent de ralentir les ruissellements, de favoriser l’infiltration et de retenir au maximum l’eau de pluie au plus près de son point de chute,

De telles consignes permettraient, avec de la constance, de faciliter l’adaptation de nos descendants au changement climatique. Ils ne vont guère avoir le choix : les climatologues prévoient, dans ce monde plus chaud, des épisodes pluvieux plus violents.

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