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Pascaline Lécorché et Raphaël Glucksmann (Place Publique), Henrik Davy (dissident LFI) et Amine Kessaci (Les Écologistes), lors d'une réunion de la coalition NFP à Marseille le 5 juillet 2024. Clement Mahoudeau/AFP

Élections : le retour de la social-démocratie ?

La coalition de gauche baptisée « Nouveau Front populaire » (NFP) peut se définir comme une réaction. Une réaction d’urgence et de circonstance en contexte accéléré, celui de la dissolution du 9 juin 2024, consécutive au score du Rassemblement national (31,37 % des suffrages exprimés) aux élections européennes. Cette vitesse, ce brouillard dans lesquels sont plongés tous les partis de gauche comme de droite – à commencer par Les Républicains – ouvre des perspectives à bien des mouvements opportunistes mais aussi des tensions. On pense notamment aux différends qui ont émergé durant la campagne, notamment avec le parti de Jean-Luc Mélenchon, La France Insoumise, comme le soulignait récemment François Ruffin qui a acté sa rupture avec ce dernier.

Suivant la maxime de la maire PS de Lille, Martine Aubry : « Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup. » Pour le NFP, ce loup c’est l’entrisme du « bloc bourgeois » – un concept développé dans L’illusion du bloc bourgeois par les économistes Bruno Amable et Stefano Palombarini. À travers leur texte, nous nous demanderons si le courant moderniste du Parti socialiste peut devenir un facteur de déstabilisation supplémentaire au sein du Nouveau Front populaire. Le score de Raphaël Glucksmann au scrutin européen et ses positions récentes sur la social-démocratie présagent-t-il d’un retour ou d’une rupture pour ce courant de pensée ?

L’entrisme en question

Apparu dans les années trente, mis au point par les mouvements trotskistes, l’entrisme consiste à infiltrer une organisation rivale en vue d’en infléchir les orientations politiques de l’intérieur. Parmi les politiques français formés à ces méthodes, on retrouve Lionel Jospin, ancien Premier ministre socialiste (1997-2002) ; Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du Parti socialiste (2014-2017) ; ou encore Julien Dray, député socialiste (1988-2012).

De ce passé trotskiste, ces élus ne conserveront que les méthodes entristes, l’opposition au PCF et un goût pour l’international (traduit dans leur engagement pro-européen).

Au sein du Parti socialiste, ils feront leur mue au cours des années 1980 puis 1990, en se convertissant aux thèses économiques « modernistes » à savoir : une critique du modèle libéral traditionnel qu’il convient de réformer, la peur du déclin économique dont il faut confier les rênes à des technocrates, et la limitation des interférences démocratiques dont les intérêts particuliers des électeurs menaceraient le bien commun.

Bruno Amable et Stefano Palombarini, posent le tournant de la rigueur de 1983 comme la victoire idéologique de cette nouvelle gauche, si pour le politologue Antony Berlaud « la portée exacte du tournant économique est sujette à controverse, le tournant politique et partisan, lui, est bien réel ».

Les anciens trotskistes vont progressivement réorienter la ligne du PS, isoler les communistes et assécher les propositions plus à gauche comme celles de Jean-Pierre Chevènement et de ses soutiens :

« Seule la transformation socialiste de la société française […] peut assurer la survie, le redressement, la grandeur de la France en tant que nation libre et indépendante. »

Ce modernisme trouve un écho favorable dans les grandes écoles telles que l’ENA ou Polytechnique, dont certains anciens élèves pèseront sur les orientations politiques de la gauche, à l’instar de François Hollande, Michel Rocard ou Jacques Attali. En ce qui concerne les hauts fonctionnaires, l’historienne Florence Descamps parle du tournant de 1983 comme d’un virage « gestionnaire » ou « réaliste » :

« Ce n’est pas tant que les “hiérarques” des Finances “ne croyaient pas” au programme du candidat François Mitterand […] mais qu’ils croient à d’autres “réalités”, qui s’imposent à eux sous la pression de la crise. »

Cette dynamique s’inscrit dans un double contexte : d’une part, ce qui est qualifié de « temps des années-frics » par l’historien Jean Guarrigues avec la pénétration du patronat au sein du PS (par exemple : Pierre Bergé, Jérôme Seydoux ou Bernard Tapie). D’autre part, l’effondrement de l’Union soviétique, signe selon Francis Fukuyama de La Fin de l’histoire.

C’est dans cette continuité que les communistes seront écartés des ministères régaliens sous le gouvernement Lionel Jospin (1997-2002), puis absents des gouvernements sous le mandat de François Hollande (2012-2017).

La présidence de ce dernier se caractérise par un tournant « social-démocrate » (soit libéral sur le plan économique), avec la purge des ministres « frondeurs » comme Christiane Taubira, ou le chevènementiste Arnaud Montebourg – remplacé au ministère de l’Économie par Emmanuel Macron en 2014.

À la suite de la présidence sociale-démocrate de François Hollande, nous observons une diminution du score du PS aux élections présidentielles avec 6,36 % des suffrages exprimés en 2017, pour chuter à 1,75 % en 2022. Cela fera dire à Alain Minc :

« À mon avis, François Hollande a rendu un formidable service à la France en la débarrassant du socialisme, comme François Mitterrand nous a débarrassés du communisme. Il a tué la vieille idéologie économique socialiste. Il en a fait un discours complètement minoritaire. Il faut lui en savoir gré. »

Le retour du PS en 2024

Pourtant, les élections européennes de 2024 montrent un formidable retour du PS à travers son alliance avec Place Publique, une liste menée par Raphaël Glucksmann qui obtient 13,83 %. Ce retour ne diminue pas la dynamique de La France Insoumise (LFI) dont le score progresse entre 2019 et 2024 de 3,6 points. Ces résultats mettent à mal certaines analyses, comme celle de la journaliste Cécile Cornudet, pour qui « Glucksmann doit exister pour fragiliser LFI ».

Ce sont en réalité deux électorats bien distincts sur le plan social et spatial. Le nouveau PS offre une alternative aux électeurs des centres urbains, pro-européens et déçus du macronisme ou d’EELV. Par contraste, les positions pro-palestiniennes et anti-néocoloniales (questions palestinienne et kanake) ont pu mobiliser des abstentionnistes de banlieues modestes au bénéfice de LFI et du PCF. Pour l’économiste Stefano Palombarini :

« On peut affirmer sans trop de risques que les populations jeunes et précarisées qui vivent dans les banlieues de grandes villes occupent une position absolument centrale dans le bloc de la gauche de rupture. »

Mais outre ces différences sociales, spatiales et programmatiques, se dresse un point commun : l’antilibéralisme économique des partis de gauche en 2024. Et c’est ce point – l’économie – qui explique la rapidité du Nouveau Front populaire à s’unir, et l’incapacité qu’on eut le RN et une portion du parti Les Républicainsà se rassembler pour les élections législatives.

La fin de la sociale-démocratie ?

Nous pouvons nous demander si la ligne économique antilibérale, du NFP en général et du PS en particulier, résistera à ces élections législatives ? Deux aspects sont à prendre en considération.

Des facteurs exogènes à la NFP peuvent modifier cette ligne antilibérale, à l’instar d’une coalition sans LFI proposé par Gabriel Attal, la tribune de Bernard Cazeneuve et Manuel Valls, les prises de paroles de Julien Dray, ces quelques exemples posent un cadre médiatique et politique favorable au retour du bloc bourgeois.

Des facteurs endogènes à la NFP, comme la défaite de Fabien Roussel au premier tour des élections législatives, le départ, voire la purge de certains cadres de LFI, tend à fragiliser les partis économiquement antilibéraux au sein de l’union.

Quant à François Hollande, son retour sur le plan électoral marque la reprise du courant social-démocrate, en souhaitant « affirmer une orientation européenne [et] rester dans le champ de la crédibilité » ; revenant à cette idée moderniste qu’une seule politique rationnelle existe : le liberalism – There is no alternative ! (« il ny’ a pas d’alternative »).

Pour François Hollande :

« Le rassemblement doit aller au-delà de la gauche, il doit s’adresser à tous ceux qui à un moment cherchent comment éviter le pire et peut-être proposer le meilleur. »

Avec ces mots, l’ancien président pense peut-être aux sociaux-démocrates allemands habitués à former des coalitions avec le centre et la droite, dans ce qu’ils nomment einGroße Koalition ? Doit-on voir dans cette phrase, l’avenir de la XVIIe législature ?

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