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Quand un métal est utilisé pour traiter une maladie génétique rare

Un scientifique portant un masque chirurgical tient entre ses doigts un flacon qui contient la double hélice de l'ADN.
Les CDG, pour congenital disorders of glycosylation (anomalies congénitales de la glycosylation), constituent une famille de maladies génétiques rares qui touchent un processus cellulaire permettant l’ajout de sucres sur des protéines. Cryptographer/Shutterstock

Les CDG (pour Congenital Disorders of Glycosylation ou anomalies congénitales de la glycosylation) sont une famille de maladies génétiques rares dont les signes cliniques se révèlent très sévères (atteinte intellectuelle, retard de croissance, etc.). Un traitement par un métal, le manganèse, a donné des résultats encourageants sur une patiente âgée de quelques mois seulement.


Lorsqu’on parle de maladies rares, on imagine souvent quelques patients à travers le monde. Cependant, environ 30 millions de personnes en sont atteintes en Europe, faisant de ces maladies un sujet de santé publique de premier plan.

Les CDG, pour congenital disorders of glycosylation, en français, anomalies congénitales de la glycosylation, constituent une famille de maladies génétiques rares qui affectent un processus cellulaire, appelé glycosylation, correspondant à l’ajout de sucres sur les protéines.

Dans les « CDG » : une atteinte intellectuelle, un retard de croissance…

Les signes cliniques des CDG sont en général sévères et peuvent affecter tout l’organisme. Les principaux symptômes sont une atteinte intellectuelle, un retard de croissance, des anomalies hépatiques et des troubles de la coagulation sanguine.

Identifié pour la première fois en 1980 par le Pr Jaaken en Belgique, le nombre de patients diagnostiqués ne cesse d’augmenter avec plus de 170 sous-types différents identifiés. Il existe aujourd’hui un traitement pour seulement deux de ces 170 sous-types.


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Les protéines et les lipides assurent le maintien de l’architecture des cellules et participent à de nombreuses réactions nécessaires au fonctionnement de l’organisme. Or, sur une grande partie des protéines et des lipides, on retrouve des « décorations » constituées de chaînes de plusieurs sucres.

Ces chaînes (les glycanes) sont synthétisées par différentes réactions qui ont lieu dans des compartiments situés à l’intérieur des cellules. Longtemps considérées comme de simples éléments décoratifs, les glycanes sont en fait cruciales pour de nombreux mécanismes physiologiques, dont les fonctions des protéines et des lipides.

Leur importance est mise en évidence par l’existence des CDG où les mutations retrouvées chez les patients perturbent justement le processus de glycosylation, responsable de l’ajout de sucres sur certaines protéines.

Une piste de traitement par l’apport d’un métal : le manganèse

Le CDG sur lequel nous travaillons résulte de mutations du gène TMEM165, qui produit la protéine du même nom : TMEM165. TMEM165-CDG a été identifié en 2012 par notre équipe. Les patients présentent un défaut de glycosylation majeur, consistant en des chaînes tronquées sur lesquelles deux sucres sont manquants, notamment le galactose.

Cliniquement, en plus des symptômes courants, des anomalies osseuses à l’origine d’un nanisme, d’une dysplasie squelettique et d’une ostéoporose sont souvent observées chez les patients atteints de TMEM165-CDG.

En 2012, la fonction biologique de la protéine TMEM165 était inconnue. Pendant près de 10 ans, notre équipe s’est attachée à élucider son rôle. Nous avons réussi à démontrer qu’elle joue un rôle essentiel dans l’import d’un métal indispensable à la glycosylation : le manganèse.

Le manganèse est un métal présent en très faible quantité dans l’organisme, qui est crucial pour différentes réactions enzymatiques. Nos travaux montrent que la déficience en TMEM165 induit un manque de manganèse.

Un des résultats majeurs de nos travaux fut de constater que l’apport de manganèse dans les cellules de patients restaurait leur capacité à produire des chaînes de sucres normales et complètes.

Après ces études concluantes in vitro (sur des cellules), il apparaissait probable que la supplémentation en manganèse (sous forme ionique) puisse constituer un traitement efficace pour les patients TMEM165-CDG.

Un cas clinique peu fréquent : une patiente âgée de quelques mois

Dans des travaux de recherche publiés en 2022, nous avons collaboré avec le Pr Pascale de Lonlay (hôpital Necker, Paris) et le Dr. Arnaud Bruneel (Hôpital Bichat, Paris) au sujet d’une très jeune patiente âgée de quelques mois seulement, dont les profils de glycosylation étaient lourdement anormaux.

La patiente avait été admise à l’hôpital pour un choc dit hypovolémique, c’est-à-dire dû à une diminution de la quantité de sang ou de liquide dans les vaisseaux sanguins, qui était lié à des diarrhées importantes.

Elle était également atteinte d’un retard de croissance, d’une augmentation du volume du foie (hépatomégalie), de troubles de la coagulation et d’un retard psychomoteur. De plus, elle présentait des signes radiologiques d’hypominéralisation osseuse associée à des tassements vertébraux.

Si la patiente était probablement atteinte de CDG, le sous-type précis restait inconnu. Au regard des signes cliniques, une déficience en TMEM165 a été rapidement envisagée. Ce diagnostic a été pleinement confirmé au niveau génétique, avec l’identification d’une mutation jusqu’alors inconnue, ainsi qu’au niveau biochimique, avec une perte de TMEM165 dans les cellules de la patiente.

Notre collaboration a ainsi permis de diagnostiquer la maladie durant les premiers mois de vie de la patiente, ce qui n’est malheureusement pas commun dans le contexte des maladies rares, où le diagnostic est souvent tardif.

Impact d’une déficience en TMEM165 sur la glycosylation et effets bénéfiques du traitement au manganèse : schéma récapitulatif

La protéine TMEM165 (en violet) permet d’importer du manganèse (Mn2+) dans l’appareil de Golgi, pour le fonctionnement de certaines protéines, les glycosyltransférases (en vert). Ici, dans un individu sain, la protéine glycosyltransférase va ajouter un galactose (en jaune), sur la chaîne de glycane portée par une protéine (en bleu). Dans le cas d’une déficience en TMEM165, il n’y a plus suffisamment de Mn2+ dans l’appareil de Golgi pour que la protéine glycosyltransférase puisse agir, ce qui va conduire à une chaîne de glycane anormale, auquel manque un sucre, le galactose. Avec le traitement au Mn2+, on force l’entrée de Mn2+ dans l’appareil de Golgi, ce qui va permettre à la protéine glycosyltransférase d’agir malgré la déficience de TMEM165.

Une nette amélioration de l’état général du nourrisson

Alors que l’état de l’enfant empirait et, au vu de nos résultats fondamentaux sur le manganèse, le Pr P. de Lonlay a obtenu l’autorisation du comité éthique de l’hôpital Necker pour mettre en place chez cette très jeune patiente de seulement 11 mois, une thérapie combinée associant manganèse et galactose par voie orale.

Le manganèse étant un métal pouvant s’avérer toxique, une augmentation progressive des doses et un suivi régulier de la patiente ont été entrepris.

En quelques semaines seulement, les profils de glycosylation de l’enfant se sont améliorés au point de présenter des caractéristiques quasi normales. Cette restauration spectaculaire s’est accompagnée d’une nette amélioration de l’état général de l’enfant, des symptômes digestifs, et des signes biochimiques en particulier des facteurs de la coagulation.

Après plus d’un an de traitement, l’effet bénéfique s’est poursuivi, avec également une progression du développement psychomoteur. Pour l’instant, aucun signe d’amélioration n’est visible concernant la minéralisation osseuse et les tassements vertébraux, mais aucune aggravation n’est à noter.

Ce traitement se poursuit avec un suivi régulier de la patiente, dans l’espoir que les symptômes liés au TMEM165-CDG se fassent de plus en plus discrets.

Quand la recherche fondamentale apporte des solutions aux familles

La recherche fondamentale est souvent considérée, à tort, comme déconnectée de la réalité et des besoins des patients et des familles. Cette histoire montre que, à l’inverse, elle reste essentielle et peut parfois, comme c’est le cas ici, apporter des solutions simples et concrètes.

Cette très belle collaboration entre notre équipe et celles des hôpitaux Bichat et Necker a été menée dans un climat de grande confiance, permettant une véritable synergie au bénéfice de la patiente.

Le diagnostic rapide et la mise en place d’un nouveau traitement reposant sur la compréhension des bases moléculaires de la pathologie laissent entrevoir un nouvel horizon pour les patients atteints de CDG.


Nous souhaitons remercier tout particulièrement Alexandre Raynor et le Dr François Fenaille, dont les connaissances et l’expertise ont été d’une aide précieuse pour la réalisation de nos travaux.

Ces travaux de recherche ont été soutenus par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets, dans le cadre du programme ENIGMncA. L’ANR a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.

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