Le retour de la coupe mulet n’a rien d’un accident. Son deuxième (troisième ? quatrième ?) come-back était annoncé par les astres depuis des mois – ou du moins, par les vidéos de bellâtres s’exhibant sur TikTok. Pour des raisons qui déconcerteront probablement ceux qui ont assisté à la première vague du mulet dans les années 1980, cette coiffure est bizarrement devenue très hot : elle dégage un côté sexy qui rime avec collier de perles, marcel blanc et visage propret mais toujours légèrement bad boy. La coupe mulet n'a jamais été adaptée au lieu de travail et votre père n’en est pas particulièrement fier quand il évoque ses jeunes années. Pourtant, il semblerait qu'elle soit là pour durer.
“En 15 ans de métier, c’est ces deux dernières années que j'ai réalisé la plupart des coupes mulets”, témoigne Natalie Angold, coiffeuse expérimentée chez Ruffians, à Londres. Et ça ne concerne pas uniquement la génération Z. “Un type, papa depuis peu, a débarqué au salon avec des cheveux jusqu'aux fesses. Il s'est assis dans le fauteuil et m'a dit : ‘J’aimerais la coupe la plus anti papa possible.’ Il se trouve que c'était une coupe mulet.”
Les raisons de cette percée sont multiples et obscures, mais selon Natalie Angold, le confinement n’y est pas étranger. “Ça a changé la culture du travail et du bureau, et je crois que beaucoup de ces gars ont une mentalité du type ‘j'emmerde le système’”, dit-elle debout derrière le comptoir du salon. “Au bureau, il y a une plus grande tolérance par rapport aux règles et les gens peuvent s'habiller plus librement. Je crois que c'est pour ça que la coupe mulet est devenue si populaire.” Le style lui-même enfreint les règles de la coiffure. “Ça n'a pas de sens, continue-t-elle. On nous dit que dans une coupe, tout doit se connecter et se fondre, et puis il y a le mulet, où rien ne se connecte et où différentes longueurs cohabitent. Ça casse toutes les règles.”
La coupe mulet s'inscrit dans une longue tradition de rébellion qui a ses propres définitions du sexy. James Dean n'avait pas de mulet mais son style (et son comportement) allait à l'encontre du bonheur formaté des années 1950, qu’on atteignait à coup de médicaments. Les gens se pâmaient devant lui. Qu’on songe aussi à Kurt Cobain et à l'apogée de Nirvana : les cheveux longs, le skate et les fringues XXL contredisaient les normes dominantes de la fin des années 1980. Là encore, les gens se sont pâmés. Aujourd'hui, sur TikTok et Instagram, les émojis cœur suggèrent que quelque chose de similaire est en train de se passer.
Une femme que nous appellerons Mia* a tenu à conserver son anonymat sur la question : “J'adore les mecs avec des mulets mais jamais je ne le reconnaitrais publiquement”, confie-t-elle. C'est peut-être son attrait pour cet esprit canaille que Mia garde secret, mais le fait que la coupe mulet fasse allusion à un comportement puéril du type “je devrais pas le faire, mais je le fais quand même”, n’y est sans doute pas étranger non plus. Mia a une trentaine d'années.
“Ils sont drôles, un peu sales gosses, un peu enflures. Mes cousins en ont tous les deux et ils sont médecins, ce que je trouve assez drôle”, lâche-t-elle avant de clarifier sa position : “Mais aucun d'entre eux n'est vraiment une enflure. Ce sont des hommes adorables et des praticiens talentueux.” Pour Mia, c'est un peu comme l'adrénaline procurée par les messages distribués mais non lus, par opposition à la réalité : les mecs qui ont l'air un peu méchants sont de loin préférables à ceux qui non seulement en ont l'air mais qui le sont réellement.
Sally, une londonienne de 27 ans, confirme l'attrait que peuvent représenter ces bad-boys-en-réalité-gentils. “Une coupe mulet montre qu'ils sont sûrs d'eux et dans l'air du temps. Et probablement drôles et un peu insolents.” Des sortes de Paul Mescal, en somme – qui, comme par hasard, porte lui aussi un petit mulet.
Malgré son attrait, la coupe mulet reste pour certains une limite à ne pas franchir. Son succès repose en fait sur un certain nombre de règles à respecter. Calum, 29 ans, a une idée bien précise du mulet qu’il veut : “Le mulet négligé typique des années 1980, c’est non. Mais celui de Pierre, artiste qui fréquente la salle, oui.” Lucy, 30 ans, estime que le mulet ne devrait jamais être un accessoire de fête ou se substituer à une véritable personnalité. “Je n'exclurais pas un type avec une coupe mulet, à moins que ça en vienne à constituer tout son être. S’il le prend comme une blague, ce n’est pas drôle du tout. Si ses amis l’appellent ‘le mec au mulet’, qu’il se trouve un hobby et se coupe les cheveux. Et s’il a déjà dit ‘le business à l’avant et la fête à l’arrière’, la fête est finie et il n’a probablement pas été invité.” On l’aura compris, Lucy ne mâche pas ses mots sur le sujet. “Kurtis Conner est un bon exemple à suivre. C'est un comique YouTuber qui a une coupe mulet des années 1970. Un sacré mulet. Mais il a aussi du charisme et un beau visage, ce qui je crois aide beaucoup.”
Bien sûr, on trouve toujours des détracteurs. Amy, 33 ans, conseillère politique à Cornwall, n’y trouve aucun intérêt. Et pourtant, elle voit beaucoup de mulets. “Ce n'est pas du tout mon truc. J’en vois plein par ici, et dans la ville voisine de Falmouth aussi, où se trouve une université artistique. Mais j'ai l'impression que ça ne restera pas à la mode très longtemps.” À quelques centaines de kilomètres plus à l'est, à Londres, Nina, 32 ans, est une fan du mulet qui n'est que trop consciente de sa date de péremption. “J'ai été influencée sans vergogne par TikTok : à un moment, mon fil d'actualités était rempli d’Australiens à moustache qui secouaient leurs mulets et resplendissaient dans leur short moulant, raconte-t-elle. Le mulet montre que vous avez un côté léger et que vous êtes du genre à essayer des choses. J'espère qu’on n’a pas encore atteint le pic du mulet. Mais j’en ai vu dans le quartier londonien de Clapham, ce qui signifie probablement que c'en est fini pour eux très bientôt.”
Quand on évoque le mulet, les gens n'arrêtent pas de parler du pays des kangourous. Alors que je faisais des recherches sur cette coiffure, un ami m'a envoyé un exemple tiré du monde du golf : Cameron Smith, golfeur à la crinière de poney qui vient de remporter le British Open de St. Andrews. D'où venait-il ? “Devine”, m’a répondu mon ami. D'Australie, bien sûr, de fait la patrie du mulet. Difficile de savoir pourquoi. Peut-être que le pays est suffisamment éloigné du reste du monde pour évoluer selon ses propres règles, comme en témoignent sa flore et sa faune ? Peut-être qu’avec son mélange de fêtes à l’anglaise et de d’esprit pionnier à l’américaine, l’Australie est un terrain fertile pour une chose aussi anarchique que la coupe mulet. Un festival lui est même consacré : le Mulletfest, organisé à Kurri Kurri, en Nouvelle-Galles du Sud, où défilent chaque année les adeptes de cette coupe mi-sauvage mi-bizarre devenue si tendance ces dernières années.
C'est la raison pour laquelle Blaise, 33 ans, pousse son petit ami à se faire un mulet. “Il a refusé parce qu'il ne voulait pas avoir l'air d'un connard sorti des Beaux-Arts. Mais c'est un peu pour ça que j'aime les mulets, me raconte-t-elle au téléphone. Pour ce mélange entre le joueur de rugby et l'étudiant aux beaux-arts. J'adore ces joueurs de rugby australiens à mulet.”
En ces temps rafraîchissants de bizarrerie vestimentaire où les hommes portent des chemisiers à nœuds et des pantalons ultra évasés, l'expression artistique de soi est peut-être exactement ce dont on a besoin. Le style se libère continuellement de ses entraves, et l’ignorer est compliqué. “Je pense que la raison pour laquelle j'aime les mulets sur les hommes est comparable à ce moment, dans les années 2010, où certains hommes ont commencé à se laisser pousser les cheveux et que ça permettait de repérer ceux qui avaient un petit quelque chose en plus. Ils étaient assez courageux pour aller contre la norme, explique Megan, 26 ans. Les mulets permettent aux gens de se démarquer et de montrer qu'ils ne sont pas... basiques.”
Initialement publié sur British GQ
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