LA TRIBUNE DIMANCHE - Les infirmiers réclament une meilleure reconnaissance de leur travail depuis de longs mois. Que leur répondez-vous ?
FRÉDÉRIC VALLETOUX - J'ai pleinement conscience du malaise de la profession. Le métier d'infirmier doit être mieux reconnu. Aujourd'hui, il est simplement défini par un ensemble de tâches listées dans un décret qui date de vingt ans. C'est une approche totalement obsolète et déconnectée. C'est pourquoi je souhaite faire évoluer la loi, afin d'élargir et de clarifier les compétences des infirmiers, de créer la consultation en soins infirmiers et de leur ouvrir un droit à certaines prescriptions.
Les infirmiers pourront remplacer les médecins ?
L'enjeu n'est pas du tout de remplacer les médecins mais de reconnaître pleinement les rôles et les compétences de chacun, avec comme seul souci d'améliorer l'accès aux soins. Les infirmiers doivent pouvoir assurer le suivi de maladies chroniques, par exemple un diabète, prolonger des ordonnances... Cela devra se faire en lien avec le médecin traitant mais avec une autonomie supplémentaire et une confiance renouvelée. Faire confiance à un plus grand nombre de professionnels de santé, c'est une priorité. Et la France est en retard par rapport aux autres pays européens. Chez nos voisins, les personnels paramédicaux réalisent déjà de nombreux actes de suivi des patients.
La prescription est déjà possible pour les infirmiers les plus diplômés, dans quelques domaines (maladies chroniques, oncologie, maladies rénales...). Quelle serait la nouveauté ?
Il s'agit d'amplifier et d'élargir ce mouvement. Le dispositif que vous évoquez est récent, il n'est pas encore totalement opérationnel ; je vais donner un gros coup d'accélérateur à la publication des décrets afin que tous les textes d'application des infirmiers en pratique avancée soient pris avant l'été. Par ailleurs, nous allons donner du contenu au statut d'infirmier référent voté l'an dernier. C'est une avancée importante dans la reconnaissance du métier. Sur un autre plan, les infirmiers comprennent parfois mal les méthodes de contrôle de l'Assurance maladie. J'ai mis en place un groupe de travail pour clarifier les choses et apaiser la situation par le dialogue.
Les médecins acceptent-ils de partager le travail ? Beaucoup estiment que leur place est remise en question.
Je crois plutôt que l'état d'esprit est en train de changer. J'ai visité cette semaine deux maisons de santé près de Lille. J'y ai vu, là encore, des professionnels qui aiment travailler en équipe pluridisciplinaire. Le médecin reste et restera la tour de contrôle du parcours de soins, cela ne changera pas. J'ai entendu les généralistes, ils préfèrent se concentrer sur l'élaboration du diagnostic, l'ajustement des traitements à l'évolution de la maladie, et ils apprécient l'idée de coordonner des équipes. Nous aurons 4 000 maisons de santé sur tout le territoire en 2027, cette organisation est donc en train de se mettre en place partout en France.
Aurez-vous les moyens de financer les nouvelles missions des infirmières ?
Faisons les choses dans l'ordre. Quand nous aurons défini le champ des compétences nouvelles, une négociation pourra s'ouvrir avec l'Assurance maladie afin de fixer les modalités financières, avant la fin de l'année.
Gabriel Attal a annoncé la création d'une « taxe lapin », mais Doctolib rechigne à prélever les empreintes bancaires des patients. Cette décision du Premier ministre est-elle applicable ?
Je me suis longuement entretenu avec la direction de Doctolib cette semaine. Je réunirai bientôt toutes les plateformes à ce sujet. Tous mes interlocuteurs m'ont assuré que nous poursuivrons le travail ensemble dans les prochains mois en vue de l'application de cette mesure. C'est donc possible, et ce sera fait dans le délai demandé par le Premier ministre. La mise en place de la pénalité - je préfère ce terme - sera laissée à la main du médecin. Il pourra décider de s'inscrire dans le dispositif ou pas.
Un rendez-vous sur deux n'est pas pris en ligne, les secrétariats pourront-ils demander des empreintes bancaires ?
Oui, bien sûr, au moyen des logiciels des cabinets médicaux. C'est une possibilité qui leur sera donnée grâce à la loi à venir.
Par le passé, j'ai auditionné, en tant que parlementaire, de nombreux praticiens, et je peux vous dire que le dispositif dans son ensemble leur tient à cœur. Je rappelle que c'est une demande de leurs syndicats face à une recrudescence de rendez-vous non honorés et que ces annulations sont autant de créneaux perdus pour les patients.
Avez-vous évalué son impact ?
Mon souhait, et celui du Premier ministre, est que le sens civique l'emporte et que chacun soit responsabilisé en ne gâchant plus de temps médical. Je rappelle que les pénalités éventuelles seront encaissées par les médecins, non par l'État ou l'Assurance maladie.
Après les annonces du Premier ministre, notamment la possibilité d'accès direct au spécialiste, les généralistes ont suspendu leur négociation avec l'Assurance maladie. Comment restaurer la confiance ?
Nous arrivons au terme d'une longue négociation, importante pour les Français comme pour les médecins, qui va fixer un cadre pour les cinq prochaines années. La Sécurité sociale propose des avancées majeures, notamment sur le tarif de la consultation. Elle attend donc des engagements forts des médecins, qui ont, d'eux-mêmes, fait des propositions notables pour une meilleure maîtrise des dépenses de santé et une participation à la permanence des soins. Je suis en contact avec tous les représentants des métiers du soin. L'envie d'aboutir est partagée. S'agissant de l'accès direct au spécialiste, le Premier ministre a été clair : nulle remise en question du rôle du médecin traitant, bien au contraire, mais la nécessité d'expérimenter de nouvelles organisations dans certains territoires.
De nombreuses pistes d'économies ont été lancées pour 2025 : indemnités journalières, transport médical... Qu'en sera-t-il ?
Le champ de la santé participera à l'effort, par principe. Notre pays consacre 255 milliards d'euros par an à son système de santé. Mais on sait qu'il y a des actes inutiles, des redondances, ou des économies à trouver, comme dans le transport médical que vous citez. Chaque euro doit réellement aller aux soins. Il faut aussi agir bien davantage en matière de prévention. J'en ai fait ma priorité. La France est, là aussi, en retard. L'espérance de vie en bonne santé n'atteint pas les meilleurs niveaux enregistrés dans d'autres pays [lire aussi l'interview du professeur Antoine Flahault p. 19]. Notre système de santé est très performant pour guérir les patients mais il n'anticipe pas assez. Nous trouverons dans ce domaine des économies structurelles sur le long terme.
Le célèbre urgentiste Patrick Pelloux est accusé de harcèlement sexuel. L'hôpital reste-t-il un lieu de dérives ?
Les agressions sexuelles n'ont leur place nulle part dans la société, donc y compris à l'hôpital. La prétendue « culture carabin » ne doit pas justifier ce qui est intolérable. Je vais réunir d'ici à la fin du mois les associations d'étudiants en santé, les syndicats, les fédérations d'employeurs et les autres représentants des hospitaliers pour engager un travail de fond et amplifier nos réponses pour mieux prévenir et être aux côtés des victimes. Il y a déjà eu des initiatives de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, il faut poursuivre en ce sens et réaffirmer que nous ne les accepterons jamais. Ma réponse, c'est la fermeté.