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Accueillie par un policier en civil, un spray désinfectant à la main, Immaculate Atuhaire s’avance devant la grille, ses formulaires serrés contre elle. « Deux nouvelles personnes ont été interceptées par les forces de l’ordre la veille, je dois enregistrer leurs informations », explique l’épidémiologiste, avant de pénétrer dans l’enceinte du centre de quarantaine pour les cas contacts de fièvre Ebola. Ils sont vingt-deux ici, à Madudu, un petit village du district de Mubende, en Ouganda. Tous issus d’une même famille, qui a déjà perdu six de ses membres à cause du virus.
Chacun leur tour, les reclus prennent leur température devant la médecin, restée sur le pas de la porte, et répondent à ses questions sur leur état de santé. « Normalement, les cas contacts restent à leur domicile et des équipes de surveillance leur rendent visite jusqu’à la fin de la période d’incubation de vingt et un jours, détaille Immaculate Atuhaire. Mais ces gens ont refusé de coopérer, notamment en transportant le corps d’un de leurs défunts pour l’enterrer malgré les risques. »
L’inquiétude des autorités face à une potentielle propagation du virus est d’autant plus vive que deux de ses membres se sont rendus le 6 octobre à Kampala, la capitale, sous une fausse identité. L’un d’eux, un homme de 45 ans y est mort le lendemain. Sa femme, qui a accouché quelques jours plus tard dans une clinique, est aujourd’hui soignée dans un centre de traitement à Entebbe. Les autorités ont enregistré 48 cas contacts liés à leur voyage dans la capitale. Les plus à risque ont été placés en isolement et les autres sont surveillés quotidiennement à leur domicile par des équipes de santé.
Face aux risques de propagation de l’épidémie dans le reste du pays, le président Yoweri Museveni a annoncé, samedi 15 octobre, le confinement des districts les plus affectés par le virus, Mubende et Kassanda, dans le centre de l’Ouganda. Pendant vingt et un jours, les entrées et les sorties dans ces deux localités sont interdites, un couvre-feu est instauré à partir de 19 heures et tout transport, public ou privé, prohibé. Comme pour les confinements pendant la période d’épidémie de Covid-19, les lieux de culte, bars et salles de sport sont fermés.
Surveiller de potentiels cas suspects
Plus de 1 500 cas contacts de patients atteints de la souche soudanaise d’Ebola qui circule dans le pays sont enregistrés au niveau national, dont plusieurs dizaines très éloignés de l’épicentre de l’épidémie, notamment à Kampala, dans la région centrale de Luweero, et à l’est, dans le district de Pallisa. « Il y a beaucoup d’efforts sur la surveillance, souligne Nicolas Mouly, coordinateur d’urgence de la réponse pour Médecins sans frontières. Investiguer autour des cas confirmés pour connaître leur parcours, s’ils sont passés par des centres de santé, qu’ils soient publics, privés ou traditionnels, et trouver les personnes contacts et les contacts à haut risque, c’est l’une des grandes priorités pour les deux semaines à venir », poursuit-il.
A Kizaguzo, un village situé à quelques kilomètres de Madudu, au cœur de la zone où se concentrent la majorité des cas, une task force locale a été mise en place pour suivre au plus près l’évolution de la situation. Les volontaires se réunissent tous les jours devant leurs locaux, où de nombreuses affiches sur la fièvre Ebola sont placardées. Leur objectif : surveiller de potentiels cas suspects et communiquer sur la maladie au cours de porte-à-porte quotidiens.
« Au début, les gens d’ici refusaient de croire en l’épidémie. Ils pensaient que c’était politique ou que c’était de la sorcellerie. Mais on a eu plusieurs morts et, maintenant, les messages de prévention sont mieux acceptés, tout le monde commence à avoir peur », raconte Erin Nasuna, gilet reconnaissable de la Croix-Rouge ougandaise sur le dos.
L’équipe est inquiète : l’une des cas contacts d’un patient Ebola, qu’elle suit depuis plusieurs jours, commence à montrer des signes de la maladie. « Depuis ce matin, elle se sent faible et fiévreuse, donc nous venons d’appeler le numéro donné par le district et une ambulance doit venir la chercher rapidement », indique Erin Nasuna. La course contre la montre commence dès l’arrivée des symptômes. « Actuellement, il y a entre quatre et six chaînes de transmission du virus dans le district de Mubende sur lesquels nous travaillons pour identifier les cas contacts », développe Nicolas Mouly, de Médecins sans frontières.
Des enterrements sécurisés
Les task forces constituées dans les villages sont les premières à avertir en cas de mort suspecte dans les communautés, pour ne passer à côté d’aucun cluster non déclaré. Ainsi, le 13 octobre, à Sunga, un enfant de 3 ans, décédé d’une forte fièvre deux jours plus tôt a été signalé aux autorités comme un potentiel malade d’Ebola. « Cas suspect ou confirmé, on ne prend aucun risque, explique Bryan Wanbede, à la tête de l’équipe de la Croix-Rouge ougandaise qui est intervenue dans le village. Le protocole des enterrements dignes et sécurisés est suivi à la lettre. »
Un test PCR a donc été réalisé sur le défunt pour déterminer si le décès était lié au virus, puis les volontaires, équipés de tenues de protection, ont placé le corps dans un sac mortuaire avant de le déposer dans la tombe creusée au milieu des bananiers. « De cette façon, si le résultat revient positif, on aura évité les contaminations qui auraient eu lieu lors d’un enterrement traditionnel », justifie Bryan Wanbede, tandis que son équipe désinfecte tout le domicile et ses alentours.
Le président Yoweri Museveni a depuis annoncé dans son discours du 15 octobre que tous les enterrements dans les districts de Mubende et Kassanda seraient désormais conduits par les équipes formées pour accomplir des enterrements sécurisés, et que tous les défunts seraient testés pour le virus Ebola. « On est au point crucial où il faut contrôler méthodiquement toutes les transmissions pour éviter la propagation du virus ailleurs dans le pays, encore limitée pour l’instant », conclut Nicolas Mouly.
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