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En Tunisie, une inquiétante hausse des cas de contamination au VIH

Prévention et dépistage insuffisants, criminalisation de l’homosexualité ont entraîné une reprise de l’épidémie chez les hommes et les usagers de drogues.

Par  (Sfax, Monastir, Tunisie, envoyée spéciale)

Publié le 08 mars 2024 à 18h00, modifié le 08 mars 2024 à 18h12

Temps de Lecture 4 min.

Cachet de prophylaxie pré-exposition (PrEP) au VIH.

Un soir d’été, Farouk* à la recherche de nouvelles rencontres, découvre le profil d’Ahmed sur une application dédiée. Bien que ce dernier ne corresponde pas exactement à ses critères, un détail attire son attention : la mention « PrEP négatif » dans sa description. Cela signifie qu’Ahmed n’est pas infecté par le VIH et suit un traitement de prévention contre le virus du sida, connu sous le nom de prophylaxie pré-exposition (PrEP).

La PrEP est une stratégie de prévention du VIH qui implique la prise régulière d’un médicament antirétroviral par des individus non infectés mais exposés à un risque élevé de transmission. Cette méthode est réputée réduire considérablement le risque de contracter le virus en cas de contact avec une personne infectée (de 93 % selon une étude française publiée dans The Lancet Public Health en 2022). A 37 ans, Farouk, architecte habitant la banlieue nord de Tunis, adopte une attitude prudente lors de ses rencontres sexuelles occasionnelles avec d’autres hommes. Cependant, il admet que l’utilisation du préservatif n’est pas toujours systématique, ses partenaires se montrant souvent réticents.

Bien familiarisé avec la PrEP, qu’il prend lui-même depuis des années sans prescription grâce à des contacts en Europe, Farouk n’avait encore jamais vu cette mention en Tunisie. Intrigué, il discute avec Ahmed, qui lui dévoile l’existence d’un programme pilote de PrEP au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Monastir, ville située sur la côte est. Après avoir pris rendez-vous par courriel, Farouk fait le trajet de deux heures depuis Tunis pour bénéficier du traitement quelques jours plus tard.

Epidémie « très active »

A son arrivée, il a constaté la présence d’autres hommes venus pour la même raison. « J’ai voulu engager la conversation mais ils avaient l’air apeuré », dit-il, décrivant des personnes anxieuses et cherchant à dissimuler leur visage pour se soustraire aux regards des autres.

Confirmant ces inquiétudes, la médecin qui a accueilli Farouk lui révèle que les rares participants à ce programme redoutent d’être stigmatisés ou poursuivis par les autorités, en raison de la criminalisation des pratiques sexuelles entre personnes de même sexe, qui encourent jusqu’à trois ans de prison.

Malgré cela, le programme de PrEP vise spécifiquement les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre le VIH. Une initiative qui reste peu connue. Entre décembre 2022 et janvier 2024, seules 58 personnes ont pu bénéficier du programme, dont 43 sont toujours en cours. Les obstacles liés au déplacement jusqu’à Monastir ont poussé Farouk à privilégier une solution hors des circuits officiels, qui se procure ses médicaments à l’étranger.

Originaire du gouvernorat de Médenine, situé dans le sud du pays, Malek, 30 ans, n’a pas bénéficié des mêmes opportunités. Ce militant queer, qui a découvert sa séroposivité un an plus tôt, n’a pas eu accès à la PrEP, alors que le programme pilote venait de débuter. « Je n’ai appris l’existence de ce programme qu’après avoir reçu mon diagnostic », explique-t-il.

Malgré une prévalence d’infection relativement faible, inférieure à 0,1 % au sein de la population générale, selon l’ONU et le ministère de la santé, l’épidémie de VIH est considérée comme « très active » par les autorités avec une augmentation constante du nombre d’infections au cours des dix dernières années. Selon les dernières données du Programme commun des Nations unies sur le VIH/sida (ONUSIDA), le nombre de personnes en Tunisie vivant avec le VIH est estimé à 7 100 en 2022, contre 4 700 en 2010. Bien que le traitement antirétroviral soit gratuit, seulement 26 % d’entre elles en bénéficient en raison de difficultés liées au dépistage et au suivi.

« Fermeture du dialogue avec les autorités »

Dans le cadre de sa stratégie de dépistage pour les années 2022 et 2023, le ministère de la santé a constaté une augmentation progressive de la séroprévalence au sein des populations les plus exposées au virus. En particulier les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, dont le taux de séropositivité atteint 8,2 %, tandis que pour les usagers de drogues injectables, il est de 8,8 %. « Ce qui est inquiétant est qu’on est passés d’une épidémie stable à un statut d’épidémie concentrée. Contrairement aux autres régions du monde où l’épidémie fléchit, la nôtre enregistre une hausse constante », s’inquiète Ramy Khouili, directeur d’Avocats sans frontières (ASF) en Tunisie et actif dans la lutte contre le sida depuis plus de vingt ans.

Pris en charge par l’Association tunisienne de lutte contre les maladies sexuellement transmissibles et le sida (ATL MST Sida), Malek a pu être traité au centre de prise en charge de Sfax, l’un des quatre que compte le pays, situé à des centaines de kilomètres de son lieu de résidence. Malgré les difficultés de transport, d’hébergement et les remarques stigmatisantes lors de sa prise en charge, Malek a suivi son traitement et fait partie des 24 % de malades dont la charge virale est à présent indétectable, un pourcentage encore très éloigné de l’objectif mondial de 95 %. « En plus du faible taux de dépistage, beaucoup renoncent à leur droit d’accès à la santé pour éviter la stigmatisation », affirme Ramy Khouili.

Derrière son bureau de la section de Tunis d’ATL MST Sida, Sonia Torkhani, responsable au sein de l’association, regrette que les 23 centres de dépistages existants ne soient pas tous actifs. « Nombreux sont ceux qui préfèrent venir dans des centres associatifs avec un principe de dépistage communautaire pour éviter les discriminations et la stigmatisation du personnel médical », témoigne-t-elle. Avec ses unités mobiles et des centres à « bas seuil » qui proposent aux usagers de drogues des services de soutien et de réduction des risques sans exiger l’abstinence, l’organisation tente d’atteindre les populations les plus marginalisées, dont les femmes, y compris dans les régions reculées.

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« Il restera très difficile d’avoir accès à ces populations tant qu’elles sont criminalisées », estime pour sa part le directeur d’ASF en Tunisie, qui appelle à la dépénalisation de l’homosexualité, de la consommation de stupéfiants ou encore du travail du sexe. Des réformes qui ont été reléguées au second plan depuis le coup de force du 25 juillet 2021 du président Kaïs Saïed, synonyme, selon Ramy Khouili, de « fermeture totale du dialogue avec les autorités publiques ».

* Nom d’emprunt.

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