Il n'y a pas si longtemps la poliomyélite était considérée par les médecins comme une maladie certainement infectieuse dont la transmission semblait se faire par voie aérienne et qui surprenait les épidémiologistes par l'extrême fantaisie qu'elle met à se propager, frappant de rares individus dans une collectivité nombreuse, se manifestant le même jour dans des agglomérations fort éloignées, tout en laissant indemnes les villages intermédiaires. On la croyait donc relativement peu contagieuse et, somme toute, peu répandue ; bien que son virus fût connu depuis 1909, c'est en vain qu'on cherchait la raison des épidémies estivo-automnales par quoi elle est capable de se manifester soudain après des années de silence.
Il a suffi de changer le sens des deux propositions ci-dessus rappelées et d'admettre par exemple que la maladie se transmet par voie digestive et qu'elle est extrêmement fréquente pour que toutes les obscurités se dissipent. Examinons sur quels faits reposent ces notions nouvelles.
Le virus poliomyélitique est très répandu. Il existe dans les déjections humaines. On le trouve dans les eaux, et spécialement dans les eaux d'égouts, où il peut conserver sa vitalité pendant trois mois. Les aliments ont donc toutes chances d'être contaminés quand le sol est fumé avec des excréments humains - ce qui n'est pas exceptionnel - et spécialement pendant l'été, quand la rareté des pluies rend nécessaire l'arrosage des cultures maraîchères ou quand les produits laitiers sont préparés ou lavés avec de l'eau souillée. L'eau de boisson elle-même, souvent prélevée dans les rivières, peut être dangereuse, car le virus traverse les filtres et résiste à d'assez fortes doses de chlore. Ces faits justifient l'importance qu'on donne aujourd'hui à la contamination digestive. Le professeur Boyer et ses collaborateurs ont observé que lorsqu'il existe un foyer dans une région agricole fournissant des légumes ou du beurre à la capitale le nombre des cas de poliomyélite dans la Seine ne tarde pas à augmenter. Ainsi l'expliquent la fréquence relative de la maladie dans les campagnes, où l'hygiène est moins bonne qu'en ville, et la survenue des épidémies à la fin de l'été : il n'est pas besoin de faire intervenir, comme on le croyait naguère, des facteurs météorologiques d'exaltation du virus tels que la douceur des hivers, la sécheresse du Bol, l'état électrique de l'atmosphère.
Ce virus ubiquitaire contamine plus d'humains qu'il ne parait. Il est un peu comme le bacille de Koch ; personne ne lui échappe. Mais dans la grande majorité des cas il provoque une maladie tout à fait inapparente et pourtant capable de procurer une immunité durable : c'est la poliomyélite-infection ; tandis que bien plus rarement il pénètre et se développe dans le tissu nerveux : c'est alors la poliomyélite maladie avec ses redoutables paralysies. Entre ces deux modes d'atteinte, la proportion est de l'ordre de mille pour un, si bien qu'on a pu dire que la localisation nerveuse du virus, la seule connue naguère, est du fait de sa rareté une véritable complication.
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