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Quand Elon Musk s’en prend aux transports publics

Le patron de Tesla produit des voitures haut de gamme. Cela n’est pas une raison pour tirer à boulets rouges sur les transports publics.

Publié le 08 janvier 2018 à 13h56, modifié le 08 janvier 2018 à 13h56 Temps de Lecture 4 min.

Une Tesla à Los Angeles.

Les problèmes économiques et techniques que rencontre Elon Musk avec Tesla (voir ce blog du Monde), son entreprise productrice de voitures haut de gamme, ne sauraient nous attendrir sur son sort.

Chiffrées en milliards de dollars, les difficultés de trésorerie de Tesla sont suffisamment grandes pour ne devenir un problème que quand les investisseurs et Wall Street s’inquiéteront (après tout, on ne prête qu’aux riches). Tesla reste la meilleure marque américaine et celle dont les utilisateurs sont, selon Consumer Report, les plus satisfaits. L’élite est contente. Cela n’est pas sans conséquence sur le commun des mortels.

Je dis l’élite, parce que c’est précisément le modèle bas de gamme (29 000 euros malgré tout) qu’il n’arrive pas à produire. Une difficulté révélatrice, confirmée il y a peu par les déclarations méprisantes de Musk concernant la façon dont la plupart d’entre nous se déplacent.

Les transports publics, « ça craint », a-t-il déclaré en décembre lors d’une conférence sur l’intelligence artificielle tenue à Long Beach en Californie. Pourquoi choisir un moyen de transport « qui ne sort pas d’où vous voulez sortir, n’arrive pas où vous voulez arriver, et ne part pas à tout moment » ? Mais ce n’est pas le pire. L’anglais vaut son pesant de chewing-gum : « It’s a pain in the ass. […] And there’s like a bunch of random strangers, one of who might be a serial killer » (« C’est une vraie galère […] On y est exposé à plein de gens inconnus, parmi lesquels pourrait se trouver un tueur en série »).

Le problème, c’est que Musk ne se contente pas de vendre des voitures de luxe (grand bien lui fasse). Son intérêt pour les transports va jusqu’aux fusées spatiales (avec sa compagnie SpaceX), sur lesquelles il compte pour installer une colonie humaine sur Mars. Entre les deux il y a Hyperloop, le projet de train à hypervitesse circulant dans des tubes sous vide et, ce qui est moins connu, sa « Boring Company », une entreprise de forage qui se spécialise dans la construction rapide de tunnels à grande profondeur. Cela peut servir pour la colonisation d’autres planètes. En attendant il envisage d’en construire sous Los Angeles (la vidéo vaut la peine) pour y faire circuler ses voitures électriques ainsi que des navettes limitées à 8 ou 16 passagers (ce qui réduit, bien évidemment, le risque d’y rencontrer un serial killer).

Il a donc intérêt à nous dissuader d’utiliser les transports publics. Mais cela n’est pas le plus grave : il utilise son considérable talent pour nous convaincre de les éviter – et ce n’est pas son investissement dans l’énergie solaire (son entreprise s’appelle SolarCity) qui peut suffire à nous faire croire à la profondeur de son souci pour l’environnement.

Attention, Musk a raison quand il dit que les transports publics ne viennent pas nous chercher chez nous, quand ça nous convient, pour nous amener à la porte du restaurant de notre choix. Mais c’est bien là leur vertu, souligne un de ses principaux critiques, le consultant Jarett Walker, quand il écrit : « C’est exactement pour ces raisons que les transports publics rendent possible la mobilité à un coût raisonnable pour tant de gens. » Il en va du bus et des métros comme des villes : s’il y a du monde (pas trop, ce qui est un autre problème), c’est bien la preuve qu’ils réussissent.

Trois commentaires pour terminer :

  • Incontournable, la question du « dernier kilomètre », nom donné au problème de la desserte personnalisée, peut être résolue par des taxis, des services de type Uber ou des voitures autonomes et, de préférence, par des moyens plus légers, comme le vélo, la trottinette ou la marche à pied. C’est bien pour cela qu’il est essentiel d’aborder les problèmes de mobilité urbaine sous l’angle de la multimodalité.
  • Les gens, il y en a, qui disent des transports publics « qu’ils ne sont pas suffisamment bons pour que je cesse d’utiliser ma Mercedes », font preuve de ce que Walker appelle « la projection des élites ». Oubliant qu’elles ne sont jamais qu’une minorité, ces élites font passer leur problème avant celui du plus grand nombre. Ce qui ne donne de bons résultats pour personne.
  • A lire les nombreux articles et commentaires suscités par les propos de Musk, on ne peut s’empêcher de sentir l’énorme différence qu’il y a entre les Etats-Unis et le reste du monde, en tout cas l’Europe. Outre-Atlantique, les transports publics sont, presque toujours, tellement insuffisants qu’il est extrêmement difficile, même à Elon Musk, de penser la mobilité en dehors de la voiture individuelle. Ça n’est pas le cas de notre côté de l’océan.

Nous devons ainsi nous habituer à prendre avec des pincettes les idées géniales de Musk ou d’autres « phares » de la Silicon Valley. Pour grandioses qu’elles puissent paraître, elles cachent presque toujours des intérêts économiques directs. Elles obéissent souvent à une idéologie libertarienne élitiste. Elles partent de réalités souvent plus différentes des nôtres que nous croyons.

Ce qui peut être le problème d’un individu ou d’un petit groupe quand il s’agit d’une application ou d’un gadget devient un problème social considérable quand il s’agit de nos villes et, donc, de nos sociétés.

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