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Objet trop souvent mal identifié, la ville en devient difficilement gouvernable

Trop de maires se désespèrent de la complexité de leurs tâches. Après en avoir compris les raisons, on peut commencer à tester des outils pour y répondre. Note imaginaire à une maire inquiète.

Publié le 26 novembre 2018 à 07h16, modifié le 26 novembre 2018 à 07h16 Temps de Lecture 4 min.

Chère Madame,

Vous êtes désespérée. Comme trop de vos semblables vous envisagez de démissionner. Les raisons ne manquent pas.

Mais vous n’avez pas encore renoncé.

Malgré la qualité de toutes les actions que vous menez, elles ne satisfont ni vos promesses d’une ville meilleure, ni les espoirs de vos concitoyens. Pourquoi ?, vous demandez-vous.

La raison en est simple : personne ne prend en compte les complexités qui caractérisent tout espace urbain : outre la spécificité propre à chaque niveau ou à chaque domaine, une vue d’ensemble et la prise en compte des relations entre eux sont indispensables.

Permettez-moi d’expliquer cette réalité plus en détail.

Constat : la réalité urbaine est faite d’espaces, de temps et de flux enchevêtrés de façon trop complexe pour être facilement comprise. Mal identifiée, elle est donc difficilement gouvernable.

  • Les échelles territoriales sont imbriquées. Très peu de gens vivent, travaillent, se nourrissent, s’amusent et s’éduquent dans une seule municipalité, voire à l’intérieur d’une même agglomération. Ils votent dans la municipalité dans laquelle ils dorment. Dans 60 % des cas elle est différente et donc moins importante pour eux que celle dans laquelle ils travaillent.
    • Les cadres administratifs et politiques ne rendent pas compte de cette réalité urbaine. Les mandats, budgets et responsabilités dépendent de périmètres géographiques clairement délimités : quartier, municipalité, agglomération, métropole, département, région et même Etat. Sur votre propre territoire, la plupart des décisions dépendent d’entités différentes.
  • La géographie d’aujourd’hui se doit d’être fonctionnelle : enchevêtrées, les frontières et les limites que je viens d’évoquer ne rendent pas compte de ce qui fait la dynamique de l’espace dans lequel vous vous situez, à savoir les flux qui le traversent. Qu’il s’agisse de la circulation des personnes, des marchandises ou des informations. C’est d’eux que votre municipalité tire sa vitalité mais, par définition, ils ne tiennent pas à l’intérieur des limites de votre propre espace, ils échappent aux périmètres administratifs et juridiques.
  • Vos services municipaux sont organisés par directions : urbanisme, développement durable, transport, action culturelle, éducation, sécurité, etc. Elles ne collaborent pas autant que vous le souhaiteriez. Et la promesse de « désilotisation » grâce à la numérisation tarde à se faire sentir.
  • Aussi bonne et efficace soit elle quand on la considère isolément, toute action dans un domaine, à un niveau donné, risque d’entraîner des effets inattendus dans un autre domaine, à un autre niveau.
    • Ainsi la création d’un espace vert bien pensé peut-elle entraîner une augmentation des inégalités sociales du fait des déplacements de population que sa création provoque presque toujours.
    • Autre exemple, le coût du foncier au cœur des métropoles pousse les gens à vivre loin de leur travail et accroît les problèmes liés aux déplacements. Le prix du mètre carré de logements distants de 60 km peut compter plus pour la fluidité de la circulation que la qualité de la synchronisation des deux-roues dans votre centre-ville.

Une approche concrète de la complexité urbaine est néanmoins possible.

  • La réponse concrète à donner n’est pas évidente encore. Précaution à ne jamais oublier : prendre chaque problème et chaque action dans sa spécificité, mais aussi dans leurs relations avec les autres
  • Dans un premier temps, il s’agit d’envisager l’espace dans lequel vous vous trouvez comme un « système urbain ». C’est ce que propose Nadine Cattan, chercheuse au CNRS dans une étude pour la délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (Datar). Après avoir pris en compte toutes les villes françaises de plus de 5 000 habitants, elle a dégagé 26 ensembles. Cela permet de mieux appréhender la dynamique réelle de votre espace, de mieux comprendre les ressources pour mieux en tirer parti. Outre celles qui se trouvent à l’intérieur du périmètre qui est le vôtre, cela vous permet de faire valoir « les connexions entre différents lieux » auxquels sont reliés vos centres d’enseignement comme les entreprises présentes sur votre territoire. Ces relations sont des atouts.
  • Reste à déterminer comment agir au bon niveau. Comme nous venons de le voir, vos services ne sont pas outillés pour le faire. Il faut donc mettre en place des dispositifs composés de manière différente et qui fonctionnent autrement. En m’inspirant du travail de Zaid Hassan, un universitaire britannique, je me permets de vous proposer les quelques principes suivants (simplifiés comme il se doit pour une note de cette nature) :
    • hétérogénéité des participants. Ils appartiennent à des milieux sociaux et culturels différents avec différents niveaux de connaissances ;
    • autogestion. Le groupe définit son agenda et la direction qu’il veut prendre. En Suisse, il arrive que les responsables municipaux se retirent du lieu de délibération quand les citoyens y discutent d’une situation sur laquelle ils sont invités à se prononcer ;
    • absence de hiérarchie. Chaque participant s’exprime librement et peut contester ce qui est dit par toute autre personne quel que soit son rang ;
    • frictions bienvenues. Espaces, compétences, rôles et domaines peuvent être contestés. Les désaccords sont vus comme une source de créativité ;
    • processus itératif. Il s’agit d’avancer en alternant de façon répétitive les moments de formulation et ceux de mise en œuvre. Opposée à la planification, cette procédure encourage l’émergence de solutions nouvelles non envisagées au départ du processus.
  • Ces groupes ne sont pas tenus de se limiter à des grands projets. Ils peuvent développer leurs propositions dans le cadre du concept d’acupuncture urbaine : des actions en différents points du territoire qui changent la dynamique de l’ensemble.

L’application de tels principes doit se faire en tenant compte des circonstances. Le succès n’est pas garanti. Mais vous lancer dans cette direction, après une étude nécessaire des pratiques repérées pourrait fort bien vous permettre d’aborder les problèmes de votre municipalité sous un angle nouveau avec un espoir retrouvé. Et une belle chance de devenir un point de repère d’innovation pour vos pairs.

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