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Mort du pédiatre Philippe Dehaene, spécialiste du syndrome d’alcoolisation fœtale

Pionnier dans la lutte pour la prise en compte des risques liés à la consommation d’alcool de la mère durant la grossesse, première cause de handicap mental et d’inadaptation sociale non génétique, il est mort le 9 décembre 2022, à l’âge de 94 ans.

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Publié le 17 décembre 2022 à 19h35, modifié le 17 décembre 2022 à 19h40

Temps de Lecture 2 min.

Le pédiatre Philippe Dehaene est mort le 9 décembre 2022, à l’âge de 94 ans. Il avait consacré quarante ans de sa carrière à faire reconnaître en France le syndrome d’alcoolisation fœtale (SAF), première cause de handicap mental et d’inadaptation sociale non génétique. Il s’est aussi engagé dans la prévention de ce trouble du neurodéveloppement, lié à la consommation d’alcool de la mère durant la grossesse.

« Mon aventure a commencé en 1973 », raconte-t-il dans une vidéo réalisée en 2018 par l’association SAF France. Le pédiatre, installé à Roubaix (Nord), assiste à une réunion avec des confrères. « On nous présente une observation américaine à propos d’une nouvelle malformation concernant des enfants nés de femmes ayant été alcoolisées pendant la grossesse », décrit-il. Ces enfants se ressemblent tous, avec un faciès caractérisé par un petit périmètre crânien, des yeux étroits, un nez sans relief, une absence de gouttière entre la base du nez et la lèvre supérieure, un menton effacé…

Pour lui, l’annonce de cette découverte américaine est un « événement extraordinaire », confiait-il. « Ce type d’enfants, je le rencontre en permanence dans la pouponnière où j’exerce une partie de mes activités. » Ce sera pour lui le déclic qui déclenchera son engagement dans la lutte contre ce fléau. Le déni était alors collectif. « Les médecins, même de grands médecins, considéraient que l’alcool n’était absolument pas dangereux pendant la grossesse. » Un pédiatre nantais, Paul Lemoine, qui avait identifié ces troubles autour de 1968, avait prêché dans le désert.

L’analyse : Article réservé à nos abonnés L’alcoolisation fœtale toucherait une naissance par jour en France

Philippe Dehaene est convaincu de la réalité du problème. A Roubaix, il ouvre une consultation consacrée aux femmes alcoolisées ayant déjà donné naissance à des enfants malformés. « J’aurai la satisfaction de voir des femmes renoncer à toute prise de boisson alcoolisée durant leur grossesse », expliquait-il. Après avoir observé dans une même famille trois enfants atteints, il verra « naître un enfant enfin tout à fait normal », indemne de toute lésion cérébrale. Un premier succès qui le marquera.

Maladie évitable

L’intérêt pour ce problème ne le lâchera plus. « Il en fera le combat d’une vie, avec un vrai souffle. Jusqu’au bout, il est resté préoccupé par le sujet », témoigne David Germanaud, neuropédiatre et neuroscientifique au Centre de recherche NeuroSpin du CEA, à Saclay (Essonne). Au fil des décennies suivantes, les actions pour combattre l’alcoolisme fœtal se multiplieront dans la région Nord-Pas-de-Calais « sous l’impulsion de Philippe Dehaene et de ses collègues », racontent Thierry Fillaut, historien, et Juliette Hontebeyrie et Florence Douguet, sociologues, dans la revue Psychotropes. Ces travaux aboutiront « aux premières mesures de la prévalence du syndrome d’alcoolisation fœtale dans les maternités de Roubaix ».

La maladie, en réalité, est complètement évitable. « Quarante ans après, on se trouve toujours face à l’alcoolisation fœtale, avec des enfants handicapés, déplorait le docteur Dehaene. Beaucoup de ces enfants ne sont pas diagnostiqués. » Le plus important, selon lui, restait l’information des femmes. Depuis 2007, un logo figurant une femme enceinte dans un rond rouge barré doit ainsi apparaître sur toute bouteille d’alcool. Mais « le lobby des alcooliers l’a rendu minuscule », regrette le neuroscientifique Stanislas Dehaene, son fils, professeur au collège de France et directeur de NeuroSpin. « Philippe Dehaene était conscient du chemin parcouru depuis les années 1970, mais il jugeait qu’en termes de santé publique, on pourrait faire bien mieux », renchérit David Germanaud.

Le pédiatre touchera aussi à la recherche. Il collaborera avec une scientifique américaine de renom, Ann Streissguth. Leurs travaux étayeront les effets de l’alcoolisation fœtale et aideront à préciser sa fréquence : près d’une naissance vivante sur 100. Plus tard, on découvrira qu’à côté du véritable SAF, dû à l’exposition du fœtus à de fortes doses d’alcool, il existe des formes plus discrètes, sans malformations mais responsables de difficultés d’apprentissage, d’échec scolaire, de troubles des conduites, d’addictions à l’adolescence.

Philippe Dehaene a fait école. « Il a formé une génération de médecins, il a été un fil conducteur », dit David Germanaud. Il était aussi l’auteur d’un « Que sais-je ? », La Grossesse et l’Alcool (PUF, 1995). L’association SAF France a rendu hommage à « ce grand médecin humaniste, qui a eu le courage d’agir concrètement pour l’égalité des chances ».

Philippe Dehaene en quelques dates

8 février 1928 Naissance à Wormhout (Nord)

1973 Début de son engagement pour la reconnaissance du syndrome d’alcoolisation fœtale (SAF)

9 décembre 2022 Mort à Roubaix (Nord)

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