Mai 2021. A la surprise générale, Denis Kessler, PDG de Scor depuis 2002, demande à être déchargé de ses fonctions de directeur général du réassureur français, avec un an d’avance sur le calendrier prévu. Et ce « pour des raisons personnelles », sans en dire plus. Renonçant aux tâches opérationnelles, il conserve alors uniquement la présidence pour trois années supplémentaires. Son mandat devait s’achever en 2024.
A 72 ans, il aurait alors, sans nul doute, quitté à regret ou tenté de prolonger son mandat à ce poste qu’il considérait comme « un balcon sur le monde » en raison de l’étendue du champ couvert par ce groupe, l’assureur des compagnies d’assurances travaillant dans 160 pays et sur tous les risques. Un champ également propice à la réflexion et aux propositions pour ce bouillonnant agitateur d’idées qui n’aimait rien tant que l’échange, les débats et la contradiction. Mais la maladie l’a emporté à l’âge de 71 ans, vendredi 9 juin, a annoncé le groupe de réassurance dans un communiqué.
Chaleureux, provocateur, terriblement affectif mais aussi colérique, autoritaire et cassant, Denis Kessler tranchait dans un milieu patronal très policé. Ses prises de position, ses « coups de gueule » lui valaient de solides inimitiés. Personnalité atypique, il impressionnait par son envergure intellectuelle.
Envergure intellectuelle
Ce natif de Mulhouse (Haut-Rhin), fils d’un agent commercial déporté à Dachau pour faits de résistance durant la seconde guerre mondiale, cumulait les diplômes : HEC, DEA de philosophie, docteur en sciences économiques, agrégation de sciences économiques et sociales… « Il n’y a qu’un étudiant qui comprenne quelque chose à la finance, c’est Kessler », disait de lui, au début des années 1970, un de ses professeurs de HEC.
« Vous lisez Spinoza, Hegel – auquel vous consacrez un mémoire de DEA –, Tocqueville, mais aussi Althusser, Lacan, Derrida, Foucault, Deleuze, Bourdieu », énumérait, admiratif, l’ancien patron de BNP Paribas Michel Pébereau, lors de son éloge d’accueil à l’Académie des sciences morales et politiques, en mars 2018. Les références aux textes n’étaient jamais loin de ses activités.
« L’Ancien Testament est un petit traité de réassurance, toutes les catastrophes y sont décrites », se plaisait-il à souligner. Cette appétence pour l’écrit – il se qualifiait lui-même de « scribe » – l’avait poussé à faire reprendre par Scor, en 2014, les Presses universitaires de France et les éditions Belin, pour les fusionner en 2017 dans Humensis. Bien loin des activités d’assurance, mais personne en interne n’avait osé contester la décision de cet intellectuel devenu PDG.
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