Le livre. « Il n’existe pas de société secrète façonnant chaque décision majeure ou déterminant le cours de l’histoire humaine. Cela dit, il y a McKinsey & Company ». Les mots sont ceux d’un ancien consultant du géant américain du conseil. Ils évoquent tout à la fois la puissance de la firme et sa capacité à œuvrer dans l’ombre. Deux caractéristiques majeures de l’entreprise qui sont justement mises en lumière dans un ouvrage de deux journalistes du New York Times, Walt Bogdanich et Michael Forsythe.
Au fil d’une investigation au long cours, ils proposent, dans McKinsey, pour le meilleur et pour le pire (Buchet-Chastel, 2023), une plongée édifiante au cœur de la multinationale, s’appuyant sur de nombreux témoignages et documents internes pour dévoiler les ressorts de son pouvoir, ses stratégies de conquête et les nombreuses zones d’ombre de ses activités.
McKinsey a réussi, en un siècle, à devenir un acteur incontournable du conseil, l’éminence grise des puissances publiques comme des sociétés privées à travers la planète. Elle a bâti sa réputation sur sa capacité à « quantifier [les] problème[s] » et à proposer des politiques de réduction des coûts tranchantes, permettant de maximiser les profits. Dans le même temps, elle a tissé une toile dans les sphères économique et politique mondiales avec une aisance saisissante. Le réseau des anciens consultants de McKinsey est tentaculaire, nombre d’entre eux poursuivant leur carrière à la tête d’institutions publiques ou privées.
Les conflits d’intérêts
Au fil des ans, l’entreprise a mené avec méthode et froideur la conquête de nombreux marchés, appuyant des acteurs aux méthodes parfois contestables. Les discours autour des « valeurs » portées par l’organisation ont bien souvent été contredits par les faits. « Contrairement aux dires publics de la firme selon lesquels elle était ‘‘engagée dans la protection de la planète’’, le cabinet était fier d’aider les charbonnages à devenir plus rentables », expliquent les auteurs. Ils poursuivent : « En se mettant au service non seulement du tabac et du vapotage, mais aussi (…) des opioïdes, la firme a su, en toute discrétion, tirer grand profit de l’économie de l’addiction. » De même, elle « travaille de plus en plus pour des gouvernements autoritaires partout dans le monde ou pour des entreprises publiques qui contribuent à consolider le pouvoir de ces derniers ».
L’enquête montre également que cette conquête effrénée de nouveaux clients a posé, à de nombreuses reprises, la question des conflits d’intérêts. « Travailler à la fois pour le régulateur et pour le régulé fait partie intégrante du modus operandi de McKinsey », notent MM. Bogdanich et Forsythe. Ainsi, McKinsey a pu avoir simultanément comme clientes des entreprises pharmaceutiques américaines et la Food and Drug Administration, l’agence fédérale qui veille à l’innocuité des médicaments autorisés à la vente dans le pays.
Il vous reste 23.21% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.