Livre. « On ne peut pas réduire une élection à un concours de look », ironisait amèrement Laurent Fabius lors des primaires de 2006 pour discréditer sa rivale d’alors, Ségolène Royal. Pourtant, à maints égards, l’homo politicus est bien devenu un homo aestheticus.
C’est à ce thème épineux et peu abordé que s’attaque François Hourmant, professeur des universités en science politique et spécialiste d’histoire contemporaine, dans son nouvel essai. Il y décortique la « tyrannie de la beauté », qui gangrène non seulement nos sociétés occidentales mais aussi le champ politique. Elle y fait des ravages à l’heure de l’« ego-politique », caractérisée par une individualisation et une personnalisation croissantes au point d’éclipser les critères traditionnels d’appartenance partisane.
En fait, depuis l’Antiquité, la beauté est un « invariant du pouvoir », mais des mutations profondes se sont opérées. Jadis, la beauté était « attribuée », consubstantielle de la figure du prince. On est passé de cette beauté « de droit » à une beauté « attribut », un véritable devoir qui incombe aux politiques, risquant aujourd’hui de voir leur physique trivialisé et rabaissé. Dans une société de la surmédiatisation, des réseaux sociaux, du culte de l’image et de la célébrité, les corps sont une ressource majeure, au cœur de stratégies de séduction et d’un tourbillon émotionnel qui structure le marché de l’offre politique.
En même temps, la quête esthétique est parcourue par de vives tensions. Le culte du beau, pour soi ou pour son conjoint, doit éviter de multiples écueils : il reste inavouable, éminemment coupable – le narcissisme et la frivolité se mariant mal avec l’imaginaire viril, grave et désintéressé souvent associé au monde politique.
Qualités biologiques, sociales et culturelles
Mais précisons : qu’est-ce que cela veut dire, être beau ? Loin d’être immuable, la beauté se focalise de nos jours sur les traits du visage, mais aussi sur l’hexis corporelle (silhouette, morphologie, taille, allure), ainsi que sur un ensemble d’attitudes (érotiques et sexuées notamment), de gestes et de pratiques (vestimentaires, ornementations).
Or, ces qualités esthétiques ne sont pas seulement biologiques, mais aussi sociales et culturelles (bon goût, classe, élégance), relevant d’un certain habitus – pour parler en termes bourdieusiens. En outre, elles sont savamment entretenues, par certains plus que d’autres (pratiques sportives, chirurgie, soin).
De là un faisceau de questions que sonde l’ouvrage : la prime à la beauté est-elle genrée ? Son influence est-elle identique sur toutes les catégories sociales ? Mais aussi : que nous dit la beauté sur la nature de nos régimes politiques et sur le fondement de leur légitimité ? Comment favorise-t-elle le consentement à la domination des gouvernés ? Que nous suggère-t-elle sur la notion de charisme en politique ? Enfin, quels ressorts émotionnels met-elle en jeu ?
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