Bonnes feuilles. Depuis son ouverture en 2010, la résidence [Les Bords de Seine, à Neuilly] sert de vitrine au groupe Orpea. Presque chaque mois, des investisseurs ou de futurs partenaires commerciaux, souvent étrangers, ont droit à une visite des lieux, habilement guidée. L’idée étant de leur montrer le savoir-faire de l’entreprise, qui s’apprête alors à devenir le leader mondial de la prise en charge de la dépendance : aménagement des espaces, tenue des lieux, gestion de l’accueil, organisation des soins, etc.
Au-delà de l’image, Les Bords de Seine, comme tous les établissements du groupe, doivent rapporter de l’argent. Beaucoup d’argent. Les tarifs des chambres comptent parmi les plus élevés de l’Hexagone. Aux Bords de Seine, la chambre d’entrée de gamme d’une vingtaine de mètres carrés coûte près de 6 500 euros par mois, et les tarifs grimpent jusqu’à 12 000 euros pour la grande suite avec salle de bains et dressing. 380 euros par jour et par personne, soit six fois le tarif moyen d’un Ehpad [établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes]. (…)
Saïda Boulahyane [une auxiliaire de vie dont l’auteur a recueilli le témoignage] me raconte qu’elle a travaillé pour plusieurs grands groupes, dont Korian, le deuxième mondial du secteur et le premier français. Dès qu’elle le peut, elle choisit les unités protégées, pourtant réputées les plus difficiles. C’est là que vivent les personnes âgées dites « déambulantes ». La plupart sont atteintes de troubles cognitifs sévères altérant leur humeur, leur mémoire et leur comportement, les amenant parfois à être violentes. Beaucoup d’entre elles sont touchées par la maladie d’Alzheimer. Pourquoi Saïda Boulahyane a-t-elle choisi ce service ? Parce qu’elle a l’impression d’y être utile, tout simplement. Et, chez Orpea, cela s’est révélé plus vrai que jamais.
« Nous étions rationnés : c’était trois couches par jour maximum. Et pas une de plus. Peu importe que le résident soit malade » – Saïda Boulahyane, auxiliaire de vie
« Dès que je suis arrivée dans cette unité, dès que l’ascenseur s’est ouvert, j’ai compris que quelque chose n’allait pas. Déjà, il y avait cette odeur de pisse terrible, dès l’entrée. Et je savais que c’est parce que [les résidents] n’étaient pas changés assez régulièrement », lâche-t-elle. Puis elle poursuit : « Ça s’est révélé être le cas. Je suis restée près d’un an là-bas, et je ne vous dis pas à quel point il fallait se battre pour obtenir des protections pour nos résidents. Nous étions rationnés : c’était trois couches par jour maximum. Et pas une de plus. Peu importe que le résident soit malade, qu’il ait une gastro, qu’il y ait une épidémie. Personne ne voulait rien savoir. »
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