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Jérôme Cazes sur la fin de vie : « Mes parents sont morts effarés de l’indifférence de la collectivité à leur égard »

Parce que l’aide au suicide est interdite, Georgette et Bernard Cazes, qui ont mis fin à leurs jours à 86 ans, en 2013, dans une chambre de l’Hôtel Lutetia, à Paris, ont affronté des années de souffrance et de peur inutiles. Dans une tribune au « Monde », leur fils estime qu’il serait pourtant simple d’autoriser ce geste, comme en Suisse.

Publié le 10 avril 2024 à 05h00, modifié le 10 avril 2024 à 16h47 Temps de Lecture 3 min.

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Mon histoire personnelle m’a obligé à réfléchir à l’aide au suicide de personnes lucides. Mes deux parents se sont suicidés au petit matin dans une chambre de l’Hôtel Lutetia, à Paris, il y a dix ans, sans aide. Certains s’en souviennent peut-être, car leur geste a soulevé une grande émotion – à la fois par le lieu choisi et par la publication de magnifiques photos d’eux en jeunes amoureux. Ils étaient en effet des amoureux fusionnels, amoureux aussi de la lecture, de façon presque pathologique pour mon père, qui avait délégué la partie matérielle de son existence à ma mère.

Autour de leur quatre-vingtième anniversaire, mon père a commencé à perdre la tête, et ma mère la vue. La perspective d’un long enfer s’est rapprochée chaque jour : la disparition progressive mais rapide de l’accès aux livres ; un cerveau brillant qui répond de moins en moins ; l’impossibilité prochaine pour ma mère de guider le couple… D’où leur décision commune et évidente de se suicider ensemble avant cet enfer.

Malheureusement, ils vivaient en France, un pays où le code pénal interdit toute aide au suicide. Rares sont ceux qui mesurent à quel point se suicider seuls est difficile pour deux très vieilles personnes, même courageuses. Mes parents n’ont donc pu partir qu’après des années de souffrance et de peur inutiles. Leur peur n’était pas existentielle, mais terriblement concrète : allaient-ils souffrir avec la méthode d’asphyxie qu’ils ont retenue, la tête dans un sac en plastique ? Etaient-ils sûrs qu’on n’allait pas les ranimer, ranimer l’un des deux ou les ranimer dans un état les rendant incapables de recommencer ? L’un d’eux a d’ailleurs bien failli être « sauvé » par les pompiers.

Lire aussi (2013) : Article réservé à nos abonnés Ces couples âgés qui ont choisi de « quitter la vie » ensemble

Un marqueur de liberté

Mes parents sont partis effarés de l’indifférence de la collectivité à leur égard, après deux belles vies consacrées aux autres – et je partage leur effarement. L’attitude face au suicide est un marqueur de liberté : les dictatures interdisent le suicide, les sociétés libres l’autorisent. Mais la triste réalité française est encore que l’exercice de ce droit reste un parcours terrifiant que l’on inflige à des personnes presque toujours fragiles qui ont, au contraire, besoin d’être aidées.

La France va à nouveau légiférer, mais on entend à nouveau le même décalage entre des citoyens en attente et des politiques qui compliquent tout. On ne parle pas de personnes comme mon père et ma mère : on parle de médecins, de soignants, de commissions, de droit de réserve, de pronostic médical à court, moyen ou long terme, de seuil de souffrance… Mais pourquoi diable mettre les médecins et le personnel médical au centre du jeu ? Pourquoi demander à des personnes dont beaucoup considèrent chaque mort comme une défaite personnelle d’aider au suicide alors que leur présence est parfaitement inutile ?

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